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EN AUCUN CAS, ON NE PEUT JUGER LES GENS D'APRES CE QU'ILS DISENT D'EUX- MÈMBS ET CE QU'ILS DISENT FAIRE, PAIR SUR CE QU'ILS FONT PRATIQUEMENT.
CE QUE DIT LE SYNDICAT
- "Pour dire les choses comme elles sont, nous avions le sentiment depuis deux bons mois que le pouvoir était, d’une certaine façon, dépassé par les événements, et qu'il fallait que le syndicat, fort du soutien populaire dont il bénéficie, prenne en compte la réalité des difficultés économiques et en explique les conséquences. Le mouvement revendicatif qui s'est développé depuis l'été... a pris dans ces conditions une ampleur qui aurait pu largement dépasser le cadre des accords de Gdansk et qui pouvait laisser penser au pouvoir que la crise prenait une dimension autre que sociale. En dehors même de cet aspect inquiétant du problème, les augmentations de salaires ne pouvaient être - l'économie ne disposant d'aucune réserve- qu'illusoires. Ces deux considérations ont poussé le syndicat à prendre une décision en partie contradictoire avec sa raison d'être : ARRETER TOUTES LES ACTIONS REVENDICATIVES ET CHERCHER A ETABLIR UN PROGRAMME SOCIAL QUI PRENNE EN COMPTE LES DONNEES DE LA CRISE ECONOMIQUE. C'est dans cette phase que nous sommes entrés depuis la mi-novembre déjà.- (Extrait de l'entretien avec un expert-conseiller de "Solidarité", publié dans “Le Monde" du 17-12-80).
Mais le discours de “Solidarité", si crû soit-il aujourd'hui; ne serait plus opérant s'il ne parvenait pas à travestir encore la réalité. Et ce qu'il cache est ceci : une telle activité n'est pas une phase "momentanée" que traverserait le syndicat depuis "la mi-novembre". Cette activité n'est nullement "en partie contradictoire avec sa raison d'être". ELLE EST SA RAISON D’ETRE. Depuis ses débuts, l'attitude du syndicat n'a pas varié. Elle a toujours constitué un barrage directement élevé contre les luttes ouvrières.
Ainsi, c'est à travers son attitude dans le déroulement même des luttes ouvrières que Ton peut juger de l'activité du nouvel appareil syndical "Solidarité".
CE QU’IL FAIT
Rappelons les faits : dans ses luttes en juillet-août, â partir de revendications alimentaires face à la pénurie, la classe ouvrière a été rapidement amenée à s'organiser de manière autonome en assemblées générales souveraines, nommant et contrôlant de façon permanente, les membres révocables des comités de grève aux délibérations publiques par voie de hauts parleurs et organes exécutifs des décisions de l'assemblée.
Une des revendications majeures mises en avant dans les assemblées était la dissolution du carcan que constituaient les syndicats officiels, ces milices de l'Etat dans les usines, dont la tâche dominante était la surveillance des quotas de production des ouvriers.
A l'intérieur du mouvement et des MKS s'exprimaient des positions diverses comme celle des militants de l'opposition pro-occidentale du KOR et aussi celle des partisans d'un "syndicalisme libre". Cette dernière idée a connu un rapide succès d'audience dans les assemblées, car ce que voyaient les ouvriers dans le "syndicalisme libre" n'était pas une activité syndicale dont ils n'avaient que faire dans l'épanouissement de leur lutte, mais la proclamation de liberté â l'égard du pouvoir. C'est dans ces conditions que les Walesa et consorts sont parvenus à placer comme première revendication la constitution de "nouveaux syndicats libres et indépendants". Mais en acceptant le principe de nouveaux syndicats, les ouvriers laissaient se créer une brèche qui signifiait l'acceptation d'une délégation de pouvoir â une minorité agissante, la création d'une structure hiérarchisée qui les privait de leur force essentielle. De publique, la négociation entre le MKS et l'Etat qui aboutit aux accords de Gdansk de fin août devint secrète et échappa au contrôle de l’assemblée générale pour devenir une affaire de "spécialistes de la conciliation." Ces "spécialistes", â l'image de Wales., sont passés rapidement d'un langage combatif tant qu'existait la pression directe et le contrôle de l'assemblée générale â des discours de plus en plus "responsables".
Tandis que le syndicat "libre" se constituait et ouvrait les portes de son siège à 5km du Chantier Lénine de Gdansk, début septembre, il obtint la reprise du travail avec, à la clé, un accroissement de la productivité "pour réparer le mal causé par la grève",dans une ambiance houleuse et malgré l'hostilité manifestée par plus d'un tiers des ouvriers. L'appareil syndical se structure avec des permanents dont les appointements sont fixés environ â 1/3 au-dessus du salaire moyen des ouvriers, des "experts-conseillers" syndicaux s'implantent dans les usines. En 3 mois, "Solidarité" aura absorbé officiellement plus de 60% des cadres du parti et de l'effectif des structures syndicales traditionnelles.
Dès le mois de septembre, les nouveaux dirigeants syndicaux s'opposent directement aux grèves et â leur extension. Les discours définissent déjà clairement le rôle que ces syndicats entendent jouer. Un des experts-conseillers déclare dans un entretien au "Matin de Paris" :"Il va falloir que nous nous appliquions à redonner des forces à ce gouvernement sinon à lui fournir un programme pour éviter qu'il ne s'effondre."(19-09-30)
Ils se placent déjà résolument du point de vue de la défense de l'économie nationale et de la patrie, tandis que vis-à-vis des ouvriers, ils réclament la délégation de pouvoir : les structures syndicales arrachent peu à peu le contrôle aux assemblées générales, sans toutefois parvenir à les empêcher. Durant tout le mois de septembre, les grèves revendicatives se multiplient, s'étendent aux mines de Silésie, aux centres textiles de la région de Lodz, à Varsovie et sa région, à celle de Cracovie, se généralisant à tous les secteurs jusqu’aux employés des ministères et aux ouvriers agricoles.
Tandis que les nouveaux syndicats s'offrent comme organes négociateurs avec les autorités, usine par usine, secteur par secteur, ville par ville, et que, substituant au contenu matériel des revendications le problème de la reconnaissance locale du syndicat, ils parviennent tant bien que mal à faire reprendre le travail, une fois les luttes isolées, sous de vagues promesses d'augmentations salariales, les ouvriers se battent pour conserver leur pouvoir collectif et s'orientent de plus en plus résolument vers une remise en cause générale du pouvoir d'Etat : les cheminots de Varsovie, les postiers, les hospitaliers de Gdansk qui occupent la préfecture, les ouvriers des sucreries qui, en opposition directe avec la direction syndicale, occupent une maison de la culture près de Gdansk.
Des mines de Silésie à Radom, les dirigeants de "Solidarité" parcourent en tous sens le pays pour lancer des appels au calme, et souvent, conspués, parviennent difficilement à éteindre les conflits et à faire reprendre le travail. Comme le note l'envoyé spécial du "Monde", l'autorité morale de Walesa1 qui, de "prestigieux Robin des Bois, tend â devenir pompier volant" s'affaiblit notablement -tandis que les rencontres-surprise des chefs syndicaux avec le vice-premier ministre Jagielski ou avec le ministre de la Justice se multiplient "dans une ambiance de cordialité". L'adhésion au nouveau syndicat fait l'objet d'un battage intense. Syndicats et gouvernements tentent de polariser l'attention générale autour de l'enregistrement des statuts du syndicat et tentent de dévoyer les luttes sur le terrain légal et juridique. Mais pas plus la question légale que la constitution de l'appareil syndical ne sont le problème réel des ouvriers, eux dont la réponse aux appels du parti, de Gierek à Kania, était : "Leurs discours, on les connaît". Ce qu'ils refusent, c'est la soumission à l'autorité de l'Etat, c'est de reconnaître "le rôle dirigeant du parti sur l'ensemble de la vie sociale". Face aux compromis syndicaux, ils menacent même de repartir en grève à Gdansk, et de reconstituer un MKS. L'impression générale jamais démentie est:"le gouvernement se moque de nous." La question
des statuts est largement débordée et l'opposition à l'Etat, polarisée par exemple par l'arrestation d'un syndicaliste coupable de recel de documents confidentiels d'Etat sur les manœuvres répressives se traduit par toute une remise en question de ses organes institués : la justice, la police, l'armée, les cadres locaux du pouvoir comme à Czestochowa, à Bielsko-eiala, près de la frontière tchécoslovaque ou â Olsztyn. Devant cette menace de mobilisation générale, les syndicats s'affolent et multiplient les démarches secrètes auprès du gouvernement.
A plusieurs reprises (24 octobre, 10 novembre, 27 novembre) des compromis sont trouvés in extrémis. Les dirigeants de "Solidarité“ sont contraints d'intensifier leurs appels au calme au nom de "l'intérêt national et de la patrie" : "Nous sommes prêts à participer à l'alliance de la sagesse, de la pondération et de la responsabilité nationale.'1, "Il faut s'abstenir de nouvelles revendications tant que le gouvernement n'aura pas formulé un programme réaliste et cohérent. Cette attitude est motivée par la nécessité de permettre la stabilisation de l'économie." Derrière ce respect des limites économiques qu'ils mettent sans cesse en avant, il y a une des pires illusions : que les ouvriers auraient une part à prendre dans la gestion de l'économie nationale, où l'exploité lutterait sans remettre en cause son exploitation, ni la patrie, ni la religion, ni aucune institution alors que dans la réalité les ouvriers sont contraints de remettre en cause le fonctionnement global de l'Etat et de l'ensemble de la société.
CE QUE CELA SIGNIFIE
Dès la fin du plénum du Comité Central , face à la menace d'une intervention russe, "Solidarité" prône ouvertement l'union nationale :
- "Notre pays a besoin de calme et ceux qui soulèvent la panique servent mal la Pologne où il y va de l'intérêt suprême : le sort de la nation", "notre patrie a besoin de la coopération de tous les polonais et nous nous opposerons à toutes les tentatives contraires à cette coopération." L'intégration totale du "syndicat libre" au corps de l'Etat ne saurait être plus clairement démontrée. Ces appels, ces mises en garde SONT le point de vue de l'Etat. Il n'y a pas de conciliation possible : tout ce qui se fait "au sein de l'intérêt de la nation et de la patrie", s'effectue sur le dos de la classe ouvrière, toute délégation de pouvoir sans contrôle à un appareil devient institution d'Etat.
Aujourd'hui, la lutte des ouvriers polonais fait trembler la bourgeoisie russe elle-même, contrainte d'entreprendre un ravalement grossier de son appareil d'encadrement â travers une campagne "pour la moralisation des syndicats" face au risque de contagion; aujourd'hui où les ouvriers en Pologne sont devant la nécessité vitale de trouver une extension du mouvement au-delà de leurs frontières, ils trouvent devant eux un Walesa qui tente de leur masquer la portée internationale de leur lutte, qui leur parle de “sauver la nation” et leur déclare comme lors de l'inauguration du monument commémorant les massacres de la Baltique en décembre 70 : "on n'a pas le droit d'entreprendre quoi que ce soit pouvant nuire aux intérêts de la patrie".
La vie de la classe ouvrière, c'est le terrain international de ses luttes, et c'est le contrôle de ses organes de lutte. Il n'y a que deux points de vue possibles dans cette société : national ou international, celui du pouvoir d'Etat ou celui du pouvoir des ouvriers. Partout, quel que ce soit le degré d'illusions qu'il est capable de semer, l'appareil syndical est contraint d'exercer la même fonction aussi bien dans l'Etat que vis-à-vis du prolétariat. Quelle que soit l'image qu'ils puissent offrir -ce n'est pas parce que les dirigeants d'un syndicat "libre" comme le SMOT en URSS, aujourd'hui, sont pourchassés et persécutés, font figure de victimes que le "syndicalisme libre" pourrait prendre en URSS une orientation différente de celle de la Pologne, qu'il adopte un langage radical pour mieux contenir la pression ouvrière ou qu'il prône ouvertement "les sacrifices nécessaires pour les travailleurs face aux réalités de l'économie nationale", tout syndicat met en œuvre toujours et partout la même pratique qui s'oppose directement -en cela un Walesa n'est pas différent d'un Séguy ou d'un Maire- non seulement eux intérêts mais aux pratiques mêmes de la classe ouvrière en lutte.
A Test comme à l’ouest, toute forme syndicale ne peut jamais correspondre à l'expression du mouvement ouvrier, mais toujours au besoin de la classe bourgeoise de freiner ce mouvement qui la menace.
Y.D.