Journée de discussion à Marseille : un débat ouvert et fraternel sur "un autre monde est-il possible ?"

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Fort du succès des expériences belge et anglaise 1, le CCI a renouvelé en France l'organisation d'une journée de discussion rassemblant sympathisants, contacts et lecteurs de Révolution Internationale, tous animés par la même préoccupation : quel avenir pour ce monde ? Trente et un participants venus de Toulouse, Lyon, Grenoble, Marseille et Milan, se sont donc réunis début décembre à Marseille et ont choisi de débattre autour du thème : « quelle société voulons-nous ? »

L'exposé introductif a été réalisé par l'un des participants. D'origine nord-africaine, ce dernier a tout d'abord expliqué brièvement son parcours politique : avant de venir en France « je voyais la société occidentale, comme un espoir. On sollicitait l'opinion internationale, l'ONU, Amnesty, le parlement européen etc... On espérait gagner comme ça ! Mais quand je suis arrivé en France, toutes mes illusions se sont effondrées ; alors j'ai commencé à me poser des questions. »

Des questions... tout le monde s'en pose mais peu osent venir en débattre ouvertement ou trouvent les moyens et les lieux pour le faire. Et pourtant, les préoccupations sont identiques de Toulouse à Grenoble, de la France à la l'Angleterre. C'est pourquoi nous saluons l'esprit fraternel dans lequel s'est déroulée cette journée, une journée révélatrice de la lente maturation de la conscience de toute la classe ouvrière depuis quelques années.

Une autre société est-elle possible ?

D'emblée, plusieurs interventions ont affirmé que le système capitaliste nous menait « droit dans le mur » et que l'avenir ne tenait qu'en trois mots : « Socialisme ou barbarie » 2.

« Ça va de mal en pis, affirme ainsi une participante, on dit redistribuer les richesses, mais on sait que ce n'est pas possible, ce n'est pas admis par le système. Voter, faire des pétitions ça ne suffira pas à obtenir ce que je veux, un système équitable, humain où l'on puisse vivre en harmonie avec les autres. Le contraire de ce que l'on voit aujourd'hui. Je veux une société différente et je sais que pour cela il faut détruire le système. L'utopie, c'est de croire que ceux qui arriveront après nous pourront vivre dans ce système. » Le développement au niveau mondial des conflits guerriers, de la misère, de la pollution... signe en effet sans aucun doute possible la faillite du capitalisme. Seule la société communiste présente une alternative pour l'ensemble de l'humanité.

Cependant, beaucoup ont exprimé des doutes quant à la possibilité de construire cette nouvelle société, des doutes qui ne sont pas propres à ces camarades mais qui sont au contraire très répandus dans les rangs ouvriers :

  • « Nous ne sommes pas des anges. Je me pose des questions sur la nature de l'homme toujours fauteur de guerre comme nous le répète la bourgeoisie. Dans le film "Sa Majesté des mouches", des enfants isolés sur une île finissent par se massacrer. Ça fait peur... une autre société est-elle vraiment possible ? » Cette intervention résume parfaitement la question qui revient sur toutes les lèvres : comment améliorer ce monde barbare alors que l'homme serait naturellement mauvais ? « L'homme est un animal social », lui répond un autre participant, « Il ressemble à la société dans laquelle il vit. En fonction des conditions données, l'homme se construit. L'homme peut être soumis au capital mais il peut aussi s'y soustraire ».

Cette nature foncièrement mauvaise de l'homme est l'un des principaux arguments avancés par la bourgeoisie pour justifier la barbarie engendrée par le capitalisme et empêcher la classe ouvrière de rêver d'un autre monde : « Ce que l'on nous renvoie toujours dans les médias, les bouquins, c'est que la nature humaine est terrible, que l'homme est un loup pour l'homme, mais c'est surtout pour nous empêcher de réfléchir collectivement. »

Cette question de la nature humaine est éminemment complexe. Il est impossible d'y répondre ici, dans le cadre de ce court compte-rendu. Simplement, nous pouvons réaffirmer que l'homme est en réalité un être profondément social. L'entraide, la solidarité, la générosité..., toutes ces valeurs sont donc ancrées en lui viscéralement 3.

  • Des doutes se sont aussi exprimés sur la capacité de la classe ouvrière à déjouer les pièges de la bourgeoisie, notamment ceux tendus par les syndicats. Leur rôle : diviser pour mieux régner, encadrer sur le terrain les ouvriers pour mieux faire passer les « réformes » (en clair, les attaques). Ainsi, tout en dénonçant ce sale boulot des syndicats, plusieurs camarades ont aussi exprimé leurs craintes face à la force idéologique de la bourgeoisie et de ses chiens de garde : « Le capital trouve toujours des moyens de réformes, comment arriver à démasquer ces palliatifs ? », « Les revendications ont tendance à se rassembler mais on a toujours les syndicats qui offrent des solutions. ».

Cette puissance de la classe dominante est tout à fait réelle. Pour assurer la défense de ses intérêts de classe et la perpétuation de son système d'exploitation, la bourgeoisie est capable de déployer un machiavélisme consommé et les syndicats représentent un véritable danger pour diviser le prolétariat et saboter sa mobilisation. Jusqu'ici, ils ont réussi à endiguer la combativité et la réflexion de notre classe. Néanmoins, depuis quelques années, le vent semble tourner ; partout dans le monde, la classe ouvrière retrouve progressivement le chemin de la lutte. La confrontation au sabotage syndical et la prise en main des luttes par la classe ouvrière elle-même sera justement l'un des grands enjeux des combats à venir.

  • Enfin, dernière crainte exprimée (mais non des moindres), un camarade a fait part de sa peur qu'il ne soit déjà trop tard : « J'ai peur que si on a une révolution, elle ne puisse arriver avant que capitalisme n'ait provoque des dégâts irréversibles et engendré des effets dramatiques. Guerres, famines, réchauffement climatique... On a du mal à imaginer une révolution dans une même échelle de temps que l'aggravation de la crise. » Cette crainte d'un camarade face à l'état d'urgence de la situation actuelle est entièrement justifiée. Effectivement, plus la révolution tardera, plus l'humanité se retrouvera avec un monde dévasté et difficile à reconstruire. Cependant, aujourd'hui, notre seule chance d'avenir est le prolétariat et la révolution. Et là aussi, il faut tenir compte de la dynamique actuelle de notre classe. Nous pouvons avoir confiance dans le prolétariat ; quand il rentre en lutte, ses capacités sont immenses, l'effervescence et la créativité dont il est alors capable sont souvent insoupçonnées. L'avenir est donc en réalité riche de promesses.

Comment construite une nouvelle société ?

Ces interrogations légitimes quant à la possibilité de la révolution se sont aussi révélés par la recherche de solutions « douces » et « progressives », certains participants s'interrogeant sur « comment construire une société communiste sans passer forcément par la lutte et la révolution » :

  • Ainsi, pour un camarade, « Il faudrait peut-être passer par des expérimentations, par des laboratoires qui permettraient d'affiner notre critique du système. »

Rapidement, deux participants lui ont répondu : « Le capitalisme peut-il permettre à un groupe d'individus un système qui lui soit étranger ? Je pense que non, sinon on l'aurait déjà fait. Après 68, il y a eu les illusions sur le retour à la terre qui s'est transformé en petits commerces, car il fallait faire du profit. Il y a eu aussi une association ‘Le sel' qui prônait l'échange de services, mais l'Etat a vite mis le holà ! », « Sur la question des ‘laboratoires', ce n'est pas possible car on ne peut pas préfigurer ce que l'on va vivre dans 15 ans. Mais on a déjà des expériences, il y a eu une vague révolutionnaire de 1917 à 1923 qui a été un moment très riche. Il ne faut pas l'oublier et tirer des leçons. Par exemple les conseils ouvriers avec délégués révocables, aujourd'hui nous devons nous battre pour que les Assemblées générales soient ouvertes et qu'il y ait de véritables débats. »

Dans les années 70 et 80, il y a régulièrement eu des tentatives pour vivre différemment : retour à la terre, communautés, auto-gestion, etc. Toutes exprimaient une illusion sur la possibilité de créer des îlots de communisme sans avoir à supprimer le capitalisme. Et toutes ont échoué, à l'image des expériences d'autogestion qui ont abouti à ce que les ouvriers acceptent d'eux mêmes des licenciements pour que leur entreprise reste compétitive 4 !

En fait, la société future ne sera possible qu'à l'échelle internationale, unifiant ainsi toute l'humanité, abolissant toutes les divisions de classes et de nations. Le communisme n'a pas sa place au sein du capitalisme. C'est une des leçons de la révolution de 1917 qui fut vaincue parce qu'elle n'avait pu s'étendre (et pourtant, nous étions loin ici de « l'expérimentation » à petite échelle, la classe ouvrière s'étant mise en branle sur toute une partie de la surface du globe !).

  • Ce même intervenant a précisé ensuite quel type « d'expérimentations » il avait en tête, présentant la décroissance comme une alternative : « Pour moi, la plate-forme du CCI et les thèses sur la décroissance visent le même but mais la manière d'y parvenir n'est pas la même. »

La question de la décroissance revient aujourd'hui souvent dans les discussions. Elle s'appuie sur un constat tout à fait juste : la production, dans le système capitaliste, n'est pas réalisée pour répondre aux besoins de l'humanité mais pour le profit, ce faisant elle non seulement elle n'engendre pas le bien-être (loin de là) mais en plus la production capitaliste détruit la planète. La solution, pour les tenants de la décroissance, est donc de mieux et de moins consommer. Ce serait à chacun, à chaque « citoyen du monde », individuellement, que reviendrait la tâche de réagir et de tenter dès maintenant de « vivre autrement » : en limitant les déplacements qui polluent, en ne chauffant pas trop sa maison, en choisissant méticuleusement ce que l'on achète, etc., comportements présentés comme moyens « radicaux » de la transformation des consciences. L'une des actions phares prônée par ce modèle est « la journée sans achat ».

Voilà comment les autres intervenants ont répondu au camarade : « Ce n'est pas la théorie de la décroissance qui va se poser mais la question de l'utilité de tels ou tels produits. Aujourd'hui nous sommes obligés d'acheter une voiture, d'avoir un portable. Mais dans l'avenir, quelle utilité ? » ou encore « En parlant de décroissance, on se met dans la logique de la survie du système et donc du problème de la ‘marchandisation' de tout ! Le système repose sur l'accumulation des moyens de production, s'ils cessent d'accumuler, il s'effondre. Le système capitaliste doit toujours aller de l'avant... C'est parce que la croissance n'est plus possible que la révolution est nécessaire ».

Surtout, cette théorie de la décroissance ne touche qu'une partie du problème et de façon superficielle ; elle ne va pas au fond des choses. Le capitalisme ne peut pas être aménagé, il est un système d'exploitation moribond et il emporte l'humanité dans l'abîme avec lui. A la production anarchique et destructrice du capital, s'ajoute par exemple la guerre ou la paupérisation. Pour sauver l'humanité et la planète, il faut détruire ce système barbare et la seule force capable de le faire, ce n'est pas une somme d'individus (animés des meilleures intentions du monde soient-ils), mais une classe : le prolétariat 5.

La révolution ne sera-t-elle pas trop violente ?

Derrière cette recherche « d'alternatives plus douces », se cache en réalité la peur de la violence de la révolution : « S'il faut une révolution, elle devrait se passer en douceur. Il faut réfléchir, changer tout doucement sinon ça fait peur » affirme ainsi une participante.

En réponse, plusieurs interventions ont réaffirmé qu'en effet la révolution sera forcement violente puisque la bourgeoisie ne se laissera pas déposséder sans réagir, mais qu'elle était aussi et surtout nécessaire : « La révolution ça fait peur, c'est vrai qu'elle sera forcément violente car l'internationalisation ne se fera pas en un clin d'œil. Ça ne fait pas plaisir de souffrir, mais c'est un mal nécessaire car la société capitaliste ne peut pas se réformer. » ; « Sur la peur de la révolution, quand je dis qu'elle sera sans péridurale, cela veut dire que tout le monde a peur du pas à franchir, mais l'usage de la violence ne se pose pas en soi mais c'est le seul moyen possible pour s'affranchir du système capitaliste, pour accoucher d'une autre société sans exploitation . Ce rapport de force ne peut pas être sans violence. » ; ou encore « Pour moi, la question, c'est vivre ou mourir. Ce n'est pas de l'utopie ; c'est du réalisme. Ce n'est pas vrai seulement pour moi mais c'est déjà vrai pour une grosse partie de la planète. Il n'y a pas d'autres solutions, sinon c'est le système qui crève et nous avec. »

La violence sera effectivement nécessaire pour sortir l'humanité de ce système moribond. Mais de quelle violence parle t-on ? Le capitalisme est un système où une minorité impose sa domination à l'écrasante majorité de l'humanité par la terreur ; il impose à des millions d'êtres humains les ravages de la famine, de la guerre et des épidémies. Comme l'a dit l'un des participants « Mais à coté de la violence de tous les jours, la violence de la révolution, il faut la relativiser. Nous subissons aujourd'hui la violence du système et nous n'en sommes pas responsables ». La violence de la classe ouvrière et de sa lutte n'a strictement rien à voir avec la terreur bourgeoise. Au contraire, elle en est à la fois l'antithèse et l'antidote. Comme nous l'affirmons dans notre article « Terreur, terrorisme et violence de classe » : la force invincible de la classe ouvrière « ne réside pas tant dans sa force physique et militaire et encore moins dans la répression, que dans sa capacité de mobiliser ses larges masses, d'associer la majorité des couches et classes non-exploiteuses et non-prolétariennes à la lutte contre la barbarie capitaliste. Elle réside dans le développement de sa conscience et dans sa capacité à s'organiser de façon unitaire en tant que classe autonome, dans la défense intransigeante de ses principes et dans la justesse de ses décisions prises collectivement à travers le débat le plus large et "démocratique" possible (notamment dans ses organes de prise du pouvoir appelés "soviets" en Russie dès 1905 ou "Conseils Ouvriers" en Allemagne en 1918). Telles sont les armes fondamentales de la pratique et de la violence de classe du prolétariat. »

Un des participants a eu cette phrase qui révèle à elle-seule l'une des grandes angoisses des ouvriers : « Si on doit faire la révolution, moi, j'ai besoin de certitude ». Nous avons certainement devant nous la plus haute marche à franchir de l'histoire. Il ne s'agit rien de moins que de sortir de la préhistoire de l'humanité. Aucune ‘mesurette', aucune solution locale n'est possible. La seule perspective est de détruire le capitalisme à l'échelle internationale avant qu'il ne détruise l'humanité, avec une lutte internationale et par une classe internationale, le prolétariat. C'est à la fois grandiose et effrayant. Comme Marx l'a écrit dans son 18 Brumaire : « Les révolutions prolétariennes [...] paraissent [...] reculer constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée la situation qui rende impossible tout retour en arrière et que les circonstances elles-mêmes crient : ‘Hic Rhodus, hic salta' 6 ».

Lors de cette journée de discussion à Marseille, toutes les interrogations, toutes les craintes et tous les doutes ont pu être posés. C'est pour cela que de telles journées de discussion sont si importantes car elles permettent de rompre l'isolement, de s'apercevoir que nous ne sommes pas seuls à vouloir que ce monde change. Cela a été tout l'esprit de cette journée : débattre fraternellement pour comprendre et avancer collectivement. La classe ouvrière peut et doit avoir confiance en sa force.

CCI, le 28 février


1 Lire nos articles sur notre site web (www.internationalism.org) : « Journée de rencontre et de discussion avec le CCI d'août 2007 : chercher ensemble une alternative pour cette société agonisante » et « Journée d'étude du CCI en Grande-Bretagne : un débat vivant et fraternel »

2 1er congrès de la 3ème Internationale en 1919.

3 Le CCI débat depuis quelques années, en son sein, de cette question de la « nature humaine ». Ce débat est en parti publie dans l'article « Marxisme et éthique (débat interne au CCI) » publié sur notre site web (www.internationalism.org). En voici un extrait : « La morale est un guide indispensable de comportement dans le monde culturel de l'humanité. Elle permet d'identifier les principes et les règles de vie commune des membres de la société. La solidarité, la sensibilité, la générosité, le soutien aux nécessiteux, l'honnêteté, l'attitude amicale et la bienveillance, la modestie, la solidarité entre générations sont des trésors qui appartiennent à l'héritage moral de l'humanité. Ce sont des qualités sans lesquelles la vie en société devient impossible. C'est pourquoi les êtres humains ont toujours reconnu leur valeur, tout comme l'indifférence envers les autres, la brutalité, l'avidité, l'envie, l'arrogance et la vanité, la malhonnêteté et le mensonge ont toujours provoqué la désapprobation et l'indignation. »

4 Lire nos articles sur Lip, par exemple, où les ouvriers au nom de l'autogestion se sont mis à s'auto-exploiter !

5 Toute une partie de la discussion a d'ailleurs porté sur « qu'est-ce que la classe ouvrière ? ». Cette question est aujourd'hui très présente ; avec le développement des luttes se pose en effet le problème « Avec qui s'unir ? Où chercher la solidarité dans la lutte ?... » Le débat qui s'est développé à Marseille sur ce point fut très proche de ceux menés à Toulouse, Paris, Lyon... lors de nos Réunions Publiques de février dont l'intitulé était justement « qu'est-ce que la classe ouvrière ? » et dont le texte de présentation était « Cet automne, certains étudiants luttant contre la loi "LRU" ont manifesté leur solidarité avec les cheminots grévistes, tentant même parfois de réaliser des AG communes. Par contre, ils n'ont jamais essayé d'entraîner, par exemple, les infirmiers des hôpitaux ou les enseignants, en allant les voir et discuter. Pourquoi ? L'image d'Epinal fait paraître l'ouvrier en bleu de travail et aux mains calleuses. Mais qu'en est-il des million de chômeurs, des retraités, des salariés de bureaux, des fonctionnaires, des travailleurs précaires...? Qui fait partie de la classe ouvrière ? Répondre à ces questions est primordial pour continuer dans l'avenir à développer, dans la lutte, l'unité et la solidarité. » Nous renvoyons donc le lecteur à l'exposé de cette réunion publique publié sur notre site web : www.internationalism.org

6 "Voici Rhodes, c'est ici qu'il faut sauter". Proverbe latin inspiré d'une fable d'Esope qui signifie : c'est l'épreuve de vérité, c'est le moment de montrer ce dont on est capable.

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