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Nous avons publié sur notre site en allemand un article sur le dit “automne chaud” de 1977. A l’époque, le kidnapping et le meurtre du président de la fédération des patrons par la Rote Armee Fraktion (RAF), plus connue sous le nom de « bande à Baader » dans les médias, avaient fourni le prétexte à une vague de répression sans égale dans l’histoire de l’Allemagne de l’Ouest d’après-guerre. C’était une période durant laquelle les forces de sécurité pouvaient à loisir intimider la population. Il y eut des raids policiers partout, des quartiers entiers étaient encerclés, les trains étaient arrêtés en pleine campagne et les passagers contraints de sortir sous la menace des armes des policiers. Pour avoir une idée du climat de peur, d’hystérie et de dénonciation publique qui dominait alors, et du rôle que les médias de l’Etat démocratique y ont joué, on peut se référer à la nouvelle de Heinrich Böll, “Katharina Blum”. La révélation que fit le magazine Stern selon laquelle la police savait où se trouvait Schleyer depuis le début montra à quel point son kidnapping n’était qu’un prétexte à une démonstration de puissance et la justification de nouvelles mesures de répression.
Notre article montre que le terrorisme de la RAF ou du “Mouvement du 2 juin” en Allemagne, comme celui des Brigades Rouges en Italie, exprimait une indignation envers le capitalisme, mais aussi des doutes, voire un sentiment de désespoir, sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Cela ne peut conduire qu’à une révolte impuissante, car individualiste, contre l’Etat, révolte fondamentalement petite-bourgeoise par sa nature et qui ne peut pas mettre en danger la classe dominante ni même convenir à ses propres desseins. How it all began, le livre de “Bommi” Baumann, un des témoins du mouvement terroriste, montre comment la bourgeoisie se sert de la rébellion terroriste et comment elle peut la manipuler. Par exemple, il explique comment les premiers combattants armés achetèrent leurs armes directement à la police politique allemande ! La classe bourgeoise utilisa cette génération de “lutte armée” de deux façons. D’une part, elle s’en servit d’épouvantail pour justifier un renforcement de l’Etat, dirigé non pas tant contre le “terrorisme” que contre la population de façon préventive, et en particulier contre la classe ouvrière. D’autre part, ces groupes armés, du fait de leurs confusions politiques, tout autant qu'en raison de leur propre impuissance, étaient invariablement entraînés dans les luttes de pouvoir au sein de la bourgeoisie (dans le conflit Est-Ouest ou en défendant la cause nationaliste palestinienne). En fait, déjà à l’époque, le terrorisme était d’abord et avant tout un moyen de lutte impérialiste entre les Etats et les fractions capitalistes (IRA, OLP, etc.).
Loin de s’exclure l’un l’autre, ces deux utilisations principales du terrorisme par l’Etat - arme de la guerre impérialiste et justification de la répression contre la classe ouvrière - se complètent au contraire et se renforcent mutuellement. Cela peut s’illustrer encore plus clairement aujourd’hui. Le terrorisme islamique est, en premier lieu, une arme dans les mains d’une série d’Etats et de cliques contre des rivaux impérialistes le plus souvent supérieurs économiquement et militairement. Mais surtout, c’est la “guerre contre le terrorisme” qui est devenue, au moins depuis le 11 septembre 2001, le cri de guerre de tous les Etats industriels majeurs de la planète. Ceci vaut non seulement pour les Etats-Unis, qui se sont servis de ce prétexte pour justifier l’invasion et l’occupation de l’Irak, mais aussi pour l’impérialisme allemand qui s’est opposé à la guerre en Irak mais justifie ses propres opérations militaires en Afghanistan, en Afrique ou sur la côte du Liban pour les mêmes raisons.
Concernant l’énorme renforcement répressif récent des Etats vis-à-vis de leurs propres populations, qu’on a aussi vu en Allemagne, il est vrai qu’initialement la prévention d’attaques terroristes de la part d’ennemis de ces Etats était le souci prédominant. Mais la classe dominante est pleinement avertie que son ennemi naturel et mortel est le prolétariat. Il est son ennemi à la fois “chez lui” et au niveau mondial. Paradoxalement, la classe dominante ne connaît plus de limites pour s’impliquer dans des activités terroristes. Il est bien connu que les Etats-Unis ont aidé à l’origine à construire, armer et entraîner l’organisation de Ben Laden. Mais les vieux liens entre les politiciens allemands et les groupes terroristes du Moyen-Orient ou des Balkans, ou plus récemment en Afghanistan, sont un sujet qu’il conviendrait aussi d’approfondir.
Six ans après l’attaque terroriste sur New-York, les événements de cette année en Allemagne ont puissamment illustré la “guerre contre le terrorisme” est aussi dirigée contre le front social. Trente ans après l’automne chaud allemand, on peut parler “d’été allemand 2007”. D’un côté, on a vu comment les manifestants, et principalement les plus jeunes qui, à Rostock et Heiligendamm, ont manifesté contre le G8 et “pour un monde différent”, étaient confrontés à la terreur d’Etat ouverte et jetés en prison. D’un autre côté, les activités du prétendu “Groupe militant” (“Militant group” ou MG) a été l’occasion de d’assimiler idéologiquement toute expression critique, anti-capitaliste à la pratique du terrorisme, et d’y répondre par des arrestations et des emprisonnements en cellules d’isolement. Ce groupe est censé avoir causé des dommages à la propriété, “symbole du capitalisme”, en endommageant des voitures et autres véhicules de luxe de l’armée allemande.
Nous n’avons pas d’éléments confirmés sur la nature de ce groupe, sa manifestation publique restant très brumeuse. Ce qui est en revanche clair et frappant, et ce sur quoi nous voulons insister dans cet article, est la façon dont l’Etat y a répondu. Ces attaques symboliques contre du matériel appartenant à l’Etat viennent alimenter le poids et le spectre de la “lutte contre le terrorisme”. Citons une lettre ouverte au procureur général contre la criminalisation de la science critique et de l’engagement politique, publié le 15 août par certains collègues des personnes emprisonnées en Allemagne et au niveau international :
“Le 31 juillet 2007, les appartements et les lieux de travail du Dr Andrej H. et du Dr Matthias B., et de cinq autres personnes, ont été investis par la police. Le Dr Andrej H. a été arrêté, conduit par hélicoptère à la cour fédérale allemande de Karlsruhe et amené au tribunal. Il a ensuite été transféré dans une prison de Berlin en incarcération préventive. Quatre personnes ont été accusées d’être “membres d’une association terroriste selon l’article 129a StGB’ (code pénal allemand, section 7 sur les “Crimes contre l’ordre public”). Ils sont supposés être des membres d’un prétendu “Militant Group” (MG). Le texte d’accusation a révélé que des mesures préliminaires avaient été menées contre ces quatre personnes depuis septembre 2006 et que les quatre avaient été sous surveillance constante.
Quelques heures avant l’investigation aux domiciles, Florian L., Oliver R. et Axel H. furent arrêtés dans la région du Brandebourg et accusés de tentative d‘incendie sur quatre véhicules de l’armée fédérale allemande. Andrej H. est accusé d’avoir rencontré une de ces trois personnes par deux fois dans la première moitié de 2007 dans de prétendues “circonstances conspiratives”.
Le procureur ou avocat général (federal prosecutor) assure donc que les quatre personnes mentionnées ci-dessus tout comme les trois arrêtées dans le Brandebourg sont membres du “Militant Group”, et tous les sept sont interrogés sous la charge d’être suspectés ”d’appartenance à une association terroriste “ selon l’article 129a StGB.
Selon le motif d’arrestation d’Andrej H., ce qui est à charge des quatre personnes mentionnées ci-dessus serait justifié par les éléments suivants listés par le procureur :
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le docteur Matthias B. est accusé d’avoir utilisé dans sa publication académique, des “termes et des mots-clés” qui sont aussi utilisés par le “Militant Group” ;
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en tant que scientifique politique titulaire d'un doctorat en philosophie, Matthias B. est considéré intellectuellement à même d’être “l’auteur des textes sophistiqués du MG”. De plus, “en tant qu’employé d’un institut de recherche il a accès à des bibliothèques dont il peut se servir sans en être soupçonné afin de faire le travail nécessaire à l’écriture des textes du “MG” ;
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un autre accusé aurait rencontré des suspects de façon conspirative : “des réunions étaient régulièrement arrangées sans, cependant, mentionner l’endroit, l’heure et le contenu des réunions ; de plus, il aurait eu un rôle actif sur les “projets de l’extrême gauche” ;
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dans le cas du troisième accusé, un carnet d’adresses a été trouvé, avec les noms et adresses des trois autres accusés ;
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le Dr Andrej H., qui travaille comme sociologue urbain, aurait eu des contacts étroits avec trois individus qui seraient accusés, mais restent encore libres ;
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le Dr Andrej H. est accusé d’avoir été actif dans la “résistance organisée selon le projet d’extrême gauche contre le sommet économique mondial de 2007 à Heiligendamm” ;
le fait qu’il n’ait pas pris – soi-disant de façon intentionnelle – son téléphone mobile avec lui à une réunion est considéré comme un “comportement de conspirateur”.Andrej H., comme Florian L., Oliver R. et Axel H., sont détenus depuis le 1er août 2007 à Berlin-Moabit dans des conditions très strictes : ils sont enfermés seuls en cellule 23 heures par jour et ne peuvent faire qu’une promenade d’une heure. Les visites sont limitées à une demi-heure tous les quinze jours. Les contacts, y compris ceux avec les avocats, se font à travers des panneaux de séparation. Le courrier à la défense est vérifié.
Les charges décrites dans l’acte d’accusation révèlent une construction basée sur un raisonnement par analogie très douteux. Le raisonnement comprend quatre hypothèses de base, dont aucune ne pourrait donner à la haute cour fédérale une évidence concrète et substantielle, mais dont la combinaison laisse une impression “d’association terroriste”. Les sociologues, du fait de leur activité de recherche académique, de leurs capacités intellectuelles et de leur accès à des bibliothèques, sont supposés être les cerveaux d’une prétendue “organisation terroriste”. Car, selon le procureur général, une association appelée “Groupe militant” utiliserait les mêmes concepts que les sociologues en accusation. Comme évidence de ce raisonnement, le concept de “gentrification” est nommé – un des thèmes-clé de recherche d’Andrej H. et Matthias B. dans les années passées, sur lesquelles ils avaient fait des publications au niveau international. Ils n’ont pas limité leurs recherches à faire des trouvailles dans une tour d’ivoire, mais ont rendu leurs travaux disponibles pour les initiatives citoyennes et les mouvements d'opinion. Voila comment des sociologues critiques sont transformés en chefs de bande intellectuels.”
La façon dont ces évènements ont été rapportés dans les médias n’est pas moins frappante. D’un côté, il y a eu très peu de publicité. Les médias se sont évidemment intéressés à faire profil bas afin de ne pas provoquer de réactions hostiles dans la population. Contrairement aux assassinats de la RAF qui ont précédé “l’automne allemand” de 1977, les récentes attaques contre les véhicules militaires à Berlin et dans le Brandebourg sont moins aptes à créer une atmosphère de peur publique et d’hystérie. De plus, les temps ont changé depuis 1977. Dans la période de crise économique ouverte, de démolition massive des services sociaux et de mauvais traitements bureaucratiques en particulier des chômeurs, il est beaucoup plus difficile de mobiliser la population, même temporairement, derrière l’Etat (comme cela s’est vu après le 11 septembre 2001 à New-York). L’objectif des forces de répression semble être plutôt d’intimider et de terrifier ces minorités politiquement en recherche qui ont déjà commencé à remettre la société bourgeoise en question. D’un côté, ces attaques, quand on en parle, sont systématiquement reliées à un certain “environnement théorique” qui est mis en lien avec le “sol fertile du terrorisme”. Les médias font ainsi fréquemment référence à “des discussions sur la révolution mondiale” comme une caractéristique de ce milieu. Il est fait références à de dangereux théoriciens qui, du fait du radicalisme de leurs opinions doivent être considérés comme des “intellectuels incendiaires” même lorsqu’ils rejettent eux-mêmes le terrorisme. Dans la même veine, la récente vague de raids policiers a aussi frappé Rotes Antiquariat, une des rares librairies en Allemagne qui offrent la possibilité de connaître les idées et les publications des groupes révolutionnaires internationalistes. Ici aussi, la différence d’approche de la bourgeoisie par rapport aux années 1970 est frappante. A l’époque, les médias en Allemagne et en Italie ne condamnaient pas les idées politiques de la RAF et des Brigades rouges. Les attaques de ces groupes étaient au contraire présentées comme le résultat de maladies mentales. Il fut même proposé de les traiter avec une chirurgie du cerveau. A ce moment-là, les gens les plus politisés étaient très activistes et tendaient à accepter les slogans du stalinisme de façon plus ou moins critique. Ce qui caractérise la nouvelle génération, c’est une réflexion beaucoup plus critique et profonde –réalité qui menace de devenir un bien plus grand danger pour le capitalisme. Il en est ainsi de la criminalisation de la théorie radicale. La réapparition de la pratique des attaques contre des “symboles du capitalisme” peut sembler étrange. Et bien que ces attaques présentes ne soient pas dirigées contre des personnes, elles montrent que les leçons de l’expérience de la RAF et des Brigades rouges n’ont pas été, ou ont été insuffisamment, tirées. De tels actes de désespoir sont, encore aujourd’hui, l’expression d’une profonde indignation contre le système dominant. Nous partageons pleinement cette indignation, d’où notre solidarité avec les victimes de la terreur d’Etat, indépendamment du fait qu’elles aient ou non été impliquées dans de telles actions. Mais celles-ci sont aussi l’expression d’une profonde difficulté à comprendre où se trouve la réelle force révolutionnaire dans cette société. Une telle difficulté n’est pas surprenante. Ce qui caractérise le monde contemporain, par comparaison avec 1977, ne tient pas seulement à l’impasse bien plus dramatique et dangereuse dans lequel le capitalisme a conduit l’humanité, mais aussi dans le fait que le prolétariat a considérablement perdu le sens de son identité de classe depuis 1989.
Aujourd’hui cependant, le prolétariat mondial commence à redécouvrir sa propre force. Et l’avant-garde politique de cette classe commence à redécouvrir et à développer ses théories et ses positions propres. Une part de la solidarité du prolétariat avec les victimes de la terreur d’Etat se trouve dans la lutte pour gagner les désespérés à la cause et aux méthodes de la classe ouvrière.
D’après Welt Revolution, 31 août 2007