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Encore une fois, un phénomène naturel s’est transformé en une véritable catastrophe sociale.
Le 26 décembre 2004, un raz-de-marée a frappé l’Asie du Sud. Le nombre de morts directement imputables au phénomène dépasse aujourd’hui largement les 300 000. Et maintenant, ce sont les maladies, la malnutrition, l'insalubrité qui vont venir frapper les populations et continuer à semer la mort. Le raz-de-marée n'a pas fini de tuer tant la dévastation des régions touchées est immense et tant le manque de moyens pour enterrer les morts et reconstruire des abris est criant.
Toute cette horreur, les médias l’ont déjà étalée en long, en large et en travers. Mais au-delà du drame, nous devons faire entendre la voix des révolutionnaires au milieu de ce vacarme médiatique. Les révolutionnaires doivent crier haut et fort ce que démontre cette catastrophe :
1. Seule la classe ouvrière est à même d'apporter une véritable solidarité à toutes les victimes du capitalisme,
2. Le capitalisme est un système meurtrier et cynique.
Le capitalisme est le seul responsable de la catastrophe humaine
D’abord, la bourgeoisie tente de se dédouaner, de masquer sa responsabilité directe dans la catastrophe. Elle voudrait nous faire croire que tout ceci était inévitable. La fatalité, la revanche de la ‘mère-nature’, l’imprévisibilité du phénomène, la force des éléments : tout ceci est évoqué pêle-mêle pour nous le démontrer. Rien n’est plus faux !
La nature ne peut pas être condamnée. Car des moyens existent pour prévenir et détecter les raz-de-marée, et des moyens existent pour diminuer les effets de tels phénomènes. Dans la baie de Tokyo, il y a des capteurs qui permettent de détecter la naissance d'ondes de choc provoquant des vagues de 60 centimètres. Dès les premières manifestations de mouvements terrestres, la population est prévenue et les mesures de protection mises en oeuvre. La même chose existe en Californie. Des panneaux d'information sont disséminés sur les plages, des abris sont construits, des sirènes et des haut-parleurs sont maintenus en veille, des exercices d'alerte sont organisés une à deux fois par an dans tous les lieux publics et les écoles.
En Indonésie, à Sumatra, en Thaïlande, en Inde, sur les côtes africaines, rien de tout cela. Les populations et les touristes étaient tellement mal informés du risque que lorsque la mer s'est retirée brutalement quelques minutes avant l'arrivée de la première grande vague, ils se sont massés sur la plage pour observer ce qu'ils pensaient être une marée de coefficient exceptionnel... De même, des techniques existent pour construire des bâtiments résistants aux tremblements de terre et aux chocs latéraux comme ceux d'une vague, ou au moins des bâtiments qui ne s'écroulent pas comme des châteaux de carte. Mais dans les régions touchées par le dernier tsunami, seuls les hôtels les plus récents ont plus ou moins résisté. L'habitat local, lui, est plus souvent fait de murs étroits au béton rare et friable, et de cabanes en bois ou en tôle. Il n'en reste plus rien.
Pourquoi n’y a t-il aucun système d’alerte dans ces régions ? La raison invoquée est que cette zone n'est pas classée comme zone à haut risque. Les grands tremblements de terre y sont rares, les raz-de-marées encore plus. Installer un système sophistiqué comme celui mis en oeuvre au Japon et en Californie coûterait beaucoup trop cher par rapport au risque d'investissement encouru.
C'est la loi du capitalisme. Il n'est pas envisageable d'investir des capitaux de façon non rentable dans la prévention des catastrophes, de dépenser de l'argent là où il ne rapportera pas de profits.
Le capitalisme est aujourd'hui un système social en décomposition. Il est devenu une entrave et une menace pour la survie de l’espèce humaine. Aux explications partielles mais surtout crapuleuses et cyniques de la classe dominante, les révolutionnaires doivent opposer l’analyse du marxisme.
"A mesure que le capitalisme se développe puis pourrit sur pied, il prostitue de plus en plus cette technique qui pourrait être libératrice à ses besoins d’exploitation, de domination, et de pillage impérialiste, au point d’en arriver à lui transmettre sa propre pourriture et à la retourner contre l’espèce (…)Le capitalisme n’est pas innocent non plus des catastrophes dites 'naturelles'. Sans ignorer l’existence de forces de la nature qui échappent à l’action humaine, le marxisme montre que bien des catastrophes ont été indirectement provoquées ou aggravées par des causes sociales (…) Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces catastrophes par sa soif de profit et par l’influence prédominante de l’affairisme sur la machine administrative (…) mais elle se révèle incapable d’organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n’est pas une activité rentable". (A. Bordiga, "Espèce humaine et croûte terrestre")
L'hypocrisie et le cynisme de la bourgeoisie mondiale
Et le mépris pour la vie humaine dont a témoigné la bourgeoisie va encore bien plus loin. L'Inde par exemple n'a été touchée que deux à trois heures après Sumatra. Aucune mesure n'avait été prise. Les côtes africaines comme la Somalie, à deux pas d'une base militaire moderne et équipée, celle de l'armée française à Djibouti, avait théoriquement six heures pour se préparer. Rien n'a été fait!
Mais, selon la logique capitaliste, pourquoi mettre autant de moyens pour protéger des côtes africaines et asiatiques principalement occupées par des petits pêcheurs miséreux et par une industrie touristique aux retombées principalement locales et somme toute limitées ?
Faut-il encore insister pour montrer que l'ampleur de la catastrophe n'est pas due à la seule nature ? Dès lors, ce qui est avant tout responsable, c'est la logique capitaliste. C'est le système capitaliste, celui-là même qui sème la mort directement sous les bombes de l'impérialisme, c'est le capitalisme qui ne permet pas que les moyens qui pourtant existent, soient mis en oeuvre pour prévenir de telles horreurs.
Et bien sûr, pour ‘réparer’, la bourgeoisie en appelle au bon cœur de la classe ouvrière, elle multiple les demandes de dons. Voici un nouveau mensonge encore plus écœurant. On nous fait cette promesse de lendemains meilleurs à chaque catastrophe et chaque nouvelle catastrophe est à son tour plus meurtrière.
D'une part, les sommes récoltées ne peuvent permettre, en aucune façon, de soulager la détresse et le désespoir de tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont perdu leurs proches dont les corps ne seront jamais retrouvés ou ont été entassés dans l'urgence dans des fosses communes, sans sépulture et qui ne pourront jamais faire le deuil de ces victimes.
L'argent ne peut réparer l'irréparable : il n'a jamais été un remède à la souffrance morale ! Et il n’excuse en rien le comportement meurtrier, que nous venons de décrire, de la bourgeoisie.
D’autre part, la contribution des grandes puissances ressemble plus à une aumône qu'à une véritable aide. Ces promesses atteignent pour l'ensemble des pays contributeurs la somme d’environ 10 milliards de dollars. Cela peut paraître beaucoup, mais ça ne tient pas la comparaison face à d'autres chiffres : par exemple, les Etats-Unis ont d'ores et déjà dépensé pour l'actuelle guerre en Irak 225 milliards de dollars. Le budget français de la défense en 2005 est de 33 milliards d'euros. Il est de 22 milliards en Allemagne, de 38 milliards au Royaume-Uni.
Il est clair que la bourgeoisie rechigne beaucoup moins à ouvrir le porte-monnaie quand il s'agit de défendre ses intérêts impérialistes dans la guerre que lorsqu’il s’agit de venir en aide à une population sinistrée. Elle est aussi plus rapide à intervenir quand la défense de ses intérêts impérialistes est immédiatement en jeu. Il a fallu une semaine pour que les bourgeoisies se décident à envoyer des moyens en Asie. Quand les affrontements ont commencé en Côte d'Ivoire, il n'a fallu que 24 heures à la France pour mettre en place un plan d'intervention. Lorsque le raz-de-marée a frappé en Asie et en Afrique, il n'y avait aucune raison de se précipiter, car il n'y avait rien à y gagner immédiatement à secourir les populations.
C'est pourquoi cette prétendue "aide humanitaire" des Etats, cette fameuse mobilisation mondiale reprise par tous les journaux à longueur de colonnes, tout cela pue l'hypocrisie la plus totale. Par la suite, c'est la course à la générosité qui s'est mise en place qui est devenue un enjeu dans les rivalités impérialistes entre nations. Dans cette course, aux montants dérisoires, chaque Etat profite de toutes les occasions pour mettre des bâtons dans les roues de ses adversaires. C'est à celui qui ira le plus vite. Ce cynisme est résumé dans l'aveu de la porte-parole de la Maison Blanche, C. Rice, qui a déclaré à la télévision: "le tsunami en Asie a été un grand bienfait pour les Etats-Unis car il a permis de démontrer la générosité et la capacité de mobilisation des USA".
Dans ce que nous pourrions appeler la guerre de la générosité, on trouve encore une fois les ONG en première ligne. Déjà, crier si fort que l'on est une organisation non gouvernementale est suspect : cela veut plutôt dire que l'on est le bras du gouvernement. Il suffit pour s'en convaincre de voir la pagaille sur le lieu même du drame : chaque télévision nationale nous fait la promotion de telle ou telle ONG qui, en fonction de son pays d’origine, est chargée de défendre les intérêts concurrents de tel ou tel gouvernement, au détriment et contre les autres ONG. Ainsi, la solidarité dans la bouche de la bourgeoisie se transforme en chauvinisme. Le résultat est éloquent : au lieu d'organiser des secours et des aides efficaces, les ONG se précipitent sur les lieux les plus médiatisés ou les plus stratégiquement importants : on a vu ainsi jusqu'à cinquante organisations présentes à un même endroit, et chacune défend sa chapelle : les catholiques, les bouddhistes, les musulmans, les Français, les Américains, les Anglais, etc. Chacun se bat pour ses intérêts plus que pour celui des populations. Au final, c'est la désorganisation totale, des convois inadaptés qui ne peuvent emprunter les routes boueuses, une gabegie lamentable.
La solidarité humaine et la solidarité prolétarienne
Au moment même du drame, sans attendre les secours, les survivants se sont mutuellement entraidés, tant les populations asiatiques vis-à-vis des touristes, que les touristes vis-à-vis des populations locales. Chacun a tenté de venir en aide aux autres, dégageant des cadavres avec un courage extraordinaire, soutenant les survivants blessés. La population locale malgré le profond dénuement dans lequel elle se trouvait, est venue en aide aux touristes perdus et démunis, en offrant de partager un modeste repas ou quelques vêtements.
Et dès les premières images à la télé, le premier réflexe de beaucoup, partout dans le monde, a été de chercher à faire quelque chose. Spontanément, des millions de personnes, et notamment des prolétaires dans tous les pays, ont proposé d’offrir de la nourriture, des vêtements, des dons financiers. En France par exemple, des employés de supermarchés, où travaillent des personnes venant des pays touchés par la catastrophe, ont spontanément offert leurs primes de fin d'année.
La solidarité qu’a exprimé le prolétariat peut et doit nous donner confiance en notre classe. Donner 10, 20 ou 30 euros quand on est au SMIC témoigne d’un dévouement remarquable. Aujourd’hui, dans ce monde pourrissant, le capitalisme ne cesse de prôner l’individualisme, le "chacun-pour-soi", la concurrence avec les autres, voir la haine de l’autre… et pourtant, on voit que dès qu’il y a un moyen d’exprimer sa solidarité, une solidarité désintéressée et profondément humaine, la classe ouvrière s’y engouffre.
Les révolutionnaires doivent saluer cet esprit de solidarité qui donne la confirmation qu'il existe bien une classe ouvrière qui développe ses réflexes de classe, dont l'un des plus essentiels est la solidarité. Bien sûr, il n'y a pas que la classe ouvrière qui développe la solidarité, c'est un élément de la conscience humaine en général. Mais dans un monde capitaliste où tout sentiment désintéressé est exclu puisqu’il ne permet pas de dégager du profit, dans un tel monde, il n'y a que la classe ouvrière qui peut développer une vraie solidarité. Elle peut la développer car seule la classe ouvrière n'a aucun intérêt dans le capitalisme.
Face à cette solidarité qui cherche à s’exprimer, l’attitude de la bourgeoisie est à vomir. Elle récupère cet immense élan de solidarité et le détourne pour ses propres petits intérêts mesquins avec le plus grand mépris non seulement envers les victimes du tsunami mais aussi envers cet effort de la classe ouvrière. La solidarité que nous propose la bourgeoisie, c’est l’orchestration et l'organisation d'un gigantesque racket à l’échelle planétaire pour rançonner davantage les populations (et la classe ouvrière en particulier), spectaculairement sollicitées pendant des semaines, en permanence et de façon lancinante, à verser de d'argent à des ONG, par tous les médias de chaque pays.
Comment exprimer la véritable solidarité prolétarienne ?
La solidarité ouvrière est désintéressée. Elle exprime une vraie générosité qui est l'espoir du développement futur de la société humaine. Mais aujourd'hui, il est bien difficile de donner à cette solidarité sa vraie ampleur : ce réflexe prolétarien est immédiatement récupéré et instrumentalisé par la bourgeoisie à travers ses campagnes humanitaires et citoyennes. Il est noyé dans des notions de civisme qui mettent dans le même sac la solidarité des ouvriers avec l'aumône intéressée de la bourgeoisie, et qui d'une solidarité de classe passe à la solidarité des français, ou des anglais, des allemands, etc. toutes classes confondues, mises en concurrence avec la solidarité des autres nations.
Cette solidarité ne peut se développer qu'à partir de la dénonciation du seul coupable de ce cataclysme : la classe bourgeoise qui dirige le système capitaliste !
Les prolétaires du monde entier doivent comprendre qu’en menant le combat contre la bourgeoisie, en renversant son système meurtrier, ils sont les seuls à pouvoir rendre un réel hommage aux morts, à toutes ces vies humaines sacrifiées sur l'autel du capitalisme, au nom de la loi du profit et de la rentabilité. Ils doivent développer leurs luttes et leur propre solidarité de classe contre tous les Etats, tous les gouvernements qui non seulement les exploitent et attaquent toutes leurs conditions de vie, mais ont encore le culot de leur demander de mettre la main à la poche pour réparer les dégâts provoqués par le capitalisme. Ce n'est que par la lutte quotidienne contre ce système, jusqu'à son renversement, que la classe ouvrière peut manifester sa véritable solidarité envers les prolétaires et les populations des pays dévastés par le tsunami.
Si cette solidarité ne peut évidemment avoir des effets immédiats, elle n'est pas un feu de paille, contrairement à celle préconisée par la bourgeoisie et les ONG. Dans quelques mois, pour la classe dominante et ses organisations caritatives, cette catastrophe sera enfouie dans les oubliettes de l'histoire. La classe ouvrière, elle, ne peut l'oublier comme elle ne peut oublier les massacres de la guerre du Golfe et de toutes les autres guerres et catastrophes dites naturelles. Pour les ouvriers du monde entier, cette tragédie ne doit jamais être une "affaire classée". Elle doit rester gravée dans leur mémoire et servir d'aiguillon pour renforcer leur détermination à développer leurs luttes et leur unité de classe contre la barbarie du capitalisme.
La solidarité du prolétariat doit aller bien au-delà de la simple solidarité émotionnelle. Elle ne doit pas être fondée sur des sentiments d'impuissance ou de culpabilité mais, avant tout, sur sa conscience. Seul, le développement de sa propre solidarité de classe, une solidarité basée sur la conscience de la faillite du capitalisme, sera en mesure de créer les bases d’une société dans laquelle les crimes que la bourgeoisie nous présente comme des catastrophes naturelles ne pourront plus jamais être commis, où cette barbarie abominable pourra être définitivement dépassée et abolie.
Maud