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La bourgeoisie veut infliger une défaite décisive à la classe ouvrière
Dans les précédents articles de la Revue internationale nous avons vu comment le prolétariat en Russie reste isolé après que le plus haut point de la vague révolutionnaire soit atteint en 1919. Alors que l'Internationale communiste (IC) essaye de réagir contre le reflux de la vague de luttes par un tournant opportuniste, s'engageant ainsi dans un processus de dégénérescence, l'Etat russe devient de plus en plus autonome par rapport au mouvement de la classe et essaye de prendre l'IC sous sa coupe.
A la même époque la bourgeoisie réalise que, après avoir terminé la guerre civile en Russie, les ouvriers en Russie ne représentent plus le même danger et que la vague révolutionnaire a commencé à refluer. Elle prend consciense que l’IC ne combat plus avec la même énergie la social-démocratie et même qu'au lieu de cela elle essaye de s'allier avec cette dernière en développant la politique de front unique. L'instinct de classe de la bourgeoisie lui fait sentir que l’Etat russe n'est plus une force au service de la révolution essayant de s’étendre mais qu'il est devenu une force qui cherche à asseoir sa propre position en tant qu'Etat, comme la conférence de Rapallo le montre clairement. La bourgeoisie sent qu'elle peut exploiter à son profit le tournant opportuniste et la dégénérescence de l’IC ainsi que le rapport des forces au sein de l’Etat russe. La bourgeoisie internationale sent qu'elle peut se lancer dans une offensive internationale contre la classe ouvrière, offensive dont le centre se situe en Allemagne.
Mise à part la Russie en 1917, c'est en Allemagne et en Italie que le prolétariat a développé les luttes les plus radicales. Même après la défaite des ouvriers dans leur combat contre le putsch de Kapp au printemps 1920 et après la défaite de mars 1921, la classe ouvrière en Allemagne est encore très combative, mais internationalement elle est aussi relativement isolée. Alors que les ouvriers en Autriche, Hongrie et Italie, sont déjà défaits et continuent de subir de violentes attaques, et que le prolétariat d'Allemagne, de Pologne et de Bulgarie est poussé dans des réactions désespérées, la situation en France et en Grande-Bretagne, en comparaison, reste stable. Pour infliger une défaite décisive à la classe ouvrière en Allemagne, et affaiblir ainsi la classe ouvrière internationale, la bourgeoisie peut compter sur le soutien international de l'ensemble de la classe capitaliste qui, dans le même temps, a été capable de renforcer considérablement ses rangs avec l'intégration de la social-démocratie et des syndicats dans l'appareil d'Etat.
En 1923, la bourgeoisie essaye d'attirer la classe ouvrière en Allemagne dans un piège nationaliste, dans l'espoir de la détourner de ses luttes contre le capitalisme.
La politique désastreuse du KPD : la défense de la démocratie et du front unique
Nous avons vu précédemment comment l'expulsion des “radicaux de gauche” (Linksradikalen), qui devaient plus tard fonder le KAPD, a affaibli le KPD et facilité le développement de l'opportunisme dans ses rangs.
Alors que le KAPD fait des mises en garde contre les dangers de l'opportunisme, contre la dégénérescence de l’IC et le développement du capitalisme d’Etat, le KPD, lui, réagit de façon opportuniste. Dans une “lettre ouverte aux partis ouvriers”, en 1921, il est le premier parti à appeler pour un front unique.
“La lutte pour un front unique mène à la conquête des vieilles organisations de classe prolétarienne (syndicats, coopératives, etc.). Elle transforme ces organes de la classe ouvrière qui, à cause des tactiques des réformistes, sont devenus des instruments de la bourgeoisie, à nouveau en organes de la lutte de classe du prolétariat.” En même temps, les syndicats confessent fièrement: “Mais il reste un fait, que les syndicats sont la seule digue solide qui a protégé l'Allemagne de l'inondation bolchevik jusqu’à maintenant.” (Feuille de correspondance des syndicats, juin 1921)
Le congrès de fondation du KPD n'était pas dans l’erreur quand, par la voix de Rosa Luxemburg, il déclarait : “Les syndicats officiels ont prouvé pendant la guerre et dans la guerre jusqu'à aujourd'hui qu'ils sont une organisation de l'Etat bourgeois et de la domination de la classe capitaliste.” Et maintenant ce parti est pour la retransformation de ces organes passés à la classe ennemie!
En même temps, sa direction, sous l'autorité de Brandler, est pour un front unique au sommet avec la direction du SPD. Au sein du KPD, cette orientation est combattue par une aile autour de Fischer et Maslow qui met en avant le mot d'ordre de “gouvernement ouvrier”. Elle déclare que “le soutien de la minorité sociale-démocrate au gouvernement (ne signifie pas) une décomposition accrue du SPD”; non seulement une telle position entretient des “illusions dans les masses, comme si un cabinet social-démocrate pouvait être une arme de la classe ouvrière”, mais elle va dans le sens “d'éliminer le KPD, puisque le SPD peut mener une lutte révolutionnaire.”
Mais ce sont surtout les courants de la gauche communiste, qui viennent juste de surgir en Italie et en Allemagne, qui prennent position contre cela.
“ Pour ce qui est du gouvernement ouvrier, nous demandons : pourquoi veut-on s'allier avec les social-démocrates ? Pour faire les seules choses qu'ils savent, peuvent et veulent faire ou bien pour leur demander de faire ce qu'ils ne savent, ne peuvent, ni ne veulent faire ? Veut-on que nous disions aux sociaux-démocrates que nous sommes prêts à collaborer avec eux, même au Parlement et même dans ce gouvernement qu'on a baptisé 'ouvrier' ? Dans ce cas, c'est-à-dire si l'on nous demande d'élaborer au nom du parti communiste un projet de gouvernement ouvrier auquel devraient participer des communistes et des socialistes, et de présenter ce gouvernement aux masses comme “le gouvernement anti-bourgeois”, nous répondrons, en prenant l'entière responsabilité de notre réponse, qu'une telle attitude s'oppose à tous les principes fondamentaux du communisme.” (Il Comunista, n°26, mars 1922)
Au 4e congrès, “le PCI n'acceptera donc pas de faire partie d'organismes communs à différentes organisations politiques... (il) évitera aussi de participer à des déclarations communes avec des partis politiques, lorsque ces déclarations contredisent son programme et sont présentées au prolétariat comme le résultat de négociations visant à trouver une ligne d'action commune.
Parler de gouvernement ouvrier... revient à nier en pratique le programme politique du communisme, c'est-à-dire la nécessité de préparer les masses par la lutte pour la dictature du prolétariat.” (Rapport du PCI au 4e congrès de l’IC, novembre 1922)
Sans tenir compte de ces critiques des communistes de gauche, le KPD a déjà proposé de former une coalition gouvernementale avec le SPD en Saxe en novembre 1922, proposition rejetée par l’IC.
Le même KPD qui, à son congrès de fondation au début de 1919, disait encore “Spartakusbund refuse de travailler ensemble avec les laquais de la bourgeoisie, de partager le pouvoir gouvernemental avec Ebert-Scheidemann, parce qu'une telle coopération serait une trahison des principes du socialisme, un renforcement de la contre-révolution et une paralysie de la révolution”, défend maintenant le contraire.
A la même époque le KPD est leurré par le nombre de voix qu'il obtient, croyant que ces votes expriment un réel rapport de forces favorable ou même qu'ils reflètent l'influence du parti.
Alors que les premieres organisations fascistes sont mises en place par des membres de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie, beaucoup de groupes armés de droite commencent à organiser des entraînements militaires. L’Etat est parfaitement informé sur ces groupes. La majorité d'entre eux est directement issu des corps francs que le gouvernement dirigé par le SPD avait mis en place, contre les ouvriers, pendant les luttes révolutionnaires de 1918-1919. Déjà, le 31 août 1921, Die Rote Fahne déclare: “La classe ouvrière a le droit et le devoir de protéger la république contre la réaction.” Un an plus tard, en novembre 1921, le KPD signe un accord avec les syndicats et le SPD (accord de Berlin), avec pour objectif la “démocratisation de la république” (protection de la république, élimination des réactionnaires de l'administration, de la justice et de l'armée). De cette façon le KPD accroît les illusions parmi les ouvriers sur la démocratie bourgeoise et se positionne en complet desaccord avec la gauche italienne réunie autour de Bordiga qui, au 4e congrès mondial de l’IC, insiste dans son analyse du fascisme sur le fait que la démocratie bourgeoise n'est qu'une facette de la dictature de la bourgeoisie.
Dans un article précédent nous avons déjà montré que l’IC, par son représentant Radek, critique la politique du KPD en utilisant des méthodes peu organisationnelles et qu'elle commence à affaiblir la direction en mettant en place un fonctionnement parallèle. En même temps des influences petites bourgeoises commencent à pénétrer le parti. Au lieu que la critique, lorsqu'elle est nécessaire, s'exprime de manière fraternelle, il se développe une atmosphère de suspicion et de récriminations, ce qui va amener à un affaiblissement de l'organisation[1]
La classe dominante se rend compte que le KPD commence à répandre la confusion dans la classe au lieu de remplir le rôle d'une véritable avant-garde basé sur la clarté et la détermination. Elle sent qu'elle peut exploiter cette attitude opportuniste du KPD contre la classe ouvrière.
Avec le reflux de la vague révolutionnaire, l’intensification des conflits impérialistes
Le changement du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat, suite au reflux de la vague révolutionnaire après 1920, devient aussi perceptible dans les relations impérialistes entre les Etats. Dès que la menace immédiate provenant de la classe ouvrière s'éloigne et que s’éteint la flamme révolutionnaire de la classe ouvrière en Russie, les tensions impérialistes reprennent le dessus.
L’Allemagne essaye par tous les moyens de renverser l'affaiblissement de sa position résultant de la fin de la première guerre mondiale et de la signature du traité de Versailles. Vis-à-vis des “pays victorieux” à l'ouest, sa tactique consiste à essayer de monter la France et la Grande-Bretagne l’un contre l’autre, puisqu'aucune confrontation militaire ouverte n'est plus possible avec l’un et l'autre. En même temps l'Allemagne essaye de reprendre ses relations traditionnellement étroites avec son voisin de l’est. Dans nos précédents articles nous avons déjà décrit comment, de façon déterminée, dans le contexte des tensions impérialistes à l'ouest, la bourgeoisie allemande a procédé pour fournir des armes au nouvel Etat russe et a signé des accords secrets de livraison d’armes et de coopération militaire. Ainsi un des grands dirigeants militaires allemands, Seeckt, reconnait : “La relation entre l'Allemagne et la Russie est le premier et jusqu'à présent presque le seul renforcement que nous ayons réalisé depuis la conclusion de la paix. Que la base de cette relation soit dans le domaine économique est dans la nature de l'ensemble de la situation ; mais la force réside dans le fait que ce rapprochement économique prépare la possibilité d’un lien politique et donc également militaire.” (Carr, Ibidem)
En même temps l’Etat russe, avec le soutien de l'IC, déclare par la voix de Boukharine : “J'affirme que nous sommes déjà largement prêts de conclure une alliance avec une bourgeoisie étrangère pour, au moyen de cet Etat bourgeois, être capables de renverser une autre bourgeoisie... Dans le cas où une alliance militaire a été conclue avec un Etat bourgeois, le devoir des camarades dans chaque pays consiste à contribuer à la victoire des deux alliés.” (Carr, Ibidem) “Nous disons à ces Messieurs de la bourgeoisie allemande ... si vous voulez réellement lutter contre l'occupation, si vous voulez lutter contre les insultes de l'Entente, il ne vous reste rien d'autre que de chercher un rapprochement avec le premier pays prolétarien, ...” (Zinoviev, 12e congrès du parti, avril 1923)
La propagande nationaliste parle d'humiliation et de soumission de l'Allemagne par le capital étranger, en particulier par la France. Les dirigeants militaires allemands tout comme les représentants importants de la bourgeoisie allemande ne cessent de faire des déclarations publiques disant que le seul salut possible pour la nation allemande pour se libérer du joug du traité de Versailles est de faire une alliance militaire avec la Russie soviétique et d'engager une “guerre du peuple révolutionnaire” contre l'impérialisme français.
Dans la nouvelle couche de bureaucrates, capitalistes d'Etat, qui se développe au sein de l'Etat russe, cette politique est accueillie avec un grand intérêt.
Au sein de l'IC et du PC russe, les internationalistes prolétariens qui restent fidèles à l'objectif de l'extension de la révolution mondiale sont eux-mêmes, à ce moment-là, aveuglés par ces discours séduisants. Bien qu'il ne soit pas pensable pour le capital allemand d'établir une alliance véritable avec la Russie contre ses rivaux impérialistes de l'Ouest, les dirigeants de l'Etat russe et la direction de l’IC se laissent abuser et tombent dans le piège. Ils contribuent activement, ainsi, à pousser la classe ouvrière dans ce même piège.
Avec la complicité de toute la classe capitaliste, la bourgeoisie allemande est en train d'ourdir un complot contre la classe ouvrière en Allemagne. D'un côté elle cherche à échapper à la pression du traité de Versailles en retardant le paiement des réparations à la France et en menaçant d'y mettre fin, de l'autre côté elle pousse la classe ouvrière en Allemagne dans le piège nationaliste. Cependant, la "coopération" de l'Etat russe et de l’IC lui est indispensable pour cela.
La bourgeoisie allemande prend la décision consciente de provoquer le capital français en refusant de payer les réparations de guerre. Celui-ci réagit en occupant militairement la région de la Ruhr le 11 janvier 1923.
Le capital allemand complète sa tactique par la décision délibérée de laisser courir la tendance inflationniste qui existe du fait de la crise. Il utilise l'inflation comme une arme pour diminuer le coût des réparations et pour alléger le poids des crédits de guerre. En même temps elle cherche à moderniser ses usines de production.
La bourgeoisie sait aussi que le développement de l'inflation va pousser la classe ouvrière à la lutte. Et elle espère détourner ces luttes défensives attendues sur le terrain nationaliste. L'occupation de la Ruhr par l'armée française est ce qui sert à appater la classe ouvrière et c'est le prix que la bourgeoisie allemande est prête à payer pour cela. La question clé va être la capacité de la classe ouvrière et de ses révolutionnaires à déjouer ce piège de la défense du capital national. Sinon la bourgeoisie allemande infligera une défaite décisive à la classe ouvrière. La classe dominante est ainsi prête à défier une nouvelle fois le prolétariat parce qu'elle sent que le rapport de forces au niveau international lui est favorable, que des parties de l'appareil d'Etat russe peuvent être séduites par cette politique et même que l’IC peut être entraînée dans le piège.
La provocation de l'occupation de la Ruhr : quelles tâches pour la classe ouvrière?
En occupant la Ruhr, la bourgoisie française espère devenir le plus gros producteur d'Europe d’acier et de charbon. La Ruhr fournit en effet 72% de la production de charbon, 50% de la production d'acier, 25% de la production industrielle totale de l'Allemagne. Il est clair que dès que l'Allemagne va être privée de ses ressources, la chute brutale de la production entrainera une pénurie de marchandises et de profondes convulsions économiques. La bourgeoisie allemande est prête à faire un tel sacrifice parce que les enjeux, pour elle, sont élevés. Le capital allemand fait le pari de pousser les ouvriers à des grèves pour les amener sur le terrain nationaliste. Les patrons et le gouvernement décident le lock out et tout ouvrier qui veut travailler sous la domination des forces françaises d'occupation est menacé de licenciement. Le président SPD Ebert annonce, le 4 mars, de lourdes amendes pour les ouvriers qui continueraient à travailler dans les mines ou dans les chemins de fer. Le 24 janvier l’association des patrons et l’ADGB (fédération des syndicats allemands) lancent un appel afin de “lever des fonds” pour combattre la France. La conséquence est que de plus en plus d'entreprises jettent leur personnel à la rue. Tout ceci sur fond d'inflation galopante : alors que le dollar vaut encore 1000 marks en avril 1922, en novembre 1922 il est déjà à 6000 marks; après l'occupation de la Ruhr il atteint 20.000 marks en février 1923. En juin 1923 il atteint 100.000 marks, fin juillet il monte à 1 million, fin août il est à 10 millions, mi-septembre 100 millions, fin novembre il atteint son point culminant à 4.200.000.000.000 marks.
Cela ne pénalise pas trop les patrons de la Rhur dans la mesure où ils pratiquent le paiement en or ou le troc. Par contre pour la classe ouvrière cela signifie la famine. Très souvent les chômeurs et ceux qui ont encore un travail manifestent ensemble pour faire valoir leurs revendications. Il y a de façon répétée des confrontations avec les forces françaises d’occupation.
L’IC pousse les ouvriers
dans le piège du nationalisme
En tombant dans le piège des capitalistes allemands qui appellent à une lutte commune entre la “nation allemande opprimée” et la Russie, l’IC commence a répandre l’idée que l’Allemagne a besoin d’un gouvernement fort qui doit pouvoir affronter les forces françaises d’occupation sans que les luttes de la classe ouvrière ne viennent le poignarder dans le dos. L’IC sacrifie ainsi l’internationalisme prolétarien au profit des intérêts de l’Etat russe[2].
Cette politique est inaugurée sous la bannière du “national-bolchevisme”. Alors qu’à l’automne 1920 l’IC a agi avec un grande détermination contre les “tendances national-bolcheviks” et, dans ses discussions avec les délégués du KAPD, insisté pour que les nationaux-bolcheviks de Laufenberg et Wolfheim soient exclus du parti, elle en est maintenant à préconiser cette même ligne politique.
Ce tournant de l’IC ne peut pas simplement s’expliquer par les confusions et l’opportunisme de son Comité exécutif. Mais nous devons y voir la “main invisible” de ces forces qui ne sont pas intéressées par la révolution mais par le renforcement de l’Etat russe. Le national-bolchevisme ne peut prendre qu’à partir du moment où l’IC a déjà commencé à dégénérer, qu'elle se trouve déjà prise dans les griffes de l’Etat russe et même absorbée par celui-ci. Radek argumente ainsi : “L’Union soviétique est en danger. Toutes les tâches doivent être soumises à la défense de l’Union soviétique, parce qu’avec cette analyse un mouvement révolutionnaire en Allemagne serait dangereux et saperait les intérêts de l’Union soviétique...
Le mouvement communiste allemand n’est pas capable de renverser le capitalisme allemand, il doit servir comme un pilier de la politique étrangère russe. Les pays d’Europe organisés sous la direction du Parti bolchevik, qui utilise les capacités militaires de l’armée allemande contre l’Ouest, telle est la perspective, telle est la seule issue...”
En janvier 1923, Die Rote Fahne écrit : “La nation allemande est poussée dans l’abîme si elle n’est pas sauvée par le prolétariat allemand. La nation est vendue et détruite par les capitalistes allemands si la classe ouvrière ne les empêche pas de le faire. Ou la nation allemande meurt de faim et se disloque à cause de la dictature des baïonnettes françaises, ou elle sera sauvée par la dictature du prolétariat.” “Cependant, aujourd’hui le national-bolchevisme signifie que tout est imprégné du sentiment que nous ne pouvons être sauvés que par les communistes. Aujourd’hui, nous sommes la seule issue. La forte insistance sur la nation en Allemagne est un acte révolutionnaire, de même que l’insistance sur la nation dans les colonies.” (Die Rote Fahne, 1er avril 1923). Rakosi, un délégué de l’IC, fait l’éloge de cette orientation du KPD : “...un parti communiste doit s’attaquer à la question nationale. Le parti allemand a traité cette question de façon très habile et adéquate. Il est dans le processus d’arracher l’arme nationaliste hors des mains des fascistes.” (Schüddelkopf, p.177)
Dans un manifeste à la Russie soviétique, le KPD écrit : “La conférence du parti exprime sa gratitude à la Russie soviétique pour la grande leçon, qui a été écrite dans l’histoire avec les flots de sang et les sacrifices incroyables, que la préoccupation de la nation reste encore la préoccupation du prolétariat.”
Talheimer déclare même le 18 avril : “Cela reste la tâche privilégiée de la révolution prolétarienne, non seulement de libérer l’Allemagne, mais d’accomplir l’oeuvre de Bismarck d’intégrer l’Autriche dans le Reich. Le prolétariat doit accomplir cette tâche dans une alliance avec la petite-bourgeoisie.” (Die Internationale, V 8, 18 avril 1923, p.242-247)
Quelle perversion de la position communiste fondamentale sur la nation ! Quel rejet de la position internationaliste développée par les révolutionnaires pendant la 1re guerre mondiale, qui avaient à leur tête Lénine et Rosa Luxemburg et qui ont combattu pour la destruction de toutes les nations !
Après la guerre, les forces séparatistes de Rhénanie et de Bavière sentent leurs chances augmenter et espèrent, avec le soutien de la France, qu’ils pourront séparer la Rhénanie de la Ruhr. C'est avec fierté que la presse du KPD rapporte comment le parti a aidé le gouvernement Cuno dans son combat contre les séparatistes : “De petits détachements armés furent mobilisés dans la Ruhr pour marcher sur Düsseldorf. Ils avaient la tâche d’empêcher la proclamation de la ‘République de Rhénanie’. Quand à 14 heures les séparatistes se rassemblèrent sur les berges du Rhin et s'apprêtaient à commencer leur meeting, quelques groupes de combat, armés de grenades, les ont attaqués. Il a suffi seulement de quelques grenades et toute cette bande fut prise de panique, pris la fuite et abandonna les rives du Rhin. Nous les avions empêchés de se rassembler et de proclamer une ‘République de Rhénanie’.” (W.Ulbricht, Mémoires, p.132, Vol.1)
“Nous ne dévoilons pas un secret si nous disons ouvertement que les détachements de combat communistes, qui dispersèrent les séparatistes dans le Palatinat, dans l’Eifel et à Düsseldorf avec des fusils et des grenades, étaient sous commandement d'officiers prussiens à mentalité nationaliste.” (Vorwärts)
Cette orientation nationaliste n'est pas l'oeuvre du seul KPD; elle est aussi le produit de la politique de l'Etat russe et de certaines parties du l’IC.
Après s'être coordonnée avec le Comité exécutif de l’IC, la direction du KPD pousse à ce que le combat soit dirigé, en premièr lieu, contre la France et seulement après contre la bourgeoisie allemande. Voila pourquoi la direction du KPD proclame : “La défaite de l'impérialisme français dans la guerre mondiale n'était pas un objectif communiste, la défaite de l'impérialisme français dans la Ruhr, par contre, est un objectif communiste.”
Le KPD et l'espoir d'une “alliance nationaliste”
La direction du KPD s’élève contre les grèves. Déjà à la conférence du parti de Leipzig, fin janvier, peu de temps après l'occupation de la Ruhr, la direction, avec le soutien de l’IC, bloque le débat sur cette orientation "nationale-bolchévik" de peur que cela ne mène à son rejet dans la mesure où la majorité du parti s'y oppose.
En mars 1923, lorsque les sections du KPD dans la Ruhr tiennent une conférence régionale, la direction du parti se prononce contre les orientations qu'elles dégagent. La Centrale proclame : “Seul un gouvernement fort peut sauver l'Allemagne, un gouvernement qui est porté par les forces vives de la nation.” (Die Rote Fahne, 1er avril 1923)
Dans la Ruhr la majorité de la conférence du KPD met en avant l'orientation suivante :
- débrayages dans toutes les zones occupées par les forces militaires,
- occupation des usines par les ouvriers en utilisant le conflit franco allemand et si possible prise du pouvoir local.
Au sein du KPD, deux orientations antagoniques s’opposent. L'une est prolétarienne, internationaliste et prend parti pour une confrontation avec le gouvernement Cuno, pour une radicalisation du mouvement dans la Ruhr[3].
Ceci contredit la position de la Centrale du KPD qui, avec l'aide de l’IC, s’oppose énergiquement aux grèves et essaye d’entraîner la classe ouvrière sur le terrain nationaliste.
Le capital peut même être si sûr de la politique de sabotage des luttes ouvrières, que le secrétaire d'Etat, Malzahn, après une discussion avec Radek le 26 mai rapporte dans un mémorandum strictement secret à Ebert et aux ministres les plus importants : “Il (Radek) a pu m’assurer que les sympathies russes découlaient de leurs propres intérêts à se mettre aux côtés du gouvernement allemand (...) Il a défendu énergiquement et a demandé expressément aux dirigeants du parti communiste au cours de la semaine dernière de montrer la stupidité et l'approche erronée de leur attitude précédente vis-à-vis du gouvernement allemand. Nous pouvons être certains de voir que, dans quelques jours, les tentatives de coup d’Etat des communistes dans la Ruhr vont reculer.” (Archives du Foreign Office, Bonn, Deutschland 637.442ff, in Dupeux, p.181)
Après la proposition de front unique avec le SPD contre révolutionnaire et avec les partis de la 2e Internationale, c'est maintenant la politique du silence vis-à-vis du gouvernement capitaliste allemand.
Dans une prise de position de Die Rote Fahne du 27 mai 1923, on peut voir à quel point la direction du KPD est décidée sur le fait qu'il ne faut pas “poignarder dans le dos” le gouvernement : “Le gouvernement sait que le KPD est resté silencieux sur beaucoup de questions à cause du danger provenant du capitalisme français; autrement cela aurait fait perdre la face au gouvernement dans toute négociation internationale. Aussi longtemps que les ouvriers social-démocrates ne luttent pas ensemble avec nous pour un gouvernement ouvrier, le parti communiste n'a pas intérêt à remplacer ce gouvernement sans tête par un autre gouvernement bourgeois... Ou le gouvernement abandonne ses appels au meurtre contre le PC ou nous rompons le silence.” (Rote Fahne, 27 mai 1923, Dupeux, p.1818)
Les appels nationalistes visant à séduire la petite bourgeoisie patriote
Dans la mesure où l'inflation touche aussi la petite bourgeoisie et les classes moyennes, le KPD pense qu'il peut proposer une alliance à ces couches. Au lieu d'insister sur la lutte autonome de la classe ouvrière qui est seule capable d'attirer les autres couches non exploiteuses dans son sillage, dans la mesure où elle développe sa force et son impact, il envoie un message de flatterie et de séduction à ces couches leur disant qu'elles peuvent faire alliance avec la classe ouvrière. “Nous devons nous adresser nous-mêmes aux masses souffrantes, confuses et outragées de la petite bourgeoisie prolétarienne et leur dire qu’elles ne peuvent se défendre elles-mêmes et défendre le futur de l’Allemagne que si elles s’unissent avec le prolétariat dans leur combat contre la bourgeoisie.” (Carr, L’inter-règne, p.176)
“C’est la tâche du KPD d’ouvrir les yeux de l’importante petite bourgeoisie et des masses intellectuelles nationalistes sur le fait que seule la classe ouvrière –une fois victorieuse– sera capable de défendre le sol allemand, les trésors de la culture allemande et le futur de la nation allemande.” (Die Rote Fahne, 13 mai 1923)
Cette politique de l’unité sur une base nationaliste n’est pas le seul fait du KPD, mais elle est aussi soutenue par l’IC. Le discours que K.Radek prononce au Comité exécutif de l’IC le 20 juin 1923 en est un témoignage. Dans ce discours il fait l’éloge d'un membre de l’aile droite séparatiste, Schlageter, qui a été arrêté et tué par l’armée française le 26 mai pendant le sabotage des ponts de chemin de fer près de Düsseldorf. C'est le même Radek qui, dans les rangs de l’IC en 1919 et 1920, a demandé instamment au KPD et au KAPD d’expulser les national-bolcheviks de Hambourg.
“Cependant, nous croyons que la grande majorité des masses qui sont agitées de sentiments nationalistes appartient non au camp du capital mais au camp du travail. Nous voulons chercher et trouver la route pour atteindre ces masses, et nous y arriverons. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour que des hommes qui étaient prêts, comme Schlageter, à donner leur vie pour une cause commune, ne deviennent pas des pélerins du néant, mais les pélerins d'un avenir meilleur pour l’humanité toute entière, ...” (Radek, 20 juin 1923, dans Broué, p.693) “Il est évident que la classe ouvrière allemande ne conquerra jamais le pouvoir si elle n’est pas capable d’inspirer confiance aux larges masses du peuple allemand, qu'il s'agit là du combat mené par ses meilleures forces pour se débarrasser du joug du capital étranger." (Dupeux, p.190)
Cette idée, que “le prolétariat peut agir comme une avant-garde et la petite bourgeoisie nationaliste comme un arrière-garde”, en bref que tout le peuple peut être pour la révolution, que les nationalistes peuvent suivre la classe ouvrière, sera défendue sans la moindre réserve par le 5e congrès de l’IC en 1924. Même si l’opposition se prononce contre la politique du “silence” qui est pratiquée par la direction du KPD depuis septembre 1923, cela ne l'empêche pas d’amener la classe ouvrière dans des impasses et sur un terrain nationaliste. Ainsi R.Fisher propage des mots d’ordre antisémites : “Qui parle contre le capital juif... est déjà un combattant de la classe, même s’il ne le sait pas... Combattre contre les capitalistes juifs, les pendre aux réverbères, les écraser... L’impérialisme français est maintenant le plus grand danger dans le monde, la France est le pays de la réaction... Seule l’établissement d’une alliance avec la Russie... peut faire que le peuple allemand chasse le capitalisme français de la Ruhr.” (Flechtheim, p.178)
La classe ouvrière se défend sur son terrain de classe
Alors que la bourgeoisie vise à attirer la classe ouvrière en Allemagne sur un terrain nationaliste et à l’empêcher de défendre ses intérêts de classe, alors que le Comité exécutif de l’IC et la direction du KPD poussent la classe ouvrière sur ce terrain nationaliste, la majorité des ouvriers dans la Ruhr et dans les autres villes ne se laissent pas entraîner sur ce terrain. Seules quelques usines ne sont pas touchées par les grèves.
De petites vagues de grèves et de protestations se multiplient. Ainsi le 9 mars en Haute Silésie, 40 000 mineurs débrayent, le 17 mars à Dortmund, les mineurs arrêtent le travail. De plus, les chômeurs manifestent avec les actifs, comme le 2 avril à Mulheim dans la Ruhr.
Alors que des parties de la direction du KPD sont séduites et trompées par les flatteries nationalistes, il devient clair pour la bourgeoisie allemande, dès que les grèves surgissent dans la Ruhr, qu’il lui faut l’aide des autres Etats capitalistes contre la classe ouvrière. A Mulheim les travailleurs occupent plusieurs usines. Presque toute la ville est touchée par la vague de grèves, l’Hôtel de ville est occupé. Les troupes allemandes de la Reichswehr ne peuvent pas intervenir à cause de l’occupation de la Ruhr par les forces françaises ; on appelle alors la police, mais leurs effectifs sont insuffisants pour exercer la répression contre les ouvriers. Le maire de Düsseldorf demande par courrier le soutien du Général en Chef des forces d’occupation françaises : “Je dois vous rappeler que le commandement suprême allemand aida les troupes françaises à l’époque de la Commune de Paris, à tout moment, pour écraser ensemble le soulèvement. Je vous demande de nous offrir le même soutien, si vous voulez éviter qu’une situation similaire ne se produise.” (Dr Lutherbeck, lettre au général De Goutte, dans Broué, p.674)
En plusieurs occasions la Reichswehr est envoyée pour écraser des luttes ouvrières dans différentes villes, comme Gelsenkirchen et Bochum. En même temps que la bourgeoisie allemande affiche son animosité dans les relations avec la France, elle n’hésite jamais à envoyer l'armée contre les travailleurs qui résistent au nationalisme.
L’accélération rapide de la crise économique, surtout de l’inflation, impulse la combativité ouvrière. Les salaires perdent de leur valeur heure par heure. En comparaison avec la période d’avant-guerre, le pouvoir d’achat est divisé par quatre. De plus en plus d’ouvriers perdent leur travail. Au cours de l’été 60% de la force de travail se retrouve sans emploi. Même les fonctionnaires reçoivent des salaires ridicules. Les entreprises veulent imprimer leur propre “monnaie”, les autorités locales introduisent une “monnaie de secours” pour le paiement des fonctionnaires. Puisque la vente de leur récolte ne rapporte plus aucun profit, les fermiers gardent leurs produits et les stockent. L’approvisionnement en nourriture est presque au point mort. Les travailleurs et les chômeurs manifestent ensemble de plus en plus souvent. De partout on rapporte des révoltes de la faim et des pillages de magasins. Fréquemment la police ne peut qu’assister passivement aux révoltes de la faim.
Fin mai, près de 400.000 ouvriers partent en grève dans la Ruhr, en juin 100 000 mineurs et métallurgistes en Silésie, tout comme 150.000 ouvriers à Berlin. En juillet, un autre vague de grèves surgit qui mène à une série de confrontations violentes.
Ces luttes comportent toujours une de ces caractéristiques qui seront typiques de toutes les luttes ouvrières dans la période de décadence du capitalisme : un nombre important d’ouvriers quittent les syndicats. Dans les usines les ouvriers s'organisent en assemblées générales, de plus en plus de rassemblements se font dans la rue. Les ouvriers passent plus de temps dans la rue, dans des discussions et des manifestations, qu’au travail. Les syndicats s’opposent autant qu’ils peuvent au mouvement. Les travailleurs essayent spontanément de s’unir dans des assemblées générales et des comités d’usines à la base. La tendance est à l’unification. Le mouvement gagne en puissance. Sa force ne réside pas dans un regroupement autour des mots d’ordre nationalistes, mais dans la recherche d’une orientation de classe.
Où sont les forces révolutionnaires ? Le KAPD, affaibli par le fiasco de la scission entre les tendances d’Essen et de Berlin, à nouveau réduit en nombre et organisationnellement affaibli depuis la fondation de la KAI (Internationale communiste ouvrière), n’est pas capable d’avoir une intervention organisée dans cette situation même s'il exprime assez bruyamment son rejet du piège national-bolchevik.
Le KPD, qui a attiré de plus en plus d’éléments (les 4/5e), s’est cependant lui même passé la corde du pendu autour du cou. Le KPD est incapable d’offrir un orientation claire pour la classe. Que propose le KPD ?[4] Il refuse d'agir pour renverser le gouvernement. En fait le KPD et l’IC accroissent la confusion et contribuent à l’affaiblissement de la classe ouvrière.
D’un côté le KPD fait concurrence aux fascistes sur le terrain nationaliste. Le 10 août par exemple (le jour même où surgit une vague de grèves à Berlin), les dirigeants du KPD, comme Talheimer à Stuttgart, tiennent encore des rassemblements nationalistes ensemble avec les national-socialistes. En même temps le KPD appelle à la lutte contre le danger fasciste. Alors qu’à Berlin le gouvernement interdit toute manifestation et que la direction du KPD est prête à se soumettre à cette interdiction, l’aile gauche du parti quant à elle veut à tout prix organiser le 29 juin une mobilisation du front uni contre les fascistes !
Le KPD est incapable de prendre une décision claire ; le jour de la manifestation quelques 250.000 ouvriers sont dans la rue face aux bureaux du parti, attendant en vain des instructions.
En août 1923, le KPD contre l'intensification des luttes
En août une nouvelle vague de grèves commence. Presque tous les jours les ouvriers manifestent, actifs et chômeurs ensemble. Dans les usines c'est l’effervescence, des comités d’usines se forment. L’influence du KPD est à son apogée.
Le 10 août les ouvriers de l’imprimerie de la monnaie nationale partent en grève. Dans une économie heure par heure l’Etat doit imprimer davantage de monnaie, la grève des imprimeurs des billets de banque a un effet paralysant particulièrement fort sur l’économie. En quelques heures les réserves de papier-monnaie sont épuisées. Les salaires ne peuvent plus être payés. La grève de l’imprimerie qui a commencé à Berlin, s’étend comme une traînée de poudre aux autres secteurs de la classe. De Berlin elle s’étend à l’Allemagne du nord, àla Rhénanie, au Wurtemberg, à la Haute Silésie, à la Thuringe et jusqu’à la Prusse orientale. De plus en plus de secteurs de la classe ouvrière rejoignent le mouvement. Les 11 et 12 août se produisent de violentes confrontations dans plusieurs villes ; plus de 35 ouvriers sont tués par la police. Comme tous les mouvements qui ont surgi depuis 1914, ils sont caractérisés par le fait qu’ils se mènent en dehors et contre la volonté des syndicats. Les syndicats comprennent que la situation est sérieuse. Quelques uns simulent un soutien à la grève au début, pour être capables de la saboter de l’intérieur. D’autres syndicats s’opposent directement à la grève. Le KPD lui-même prend position, une fois que les grèves ont commencé à s’étendre : “pour une intensification des grèves économiques, pas de revendications politiques. ” Et dès que la direction syndicale annonce qu’elle ne soutient pas la grève, la direction du KPD appelle les ouvriers à cesser la grève. La direction du KPD ne veut soutenir aucune grève en dehors du cadre syndical.
Alors que Brandler insiste pour arrêter la grève, puisque l’ADGB s’y oppose, les section locales du parti par contre veulent étendre le nombre de grèves locales et les unifier dans un grand mouvement contre le gouvernement Cuno. Le reste de la classe ouvrière est “appelé à s’unir au puissant mouvement du prolétariat de Berlin et à étendre la grève générale à travers l’Allemagne.”
Le parti en arrive à une impasse. La direction du parti se prononce contre la continuation et l’extension des grèves, car ceci impliquerait le rejet du terrain nationaliste sur lequel le capital veut entraîner les ouvriers en même temps qu'une remise en cause du front unique avec le SPD et les syndicats.. Le 18 août, le Rote Fahne écrit encore : “S’ils le veulent, nous combinerons même nos forces avec le peuple qui a assassiné Liebknecht et Rosa Luxemburg.”
L’orientation pour un front unique, l’obligation de travailler dans les syndicats sous le prétexte de vouloir conquérir plus d’ouvriers de l’intérieur, signifie en réalité se soumettre à la structure syndicale, contribuer à empêcher les ouvriers de prendre leurs luttes en mains. Tout ceci signifie un conflit terrible pour le KPD : ou reconnaître la dynamique de la lutte de classe, rejeter l’orientation nationaliste et le sabotage syndical, ou se retourner contre les grèves, être absorbé par l’appareil syndical, en dernière analyse devenir le mur protecteur de l'Etat et agir comme un obstacle pour la classe ouvrière. Pour la première fois dans son histoire, le KPD en arrive à un conflit ouvert avec la classe ouvrière en lutte, à cause de son orientation syndicale et parce que la dynamique des luttes ouvrières pousse les ouvriers à rompre avec le cadre syndical. La confrontation avec les syndicats est inévitable. Au lieu de l'assumer, la direction du KPD discute des moyens de prendre la direction des syndicats pour soutenir la grève !
Sous la pression de cette vague de grèves le gouvernement Cuno démissionne le 12 août. Le 13 août la direction du KPD lance un appel à cesser la grève. Cet appel rencontre la résistance des délégués de base, qui se sont radicalisés, dans les usines à Berlin. De plus, des sections locales du parti s’y opposent aussi et veulent que le mouvement continue. Elles attendent les instructions de la Centrale. Elles veulent éviter les confrontations isolées avec l’armée en attendant que les armes, que la Centrale prétend posséder, soient distribuées.
Le KPD est devenu la victime de sa propre politique national-bolchevik et de sa tactique de front unique ; la classe ouvrière est plongée dans une grande confusion et perplexité, ne sachant pas vraiment quoi faire ; la bourgeoisie par contre est prête à prendre l’initiative.
Comme dans les situations précédentes de développement de la combativité ouvrière, le SPD va jouer un rôle décisif pour briser la tête du mouvement. Le gouvernement Cuno, proche du parti du Centre, est remplacé par une “grande coalition” à la tête de laquelle se trouve le dirigeant du Centre Gustav Streseman, qui est soutenu par 4 ministres du SPD (Hilferding devient ministre des Finances). Le fait que le SPD rejoigne le gouvernement n’est pas l’expression d’une impuissance ou d'une paralysie, ni d’une incapacité du capital d’agir, comme le KPD le croit à tort. C'est une tactique consciente de la bourgeoisie pour contenir le mouvement. Le SPD n’est en aucun manière sur le point de céder, comme la direction du KPD le proclamera plus tard, pas plus que la bourgeoisie n'est divisée ou dans l'incapacité de nommer un nouveau gouvernement.
Le 14 août, Streseman annonce l’introduction d’une nouvelle monnaie et la stabilisation des salaires. La bourgeoisie parvient à prendre le contrôle de la situation et décide de manière consciente d’en terminer avec la spirale de l’inflation – de la même manière qu’un an auparavant elle a consciemment décidé de laisser se développer l’inflation.
En même temps, le gouvernement appelle les ouvriers dans la Ruhr à terminer la “résistance passive” contre la France et, après avoir “flirté” avec la Russie, il déclare la “guerre au bolchevisme” un des principaux objectifs de la politique allemande.
En promettant de maîtriser l’inflation la bourgeoisie parvient à inverser le rapport de forces ; même si après la fin du mouvement à Berlin une série de grèves continuent en Rhénanie et dans la Ruhr, le 20 août, le mouvement dans son ensemble est terminé.
La classe ouvrière n’a pas pu être entraînée sur le terrain nationaliste, mais elle est incapable de pousser en avant son mouvement – une des raisons en étant que le KPD lui-même est une victime de sa propre politique national-bolchevik, permettant ainbsi à la bourgeoisie de faire un pas vers son objectif qui est d’infliger une défaite décisive à la classe ouvrière. La classe ouvrière sort désorientée de ces luttes, avec un sentiment d’impuissance face à la crise.
Les fractions de gauche de l’IC, qui se sentent encore plus isolées après l’abandon du projet d’alliance entre l’“Allemagne opprimée” et la Russie, après le fiasco du national-bolchevisme, se trouvent entraînées à essayer de se tourner à nouveau dans une tentative désespérée d’insurrection. C'est ce que nous aborderons dans la deuxième partie de cet article.
DV.[1] Dans un correspondance privée, le président du Parti en 1922, E.Meyer insulte la Centrale et des dirigeants du parti. Meyer envoie par exemple des notes personnelles, donnant des descriptions de la personnalité des dirigeants du parti dans leur comportement avec leur femme. Il demande à sa femme qu’elle lui rapporte des informations sur l’atmosphère dans le parti, pendant son séjour à Moscou. Il y a un beaucoup de correspondance privée entre les membres de la Centrale et l’IC. Différentes tendances dans l’IC ont des liens particuliers avec différentes tendances dans le KPD. Le réseau de “canaux de communication informels et parallèles” est étendu. Qui plus est, l’atmosphère dans le KPD est pour fortement empoisonnée : au 5e congrès de l’IC, Ruth Fischer, qui elle-même a considérablement contribué à cela, rapporte : “à la conférence du parti de Leipzig (en janvier 1923) il est arrivé quelque fois que des travailleurs de différents quartiers soient assis à la même table. A la fin il demandaient : d’où êtes-vous ? Et quelque pauvre ouvrier disait : je suis de Berlin. Les autres se levaient alors, quittant la table et évitant le délégué de Berlin. Voilà sur l’atmosphère dans le parti.”
[2] Des voix dans le parti tchèque s’opposent à cette orientation. Ainsi Neurath attaque les positions de Talheimer comme une expression de la corruption par les sentiments patriotiques. Sommer, un autre communiste tchèque, écrit dans le Rote Fahne pour demander le rejet de cette orientation : “il ne peut y avoir aucune compréhension avec l’ennemi de l’intérieur.” (Carr, L’inter-règne, p.168)
[3] En même temps ils veulent mettre en place des unités économiques autonomes, une orientation qui exprime le fort poids syndicaliste. L’opposition du KPD veut une république ouvrière qui serait mise en place en Rhénanie-Ruhr, pour envoyer une armée en Allemagne centrale pour y contribuer à la prise du pouvoir. Cette motion, proposée par R.Fischer, est rejetée par 68 contre 55 voix.
[4] Beaucoup d’ouvriers, qui n’ont pas une grande formation théorique et politique, sont attirés par le parti. Le parti ouvre ses portes à l’adhésion de masse. Tout le monde est le bienvenu. En avril 1922, le KPD annonce : “dans la situation politique actuelle, le KPD a le devoir d’intégrer tout ouvrier dans nos rangs, qui veut nous rejoindre.” A l’été 1923, beaucoup de sections de province tombent entre les mains d’éléments jeunes, radicaux. Ainsi, de plus en plus impatients, les éléments inexpérimentés rejoignent le parti. En 6 mois les effectifs du parti passent de 225 000 à 295 000 membres, de septembre 1922 à septembre 1923, le nombre de groupes locaux du parti passe de 2481 à 3321. A cette époque, le KPD a sa propre presse et publie 34 quotidiens et un grand nombre de revues. En même temps beaucoup d’éléments infiltrés ont rejoint le parti, pour essayer de le saboter de l'intérieur.