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Il y a 90 ans, au mois de septembre 1915, se tenait à Zimmerwald la première conférence socialiste internationale, à peine plus d’un an après le début de la Première Guerre mondiale. Revenir sur cet événement, ce n’est pas seulement rouvrir une page d’histoire du mouvement ouvrier, mais raviver la mémoire ouvrière sur la signification centrale et toujours valable de cette conférence : la lutte du prolétariat est de façon indéfectible et intrinsèquement liée à une lutte contre son exploitation et contre la guerre pour abattre le capitalisme, et, dans ce cadre, la responsabilité des révolutionnaires est vitale pour orienter cette lutte vers sa perspective révolutionnaire.
La multiplication des conflits guerriers, la propagande guerrière des grandes puissances impérialistes et leurs appétits concurrents et mortifères inondent la planète d’une barbarie toujours plus féroce. C’est en ce sens que "l’esprit" et les enseignements de Zimmerwald sont pour le prolétariat d’une brûlante actualité.
L’entrée en guerre, son impact sur le prolétariat et les organisations ouvrières
Zimmerwald a été la première réaction prolétarienne face au carnage de la première boucherie mondiale, et son écho grandissant a rendu espoir aux millions d’ouvriers submergés par les horreurs sanglantes de la guerre. L’entrée en guerre le 4 août 1914 est une catastrophe sans précédent pour le mouvement ouvrier. En effet, parallèlement à un matraquage idéologique nationaliste intense de la part de la bourgeoisie, l’élément décisif qui va l’entraîner dans cette tuerie ignoble est la félonie des principaux partis ouvriers sociaux-démocrates. Leurs fractions parlementaires votent les crédits de guerre au nom de l’Union Sacrée, poussant les masses ouvrières à s’entretuer pour les intérêts des puissances impérialistes dans une hystérie chauvine des plus abjectes. Les syndicats eux-mêmes déclarent toute grève interdite dès le début de la guerre. Ce qui avait été la fierté de la classe ouvrière, la IIe Internationale, se consume dans les flammes de la guerre mondiale, après le ralliement infâme de ses partis les plus importants, le Parti Socialiste français et surtout le Parti Social-démocrate allemand. Bien que gangrenée par le réformisme et l’opportunisme, la IIe Internationale, sous l’impulsion de ses minorités révolutionnaires, la Gauche allemande et les Bolcheviks notamment s’étaient très tôt prononcés contre les préparatifs guerriers et la menace de guerre. Ainsi, en 1907, au Congrès de Stuttgart, confirmée au Congrès de Bâle en 1912 et jusqu’aux derniers jours de juillet 1914, elle s’était élevée contre la propagande guerrière et les visées militaristes de la classe dominante. Ainsi plusieurs décennies de travail et d’effort sont anéanties d’un seul coup. Mais, restée fidèle et intransigeante sur le principe de l’internationalisme prolétarien, la minorité révolutionnaire ayant combattu des années durant l’opportunisme au sein de la IIe Internationale et de ses partis, va résister et mener le combat :
- en Allemagne, le groupe "Die Internationale" constitué de fait en août 1914 autour de Luxembourg et Liebknecht, les "Lichtsrahlen", la gauche de Brême ;
- en Russie et dans l’émigration, les Bolcheviks ;
- en Hollande le Parti Tribuniste de Gorter et Pannekoek ;
- en France, une partie du syndicalisme révolutionnaire autour de Rosmer et Monatte ;
- en Pologne, le SDKPIL, etc.
Un autre courant, hésitant, centriste, va également se développer, oscillant entre une attitude d’appel à la révolution et une position pacifiste (les Mencheviks, le groupe de Martov, le Parti Socialiste italien), et dont certains vont chercher à renouer avec les traîtres social-chauvins. C’est donc progressivement dans la confrontation que le mouvement révolutionnaire va initier la lutte contre la guerre impérialiste, préparer les conditions de la scission inévitable au sein des partis socialistes et la formation d’une nouvelle Internationale.
La conférence de Zimmerwald
La tâche primordiale de l’heure est donc de favoriser le regroupement international des révolutionnaires, et aussitôt des contacts sont pris entre les différents internationalistes ayant rompu avec le social-patriotisme. La lutte contre la guerre est impulsée, en Allemagne en tout premier lieu, où le 2 décembre, Liebknecht est le seul à voter ouvertement contre les crédits de guerre, imité dans les mois qui suivent par d’autres députés. L’activité de la classe ouvrière contre la guerre se développe, à la base des partis ouvriers mais aussi dans les usines et dans la rue. La réalité hideuse de la guerre avec son hécatombe de morts, de mutilés sur le front, le développement de la misère à l’arrière, vont dessiller les yeux de plus en plus d’ouvriers et les sortir des brumes de l’ivresse nationaliste. En Allemagne, dès mars 1915, se produit la première manifestation contre la guerre de femmes mobilisées dans la production d’armement. En octobre, des affrontements sanglants entre la police et des manifestants ont lieu. En novembre de la même année, près de 15 000 personnes défilent là encore contre la guerre à Berlin. Des mouvements de la classe apparaissent aussi dans d’autres pays, en Autriche, en Grande-Bretagne, en France. Cette renaissance de la lutte de classe, alliée à l’activité des révolutionnaires qui, dans des conditions très dangereuses, distribuent du matériel de propagande contre la guerre, va accélérer la tenue de la Conférence de Zimmerwald (près de Berne) où, du 5 au 8 septembre 1915, 37 délégués de 12 pays européens se réunissent. Cette Conférence va symboliser le réveil du prolétariat international, jusqu’alors traumatisé par le choc de la guerre et être une étape décisive sur le chemin menant à la révolution russe et la fondation de la IIIe Internationale. Le Manifeste qui en sort est le fruit d’un compromis entre les différentes tendances. En effet, les Centristes se prononcent pour mettre fin à la guerre dans une optique pacifiste mais sans faire référence à la nécessité de la révolution ; ils s’opposent durement à la Gauche, représentée par le groupe "Die Internationale", les ISD et les Bolcheviks, qui fait du lien entre guerre et révolution la question centrale. Lénine critique très fermement ce ton pacifiste et l’absence des moyens pour combattre la guerre qui transparaît dans le Manifeste : "Le mot d’ordre de la paix n’a par lui-même absolument rien de révolutionnaire. Il ne prend un caractère révolutionnaire qu’à partir du moment où il s’adjoint à notre argumentation pour une tactique révolutionnaire, quand il s’accompagne d’un appel à la révolution, d’une protestation révolutionnaire contre le gouvernement du pays dont on est citoyen, contre les impérialistes de la patrie à laquelle on appartient." (1) En d’autres termes, le seul mot d’ordre de l’époque impérialiste est: "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Malgré ces faiblesses, la Gauche, sans abandonner les critiques, considère ce Manifeste "comme un pas en avant, vers la lutte réelle avec l’opportunisme, vers la rupture et la scission" (1) Ce Manifeste de Zimmerwald va cependant connaître un énorme retentissement dans la classe ouvrière et parmi les soldats. Avec la poursuite d’une forte reprise de la lutte de classe internationale, la lutte sans concession de la gauche pour opérer un clivage dans les rangs centristes, la deuxième Conférence internationale à Kienthal en mars 1916, s’orienta nettement plus à gauche et marqua une nette rupture avec la phraséologie pacifiste.
L’élargissement considérable de la lutte de classe pendant l’année 1917 en Allemagne, en Italie et surtout l’éclatement de la Révolution russe, premier pas vers la révolution mondiale, allaient rendre caduc le mouvement de Zimmerwald qui avait épuisé toutes ses potentialités. Désormais la seule perspective était la création de la nouvelle Internationale qui, tenant compte de la lente maturation de la conscience révolutionnaire, la formation de partis communistes conséquents et l’attente du surgissement d’une révolution en Allemagne, allait se faire un an et demi plus tard en 1919.
Ainsi, malgré ses faiblesses, le Mouvement de Zimmerwald a eu une importance décisive dans l’histoire du mouvement révolutionnaire : symbole de l’internationalisme prolétarien, étendard du prolétariat dans sa lutte contre la guerre et pour la révolution. Il a véritablement représenté un pont entre la IIe et la IIIe Internationale.
Les enseignements pour aujourd'hui
Une des grandes leçons de Zimmerwald, toujours valable pour notre époque d’exacerbation inouïe des tensions et conflits impérialistes, doit être la réaffirmation de l’importance de la question de la guerre pour le prolétariat. Au même titre que son combat contre l’exploitation, le combat contre la guerre, contre les menées guerrières de la bourgeoisie, est partie intégrante de sa lutte de classe. L’histoire du mouvement ouvrier démontre que la classe ouvrière a toujours considéré la guerre comme une calamité dont elle est systématiquement la première victime. La guerre n’est pas un phénomène aberrant dans le capitalisme et d’autant plus dans sa période de décadence. Elle fait partie de son fonctionnement et est devenue un aspect permanent de son mode de vie. L’illusion réformiste d’un capitalisme possible sans guerre est mortelle pour le prolétariat. Engluées dans leurs contradictions, dans une crise économique qui n’a pas d’issue du fait de la saturation des marchés solvables au niveau mondial, les différentes fractions nationales de la bourgeoise ne peuvent que s’entredéchirer pour conserver leur part de gâteau, s’approprier celle des autres ou gagner des positions stratégiques nécessaires à leur domination. C’est en ce sens que prétendre qu’on peut lutter pour une amélioration de ses conditions de vie ou pour la paix en soi, SANS TOUCHER AUX FONDEMENTS DU POUVOIR CAPITALISTE, est une mystification, une impossibilité. Sans perspective de lutte massive politique, révolutionnaire de la classe ouvrière, il n’y a pas de véritable lutte contre la guerre capitaliste. Le pacifisme est une idéologie réactionnaire utilisée pour canaliser le mécontentement et la révolte du prolétariat provoqués par la guerre afin de le réduire à l’impuissance. De même, pour les prolétaires, tomber dans le piège de la défense de la démocratie bourgeoise en faisant cause commune avec ses exploiteurs en adhérant aux campagnes bellicistes de la classe dominante, c’est se soumettre pieds et poings liés à toujours plus de barbarie, à la dynamique guerrière du capitalisme en décomposition qui, de guerre "locale" en guerre "locale" finira par mettre en péril la survie même de l’humanité. La lutte de la classe ouvrière pour ses intérêts propres, en vue du renversement de cette société pour le communisme est la seule lutte possible contre la guerre.
SB
(1) Lénine, Contre le Courant, tome 1.