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Quatre mois après le coup d'arrêt du 13 décembre dernier, la Pologne est à nouveau soumise â une effervescence sociale d'envergure. Après les manifestations anti-gouvernementales du 1er mai, le 3 mai a vu se multiplier les affrontements violents avec la milice dans la plupart des grandes villes du pays sans compter les nombreux débrayages dans les jours qui suivirent et qui ont culminé le 13 mai.
Tout anniversaire, commémoration, messe ou rassemblement quelconque est une opportunité pour les polonais pour exprimer leur colère contre la junte militaire au pouvoir.
Si, grâce à la contribution inestimable de Solidarnosc, la bourgeoisie a pu étouffer le mouvement d'août 80 et abattre sa répression en décembre 81, cela n'a ni suffi à démoraliser totalement les ouvriers ni encore moins à leur faire accepter "la défaite" et Jaruzelski cornue des fatalités. Au contraire, quatre mois d’Etat de guerre avec les milliers d'arrestations, d'internements, les contrôles permanents, le couvre-feu et les nombreux licenciements répressifs, sans parler de l'aggravation sans précédent des conditions de vie (augmentation des prix de 300 à 400%, chute vertigineuse des revenus réels) n’ont fait qu'attiser La haine contre ie régime en place et le système "soviétique”.
Et cette situation montre à l’évidence la difficulté de la bourgeoisie a écraser une quelconque fraction du prolétariat dans la période de reprise des luttes ouvrières que nous vivons depuis ly68.
Il en a été ainsi dans des pays carme l'Argentine ou le Chili où la répression militaire qui s'est abattue pendant des années sur les prolétaires n'a pas empêché la reprise des grèves.
C'est cette réalité qu'ont révélé les quinze premiers jours de mai, cela dans 1'ensemble de la Pologne.
Mais en même temps, ces quinze jours ont révélé ou plutôt confirmé une autre réalité : la capacité de Solidarnosc de dévoyer et d'encadrer le potentiel énorme de combativité que la répression n'a pas réussi à gommer.
C'est, en effet, sous le drapeau polonais avec sur la poitrine le badge de Solidarnosc que les ouvriers polonais ont exprimé leur colère. C'est en criant : "libérez Walesa ! Enfermez Jaruzelski !" qu'ils ont manifesté et se sont battus contre la milice.
Si le pouvoir n'a jamais été autant haï, par contre le syndicat Solidarnosc n'a jamais été autant populaire. Si les "communistes" et "les russes n'ont jamais été autant vomis, par contre, le patriotisme polonais ne s'est jamais aussi bien porté (les vieux mythes de la "résistance", du temps de la seconde guerre mondiale ont mène ressurgi : les occupants ne sont plus les allemands mais les "communistes").
Ce sont ces deux objectifs que poursuivait déjà la bourgeoisie polonaise avant le 13 décembre et qu'elle a continué de poursuivre depuis, car il est vital pour elle qu'elle puisse détourner le mécontentement général et la combativité de la classe ouvrière vers le terrain syndical et nationaliste, si elle ne peut les anéantir.
Pour cela, toutes ses fractions sont complices et sont mises â contribution â travers un partage des rôles :
- pour les autorités, la situation présente est la meilleure possible, car d'une part, elles imposent par la force leur politique économique, et d'autre part elles permettent une crédibilisa- tian maximum de Solidarnosc auprès de la population et des ouvriers en particulier en faisant des dirigeants arrêtés des "martyrs" et des clandestins, des "héros".
- pour Solidarnosc, sa mise hors-la-loi depuis le 13 décembre lui permet, en plus d'un impact grandissant sur la population |une situation plus confortable qu'avant dans la mesure où il n’est plus obligé de jouer ouvertement son rôle de saboteur des luttes ouvrières (grâce à sa détention, Walesa fait oublier aujourd'hui qu'il fut longtemps "le pompier volant" de la bourgeoisie et le principal supporter de Jaruzelski.
Cette situation lui permet de poursuivre son travail de dévoiement et de déboussolement :
- en polarisant l’essentiel des préoccupations des ouvriers sur le problème des internés (collectes de fonds et de biens, information sur la situation dans les camps, etc.),
- en organisant des actions symboliques contre l'état de guerre (bougies devant les fenêtres le 13 et le 17 de chaque mois, port de badges Solidarnosc, résistance passive, etc.,
- en produisant un maximum de publications “clandestines" de toutes sortes, (directives d'un bulletin clandestin de Solidarnosc de la région de Varsovie)
Le contrôle par Solidarnosc des manifestations et même des débordements violents du mois de mai 82, est le résultat de ce travail de sape. Même la fraction au pouvoir l'a bien compris, en ''tolérant" la manifestation du 1er mai et en répondant par une répression "prudente" à celle du 3 mai.
Mais si la bourgeoisie tient bien la situation aujourd'hui, elle sait qu'elle est loin d'avoir réglé tous les emblèmes sociaux, qu'elle n'a pas réussi à soumettre totalement, à écraser la classe ouvrière. "Le chômage et la misère risquent de provoquer des explosions non organisées". (Un dirigeant de Solidarnosc).
C'est pour cela que depuis les derniers événements, de nombreuses voix en son sein appellent â une résurgence (ou plutôt à une réapparition à la surface du syndicat Solidarnosc).
"Il faut taire revivre Solidarnosc canne organisation dynamique consolidée" déclare le même dirigeant avec inquiétude.
C'est pour cela que ces mêmes voix appellent à trouver une solution à plus long terme, à rechercher un "compromis" : "l'entente nationale est une condition sine qua non de la paix" (Kuron), elle est "1'unique possibilité pour sortir le pays de la crise".
Le but est clair aient avoué : il faut non seulement contrôler, ou mieux éviter les explosions sociales, irais encore plus attacher la classe ouvrière â la défense du capital national. Aujourd'hui, il faut la museler par les mystifications syndicale, démocratique, et nationaliste pour, demain espérer lui taire endosser clairement les intérêts de la bourgeoisie.
Les ouvriers polonais ont prouvé une fois de plus leur capacité à combattre. C'est cette combativité qui lait que, malgré la répression, la classe ouvrière n'est pas encore privée de toute forme de résistance, n'est pas totalement dispersée. Mais si la combativité à réussit à éviter 1'écrasement, elle ne suffit pas pour le développement de la lutte. Les ouvriers polonais ont aussi montré les limites d'un combat qui reste prisonnier des illusions sur la démocratie" et ne reconnaît pas suffisamment la nature de son ennemi le plus dangereux : Solidarnosc.
La leçon que le prolétariat mondial doit tirer de ces événements, c'est que la mobilisation générale et la combativité contre la bourgeoisie sont un pas nécessaire de la lutte mais un pas insuffisant.
Il lui faut de plus abandonner ses illusions, démasquer ses ennemis infiltrés en son sein (la gauche et. les syndicats et imposer sa propre perspective : la révolution prolétarienne.
Pour cela, les ouvriers polonais, corme ceux des pays capitalistes secondaires, qui rêvent encore de syndicalisme libre et de démocratie, sont incapables de faire, les premiers, ce pas supplémentaire.
Seul le prolétariat concentré et massif des grands pays industrialisés de l'occident, qui a derrière lui une longue expérience du syndicalisme "libre", de la "démocratie" et qui les affrontent quotidiennement peut ouvrir la voix et clarifier la perspective qui manque à la combativité ouvrière.
J.E