Le prolétariat en Pologne paie le prix de son isolement

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  • "Dans les affrontements, ils n'ont pas fait preuve d'une très grande détermination. Tout cela à cause de la peur." (Un dirigeant de Solidarnosc, cité dans ''Libération" du 7.9.82)

La peur n'avait pas paralysé les ouvriers en Pologne en 70, lorsqu'ils ont répondu à une répression qui avait fait des centaines de morts, par un mouvement de grève dans tout le pays.

La peur ne les avait pas paralysés ai 76 lorsqu'ils ont repris la lutte contre un Etat ultra-répressif, qui avait tenté de les décimer en allant les traquer un par un dans leur maison, après les grèves de 70.

La peur ne les avait pas paralysés en 80, lorsqu'ils ont affirmé leur force, unis et organisés, face à un Etat qu'ils ont ébranlé.

Leur problème aujourd’hui n'est toujours pas la peur, c’est de ne pas savoir où ils vont. Les derniers affrontements d'août 82 l'ont encore montré.

Ils ont montré que la bourgeoisie ne réussit pas 'à briser complétement la classe ouvrière en Pologne (ni à réprimer et tuer massivement) et qu'elle doit encore multiplier ses efforts centre cette zone d'"instabilité" ; les ouvriers manifestent encore, malgré la répression et les embrouilles de Solidarnosc, une combativité, une résistance aux conditions qui leur sont faites. j Mais ils ont montré aussi que les ouvriers en Pologne ne parviennent pas à trouver leur force d'août 80.

Leur résistance se heurte au mur de leur isolement et, de ce fait, se laisse prendre aux filets tendus par Solidarnosc.

Mais une fois que l'en a salué le courage et la détermination des ouvriers, et cela, malgré le déploiement de force qu'ils avaient face à eux, il faut savoir tirer un bilan sans complaisance de ces derniers événements.

Peuvent-ils représenter un espoir pour les ouvriers en Pologne de renverser la vapeur ? Ou mieux sont-ils 1!amorce d'une reprise d'un mouvement plus ample ?

Même une analyse superficielle et immédiate donne malheureusement une réponse négative à ces questions. Car au-delà des morts, des blessés et des centaines d’arrestations, les émeutes du 31 août ont montré avant tout que la bourgeoisie tient fondamental oient la situation bien en main, que ce soit à travers ses forces de répression ou à travers Solidarnosc.

Dans les grandes concentrations ouvrières, comme à Gdansk ou Varsovie, la majorité des ouvriers s'est retrouvée dans les usines, encadrés par Solidarnosc qui avait pris les devants en créant et contrôlant les comités de grève.

Quant aux autres ouvriers, notamment dans des villes carme Lubin, ils n'ont pu défouler leur colère que dans la

rue, dispersés, isolés, noyés dans diverses manifestations ''populaires", et donc livrés désarmés aux "Zemos".

Une analyse un peu plus large et plus profonde, notamment en se penchant sur la période qui a précédé le 31 août nous montre qu'il pouvait difficilement en être autrement.

En effet, la cause fondamentale qui se trouve à la base de la défaite subie par les ouvriers en décembre dernier : leur isolement par rapport à l'ensemble du prolétariat mondial, persiste encore aujourd'hui.

Elle permet à la bourgeoisie d'être en position de force face S: .une. fraction- de la classe qui n'a pas les moyens, toute seule, de riposter victorieusement. La bourgeoisie le sait, qui continue de développer des campagnes idéologiques (pacifisme, anti-terrorisme autour de la guerre des Malouines, autour de la guerre au Moyen-Orient...) de déboussolement de la classe ouvrière des pays industrialisés centraux, mis aussi de tirer profit de leur passivité momentanée,

C'est ainsi que depuis juillet et surtout pendant le mois d'août, la bourgeoisie s'est "préparée" à l'anniversaire des accords de Gdansk !

- le pouvoir militaire a déployé largement et méthodiquement ses forces de répression, mais en même temps, a multiplié des menaces et avertissements, qui dans le contexte polonais actuel, sont plus des manœuvres de provocation que d’intimidation.

Par ailleurs, en développant durant le tout le mois' une campagne violente contre les "terroristes" aventuriers, contre-révolutionnaires de Solidarnosc, ou mieux encore, came l'a fait Kazimierz Barcikowski -secrétaire du Comité Central du POUP- en affirmant que les appels aux manifestations "sont une étape pour les préparatifs d'une grève générale, celle-ci préparant à une insurrection armée dirigée contre le pouvoir", le gouvernement ne pouvait que pousser un peu plus les ouvriers dans les mailles du syndicat "libre".

  • Solidarnosc, de son côté, tirant toute sa force de mystifications de sa place dans l’opposition, qui plus est "clandestine", a pu faire monter la vapeur en préparant longuement et "organisant" les manifestations du 31 août.
    Il a reçu pour cala l'aide de l'Eglise et même du pouvoir ; il est remarquable de noter que les collectes d'argent pour la radio de Solidarnosc se sont faites quasiment ouvertement S Varsovie, et que ses émissions ont même été diffusées à deux reprises sur la longueur d'onde officielle de Radio-Varsovie.
  • La bourgeoisie mondiale n'a pas été de reste, que ce soit, la bourgeoisie de l'Est en exhortant la haine du système soviétique à travers des menaces à peine voilées d’interventions militaires et le soutien total à Jaruzelski; ou la bourgeoisie de l'Ouest, à travers notamment ses émissions radio (free Europe, Radio- Liberté, etc...) pour soutenir Solidarnosc, et la lutte "pour la démocratie"; même le gouvernement de Jaruzelski s'est évertué à leur donner plus de crédibilité aux yeux des ouvriers, en les accusant "d'incitation et popularisation des actes contraires au Droit ai vigueur en Pologne, diffamation des autorités polonaises, soutien de l'activité des groupes illégaux..."

Contre la classe ouvrière en lutte, la bourgeoisie mondiale a, une nouvelle fois, prouvé sa capacité à s’unir -au-delà de ses divisions de cliques, de nations et même de blocs. Mais, contrairement à août 80 où elle avait été surprise par le mouvement et obligée dans un premier temps de reculer avant de préparer et de mettre en place sa riposte, aujourd'hui, elle a pris les devants. Face à une fraction de la classe ouvrière qu'elle n'a pas réussi à abattre, elle a préparé et utilisé l'anniversaire d'août 80 pour lui porter un coup de plus. Il ne s'agit pas là d'une situation nouvelle mais de la poursuite de la même politique qui lui a permis de faire son coup de force de décembre 1981 et d'isoler la classe ouvrière en Pologne.

Pour cela, elle l'a entraînée sur son propre terrain. Sur ce plan-là, en effet, août 82 n'a à voir que de très loin avec août 80.

Aux luttes contre les conditions de misère, la bourgeoisie a substitué la lutte pour Solidarnosc.

Aux luttes contre la répression et l'emprise dictatoriale de l'Etat, la bourgeoisie a substitué la lutte pour la "démocratie" et la patrie polonaise.

A la force de la classe organisée et unie, elle a substitué la délégation de pouvoir aux syndicats.

Et les mètres ouvriers qui ont été capables de faire, en paralysant le pays la plus grande grève de masse que l'on ait connu depuis la vague révolutionnaire du début du siècle, sont ceux qui se sont retrouvés impuissants dans leurs usines ou dispersés dans des actions -défouloirs- minoritaires contre la machine de guerre de l'Etat bourgeois.

Si la bourgeoisie, malgré la chape de plomb qu'elle a abattue depuis le 13 décembre dernier, n'a pas réussi à imposer la peur dans la classe ouvrière, ni encore moins à étouffer sa combativité, elle a réussi néanmoins, à travers Solidarnosc à 1'atteindre dans sa conscience, et cela, en exploitant au maximum les illusions qui s'étalent révélées dans le mouvement dès septembre 80 : le syndicalisme, la "démocratie", et le nationalisme.

C'est le prix de leur isolement et de leurs illusions que paient aujourd'hui les ouvriers en Pologne. C'est cette situation qui permet à la bourgeoisie d'avoir l'initiative, d'amener les ouvriers sur son propre terrain, là où ils ne peuvent être que désarmés. C'est le sens des luttes de cet été, et ce n'est pas la détermination et la combativité des ouvriers, aussi importantes qu'elles soient qui doivent faine illusion.

En 1970, les ouvriers avaient conscience qu'il leur restait des pas à faire :

  • "Nous reprenons le travail, c'est au moins ce que nous savons encore faire de mieux, car nous ne savons pas encore faire grève." (Président du Comité de Grève de Szczecin).

En 1980, les ouvriers ont su organiser une grève de masse à l'échelle du pays. Ils ont mis en action la conscience tirée de 1970 et 1976, qu'une organisation plus étendue de la classe ouvrière était nécessaire pour lutter centre l'Etat.

En 1980, la classe ouvrière ne s'est pas jetée les mains nues contre les chars, Mais, elle a étendu sa puissance jusqu'à faire trembler tous les remparts de la société bourgeoise. C'est de cette force là que la classe ouvrière a besoin contre l'Etat, contre l'armée. L’affrontement ne suffit pas. Il faut avoir les moyens de le gagner.

Après 1980, ce qu'il faut comprendre, c'est que cette force ne doit pas seulement être vue à l'échelle nationale, mais à l’échelle internationale. C'est le dernier pas, le plus difficile !

Car il va de pair avec la conscience du sens de la bataille : un bouleversement total du monde et sa construction sur d'autres bases.

J. E.

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Pologne