Les dérives du PCI dans le mouvement contre la réforme des retraites (Partie 2)

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Après avoir exposé nos critiques sur le contenu de l’intervention du PCI (qui publie le journal Le Prolétaire en France) suite au mouvement de lutte contre la réforme des retraites, nous proposons dans ce second article de poursuivre la polémique en revenant sur le cœur de ce qui fait nos divergences sur le sujet.

Dans notre précédent article (1), nous avons souligné et critiqué une approche que nous avions jugée opportuniste de la part du PCI lors de son intervention dans le mouvement contre la réforme des retraites. Le PCI, en effet, même s’il se situe dans le camp prolétarien, n’a pas été en mesure de défendre l’autonomie du combat de la classe ouvrière. Selon nous, il est nécessaire de revenir sur ses approches, sur les fondements théoriques de notions essentielles (notamment l’analyse du rapport de force entre les classes et la question de la conscience de classe) pour clarifier la méthode avec laquelle nous devons défendre l’autonomie de la lutte du prolétariat.

Où en est la classe ouvrière ?

La perception qu’a le PCI de la dynamique de la lutte de classe aujourd’hui, peut être exposée à l’aune de ce qu’il a écrit ces dernières décennies. Selon les camarades, le fait qu’il n’y a pas eu de vague révolutionnaire après la Seconde Guerre mondiale fait que la classe ouvrière aurait été entièrement “dominée par le réformisme”. Ainsi, pour le PCI “la situation du prolétariat aujourd’hui, en particulier dans les pays capitalistes les plus développés, reste encore une situation de paralysie de ses grandes masses, encore sous l’emprise du réformisme et du collaborationnisme interclassiste”. (2) Si les camarades reconnaissent que des grèves et des luttes assez dures ont pu exister, comme en Mai 68, rien sur le fond ne permet à leurs yeux de souligner une différence fondamentale ou qualitative par rapport à la période qui a suivi la terrible défaite du prolétariat après la vague révolutionnaire des années 1920. (3) Autrement dit, et contrairement à l’analyse du CCI, Mai 68 ne marquerait nullement une modification dans le rapport de force entre les classes. A fortiori, les luttes du mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver dernier en France, pas davantage. Rien n’aurait donc changé de manière significative à partir de 1968.

Or, les luttes de Mai 68 en France et celles qui ont immédiatement suivi de part le monde (Italie et Argentine en 1969, Pologne en 1970…), ont non seulement marqué le réveil international de la lutte d’un prolétariat qui n’était pas prêt à accepter l’austérité, mais également une forte dynamique de résistance face à la perspective, bien réelle durant la guerre froide, d’une nouvelle boucherie mondiale entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, et d’un cataclysme nucléaire. Les camarades du PCI, évinçant le prolétariat en tant que sujet conscient de la scène durant toute cette période, n’y voient qu’une masse “réformiste”, sous le joug d’une sorte de “condominium russo-américain sur le monde”. (4)

La négation de l’expérience issue de tout un processus de luttes après 1968 ne pouvait qu’empêcher les camarades de saisir la dimension politique des vagues de luttes des années 1980. Durant cette période, le combat s’est accompagné d’une maturation de la conscience de la classe ouvrière, notamment par la confrontation croissante aux syndicats, aux forces de l’État cherchant par la propagande à encadrer et à soumettre idéologiquement les ouvriers.

Inversement, alors qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est toute une offensive médiatique, un véritable bourrage de crâne sur la “victoire de la démocratie”, la “disparition de la classe ouvrière” et la prétendue “faillite du communisme” allait avoir un impact négatif puissant, provoquant un recul dans les luttes à l’aube des années 1990, le PCI notait que l’effondrement de l’URSS avait “retiré un obstacle de grande ampleur à la reconstitution du mouvement de classe prolétarien”. (5) Le CCI soulignait, au contraire (et les faits nous ont donné raison), que le prolétariat allait être exposé aux campagnes idéologiques les plus mensongères et les plus dangereuses, aux miasmes exhalés par l’entrée du capitalisme dans sa phase historique ultime de décomposition. Nous avions à cette époque défendu que le prolétariat allait subir un recul significatif de ses luttes. Les camarades du PCI ne signalaient par contre rien de nouveau, mis à part le caractère prétendument “positif” de l’effondrement de l’URSS !

Il n’est donc pas surprenant aujourd’hui de constater que les camarades ne perçoivent pas la signification politique du mouvement de la lutte, l’hiver dernier, contre la réforme des retraites en France. Après quasiment une décennie d’atonie au sein du prolétariat, les camarades notaient certes une lente reprise de la combativité, mais sans être en mesure de prendre en compte la signification du changement opéré, de même que ce qui s’était développé également entre temps depuis le mouvement de 2003 : une maturation souterraine de la conscience de classe qui, malgré un reflux de la lutte lié à la brusque irruption du Covid-19, n’en constitue pas moins une réelle expérience, une aspiration non brisée à plus de solidarité et, en ce sens, un jalon pour faire émerger les prémices d’une reconquête de l’identité de classe.

En fin de compte, si le PCI n’est pas en mesure de percevoir les évolutions plus ou moins en dents de scie du rapport de force entre les classes, ses facteurs subjectifs, c’est que pour lui : “on ne peut parler de lutte de classe au sens marxiste du terme, que quand existe le parti de classe, que lorsqu’il dirige effectivement la lutte d’une fraction au moins du prolétariat”. (6) Bien entendu, vu sous cet angle, toute évolution ne peut s’avérer qu’insignifiante et sans objet tant que n’existe pas le parti du prolétariat !

Que signifie l’autonomie de classe ?

Cela est d’autant plus évident que le PCI ne place la conscience ouvrière qu’exclusivement dans le Parti, totalement séparée de la classe elle-même : “Le parti de classe […] est l’incarnation de la conscience de classe du prolétariat : lui seul possède la théorie révolutionnaire, le programme communiste, c’est-à-dire la perspective de la lutte prolétarienne poussée jusqu’à son objectif final qui est la société communiste”. (7) La maturation de la conscience du prolétariat ne pourrait se réaliser autrement que par l’unique vecteur du Parti, elle ne “s’incarnerait” que dans la perspective d’adhésion au Parti détenteur d’une vérité programmatique immuable qui est ainsi transformé en une sorte de Messie porté par ses Saintes Écritures et ses Tables de la Loi. Pour le PCI, la classe ouvrière possèderait, en définitive, un simple “instinct” de classe lui permettant de lutter uniquement pour la défense de ses conditions de travail et d’existence mais elle serait incapable de dépasser par elle-même une vision purement trade-unioniste. Si tel était le cas, comment pourrait-elle à un moment donné reconnaître le rôle fondamental du “parti” ou plus généralement des organisations révolutionnaires pour la victoire de son combat révolutionnaire ? Par la parole révélée du parti frappant de plein fouet l’esprit de la classe peut-être ?… En réalité, toute réflexion réelle se développant au sein de la classe échappe à l’attention des camarades, soit parce qu’ils l’ignorent par principe, soit parce qu’ils en négligent la portée.

Le PCI affirme pourtant qu’une des tâches majeures des révolutionnaires consiste à “œuvrer en toutes circonstances pour l’indépendance de classe du prolétariat”. (8) Bien que nous partagions totalement cet objectif, nous pensons qu’il est nécessaire, pour le défendre, de partir de la dynamique réelle du combat de la classe ouvrière, en tenant compte justement du développement de sa conscience, de ses initiatives et des conditions historiques dans lesquelles elles s’expriment. Mais ce processus, comme nous l’avons vu, le PCI le nie au sein de la classe et ne le voit que dans le seul Parti !

Or, ce qu’a montré l’histoire du mouvement ouvrier, c’est que la classe ouvrière, comme le disait Trotsky, est capable de prendre en main elle-même “sa destinée” de manière consciente, tout comme Marx disait lui-même que le communisme ne peut être que “l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”. Le prolétariat n’est pas un simple poids mort, à la remorque d’un Parti qui lui serait “extérieur” et qui serait “omniscient”, voire infaillible. L’histoire de la révolution russe, au moment même où le capitalisme entrait sa phase de déclin, a bien montré comment, par toute une maturation politique, le prolétariat pouvait se hisser lui-même à des sommets, en faisant surgir par son propre combat et sa réflexion politique les soviets (conseils ouvriers), la “forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat”, comme l’écrivait Lénine. Cette “découverte”, peu avant et dans le contexte de l’effervescence d’une vague de luttes révolutionnaires mondiale, d’une véritable ébullition politique, témoignait justement de la capacité d’organisation et d’inventivité des masses elles-mêmes, leur moyen d’exprimer une authentique autonomie face aux autres classes ou couches sociales de la société, alors que le Parti mondial n’était par encore constitué et que les bolcheviks n’avaient au départ que très peu d’influence. On peut dire que c’est cette dynamique même de réflexion autonome dans la classe qui posait les conditions devant permettre à l’avant-garde du prolétariat de se hisser à la hauteur des nécessités politiques en s’armant théoriquement elle-même pour prendre le pouvoir et tenter d’étendre la révolution. Le PCI néglige donc le fait que le prolétariat est capable de développer sa propre conscience pour accéder à la connaissance théorique de ses buts, de ses moyens et de ses principes : “la théorie peut s’emparer des masses”, comme le disait Marx. Cela conduit les camarades du PCI à retarder, et finalement à se couper de tout processus conscient qui existe au sein de la classe ouvrière.

Cette question de la conscience était pourtant bien défendue au sein du mouvement ouvrier dès l’époque de l’Internationale communiste (IC), pour qui il était important de combattre pour “l’action de masse du prolétariat” et pour “conquérir à l’intérieur des soviets une majorité sûre et consciente”. (9) Une telle politique était conforme avec la conception en devenir selon laquelle les révolutionnaires n’ont pas à “organiser la classe” mais à œuvrer pour favoriser sa prise de conscience politique. Si la révolution ne peut être assurée sans le rôle indispensable d’orientation du Parti, elle ne saurait vaincre sans une prise de conscience politique en profondeur au sein des masses ouvrières elles-mêmes, qui ne peuvent suivre de manière aveugle le Parti (loin d’être infaillible comme l’a montrée l’histoire). Dans ce cadre, il est bien évident que si les ouvriers peuvent naturellement s’organiser, ce n’est pas dans une structure “permanente”, comme le pense le PCI, mais par un effort conscient, certes distinct, mais profondément lié à celui du Parti qui pourra surgir, dans un rapport unitaire et lié aux conseils ouvriers. Cela, contre toutes les influences des autres couches ou classes réactionnaires de la société.

Comment défendre l’autonomie de classe aujourd’hui ?

Dans la période actuelle de décadence de capitalisme, en dehors de toute phase révolutionnaire, l’organisation des prolétaires est nécessairement éphémère et liée au rythme de la lutte elle-même. Elle “est constituée par les assemblées générales des ouvriers en lutte, des comités de grève désignés par ces assemblées et révocables par elles, des comités centraux de grève composés de délégués des différents comités de grève. Par nature, ces organisations existent par et pour la lutte et sont destinées à disparaître une fois que la lutte est achevée. Leur principale différence avec les syndicats, c’est justement qu’elles ne sont pas permanentes et qu’elles n’ont pas l’occasion, de ce fait, d’être absorbées par l’État capitaliste”. (10) Telles sont les principes et méthodes de lutte éprouvées dans les années 1980, notamment lors du combat des ouvriers en Pologne, lorsqu’ils ont pu en 48 heures seulement, étendre leur mouvement à tous les grands centres industriels du pays en basant leur réflexion et leur activité solidaire à partir des MKS (assemblées générales massives) pour décider eux-mêmes au plan politique des modalités de la lutte. Ce sont ces organes politiques qui ont été des creusets de conscience et d’organisation pour la classe ouvrière, même s’ils ont été immédiatement dans le collimateur de l’État qui les a torpillés, particulièrement au moyen du syndicat “libre” Solidarnosc qui en avait pris rapidement le contrôle pour mener la lutte à la défaite et la livrer à la répression.

Ce sont ces mêmes méthodes de luttes, bien qu’à moindre échelle, qui ont été mises en œuvre par les assemblées générales souveraines lors de la lutte de 2006 contre le CPE en France et qui ont obtenu le retrait de cette attaque, chose inédite depuis de longues années. Ces assemblées commençaient à élargir le combat des étudiants, majoritairement filles et fils de prolétaires, à l’ensemble des salariés, des jeunes précaires, des chômeurs et des retraités. Ces assemblées autonomes et souveraines avaient été capables de prendre en main le combat en opposition aux syndicats, du moins au début, avec un débat franc et ouvert à tous les exploités, pour réfléchir à la façon de mener la lutte. Une démarche que craignaient la bourgeoisie et le gouvernement Villepin de l’époque, obligés et forcés de reculer.

Nous avons retrouvé, quelques années plus tard, ces mêmes approches prolétariennes lors des assemblées générales ouvertes à tous du mouvement Occupy et celui des Indignados, en dépit de faiblesses et fragilités importantes.

Si la prise en main de véritables assemblée souveraines n’a pas été possible lors du mouvement contre la réforme des retraites l’hiver dernier (contrairement à ce que pense le PCI qui vante les mérites des AG syndicales interprofessionnelles) ce mouvement était plutôt guidé par une aspiration de solidarité et une volonté de combattre. Cela s’est vérifié par la mobilisation et l’état d’esprit dans les manifestations, même si ces dernières restaient sous emprise syndicale.

Cette volonté de se battre s’exprimait également dans un contexte ou des minorités tendent à se rapprocher, même avec de grandes difficultés et confusions, des positions de la Gauche communiste. Ce processus, fragile, certes moléculaire, témoigne du fait que la réflexion politique existe bien dans les tréfonds du prolétariat. Les organisations du milieu politique prolétarien doivent le reconnaître et stimuler cette dynamique pour conduire à davantage de clarté et de conviction révolutionnaire : “Ainsi, de la même manière que la conscience de classe n’est pas une conscience sur quelque chose d’extérieur au prolétariat mais la conscience que le prolétariat a de lui-même en tant que classe révolutionnaire, les révolutionnaires n’entrent pas en relation avec le prolétariat sur base d’une origine différente. Les révolutionnaires vivent comme une partie de la conscience du prolétariat et servent à homogénéiser celle-ci. Rien de plus normal, dans cette mesure, de les voir entrer dans la même lutte que l’ensemble de leur classe, participer à la même pratique globale, élaborer et enrichir le même programme. Les communistes ne possèdent pas de théorie qui soit leur trésor personnel, le fruit de leurs brillants cerveaux. Concevoir le programme communiste comme une table des dix commandements est donc une idiotie. Le programme révolutionnaire ne possède aucune origine mystique et il n’est pas un code invariant. Il est au contraire une œuvre concrète de la classe elle-même ; une arme de sa lutte. Il n’est pas seulement un énoncé abstrait des buts finaux de la société et de la lutte ouvrière, mais aussi une analyse minutieuse et concrète du développement réel précédent, de la situation économique, sociale et politique, avec toutes ses particularités bien matérielles”. (11) Cette analyse “minutieuse” nécessaire, lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, a échappé en grande partie au PCI du fait de son opportunisme.

La profondeur de la pandémie planétaire de Covid-19, l’inquiétude sociale, les attaques présentes et à venir, dans la réalité de la phase actuelle de décomposition du capitalisme, générant toutes sortes de miasmes et de catastrophes, vont probablement avoir un impact négatif et jouer un rôle paralysant durant tout un temps, en pourrissant les consciences. Mais il n’empêche que ce mouvement contre la réforme des retraites en France aura laissé des traces durables et une expérience positive pour le futur. Il est indispensable pour les révolutionnaires de prendre cela en compte pour mener le combat, d’autant plus que la défense de l’autonomie de classe constitue aujourd’hui un enjeu vital face au danger de luttes sur un terrain interclassiste comme on l’a vu avec le mouvement des “gilets jaunes” en France ou face au mécontentement général lié aux mesures contre la pandémie, voire sur le terrain carrément bourgeois au nom de l’antiracisme comme Black Lives Matter aux États-Unis.

WH, 17 octobre 2020

2Ce qui nous distingue” sur le site : pcint.org.

3La révolution d’Octobre 1917 en Russie marque le début d’une vague révolutionnaire internationale, que l’échec, en particulier lors de la révolution en Allemagne en 1919-23, a condamné à une rapide dégénérescence. L’arrivée au pouvoir de la clique bourgeoise stalinienne fut le coup de grâce porté à cette vague révolutionnaire et marqua le début de la contre-révolution triomphante dans le monde entier, à la fois sur le plan physique (arrestations, exécutions, massacres…) et idéologique. Cette dernière devait durer près de 50 ans.

4“Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires”, Programme communiste n° 103 (janvier 2016).

5Idem.

6Ce qui nous distingue” sur le site : pcint.org.

7Idem.

8“Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires”, Programme communiste n° 103 (janvier 2016).

9“Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat” rédigées par Lénine pour le premier congrès de l’IC.

10“L’opportunisme du PCI sur la question syndicale le conduit à sous-estimer l’ennemi de classe”.

11Voir notre brochure : Organisation communiste et conscience de classe.

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