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Nos lecteurs savent, qu'à égal écart du triomphalisme et du pessimisme, nous regardons sans complaisance l'état de force réel du mouvement révolutionnaire, à l'heure où la situation capitaliste requiert de sa part une intervention qualitativement accrue dans la classe ouvrière.
Dans cet examen des forces et faiblesses réelles, le moins préoccupant n'est pas de constater, parmi nos rangs, sinon de nous-mêmes, CCI, l'existence d'aberrations plus graves encore que le sectarisme et qui ne se jugent même pas d'abord au plan politique, mais à celui de l'infantilisme de groupe et de la pathologie collective.
Telles sont, par exemple, la mythomanie et le bluff érigés en pratiques militantes d'un groupe comme le GCI -groupuscule à la puissance deux au sein d'un mouvement révolutionnaire lui-même tout petit- qui croit sans doute pouvoir relativiser le poids de ses responsabilités propres du fait de 1'état des choses.
De quoi parlons-nous concrètement ?
Le 10 mai courant, à l'occasion de la manifestation de la CFDT et de certains gauchistes "contre" la Loi Bonnet-Stoléru, un collectif émettait à Paris un tract intitulé : "Egalité des droits ou unité de classe". Ce tract dénonçait la mystification des "droits démocratiques" et accusait la manœuvre de dévoiement syndicalo-gauchiste; il appelait enfin à l'unité de classe véritable entre travailleurs français, immigrés, chômeurs et actifs.
Des travailleurs, réfléchissant à ces questions, ont pu, touchés par les distributeurs du tract, l'estimer extrêmement intéressant et indéniablement révolutionnaire, par son contenu autant que par 1'intention d'intervention même qui l'a motivé. Certains d'eux, peut-être, ont pu même par la suite éprouver le besoin d'entrer en contact avec ses responsables, dont les noms, très officiels d’apparence, clinquants en plus, s'étagent au bas du tract : Unité Prolétarienne, Comité des Hospitaliers en lutte, Comité d’intérim, GCI et Groupe Karl Liebknecht. Or, à part celle du Comité d'intérim, aucune adresse de contact !
Simple oubli des signataires, manque de réflexe militant, étourderie de second plan ? A la vérité, les quelques personnes qui auront pu, au-delà du handicap de départ, s'entêter à poursuivre leur idée de contact, seront, le cas du Comité d'intérim mis à part, peut-être, tombés sur du vent : les groupes "Karl Liebknecht" et "Unité Prolétarienne", inédits le 9 mai se sont évanouis le 11 dans la nature. Ou plutôt : derrière eux (et même les deux comités), ces personnes supposées -des membres du CCI par exemple- ont pu avoir la surprise de retrouver sous des casquettes différentes, les mêmes quelques militants du GCI en France.
Qu'est-ce que signifie ce tour de passe-passe, ce jeu de travestissement et d'escamotage de la réalité?
A quelle idée politique douteuse correspond-il ? C'est assurément au GCI qu'il faut le demander d'abord.
Pour notre part, nous avons été amenés à connaître d'assez près les méthodes du GCI, dans le cadre hospitalier, à travers ses membres ou ses sympathisants directs. Sous le prétexte d'opérer l’"alliance de la théorie et de la pratique" dans le creuset de la lutte vive, les militants du GCI et affiliés, fixent autour d'eux quelques éléments ouvriers plus combatifs peut-être, de leur propre milieu professionnel, et, suivant qu'on parle des nécessités de la lutte immédiate ou qu'on discute de la question syndicale à un niveau plus politique et général, on s’organise" occasionnellement avec ces éléments pour faire ici : un "comité de lutte", là un "groupe Karl-Liebknecht" (noyau politique ou cercle de discussion, on ne sait trop, ni le GCI sans doute !).
Et voilà comment, à notre avis, le GCI à partir de trois ou quatre personnes, parvient à faire cinq groupes. Ni vu, ni connu, je t'embrouille, et conseil pratique aux autres candidats mégalomanes ! La classe ouvrière là-dedans, quelle importance !
Nous faisons confiance au GCI pour argumenter politiquement ses attitudes, lui dont les membres ont quitté le CCI, il y a deux ans, entre autres raisons à propos de cela. Ils le feront, peut-être, et nous aurons alors l'occasion de discuter plus sur le fond. Mais soyons sérieux, dans cette affaire de groupe "Karl-Liebknecht" et autres, il ne s'agit pas de politique en premier lieu. Les révolutionnaires ne sont pas en accord mais ils peuvent -et doivent- discuter sur : comment intervenir auprès de la classe ouvrière; sur le fait de savoir qu'un militant politique est aussi, en tant que travailleur, élément direct de la lutte ouvrière; sur la question de la réalité de "noyaux ouvriers", qui peuvent en effet surgir spontanément de la lutte et se faire d'eux-mêmes et de leur rôle une idée plus ou moins fausse ou vraie. Nous pouvons discuter là-dessus, outre avec ces "noyaux" eux-mêmes quand ils existent vraiment, avec le GCI aussi bien qu'avec le PIC ou Battaglia Comunista, ces derniers, malgré toutes leurs confusions, montrant, à la limite, un plus grand sérieux que le GCI.
Mais là, en faisant exister des groupes sur le seul papier à tract, on pourrait taxer le GCI d'esbroufe, voir d'escroquerie politique. A ce niveau de quoi discuter...? Mais peut-être ne s'est-il agi pour le GCI que de se soulager de cette angoisse que parfois éprouvent les révolutionnaires devant leur isolement prolongé face à l'ensemble de la classe ouvrière ? Le GCI aurait voulu se sentir moins seul. L'essentiel est de dire que, si les révolutionnaires peuvent se bluffer eux-mêmes, leur propre fantasme peut contribuer à semer les illusions et les mystifications en dehors d'eux. L'exemple du tract démontre que les révolutionnaires peuvent avoir des positions ponctuellement justes à côté d'attitudes inconséquentes.
Ramenons toutefois les choses à leurs justes proportions. Aujourd'hui, l'impact des révolutionnaires dans leur classe est encore trop infime pour que des aberrations comme celles du GCI aient des conséquences profondes, sinon à dégoûter les quelques ouvriers qu'ils touchent. Mais dans une perspective qui va conduire les révolutionnaires à développer leur rôle politique, il n’est pas possible que ceux-ci ne cherchent à se décharger des lourdes tares infantiles que la longue période de contre-révolution continue à faire peser sur eux, et qui auraient demain des incidences catastrophiques.
Il importe, en tout cas, qu'un tel fantasme volontariste, n'entrave pas le chemin réel du développement de la lutte et de la conscience de classe. Il revient en toute première instance à la classe ouvrière elle-même, par le cours pratique de sa lutte et en fonction de ses vrais besoins politiques de condamner impitoyablement les bluffs "révolutionnaires"; de rejeter sur la touche ceux des communistes qui, tout en offrant leurs services de direction, sont inaptes, ainsi que le GCI l'a montré lors de la Troisième Conférence Internationale, à comprendre, un tant soit peu, ce que sont les responsabilités de militants de la classe ouvrière. Qui plus est à l'heure, répétons-le : très grave, où la situation capitaliste les commande impérativement aux révolutionnaires.