A PROPOS DES «GROUPES OUVRIERS» (I)

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Nous publions à la suite un texte du "Groupe Autonome Ouvrier de Clermont-Ferrand" touchant un des problèmes importants soulevés par le processus actuel de prise de conscience du prolétariat : la signification et la fonction des groupes et cercles ouvriers de discussion. Par manque de place nous ne pouvons donner ici que des extraits -ceux que nous pensons les plus significatifs- de ce document.

Les lecteurs intéressés pourront en trouver l'intégralité dans "Jeune Taupe!" n°l5 (l). Mais contrairement à cette revue qui le publie sans commentaires, nous estimons nécessaire de faire suivre ce texte d'un certain nombre de remarques en particulier pour critiquer certaines confusions qui s'y manifestent et contribuer à la clarification des questions qu’il soulève. Nous estimons en effet que le rôle de l'organisation des révolutionnaires ne saurait se limiter à celui d'un bureau d’édition des différents documents écrits par des ouvriers -une offset au service de la classe, en quelque sorte- mais bien d'intervenir activement dans le processus de développement de la conscience du prolétariat par des analyses et des prises de position sur l'ensemble des problèmes auxquels il est confronté.

PLATEFORME MINIMUM POUR L’AUTONOMIE OUVRIERE

L'expérience de nos luttes trahies, de nos échecs, des grèves éclatant en dehors des syndicats ou contre eux, font que des ouvriers prennent conscience du rôle contre-révolutionnaire des syndicats, les font se regrouper en noyaux autonomes.

Pourquoi nous dressons-nous contre des organisations que la classe ouvrière s'est données, il y a un siècle, au prix de luttes acharnées !

Avons-nous perdu le fil de l'histoire, ou est-ce simplement que ce qui était valable il y a cent ans ne l'est plus aujourd'hui?

(...) Si les syndicats trahissent nos luttes, c'est parce qu'ils sont réformistes et non à cause de leurs chefs ; il ne peut plus y avoir de bons chefs avec des organisations réformistes qui ne peuvent plus servir nos luttes.

(...) En effet, pour qu'une organisation soit véritablement démocratique, il faut que tous ses membres soient intégrés à son activité. Si le désintéressement gagne l'ensemble, il n'y a plus de possibilité de véritable collaboration, de véritable démocratie. Ceux des membres qui continueraient à s'agiter pour maintenir un semblant de vie, ne peuvent que devenir des CHEFS BUREAUCRATES d'une masse plongée dans l'indifférence. Or les syndicats sont, par définition, des organisations de masse et permanentes. Les syndicats existent aussi bien au moment des luttes qu'au moment des replis. Aussi, dès qu'il y a reprise de la lutte, les ouvriers trouvent en face d'eux une organisation hiérarchisée qui tend à faire des ouvriers des exécutants passifs de la direction syndicale. C'est pour cela que nous sommes d'accord avec les camarades qui opposent aux syndicats la démocratie directe (...). De plus, cette démocratie ne peut exister que quand tout le monde est intéressé, au moment des luttes.

Enfin, les syndicats servent de courroie de transmission aux partis de gauche et aux gauchistes. Le programme de ces organisations est réformiste à l'instar des syndicats. C'est un programme pour nous mystifier. Il propage l'idée que la crise économique n'est qu'une affaire de mauvaise gestion, que le socialisme n'est que quelques nationalisations plus ou moins autogérées.

C'est pourquoi, devant la crise mondiale grandissante, devant la décomposition des appareils d'Etat, le capitalisme appelle de plus en plus la gauche au pouvoir pour gérer son système pourrissant.

(...) Pour lutter contre l'autonomie du prolétariat, la gauche a deux armes : l'électoralisme et le modernisme!

(...) Chaque élection lui permet de mettre les ouvriers au pas, de casser les grèves sous prétexte que les élections se déroulent dans un climat de sérénité. Surtout les élections permettent à la gauche de détourner le prolétariat de ses tâches essentielles, son autonomie et son auto-organisation, en le faisant participer à un jeu de dupes monté par la bourgeoisie et qui ne sert qu'à isoler l'ouvrier de sa classe. Notre seule force est celle que nous donne la lutte collective.

(...) Le modernisme permet à la vieille gauche, grâce à la complicité volontaire de tous les gauchistes, de faire peau neuve... Les idéologues modernistes, l'autogestion, les groupes spécifiques, les comités non violents, le régionalisme, l'écologie, etc... donnent à la gauche un air dans le vent, révolutionnaire. . . Mais ces idéologies permettent surtout à la gauche de lutter contre l'autonomie du prolétariat en créant des divisions, en noyant la classe ouvrière dans des catégories qui ne sont que l'image de la société capitaliste.

La gauche et ses courroies de transmission, les syndicats, étant devenus des appareils intégrés à l'Etat capitaliste, notre lutte ne pourra se développer qu'en dehors et contre eux.

(...) L'expérience des plus grandes luttes du prolétariat en dehors des syndicats a montré que la forme d'organisation est celle des comités d'usine ou de comités de grève élus et révocables... Toutes les décisions concernant la marche de la lutte sont prises par les assemblées d'ouvriers... Les tâches de coordination sont assurées par un comité de grève ou comité d'usine, formé de délégués élus en assemblées et responsables à tout moment devant elles... Cette forme d'organisation particulièrement simple est en effet la seule qui permet la véritable participation de tous les ouvriers au combat. Elle fait de celui-ci l'affaire propre des ouvriers, et non plus celle des centrales syndicales Elle permet l'unité et la cohérence effectives que les divisions syndicales empêchent.

(...) Ces comités d'usine ou de grève ne correspondent pas seulement à un souci de démocratie. Ils sont déjà en eux-mêmes une préfiguration des Conseils Ouvriers, organisation que se donne la classe ouvrière pour prendre définitivement le pouvoir.

(...) Aujourd'hui, il est fondamental que la forme d'organisation des luttes prenne les traits essentiels des organisations pour la prise totale du pouvoir, et seule une telle organisation peut donner un sens et une issue à nos luttes.. .

Cependant le processus qui mène à ces formes de lutte va se heurter à une série d'obstacles qui tendent à maintenir le mouvement de la classe ouvrière sous le contrôle des organisations syndicales... Il y a d'abord "l'habitude"... Depuis des années, la classe ouvrière, bercée dans le mythe des syndicats, "organisations représentatives des intérêts ouvriers", laisse la conduite de la lutte et son organisation aux mains des centrales syndicales et de leurs bonzes. Aussi l'idée de s'organiser sans eux semble souvent une chose irréalisable. . .

Cette habitude dans les grèves sauvages d'atelier, là où l'influence syndicale est moins forte, commence à être brisée. Elle sera de plus en plus brisée que sera plus fort le besoin de la lutte.

(...) Il est fondamental que le groupe autonome ouvrier répande l'idée de ces formes nouvelles de lutte, que les expériences des grèves sauvages des ouvriers italiens, anglais, marocains, espagnols, de toute la classe ouvrière, soient connues de tous, que l'on sache qu'il existe des formes de lutte et d'organisation autres que les syndicats et qu'elles se développent partout dans le monde.

S'opposer aux syndicats apparaît à certains ouvriers comme "s'isoler du mouvement général". Il est indispensable de montrer que ce sont les syndicats qui s'isolent et vont s'isoler de plus en plus des véritables luttes du mouvement ouvrier... D'autres facteurs empêchent certains ouvriers de dépasser le cadre syndical au moment de la lutte: ainsi le besoin de coordination avec d'autres usines en lutte ou le fait que les patrons n'acceptent de discuter qu'avec les délégués syndicaux... les centrales syndicales étant normalement le seul lien existant entre les ouvriers de différentes entreprises, la rupture avec elles peut faire craindre l'isolement de la lutte. En fait, l'expérience a montré que les syndicats utilisent systématiquement leur pouvoir pour isoler et diviser les luttes

La tactique qui consiste à annoncer faussement dans une usine en grève que les autres ont repris afin de faire cesser la grève est devenue classique. Il est donc fondamental que le groupe autonome ouvrier développe tous les liens possibles avec d'autres groupes autonomes ou comités d'usine et assure le jour de la lutte des liaisons.

Quant au problème que le patron n'accepte de discuter qu'avec les syndicats, seules la combativité et la détermination

des ouvriers peuvent le résoudre : par l'épreuve de force seulement les ouvriers peuvent imposer leurs propres délégués et donc leur propre volonté.

(...) Si le groupe autonome ouvrier est composé d'ouvriers participant à la prise de conscience de la classe, nous ne sommes pas la conscience ni le noyau dirigeant. Nous ne sommes pas le noyau des futurs conseils ouvriers, ni l'embryon d'un futur parti. Nous n'avons pas à inventer des revendications pour les luttes.

Notre raison d'être dans toutes les luttes est celle d'un pôle de discussion, de réflexion, pour aborder nos problèmes d'un point de vue d'ensemble, non localement mais globalement, pour mieux connaître les idées motrices qui animent le mouvement de la classe, pour mieux savoir qui sont nos ennemis, qui sont nos amis. Nous sommes des ouvriers militant pour l'organisation autonome des ouvriers, et non des instruments de quelque parti ou tendance politique. Nous regroupons des ouvriers de différentes tendances politiques ou d'aucune tendance ou groupe précis pourvu qu'ils soient d'accord sur la nécessité de développer les formes d'organisation et de lutte autonome des ouvriers.

(...) Le groupe autonome ouvrier est une avant-garde. C'est la cristallisation et la manifestation d'un processus de prise de conscience qui s'opère dans la classe. Nous militons pour l'autoorganisation de la classe, donc nous serons amenés à l'auto-dissolution dès qu'apparaîtra l'organisation autonome de la classe que nous, ouvriers, nous nous donnerons. Nous militons comme ouvriers, éléments de la classe ouvrière, et non comme un groupuscule ou pseudo avant-garde éclairée.

Nous sommes une avant-garde mais pas, à l'instar des léninistes, une avant- garde éclairée permanente apportant de l'extérieur la conscience, encadrant les ouvriers...

Le groupe autonome ouvrier est composé d*ouvriers révolutionnaires mais nous ne sommes révolutionnaires que si nous sommes conscients de nos responsabilités et que nous les réalisons effectivement.

En plus d'être des révolutionnaires participant activement et résolument dans la lutte constante de la classe à son auto-organisation, à la solidarité révolutionnaire, nous avons pour tâche essentielle d'œuvrer pour la conscience théorique de la classe et dans la classe, car l'autonomie de la classe est avant tout l'autonomie politique . . .

(...) C'est pourquoi nous devons ... nous réapproprier les acquis des luttes du passé, regrouper nos forces à l'échelle de la classe ouvrière, c'est à dire mondiale, mettre au centre de nos préoccupations la crise du capitalisme et ses conséquences pour l'ensemble des ouvriers, la dictature révolutionnaire du prolétariat, l'internationalisme, la violence révolutionnaire, la période de transition.

Le groupe ouvrier autonome de Clermont-Ferrand.

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Indiscutablement, ce texte constitue le résultat d'un effort sérieux de réflexion d'un point de vue prolétarien. Sur certains points, il fait une défense très vivante et percutante des positions révolutionnaires. En particulier il est très clair dans son analyse du mécanisme de développement de la bureaucratie syndicale, dans sa dénonciation de la gauche, des gauchistes, et de leurs armes : les élections et le "modernisme". De même il met en avant avec vigueur, à la fois la nécessité de l'auto-organisation des luttes ouvrières, de leur extension face à l'isolement maintenu par les syndicats et à la fois la nécessité pour la classe d'une réflexion approfondie par rapport à son expérience et aux perspectives de sa lutte. Cependant le texte contient un certain nombre d'idées et de formulations erronées qu'il nous appartient comme révolutionnaires de relever et de réfuter.

On peut lire dans ce document des phrases comme : "si les syndicats trahissent nos luttes, c'est parce qu'ils sont réformistes"... ou bien "le programme de ces organisations politiques (gauche et gauchistes) est réformiste à l'instar des syndicats".

Ces formulations sont inexactes et introduisent une confusion là où; par ailleurs, le texte est très clair : la nature capitaliste de la gauche et des syndicats.

nature du réformisme

Le réformisme appartient à une période et à des circonstances bien précises de l'histoire du mouvement ouvrier. C'est un terme qui définit la maladie dont ont été atteintes la plupart des grandes organisations ouvrières dans la période ascendante du capitalisme. Dans cette période, celui-ci était capable d'accorder des réformes réelles et, dans la mesure où il constituait le cadre approprié au développement des forces productives, sa disparition n'était pas à l'ordre du jour. Pour la classe ouvrière la lutte pour des réformes n'était pas seulement possible mais nécessaire en attendant que mûrissent les conditions économiques de la révolution, nécessaire à la fois pour améliorer ses conditions d'existence et pour se préparer à l'affrontement final. Le réformisme était justement la politique qui, en s'appuyant sur l'illusion que le capitalisme pourrait indéfiniment poursuivre son ascension, rejetait le deuxième aspect des luttes de la classe. Dans cette conception, "le but n'est rien, le mouvement est tout" (Bernstein) : le seul objectif des luttes est une transformation progressive de la société capitaliste dont le socialisme est l'aboutissement organique. Même si elle était favorisée par la pratique quotidienne de la classe, une telle vision était indiscutablement d'essence bourgeoise : le réformisme était une manifestation du poids de l'idéologie bourgeoise au sein des organes de lutte de la classe ouvrière. Mais dans la mesure où justement, la révolution n'était pas encore à l'ordre du jour, ces organes pouvaient assurer une défense réelle des Intérêts Immédiats des travailleurs. Syndicats et partis sociaux-démocrates de masse étaient des instruments de la classe ouvrière et malgré leurs imperfections et leurs limites, les révolutionnaires y militaient afin d'y défendre, contre les réformistes, la perspective historique de la lutte de classe : le renversement du capitalisme.

Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, ces organisations sont passées dans le camp du capitalisme : dans la mesure où le système n'était plus capable d'accorder de réforme, elles ne pouvaient plus, sur le terrain qui leur était propre, assurer une quelconque défense des intérêts prolétariens et c'est tout "naturellement" qu'elles sont devenues des instruments de l'Etat bourgeois, des officines de celui-ci en milieu ouvrier. Leur programme actuel, même s'il s'applique à maintenir des illusions réformistes au sein de ia classe, la croyance en la possibilité d'améliorations réelles, n'est pas "réformiste". Il est bourgeois. Sous couvert de "réformes", il se propose de perfectionner les instruments d'oppression et de mystification de la classe, de renforcer l'emprise totalitaire de l'Etat sur la société. La journée de 10 heures, à l'époque où les ouvriers en travaillaient quatorze ou seize, était une conquête prolétarienne. Les nationalisations sont des mesures capitalistes.

Ce n'est par goût de l'exégèse que nous avons critiqué ces formulations, mais parce qu'elles recouvrent des confusions qui risquent d'être dangereuses. Si la vision qui se dégage de ce texte est authentiquement prolétarienne, par contre c'est sur la base de l'idée que le PC et le PS sont (quand même) "réformistes" que les gauchistes justifient leur politique bourgeoise de soutien à ces partis. Entre les mains d'une organisation du capital, toute confusion de la classe devient une arme redoutable et c'est pour cela qu'il ne faut en laisser passer aucune.

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Dans la seconde partie de cet article, nous traiterons du problème central soulevé par ce texte : la fonction des cercles ouvriers.

C.G.


 

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Organisation de la classe ouvrière