ECOLOGIE, FÉMINISME, RÉGIONALISME... UN FREIN A LA LUTTE DE CLASSE

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Nous n'avons pas de chroniques régulières sur l'écologie, l’avortement, les minorités culturelles opprimées, etc... et certains lecteurs nous reprochent d'être des "économistes", de ne jamais parler des multiples facettes de l'exploitation et de l'oppression. Il n'est pas question pour nous, à l'instar des gauchistes, d'avoir chaque mois un article pour faire plaisir aux écologistes, un pour les féministes, un pour les régionalistes... Car, si elles ne sont pas ouvertement bourgeoises ou interclassistes, ces tendances sont des freins à la prise de conscience par les prolétaires de leurs intérêts historiques. Depuis quelques années, l’intelligentsia gauchiste et marginale fait beaucoup de bruit autour de ces mouvements. Les révolutionnaires se doivent donc de les dénoncer ; pour cela, il faut en voir le fond et la forme, le contenu et l'emballage. Commençons par le fond.

Le point commun de tous ces groupes est d'attaquer le système sur un point spécifique et de s'adresser à telle ou telle catégorie d'individus (habitants d'une région, femmes, usagers des transports, de la médecine, de la psychiatrie, consommateurs, pollués, etc...) Ils réduisent donc le capitalisme à une somme d'aspects reliés entre eux par on ne sait quelle logique et proposent de l'attaquer sur cet aspect particulier, deviennent des spécialistes et s'enferment dans une lutte stérile. Face à ces critiques sur son mode de fonctionnement, le capitalisme peut, soit rectifier le tir (par exemple sur le gaspillage des emballages plastiques dont la fabrication nécessitait d'importer plus de pétrole ou sur des moyens de répression idéologique dépassés comme pour l’avortement) et donc tirer tous les bénéfices de ces "réformettes". Ou alors, tout retour en arrière mettant en cause la survie même de son économie, il est dans l'impossibilité de céder -comme sur la politique de développement des centrales nucléaires-, et ce n'est pas une poignée d'écologistes, de marins ou d'agriculteurs qui peut le faire reculer. La bourgeoisie trouve même une justification à sa politique d'austérité et de réduction de la consommation avec les campagnes menées pour une croissance zéro (les écologistes doivent être tout à fait satisfaits : les cheminées ne fument plus car les usines sont fermées) contre les voitures ou contre la "société de consommation". Toutes ces manifestations de la domination totale du capitalisme dans le monde entier sont comme l'arbre qui cache la forêt ; et cette forêt, ce sont les rapports de production, base même du système. A la limite, le capital serait aussi prospère avec l'égalité des sexes (les femmes ministres ou PDG sont aussi efficaces que les hommes), avec des transports en commun plus rapides et confortables (les ouvriers seraient moins fatigués en entrant à l'usine le matin), avec un relais important du pouvoir au niveau de la région (il y a 50 Etats aux USA). Le capital est même capable d'instituer l'autogestion pour que les travailleurs produisent avec encore plus d'abnégation pour l'économie planifiée. Mais il est une chose que l'on ne peut toucher sans que le château de cartes ne s'écroule, c'est le fait qu'il y ait des producteurs n'ayant aucun moyen de contrôle sur leur vie, et d'autres qui vivent du travail des premiers, comme patrons ou hauts fonctionnaires de l'Etat. Peu importe les apparences, ce qui compte, c'est le maintien d'une société de classes. Cette société, seule la classe ouvrière peut l'abattre. Elle est au cœur du système dans les usines, les chantiers et les bureaux, elle y est concentrée, elle y voit la faillite d'un système décadent incapable d'améliorer ses conditions d'existence, c'est là qu'elle doit s'imprégner de la nécessité de renverser la base môme du système : le salariat. Et là, il n'est pas question de la diluer dans la masse invertébrée du "peuple", des citoyens, des usagers ; elle est seule, elle ne peut compter que sur elle-même, elle doit s'attaquer clairement à son ennemi central. Dès sa naissance, le capital a créé la force qui le détruira; en étant obligé de mettre des hommes derrière ses machines, il introduisait le ver dans la pomme.

Que font donc tous ces mouvements : ils tentent de sortir la classe ouvrière de son terrain de lutte, pour lui faire enfourcher des chevaux de bataille qui ne sont pas les siens. Ils reculent donc d'autant le moment où les camps en présence devront se livrer l'assaut final, l'un ayant épuisé toutes les mystifications et l'autre surmonté toutes les déviations menant à des impasses. Ils participent à ces mystifications de manière plus ou moins efficace, donc plus ou moins dangereuse.

Voyons comment : Ces groupes ont pris de la vigueur avec le début de la crise à la fin des années 60. Les premières manifestations de la crise ont été appelées "crise de civilisation", liée en grande partie au problème étudiant : mai 68 a montré à ces révoltés leur force, mais aussi la force de la classe ouvrière ; ainsi, un une partie d'entre eux a essayé, au niveau des mots, de concilier sa propre révolte avec les intérêts historiques du prolétariat, en adoptant un langage "de classe", "anticapitaliste". Le gros des forces provient des déçus de mai 68, ceux qui ont cru que c'était la Révolution et qui, ne voyant pas le prolétariat refaire mai 68 tous les six mois, en ont conclu qu'il était décidemment incapable de se libérer de ses aliénations. On assiste alors à un éparpillement politique et géographique en une multitude de petites sectes incapables de dépasser leurs intérêts de boutique. L'exemple le plus frappant est l'écologie : outre les petits groupes locaux, on a vu naître plusieurs groupes à vocation nationale, certains avec des positions identiques, le tout allant d'un pacifisme chrétien à un militantisme léniniste. Toutes ces tendances sont parfois antagonistes mais se retrouvent pour des alliances éphémères sur le point précis qui les a vu naître. De même, le mouvement régionaliste, qui va des anarchistes à l'extrême droite, en passant par des groupes léninistes, des groupes proches du PC ou du PS, ou même des groupes "apolitiques". Dans cet extrême morcellement, les groupes les plus dangereux sont les groupes les plus à gauche, car ils essaient d'entraîner et de se servir du prolétariat.

Pour mieux utiliser le prolétariat, il faut lui faire perdre son identité ; ces groupes sont des experts pour trouver un problème spécifique pour chacun: les femmes sont exploitées par les patrons bien sûr, mais aussi par une société mâle, les bretons et les occitans sont exploités par des patrons mais ce sont des patrons parisiens... Quand on a trouvé le problème qui n'est plus spécifiquement prolétarien, il faut trouver la catégorie sociale qui en souffre le plus, et donner une identité à cette somme d'individus disparates : les jeunes, au moment du journal "Tout", les homosexuels avec le FHAR ou l'IHR, les femmes avec le MLF, les basques ou les portoricains, les noirs aux USA avec le Black Power, les usagers de la psychiatrie, etc. Il ne reste plus qu'à relier avec des mots comme libération, classe ouvrière, capitalisme, et le tour est joué. Un trait significatif de ces groupes est l'obligation qu'ils ont, quand ils veulent se manifester au niveau régional ou national, de se mettre pieds et poings liés entre les mains des organisations gauchistes. Eux seuls possèdent les moyens nécessaires pour organiser une telle manifestation. Aubaine pour les gauchistes qui peuvent alors se livrer à leur sport favori : la pêche à la ligne.

La période de reconstruction a permis la naissance de ces mouvements. Le prolétariat alors pansait ses plaies de la .seconde guerre mondiale et profitait de la relative amélioration de ses conditions de vie. Devant ce vide, les théories subtitutionnistes à la lutte de classe se sont développées avec le même point commun : le combat principal n'est pas celui qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie. Depuis 1973, la crise du capitalisme, bien plus que des dizaines d'articles, a remis chacun à sa place. La marche sur Bugey ou la manifestation à vélo à Paris, qui avaient rassemblé des milliers de personnes, sont maintenant improbables. Les dernières manifestations publiques de toutes ces tendances se sont soldées par des échecs, L'utopie du développement éternel du capitalisme vole en éclats : avec la crise, le prolétariat ressurgit et les adversaires se montrent au grand jour, d'un côté, la bourgeoisie et ses oripeaux, de l'autre, la classe ouvrière seule avec ses mains et sa conscience II faut choisir entre le les deux camps en présence; pour notre part, ce choix est fait.

Ed. SELKIRK

Rubrique: 

Luttes parcellaires