1929-1987 AUJOURD’HUI LA CRISE EST PLUS GRAVE

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Les thuriféraires plumitifs et autres "experts" de la chose financière, voire économique, sont mobilisés depuis plus d'un mois pour nous donner jour après jour, voire heure par heure, des nouvelles et des explications sur l’évolution de la crise boursière.

Leur souci essentiel, outre celui de rassurer le "bon peuple", consiste à faire en sorte que le sujet ne s'écarte pas du domaine boursier et du présent le plus immédiat. Que cette crise boursière soit l'expression de la faillite d'un système économique, d'un mode de production, ne comptons pas sur eux pour le dire, ce serait remettre en cause le monde auquel ils se sont voués. Que, voici 58 ans, on ait eu un pareil phénomène, ils ne l'évoquent que pour nous dire que ce n'est pas comparable (cf. notamment "Libération" du 20-10-87) Or, la véritable signification de l'effondrement boursier du 19-10-87 réside dans le fait qu'il n'est qu'un signe annonciateur d'une récession d'ampleur jamais vue. La comparaison avec la "grande dépression" de 29 fait clairement ressortir que, si le mal ressurgit après 58 ans, toutes les médications dont dispose la bourgeoisie ont déjà été appliquées à hautes doses. Et le malade aujourd'hui est condamné autant par sa sénilité que par les drogues que lui a administrées la classe dominante. Aujourd'hui, comme il y a 58 ans, le krach boursier est le résultat, au niveau financier, de la crise de surproduction, de la saturation du marché par une pléthore de marchandises qui ne trouvent pas de débouchés solvables. Or, si en 29, après 10 ans de reconstruction, la saturation des marchés ne faisait que se poser avec netteté, en 87, nous sommes déjà depuis plus de 20 ans dans une situation de crise ouverte de surproduction qui condamne un quart de l'humanité à crever de faim.

KRACH DE 29 : LA BOURGEOISIE SURPRISE

La crise de 29 survient dans un contexte d'euphorie économique. Depuis la guerre, le capitalisme US était devenu le maître du monde. La reconstruction d'une Europe dévastée par la guerre, avait permis aux USA de faire tourner à plein leur appareil productif. Le budget et la balance US étaient excédentaires, la production US avait progressé de 11% de janvier 28 à août 29.

Dans un tel contexte, la bourgeoisie US avait démantelé en grande partie le système de contrôle étatique de l'économie, mis en place durant la guerre. C 'était le triomphe du libéralisme économique, et l ’Etat ne jouait qu'un rôle très limité sur le plan économique : "Pourquoi l'Etat serait-il intervenu alors que le mode de production capitaliste était en mesure, sans trop de perturbations, d'accroître régulièrement les consommations, les profits et les salaires, le commerce extérieur, l'emploi, le revenu national et le standard de vie?" ("Le conflit du siècle", F. Sternberg, p.346)

La crise des années 30 qui débute avec le krach de 29 et connaîtra son point culminant en 32, surprend la bourgeoisie, qui n'est pas préparée à un tel événement. Ce n'est qu'au début des années 30 qu'elle va mettre en place progressivement des mesures de capitalisme d'Etat qui vont ralentir les effets de la crise. Dans tous les pays développés, c'est l'orientation vers une économie de guerre (New Deal aux USA, grands travaux, budgets militaires en Allemagne...).

La mise en place de ces mesures capitalistes d'Etat ayant pour but de relancer l'économie au moyen de l'injection de capitaux par l'Etat se basait sur une dette publique énorme. Le déficit budgétaire US, par exemple, passe de 18 milliards de dollars en 29 à 50 milliards en 39.

La mainmise de l'Etat sur l'économie ne devait dès lors plus cesser, loin de là, durant près de 60 ans, de même que l'endettement public qui en est le corollaire.

KRACH DE 87 : LA BOURGEOISIE IMPUISSANTE

Si l'on compare, terme à terme, la situation économique de 29 et celle de 87, il est déjà patent que la situation actuelle est plus grave pour la bourgeoisie.

En 29, le Dow Jones perd 43 points; le budget US est excédentaire, la balance commerciale aussi.

En 87, le Dow Jones perd 503 points, le budget US est déficitaire de 235 milliards, et la balance commerciale accuse un déficit de 15,7 milliards de dollars pour le mois de septembre.

On pourrait à loisir multiplier ce genre d'exemple, évoquer les phénomènes aggravants, telle la quasi-simultanéité des effondrements boursiers d'aujourd'hui, par rapport au délai qu'a pris la répercussion de l'onde de choc en 1929.

Mais ce qui ressort essentiellement de la comparaison, c'est que :

  • le capitalisme est en crise ouverte depuis plus de 20 ans, alors qu'en 29 le krach arrivait sur un capitalisme en expansion.l
  • es mesures capitalistes d'Etat mises en place dans les années 30, et qui n'ont jamais été démantelées, ne peuvent plus, comme il y a 50 et quelques années, constituer une issue pour la bourgeoisie.

Si la crise économique s'ouvre en 29 avec le krach boursier, nous avons vu plus haut que la cause en est en grande partie l'absence d'intervention de l'Etat dans l'anarchie financière. Quand, à la fin des années 60, au terme d'une période de reconstruction, la crise économique ouverte refait son apparition, les mesures capitalistes d'Etat mises en place dans les années 30 et renforcées durant la 2ème guerre mondiale n'ont pas été démantelées, loin s'en faut. Les Etats contrôlent la majeure partie des secteurs économiques, civils ou militaires; ils planifient la production de façon centralisée, il existe des organismes internationaux (FMI, banque mondiale...) à travers lesquels la bourgeoisie tente de rationaliser l'anarchie capitaliste.

Depuis l'ouverture de cette crise à la fin des années 60, on a vu se succéder des phases de récession et des phases de reprise -avec de forts taux d'inflation. C'est le produit d'une crise de surproduction et des différents palliatifs que la bourgeoisie essaie d'y apporter. La surproduction aboutit à un moment à la récession. Face à cela, la bourgeoisie fait baisser les taux d'intérêts, fait marcher la planche à billets, et la consommation -des ménages, des entreprises, de l'Etat lui-même, augmente, la production progresse et l'expansion reprend; mais cela repose sur le crédit, sur une dette publique abyssale, des déficits budgétaires comparables, et le taux d'inflation s'envole. Alors, la bourgeoisie, pour faire baisser l'inflation, réduit les déficits, fait monter les taux d'intérêts, limite la masse monétaire et l'économie dépérit, le chômage augmente, les faillites d'entreprises se multiplient.

Eh bien! Depuis 20 ans, la bourgeoisie oscille entre ces deux gouffres, tantôt l'un, tantôt l'autre. Mais, bien sûr, ce ne sont pas de simples aller-retour .chaque nouvelle phase récessioniste laisse sur le carreau des centaines de milliers de chômeurs, des milliers d'entreprises en faillite, sans vraiment extirper l'inflation. De même que chaque phase inflationniste creuse davantage les déficits sans pour autant relancer durablement l'économie.

CROISSANCE DU VOLUME DU PRODUIT INTERIEUR BRUT (OCDE. 24 pays industrialisés du bloc US) et DEFICIT PUBLIC DES USA (en-pointillé)

(en % du P.I.B.)

Comme nous le montre ce graphique , les "relances" ont des effets de plus en plus faibles, alors que les moyens mis en œuvre sont toujours plus importants, que les déficits budgétaires sont plus massifs, la poussée inflationniste plus forte, et les récessions qui suivent plus profondes.

A la différence des trois précédentes, la mini-reprise de 82-83 reste très limitée. Elle creuse les déficits budgétaires {de plus de 21 I milliards de dollars) et commerciaux (130 milliards de dollars), ce qui porte la dette globale des USA à 6000 milliards de dollars. De plus, elle a pour moteur essentiel les commandes de matériel militaire.

Parce que limitée géographiquement, et aussi du fait de l'ampleur du déficit et de son effet sur le dollar, cette mini-reprise entraîne un tel tourbillon spéculatif, que la circulation financière équivaut à 80 fois la circulation des marchandises. C'est la cause directe du krach. Fondamentalement, ça montre que les contre-effets des mesures de relance se font aujourd'hui sentir presque immédiatement, alors que l'effet escompté ne se produit que très lentement et très faiblement. La mini-reprise de 82-83 a permis pendant deux ans, deux ans et demi, d'éviter la stagnation complète de la croissance, mais les taux de croissance sont restés très faibles. De plus, l'inflation repart au bout de ce délai, au moment où l'appareil productif connaît une nouvelle phase de contraction. Dorénavant, donc, ce sont les deux aspects simultanément que la bourgeoisie trouve face à elle : récession et inflation, et ce après avoir pendant 20 ans combattu l'un et l'autre alternativement, sans parvenir à autre chose qu'à cumuler les effets des deux.

Et c'est bien la véritable dimension de la crise aujourd'hui. Les déficits accumulés ne permettent plus à la bourgeoisie de relancer tant soit peu l'économie, alors que la récession s'ouvre, en même temps que l'inflation repart, et qu'elle ne peut pas non plus combattre l'inflation sans risquer d'aggraver cette récession. Les remèdes n'ont plus d'autre effet que d'aggraver l'état du malade.

P.

20/11/87 

Questions théoriques: 

Rubrique: 

Crise économique