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Événement majeur survenu pendant la phase de décomposition, le Covid 19 est l’événement le plus important pour la classe ouvrière mondiale depuis 1989. Cette pandémie est à la fois le produit de la décomposition du capitalisme et un facteur essentiel de son aggravation, en particulier du fait de son impact sur les conditions de vie des prolétaires. Les répercussions de cette pandémie, qui sont d'ores et déjà d'une importance historique considérable, ouvrent une ère complètement inédite pour la classe exploitée.
La pandémie n'est pas encore parvenue à son pic dans plusieurs parties du monde et personne, pas même les spécialistes en médecine, ne peut prédire si la situation actuelle sera suivie d'une seconde vague partout sur la planète ni quel sera le comportement ultérieur du virus. Pour l'économie capitaliste et la classe dominante, c'est aussi le saut dans l'inconnu : les conséquences économiques vont être dévastatrices mais, là aussi, personne ne peut encore à ce stade en cerner l'ampleur et la profondeur. L'ensemble du système et de la société capitalistes basculent dans une situation entièrement nouvelle, particulièrement mouvante, instable, où "rien ne sera plus comme avant".
Dans ces circonstances appelées à durer, concernant l'évolution de la situation sur ses différents plans, l'organisation des révolutionnaires doit se garder de jugements précipités et avoir en tête l'impossibilité de faire des pronostics définitifs, particulièrement sur le plan de la lutte des classes.
Toutefois, elle n'aborde pas cette situation démunie et sans arme. Son cadre politique ainsi que la méthode marxiste sont les points d'appui qui lui permettent de comprendre :
- quelle est la situation politique du prolétariat au moment où il est ébranlé par la pandémie ;
- les répercussions de cette pandémie sur les conditions dans lesquelles la classe ouvrière subit le choc brutal de l’accélération de la décomposition du capitalisme, la façon dont elle va impacter la récession économique, les inévitables et colossaux obstacles que le prolétariat va rencontrer sur son chemin.
I. Le rapport de force entre les classes immédiatement avant la pandémie
A. Le cadre du 23° Congrès du CCI
"Du fait de la grande difficulté actuelle de la classe ouvrière à développer ses luttes, de son incapacité pour le moment à retrouver son identité de classe et à ouvrir une perspective pour l’ensemble de la société, le terrain social tend à être occupé par des luttes interclassistes particulièrement marquées par la petite bourgeoisie. Cette couche sociale sans devenir historique ne peut que véhiculer l’illusion d’une possibilité de réformer le capitalisme en revendiquant un capitalisme "à visage humain", plus démocratique, plus juste, plus propre, plus soucieux des pauvres et de la préservation de la planète. (…)
Face à l’accélération des attaques économiques contre la classe exploitée, et au danger du resurgissement des luttes ouvrières, la bourgeoisie cherche aujourd’hui à gommer les antagonismes de classe. En tentant de noyer et diluer le prolétariat dans "la population des citoyens", la classe dominante vise à l’empêcher de retrouver son identité de classe. La médiatisation internationale du mouvement des Gilets Jaunes révèle que c’est une préoccupation de la bourgeoisie de tous les pays. (…)
Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l’humanité et, en ce sens, c’est dans ses rangs qu’il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n’est pas épargné, notamment du fait que la petite-bourgeoisie qu’il côtoie en est justement le principal véhicule. Durant cette période, son objectif sera de résister aux effets nocifs de la décomposition en son propre sein en ne comptant que sur ses propres forces, sur sa capacité à se battre de façon collective et solidaire en défense de ses intérêts en tant que classe exploitée" (La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste : Revue internationale n° 107) .
"Le combat pour l’autonomie de classe du prolétariat est crucial dans cette situation imposée par l’aggravation de la décomposition du capitalisme :
- contre les luttes interclassistes ;
- contre les luttes parcellaires mises en avant par toutes sortes de catégories sociales donnant une fausse illusion de "communauté protectrice" ;
- contre les mobilisations sur le terrain pourri du nationalisme, du pacifisme, de la réforme "écologique", etc.
(…) Malgré ses difficultés internes et la tendance croissante à la perte de contrôle de son appareil politique, la bourgeoisie a été capable de retourner les manifestations de la décomposition de son système contre la conscience et l’identité de classe du prolétariat. La classe ouvrière n’a donc pas encore surmonté le profond recul qu’elle a subi depuis l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens. Et ce d’autant plus que les campagnes démocratiques et anti-communistes, entretenues sur le long terme, ont été régulièrement remises au goût du jour (par exemple à l’occasion du centenaire de la Révolution d’Octobre 1917).
12) Néanmoins, malgré trois décennies de recul de la lutte de classe, la bourgeoisie n’est pas parvenue à infliger jusqu’à présent une défaite décisive à la classe ouvrière, comme ce fut le cas dans les années 1920-30. Malgré la gravité des enjeux de la période historique actuelle, la situation n’est pas identique à celle de la période de contre-révolution. Le prolétariat des pays centraux n’a pas subi de défaite physique (comme ce fut le cas lors de l’écrasement sanglant de la révolution en Allemagne au cours de la première vague révolutionnaire de 1917-23). Il n’a pas été massivement embrigadé derrière les drapeaux nationaux. La grande majorité des prolétaires ne sont pas prêts à sacrifier leur vie sur l’autel de la défense du capital national. Dans les grands pays industrialisés, aux États-Unis comme en Europe, les masses prolétariennes n’ont pas adhéré aux croisades impérialistes (et soi-disant "humanitaires") de "leur" bourgeoisie nationale." (…)
L’aggravation inexorable de la misère, de la précarité, du chômage, les atteintes à la dignité des exploités dans les années à venir constituent la base matérielle qui pourra pousser les nouvelles générations de prolétaires à retrouver le chemin des combats menés par les générations précédentes pour la défense de toutes leurs conditions d’existence. Malgré tous les dangers qui menacent le prolétariat, la période de décomposition du capitalisme n’a pas mis fin aux "circonstances" objectives qui ont constitué l’aiguillon des combats révolutionnaires du prolétariat depuis le début du mouvement ouvrier.
13) L’aggravation de la crise économique a d’ores et déjà fait apparaître une nouvelle génération sur la scène sociale, même si c’est encore de façon très limitée et embryonnaire : en 2006, le mouvement des étudiants en France contre le CPE, suivi cinq ans plus tard par le mouvement des "Indignés" en Espagne." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI. Revue internationale n° 164).
B. Le mouvement contre la réforme des retraites en France, situation spécifique ou indice de changements dans la lutte de classe internationale ?
Ce cadre a dû être actualisé avec le surgissement de manifestations de luttes ouvrières, en France de même qu’au plan international, montrant :
- La capacité de ces luttes à se situer sur le terrain de classe du prolétariat en réponse aux attaques ou à la dégradation des conditions de travail, des salaires ; contre les effets de la crise économique ;
- La capacité du prolétariat à parvenir à se frayer un chemin au milieu des conditions historiques défavorables de la décomposition du capitalisme (qui se sont encore aggravées) et de l’influence négative et délétère des luttes interclassistes dans lequel ses parties les plus faibles risquent de se noyer. En dépit des efforts de la classe dominante en France pour renforcer l’influence de l’interclassisme délétère des Gilets Jaunes au sein de la classe ouvrière, cette influence est restée très marginale ; la classe ouvrière a montré, en luttant, sa résilience à l’influence du populisme en général et n’apparaît pas totalement gangrénée par celui-ci.
Notre méthode, nos critères d’analyse utilisés en 2003 pour identifier le tournant dans la lutte des classes permettent ainsi d’évaluer :
- La dimension des changements opérés dans la lutte des classes dans la période 2018 / printemps 2019 pour "culminer" avec le mouvement contre la réforme des retraites en France à l’automne 2019 / hiver 2020 ;
- En quoi ces changements consistent effectivement, en quoi ils confirment la poursuite du processus, lent heurté et hétérogène, débuté en 2003, du développement de la lutte des classes.
En premier lieu, dans le rapport sur L’évolution de la lutte de classe dans le contexte des attaques généralisées et de la décomposition avancée du capitalisme (réunion du Bureau International d’octobre 2003), le CCI fait de "la simultanéité des mouvements en France et en Autriche", pourtant ténue et réduite à la situation dans deux pays, un critère important de l’analyse de la situation. La situation de fin 2019 / début 2020 a été marqué par des manifestations de combativité ouvrière en particulier en Europe et en Amérique du Nord :
- En Europe : le mouvement en France contre la réforme des retraites, la grève des postes et des transports en Finlande.
- Aux États-Unis et en Amérique du Nord : "Ces deux dernières années, le nombre de mobilisations massives et le soutien apporté aux syndicats ont atteint des proportions inédites depuis plusieurs décennies. Les enseignants et les travailleurs de l’automobile, de l’hôtellerie et d’autres secteurs ont rassemblé sur les piquets de grève des foules jamais vues depuis le milieu des années 1980." General Motors : "la grève la plus massive de ces dernières 50 années, et la première qui a eu lieu aux États-Unis en 12 ans, après une période où la classe ouvrière ne s'est guère mobilisée au niveau international" (D'après la chaine d'information NBC) ; "la grève la plus massive depuis 50 ans, et la première aux États-Unis depuis 12 ans, après une période de faible mobilisation internationale de la classe ouvrière".[1] Il y a eu aussi la grève massive en janvier 2020 des 30 000 professeurs du secteur public à Los Angeles, dans le deuxième plus grand bassin de population des États-Unis, une première depuis 30 ans et jamais vue depuis 1989.
Dans son rapport de 2003, le CCI mettait en perspective "l’impossibilité croissante pour la classe – en dépit de son manque persistant de confiance en elle – d’éviter la nécessité de lutter face à l’aggravation dramatique de la crise et au caractère de plus en plus massif et généralisé des attaques."
- Le développement des luttes montre alors que la classe ouvrière et la lutte des classes sont toujours vivantes ;
- Cela confirme le rôle d’aiguillon joué par la crise économique poussant la classe à manifester sa résistance aux attaques de la crise et sa volonté de riposter ; il exprime le retour d’une combativité qui n’avait pas été vue dans la classe ouvrière depuis plus d’une décennie, ou même depuis les années 1980-90.
- Ces luttes se développent sur le terrain de classe, une condition essentielle pour la récupération de l'identité de classe face à tous les pièges de l'interclassisme et au poids général de la décomposition aux États-Unis).
- Cette situation s’est vérifiée essentiellement dans les fractions du prolétariat occidental. Par contre, en Chine ou en Asie du Sud-Est, ainsi qu’en Inde ou en Amérique Latine (à part quelques exceptions) il n’y pas eu de luttes plus importantes.
C. Le processus en cours d’une maturation souterraine dans la classe ouvrière
En 2003, l’insistance est portée non pas sur le rythme de développement de la combativité mais sur la question de la conscience :
- Sur les changements intervenant au plan de la conscience : "Ce changement affecte non seulement la combativité de la classe mais aussi l’état d’esprit en son sein, la perspective dans laquelle se déroulent ses actions, signes de perte d’illusions (…) de tels tournants dans la lutte de classe – même s’ils sont déclenchés par une aggravation immédiate des conditions matérielles, sont toujours le résultat de changements sous-jacents dans la vision de l’avenir. (…) La classe ouvrière a une mémoire historique : avec l’approfondissement de la crise, cette mémoire commence lentement à être activée. Le chômage massif et les coupes dans les salaires aujourd'hui font resurgir les souvenirs des années 1930, des visions d’insécurité et de paupérisation généralisées. Aujourd’hui, l’avancée qualitative de la crise peut permettre que des questions comme le chômage, la pauvreté, l’exploitation soient posées de façon plus globale et politique : les retraites, la santé, l’entretien des chômeurs, les conditions de vie, la longueur d’une vie de travail, le lien entre les générations. Sous une forme très embryonnaire, c’est le potentiel qui a été révélé dans les derniers mouvements en réponse aux attaques contre les retraites."[2]
- La nécessité pour le prolétariat de récupérer son identité de classe : "Les combats actuels sont ceux d’une classe qui doit encore reconquérir, même de façon rudimentaire, son identité de classe." (Ibid) Le point essentiel du mouvement contre la réforme des retraites en France a justement consisté dans la tendance à la récupération de l’identité de classe : "La renaissance de ce sentiment d’appartenir à une même classe, de tous être frappés par la même exploitation, les mêmes attaques iniques des gouvernements successifs, de pouvoir enfin se rassembler dans la rue avec les mêmes mots d’ordre, les mêmes revendications, (…) ce besoin et cette envie d’être solidaires dans la lutte"[3]
- "L’importance des luttes aujourd’hui, c’est qu’elles peuvent être la scène du développement de la conscience de classe. La question fondamentale en jeu – la reconquête de l’identité de classe – est extrêmement modeste. Mais derrière l’identité de classe, il y a la question de la solidarité de classe – la seule alternative à la folle logique bourgeoise de compétition, de chacun pour soi. Derrière l’identité de classe, il y a la possibilité de la réappropriation des leçons des luttes passées, et de réactiver la mémoire collective du prolétariat."[4]
Le combat de la classe ouvrière en France de 2019-20 a exprimé de façon très claire la recherche de la solidarité et de l’extension des luttes ; c’était aussi le cas en Finlande : en solidarité avec les salariés d’une filiale de la Poste à qui on a infligé baisse de 30% des salaires, "les travailleurs se mirent en grève le 11 novembre. Pendant près de 2 semaines ce furent 10 000 postiers qui suivirent le mouvement, en solidarité avec les travailleurs menacés et pour revendiquer des hausses de salaire. Mais le conflit s’étendit au-delà de la Poste : des grèves de solidarité se déclenchèrent le 25/11 dans les transports terrestres et aériens, les ferrys, etc. Quand se profila la menace d’un blocage des ports, voire d’une grève générale, la direction de la Poste retira son projet" (article du PCint.)
Face aux attaques violentes impulsées par la crise et la classe dominante, le prolétariat et en dépit des défaites (France, États-Unis) qu’il a subies, le prolétariat manifeste un refus de se résigner aux conditions qui lui sont faites et est traversé par un effort de prise de conscience sur comment lutter et renforcer la lutte.
D. Les indices d’un changement d’état d'esprit dans la classe ouvrière
Tout montre dans la réaction de la bourgeoisie qu'elle ne s'attend pas alors à ce que ce soit temporaire. Cela ne débouche pas sur la nécessité d’une adaptation complète de son appareil politique comme nous l'avons vu dans les années 1980, mais néanmoins les syndicats adoptent une posture plus "lutte de classe" et même certaines forces parlementaires se positionnent de cette façon.
Donc le changement d’état d'esprit dans la classe ouvrière est une réalité qui a franchi des étapes depuis 2003, et la bourgeoisie l’a bien compris, constatant la recherche de solidarité et la volonté existante de développer la lutte.
Le changement actuel pose les problèmes d'une manière plus large qu'en 2003. Le processus de maturation souterraine n'est pas du tout homogène et est plus évident dans certaines régions du monde que dans d'autres. Par exemple, aux États-Unis, où l'on peut observer le développement, petit mais significatif, d'un milieu de jeunes qui cherchent à s'engager sur les positions de la gauche communiste.
II) L'impact de la pandémie sur la lutte de classe
La pandémie intervient dans ce contexte où la lutte de classe en France et internationalement avait montré un changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière marqué par la colère, le mécontentement, mais aussi une volonté de riposter aux attaques de la bourgeoisie, se traduisant par un développement de la combativité (et même de début de prises d’initiative) et aussi un début de réflexion au sein de prolétariat sur l’absence de perspective dans le capitalisme. Mais ce processus n’en est qu’à son tout début, tout juste amorcé par la classe.
A. Une situation inédite pour le prolétariat
Même si l’exposition aux épidémies fait partie des conditions de vie du prolétariat, elle fait face à une situation inédite : une pandémie mondiale nécessitant le confinement général (une majeure partie de l’humanité) et la mise à l’arrêt quasi-total de l’économie capitaliste.
Cette pandémie a une importance internationale pour toute la classe ouvrière. La spécificité de cette pandémie est qu'elle constitue un défi direct pour la santé et la vie des travailleurs. À un niveau immédiat, pour les travailleurs de la santé, contraints d’y faire face sans le matériel nécessaire, et pour le reste du prolétariat également. Dans une situation qui possède des analogies avec une situation de guerre, la population est confrontée à la mise en danger de sa vie et à la peur pour sa vie.
- L’impact de la pandémie n'est pas identique dans toutes les parties du monde. Partie de Chine, où on assiste à un certain retour de l’épidémie à Pékin et du confinement dans la capitale, la vague épidémique s'est déplacée vers l'Europe puis les États-Unis, et exerce ses ravages en Amérique Latine, au Brésil en particulier ; elle a commencé à frapper le reste du monde (Inde). Le prolétariat n’est donc pas partout, de façon immédiate, confronté au même impact. On ne sait pas encore ce qu’il adviendra ensuite d’ une deuxième vague ou si le Covid deviendra endémique, saisonnier.
- L’impact du confinement sur la classe ouvrière n’a pas non plus été identique dans les différentes parties du monde. Carrément impossible dans maintes parties du monde contraintes à la vie au jour le jour, cet impact n’a pas le même effet de propulsion de parties entières de la population dans la paupérisation en fonction des moyens de protection sociaux et sanitaires des différents États.
- Dans le contexte où l’avancée de la décomposition capitaliste dans de nombreuses parties du monde s'était déjà traduite par de nombreuses secousses et mouvement sociaux de diverse nature affectant et mettant en danger la cohésion de la société capitaliste (le Covid ne pouvant qu'accélérer ces tendances), la décision éminemment politique du confinement général s’est imposée à la majorité de la bourgeoisie mondiale comme unique moyen (comparable à celui du passé) à la disposition des États pour faire face à la situation. Dans ces conditions, rester inactive face à la pandémie contenait le risque pour la bourgeoisie d'une altération catastrophique de sa crédibilité et de sa capacité à assurer idéologiquement la direction de la société, ce qui signifiait une menace pour sa domination de classe. Il lui fallait en outre renforcer le corset de fer du contrôle étatique sur la société pour en maintenir la cohésion face aux tendances au chaos pouvant survenir et nécessitant le contrôle des États sur les couches opprimées, et la classe exploitée en particulier.
B. Quelles similitudes et différences avec les situations de crises en 1989 et 2008 ?
Quel impact sur la conscience, la combativité de la classe ouvrière ? Quel impact sur la crédibilité de la bourgeoisie et l’efficacité de ses campagnes idéologiques, la façon dont la bourgeoisie présente et utilise les différentes crises ? 2020 doit-il voir se répéter un scénario identique à 1989 de régression de la conscience et de recul de la combativité ouvrière à une échelle historique ?
Le contexte pour le prolétariat est très différent tant au plan de la situation objective de l’état de la société capitaliste, que de la situation politique de la classe ouvrière : 1989 et 2020 représentaient deux événements historiques, de portée mondiale : l’un,1989, comme inauguration d’une nouvelle phase dans l’histoire de la décadence du capitalisme ; l’autre, 2020, comme événement historique le plus important au sein de la phase de décomposition, marquant une étape de son évolution.
a) "L’effondrement spectaculaire du bloc de l’Est et des régimes staliniens en 1989, a porté un coup brutal à la dynamique de la lutte de classe, modifiant ainsi de façon majeure le rapport de forces entre prolétariat et bourgeoisie au bénéfice de cette dernière. (…) Il a permis à la classe dominante de mettre un terme à la dynamique de la lutte de classe qui, avec des avancées et des reculs, s’était développée pendant deux décennies." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI. Revue internationale n° 164).
Cela n’a été possible que parce cet effondrement d’une partie du monde capitaliste qui n’a eu lieu ni sous les coups de la lutte des classes ni de la guerre impérialiste, pouvait apparaitre comme une sorte d’événement "extérieur" aux rapports capitalistes. En lui-même cet événement ne pouvait qu’avoir un impact négatif sur la classe ouvrière.
En 2020, l’origine capitaliste de la pandémie est beaucoup plus difficile à masquer. Il est certain que la source de la pandémie est sujet de tensions impérialistes entre la Chine et les États-Unis et la proie des théories complotistes qui, de marginales qu'elles étaient, sont devenues dominantes, de plus en plus encouragées par des chefs d'État comme Trump. Néanmoins l’ampleur de la catastrophe fait apparaitre la responsabilité des politiques d’austérité et l’incurie de tous les États capitalistes.
b) À la prétendue "faillite du communisme" la bourgeoisie pouvait opposer la victoire du capitalisme occidental qui semblait être renforcé en proclamant l’ouverture d’une ère de paix, de démocratie, de prospérité. Cet événement n’a non seulement pas été considéré comme un échec du capitalisme, (car économiquement la situation n'a pas conduit à une crise économique dans les années qui ont suivi l'implosion du bloc de l’Est), mais a donné lieu et a été utilisé comme une attaque idéologique contre la classe ouvrière. Cet événement a été en effet présenté comme une preuve de la supériorité du capitalisme.
Aujourd’hui rien de tel. Les trois décennies de crise économique et d’austérité, de dégradation des conditions de vie du prolétariat, ont conduit à une perte d’illusions suivant laquelle le capitalisme offrirait une place au prolétariat. Cette perte d’illusions a conduit à une prise de conscience embryonnaire de l’impasse et de l’absence de perspective qu’offre le capitalisme. Au contraire, on assiste de plus en plus à un affaiblissement du capitalisme dans la capacité idéologique à masquer sa faillite.
En 1989, "la bourgeoisie a pu exploiter cet évènement pour déchainer une gigantesque campagne idéologique visant à perpétuer le plus grand mensonge de l’Histoire : l’identification du communisme au stalinisme. Ce faisant, la classe dominante a porté un coup extrêmement violent à la conscience du prolétariat. Les campagnes assourdissantes de la bourgeoisie sur la prétendue "faillite du communisme" ont provoqué une régression du prolétariat dans sa marche en avant vers sa perspective historique de renversement du capitalisme. Elles ont porté un coup à son identité de classe. Ce profond recul de la conscience et de la lutte de classe s’est manifesté par une baisse de la combativité ouvrière dans tous les pays, un renforcement des illusions démocratiques, un très fort regain de l’emprise des syndicats et une très grande difficulté du prolétariat à reprendre le chemin de ses luttes massives malgré l’aggravation de la crise économique, la montée du chômage, de la précarité, et la dégradation générale de toutes ses conditions de vie dans tous les secteurs et tous les pays." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI. Revue internationale n° 164).
- L’Impact de cet effondrement s’est produit "alors que la 3e vague de luttes commençait à s’épuiser vers la fin des années 1980" (Ibid ). La dynamique internationale actuelle est celle d’une reprise balbutiante des combats ouvriers, du début d’un processus de luttes.
- 1989 a marqué le point de départ du coup porté à l’identité de classe ; 2020 voit les débuts d’une dynamique de récupération de l’identité de classe.
- 1989 a marqué "un renforcement des illusions démocratiques, un très fort regain de l’emprise des syndicats" (Ibid) – En 2020 en France, la question clé était la suivante : comment établir un rapport de forces qui obligerait le gouvernement à reculer face à sa réforme des retraites.
- En 2008 encore "Avec la faillite de la banque Lehman Brothers et la crise financière de 2008, la bourgeoisie a pu enfoncer encore un coin dans la conscience du prolétariat en développant une nouvelle campagne idéologique à l’échelle mondiale destinée à instiller l’idée (mise en avant par les partis de gauche) que ce sont les "banquiers véreux" qui sont responsables de cette crise, tout en faisant croire que le capitalisme est personnifié par les traders et le pouvoir de l’argent.
La classe dominante a pu ainsi masquer les racines de la faillite de son système. Elle a cherché d’une part, à amener la classe ouvrière sur le terrain de la défense de l’État "protecteur" … à renforcer son impuissance face à un système économique impersonnel dont les lois générales s’apparentent à des lois naturelles qui ne peuvent être contrôlées ou modifiées." (Ibid, pt 8). L'État a été présenté dans cette crise comme une sorte de protection pour les travailleurs individuels. L'alternative présentée était donc de "nettoyer" le capitalisme – par exemple dans le mouvement Occupy Wall Street - en se retournant contre le secteur bancaire.
Aujourd’hui, la bourgeoisie ne dispose plus des mêmes marges de manœuvres pour masquer sa faillite et en retourner certains effets ou aspects idéologiques contre le prolétariat :
- S’il n’est pas immédiatement perceptible que le Covid a été produit par les conditions du mode de production capitaliste en décomposition, le capitalisme apparait plus clairement dans certaines parties de la classe ouvrière comme responsable des effets de la pandémie même si l’aggravation actuelle de la crise économique peut encore être imputée au virus.
- La politique de décennies d’attaques et de mesures d’austérité dans le démantèlement du secteur hospitalier a contribué à l’ampleur de la crise sanitaire.
- Les états démocratiques, les "démocratures" ou les états dirigés par des populistes ont tous été marqués par le même mépris de la vie humaine, mais fondamentalement les démocrates et les libéraux ont rependu les mêmes mensonges et fait la preuve des mêmes incuries.
- En dépit des efforts pour cacher que la récession est le fruit de la crise historique de son système, la bourgeoisie ne parvient pas à effacer complètement la réalité, à savoir que la récession avait commencé avant la pandémie.
L’ensemble des mesures économiques "d’accompagnement" prises par les principaux États centraux pour atténuer l’impact immédiat des brusques pertes d’emplois ou de revenus par de vastes secteurs de la classe ouvrière (notamment les garantie de revenus minimums pour les chômeurs, les indemnités d’État pour permettre le chômage technique ou partiel, la création d’aides, etc.) même plus symboliques (comme aux États-Unis où il n’existe pas la même protection sociale qu’en Europe), confirme les analyses du CCI. Cette politique extrêmement prudente de la part de la classe dominante est en partie motivée par le besoin d'éviter l'effondrement des secteurs clé de l'économie, mais elle montre que :
- La bourgeoisie est consciente d’être loin d’avoir affaire à une classe ouvrière battue, à qui elle pourrait se permettre d’imposer facilement n’importe quelle mesure de dégradation de ses conditions ou même de l’embrigader dans ses projets impérialistes.
- La circonspection de la bourgeoisie par rapport à de possibles réactions de la classe exploitée ;
La violence des attaques contre la classe ouvrière et les mesures prises par la bourgeoisie de tous les pays, sa tentative de créer une certaine union nationale, le renforcement du contrôle de l’État policier, l’intimidation et la stigmatisation qu’ont voulu mettre en œuvre les États capitalistes n’ont pas réussi à :
- Effacer la colère et le mécontentement dans une partie de la classe ouvrière par rapport aux mesures qu’à prises l’État avant la pandémie (notamment contre le secteur hospitalier), et le fait que pendant la pandémie une partie de la classe ouvrière a été sacrifiée pour faire face aux dangers de la maladie.
- Effacer l’indignation et la colère sur la façon dont la bourgeoisie a géré la crise sanitaire, notamment avec la décision de sacrifier une partie de la classe ouvrière comme les vieux et les malades.
c) La perte de confiance envers l’État capitaliste.
Alors qu’en 2015 la crise migratoire et les attentats terroristes avaient conduit à un réflexe dans la classe ouvrière à rechercher la protection de l’État capitaliste, le rôle de l’État comme défenseur des seuls intérêts de la classe dominante a largement fissuré le mythe de l’État protecteur.
- La minimisation de la pandémie par tous les gouvernements dans tous les pays (allant jusqu’au déni de son danger par les gouvernements populistes) pour retarder la prise de mesures sanitaires, puis la volonté de redémarrer le plus vite possible et coûte que coûte l’activité économique, ont montré que la préoccupation de l’État pour la santé publique ("éviter que le remède soit pire que le mal") n’était pas grand-chose par rapport aux nécessités de sauver les profits de la classe dominante.
- La volonté de l’État de sacrifier une partie de la force de travail, et en tout premier lieu le personnel soignant et de "première ligne" (caissières, etc.) sur l’autel de la défense du capital national (sous la contrainte de lois ou de l’état d’urgence) n’est pas passée inaperçue.
- Les mensonges répétés des gouvernements sur le nombre réel de victimes, ou pour masquer l’incurie de l’État : l’impréparation et l’improvisation pour faire face à l’épidémie, l’état déplorable du système hospitalier ou la pénurie de matériel ont profondément alimenté la défiance et la colère vis-à-vis de l’État qui a dû se dissimuler derrière le paravent de "conseils scientifiques" pour faire accepter ses décisions.
Donc, il apparait assez clairement que la classe ouvrière n’est pas prête à accepter les sacrifices que va lui demander la bourgeoisie. Malgré le fait que la classe bourgeoise rende le virus responsable des terribles effets de la crise, elle ne pourra pas cacher sa responsabilité dans toute cette catastrophe.
C. Quelles perspectives pour la classe ouvrière ?
Le prolétariat se trouve dans une situation complexe face aux effets combinés et simultanés de :
- La confrontation à une situation inédite : la pandémie dévastatrice, produit et accélérateur de la décomposition du capitalisme ;
- L’accélération vertigineuse de la crise économique et la plongée dans les abysses d’une récession (dont le pire reste à venir) sans précédent historique depuis 1929 et comparable à la Grande Dépression ; et donc à la violence des attaques contre ses conditions de vie ;
L’explosion de mouvements sociaux produits par l’aggravation significative de la décomposition et la tendance de plus en plus manifeste de la bourgeoisie à perdre le contrôle sur son système, à parvenir à maintenir une cohésion sociale, s’exprime désormais dans les pays centraux eux-mêmes.
Un changement dans les conditions objectives pour la lutte du prolétariat
En 1989, les conséquences pour la classe ouvrière à l'échelle mondiale ont été très différentes à l'Ouest et à l'Est : le développement de la Chine a été permis par l’irruption de la phase de décomposition du capitalisme, charriant l’illusion d’un capitalisme juvénile, capable de se développer contrairement à 2020 : le prolétariat sera partout frappé par une tendance mondiale et générale à des attaques drastiques dignes des années 1930 et en tout cas inédites depuis la Seconde guerre mondiale.
Alors que, dans l'analyse de la situation du prolétariat, nous avons constamment mis en avant :
- La capacité de la bourgeoisie à reporter les effets de la crise économique à la périphérie de son système (ce qui a été encore le cas en 2008) ;
- Sa capacité à ralentir et à étaler dans le temps l'enfoncement dans la crise économique de façon à planifier ses attaques en déployant tous les moyens pour éviter une riposte unifiée de la classe ouvrière et une réappropriation des buts politiques ultimes de son combat contre le capitalisme.
Aujourd'hui, nous devons analyser et comprendre ce qui change ou non, et dans quelle mesure, dans la situation actuelle. Notamment le fait qu'à la différence des situations passées, toutes les parties du monde sont affectées par l'enfoncement brutal dans la crise (la Chine, les USA, l'Europe de l'ouest, les pays émergents) et que la bourgeoisie doit, tôt ou tard, attaquer massivement et simultanément le prolétariat de façon accélérée ;
L’impact immédiat de la pandémie et du développement de la récession
- Les conditions du confinement ne permettent pas le développement de luttes ouvrières, même si dans plusieurs pays, en particulier les secteurs exposés, il y a eu des mouvements pour exiger des moyens de protection sur les lieux de travail.
- Au niveau immédiat, là où la pandémie s’est étendue, c'est un coup contre la possibilité des premiers signes de réveil de la classe ouvrière avec le début de changement d’état d’esprit en Europe dans les mouvements en France, et ailleurs internationalement. Cela ne signifie pas que tout a été immédiatement oublié - la combativité, la colère, la réflexion, mais cela a été un coup majeur contre les potentialités de développement de la lutte et de la combativité de façon immédiate.
- La violence des attaques (baisse drastique des salaires, hausse du chômage de masse, avec la décimation des secteurs entiers et le chantage à l’emploi) a comme conséquence que la riposte de la classe ouvrière à cette situation risque d’être différée.
L’impact de la pandémie sur la conscience de la classe ouvrière
Si la classe ouvrière ne va pas développer immédiatement une riposte face aux attaques économiques, il faut tenir compte des éléments suivants :
- La pandémie a mis à jour le fait que le fonctionnement du système capitaliste est entièrement dépendant du travail "indispensable" de la classe qu’il exploite. Pour faire face aux effets dramatiques de la pandémie, la bourgeoisie a été contrainte de mettre en avant des secteurs de la classe ouvrière qui, jusque-là, étaient dévalorisés ou considérés. Il en est ainsi du personnel de santé, celui de l’éducation, le personnel des transports etc. Ce qui a permis aux ouvriers de ces secteurs de commencer à comprendre leur rôle irremplaçable dans la vie du capitalisme. Cela constitue, potentiellement, un premier pas sur la capacité de la classe ouvrière à retrouver son identité de classe ;
- Le processus de réflexion qui existait dans la classe ouvrière avant la pandémie sur l’absence de perspective offerte par le capitalisme, n’a pas été gommé par les campagnes idéologiques de culpabilisation de la classe ouvrière et le contrôle étatique ne peut qu’être renforcé par l’incurie de la bourgeoisie dans la gestion de la crise sanitaire ;
- Les travailleurs voient que la bourgeoisie défend son intérêt capitaliste en les obligeant à reprendre le travail, dans les terribles conditions sanitaires. C'est un premier pas pour voir le conflit existant entre les besoins du profit et les besoins humains, et donc un élément de la maturation souterraine de la conscience. Au cours du confinement, un rassemblement des travailleurs hospitaliers a lancé le slogan "la maladie, c'est le capitalisme, le vaccin, c'est la révolution". La classe ouvrière n'est pas prête à oublier ce qui s'est passé pendant la pandémie - ce n'est pas une classe basée sur la vengeance, mais elle a vu la négligence criminelle de la bourgeoisie et sa volonté de mettre en péril la vie des travailleurs. Elle n'oubliera pas ceux qui sont morts.
La pandémie a-t-elle été un facteur de prise de conscience ?
Les employés du secteur médical ont conscience d'agir sur le "champ de bataille" de leur propre santé, mais aussi de celle des patients. La question éthique surgissant de la contradiction entre ce que les sciences peuvent ou pourraient offrir, et les misérables "conditions de mort" et de pénurie qu’offre le capitalisme (obligeant par exemple au tri entre les patients admis en soins et ceux qui sont condamnés à mort) font que la lutte de classe peut prendre une dimension éthique/morale. La question éthique (qui est une question de vie ou mort dans le secteur médical) peut être un facteur de prise de conscience non seulement parmi le personnel soignant mais plus amplement dans la classe ouvrière.
Une distinction nécessaire à opérer entre les différentes parties du capitalisme
Face au problème universel de la crise sanitaire, les différentes fractions de la classe ouvrière sont confrontées à différentes conditions ; de ce fait, l’impact de la pandémie est différent dans les différents pays :
- L’aspect principal est d’abord celui de l’hétérogénéité de la classe ouvrière ; sur le plan de son expérience et des différences de conditions d’exploitation auxquelles elle est soumise au niveau mondial (toutes les parties de la classe ouvrière ne sont pas touchées en même temps ni de la même manière en raison des différents systèmes de sécurité et de protection sociale) ;
- Les différences dans les conditions du confinement et du déconfinement ne sont pas identiques d’un pays à un autre.
Ces éléments vont tendre à affaiblir la possibilité d'une réponse générale de la classe ouvrière.
Les conséquences économiques seront encore catastrophiques pour longtemps.
L’hétérogénéité des situations tant au niveau de la classe ouvrière qu’au niveau de la situation dans chaque pays, va avoir un impact sur la riposte de la classe ouvrière.
En Europe, le chômage dure depuis longtemps mais l'État providence a servi de tampon et a prolongé la décomposition par une détérioration aiguë des conditions de la classe ouvrière.
En Chine, ce sera la première fois que la classe ouvrière sera confrontée au chômage de masse puisque, suite à une poussée massive de croissance économique, il y a eu une pénurie de main-d'œuvre. Le prolétariat en Chine a beaucoup moins d'expérience du chômage, bien que nous ayons assisté à des manifestations contre le coût élevé de la vie. Bien que le capital chinois semble avoir mieux fait face à la pandémie que ses principaux rivaux, il sera encore obligé d'exiger de plus en plus de sacrifices de la classe ouvrière face à une récession mondiale croissante.
Aux États-Unis, il n'y a pas d'État-providence : l’explosion du chômage, les expulsions, les sans-abris, etc. sont un défi de taille. Le début de réaction de la classe ouvrière a été immédiatement confronté à l’explosion des contradictions sociales dues à la décomposition du capitalisme.
La situation en Amérique latine et ailleurs, est différente. Il n’y a pas encore eu de confrontation directe face aux effets de la crise économique.
III) Les obstacles à la capacité de la classe ouvrière de développer sa riposte
A) Le danger de la décomposition du capitalisme.
L’irruption de la pandémie et l’étape qu’elle représente dans l’enfoncement de la décomposition renforcent l'âpreté de la course de vitesse engagée entre, d'une part, le développement de la lutte de classe et la capacité de celle-ci à dégager la perspective révolutionnaire du prolétariat et, d'autre part, cette nouvelle avancée de la décomposition qui sape toujours d'avantage les conditions historiques pour l'édification d'une société communiste. Cela souligne la responsabilité historique du prolétariat et l’urgence du développement de sa perspective révolutionnaire. "Nous reconnaissons tout-à-fait que plus le capitalisme met de temps à sombrer dans la décomposition, plus il sape les bases d’une société plus humaine. Ceci est à nouveau illustré le plus clairement par la destruction de l’environnement, lequel atteint le point où il peut accélérer la tendance vers un complet effondrement de la société, une condition qui ne favorise aucunement l’auto-organisation et la confiance dans le futur requis pour mener une révolution ; et même si le prolétariat arrivait au pouvoir à une échelle mondiale, il devrait affronter un travail gigantesque, non seulement pour nettoyer le bazar légué par l’accumulation capitaliste, mais aussi pour renverser la spirale de destruction qu’il a déjà mise en route." (Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI (2019)).
B) La paupérisation des autres classes ou couches sociales
La crise économique frappe durement non seulement le prolétariat mais aussi d'autres couches de la population, dont une grande partie va se paupériser de façon drastique. Cette perspective d’une paupérisation générale fait de l'interclassisme un piège dangereux pour les luttes ouvrières. Face à la dégradation de ses conditions de vie, le prolétariat va devoir nécessairement développer sa riposte, sa combativité. Ce développement de la lutte de classe va se heurter au danger de luttes interclassistes dans la période à venir. Les périls que représente la période historique actuelle ont donc été multipliés par l'aggravation de la décomposition et mettent ainsi en évidence les enjeux de la lutte des classes :
"Le combat pour l’autonomie de classe du prolétariat est crucial dans cette situation imposée par l’aggravation de la décomposition du capitalisme :
- Contre les luttes interclassistes ;
- Contre les luttes parcellaires mises en avant par toutes sortes de catégories sociales donnant une fausse illusion de "communauté protectrice" ;
Contre les mobilisations sur le terrain pourri du nationalisme, du pacifisme, de la réforme "écologique", etc." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI. Revue internationale n° 164).
C) La situation de la classe ouvrière aux États-Unis : quel rôle dans la reprise de la lutte des classes ?
Les mouvements aux États-Unis autour de la question de la race et de la violence policière, qui se posent soit sur le terrain d'émeutes sans perspective, soit directement sur un terrain politique bourgeois illustrent les graves dangers que confronte la classe ouvrière aujourd’hui. C’est une perspective à laquelle l’organisation des révolutionnaires doit s’attendre et qui va de plus en plus se concrétiser dans les pays centraux (ou dans des pays, comme le Liban, au bord du gouffre).
Le mouvement "Black Live Matters", a rapidement eu un écho et une extension internationale, dans les autres pays centraux, eux-mêmes fondamentalement affectés par les mêmes contradictions sociales accumulées depuis des décennies. L’État bourgeois est contraint de plus en plus de tenter de les contenir à l’aide du renforcement de son contrôle sur la société et de la répression. Ces mouvements en réponse au racisme ont été rapidement rejoints et encadrés par les organes de la gauche de la bourgeoisie, permettent à la classe dominante de polariser toute l’attention sur la question raciale et la revendication d’un système vraiment démocratique. La bourgeoisie a ainsi été capable de tirer avantage contre la lutte de classes alors que le système capitaliste, dans son ensemble, révèle sa faillite totale.
Aux États-Unis, les premières réactions aux meurtres de la police ont pris la forme d'émeutes. Normalement, ces réactions ont une durée de vie limitée, même si, comme leurs causes sous-jacentes demeurent, elles peuvent facilement reprendre. Mais en général, elles ont été remplacées par des manifestations plus pacifiques exigeant la fin des violences policières, et ces mobilisations seront prolongées par la campagne autour des prochaines élections présidentielles, qui aura également un effet négatif.
D) Une situation illustratrice des difficultés qui se profilent pour la classe ouvrière
- Il est encore difficile de discerner l’ampleur de l’impact négatif des émeutes contre les violences policières sur la classe ouvrière aux États-Unis, et dans le monde.
- Toute dynamique sociale (et donc politique) qui ne se situe pas sur un terrain de classe, aura un impact négatif.
- L’accélération de la décomposition du capitalisme constitue un obstacle de taille qui tend à devenir un élément décisif dans la vie sociale ; chaque tentative de la classe ouvrière de faire un pas en avant, se heurte à l’obstacle de cette décomposition qui la frappe aussi. C’est un élément auquel nous devons nous attendre dans la période à venir.
Ce rapport a été rédigé en juillet 2020. Depuis lors, la possibilité d'une seconde vague de la pandémie est devenue une réalité, en particulier dans les pays centraux du capitalisme. Cela ne fait que souligner un point soulevé au début du rapport, à savoir qu'avec la pandémie, nous entrons dans des eaux inconnues, et dans cette situation, il serait insensé de spéculer sur les perspectives, même à court terme, de la lutte des classes. Il est probable que la poursuite du confinement fera obstacle à la reprise des luttes ouvertes, et même si nous pouvons être plus sûrs de la nécessité pour la bourgeoisie de lancer des attaques massives contre les conditions de vie de la classe ouvrière, l'ampleur de ces attaques, surtout si l'on considère qu'elles se traduiront par des licenciements et des fermetures d'entreprises à grande échelle, pourrait, dans un premier temps, constituer un facteur supplémentaire d'inhibition et d'intimidation du prolétariat. Mais ce rapport a également montré que la capacité de la classe ouvrière à répondre à la crise du système n'a nullement disparu ; et cela implique que tôt ou tard nous verrons des réactions significatives à l'offensive du capital. En attendant, les révolutionnaires ont beaucoup de travail à faire pour fertiliser les fragiles pousses de la conscience déjà visibles chez les petites minorités à travers le monde et qui sont le produit d'un mouvement sous-jacent plus profond de prise de conscience que le système de production actuel est profondément et irréversiblement en faillite.
Juillet 2020.
[1]. Grève chez General Motors: les syndicats divisent les travailleurs et les montent les uns contre les autres (Revolución Mundial, Section du CCI au Mexique , 21 novembre 2019)
[2]. Rapport sur L’évolution de la lutte de classe dans le contexte des attaques généralisées et de la décomposition avancée du capitalisme (BI plénier d’octobre 2003, BII n°300)
[3]. "Seule la lutte massive et unie peut faire reculer le gouvernement !" (13 January 2020) Révolution Internationale n°480
[4]. “Finlande: Vague de grèves au "pays le plus heureux du monde"