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Les magouilles du .syndicat "Solidarité" pour étouffer toutes les dernières grèves, de Jelenia Gora Radom, ont trouvé leur apothéose dans la façon dont Walesa a manœuvré pour éviter que les réactions à la répression à Bydgoszcz ne se transforment en grève généralisée.
Si ce dernier coup porté au mouvement en Pologne semble avoir réussi provisoirement à déboussoler et démoraliser les ouvriers, elles ont aussi commencé pour certains à leur ouvrir les yeux sur ce qu’est le travail syndical. "Walesa, tu nous as trahis !" ont dit les ouvriers à Bydgoszcz.
Mais les accords-bidons entre "Solidarité" et l'Etat dans le seul but de museler la grève ne sont pas qu'une trahison d'un dirigeant syndical ; c’est la continuité de tout le travail syndical des accords de Gdansk à aujourd'hui qui en s'opposant en tous points à ce qui a fait la force du mouvement en Pologne désigne le camp où il se situe : celui de la bourgeoisie.
"apprendre la démocratie aux ouvriers”
"La démocratie, il faut l'apprendre ; car, à vrai dire, telle que nous la pratiquons dans le syndicat, j'en ai assez. Chacun veut présenter ses arguments. Il faut apprendre à déléguer ses décisions". (Walesa - "Le Monde” du 21.3.81)
En août dernier, les ouvriers n'ont pas eu besoin qu'un syndicat leur apprenne ce qu'était la démocratie et la délégation de décisions. L'une des forces du mouvement a justement été l'organisation centralisée des comités inter-entreprises, le MKS, qui est l’opposition vivante à la forme syndicale.
C'est justement dans le bouillonnement permanent des assemblées générales où "chacun peut présenter ses arguments" en permanence que le mouvement a puisé sa force.
C'est parce que les ouvriers n'avaient pas appris à déléguer leurs décisions aux mains de délégués patentés "spécialistes" de la négociation, mais au contraire gardaient le contrôle sur ce que disaient et faisaient les délégués des comités de grève que ce mouvement a gardé sa force. Les négociations de Gdansk étaient retransmises en direct par des haut-parleurs et chacun pouvait y intervenir.
La démocratie syndicale dont rêve un Walesa nous la voyons à 1'oeuvre, lorsqu'il brise les grèves, en prétendant parler au nom des intérêts de la classe ouvrière; lorsque comme à Bydgoszcz il décide à la place des ouvriers; lorsque, comme par hasard, les haut-parleurs se détraquaient lors des moments difficiles des négociations de Gdansk.
La démocratie à la Walesa est une démocratie bâillonnée où apprendre à déléguer des décisions, c’est apprendre à se taire. On comprend qu'il faille apprendre une telle démocratie aux ouvriers quand on prône comme le fait "Solidarité", la remise au travail et les sacrifices, quand il n'y a rien à négocier et rien à concilier, les spécialistes de la conciliation et de la négociation auxquels la classe délègue son pouvoir de décision sans le contrôle permanent que permet une mobilisation permanente en assemblées générales, ne peuvent que devenir les porte-parole des intérêts de la bourgeoisie. Ce qu'est "Solidarité" comme tous les syndicats du monde.
"Au début de notre action, nous réclamions que la vie publique se déroule au grand jour. Maintenant que c'est dans le syndicat, c'est de mal en pire". (Un ouvrier polonais, cité par "Le Matin” du 2 avril 1981)
“Il y a d’autres moyens que la grève"
"Il y a d'autres moyens que la grève... On peut comme en France faire des meetings après les heures de travail pour amener les autorités à négocier. On peut inventer beaucoup de choses, faire des marches de protestation... et puis nous allons avoir notre hebdomadaire" (Walesa - ''Le Monde" du 21.3.81).
Ce que les syndicats reprochent à la grève, ce n'est pas la perte qu'elle constitue pour la classe, c'est la perte qu'elle constitue pour le capital national, et le danger que constitue pour lui le fait que les ouvriers soient en discussion permanente sur la façon de mener leur combat. Une des forces de la classe ouvrière est que justement elle a la capacité d'arrêter ou de redémarrer la production. L'affaiblissement du capital national qu'elle entraîne n'est pas SON affaiblissement à elle. Dans les grèves en masses d'août, les ouvriers ont appris beaucoup de choses sur les moyens de leur combat, mais certainement pas dans le sens où l'entend Walesa.
Pour défouler la combativité dans des amusettes, les syndicats occidentaux ne manquent pas de créativité : meetings, rallies, manifestations-kermesses, pétitions, journaux, réunions syndicales... Walesa a bien appris sa leçon au contact de ses "grands frères" occidentaux.
Entre les ouvriers bien embrigadés et dociles des mornes défilés syndicaux et l'explosion incontrôlable de la grève de masse de Pologne, l'efficacité de ces autres formes de lutte saute aux yeux... pour la bourgeoisie.
"lutter c’est travailler, c’est servir la patrie”
"Nous ne faisons par nos luttes que nous mettre au service de notre pays. Nous voulons que les ouvriers travaillent pour le bien de la Patrie". (Walesa, TF1, le 15 janvier 1981).
L'homme est né pour servir, tout est pour le mieux, le bonheur est dans l'esclavage. Tel a été, en gros, tout le sens des propos de Walesa lors de cette interview à TF1 : "plus l'homme est grand, plus il doit servir les autres".
Quel est l'ordre "naturel" des choses pour Solidarité ? Une bourgeoisie forte qui exploite ses ouvriers avec leur libre consentement et dans l'illusion que travailler beaucoup profite à tout le monde, bourgeois et prolétaires.
"Nous voulons que le gouvernement soit fort et il ne faut pas 1'empêcher de travailler. Il a besoin de temps pour cacher les vieux meubles et changer de décor... les voleurs ont volé, c'est fini. Maintenant c’est à nous de travailler, car nous voulons vivre mieux et cela dépend de nous” (Discours de Walesa à Radom, le 16 mars 1981).
"Nous ne ménagerons ni le gouvernement ni le parti, ni le socialisme, ni les alliances signées, nous n'attaquons ni la milice, ni l'appareil du pouvoir" (Walesa)
"Il faut que le syndicat prenne en compte la réalité des difficultés économiques et en explique les conséquences, c'est pourquoi il faut arrêter toutes les actions revendicatives" (un expert de "Solidarité'- "Le Monde" du 17.12.80).
Quelle différence y a-t-il entre ces propos et ceux d'un Kania et d'un Jaruzelski pour qui "il ne faut pas désorganiser la vie économique sociale et politique. La grève dans la situation actuelle est une invitation à l'auto-destruction" ? AUCUNE. Le but est le même : être fort pour imposer à la classe ouvrière les sacrifices, imposer l'ordre capitaliste. Les façons d'y parvenir diffèrent mais se complètent pendant que le gouvernement agite la matraque de la répression, “Solidarité" use de son auréole ouvrière pour obtenir le même résultat par la persuasion.
En luttant cet été dernier par la grève de masse, en réclamant des augmentations de salaire "irréalistes" pour l'économie polonaise, les ouvriers ne se battaient ni pour le bien de la patrie, ni pour un gouvernement fort.
Il n'y a aucun terrain d'entente possible entre exploiteurs et exploités, les intérêts des uns ne peuvent que s'opposer aux intérêts des autres. En affirmant ses propres intérêts de classe indépendamment des "réalités" du capital, la classe ouvrière en Pologne mettait en cause l'existence de l'Etat capitaliste.
Mais ce que dit Solidarité aujourd'hui plus crûment n'est pas différent de ce qu'il disait dès sa création lors des accords de Gdansk :
- accepter la soumission au parti;
- augmenter la productivité pour réparer les dégâts de la grève ;
- lutter d'abord et avant tout non pour les revendications économiques, mais pour que la bourgeoisie "reconnaisse" et légalise 'Solidarité!
Un ouvrier bâillonné qui se consacre avec ardeur à son travail pour mieux servir sa patrie en défilant docilement après ses heures de travail, et donne jusqu’à la dernière goutte de sa sueur et de son sang pour défendre l'intérêt national dans la joie du service accompli. N'est-ce pas là le rêve de toute bourgeoisie ?
Transformer la puissance des ouvriers polonais unis par la lutte en une somme d'esclaves rampant aux pieds de la bourgeoisie, tel est le sens des efforts de Solidarité. Tel est le sens des efforts de tous les syndicats du monde.
G.N.