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Le Mouvement "15M" en Espagne – dont le nom correspond à la date de sa création, le 15 mai – est un événement de grande importance aux caractéristiques inédites. Nous voulons dans cet article en raconter les épisodes marquants et, à chaque fois, tirer les leçons et tracer les perspectives pour le futur.
Rendre compte de ce qui s’est réellement passé est une contribution nécessaire à la compréhension de la dynamique que prend la lutte de classes internationale vers des mouvements massifs de la classe ouvrière, qui l’aideront à reprendre confiance en elle et lui donneront les moyens de présenter une alternative à cette société moribonde 1.
Le "No Future" du capitalisme, toile de fond du Mouvement 15M
Le mot "crise" contient une connotation dramatique pour des millions de personnes, frappées par une avalanche de misère qui va de détérioration croissante des conditions de vie, en passant par le chômage à durée indéterminée et la précarité qui rendent impossible la moindre stabilité quotidienne, jusqu’aux situations les plus extrêmes qui renvoient directement à la grande pauvreté et à la faim 2.
Mais ce qui est le plus angoissant est l’absence de futur. Comme le dénonçait l’Assemblée des Emprisonnés de Madrid 3 dans un communiqué qui, comme nous allons le voir, fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres du mouvement : "nous nous trouvons face à un horizon privé du moindre espoir et sans un futur qui nous permette de vivre tranquilles et de pouvoir nous consacrer à ce qui nous plaît" 4. Lorsque l’OCDE nous déclare qu’il faudra 15 ans pour que l’Espagne retrouve le niveau d’emploi qu’elle avait en 2007 – presque une génération entière privée de travail ! –, lorsque des chiffres similaires peuvent être extrapolés pour les États-Unis ou la Grande-Bretagne, on peut réaliser à quel point cette société est précipitée dans un tourbillon sans fin de misère, de chômage et de barbarie.
Le mouvement s’est, à première vue, polarisé contre le système politique bipartite dominant en Espagne (deux partis, à droite le Parti Populaire et à gauche le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, qui représentent 86 % des élus) 5. Ce facteur a joué un rôle, en rapport précisément avec cette absence d’avenir, puisque dans un pays où la droite jouit de la réputation méritée d’être d’autoritaire, arrogante et anti-ouvrière, d’amples secteurs de la population ont vu avec inquiétude comment, avec les attaques gouvernementales portées par les faux-amis – le PSOE –, les ennemis déclarés – le PP – menaçaient de s’installer au pouvoir pour de longues années, sans alternative aucune au sein du jeu électoral, reflétant ainsi le blocage général de la société.
Ce sentiment a été renforcé par l’attitude des syndicats qui commencèrent par convoquer une "grève générale" le 29 septembre, qui ne fut qu’une gesticulation démobilisatrice, puis signèrent avec le gouvernement un Pacte social en janvier 2011 qui acceptait la brutale réforme des retraites et fermait la porte à toute possibilité de mobilisations massives sous leur direction.
A ces facteurs s'est joint un profond sentiment d’indignation. Une des conséquences de la crise, comme cela fut dit dans l’assemblée de Valence, c’est que "les rares qui possèdent beaucoup sont encore plus rares et possèdent beaucoup plus, alors que le grand nombre qui possède peu est beaucoup plus nombreux et possède beaucoup moins". Les capitalistes et leur personnel politique se font de plus en plus arrogants, voraces et corrompus. Ils n’hésitent pas à accumuler d’immenses richesses, alors qu’autour d’eux se répandent la misère et la désolation. Tout cela fait comprendre, bien plus aisément qu'une démonstration, que les classes sociales existent et que nous ne sommes pas des "citoyens égaux".
Dès la fin de 2010, face à cette situation, des collectifs ont surgi, affirmant qu’il fallait s’unir dans la rue, agir en marge des partis et des syndicats, s’organiser en assemblées… La vieille taupe évoquée par Marx préparait dans les entrailles de la société une maturation souterraine qui éclata en plein jour au mois de mai ! La mobilisation de "Jeunes Sans Avenir" au mois d’avril regroupa 5 000 jeunes à Madrid. Par ailleurs, le succès de manifestations de jeunes au Portugal – Geração à Rasca (génération à la dérive) – qui rassemblèrent plus de 200 000 personnes, et l’exemple très populaire de la place Tahrir en Égypte ont fait partie des stimulateurs du mouvement.
Les assemblées : un premier regard vers l’avenir
Le 15 mai, un cartel de plus de 100 organisations – baptisé Democracia Real Ya (DRY) 6 – convoqua des manifestations dans les grandes villes de province "contre les politiciens", réclamant une "véritable démocratie".
De petits groupes de jeunes (chômeurs, précaires et étudiants), en désaccord avec le rôle de soupape du mécontentement social que les organisateurs voulaient faire jouer au mouvement, tentèrent de mettre en place un campement sur la place centrale à Madrid, à Grenade et autres villes afin de poursuivre le mouvement. DRY les désavoua et laissa les troupes policières se livrer à une brutale répression, perpétrée en particulier dans les commissariats. Cependant, ceux qui en ont été victimes se constituèrent en Assemblée des Emprisonnés de Madrid et produisirent rapidement un communiqué dénonçant clairement les traitements dégradants infligés par la police. Celui-ci fit forte impression et encouragea de nombreux jeunes à se joindre aux campements.
Le mardi 17 mai, alors que DRY tentait d’enfermer les campements dans un rôle symbolique de protestation, l’énorme masse qui affluait vers eux imposa la tenue d’assemblées. Le mercredi et le jeudi, les assemblées massives se répandaient dans plus de 73 villes. Il s’y exprimait des réflexions intéressantes, des propositions judicieuses, traitant de tous les aspects de la vie sociale, économique, politique et culturelle. Rien de ce qui est humain n’était étranger à cette immense agora improvisée !
Une manifestante madrilène disait : "ce qu’il y a de mieux c’est les assemblées, la parole se libère, les gens se comprennent, on peut penser à haute voix, des milliers d’inconnus peuvent parvenir à être d’accord. N’est-ce pas merveilleux ?". Les assemblées étaient un tout autre monde, à l’opposé de l’ambiance sombre qui règne dans les bureaux de vote et à cent lieues de l’enthousiasme de marketing des périodes électorales : "Accolades fraternelles, cris d'enthousiasme et de ravissement, chants de liberté, rires joyeux, gaieté et transports de joie : c'était tout un concert qu'on entendait dans cette foule de milliers de personnes allant et venant à travers la ville du matin au soir. Il régnait une atmosphère d'euphorie ; on pouvait presque croire qu'une vie nouvelle et meilleure commençait sur la terre. Spectacle profondément émouvant et en même temps idyllique et touchant" 7. Des milliers de personnes discutaient passionnément dans une ambiance de profond respect, d’ordre admirable, d’écoute attentive. Elles étaient unies par l’indignation et l’inquiétude face au futur mais, surtout, par la volonté de comprendre ses causes ; de là cet effort pour le débat, pour l’analyse d’une foule de questions, les centaines de réunions et la création de bibliothèques de rue… Un effort apparemment sans résultat concret, mais qui a bouleversé tous les esprits et a semé des graines de conscience dans les champs de l’avenir.
Subjectivement, la lutte de classe repose sur deux piliers : d’une part la conscience, de l’autre, la confiance et la solidarité. Sur ce dernier aspect, les assemblées ont aussi été porteuses pour l’avenir : les liens humains qui se tissaient, le courant d’empathie qui animait les places, la solidarité et l’unité qui fleurissaient avaient au moins autant d’importance que le fait de prendre des décisions ou de converger sur une revendication. Les politiciens et la presse enrageaient, eux qui réclamaient, avec l’immédiatisme et l’utilitarisme caractéristiques de l’idéologie bourgeoise, que le mouvement condense ses revendications dans un "protocole", ce que DRY tentait de convertir en "décalogue" regroupant toutes les mesures démocratiques ridicules et poussives telles que les listes des candidats ouvertes, les initiatives législatives populaires et la réforme de la loi électorale.
La résistance acharnée à laquelle se heurtèrent ces mesures précipitées est venue illustrer en quoi le mouvement exprimait le devenir de la lutte de classes. A Madrid, les gens criaient : "Nous n’allons pas lentement, c’est que nous allons très loin !". Dans une Lettre ouverte aux assemblées, un groupe de Madrid disait : "Le plus difficile est de synthétiser ce que veulent nos manifestations. Nous sommes convaincus que ce n’est pas à la légère, comme le veulent de façon intéressée les politiciens et tous ceux qui veulent que rien ne change ou, pour mieux dire, ceux qui veulent changer quelques détails pour que tout reste identique. Que ce ne sera pas en proposant soudain un "Grenelle de revendications" que nous parviendrons à synthétiser ce pourquoi nous luttons, ce n’est pas en créant un petit tas de revendications que notre révolte s’exprimera et se renforcera" 8.
L’effort pour comprendre les causes d’une situation dramatique et d’un futur incertain, et trouver la façon de lutter en conséquence, a constitué l’axe des assemblées. D'où leur caractère délibératif qui a désorienté tous ceux qui espéraient une lutte centrée sur des revendications précises. L’effort de réflexion sur des thèmes éthiques, culturels, artistiques et littéraires (il y eut des interventions sous forme de chansons ou de poèmes) a créé le sentiment trompeur d’un mouvement petit-bourgeois "d’indignés". Nous devons ici séparer le bon grain de l’ivraie. Cette dernière est bien sûr présente dans la coquille démocratique et citoyenne qui a souvent enveloppé ces préoccupations. Mais celles-ci sont du bon grain, car la transformation révolutionnaire du monde s’appuie, et à la fois le stimule, sur un gigantesque changement culturel et éthique ; "changer le monde et changer la vie en nous transformant nous-mêmes", telle est la devise révolutionnaire que Marx et Engels formulèrent dans l’Idéologie allemande voilà plus d’un siècle et demi : "... Une transformation massive des hommes s'avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener la chose elle-même à bien ; or, une telle transformation ne peut s'opérer que par un mouvement pratique, par une révolution ; cette révolution n'est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu'elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l'est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l'autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles" 9.
Les assemblées massives ont été une première tentative de réponse à un problème général de la société que nous avons mis en évidence il y a plus de 20 ans : la décomposition sociale du capitalisme. Dans les "Thèses sur la décomposition" que nous avions alors écrites 10, nous signalons la tendance à la décomposition de l'idéologie et des superstructures de la société capitaliste et, allant de pair avec celle-ci, la dislocation croissante des relations sociales qui affecte aussi bien la bourgeoisie que la petite bourgeoisie. La classe ouvrière n'y échappe pas du fait, entre autres, qu'elle côtoie la petite bourgeoisie. Nous mettions en garde dans ce document contre les effets de ce processus : "1) 'l'action collective, la solidarité, trouvent en face d'elles l'atomisation, le 'chacun pour soi', la 'débrouille individuelle' ; 2) le besoin d'organisation se confronte à la décomposition sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société ; 3) la confiance dans l'avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le 'no future' ; 4) la conscience, la lucidité, la cohérence et l'unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque."
Cependant, ce que montrent les assemblées massives en Espagne – de même que ce qu'ont mis en évidence celles qui sont apparues durant le mouvement des étudiants en France en 2006 11 - c'est que les secteurs les plus vulnérables aux effets de la décomposition – les jeunes, les chômeurs, du fait en particulier du peu d'expérience du travail qu'il ont acquis – se sont retrouvés à l'avant-garde des assemblées et de l'effort de prise de conscience d'une part, de solidarité et d'empathie d'autre part.
Pour toutes ces raisons, les assemblées massives ont constitué une première anticipation de ce qui est devant nous. Cela peut paraître très peu à ceux qui attendent que le prolétariat, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, se manifeste clairement et sans ambages comme la classe révolutionnaire de la société. Cependant, d’un point de vue historique et en prenant en compte les difficultés énormes qu’il rencontre pour atteindre cet objectif, il s’agit là d’un bon début, puisqu’il a commencé à préparer rigoureusement le terrain subjectif.
Paradoxalement, ces caractéristiques ont aussi été le talon d’Achille du mouvement "15M" tel qu'il s'est exprimé dans une première étape de son développement. N’ayant pas surgi avec un objectif concret, la fatigue, la difficulté pour aller au-delà de premières approximations des graves problèmes qui se posent, l’absence de conditions pour que le prolétariat entre en lutte depuis les lieux de travail, ont plongé le mouvement dans une sorte de vide et de terrain vague qui ne pouvait se maintenir longtemps en l'état, et que DRY a tenté d'investir avec ses objectifs de "réforme démocratique" soi-disant "faciles" et "réalisables" mais qui ne sont qu’utopiques et réactionnaires.
Les pièges que le mouvement a dû affronter
Pendant presque deux décennies, le prolétariat mondial a réalisé une traversée du désert caractérisée par l’absence de luttes massives et, surtout, par une perte de confiance en lui-même et une perte de sa propre identité de classe 12. Même si cette atmosphère est allée en se diluant progressivement depuis 2003, avec l’apparition de luttes significatives dans bon nombre de pays et d’une nouvelle génération de minorités révolutionnaires, l’image stéréotypée d’une classe ouvrière "qui ne bouge pas", "complètement absente", continuait de dominer.
L’irruption soudaine de grandes masses dans l’arène sociale devait être entravée par ce poids du passé, difficulté accrue par la présence dans le mouvement de couches sociales en voie de prolétarisation, plus vulnérables aux pièges démocratique et citoyen. À cela s'est ajouté le fait que le mouvement n'ayant pas surgi à partir de la lutte contre une mesure concrète, il en a résulté un paradoxe, qui n’est pas nouveau dans l’histoire 13, à savoir que les deux grandes classes de la société – le prolétariat et la bourgeoisie – ont semblé esquiver le corps à corps ouvert, donnant ainsi l’impression d’un mouvement pacifique, jouissant de "l’approbation de tous" 14.
Mais en réalité, la confrontation entre les classes était présente dès les premiers jours. Le gouvernement PSOE ne répliqua-t-il pas d’emblée par la répression brutale contre une poignée de jeunes ? N’est-ce pas la réponse rapide et passionnée de l’Assemblée des Emprisonnés de Madrid qui déchaîna le mouvement ? N’est-ce pas cette dénonciation qui ouvrit les yeux à bien des jeunes qui, dès lors, scandèrent "ils l'appellent démocratie mais ce n’en est pas une !", mot d’ordre ambigu qui fut transformé par une minorité en "ils la nomment dictature et c’en est une !" ?
Pour tous ceux qui pensent que la lutte de classes est une succession "d’émotions fortes", l’aspect "paisible" que revêtaient les assemblées les a poussés à croire que celles-ci n’étaient rien de plus que l’exercice d’un "inoffensif droit constitutionnel", peut-être même beaucoup de participants croyaient-ils que leur mouvement se limitait à cela.
Cependant, les assemblées massives sur la place publique, le mot d’ordre "Prends la place !", expriment un défi en règle à l’ordre démocratique. Ce que déterminent les rapports sociaux et que sanctifient les lois, c’est que la majorité exploitée s’occupe de "ses affaires" et, si elle veut "participer" aux affaires publiques, elle utilise le vote et la protestation syndicale qui l’atomisent et l’individualisent davantage encore. S’unir, vivre la solidarité, discuter collectivement, commencer à agir en tant que corps social indépendant, sont de fait une violence irrésistible contre l’ordre bourgeois.
La bourgeoisie a fait l’impossible pour en finir avec les assemblées. Pour la vitrine, avec l’écœurante hypocrisie qui la caractérise, ce n’étaient que louanges et clins d’œil complices vers les Indignés, mais les faits – qui sont ce qui compte réellement – démentaient cette apparente complaisance.
A cause de la proximité de la journée électorale – le dimanche 22 mai –, l’Assemblée électorale centrale décida d’interdire les assemblées dans tout le pays le samedi 21, considéré comme un "jour de réflexion". Dès samedi à 0 heure, un énorme déploiement policier encercle le campement de la Puerta del Sol, mais il est à son tour encerclé par une foule gigantesque, qui oblige le ministre de l’Intérieur lui-même à ordonner le repli. Plus de 20 000 personnes occupent alors la place dans une grande explosion de joie. Nous voyons là un autre épisode de confrontation de classe, même si la violence explicite s’est réduite à quelques algarades.
DRY propose de maintenir les campements tout en gardant le silence afin de respecter la "journée de réflexion", donc de ne pas tenir d’assemblées. Mais personne ne l’écoute, et les assemblées du samedi 21, formellement illégales, enregistrent les plus hauts niveaux d’assistance. Dans l’assemblée de Barcelone, des panneaux, des slogans repris en chœur et des pancartes proclament ironiquement en réponse à l’Assemblée électorale : "Nous réfléchissons !".
Le dimanche 22, jour d’élections, a lieu une nouvelle tentative d’en finir avec les assemblées. DRY proclame que "les objectifs sont atteints" et que le mouvement doit s’achever. La riposte est unanime : "Nous ne sommes pas ici pour les élections !". Lundi 23 et mardi 24, tant en nombre de participants que par la richesse des débats, les assemblées atteignent leur point culminant. Les interventions, les mots d’ordre, les pancartes prolifèrent qui démontrent une profonde réflexion : "Où se trouve la gauche ? Au fond à droite !", "Les urnes ne peuvent contenir nos rêves !", "600 euros par mois, ça c’est de la violence !", "Si vous ne nous laissez pas rêver, nous vous empêcheront de dormir !", "Sans travail, sans logement, sans peur !", "Ils ont trompé nos grands-parents, ils ont trompé nos enfants, qu’ils ne trompent pas nos petits-enfants !". Ils démontrent aussi une conscience des perspectives : "Nous sommes le futur, le capitalisme c’est le passé !", "Tout le pouvoir aux assemblées !", "Il n’y a pas d’évolution sans révolution !", "Le futur commence maintenant !", "Tu crois encore que c’est une utopie ?"…
A partir de ce sommet, les assemblées commencent à décliner. En partie à cause de la fatigue, mais aussi au bombardement incessant de DRY pour faire adopter son "Décalogue démocratique". Les points du décalogue sont loin d’être neutres, ils sont dirigés directement contre les assemblées. La revendication la plus "radicale", l’"Initiative législative populaire" 15, outre qu’elle implique d’interminables démarches parlementaires qui décourageraient les plus tenaces, remplace surtout le débat massif, où tous peuvent se sentir partie prenante d’un corps collectif, par des actes individuels, purement citoyens, de protestation enfermée entre les quatre murs du Moi 16.
Le sabotage de l’intérieur s’est conjugué avec les attaques répressives de l’extérieur, démontrant par-là à quel point la bourgeoisie est hypocrite lorsqu'elle prétend que les assemblées constituent "un droit constitutionnel de réunion". Le vendredi 27, le Gouvernement catalan – en coordination avec le gouvernement central – tente un coup de force : les "mossos de esquadra" (forces de police régionale) envahissent la Place de Catalogne à Barcelone et répriment sauvagement, provoquant de nombreux blessés et de multiples arrestations. L’Assemblée de Barcelone – jusqu’alors la plus orientée vers des positionnements de classe – est prise au piège des revendications démocratiques classiques : pétitions pour exiger la démission du conseiller de l’Intérieur, rejet de la répression "disproportionnée" 17, revendication d’un "contrôle démocratique de la police". Sa volte-face est d'autant plus évidente qu’elle cède au poison nationaliste et inclut dans ses revendications le "droit à l’autodétermination".
Les scènes de répression se multiplient dans la semaine du 5 au 12 juin : Valence, Saint-Jacques-de-Compostelle, Salamanque… Le coup le plus brutal est cependant porté du 14 au 15 à Barcelone. Le Parlement catalan discutait une loi dite Omnibus qui prévoyait de violentes coupes sociales en particulier dans les secteurs de l’éducation et de la santé (entre autres 15 000 licenciements dans ce dernier). DRY, en dehors de toute dynamique de discussion en assemblées de travailleurs, convoqua une "manifestation pacifique" qui consistait à encercler le Parlement pour "empêcher les députés de voter une loi injuste". Il s’agit là d'une action purement symbolique typique qui, au lieu de combattre une loi et les institutions dont elle émane, s’adresse à la "conscience" des députés. Aux manifestants ainsi piégés, il ne reste plus que le faux choix : ou bien le terrain démocratique et les pleurnicheries impuissantes et passives de la majorité, ou bien son pendant, la violence "radicale" d’une minorité.
Les insultes et bousculades de quelques députés sont l'occasion d'une campagne hystérique qui criminalise les "violents" (mettant dans ce sac ceux qui défendent des positions de classe) et appelle à "défendre les institutions démocratiques menacées". Pour que la boucle soit bouclée, DRY arbore son pacifisme pour demander aux manifestants d’exercer la violence sur les éléments "violents" 18, et va encore plus loin : elle demande ouvertement que les "violents" soient livrés à la police et que les manifestants applaudissent cette dernière pour ses "bons et loyaux services" !
Les manifestations du 19 juin et l’extension à la classe ouvrière
Dès le début, le mouvement a eu deux âmes : une âme démocratique très large, alimentée par les confusions et les doutes, résultant de son caractère socialement hétérogène et sa tendance à fuir la confrontation directe. Mais il y avait aussi une âme prolétarienne, qui se matérialisait par les assemblées 19 et par une tendance toujours présente à "aller vers la classe ouvrière".
À l’Assemblée de Barcelone, des travailleurs des télécommunications et de la santé, des pompiers, des étudiants de l’université, mobilisés contre les coupes sociales, participent activement. Ils créent une Commission d’extension et de grève générale, dont les débats sont très animés et organisent un réseau des Travailleurs indignés de Barcelone qui convoque une assemblée d’entreprises en lutte pour le samedi 11 juin, puis une Rencontre le samedi 3 juillet. Vendredi 3 juin, chômeurs et actifs manifestent autour de la place de Catalogne derrière une banderole qui affiche : "A bas la bureaucratie syndicale ! Grève générale !". A Valence, l’Assemblée soutient une manifestation des travailleurs des transports publics et aussi une manifestation de quartier protestant contre les coupes dans l’enseignement. A Saragosse, les travailleurs des transports publics se joignent à l’assemblée avec enthousiasme 20. Les assemblées décident de former des assemblées de quartier 21.
La manifestation du 19 juin voit une nouvelle poussée de "l’âme prolétarienne". Cette manifestation a été convoquée par les Assemblées de Barcelone, Valence et Malaga et est orientée contre les coupes sociales. DRY tente de la dénaturer en proposant uniquement des mots d’ordre démocratiques. Cela provoque une réaction qui se concrétise, à Madrid, par l’initiative spontanée d’aller au Congrès manifester contre les coupes sociales, manifestation qui regroupe plus de 5 000 personnes. Par ailleurs, une Coordination des assemblées de quartier du sud de Madrid, née à la suite du fiasco de la grève du 29 septembre et ayant une orientation très similaire à celle des Assemblées générales interprofessionnelles créées en France à la chaleur des événements de l'automne 2010, lance un appel : "Depuis les populations et les quartiers de travailleurs de Madrid, allons au Congrès où se décident sans nous consulter les coupes sociales, pour dire : basta ! (…) Cette initiative provient d’une conception assembléiste de base de la lutte ouvrière, contre ceux qui prennent des décisions dans le dos des travailleurs sans les soumettre à leur approbation. Parce que la lutte est longue, nous t’encourageons à t’organiser dans les assemblées de quartier ou locales, comme dans les lieux de travail ou d’études".
Les manifestations du 19 juin connaissent un réel succès, l’assistance est massive dans plus de 60 villes, mais leur contenu est encore plus important. Il répond à la brutale campagne contre "les violents". Exprimant une maturation née des nombreux débats dans les milieux les plus actifs 22, le mot d’ordre le plus repris, par exemple à Bilbao, est "La violence, c’est de ne pas boucler les fins de mois !" et à Valladolid : "La violence, c’est aussi le chômage et les expulsions !".
Cependant, c'est surtout la manifestation à Madrid qui exprime le virage du 19 juin vers la perspective du futur. Elle est convoquée par un organisme directement lié à la classe ouvrière et né de ses minorités les plus actives 23. Le thème de ce rassemblement est "Marchons ensemble contre la crise et contre le capital". Les revendications sont : "Non aux réductions de salaires et des pensions ; pour lutter contre le chômage : la lutte ouvrière, contre l’augmentation des prix, pour l’augmentation des salaires, pour l’augmentation des impôts de ceux qui gagnent le plus, en défense des services publics, contre les privatisations de la santé, de l’éducation... Vive l’unité de la classe ouvrière !" 24.
Un collectif d’Alicante adopte le même Manifeste. À Valence, un "Bloc autonome et anticapitaliste" de plusieurs collectifs très actifs dans les assemblées diffuse un Manifeste qui dit : "Nous voulons une réponse au chômage. Que les chômeurs, les précaires, ceux qui connaissent le travail au noir, se réunissent en assemblées, qu’ils décident collectivement de leurs revendications et que celles-ci soient satisfaites. Nous demandons le retrait de la loi de réforme du Code du travail et de celle qui autorise des plans sociaux sans contrôle et avec une indemnisation de 20 jours. Nous demandons le retrait de la loi sur la réforme des pensions de retraites car, après une vie de privations et de misère, nous ne voulons pas sombrer dans encore plus de misère et d’incertitude. Nous demandons que cessent les expulsions. Le besoin humain d’avoir un logement est supérieur aux lois aveugles du commerce et de la recherche du profit. Nous disons NON aux réductions qui touchent la santé et l’éducation, NON aux licenciements à venir que préparent les gouvernements régionaux et les mairies suite aux dernières élections". 25
La marche de Madrid s’est organisée en plusieurs colonnes qui partent de sept banlieues ou quartiers de la périphérie différents ; au fur et à mesure que ces colonnes avancent, elles sont rejointes par une foule toujours plus dense. Ces foules reprennent la tradition ouvrière des grèves de 1972-76 en Espagne (mais aussi la tradition de 1968 en France) où, à partir d’une concentration ouvrière ou d’une usine "phare", comme à l’époque la Standard de Madrid, les manifestations voyaient des masses croissantes d’ouvriers, d’habitants, de chômeurs, de jeunes les rejoindre, et toute cette masse convergeait vers le centre de la ville. Cette tradition était d’ailleurs déjà réapparue dans les luttes de Vigo de 2006 et 2009 26.
A Madrid, le Manifeste lu pendant le rassemblement appelle à tenir des "Assemblées afin de préparer une grève générale", ce qui est accueilli par des cris massifs de "Vive la classe ouvrière !".
La nécessité d’un enthousiasme réfléchi
Les manifestations du 19 juin provoquent un sentiment d’enthousiasme ; une manifestante à Madrid déclare : "L’ambiance était celle d’une fête authentique. On marchait ensemble, des gens très variés et de tous les âges : des jeunes autour de 20 ans, des retraités, des familles avec leurs enfants, d’autres personnes encore différentes... et cela, alors que des gens se mettaient à leur balcon pour nous applaudir. Je suis rentrée à la maison épuisée, mais avec un sourire rayonnant. Non seulement j’avais la sensation d’avoir contribué à une cause juste, mais en plus, j’ai passé un moment vraiment extra". Un autre dit : "C’est vraiment important de voir tous ces gens rassemblés sur une place, parlant politique ou luttant pour leurs droits. N’avez-vous pas la sensation que nous sommes en train de récupérer la rue ?".
Après les premières explosions caractérisées par des assemblées "en recherche", le mouvement commence à présent à chercher la lutte ouverte, commence à entrevoir que la solidarité, l’union, la construction d’une force collective peuvent être menées à bien 27. L’idée commence à se répandre que "Nous pouvons être forts face au capital et à son État !", et que la clé de cette force sera donnée par l’entrée en lutte de la classe ouvrière. Dans les assemblées de quartier de Madrid, un débat a eu pour thème la convocation d’une grève générale en octobre pour "rejeter les coupes sociales". Les syndicats CCOO et UGT poussèrent des hauts cris en disant que cette convocation serait "illégale" et qu’eux seuls étaient autorisés à la faire, ce à quoi beaucoup de secteurs ripostèrent haut et fort : "seules les assemblées massives peuvent la convoquer".
Nous ne devons cependant pas nous laisser aller à l’euphorie, l’entrée en lutte de la classe ouvrière ne sera pas un processus facile. Les illusions et confusions sur la démocratie, le point de vue citoyen, les "réformes", pèsent lourdement, renforcées par la pression de DRY, des politiciens, des médias, qui exploitent les doutes et l’immédiatisme poussant à chercher des "résultats rapides et palpables", mais aussi la peur face à l’ampleur des questions qui se posent. Il importe surtout de comprendre que la mobilisation des ouvriers sur leur lieu de travail est aujourd’hui réellement très difficile, à cause du risque élevé de perdre son emploi, de se retrouver sans ressources, ce qui pour beaucoup ferait franchir la frontière entre une vie misérable mais supportable et une vie misérable et d’extrême pauvreté.
Les critères démocratiques et syndicaux voient la lutte comme une addition de décisions individuelles. N’êtes-vous pas mécontents ? Ne vous sentez-vous pas piétinés ? Si, vous l'êtes ! Alors pourquoi ne vous révoltez-vous pas ? Ce serait si simple s’il s’agissait pour l’ouvrier de choisir entre être "courageux" ou "lâche", seul avec sa conscience, comme dans un bureau de vote ! La lutte de classe ne suit pas ce genre de schéma idéaliste et falsificateur, elle est le résultat d’une force et d’une conscience collectives qui proviennent non seulement du malaise que provoque une situation insoutenable, mais aussi de la perception qu’il est possible de lutter ensemble et qu’il existe un minimum de solidarité et de détermination le permettant.
Une telle situation est le produit d’un processus souterrain qui repose sur trois piliers : l’organisation en assemblées ouvertes qui permettent de prendre conscience des forces dont on dispose et de la marche à suivre pour les accroître ; la conscience pour définir ce que nous voulons et comment le conquérir ; la combativité face au travail de sape des syndicats et de tous les organes de mystification.
Ce processus est en marche, mais il reste difficile de savoir quand et comment il aboutira. Une comparaison peut éventuellement nous y aider. Lors de la grande grève massive de Mai 68 28, il y eut le 13 mai une manifestation gigantesque à Paris en soutien aux étudiants brutalement réprimés. Le sentiment de force qu’elle dégagea se traduisit, dès le lendemain, par l'éclatement d'une série de grèves spontanées, comme celle de Renault à Cléon puis Paris. Ceci ne s’est pas produit après les grandes manifestations du 19 juin en Espagne. Pourquoi ?
La bourgeoisie, en mai 1968, était peu préparée politiquement pour affronter la classe ouvrière, la répression ne fit que jeter de l’huile sur le feu ; aujourd’hui, elle peut s'appuyer dans un grand nombre de pays sur un appareil super-sophistiqué de syndicats, de partis, et peut déployer des campagnes idéologiques basées précisément sur la démocratie, et qui de plus permettent un usage politique très efficace de la répression sélective. De nos jours, le surgissement d’une lutte requiert un effort bien supérieur de conscience et de solidarité que ce n'était le cas dans le passé.
En mai 1968, la crise n'en était qu'à ses prémices, elle plonge aujourd’hui clairement le capitalisme dans une impasse. Cette situation est intimidante, elle rend difficile l’entrée en grève ne serait-ce que pour une raison aussi "simple" que l’augmentation des salaires. La gravité de la situation fait qu’éclatent des grèves parce que "la coupe est pleine", mais alors doit pouvoir s'ensuivre la conclusion que "le prolétariat n'a que ses chaînes à perdre et un monde à gagner".
Ce mouvement n’a pas de frontières
Si la route semble donc plus longue et douloureuse qu’en mai 1968, les bases qui se forgent sont cependant beaucoup plus solides. L’une d’entre elles, déterminante, c’est de se concevoir comme partie d’un mouvement international. Après toute une période "d’essais" avec quelques mouvements massifs (le mouvement des étudiants en France en 2006 et la révolte de la jeunesse en Grèce en 2008 29), cela fait à présent neuf mois que se succèdent des mouvements bien plus larges et laissant entrevoir la possibilité de paralyser la main barbare du capitalisme : France à l'automne 2010, Grande-Bretagne en novembre et décembre 2010, Égypte, Tunisie, Espagne et Grèce en 2011.
La conscience que le mouvement "15M" fait partie de cette chaîne internationale commence à se développer de façon embryonnaire. Le slogan "Ce mouvement n’a pas de frontières" fut repris par une manifestation à Valence. Des manifestations "pour une Révolution européenne" furent organisées par plusieurs campements, il y eut le 15 juin des manifestations en soutien à la lutte en Grèce, et elles se répétèrent le 29. Le 19, les slogans internationalistes commencèrent à apparaître minoritairement : une pancarte disait : "Heureuse union mondiale !", et une autre affichait en anglais : "World Revolution".
Pendant des années, ce qu’elle nommait "globalisation de l’économie" servit de prétexte à la bourgeoisie de gauche pour susciter des réactions nationalistes, son discours consistant à revendiquer la "souveraineté nationale" face aux "marchés apatrides". Elle proposait aux ouvriers rien de moins que d’être plus nationalistes que la bourgeoisie ! Avec le développement de la crise, mais aussi grâce à la popularisation d’Internet, aux réseaux sociaux, etc., la jeunesse ouvrière commence à retourner ces campagnes contre leurs promoteurs. L’idée fait son chemin selon laquelle, "face à la globalisation de l’économie il faut riposter par la globalisation internationale des luttes", que face à la misère mondiale l’unique riposte possible est la lutte mondiale.
Le "15M" a eu une ample répercussion au niveau international. Les mobilisations en Grèce depuis deux semaines suivent le même "modèle" d’assemblées massives sur les places principales ; elles se sont inspirées consciemment des événements en Espagne 30. Selon Kaosenlared du 19 juin, "c’est le quatrième dimanche consécutif que des milliers de personnes, de tous âges, manifestent place Syntagma devant le Parlement grec, à l'appel du mouvement paneuropéen des 'Indignés', pour protester contre les mesures d’austérité".
En France, en Belgique, au Mexique, au Portugal ont lieu des assemblées régulières très minoritaires où se font jour la solidarité avec les Indignés et la tentative d’impulser le débat et la riposte. Au Portugal, "Quelque 300 personnes, jeunes dans leur majorité, marchèrent dimanche après-midi au centre de Lisbonne à l’appel de Democracia Real Ya, inspirés par les Indignés espagnols. Les manifestants portugais marchèrent dans le calme derrière une banderole où l’on pouvait lire : "Espagne, Grèce, Irlande, Portugal : notre lutte est internationale !" 31.
Le rôle des minorités actives dans la préparation de nouvelles luttes
La crise mondiale de la dette illustre la réalité de la crise sans issue du capitalisme. En Espagne comme dans les autres pays, pleuvent les attaques frontales et l’on ne peut apercevoir le moindre répit, sinon de nouveaux et pires coups-bas contre nos conditions de vie. La classe ouvrière doit riposter et, pour cela, elle doit s’appuyer sur l’impulsion donnée par les assemblées de mai et les manifestations du 19 juin.
Pour préparer ces ripostes, la classe ouvrière secrète en son sein des minorités actives, des camarades qui tentent de comprendre ce qui se passe, se politisent, animent les débats, actions, réunions, assemblées, tentent de convaincre ceux qui doutent encore, apportent des arguments à ceux qui cherchent. Comme nous l’avons vu au début, ces minorités contribuèrent au surgissement du "15M".
Avec ses modestes forces, le CCI a participé au mouvement, tentant de donner des orientations. "Lors d'une épreuve de force entre les classes, on assiste à des fluctuations importantes et rapides face auxquelles il faut savoir s'orienter, guidé par les principes et les analyses sans se noyer. Il faut être dans le flot du mouvement, sachant comment concrétiser des 'buts généraux' pour répondre aux préoccupations réelles d'une lutte, pour pouvoir appuyer et stimuler les tendances positives qui se font jour" 32. Nous avons écrit de nombreux articles tentant de comprendre les diverses phases par lesquelles est passé le mouvement tout en faisant des propositions concrètes et réalisables : l’émergence des assemblées et leur vitalité, l’offensive de DRY contre elles, le piège de la répression, le tournant que représentent les manifestations du 19 juin 33.
Une autre des nécessités du mouvement étant le débat, nous avons ouvert une rubrique sur notre page web en Espagnol "Debates del 15 M" où ont pu s’exprimer des camarades avec différentes analyses et positions.
Travailler avec d’autres collectifs et minorités actives a été une autre de nos priorités. Nous nous sommes coordonnés et avons participé à des initiatives communes avec le Círculo obrero de debate de Barcelona, avec la Red de Solidaridad de Alicante et divers collectifs assembléistes de Valence.
Dans les assemblées, nos militants sont intervenus sur des points concrets : défense des assemblées, orienter la lutte vers la classe ouvrière, impulsion des assemblées massives dans les centres de travail et d’études, rejet des revendications démocratiques pour les remplacer par la lutte contre les coupes sociales, l’impossibilité de réformer ou de démocratiser le capitalisme, la seule possibilité réaliste étant sa destruction 34. Dans la mesure de nos possibilités, nous avons aussi participé activement à des assemblées de quartier.
Suite au "15M", la minorité favorable à une orientation de classe s’est élargie et s’est rendue plus dynamique et influente. Elle doit à présent se maintenir unie, articuler un débat, se coordonner au niveau national et international. Face à l’ensemble de la classe ouvrière, il doit s’affirmer une position qui recueille ses besoins et aspirations les plus profonds : contre le mensonge démocratique, montrer ce qui se profile derrière le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux assemblées !" ; contre les revendications de réformes démocratiques, montrer la lutte conséquente contre les coupes sociales ; contre d’illusoires "réformes" du capitalisme, montrer la lutte tenace et persévérante dans la perspective de la destruction du capitalisme.
L’important est que se développent dans ce milieu un débat et un combat. Un débat sur les nombreuses questions qui se sont posées ces derniers mois : Réforme ou révolution ? Démocratie ou assemblées ? Mouvement citoyen ou mouvement de classe ? Revendications démocratiques ou revendications contre les attaques sociales ? Grève générale ou grève de masse ? Syndicats ou assemblées ? etc. Un combat pour impulser l’auto-organisation et la lutte indépendante mais surtout pour savoir déjouer et dépasser les multiples pièges qui ne vont pas manquer de nous être tendus.
C. Mir
1 Lire, dans la Revue internationale no 144, "Mobilisation sur les retraites en France, riposte étudiante en Grande-Bretagne, révolte ouvrière en Tunisie – L'avenir est au développement international et à la prise en main de la lutte de classe".
2 Un responsable de Cáritas en Espagne, ONG ecclésiastique qui se consacre à la pauvreté, signalait que "nous parlons à présent de 8 millions de personnes en cours d’exclusion et de 10 millions sous le seuil de pauvreté". Cf. https://www.burbuja.info/inmobiliaria/burbuja-inmobiliaria/230828-tenemo.... 18 millions de personnes, c’est un tiers de la population de l’Espagne ! Ceci n’est évidemment en rien une particularité espagnole, le niveau de vie des Grecs a baissé en un an de 8 %.
3 Nous reviendrons sur celle-ci plus en détail au paragraphe suivant.
4 Nous avons publié ce communiqué en plusieurs langues (dont le français).
5 Deux slogans étaient très repris "PSOE-PP, c’est la même merde !" et "Avec des roses ou des mouettes, ils nous prennent pour des crêpes !", sachant que la rose est le symbole du PSOE et la mouette celle du PP.
6 Pour se faire une idée de ce mouvement et de ses méthodes, voir notre article "Le mouvement citoyen "Democracia Real Ya !" : une dictature sur les assemblées massives", traduit en plusieurs langues.
7 Cette citation de Rosa Luxemburg, extraite de Grève de masse, parti et syndicats et qui fait référence à la grande grève du sud de la Russie en 1903, va comme un gant à l’ambiance exaltée des assemblées, un siècle plus tard.
8 Voir "Carta abierta a las Asambleas".
9 Cf. première partie, "Feuerbach – Opposition de la conception matérialiste et idéaliste", B, "La base réelle de l'idéologie".
10 Voir la Revue internationale no 62, "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme".
11 "Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France" dans la Revue internationale n° 125.
12 A notre avis, la cause fondamentale de ces difficultés se trouve dans les événements de 1989 qui balayèrent les régimes étatiques identifiés faussement comme "socialistes" et qui permirent à la bourgeoisie de développer une campagne écrasante sur la "fin du communisme", "la fin de la lutte des classes", "l’échec du communisme", etc., qui affectèrent brutalement plusieurs générations ouvrières. Cf. Revue internationale n° 60, "Des difficultés accrues pour le prolétariat".
13 Rappelons comment, entre février et juin 1848 en France, eut également lieu ce type de "grande fête de toutes les classes sociales" qui s’achèvera avec les journées de juin où le prolétariat parisien s'affronta, les armes à la main, au Gouvernement Provisoire. Au cours de la Révolution russe de 1917 régna aussi entre février et avril cette même ambiance d’union générale sous l’égide de la "démocratie révolutionnaire".
14 À l’exception de l’extrême-droite qui, portée par sa haine irrépressible contre la classe ouvrière, exprimait à haute voix ce que les autres fractions de la bourgeoisie se limitaient à dire dans l’intimité de ses salons.
15 Possibilité pour les citoyens de recueillir un certain nombre de signatures afin de proposer et faire voter des lois et des réformes au Parlement.
16 La démocratie se base sur la passivité et l’atomisation de l’immense majorité réduite à une somme d’individus d’autant plus sans défense et vulnérables qu’ils pensent que leur Moi peut être souverain. Par contre, les assemblées partent du point de vue opposé : les individus sont forts parce qu’ils s’appuient sur la "richesse de leurs rapports sociaux" (Marx) en s’intégrant et étant partie prenante d’un vaste corps collectif.
17 Comme s’il pouvait exister une répression "proportionnée" !
18 DRY demande que les manifestants encerclent et critiquent publiquement le comportement de tout élément "violent", ou "suspect d’être violent" (sic).
19 Ses origines plus lointaines sont les réunions de districts pendant la Commune de Paris, mais c’est avec le mouvement révolutionnaire de Russie en 1905 qu’elles s’affirment et, depuis lors, tout grand mouvement de la classe les verra surgir sous différentes formes et appellations : Russie 1917, Allemagne 1918, Hongrie 1919 et 1956, Pologne 1980… Il y eut en 1972 à Vigo en Espagne une Assemblée générale de ville qui se répéta à Pampelune en 1973 et à Vitoria en 1976, puis de nouveau à Vigo en 2006. Nous avons écrit de nombreux articles sur l’origine de ces assemblées ouvrières. Voir en particulier la série "Que sont les conseils ouvriers", à partir de la Revue internationale no 140.
20 A Cadix, l’Assemblée générale organise un débat sur la précarité qui attire une forte assistance. A Caceres est dénoncée l’absence d’information sur le mouvement en Grèce et à Almeria est organisée le 15 juin une réunion sur "la situation du mouvement ouvrier".
21 Ce sont en fait des armes à double tranchant : elles contiennent des aspects positifs, par exemple l’extension du débat massif vers des couches plus profondes de la population travailleuse et la possibilité – comme ce fut le cas – d’impulser des assemblées contre le chômage et la précarité, brisant l’atomisation et le sentiment de honte qui accable beaucoup de travailleurs au chômage, rompant aussi la situation de totale vulnérabilité dans laquelle se trouvent les travailleurs précaires des petits commerces. Le point négatif est qu’elles sont aussi utilisées pour disperser le mouvement, lui faire perdre ses préoccupations plus globales, pour l’enfermer dans des dynamiques "citoyennes" favorisées par le fait que le quartier – entité qui mélange les ouvriers avec la petite bourgeoisie, des patrons, etc. – se prête plus à ce genre de préoccupations.
22 Voir entre autres "un protocole anti-violence".
23 Dans la Coordination des Assemblées de quartiers et de banlieues du sud de Madrid, on trouve fondamentalement des Assemblées de travailleurs de différents secteurs même si y participent également des petits syndicats radicaux. Voir https://asambleaautonomazonasur.blogspot.com/
24 La privatisation des services publics et des Caisses d'épargne est une réponse du capitalisme à l'aggravation de la crise et, plus concrètement, au fait que l'État, de plus en plus endetté, est contraint de réduire ses dépenses, quitte pour cela à dégrader de façon insupportable la manière dont des services essentiels sont assumés. Cependant, il est important de comprendre que l'alternative aux privatisations n'est pas la lutte pour le maintien de ces services dans le giron de l'État. En premier lieu, parce que les services "privatisés" continuent souvent d'être contrôlés organiquement par des institutions étatiques qui sous-traitent le travail à des entreprises privées. Et en deuxième lieu, parce que l'État et la propriété étatique n'ont rien de "social" ni à voir avec un quelconque "bien-être citoyen". L'État est un organe exclusivement au service de la classe dominante et la propriété étatique est basée sur l'exploitation salariée. Cette problématique a commencé à être posée dans certains milieux ouvriers, notamment dans une assemblée à Valence contre le chômage et la précarité. www.kaosenlared.net/noticia/cronica-libre-reunion-contra-paro-precariedad.
25 Voir https://infopunt-vlc.blogspot.com/2011/06/19-j-bloc-autonom-i-anticapitalista.html
26 Voir "Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne" et aussi "A Vigo, en Espagne : les méthodes syndicales mènent tout droit à la défaite".
27 Ce qui n’implique pas la sous-estimation des obstacles que la nature intrinsèque du capitalisme, basé sur la concurrence à mort et la méfiance des uns par rapport aux autres, oppose à ce processus d’unification. Celui-ci ne pourra se réaliser qu’au terme d’énormes et complexes efforts se basant sur la lutte unitaire et massive de la classe ouvrière, une classe qui produit collectivement et au moyen du travail associé les principales richesses sociales et qui, pour cela, contient en elle la reconstruction de l’être social de l’humanité.
28 Voir la série "Mai 68 et la perspective révolutionnaire", à partir de la Revue internationale no 133.
29 Voir la Revue internationale no 125, "Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France", et la Revue internationale no 136, "Les révoltes de la jeunesse en Grèce confirment le développement de la lutte de classe".
30 La censure sur les événements en Grèce et les mouvements massifs qui s'y déroulent est totale, ce qui nous empêche de les intégrer dans notre analyse.
31 Repris de Kaosenlared.
32 Revue internationale no 20, "Sur l'intervention des révolutionnaires : réponse à nos censeurs".
33 Voir les différents articles qui ponctuent chacun de ces moments dans notre presse.
34 Ce n’était pas une insistance spécifique du CCI, un mot d’ordre assez populaire disait : "Être réaliste, c’est être anticapitaliste !", une banderole proclamait : "Le système est inhumain, soyons antisystème".