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A l'aube du 20e siècle, la plupart des instruments de lutte forgés précédemment par le prolétariat durant des décennies ne lui servent plus à rien. Pire, ils se retournent contre lui et deviennent des armes du capital. Il en est ainsi des syndicats, des grands partis de masse, de la participation aux élections et de l'utilisation du parlement bourgeois pour la défense de ses intérêts. Et cela parce que le capitalisme est entré dans une phase complètement différente de son évolution : celle de sa décadence. C'est la première guerre mondiale qui signe cette coupure entre les deux périodes de la vie du capitalisme. "Une nouvelle époque est née. L'époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat" proclame en 1919 l'Internationale communiste dans sa plate-forme.
Les gauches qui se sont dégagées de l’Internationale communiste dégénérescente face aux problèmes posés par la décadence du capitalisme
"La période de décadence du capitalisme se caractérise par une absorption de la société civile par l'Etat. De ce fait, le législatif, dont la fonction initiale est de représenter la société, perd tout son poids devant l'exécutif qui est le sommet de la pyramide étatique. Cette période connaît une unification du politique et de l'économique, l'Etat devenant la principale force dans l'économie nationale et sa véritable direction. Que ce soit par une intégration graduelle (économie mixte) ou par un bouleversement brusque (économie entièrement étatisée) l'Etat cesse d'être un organe de délégation des capitalistes et groupes d'intérêts, pour devenir le capitaliste collectif, soumettant à sa férule tous les groupes d'intérêts particuliers. L'Etat en tant qu'unité réalisée du capital national, défend les intérêts de celui-ci sur l'arène impérialiste mondiale et sur le marché mondial. De même il prend directement à sa charge d'assurer la soumission et l'exploitation de la classe ouvrière". (Revue Internationale n°23, Le prolétariat dans le capitalisme décadent). L'Etat capitaliste démocratique, stalinien ou fasciste, concrétise, sous différentes formes produites par des circonstances différentes, cette évolution de l'Etat de la période de décadence. Lorsque des institutions démocratiques sont maintenues, elles ont en fait perdu leur substance antérieure et n'existent plus uniquement qu'avec la fonction de mystifier la classe ouvrière.
Les conséquences de la dégénérescence opportuniste de l'Internationale communiste
La fondation de l'Internationale Communiste correspondait à cette capacité du prolétariat, se soulevant dans les principaux pays du monde contre la barbarie du capitalisme, à se hisser à la hauteur des nécessités politiques de la révolution. Elle traduisait des avancées du mouvement révolutionnaire dans la compréhension des conditions de la nouvelle période, comme le montrent les travaux des premier et deuxième congrès. Le premier congrès en particulier est celui de la rupture avec la social-démocratie, dont la trahison avait été responsable de l’embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste, qui avait constitué le fer de lance de l'offensive de la bourgeoisie contre la révolution en Russie et en Allemagne. Cependant, dans leur majorité, les révolutionnaires restent marqués par le poids du passé. L'IC, constatant que "les réformes parlementaires ont perdu toute importance pratique pour les classes laborieuses", n'en continue pas moins de prôner la participation à cette institution. Pire encore, le recul de la vague révolutionnaire à l'échelle internationale s'accompagne de la dégénérescence opportuniste de l'IC et des partis qui la constituent, partis qui, quelques années auparavant, s'étaient trouvés à l'avant garde du combat de la classe ouvrière. Déjà les troisième et quatrième congrès expriment une régression sur un certain nombre de questions et adoptent des positions opportunistes directement responsables de l'affaiblissement de la conscience dans les rangs de la classe ouvrière internationale. En effet, en contradiction avec le premier congrès, le troisième congrès propose, à travers la politique de Front Unique, l’alliance avec la social-démocratie, permettant ainsi la réhabilitation de cette organisation aux yeux du prolétariat, alors qu'elle fait pourtant déjà partie des rouages de l'Etat bourgeois. L'aboutissement d'une telle trajectoire de dégénérescence sera la mort de l'Internationale pour le prolétariat. En effet, en 1927, elle adopte des thèses défendant la possibilité du socialisme en un seul pays. Dans les années 30, ce sera le passage dans le camp de la contre-révolution des PC qui deviendront à leur tour le fer de lance de la bourgeoisie pour l'embrigadement du prolétariat dans la seconde guerre mondiale.
Ce n'est donc pas un hasard si, dans les années 20, la majorité de l'IC développe une analyse erronée du fascisme lors des premières manifestations significatives de son essor en Italie. De telles erreurs résultent d'incompréhensions concernant le mode de vie du capitalisme décadent. De plus, elles sont favorisées par le cours opportuniste pris par l'Internationale, résultant du recul général de la vague révolutionnaire. Cela s'exprime en particulier par une clarté et une fermeté insuffisantes sur la méthode d'analyse marxiste de la réalité, laissant la part belle aux illusions démocratiques.
Le travail de clarification effectué par les gauches restées fidèles au camp prolétarien
En réaction à la dégénérescence de l'IC et pour la combattre, se crée en son sein, au début des années 20, une nouvelle Gauche résultant de l'activité des courants marxistes de gauche actifs en Italie, en Allemagne et en Hollande. Ces fractions, qui vont être exclues tout au long des années 20, poursuivront le combat politique pour assurer la continuité entre l’IC et le "parti de demain" en tirant un bilan de la vague révolutionnaire et de sa défaite. Bilan était précisément le nom de la revue de la Fraction italienne de la Gauche communiste dans les années 1930. Le travail de clarification de ces fractions inclue bien sûr l'analyse du fascisme et de l'antifascisme sur laquelle elles s'opposent radicalement non seulement aux partis staliniens dégénérescents mais également, dans les années trente, à Trotsky.
De notre point de vue, c'est la Gauche communiste d'Italie qui fit la contribution la plus importante sur ces questions et c'est à dessein que nous rapportons de nombreux témoignages de son effort d'analyse à travers la publication d'extraits de textes de sa revue Bilan. Nous nous réfèrerons également à des contributions ou analyses d'autres composantes du mouvement ouvrier, des courants ou éléments apparentés à la gauche allemande ou hollandaise.
Des approfondissements de l'analyse du fascisme seront encore effectués par la suite, par les organisations ou courants présentant une filiation politique ou organisationnelle avec ces fractions. Nous évoquerons en particulier Internationalisme (Revue de la Gauche communiste de France - GCF - publiée dans la seconde moitié des années quarante et au début des années cinquante), l'ancêtre du CCI. Internationalisme, tout en s'appuyant essentiellement sur les acquis de Bilan, a su également mettre à profit certains apports de la Gauche germano-hollandaise sur le capitalisme d'Etat. Nous parlerons également du PCI-Programme communiste, une des deux organisations auxquelles donna naissance en 53 la scission du PCI fondé en 1947 (l'autre organisation étant le PCInt-Battaglia comunista) en particulier à propos de son article important Auschwitz ou le grand alibi.
Pour fondamentaux que soient les apports des Gauches (sans eux le CCI et les autres groupes révolutionnaires n'existeraient pas aujourd'hui), ceux-ci se situent sur différents plans et sont de valeurs inégales. Quelles que soient les forces et les faiblesses des contributions des Gauches, il est néanmoins essentiel de les considérer toutes comme des efforts du prolétariat pour développer, à l'échelle de l'histoire, la conscience des conditions de son combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. De plus, elles ont toutes en commun la caractéristique de s'inscrire dans la défense intransigeante du terrain de classe du prolétariat. De façon théorique mais aussi pratique et militante puisque c'est à elles qu'il est revenu, dans les années 30/40, dans des conditions extrêmement difficiles, de maintenir haut et fort le drapeau de l'internationalisme prolétarien face à l'hystérie chauvine des anciens partis ouvriers.
Tout autre est la "contribution" du courant trotskiste. Dans les années 30 et jusqu’à l'éclatement de la seconde guerre mondiale, il fait partie du camp prolétarien qu'il n'a pas encore trahi. Mais la guerre venue, en abandonnant l'internationalisme prolétarien, il empruntera à son tour le chemin pris avant lui par la social-démocratie et le stalinisme, qui mène dans le camp de la bourgeoisie contre le prolétariat, en appelant les prolétaires à choisir un camp impérialiste, celui de la défense de l'Etat russe. Jusqu'à ce moment tragique, sa contribution à la compréhension du fascisme et de l'antifascisme est directement en lien avec sa trajectoire opportuniste : elle est un facteur de désorientation de la classe ouvrière la poussant à adhérer aux mots d'ordre antifascistes des partis staliniens et démocrates.