Courrier de lecteur (partie 1): Pourquoi le CCI a-t-il abandonné le concept de "cours historique"?

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Nous publions ci-dessous de larges extraits du courrier d’un de nos lecteurs, suivi de notre réponse. Ce courrier critique notre “Rapport sur la question du cours historique, adopté au 23e Congrès du CCI et publié dans la Revue internationale n° 164. Le camarade aborde également une autre question : celle de la perspective, toujours possible, d’une guerre nucléaire généralisée. Nous répondrons sur ce dernier aspect ultérieurement, dans une deuxième partie.


Mes lectures multiples du rapport sur le cours historique paru dans la Revue Internationale numéro 164 me laissent très perplexe et dubitatif. J’ai beaucoup de mal à me faire une opinion précise et définitive sur ce texte. Plutôt que prendre position je préfère vous faire part de remarques un peu décousues et disparates. J’espère que ces remarques permettront de faire avancer le débat éventuellement dans un courrier des lecteurs du journal.

La première remarque consiste en un certain étonnement quant à l’apparition maintenant de cette remise en cause. En effet, le CCI même s’il se défend de toute invariance à la “bordiguiste”, ne pratique jamais un changement à 180° de cette façon. Je n’ai pas d’autre exemple de la remise en cause d’une position “pilier” de cette importance depuis 45 ans (date de la création du CCI). Éclairez-moi s’il y a eu un ou des précédents ? […]

La deuxième porte sur le moment où apparaît cette “révolution” historique, c’est-à-dire 30 ans après l’effondrement de l’URSS et de son bloc impérialiste. Quel événement interne ou externe au CCI a provoqué ces derniers mois cette remise en cause d’un de ses piliers programmatique ? 30 ans après 1989. Le seul événement interne était la nécessité de faire le bilan des 40 ans CCI et de revoir une analyse qui n’était plus adaptée Je me souviens de multiples discussions dans des réunions publiques ces 30 dernières années où cette affirmation du cours historique contre des questionnements de sympathisants sur l’état de la classe ouvrière était un argument décisif dans l’argumentation.

Troisième remarque : le distinguo entre cours historique et rapport de force entre les classes m’apparaît difficile à saisir et ne me convainc pas. Une première compréhension de ma part de ce texte est le caractère évolutif dans un seul sens contenu dans l’expression cours historique opposé à une perception du rapport de force entre les classes comme une situation bloquée, indécise et finalement aléatoire quant à son évolution.
pour illustrer ma position, je reprendrai l’expression d’Albert Einstein dans ses critiques des postulats de la mécanique quantique :
Dieu ne joue pas aux dés. Finalement la notion de cours historique est plus pertinente pour moi car dans le rapport de force entre les classes “mesuré” à un moment, il y a une tendance de fond, un mouvement (qui peut s’inverser) qui est continuellement à l’œuvre et qui ira jusqu’à son aboutissement. Pour conclure cette remarque, j’ai l’impression d’une évolution “pessimiste” de l’appréciation du cours historique par le CCI tout au long de ces 50 dernières années. On est passé d’un cours à la “révolution” dans les années 70 et 80, puis par un cours aux affrontements de classe des années 90 et 2000 pour finir par une perception actuelle d’un cours vers une défaite annoncée du prolétariat.

Dernière remarque que je vais développer davantage car mes idées sont plus claires et cela concerne un argument avancé par le CCI pour justifier son abandon d’un cours historique à l’œuvre. Cet argument c’est l’inexistence actuelle de blocs militaires et l’absence de mouvement de rapprochement de différents pays en vue de la constitution de tels blocs. Contrairement aux alliances précédent la Première Guerre mondiale entre la France, le Royaume-Uni, et la Russie d’un côté, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, et la Turquie de l’autre ou bien aux alliances précédent la Seconde entre la France, le Royaume-Uni et la Pologne cette fois et l’Allemagne, l’Italie et l’URSS (pacte Molotov-Ribbentrop !) en face ; il n’y a pas eu depuis l’effondrement de l’URSS des alliances de ce type. Outre la question des armements nucléaires à longue portée, il y a en ce moment un pays qui n’a pas besoin d’avoir constitué un bloc uni et parfaitement tenu et soutenu pour se lancer dans une guerre qui, si elle n’est pas mondiale, ne sera pas cantonné à un théâtre d’opération limité dans le temps et dans l’espace (comme par exemple les deux guerres contre Saddam Hussein). Ce pays c’est bien sûr les États-Unis qui ont la puissance économique, la suprématie militaire et les bases néanmoins pour une intervention partout dans le monde. Pour qu’une guerre avec des batailles dans différents endroits de la planète, qui se produisent simultanément et qui s’étalent sur une période assez longue (plusieurs années) se produise il suffit qu’une autre puissance qui elle constitue des états vassalisés par le commerce extérieur et les investissements économiques, se dote de bases militaires à l’étranger dans ces états vassaux, commence à construire des porte-avions et généralement une marine de guerre efficace et nombreuse pour qu’à un certain moment le risque de conflit généralisé devienne une probabilité non négligeable. Ce pays existe déjà, c’est la Chine qui risque grâce à l’épidémie de Covid-19 de bientôt dépasser les États-Unis au niveau économique mondial. La possibilité d’un “dérapage” dans les années à venir sur la question de Taïwan, dégénérant en un affrontement généralisé entre ces deux pays dans différents endroits obligeant d’autres états à se positionner et donc prendre parti pour l’un ou l’autre (par exemple France, Royaume-Uni et Allemagne pour les États-Unis dans le cadre de l’OTAN et Russie pour la Chine) est une possibilité qui n’est pas du tout farfelue. Des batailles dans les pays de l’Est, des bombardements dans l’Europe de l’Ouest pourraient découler de cette situation. Je pense que la question de la guerre n’est pas du tout évacuée par la théorie de la décomposition qui remplace la théorie du cours historique.

Pour conclure sur cette dernière remarque, le hasard a fait que j’ai lu récemment deux articles dans la presse qui apportent de l’eau à mon moulin. Dans l’Obs, dans un petit article sur l’évolution de l’économie mondiale il est remarqué que la puissance qui a été à l’origine de cette pandémie est la seule paradoxalement qui verra une croissance positive en 2020. L’article se termine ainsi : Quand la crise sera terminée, il faudra faire un nouvel état des lieux des forces en présence. Mais d’ores et déjà, on peut annoncer que la Chine se rapproche dangereusement des États-Unis. Dans le Canard Enchaîné sont rapportés les propos du responsable des armes nucléaires des États-Unis Charles Richard : il est temps que les États-Unis révisent et mettent à jour leur doctrine nucléaire, car la nation n’a pas pris au assez sérieux, jusqu’à présent, la possibilité qu’elle puisse être engagée à l’occasion d’une compétition armée direct face à des adversaires dotés de l’armement nucléaire. Durant 30 ans le Pentagone a considéré qu’il n’existait pas de menaces. Ce discours post-guerre froide est terminé. Nous devons assumer la perspective qu’une guerre nucléaire puisse un jour avoir lieu. Nos adversaires ont profité de cette période pour dissimuler leur comportement agressif, accroître leur potentiel militaire et reconsidérer leurs tactiques et stratégies. Nous ne pouvons plu attendre de nos adversaires qu’ils respectent les contraintes que chacun s’imposait jusqu’à maintenant selon que la guerre pourrait être conventionnelle ou nucléaire qui ont désormais une conception de la dissuasion différente de la nôtre

J’espère que ces quelques remarques pourront être utiles dans le développement de la discussion sur la question essentielle de l’abandon de la notion de cours historique par le CCI.

D.


Notre réponse

Tout d’abord, nous tenons à vivement saluer l’effort du camarade D. et la réflexion qu’il a menée sur la notion de “cours historique”, permettant d’alimenter et enrichir le débat.

Le camarade se pose, en premier lieu, la question suivante : comment se fait-il que le concept de “cours historique” qui a toujours été un des piliers de l’analyse du CCI depuis sa fondation soit aujourd’hui remis en cause et abandonné dans le “Rapport que la question du cours historique” de notre 23e Congrès ? Le camarade nous demande également : le CCI a-t-il abandonné ou rectifié d’autres positions ?

À la première question, nous devons renvoyer le camarade à ce qu’affirme très explicitement l’article de la Revue internationale : “En effectuant le changement nécessaire de notre analyse, nous avons repris la méthode de Marx et du mouvement marxiste, depuis sa création, consistant à changer de position, d’analyse, et même de programme complet, dès lors qu’ils ne correspondaient plus à la marche de l’histoire, et cela pour être fidèles au but même du marxisme comme théorie révolutionnaire. Un exemple célèbre est celui des modifications importantes que Marx et Engels ont apportées successivement au Manifeste communiste lui-même, résumées dans les préfaces ultérieures qu’ils ont ajoutées à cette œuvre fondamentale, à la lumière des changements historiques intervenus. Les générations suivantes de marxistes révolutionnaires ont adopté la même méthode critique :Le marxisme est une vision révolutionnaire du monde qui doit appeler à lutter sans cesse pour acquérir des connaissances nouvelles, qui n’abhorre rien tant que les formes figées et définitives et qui éprouve sa force vivante dans le cliquetis d’armes de l’autocritique et sous les coups de tonnerre de l’histoire(Critique des critiques, 1916, Rosa Luxemburg).

L’insistance de Rosa, à cette époque, sur la nécessité de reconsidérer les analyses antérieures afin d’être fidèle à la nature et à la méthode du marxisme, en tant que théorie révolutionnaire, était directement liée à la signification changeante de la Première Guerre mondiale. La guerre de 1914-1918 a marqué le tournant du capitalisme en tant que mode de production, de sa période d’ascension ou de progrès à une période de décadence et d’effondrement, laquelle a fondamentalement changé les conditions et le programme du mouvement ouvrier. Mais seule la gauche de la 2e Internationale commença à reconnaître que la période précédente était définitivement révolue et que le prolétariat entrait dans l’“époque des guerres et des révolutions”.

C’est donc en adoptant la même démarche que celle du mouvement ouvrier du passé que nous avons été amenés à remettre en question le concept de “cours historique”. Un concept que nous estimons dépassé depuis l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, ouvrant une nouvelle phase au sein de la période historique de la décadence du capitalisme, sa phase ultime : celle de la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme. De même que l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence avaient rendu obsolètes les luttes de libération nationale, défendues par les marxistes au XIXe siècle, l’analyse du “cours historique” permettant de comprendre dans quel sens évolue la société, est devenue caduque. L’alternative historique n’est plus aujourd’hui “Guerre mondiale ou révolution prolétarienne” (comme c’était le cas dans le passé) mais “Destruction de l’humanité dans un chaos généralisé ou révolution prolétarienne”.

Le cours historique et le rapport de force entre les classes au XXe siècle

Notre article de la Revue internationale n° 164 explique de façon très approfondie la différence entre le concept de “cours historique” et celui de “rapport de force entre les classes”. Nous avions commis l’erreur d’identifier dans le passé ces deux notions alors qu’il s’agit de deux concepts distincts. Au XIXe siècle, dans la période ascendante du capitalisme, le concept de “cours historique” n’avait pas été utilisé par les révolutionnaires car nous n’étions pas encore entrés dans “l’ère des guerres et des révolutions” (comme le disait l’Internationale communiste en 1919). Ni l’échec de la révolution de 1848, ni l’écrasement de la Commune de Paris en 1871, n’avaient débouché sur une guerre impérialiste, bien que le rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat ait été inversé en faveur de la classe dominante.

Avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, la question du “cours historique” est adoptée par les révolutionnaires pour comprendre dans quelle direction générale va la société. En 1914, la défaite idéologique du prolétariat (avec le vote des crédits de guerre par la social-démocratie et la trahison des partis ouvriers) avait permis l’embrigadement de dizaines de millions de prolétaires dans la Première Guerre mondiale. Le rapport de force entre les deux classes fondamentales de la société était en faveur de la bourgeoisie qui avait réussi à envoyer le prolétariat sur les champs de bataille la fleur au fusil. Pour la première fois dans l’Histoire, était posée l’alternative : “socialisme ou barbarie”, “révolution prolétarienne ou destruction de l’humanité dans la Guerre mondiale”. Puis en 1917, avec le triomphe de la Révolution russe et son impact dans d’autres pays (notamment en Allemagne), le rapport de force entre les classes est inversé au profit du prolétariat mettant fin à la Guerre mondiale. Le “cours historique” est pour la première fois, un cours vers la Révolution prolétarienne mondiale, posant la question du renversement du capitalisme, ce qui s’est manifesté par une véritable vague révolutionnaire qui s’est développée à travers le monde entre 1917 et 1923, et encore en 1927 en Chine. Mais avec l’écrasement sanglant de la Révolution en Allemagne et de la contre-révolution stalinienne sous couvert du “socialisme dans un seul pays”, la bourgeoisie a pu reprendre le dessus. Cette défaite physique du prolétariat a été suivie par une profonde défaite idéologique qui avait permis son embrigadement derrière les drapeaux de l’antifascisme et de la défense de la “patrie socialiste”. Le rapport de force entre les classes ayant été inversé en faveur de la bourgeoisie, un nouveau cours historique s’est affirmé dans les années 1930 : la société s’acheminait inexorablement vers une Deuxième Guerre mondiale. La classe dominante avait pu soumettre la classe ouvrière à la chape de plomb d’une longue période de contre-révolution en se donnant tous les moyens pour empêcher le prolétariat de renouveler l’expérience révolutionnaire de 1917-18. Cette période de contre-révolution victorieuse n’avait donc pas permis au prolétariat d’inverser le cours historique en affirmant de nouveau sa perspective révolutionnaire. Une telle situation ne pouvait donc que laisser les mains libres à la bourgeoise pour imposer sa propre réponse à la crise historique de son système : la Guerre mondiale.

C’est seulement après un demi-siècle de contre-révolution que le prolétariat, en reconstituant progressivement ses forces, a pu de nouveau relever la tête : à la fin des années 1960, avec le resurgissement de la crise économique et l’épuisement du “boom” économique des “Trente Glorieuses”, le prolétariat réapparaît de nouveau sur la scène de l’Histoire. La vague de luttes ouvrières qui a secoué le monde, notamment en mai 1968 en France et lors de “l’automne chaud” en Italie en 1969, a révélé que le prolétariat n’était pas disposé à accepter la détérioration de ses conditions de vie. Comme nous l’avons toujours affirmé, un prolétariat qui n’accepte pas les sacrifices imposés par la crise économique n’est pas prêt à accepter le sacrifice ultime de sa vie sur les champs de bataille. Avec l’usure des mystifications bourgeoises qui avaient permis son embrigadement dans la Deuxième Guerre mondiale (celle de l’antifascisme et du stalinisme), la classe ouvrière a repris le dessus à la fin des années 1960. En faisant obstacle au déchaînement d’une nouvelle Guerre mondiale, la reprise internationale des combats de classe avait mis fin à la période de contre-révolution et ouvert un nouveau cours historique : un cours vers des affrontements de classe généralisés remettant à l’ordre du jour la perspective de la révolution prolétarienne.

L’histoire du XXe siècle a donc montré la dynamique du capitalisme et l’évolution de la société en fonction du rapport de force entre les classes. C’est ce rapport de force qui détermine le “cours historique”, c’est-à-dire dans quelle direction se dirige la société face à la crise permanente du capitalisme : soit vers la guerre mondiale, soit vers la révolution prolétarienne.

Bien que le “cours historique” soit tributaire, en dernière instance, du rapport de force entre les classes, ces deux notions ne sont pas identiques. Pour les marxistes, le “cours historique” n’est pas figé. Il est fondamentalement déterminé par la réponse que la bourgeoisie et le prolétariat apportent, à un moment donné, à la crise de l’économie capitaliste. “Nous avons eu tendance, sur la base de ce que la classe ouvrière a connu au cours du XXe siècle, à identifier la notion d’évolution du rapport de force entre les classes entre la bourgeoisie et le prolétariat à la notion de cours historique, alors que ce dernier indique un résultat alternatif fondamental, la guerre ou révolution mondiale, une sanction du rapport de force entre les classes. D’une certaine manière, la situation historique actuelle est similaire à celle du XIXe siècle : le rapport de force entre les classes peut évoluer dans une direction ou dans une autre sans affecter de manière décisive la vie de la société”. (1)

L’incompréhension de cette notion de “cours historique” avait d’ailleurs conduit certains révolutionnaires du passé à se fourvoyer dangereusement. Ce fut le cas notamment de Trotsky qui, dans les années 1930 et alors que le prolétariat des pays centraux était embrigadé derrière les drapeaux bourgeois de l’antifascisme et de la défense des “acquis ouvriers” en URSS, n’avait pas compris que la société s’acheminait de façon irrémédiable vers la Guerre mondiale. Trotsky n’avait pas compris que la guerre d’Espagne était le laboratoire de la Deuxième Guerre mondiale. En voyant dans le soulèvement du prolétariat espagnol contre le franquisme une “révolution” se situant dans la continuité de celle d’Octobre 1917 en Russie, Trotsky avait fini par pousser prématurément à la fondation d’une Quatrième Internationale, alors que les conditions historiques étaient marquées par la défaite et que la “tâche de l’heure” était, pour les révolutionnaires, de tirer le bilan et les leçons de l’échec de la révolution russe et de la première vague révolutionnaire.

Pourquoi remettre en cause le concept de cours historique aujourd’hui ?

Notre lecteur nous fait la critique suivante : il exprime “un certain étonnement quant à l’apparition maintenant de cette remise en cause. Quel événement interne ou externe au CCI a provoqué ces derniers mois cette remise en cause d’un de ses piliers programmatique, 30 ans après 1989 ? […] Seul événement interne était la nécessité de faire le bilan des 40 ans du CCI et de revoir une analyse qui n’était plus adaptée. Je me souviens de multiples discussions dans des réunions publiques ces 30 dernières années où cette affirmation du cours historique contre des questionnements de sympathisants sur l’état de la classe ouvrière était un argument décisif dans l’argumentation”.

La première question à laquelle nous voulons répondre au camarade D. est la suivante : l’effondrement du bloc de l’Est en 1989 est-il un événement d’une portée historique telle qu’il justifie que nous examinions dans quel sens se dirige la société ? Comme nous l’avons mis en évidence dans notre presse, l’effondrement des pays staliniens a mis définitivement un terme au mythe de la “patrie du socialisme”. C’est tout un pan du monde capitalisme qui s’est effondré, non pas grâce à l’action révolutionnaire du prolétariat, mais sous les coups de boutoir de la crise économique mondiale. La disparition du bloc de l’Est avait donc mis fin à la Guerre froide et à l’alternative de la bourgeoise d’une Troisième Guerre mondiale comme seule réponse que la classe dominante puisse apporter à la crise de son système. De ce fait, le bloc de l’Ouest a fini par se disloquer, puisque la menace de l’“Empire du mal” avait disparu. La perspective d’une Troisième Guerre mondiale opposant l’URSS et les États-Unis avait donc elle-même disparue, sans pour autant céder la place à l’alternative de la Révolution prolétarienne. Comment avons-nous expliqué ce “vide” laissé dans le cours de l’Histoire ? Notre analyse était la suivante : ni le prolétariat, ni la bourgeoisie n’ayant été en mesure d’affirmer leur propre réponse à la crise économique à la fin des années 1980, l’alternative historique “Guerre ou Révolution prolétarienne mondiale” a été “bloquée”. Si le capitalisme est entré dans sa phase de décomposition, c’est parce que la classe ouvrière n’a pas été en mesure de passer à l’offensive, de politiser ses combats pour les hisser à la hauteur de la gravité des enjeux de la situation historique. La dynamique de la lutte de classe ne peut plus être analysée dans le cadre du “cours historique”. Cette analyse du “cours historique” devait donc être réexaminé puisque la perspective d’une nouvelle Guerre mondiale s’était éloignée, de même que celle de la révolution prolétarienne.

L’évolution de la situation historique nous imposait de faire un examen critique des 40 ans du CCI afin de vérifier la validité de nos analyses. C’est ce que nous avions commencé à faire lors de notre 21e Congrès dont les travaux ont été exclusivement consacrés à ce bilan critique. C’est donc à partir de ce Congrès que nous avons mené une réflexion sur le cours historique et avons actualisé notre analyse à la lumière de la nouvelle situation mondiale ouverte avec l’effondrement du bloc de l’Est. Cet événement majeur, le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale, avait provoqué un recul de la conscience et de la combativité du prolétariat du fait de l’impact qu’a eu la gigantesque campagne de la bourgeoisie prétendant que l’effondrement des régimes staliniens signifiait la “faillite du communisme”. La bourgeoisie avait pu ainsi retourner cette manifestation majeure de la décomposition de son système contre la conscience de la classe ouvrière, obstruant ainsi sa perspective révolutionnaire et rendant plus difficile, plus lente et plus heurtée sa marche en avant vers des affrontements de classe généralisés.

Par ailleurs, au cours de ce Congrès, nous avions affirmé que la reconstitution de nouveaux blocs impérialistes (qui est une condition objective indispensable pour une Troisième Guerre mondiale) n’était pas à l’ordre du jour. Avec la fin de la discipline de bloc, la dynamique de l’impérialisme était désormais caractérisée par la tendance croissante au “chacun pour soi”, une tendance qui n’exclue d’ailleurs pas que des alliances entre États puissent se constituer. Mais ces alliances sont marquées par une certaine instabilité. Le “chacun pour soi” dans la vie de la bourgeoisie ne peut qu’aggraver le chaos mondial, notamment dans des guerres localisées toujours plus meurtrières. Le “chacun pour soi” est également une manifestation de la décomposition du capitalisme. Il se vérifie encore aujourd’hui à travers la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19 par chaque bourgeoisie nationale comme en ont témoigné la “guerre des masques” et la course concurrentielle aux vaccins.

C’est donc en s’appuyant sur la méthode marxiste d’analyse de l’évolution historique que le CCI a estimé que le concept de “cours historique” est devenu obsolète. La dynamique de la lutte de classe et du rapport de force entre les classes ne peut plus se poser aujourd’hui dans les mêmes termes que par le passé. Face à une situation historique nouvelle (et inédite depuis le début de la décadence du capitalisme), il nous appartenait de revoir une analyse qui avait été pendant 40 ans, comme le dit le camarade D. un de nos “piliers programmatiques”. Ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait juste : l’analyse du “cours historique” n’est pas une position faisant partie intégrante de notre plateforme programmatique (comme l’analyse de la décadence du capitalisme et ses implications sur les luttes de libération nationale, la participation aux élections ou encore la nature des syndicats et de l’ex-URSS).

La “théorie de la décomposition” ne remplace donc pas “la théorie du cours historique”, comme l’affirme le camarade D. Il ne s’agit pas du même paradigme. Une nouvelle Guerre mondiale n’est pas aujourd’hui une condition nécessaire pour la destruction de l’humanité. Comme nous l’avons mis en évidence dans nos “Thèses sur la décomposition”, la décomposition du capitalisme peut avoir les mêmes effets que la guerre : elle peut conduire, à terme, à la destruction de l’humanité et de la planète si le prolétariat ne parvient pas à renverser le capitalisme.

L’autocritique : une nécessité vitale pour les organisations révolutionnaires

Pour conclure, il nous faut répondre brièvement, à cette autre question posée par le courrier du camarade D., toujours à propos de notre remise en cause du concept de “cours historique” : : “Je n’ai pas d’autre exemple de la remise en cause d’une position “pilier” de cette importance depuis 45 ans (date de la création du CCI). Éclairez-moi s’il y a eu un ou des précédents”.

Il y a eu en effet quelques précédents. Le premier est signalé par le camarade lui-même : nous avions remis en cause la notion de “cours à la révolution” pour la remplacer par celle de “cours aux affrontements de classe”, dans les années 1980. En effet, la notion de “cours à la révolution” était fortement marquée par un certain immédiatisme de notre part. La reprise historique de la lutte de classe à la fin des années 1960 ne signifiait pas qu’une nouvelle vague révolutionnaire allait surgir rapidement. C’est l’analyse du rythme lent de la crise économique dans les années 1970 qui nous avait permis de comprendre que cette reprise de la lutte de classe ne pouvait pas encore déboucher immédiatement sur un soulèvement révolutionnaire du prolétariat comme c’était le cas face à la barbarie de la Première Guerre mondiale.

On peut citer comme autre exemple de rectification nécessaire de nos analyses, la question de l’émergence de la Chine comme seconde puissance mondiale. Par le passé, nous avions en effet défendu l’idée que, dans la période de décadence du capitalisme, il n’y avait aucune possibilité pour les pays du “Tiers monde” (dont la Chine) de sortir du sous-développement. C’est à la lumière des conséquences de l’effondrement du bloc de l’Est avec l’ouverture des pays du glacis soviétique et leur intégration dans l’“économie de marché” que nous avions été amenés à revoir cette analyse devenue obsolète. Néanmoins, cette nouvelle analyse ne remettait nullement en cause le cadre historique de la décadence du capitalisme.

Tout comme les révolutionnaires du passé, le CCI n’a jamais eu peur ni de reconnaître et rectifier ses erreurs, ni d’adapter ses analyses aux nouvelles données de la situation mondiale. Si nous n’étions pas capables de critiquer nos propres erreurs, nous ne serions pas une organisation fidèle à la méthode du marxisme. Comme l’affirmait encore Rosa Luxemburg en septembre 1899, “Il n’existe sans doute pas d’autre parti pour lequel la critique libre et inlassable de ses propres défauts soit, autant que pour la social-démocratie, une condition d’existence. Comme nous devons progresser au fur et à mesure de l’évolution sociale, la modification continuelle de nos méthodes de lutte et, par, conséquent, la critique incessante de notre patrimoine théorique, sont les conditions de notre croissance. Il va cependant de soi que l’autocritique dans notre Parti n’atteint son but de servir le progrès, et nous ne saurions trop nous en féliciter, que si elle se meut dans la direction de notre lutte. Toute critique contribuant à rendre plus vigoureuse et consciente notre lutte de classe pour la réalisation de notre but final mérite notre gratitude” (“Liberté de critique et de la science”)

C’est en ce sens que nous devons également saluer le courrier du camarade D. et ses remarques critiques. Sa contribution participe à alimenter le débat public que nous ne pouvons qu’encourager. En ouvrant les colonnes de notre presse, comme nous l’avons toujours fait, à tout lecteur désireux de critiquer nos analyses et positions, notre objectif vise à développer la culture du débat au sein de la classe ouvrière et du milieu politique prolétarien.

(À suivre)

Sofiane

1“Rapport sur la question du cours historique”, Revue internationale n° 164 (premier semestre 2020).

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Courriers de lecteur