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Ces dernières semaines, les élections fédérales belges du 10 juin constituent le sujet central des médias. Ceux-ci consacrent de larges commentaires au "Waterloo des socialistes", aussi bien en Wallonie (-20% de sièges) qu'en Flandres (-30% de sièges) et spéculent largement sur la future coalition, pointant la victoire des sociaux-chrétiens dans le Nord et des libéraux dans le Sud du pays. Une thématique est toutefois soigneusement évitée, pendant la campagne tout comme dans les commentaires actuels à propos des résultats : la question sociale, celle des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.
Pour ce faire, la campagne électorale même avait essentiellement été présentée comme un combat entre personnalités : en Flandres, le ‘citoyen électeur' était appelé à choisir entre la continuité du premier ministre sortant, le libéral G. Verhofstadt et sa politique « éthique progressiste» (mariage homosexuel, loi sur l'euthanasie, ...) ou le changement proposé par son challenger, le chrétien démocrate Y. Leterme, actuel ministre président de la région flamande, qui met l'accent sur la «bonne gouvernance» et la «solidarité ... avec les plus faibles». En Wallonie, les projecteurs étaient pointés sur le combat de coqs entre le représentant de l'Etat-PS wallon corrompu, le ministre président wallon E. Di Rupo, et son challenger, le ministre de l'économie libéral, admirateur de Sarkosy, D. Reynders. Tout était donc fait pour ne pas polariser sur des «questions épineuses»: les rationalisations et les fermetures, l'accroissement des cadences et de la flexibilité, le recul systématique du niveau de vie, la politique d'austérité et le démantèlement progressif de « l'Etat social », etc. Sur toutes ces questions, les débats sont restés particulièrement discrets et pour cause : il y a une profonde unanimité parmi l'ensemble des partis sur cette politique et le futur gouvernement, quelle que soit sa composition, se situera, sur ce plan-là, dans la parfaite continuité du précédent.
Quel est alors le sens des bouleversements politiques pointés par les médias ? Pour mener cette politique dans un contexte mondial marqué par un pourrissement croissant des structures sociétales, la bourgeoisie tend à mettre aux commandes de l'Etat ses partis les plus stables. Or, les deux «familles» du gouvernement ‘pourpre' avaient montré ces dernières années une fragilité et une instabilité gênantes : du côté des libéraux, le parti flamand a été secoué par des dissidences internes et a même connu une scission à sa droite, la liste Dedecker qui obtient plus de 6,5%des votes. La famille socialiste, quant à elle, est secouée par des scandales de cor-ruption dans le PS wallon qui voit les clans s'affronter. Il n'est donc pas étonnant que la bourgeoisie fasse remonter aux affaires son vieux parti social-chrétien, représentant fidèle des intérêts de l'Etat belge depuis sa création et rajeuni au cours des 8 années de purgatoire. En outre, cela permettrait aux partis socialistes, durement éprouvés par 20 ans de participation gouvernementale ininterrompue, de se refaire une santé dans l'opposition.
La classe ouvrière ne doit pas se laisser mystifier par les illusions démocratiques
Il y a une autre raison, permettant de comprendre le battage médiatique autour du «changement politique» ; l'idée que le citoyen «peut faire entendre sa voix par les urnes » constitue en effet une illusion cruciale pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise. "Tous les hommes naissent libres et égaux en droit" comme cela est gravé dans le marbre de la déclaration universelle des droits de l'homme. Pour ce faire, chaque citoyen a un droit inaliénable, celui de voter. Cette idéologie peut se résumer en une simple équation : un individu = un vote. Cependant, cette belle déclaration de principe n'est que virtuelle. Dans le monde réel, les hommes sont tout sauf égaux. Dans le monde réel, la société est divisée en classes. Au-dessus et dominante, tenant les rênes, il y a la bourgeoisie; en dessous, il y a toutes les autres couches de la société et en particulier la classe ouvrière. Dans la pratique, cela signifie qu'une minorité détient l'Etat, les capitaux, les médias... La bourgeoisie peut ainsi imposer au quotidien ses idées, sa propagande : l'idéologie dominante est l'idéologie de la classe dominante. Et le rouleau com-presseur médiatique passe et repasse sur le corps électoral. Pas une seule minute la propagande ne cesse. Ce bourrage de crâne n'est pas nouveau, le premier congrès de l'Internationale communiste affirmait déjà en 1919: "[la liberté de la presse] est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes [...]. Les capitalistes appèlent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d'utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique" (Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne présentées par Lénine le 4 mars 1919).
Si l'invariabilité de la politique de défense des intérêts de la bourgeoisie nationale est le programme profond de tout gouvernement national, la propagande électorale est justement là pour cacher cette vérité toute crue en faisant croire à l'éventualité d'une alternative: "oui, une autre politique est possible... à la condition de bien voter". Mensonges et poudre aux yeux! Qu'il s'agisse d'un nouveau gouvernement ‘bleu-romain', comme lorsqu'il s'agissait du gouvernement ‘pourpre' de Verhofstadt ou du gouvernement ‘rouge-romain' de Dehaene à la fin des années '90, ces gens-là appartiennent bel et bien à la même famille... la bourgeoisie. Les différences qui séparent les partis bourgeois ne sont rien en comparaison de ce qu'ils ont en commun : la défense du capital national. Pour ce faire, ils sont capables de travailler très étroitement ensemble, surtout derrière les portes fermées des commissions parlementaires et aux plus hauts échelons de l'appareil d'Etat. Et s'ils débattent et gesticulent dans l'hémicycle devant les caméras pour feindre l'indignation face à telle ou telle mesure, tel ou tel mot "déplacé" d'un autre député, c'est uniquement pour faire croire à l'intensité de la vie démocratique, pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise.
Que la réalité sociale est bien différente de la mystification électorale est illustrée d'une part par les restructurations (Opel Anvers, La Poste, Johnson Control, ...) et d'autre part par les luttes ouvrières (postiers, employés communaux, ouvriers d'entreprises de pièces détachées pour l'automobile, ...) qui se sont multipliées pendant la campagne électorale même. Ces mouvements contrastés, exprimant la combativité, parfois aussi encore le désarroi face à l'absence d'alternative, se situent sur le véritable terrain de la défense des intérêts ouvriers face aux attaques et expriment, encore souvent de façon hésitante, le développement d'une réflexion au sein de la classe sur la manière de mener la lutte et les perspectives à mettre en avant au sein de celle-ci. Ces combats, qui partent souvent spontanément, sont difficiles car, s'ils sont systématiquement reconnus par les syndicats, c'est dans le but de mieux les saboter, en les isolant et en les étouffant dans des actions ou des revendications sans perspectives. Plus que jamais, l'orientation des luttes doit donc être la recherche de la solidarité, la mise en oeuvre de mouvements massifs, la réflexion sur les perspectives à mettre en avant face à la faillite du système, et non pas le terrain électoral où la classe ouvrière n'a rien à gagner. La bourgeoisie y transforme les ouvriers en citoyen-électeur, elle les dilue dans la masse de la population, les isole les uns des autres. Seuls et donc impuissants, elle peut ainsi leur bourrer le crâne à sa guise.
Jos / 12.06.07