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“L'ordre règne à Varsovie !". Ce vieux mot d'ordre de la contre-révolution féodale est devenue depuis août 1980 celui de la contre-révolution bourgeoise. La terrible répression qui s'abat en ce moment sur le prolétariat de Pologne n’est pas le simple fait du dictateur Jaruzelski. C'est toute la bourgeoisie mondiale qui fait le coup et qui 1'a longuement préparé, mois après mois. Qu'elle délègue aujourd'hui aux flics et aux militaires polonais la tâche spécifique de faire régner la terreur, d'emprisonner et de tuer les prolétaires, ne doit pas faire oublier la contribution de tous ses autres secteurs, de l'Est et de l'Ouest, de droite et de gauche, à la répression anti-ouvrière.
Pour que la répression fût possible, il fallait d'abord que le prolétariat de Pologne ait été affaibli et isolé. Affaibli, il l’a été avant tout par les manœuvres de Solidarité (cf. l'article "Le syndicat Solidarité a préparé la répression", dans ce numéro). Mais ces manœuvres elles-mânes n'ont été possibles que par son isolement à l'échelle mondiale, tant dans le bloc de l'Est que dans le bloc de l'Ouest.
Et ce sont tous les secteurs de la bourgeoisie mondiale qui se sent partagé la besogne pour réaliser oet isolement et cet affaiblissaient et qui aujourd’hui poursuivent leur collaboration en vue de les maintenir.
LE PARTAGE DES TACHES AVANT LE 13 DECEMBRE
La bourgeoisie mondiale définit, dès août 80, les grands axes de ce qui sera sa stratégie face au surgissaient de la classe ouvrière. A l'Est, l'URSS agite â mots couverts la menace d'une intervention. A l'Ouest cm commencé à faire du bruit autour de cette menace et on “met en garde" l'URSS contre toute "aventure". Au niveau des forces de gauche occidentales et notamment des syndicats, on prend les dispositions pour jouer les "bonnes fées" autour du nouveau-né syndicat "indépendant".
Cette stratégie se développera pendant des mois jusqu'à aboutir aux conditions qui ont permis la répression présente.
LA CONTRIBUTION DU BLOC RUSSE
Dans cette stratégie, la place du bloc russe est évidement de premier ordre. C'est lui qui a la responsabilité directe de déchaîner la répression.
Il est clair que c'est tout le bloc qui agit en Pologne : l'armée polonaise n'est-elle pas me pièce rial tresse du Pacte de ... Varsovie.
Mais au-delà des considérations strictement militaires, il est également clair que la bourgeoisie russe, encore moins que les autres secteurs de la bourgeoisie mondiale, ne pouvait rester inactive face aux formidables luttes ouvrières qui prenaient place au cœur de son bloc, dans le 2ëme pays de celui-ci. Luttes ouvrières qui constituaient un formidable exemple pour le prolétariat d'URSS et des autres pays d’Europe de l'Est de plus en plus durement frappé par la crise économique mondiale du capitaliste.
Mais la contribution des pays du bloc de l'Est au rétablissement de l'ordre bourgeois en Pologne ne se limite pas à sa participation à la répression présente. Elle s'est manifestée mois après mois, de l'été 80 à décembre 81. Sa carte essentielle a été l'intimidation.
A travers des déclarations répétées sur la nécessité d'une "aide fraternelle à la classe ouvrière polonaise" et force manœuvres militaires tout autour de la Pologne, chaque fols que se développaient les grèves, l'URSS et ses alliés ont laissé entendre qu'ils étaient prêts à rééditer leurs opérations de 1956 en Hongrie et de 1968 en Tchécoslovaquie. Ces menaces d'une intervention "extérieure" ne correspondaient pas aux intentions véritables de la bourgeoisie comme le démontrent les événements d'aujourd'hui.
Leur fonction réelle était de faire tolérer par les ouvriers, comme "moindre mal" qu'il ne fallait pas "compromettre", une politique de plus en plus dure menée par les autorités nationales tant sur le plan de l'austérité que sur celui de la répression.
En fait, les vociférations venues de Moscou, Prague ou Berlin-Est, misaient sur le rationalisme qui pèse très lourd sur la conscience des ouvriers polonais. "Mieux vaut encore une oppression à la polonaise qu'une oppression à la russe", était le leitmotiv implicitement répété par le PGUP et explicitement agité par "Solidarité" pour démobiliser et démoraliser la classe ouvrière.
Les vociférations moscovites avaient encore une autre fonction : renforcer deux organistes fondamentaux de l'ordre capitaliste en Pologne, le parti et "Solidarité".
Ainsi, en juin 1981, c’est grâce à une lettre menaçante envoyée par le PCUS au POUP et qui attaquait nommément Kania, que celui-ci réussit à refaire autour de lui l'unité de son parti malmenée par la contestation et les "structures horizontales", le seul fait d'être attaqué par l'URSS avait fait de Kania un héros auprès de ses troupes.
De même, chaque fois que les deux principaux "pompiers volants" de "Solidarité", Walesa et Kuron, étaient mobilisés pour convaincre des grévistes de cesser leur lutte, ils étaient victimes d'attaques en règle dans les médias soviétiques. La constance avec laquelle l'URSS a dénoncé les éléments les plus "modérés" de "Solidarité" et non les éléments les plus radicaux tels Gwiazda et Rulewski en dit long sur le véritable motif de ces campagnes : redorer le blason de "Solidarité" et de ses dirigeants afin de les rendre plus aptes à saboter les luttes ouvrières.
Une autre fonction assumée par les menaces "d'intervention extérieurs" a été de détourner les yeux des prolétaires polonais du véritable danger qui les menaçait et qui s'est concrétisé le 13 décembre : la répression par les "forces de l'ordre" polonaises conduites par Jaruzelski, ce "libéral", ce "grand patriote", cet "honnête homme" , ce "partisan du dialogue" qui s'est toujours refusé à faire tirer sur les ouvriers", suivant les dires de Walesa.
Enfin, les menaces d'intervention ne visaient pas seulement à démobiliser les travailleurs de Pologne mais aussi ceux des autres pays d'Europe de l'Est. C'était d'autant plus nécessaire peur la bourgeoisie que, durant la même période, s'étaient manifestés les signes d'une certaine combativité en Tchécoslovaquie (Ostrava), en Allemagne de l'Est, en Roumanie (mineurs de la vallée de la Jiu) et même en URSS (Gorki et Togliattigrad en avril 80, Workuta en septembre 80).
Cette entreprise d'isolement du prolétariat de Pologne dans le bloc de l'Est n'était pas uniquement basée sur l'intimidation. Cette dernière s'accompagnait de toute une campagne chauvine tendant à développer l'idée que les grèves de Pologne étaient responsables des difficultés économiques qui se développaient dans les autres pays .Suivant la situation économique de chacun de ceux-ci, en a, soit présenté les ouvriers polonais carme des privilégiés et des paresseux qui n'avaient aucune raison de s'agiter, soit expliqué leur agitation oorrme résultant "d'erreurs" catastrophiques de la direction Gierek.
L'action combinée de toutes ces manœuvres ouvrait la voie à la répression d'aujourd'hui.
L'agence Tass elle-même ne croit pas si bien dire (17-12) :
- "Les ennemis du socialisme préparaient depuis de longs mois un bain de sang en Pologne".
Mais pour réussir cette action, elle avait besoin de la contribution essentielle de la bourgeoisie du bloc occidental.
LA CONTRIBUTION DU BLOC DE L'OUEST
La sollicitude dont ont fait preuve les grands pays d'Occident à l'égard de l'économie polonaise est bien connue. Elle ferait presque croire à un capitalisme généreux et philanthrope. Cette apparente générosité a une raison bien précise : il s'agit de prévenir l'effondrement complet de l'économie d'un pays qui connaît les luttes ouvrières les plus importantes de l'histoire mondiale de ces 50 dernières années.
La manœuvre est claire et a été encore confirmée au mois d'août 81 lorsque, à la suite des “marches de la faim", le gouvernent Mauroy a décidé d'urgence l'envoi d’une aide alimentaire complémentaire.
Mais l'enjeu va bien au-delà a une simple rentabilité économique ; il s'agit de tout faire pour éviter de nouvelles explosions sociales. C'est pour cela que les Etats, garants de l'ordre social, font pression sur les banques pour qu'elles “oublient" les critères de stricte rentabilité.
Ainsi, le bloc occidental complète le dispositif de maintien de l'ordre. Là où le bloc russe ne peut rien, compte tenu de sa faiblesse économique, l'Ouest vient à la rescousse. On se partage les tâches : à l'Est de brandir le bâton (de ce côté-là il est bien pourvu), à l'occident de fournir la carotte.
Mais leur collaboration ne s'est pas arrêtée là. Les pays de l’Ouest ont également participé pleinement à la campagne d'intimidation sur "l’intervention extérieure". Leur contribution était même indispensable : les menaces proférées par l'Agence Tass ou la Pravda avaient besoin d'être répercutées par la BBC ou "Radio Europe Libre" pour être prises au sérieux.
Si on examine 1'histoire de ces 16 derniers mois on constate que les mises en garde occidentales à l'URSS les plus véhémentes ont toujours coïncidé avec les moments de plus grande tension sociale. On constate également qu'elles s’accompagnaient d'appels au calme en direction des ouvriers de Pologne.
Ce ne sont pas seulement les gouvernements d’occident qui ont participé au maintien de l'ordre en Pologne. Les organisations syndicales ont été aussi mises amplement à contribution. Au saboteur des luttes "Solidarité", elles ont apporté un soutien actif :
- Sous forme matérielle : papier, matériel de bureau et d’impression, matériel audio-visuel. Pour sa propagande démobi1isatrice "Solidarité" avait besoin de toutes ces fournitures introuvables sur le marché. Il aurait été mal venu que les autorités polonaises ou les syndicats officiels du bloc de l’Est apportent une telle aide : cela aurait immédiatement déconsidéré le syndicat "indépendant" auprès des ouvriers.
- Sous forme politique : contrairement à ceux de l'Est qui sent ouvertement de simples auxiliaires des flics, les syndicats occidentaux ait une langue expérience de sabotage et de démobilisation des luttes sous couvert d'un langage radical ; cette expérience ils se sont faits un devoir de la transmettre à "Solidarité" (cf. l'article "le syndicat "Solidarité" a préparé la répression"). C’est à cela que correspondaient tous les voyages de Walesa, tous ses entretiens avec Edmond Maire et compagnie.
Mais la participation des syndicats occidentaux au maintien de l'ordre en Pologne, aux préparatifs de répression, ne s'est pas limitée à cela. C'est toute leur politique de sabotage des luttes ouvrières en occident-même qui contribuait à ces préparatifs. En effet, le rapport de forces global entre prolétariat et bourgeoisie, celui qui permet ou non à cette classe de déchaîner la répression contre tel ou tel secteur du prolétariat, est fondamentalement déterminé dans les plus grandes confrontations ouvrières. Or, celles-ci se trouvent essentiellement dans les pays d'occident. Les luttes ouvrières dans ces pays auraient aidé puissamment les ouvriers de Pologne à surmonter leurs illusions nationalistes, démocratiques et syndicalistes, à combattre le sentiment de leur isolement qui a été amplement exploité par "Solidarité" pour les démoraliser.
Le sabotage de ces luttes, la passivité dans laquelle est resté, de ce fait, le prolétariat d'occident malgré l'énorme aggravation de la crise, sent donc directement responsables des tragiques événements d'aujourd'hui. Et par une ironie de l'histoire, qui dévoile bien le cynisme de la bourgeoisie, l'entreprise de dànohi1isation des ouvriers d'occident a utilisé à fond, juste retour des choses, la popularité de "Solidarité" auprès d'eux. Lorsque Walesa, symbole bourgeois des grèves d'août 80, participait à un meeting d'Edmond Maire, il redorait le blason de la CFDT et facilitait sa tâche de saboteur des luttes. De même, toutes les campagnes tendant à présenter la conquête de "syndicats libres" carme l’objectif principal des ouvriers de Pologne contribuaient à la démobilisation des ouvriers de l'Ouest qui, eux, disposent déjà d'un tel syndicat.
Décidément, Jaruzelski et Brejnev doivent une fière chandelle à leurs complices d'occident, gouvernements et syndicats !
LA STRATEGIE BOURGEOISE APRES LE 13 DECEMBRE
La répression présente en Pologne est une étape importante du tir de barrage opposé par la bourgeoisie mondiale au surgissement historique du prolétariat qui a commencé en mai 68-
De même que sa préparation, sa portée dépasse de très loin le cadre des frontières polonaises.
La terreur ne s'adresse pas uniquement aux ouvriers de Pologne, même s'ils en sont aujourd'hui les victimes directes. C'est tout le prolétariat mondial qu'on cherche à intimider, à démoraliser, c'est évidemment sur les prolétaires d'Europe de l'Est et d'URSS que s’exerce le plus brutalement cette intimidation.
Mais la bourgeoisie vise plus loin. Si, pour le moment, une répression similaire à elle de Pologne n'est pas ressentie comme une menace par les ouvriers d'occident, il s’agit quand-même d’exploiter au maximum cette répression pour les démoraliser et les démobiliser.
En occident, la bourgeoisie mène un offensif tout azimut avec des thèmes et des arguments qui semblent se contredire.
Ainsi, au marient de l'annonce de l'état de siège, le ton général, au niveau des gouvernements, est à l'image des déclarations de l'ineffable Cheysson, "c'est une affaire strictement polonaise". On peut même voir des "atlantistes" bon teint exprimer leur "cornpréhension" :
- "Au point où son pays en était arrivé, le général Jaruzelski ne pouvait pas agir autrement qu'il ne l’a fait dans la nuit de samedi à dimanche. C'est le dernier pari de la Pologne indépendante". (Le Figaro du 14,12.81).
- “...on doit considérer que les mesures prises par le général Jaruzelski l'ont été pour restaurer l'ordre en Pologne, pour résoudre la grave crise économique... et afin d'éviter des conséquences plus catastrophiques... nous renia remarquons qu'il existe une volonté chez les autorités polonaises de continuer les réformes..." (K.D. Leister, secrétaire d'Etat à la Défense de R.F.A. le 14.12.81).
Avec ce type de déclarations, la bourgeoisie affirme clairement qu’il faut considérer comme "normales" des mesures de répression massive contre la classe ouvrière lorsque "la nation" est menacée. C’est un avertissement aux prolétaires...
Mais, avec l’intensification de la violence répressive face à la résistance des ouvriers de Pologne, il devenait dangereux pour la bourgeoisie occidentale de maintenir une telle attitude qui risquait de porter un coup grave à la mystification démocratique, un des piliers les plus importants de sa domination.
C'est la raison essentielle du changement progressif de ton du gouvernement français de mène que des autorités américaines.
Désormais, on assiste à une action combinée des gouvernements et des forces de gauche d'occident (à l'exception des partis staliniens les plus pro-russes comme le PCF et le PC portugais, évidement) sur le thème de la dénonciation de la répression et de la "suppression de libertés".
Un des axes de cette campagne est de présenter le coup de force de Jaruzelski corme le fait de 1'URSS seule, une nouvelle manifestation de la menace que fait peser cette puissance sur "la liberté et l'indépendance des peuples". Il s'agit d'alimenter tout le battage que fait le bloc occidental dans ses préparatifs idéologiques en vue d'une future boucherie impérialiste
L'autre axe consiste à dévoyer et canaliser dans des impasses la colère des prolétaires d'occident contre la répression bourgeoise, leur volonté d'exprimer une solidarité envers leurs frères de classe de Pologne. Ce sont les syndicats et la gauche qui se chargent de ce sale travail comme nous le mettons en évidence par ailleurs dans ce journal.
Le but ultime de cette manœuvre est de provoquer chez les prolétaires un sentiment d'impuissance face à la répression et de préparer ainsi les répressions futures.
Les événements de Pologne sont une dure leçon pour le prolétariat mondial. Ils montrent de quoi est capable la bourgeoisie quand sont menacés ses intérêts, quand est troublé l’ordre.
Mais pour que la classe ouvrière soit en mesure de mettre à profit cette leçon, de transformer sa défaite partielle d'aujourd'hui en prouesse de sa victoire future, il est nécessaire qu'elle prenne conscience de toute l'ampleur, de toutes les facettes du dispositif mondial de préservation de l'ordre bourgeois tel qu'on l'a vu se déployer à partir des combats d'aout 80.
F.M. (20.12.81)