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Nous poursuivons dans ce numéro de la Revue Internationale la publication de notre débat interne relatif à l'explication de la période de prospérité des années 1950 et 60. Pour mémoire, ce débat avait initialement été motivé par des critiques à notre brochure La décadence du capitalisme concernant son analyse des destructions opérées durant la Seconde Guerre mondiale. Ces dernières étaient en effet considérées comme étant à l'origine du marché de la reconstruction constituant un débouché à la production capitaliste. Une position (dénommée L’économie de guerre et le capitalisme d’État) s'était exprimée dès le début "en défense du point de vue défendu par notre brochure", selon lequel "le dynamisme économique en question avait été fondamentalement déterminé par les suites de la Guerre marquées par un renforcement extraordinaire des États-Unis sur le plan économique et impérialiste, et par l’économie de guerre permanente caractéristique du capitalisme décadent". Deux autres positions, qui partageaient alors la critique à l'analyse de la reconstruction exprimée dans La décadence du capitalisme, s'opposaient cependant par ailleurs sur l'analyse des mécanismes à l'œuvre permettant d'expliquer la prospérité des années 1950 et 60 : mécanismes keynésiens pour l'une (dénommée Le Capitalisme d'État keynésiano-fordiste) ; exploitation des derniers marchés extra-capitalistes et début de fuite en avant dans l'endettement pour l'autre (dénommée Les marchés extra-capitalistes et l'endettement).
Dans la Revue Internationale n° 133 ont été publiées la présentation du cadre du débat ainsi que trois contributions exposant de façon synthétique les trois principales positions en présence. Dans le numéro 135 de notre Revue, a été publié un article, Origine, dynamique et limites du capitalisme d’État keynésiano-fordiste, développant de façon plus exhaustive la thèse du Capitalisme d'État keynésiano-fordiste.
Dans ce numéro, nous laissons la parole aux deux autres positions avec les textes suivants "Les bases de l’accumulation capitaliste" et "Économie de guerre et capitalisme d’État" (en défense respectivement des positions Les marchés extra-capitalistes et l'endettement et L’économie de guerre et le capitalisme d’État). Nous tenons toutefois à faire précéder cette exposition de considérations relatives, d'une part à l'évolution des positions en présence et, d'autre part, à la rigueur du débat.
L'évolution des positions en présence
Pendant toute une période du débat, les différents points de vue exprimés se revendiquaient tous du cadre d'analyse du CCI1, celui-ci servant d'ailleurs souvent de référence aux critiques faites par telle ou telle position à telle ou telle autre. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et depuis un certain temps déjà. Une telle évolution fait partie des possibilités inhérentes à tout débat : des différences qui apparaissent comme mineures au départ peuvent s'avérer, après discussion, plus profondes qu'il n'y paraissait, jusqu'à remettre en cause le cadre théorique initial de la discussion. C'est ce qui s'est passé au sein de notre débat, notamment avec la thèse appelée Le Capitalisme d'État keynésiano-fordiste. Ainsi que cela ressort de la lecture de l'article Origine, dynamique et limites du capitalisme d’État keynésiano-fordiste.(Revue internationale n° 135), cette thèse assume à présent ouvertement la remise en cause de différentes positions du CCI. Dans la mesure où des telles remises en question devront être prises en charge par le débat lui-même, nous nous limiterons ici à en signaler l'existence, laissant le soin à des contributions ultérieures de revenir dessus. Ainsi, pour cette thèse :
"Le capitalisme génère en permanence la demande sociale qui est à la base du développement de son propre marché" alors que, pour le CCI, "contrairement à ce que prétendent les adorateurs du capital, la production capitaliste ne crée pas automatiquement et à volonté les marchés nécessaires à sa croissance" (Plate-forme du CCI )
L'apogée du capitalisme correspond à un certain stade de "l’extension du salariat et sa domination par le biais de la constitution du marché mondial". Pour le CCI, par contre, cette apogée intervient lorsque les principales puissances économiques se sont partagé le monde et que le marché atteint "un degré critique de saturation des mêmes débouchés qui lui avaient permis sa formidable expansion du 19ème siècle." (Plate-forme du CCI )
L’évolution du taux de profit et la grandeur des marchés sont totalement indépendantes, alors que, pour le CCI, "la difficulté croissante pour le capital de trouver des marchés où réaliser sa plus-value, accentue la pression à la baisse qu’exerce, sur son taux de profit, l’accroissement constant de la proportion entre la valeur des moyens de production et celle de la force de travail qui les met en œuvre." (ibid. )
Pousser la clarification systématique et méthodique des divergences jusqu'à leur racine, sans craindre les remises en cause qui pourraient en résulter, est le propre d'un débat prolétarien apte à réellement renforcer les bases théoriques des organisations qui se réclament du prolétariat. Les exigences de clarté d'un tel débat imposent, de ce fait, la plus grande rigueur militante et scientifique notamment dans la référence aux textes du mouvement ouvriers, dans leur utilisation en vue de telle ou telle démonstration ou polémique. Or justement l'article Origine, dynamique et limites du capitalisme d’État keynésiano-fordiste, de la Revue n° 135, n'est pas sans poser des problèmes sur ce plan.
Des exigences de rigueur du débat parfois mal assumées
L'article en question débute par une citation empruntée au n° 46 d'Internationalisme (Organe de la Gauche communiste de France): "En 1952, nos ancêtres de la Gauche communiste de France décidaient d'arrêter leur activité de groupe parce que : "La disparition des marchés extra-capitalistes entraîne une crise permanente du capitalisme (...) il ne peut plus élargir sa production. On verra là l'éclatante confirmation de la théorie de Rosa Luxemburg : le rétrécissement des marchés extra-capitalistes entraîne une saturation du marché proprement capitaliste. (...) En fait, les colonies ont cessé de représenter un marché extra-capitaliste pour la métropole, elles sont devenues de nouveaux pays capitalistes. Elles perdent donc leur caractère de débouchés. (...) la perspective de guerre... tombe à échéance. Nous vivons dans un état de guerre imminente...". Le paradoxe veut que cette erreur de perspective ait été énoncée à la veille des Trente glorieuses !"
De la lecture du passage cité, il ressort les deux idées suivantes :
En 1952 (date à laquelle l'article d'Internationalisme a été écrit), les marchés extra-capitalistes ont disparu, d'où la situation de "crise permanente du capitalisme".
La prévision par le groupe Internationalisme de l'échéance inéluctable de la guerre imminente découle de son analyse de l'épuisement des marchés extra-capitalistes.
Or, ceci n'est pas la réalité de la pensée d'Internationalisme mais sa transcription déformée à travers une citation (celle reproduite ci-dessus) empruntant respectivement et successivement au texte original des passages des pages 9, 11, 17 et 1 de la revue Internationalisme.
Le premier passage cité, "La disparition des marchés extra-capitalistes entraîne une crise permanente du capitalisme", est immédiatement suivi, dans Internationalisme, de la phrase suivante, non citée : "Rosa Luxemburg démontre par ailleurs que le point d’ouverture de cette crise s’amorce bien avant que cette disparition soit devenue absolue". En d'autres termes, pour Rosa Luxemburg comme pour Internationalisme, la situation de crise qui prévaut au moment de l'écriture de cet article n'implique en rien l'épuisement des marchés extra-capitalistes, "la crise s'amorçant bien avant cette échéance". Cette première altération de la pensée d'Internationalisme n'est pas sans conséquence sur le débat puisqu'elle alimente l'idée (défendue par la thèse du Capitalisme d'État keynésiano-fordiste) que les marché extra-capitalistes interviennent pour quantité négligeable dans la prospérité des années 1950 et 60.
La seconde idée attribuée à Internationalisme, "l'échéance de l'inéluctabilité de la guerre imminente qui découlerait de l'épuisement des marchés extra-capitalistes", n'est en fait pas une idée du groupe Internationalisme en tant que tel mais de certains camarades en son sein vis-à-vis desquels la discussion est engagée. C'est ce que montre le passage suivant d'Internationalisme, utilisé également dans la citation mais avec des amputations importantes et significatives (amputations en gras dans le texte qui suit) : "Pour certains de nos camarades, en effet, la perspective de guerre, qu’ils ne cessèrent jamais de considérer comme imminente, tombe à échéance. Nous vivons dans un état de guerre imminente et la question qui se pose à l’analyse n’est pas d’étudier les facteurs qui pousseraient à la conflagration mondiale –ces facteurs sont donnés et agissent déjà- mais, bien au contraire, d’examiner pourquoi la guerre mondiale n’a pas encore éclaté à l’échelle mondiale". Cette seconde altération de la pensée d'Internationalisme tend à discréditer la position défendue par Rosa Luxemburg et Internationalisme, puisque la Troisième Guerre mondiale, qui aurait dû être la conséquence de la saturation du marché mondial, n'a comme on le sait jamais eu lieu.
Le but de cette mise au point n'est pas la discussion de l'analyse d'Internationalisme, laquelle contient effectivement des erreurs, mais de relever une interprétation tendancieuse qui en a été faite, dans les colonnes de notre Revue Internationale. Il n'est pas davantage de porter préjudice au fond de l'analyse de l'article Origine, dynamique et limites du capitalisme d’État keynésiano-fordiste, qui doit absolument être différencié des arguments litigieux qui viennent d'être critiqués. Ces clarifications nécessaires étant à présent réalisées, il reste à poursuivre sereinement la discussion des questions en divergence au sein de notre organisation.
1. Comme nous le mettons en évidence dans la présentation du cadre du débat (Revue Internationale n ° 133)