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Iran, Brésil, Pologne, autant de pays où les contradictions inextricables dans lesquelles s'enfonce le capitalisme décadent ont donné lieu au développement de l'agitation sociale et en particulier à des explosions ouvrières parmi les plus importantes de la période actuelle. Autant de pays aussi où le rôle de l'Eglise semble être -ou avoir été à un moment donné- sur le devant de la scène, offrant ainsi l'occasion aux médias de recouvrir du voile pudique de la "question religieuse" la trop présente réalité sociale. Au-delà de ce camouflage dont se satisfait certes l'explication bourgeoise du monde, le poids que conservent les fractions religieuses dans ces pays, et le rôle qu'elles sont appelées à y jouer n'est pas complètement étranger à la situation sociale qui s'y développe. La contribution de la religion dans une telle situation se résumé à la capacité de cette subsistance féodale à constituer, pour une bourgeoisie moribonde, un rempart à la lutte de classe.
Avant même qu'on ait entendu parler de l'existence d'une "opposition démocratique" en Pologne, quelle autre fraction que l'Eglise pouvait prétendre être suffisamment implantée dans la classe ouvrière pour, sinon l'endormir, du moins la contrôler du mieux possible ? Parés de l'auréole des opprimés du stalinisme, les évêques se sont fait les premiers -dès 1956- les porteurs de la contestation démocratique vis-à-vis de l'Etat totalitaire et du parti unique. Dans le mouvement de grèves de 80, on les voit se présenter comme le soutien moral des grévistes, protester le plus énergiquement contre les conditions de vie ouvrière, pour mieux lancer des appels "au calme, à l'esprit mutuel, à la prudence, à la responsabilité et à l'esprit de vérité" , pour mieux rappeler que "l'abandon prolongé du travail, d'éventuelles émeutes ou des effusions de sang sont contraires à l'intérêt de la nation". Au sein des organes chargés des négociations, les intellectuels catholiques, aux côtés de ceux du KOR et autres oppositionnels se font les colporteurs des illusions démocratiques, syndicalistes et nationalistes.
Au Brésil, le Pape débarque en personne dans les bidonvilles pour apporter son soutien à l'opposition syndicale et pour déclarer, au nom de “l’Eglise des pauvres", que "la société sans classe est une utopie basée sur la haine et la destruction". Plus radicaux, les "curés progressistes" ouvrent grand leurs églises à la lutte de classe pour mieux l'y enfermer, transforment en messes les assemblées ouvrières, se partagent avec les leaders syndicaux, tel le fameux "Lula", le contrôle des luttes ouvrières et la tâche d'enfermer celles-ci dans les illusoires réformes sociales et démocratiques.
En Iran, ce sont encore les religieux qui se chargent de canaliser une révolte qui mettait en mouvement pratiquement l'ensemble de la population. L'absence ou l'extrême faiblesse d'une opposition politique de gauche laissait les fractions religieuses comme seule capables d'offrir à l'agitation sociale l'illusion d'une alternative nationale à la dictature du Shah contre l'impérialisme américain.
La force de la religion dans tous ces pays traduit la situation qui prévaut dans les pays les moins développés du globe, là où les subsistances précapitalistes se mêlent aux caractéristiques les plus poussées du capitalisme décadent. Le poids des couches paysannes, terrain même de développement de la religion, y imprègne l'ensemble de la vie sociale, en même temps que la survie de la nation impose le développement à outrance du totalitarisme de l'Etat.
Dans ce cadre, ce n'est pas un hasard si le développement des fractions religieuses se fait, parmi tous ces pays, dans ceux où la poussée de la lutte de classe impose à la bourgeoisie de chercher à occuper tout le terrain social, alors que l'Etat totalitaire ne peut aucunement semer l'illusion d'un possible partage du pouvoir. L'Iran impérial, comme le Brésil militaire ou la Pologne stalinienne n'échappent pas à la règle qui prévaut pour toutes les bourgeoisies du monde face à la reprise internationale de la lutte de classes : le besoin impérieux de sécréter, dans l'opposition, des forces capables de contrôler l'ensemble de la société et la classe ouvrière en particulier. Tel est le sens du rejet dans une opposition plus "radicale" des fractions de gauche et syndicales de la bourgeoisie dans les pays développés à tradition "démocratique". Qu'ailleurs ce soit à la religion que ce rôle soit dévolu n'exprime pas tant la force de la mystification religieuse que la faiblesse d'une bourgeoisie incapable de développer réellement en son sein une "gauche" qui puisse apparaître comme la représentante historique de la lutte ouvrière, à l'image des partis et syndicats sociaux-démocrates ou staliniens.
Le moins qu'on puisse dire est que les limites de l'encadrement religieux se font rapidement sentir dès que le mécontentement social tend à prendre la forme de véritables explosions ouvrières. A ceux qui n'ont voulu voir dans les grèves en Pologne que des ouvriers à genoux, il suffit de rappeler que les appels au calme répétés de l'Eglise se sont heurtés à l'indifférence croissante d’un mouvement qui prenait conscience de sa propre force et pour qui la religion était peut-être beaucoup, mais certainement pas une voie pour la lutte.
Avant cela, l'exemple de l'Iran a montré que si les ayatollahs pouvaient s'appuyer sur la colère populaire, ils étaient par contre largement débordés par la combativité ouvrière que l'arrivée au pouvoir de Khomeiny ne parvint pas à enrayer. Aujourd'hui, la situation intérieure iranienne, même marquée par un recul des luttes ouvrières, est bien la preuve des limites du rôle politique que peut jouer la religion : sur le terrain de 1'encadrement de la classe ouvrière, elle a dû laisser la place à une opposition stalinienne, plus capable aujourd'hui d'entraîner les ouvriers derrière la défense de la nation dans la guerre avec l'Irak.
En tant que fraction de gouvernement, les ayatollahs ne sont guère plus reluisants, et la pression américaine, entre autres, est là pour imposer leur remplacement à la tête de l'Etat par des fractions plus cohérentes de la bourgeoisie autour de Bani Sadr.
Quant au Brésil, si l‘Eglise semble parvenir à réaliser un encadrement relativement efficace, vu le caractère explosif de la situation sociale, cela est dû essentiellement à la collusion étroite qui se fait dans ce pays entre l'Eglise et les syndicats : c'est bien plus comme promoteurs du syndicalisme que de la parole de Dieu, que les "curés de base" parviennent à assurer tant bien que mal le contrôle sur la combativité ouvrière.
L'OPIUM DU PEUPLE
"La misère religieuse est en même temps l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d'un monde sans cœur, de même qu’elle est l'esprit d'un monde sans esprit. Elle est l'opium du peuple." disait Marx, décrivant clairement la fonction de la religion : une protestation contre la réalité, opposant à celle-ci la "consolation" que peut donner l'idée qu'il n'existe aucune alternative, sinon en dehors de cette réalité.
Aujourd'hui que la réalité de la misère se fait de plus en plus sombre, la bourgeoisie ne manque pas de continuer de faire appel à cette fonction séculaire de la religion. Ne choisit-on pas un Pape polonais, élevé au rang de star internationale, pour porter devant les peuples la bonne parole cartésienne : celle de la campagne pour les "droits de l'homme" et pour la guerre.
Mais l'effondrement du capitalisme, avec son cortège de misère, porte aussi avec lui celui de toutes les idéologies sur lesquelles peut s'appuyer la bourgeoisie; la consolation du ciel, si profondément implantée soit-elle dans la conscience des exploités, est bien impuissante à barrer la route au réveil d'une classe entière qui se dresse contre l'exploitation. On l'a vu, la religion doit, elle aussi, radicaliser son langage, "reconnaître la lutte de classes", si elle veut continuer d'être cet opium du peuple. Mais, là encore, le "radicalisme" qu'il soit syndical, politique ou religieux traduit le recul des places fortes idéologiques de la bourgeoisie devant la montée de l'alternative unique qui se dessine de plus en plus clairement aux yeux du monde: la révolution prolétarienne. Il ne s'agit pas pour nous de nier le poids encore très lourd des sentiments religieux dans la conscience de ceux qui subissent tout le poids de l'exploitation, mais les illusions qui ont servi depuis des siècles à perpétuer la dictature des classes dominantes ne cesseront totalement d'encombrer la conscience des vivants que dans la société sans classe.
- "La religiosité des masses ne disparaîtra complètement qu'avec la société actuelle, quand l'homme, au lieu d'être dominé par le procès social, le dominera et le dirigera consciemment". (Rosa Luxemburg: "Le socialisme en France".).
Rappelons-nous seulement que les milliers d'ouvriers qui en 1905 s'étaient mis en marche derrière un pope, partaient trois mois plus tard à l'assaut du ciel, répandant partout les Conseils ouvriers.
JU.