INTRODUCTION : le dépérissement de l'Etat dans la théorie marxiste

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Le dépérissement de l’État dans la théorie marxiste

INTRODUCTION
“L’État et l’esclavage sont inséparables”.

Marx, l’“Idéologie allemande”

Pourquoi luttons-nous? Qu’est-ce que le socialisme[1]? Qu’arrivera-t-il après la révolution? Comment empêcher que la révolution ne dégénère en totalitarisme, comme cela est arrivé en Russie? Les révolutionnaires et les ouvriers en lutte ont et auront à se poser ces questions. Bien qu’elles ne soient pas simples et n’aient pas de réponses toutes faites, il existe des lignes directrices que nous offre la théorie marxiste, basées sur l’étude de l’histoire de la lutte de classe.

Le but pour lequel nous luttons, -la fin de l’exploitation et la création de la société communiste sans classe-, a fait partie des aspirations de l’humanité depuis des millénaires, depuis que la société de classes existe. Cette recherche d’une communauté égalitaire, sous les diverses formes mystifiées qu’elle a prises à travers la religion ou autre, a constitué un des souffles inspirateurs de tout le génie créateur des hommes à travers l’histoire.

Une société sans classe, sans exploitation, où ce ne seront plus des lois économiques aveugles produites par la situation de pénurie, qui dicteront notre vie; où il n’y aura plus d’argent, plus de rapports marchands, plus de salaires, une société où toute l’humanité sera constituée de “producteurs librement associés” qui décideront ce qui doit être produit, quand et comment, un monde sans pauvreté, un monde d’abondance pour TOUS, où les autres êtres humains cesseront d’être “les autres” pour devenir une partie de la communauté; un monde uni sur toute la planète, et où “le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous.” (Manifeste Communiste)

“Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu I’asservissante subordination des individus à la division du travail, et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel, quand le travail sera de venu non seulement moyen de vivre, mais même le premier besoin de I’existence; quand, avec le développement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux:

De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins![2]” (Marx, Critique du Programme de Gotha Ed. Spartacus, p.24)”

C’est en ces termes que Marx et Engels ont tenté de définir le communisme.

Mais ils ont également averti des dangers qui consistent à vouloir dresser des plans précis pour la société future, et mis en garde contre “les recettes pour les marmites de l’avenir”. La méthode marxiste ne peut expliquer quelles motivations exactes domineront l’humanité une fois qu’aura cessé la lutte de classe comme moteur de l’histoire. Tout ce qu’on peut dire se présente surtout négativement le genre humain sortira de la “préhistoire” des sociétés de classes et ses buts ne seront plus déterminés par l’esclavage économique. Nous sommes trop loin de cette situation pour avoir beaucoup plus qu’un aperçu de cet avenir, car notre point de vue est déformé par nos propres limites historiques. De toute façon, l’histoire ne s’achèvera pas dans le communisme:

“Le communisme est la forme nécessaire et le principe énergétique du futur prochain; mais le communisme n’est pas en tant que tel le but du développement humain, - la forme de la société humaine”. (Marx, Manuscrits de 1844 Ed. Sociales, p99)

Bien que la connaissance précise d’où l’on se dirige, ne puisse être atteinte de façon exacte dans tous les détails, une compréhension générale du mouvement est ce pendant essentielle. Sans cette compréhension, nous ne pouvons mesurer quels sont les moyens nécessaires et appropriés pour atteindre ce but. Ceci est d’autant plus vital lorsqu’on connaît de quelle façon le poids du mensonge stalinien a pesé sur la conscience de générations entières d’ouvriers.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de restituer son sens au communisme. Il faut également se rendre compte que dans la période actuelle de décadence du capitalisme, ce but n’est plus un “idéal lointain”. Pour la première fois dans l’histoire, c’est une possibilité et une nécessité historiques. Nous sommes les héritiers des ouvriers de La Commune de Paris, de Russie, d’Allemagne, de Hongrie et d’ailleurs qui se sont concrètement attaqués à la tâche révolutionnaire de destruction du capitalisme et de construction d’une nouvelle société. Nous devons réussir là où ils ont échoué. Les contradictions explosives du système capitaliste aujourd’hui en crise créent la possibilité de réagir à l’effondrement de la vieille société en se dirigeant concrètement vers sa destruction, et vers la construction des conditions d’une nouvelle. Cet énorme processus de transformation ne viendra pas de lui-même, pas plus qu’il ne résultera d’une conversion pacifique des exploiteurs. II ne pourra être mis en oeuvre que par l’intervention consciente de la classe révolutionnaire dans la révolution prolétarienne.

La classe ouvrière, la classe exploitée créée par le capitalisme, est la seule classe révolutionnaire car sa lutte contre l’exploitation et sa capacité à abolir toute exploitation répondent à la nécessité historique de l’humanité de libérer les forces productives des entraves des rapports de profit et du terrible cycle: “crise-guerre-reconstruction-crise”, dans lequel le capitalisme en décadence l’a enfermée. Les ouvriers, esclaves salariés du capitalisme, sont les fossoyeurs de tous les esclavages, car ils n’ont pas de nouveau système d’exploitation à mettre en place à leur avantage. Le prolétariat n’a pas d’économie, pas de nation, pas de race, pas de privilèges ni aucune propriété des moyens de production à défendre[3].

La libération de la classe ouvrière ne peut se réaliser qu’en éliminant tout vestige des lois économiques du capitalisme et tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui ait, dans le capitalisme, intérêt à détruire la propriété privée[4] des moyens de production. Plus encore, par son travail collectif associé, il est le seul à pouvoir montrer le chemin de la société future. “En se libérant, le prolétariat libérera l’humanité toute entière”. Le prolétariat transformera les vestiges des sociétés de classes en travail collectif, intégrant en son propre sein tous les producteurs, en les associant librement, jusqu’à ce qu’il disparaisse lui-même en tant que classe distincte et avec lui toute société de classes.

Ce n’est pas chaque ouvrier pris individuellement qui est porteur de cette étincelle, ni même qui se rend compte du potentiel contenu dans la lutte de classe à l’heure actuelle. C’est l’action collective de toute la classe ouvrière internationale, soudée par la solidarité, forgée dans l’unité consciente et combattante, à travers l’expérience de la lutte de classe, et mue par la nécessité de lutter contre l’exploitation pour pouvoir assurer sa survie, c’est cette force-la qui fera la révolution internationale contre le capital.

Pour les marxistes, la classe ouvrière est la classe porteuse de la révolution communiste internationale. Mais la classe ouvrière ne possède pas pour autant une somme de recettes à appliquer qui lui permettrait de construire la nouvelle société par “décret” au lendemain de la révolution. La société, telle qu’elle émerge des entrailles du passé, ne peut être immédiatement transformée en une société harmonieuse et sans classe, à moins d’avoir des illusions sur la possibilité d’une sorte de conversion religieuse faisant du communisme une question de bonne ou de mauvaise “nature humaine”. La pensée et l’action humaines sont déterminées par les conditions matérielles d’existence des hommes, conditions qu’elles transforment à leur tour. C’est à la transformation radicale de ces conditions matérielles que peut et doit avant tout s’attaquer la classe ouvrière.

Pour effectuer toutes ces transformations, il y aura donc inévitablement une période de transition entre le capitalisme et le communisme, entre la domination des rapports de production capitalistes et l’avènement d’une société sans classe. Cette période de transition est par définition une société instable, en constante transformation où tous les vestiges de la contrainte économique doivent être éliminés. La période de transition n’est pas un mode de production stable, puisque le prolétariat n’est pas porteur d’une “économie” mais bien de la fin de l”économie”, c’est-à-dire de la gestion de la pénurie. La période de transition est une ère de bouleversements constants, une révolution de la pratique et de la conscience des hommes; elle sera essentiellement dynamique, une période de mouvement; si elle ne va pas de l’avant, elle dégénérera.

L’histoire a bien sûr connu d’autres “périodes de transition”; de la société esclavagiste au féodalisme, ou bien du féodalisme au capitalisme par exemple. Mais toutes ces périodes de “transition” se résumaient au renversement du pouvoir d’une classe exploiteuse par une autre classe exploiteuse. Par exemple, la bourgeoisie a assis et développé son pouvoir économique au sein de la société des féodaux, et sa révolution politique n’a fait que couronner un pouvoir économique qui s’était déjà affirmé. Elle s’est déroulée pays après pays, avec des degrés plus ou moins grands de réussite.

Le prolétariat, lui, est la première classe révolutionnaire[5] qui ne soit pas une classe exploiteuse. II ne peut développer aucune base de son pouvoir au sein de l’ancienne société. L’acte de la prise du pouvoir politique n’est donc pas, comme pour la bourgeoisie, le couronnement d’un pouvoir économique, mais le point de départ pour que le prolétariat puisse modifier les formes d’organisation de la production sociale. L’insurrection triomphante est donc la première étape et non la dernière de la transformation sociale qu’il est appelé à accomplir.

Cette transformation ne peut se faire progressivement pays par pays, avec des décalages dans le temps sur des décennies, mais nécessite une simultanéité assez étendue à l’échelle mondiale. La révolution communiste sera internationale ou ne sera pas.

La bourgeoisie pouvait se développer au sein du cadre politique du féodalisme, connaître des reculs dans sa progression, subir une certaine fragmentation sur le long chemin qui la menait du Tiers-état du féodalisme à la classe capitaliste moderne. La période de transition que dominera le prolétariat devra par contre rompre d’abord le cadre politique de l’ancienne société. C’est seulement à partir de là qu’il peut commencer à se développer. Tout recul dans son avancée peut lui être fatal parce qu’il est classe exploitée. La révolution prolétarienne doit donc commencer par détruire le bras armé de la bourgeoisie: l’appareil d’État bourgeois et son emprise sur la société. Mais elle ne peut s’arrêter là.

Comment sera la société juste après la victoire politique du prolétariat? Un obstacle énorme aura été éliminé avec le démantèle ment de l’État bourgeois, la défaite des forces politiques exploiteuses, la suppression de toute expression politique de la classe capitaliste et l’expropriation des principales concentrations économiques par la classe révolutionnaire. Mais dans cette étape, la classe ouvrière ne sera pas la seule composante de la nouvelle société, II y aura d’autres classes et couches non exploiteuses: les paysans, les artisans, les petits-bourgeois, les “classes moyennes” des villes, les masses de “sans travail” des pays sous-développés qui n’ont pu être prolétarisées à l’époque du capitalisme décadent[6].

Ces couches non-exploiteuses représentent la majorité de l’humanité qui doit être nourrie et intégrée dans la nouvelle communauté. Mais il y a un long chemin à parcourir avant que cette intégration puisse être totalement réalisée.

Ces couches non-exploiteuses ne seront pas politiquement du côté du grand capital. Au contraire, considérant la misère matérielle et morale dans laquelle ces couches sont et seront réduites par la crise du capitalisme, elle s’identifieront à la révolution anticapitaliste, quoique ni de façon uniforme, ni même de façon réellement active. Mais, elles n’ont aucun intérêt de classe qui les pousse plus loin que ça. Leurs rapports aux forces productives, dans la mesure où elles en ont, sont des rapports individuels, de petite production marchande, de travail essentiellement non associé. Pour certaines d’entre elles, les maigres privilèges dont elles profitent ou pensent pouvoir profiter, avec leurs terres ou instruments artisanaux, ou autre chose, peuvent mener à une résistance à la socialisation ou à une incapacité des générations plus anciennes à s’y adapter. Le prolétariat doit chercher à convaincre ces couches que seul le chemin de la classe ouvrière pourra répondre à leurs besoins matériels et autres. Ce n’est qu’en développant progressivement le travail associé, en particulier dans la difficile sphère de l’agriculture (et à travers la pression cons tante du prolétariat agricole) que des progrès seront faits vers l’élimination de la propriété privée.

Le combat pour empêcher la contre-révolution de la classe capitaliste, la lutte pour extirper les vestiges de la loi de la va leur, pour socialiser l’agriculture, pour changer les conditions et les buts de la production sociale, pour répondre aux besoins des hommes et développer les forces productives tout en élevant le niveau de vie des producteurs, tout en unifiant la société dans des rapports de solidarité et de travail collectif: telles sont les, tâches du prolétariat dans la période de transition. Elles ne seront certainement pas faciles.

On ne peut se contenter d’exhorter les gens à changer pour que tout change. Il faut créer les conditions de ce changement. Malheureusement, l’abondance et la pleine production de tous les biens nécessaires pour transformer les petits producteurs en une collectivité et éliminer les rapports d’échange marchand dans tous les domaines de la vie sociale, ces conditions n’existeront pas au lendemain de la révolution. Le capitalisme ne crée pas l’abondance, mais seulement le potentiel de forces productives capables de générer l’abondance, une fois celles-ci libérées des entraves capitalistes. Ce potentiel se réalisera au fur et à mesure de la transformation socialiste. Bien que beaucoup de souffrances puissent être apaisées relativement rapidement dans les zones où la force prolétarienne est concentrée, le capitalisme nous léguera un monde de crise et de destruction. La nouvelle réalité sociale devra être créée, elle ne sera pas donnée d’avance.

Ainsi, nous avons le prolétariat organisé, au centre d’une société mondiale qui requiert une transformation gigantesque. Eliminer les salaires, socialiser la production et la distribution dépasser la dichotomie entre la ville et la campagne, entre le travail manuel et le travail intellectuel, tous les éléments de cette révolution sociale restent à mettre en oeuvre. Comment?

La clé de ce problème réside dans la politique économique du prolétariat. Il n’y a rien d’autre: aucune loi aveugle, laissée à elle-même, ne peut réaliser cette transformation. Au contraire, toute subsistance de “lois économiques” constitue un danger puis qu’elle signifie la subsistance des rapports marchands et le danger toujours présent de dégénérescence et de retour en arrière au capitalisme. La société de transition ne sera pas capitaliste, pas plus que le prolétariat ne sera exploité par une autre classe. Pourtant, tant que les derniers vestiges d’échange entre les différentes couches, et les différentes méthodes de production ne seront pas éliminés (c’est-à-dire tant que différentes couches sociales subsistent), le socialisme ne sera pas une réalité. Seule la politique économique que le prolétariat mettra en oeuvre en fonction de ses propres intérêts de classe, pourra réaliser cette tâche. La classe ouvrière reste la force motrice de la société après la révolution, comme elle l’a été durant la phase insurrectionnelle, et elle n’a que la conscience de ses buts et sa force organisée pour la guider.

La classe ouvrière ne peut mettre en place sa politique économique que si elle a le pouvoir politique pour le faire et pour l’imposer contre toute résistance, si nécessaire. Bien que la prise du pouvoir politique par le prolétariat ne soit pas suffisante en elle-même pour assurer la victoire du communisme, elle est cependant la pré-condition cruciale et indispensable à toute évolution sociale ultérieure positive. Sans le pouvoir prolétarien fermement établi, il n’y aura rien ni personne pour orienter la société post-insurrectionnelle vers le socialisme.

Quelle est la dynamique de la production socialisée? Comment pouvons-nous lui faire gagner du terrain sur les vestiges de la loi de la valeur? Comment éviter le piège fatal de “la production pour l’accumulation” qui ferait une fois de plus du prolétariat une classe exploitée? Y a-t-il des mesures économiques qu’on puisse prendre quasiment tout de suite et qui mènent dans la bonne direction? Ces questions et bien d’autres sont soulevées dans cette brochure, bien qu’un approfondissement plus poussé reste à réaliser dans d’autres études.

Certains groupes (comme “Revolutionary Perspectives”[7] -voir Revue Internationale n°1) accusent le CCI d’ignorer ces différents aspects de la période de transition. Ce n’est pas vrai. L’objet primordial des investigations du CCI dans ses discussions jusqu’à présent a été de clarifier la question cruciale du pouvoir politique du prolétariat en premier lieu; car nous sommes convaincus que ne pas voir cette question méthodologique fondamentale ne peut que réduire toute discussion sur la période de transition à une spéculation stérile.

Souvent les révolutionnaires se réfèrent à cette question centrale de la primauté du pouvoir politique de la classe ouvrière, en l’appelant “la dictature du prolétariat”. Comme pour beaucoup d’autres termes marxistes, la contre-révolution stalinienne et ses caricatures gauchistes ont tellement galvaudé la signification du terme “dictature du prolétariat” que ces mots semblent corrompus aujourd’hui. Nous sommes tellement habitués à la dictature ouverte ou cachée du capital, sous toutes ses formes horriblement brutales, qu’il est difficile d’utiliser un tel terme sans faire surgir la vision cauchemardesque d’un monde encore pire que le notre aujourd’hui. Mais la dictature du prolétariat implique la violence uniquement parce que les oppresseurs et les exploiteurs utiliseront inévitablement la violence contre la suppression de leurs privilèges. Et nous devons être résolus à réprimer fermement tous ceux qui prennent les armes contre la révolution[8]. Le socialisme naîtra à partir du renversement violent du capitalisme parce que la classe capitaliste luttera bec et ongles contre le prolétariat dans une guerre civile. Aussi, le ternie de dictature du prolétariat contre la bourgeoisie exprime-t-il une réalité historique dans laquelle notre choix est limité.

Après la révolution, une fois que la victoire contre la classe capitaliste aura été établie de façon décisive, la situation changera. Le prolétariat devra guider et orienter la société en extirpant jusqu’à la racine les fondements de l’existence des classes et de la violence de classe. La question devient alors la réduction de la violence au strict minimum nécessaire pour empêcher tout regroupement des forces bourgeoises et pour affronter, si nécessaire, toute résistance année aux mesures de socialisation. Les couches non-exploiteuses ne seront jamais gagnées au socialisme le fusil dans le dos. Dans cette période, la “dictature” signifiera la domination du prolétariat dans son en semble sur le processus de transformation sociale, utilisant la violence seulement si les autres couches lui opposent une résistance armée.

La dictature ne sera pas la domination d’un parti sur le prolétariat. C’est le prolétariat comme un tout, organisé dans ses conseils ouvriers, qui sera détenteur du pouvoir politique. En aucun cas, cette dictature ne peut se traduire par le fait qu’une partie du prolétariat exerce la violence contre une autre partie. Seule la démocratie prolétarienne la plus épanouie, assurant la liberté de presse et de réunion la plus large et les décisions collectives au sein des conseils ouvriers, pourra fournir la vision et la force nécessaires pour mettre en oeuvre le pro gramme communiste. Les ouvriers doivent débattre et définir entre eux la route à suivre. Toute violence au sein de la classe ouvrière est à exclure, car elle paralyserait et détruirait les liens de solidarité et les conditions indispensables à des prises de décision collectives, conditions qui sont les clés du socialisme. Personne ne peut créer le socialisme sans l’auto-activité de toute la classe ouvrière, et personne ne peut l’apporter aux ouvriers sur un plateau. Seules la pratique et la conscience collectives de la classe ouvrière pourront corriger les erreurs.

“La condition qu’implique tacitement la théorie de la dictature selon Lénine et Trotsky est la suivante: un bouleversement socialiste est une chose pour laquelle le parti de la révolution a sous la main une recette toute prête et il n’est besoin que de l’énergie pour la réaliser. Malheureusement, ou si l’on veut heureusement, il n’en est pas ainsi... Le prolétariat a le devoir et l’obligation de prendre immédiatement des mesures socialistes de la façon la plus énergique, la plus inexorable, la plus brutale, donc d’exercer une dictature, mais une dictature de classe, non pas celle d’un parti ou d’une coterie; une dictature de classe, c’est-à-dire une dictature qui s’exerce le plus ouvertement possible, avec la participation sans entraves, très active des masses populaires dans une démocratie sans limites…, parfaitement: dictature! Mais cette dictature réside dans le mode d’application de la démocratie et non dans sa suppression... Cette dictature doit être l’oeuvre de la classe et non pas d’une petite minorité qui dirige au nom de la classe, c’est-à-dire qu’elle doit être l’émanation fidèle et progressive de la participation active des masses, elle doit subir constamment leur influence... La démocratie socialiste ne commence pas seulement en terre promise, lorsque l’infrastructure de l’économie socialiste est créée, ce n’est pas un cadeau de Noël tout prêt pour le gentil peuple qui a bien voulu, entre-temps, soutenir fidèlement une poignée de dictateurs socialistes.” (Rosa Luxemburg, La Révolution g, Ed. Maspero, p83, 87, 88).

Comment la dictature du prolétariat existe-t-elle et réagit-elle dans le contexte de cette démocratie? Démocratie pour qui? Certainement pas pour la classe capitaliste à qui on enlèvera tous droits et toute expression politiques. Pour le prolétariat? Oui. Mais qu’en est-il des couches non- exploiteuses?

D’un côté, nous rejetons la logique du capitalisme, sous ses formes staliniennes, fascistes, ou hypocritement démocratiques bourgeoises, logique qui procède en tuant, brûlant et massacrant tous ceux qui s’opposent potentiellement ou réellement à sa politique d’oppression. Dans la période de transition au contraire, les couches non-exploiteuses doivent être associées au processus de transformation sociale au fur et à mesure que la base matérielle de l’existence de classes distinctes est en train d’être éliminée, En fait, l’intégration de ces individus dans une nouvelle conscience collective est un des moments, un des aspects du processus d’élimination des classes. La nouvelle société ne peut être construite sur la passivité et le silence de millions d’êtres humains.

D’un autre côté, ces classes non- exploiteuses n’ont pas à se regrouper en tant que classes ou couches sociales distinctes, parce qu’en tant que telles, elles n’ont aucun intérêt de classe qui les pousse vers le socialisme. Elles peuvent ressentir de façon positive le statu-quo anticapitaliste comme plus ou moins avantageux pour elles, dans la mesure où ce statu-quo préserve leur subsistance matérielle. Mais la classe ouvrière doit savoir et dire que toute “stabilisation” permanente du statu-quo dans la période de transition stoppera la marche vers le socialisme et condamnera toute la société à la régression. Ce ne sont donc pas ces classes et couches organisées en tant que telles qui participent à la démocratie dans la période de transition. S’il devait en être ainsi, cette démocratie deviendrait une sorte de fourre- tout de différentes classes “votant” pour le socialisme ou non, et la dictature du prolétariat serait condamnée d’avance.

Dans ces conditions, comment la société sera-t-elle organisée de sorte que ces couches soient disloquées en tant que classes sociales en même temps que ses éléments graduelle ment intégrés, en tant qu’individus, dans la société? Cette question nous amène directe ment au sujet principal de cette brochure: l’État de la période de transition.

Pourquoi y aura-t-il un État, et quel État? Bien que le prolétariat doive détruire l’État bourgeois pour affirmer son pouvoir, il ne pourra faire immédiatement disparaître les classes, aussi, il ne pourra pas empêcher qu’un nouvel État, modifié dans sa forme et son contenu, surgisse. Une réalité sociale di visée et conflictuelle trouvera inévitablement son expression dans une superstructure poli tique. La politique ne disparaîtra qu’avec la disparition de l’économie, parce que “le pou voir politique est précisément l’expression officielle des antagonismes qui déchirent la société civile” (Marx, Misère de la Philosophie). Cette nouvelle forme d’État n’est pas, comme telle, une partie du programme communiste: s’il n’y avait que des prolétaires, s’il n’y avait qu’une seule classe dans le monde, il n’y aurait plus de classes, il n’y aurait plus besoin d’un État. Si nous aurons encore à supporter un autre “gouvernement des hommes”, cela ne vient pas d’un choix du prolétariat, mais d’une nécessité historique.

Puisqu’il est historiquement inévitable, cet État devra être utilisé par les ouvriers, puisque c’est la classe ouvrière qui doit donner son orientation à la société. L’État doit être utilisé par le prolétariat pour protéger la révolution contre ses adversaires et pour assurer la cohésion de la société de transition.

Tout comme le prolétariat doit contrôler, guider et orienter l’ensemble de la société en étant en son sein, il devra faire de même avec l’État. Tout comme le prolétariat ne peut se dissoudre par décret dans le reste de la société, au risque de dissoudre sa force de classe, de même il ne peut se dissoudre dans l’État mais doit le contrôler et le dominer de l’intérieur. La classe ouvrière ne peut se passer de l’État parce qu’elle n’est pas seule dans la société et ne peut remplir immédiate ment la totalité de son programme. Cependant, elle ne peut oublier -et cela dès le début de sa dictature- que l’accomplissement de son programme, c’est la suppression de tout État.

“D’après le sens grammatical de ces termes, un État libre est un État qui est libre à l’égard de ses citoyens, c’est-à-dire un État à gouvernement despotique. Il conviendrait d’abandonner tout ce bavardage sur l’État, surtout après la Commune qui n’était plus un État au sens propre. Les anarchistes nous ont assez jeté à la tête l’État populaire, bien que déjà le livre de Marx contre Proudhon, puis le Manifeste Communiste disent explicitement qu’avec l’instauration du régime social socialiste, l’État se dissout de lui-même et disparaît. “L’État n’étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour organiser la répression par la force contre ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d’un État populaire libre; tant que le prolétariat a encore besoin de l’État, ce n’est point dans l’intérêt de la liberté, mais pour réprimer ses adversaires et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’État cesse d’exister comme tel”. (Lettre d’Engels à Bebel, 1875, citée par Lénine dans L’État et la Révolution, Ed. de Pékin, p79)

Que veut dire “plus un État au sens propre” ? L’État de la période de transition sera un État débarrassé de “ses côtés les plus nuisibles”, un “demi-État”. Dans la mesure où la classe dominante est une classe non- exploiteuse, elle tentera d’atténuer les effets pernicieux de l’État autant qu’elle le pourra, comme elle l’a fait pendant la Commune: les délégués ouvriers et tous les responsables de la fonction publique sont révocables à tout instant; toute force année séparée de la classe ouvrière est détruite; un contrôle permanent est établi sur le fonctionnement de l’État; les fonctionnaires et les délégués ne sont pas plus rémunérés que les ouvriers; etc.

Mais si l’idée que l’État peut être aboli par décret au lendemain de la révolution est une invention du sentimentalisme anarchiste, les avertissements sur les dangers de l’État, même le demi-État de la période de transition, existent tout au long de l’oeuvre de Marx et Engels:

Le moins qu’on puisse en dire, c’est que I’État est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s’empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu’à ce qu’une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres, soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l’État”. (Engels, 1891, Introduction à I Guerre Civile en France 1871, Ed. Sociales 1969, p.

Nous ne pouvons que dire, avec Lénine, lorsqu’il cherche à redécouvrir et interpréter la position marxiste sur l’État à son époque dans L’État et la Révolution : “Comme on les entendrait crier à l’anarchisme, les chefs du “marxisme” moderne cuisiné à la sauce opportuniste, si on leur proposait un semblable correctif au programme!” (Remplacer le mot “État” par le mot “Gemeinwesen” - Commune).

Si le marxisme a rejeté la formulation anarchiste de “l’abolition de l’État”, ce n’est pas pour chanter les louanges de l’État dans la période de transition, mais pour défendre l’idée du “dépérissement” de l’État, du “demi-État” qui exprime déjà cette dynamique.

Mais dans la situation complexe de la société de la période de transition, comment le prolétariat peut-il pousser cette dynamique jusqu’au bout, jusqu’à son achèvement: la disparition de l’État?

Pour traiter cette question, nous ne dis posons pas d’une grande expérience historique. Il y a eu la Commune de Paris, dans une seule ville, en 1871, et la révolution russe victorieuse, mais isolée dans un seul pays en 1917. Malgré ces limites, il y a d’importantes leçons à tirer de ces premières expériences.

Marx et Engels ont tiré une leçon essentielle de la Commune de Paris et ont modifié en fonction de cette leçon le Manifeste Communiste l’État bourgeois ne peut être “conquis” par la révolution prolétarienne; il doit être détruit. Mais la Commune de Paris a eu affaire essentiellement à une population ouvrière[9] La Commune n’a pas connu les problèmes des rapports entre le prolétariat et la campagne, pour des raisons évidentes. On pouvait donc difficilement y voir une quel conque contradiction entre la dictature du prolétariat et la démocratie, la pleine participation des couches non-exploiteuses à l’État.

En 1918, Rosa Luxemburg dans La Révolution Russe pouvait encore confondre la démocratie ouvrière avec l’Assemblée Constituante! Lénine, écrivant en 1917 sur le futur État, et basant son analyse principale ment sur l’expérience de la Commune, se référait, sans autres précisions indifféremment à “l’État des ouvriers en armes”, à “l’organisation du peuple en armes”, à “l’État de l’immense majorité du peuple” et à “la dictature du prolétariat sans partage”. II ne voyait pas de contradiction possible entre la dictature du prolétariat et la “démocratie la plus large possible”. Dans L’État et la Révolution il n’y a aucun soupçon du fait qu’une opposition puisse se développer entre le prolétariat et “son” État. C’est seulement plus tard que, face à la réalité du nouvel État, il dut admettre que les choses n’étaient pas aussi simples, reconnaissant par exemple la nécessité pour les ouvriers de se défendre, dans une certaine mesure, contre cet “État à déformation bureaucratique” (voir le débat sur les syndicats en 1920-21 dans le parti bolchevik).

Les limites du marxisme sont les limites de l’expérience historique de la classe ouvrière. Les limites de la Commune et de 1905, en termes de temps et d’extension géographique, signifiaient que les problèmes de la dictature du prolétariat ne pouvaient être encore appréhendés dans toute leur profondeur; les contradictions de la société de la période de transition n’étaient pas encore pleinement perçues et ne pouvaient donc être entièrement traitées par la théorie. Mais en pratique, après l’insurrection victorieuse d’octobre 1917, Lénine et les marxistes de l’époque se sont heurtés à ces contra dictions dont les conséquences furent tragiques.

Lénine parlait à cette époque de l’État comme “l’État des ouvriers et des paysans”, une formulation et une réalité qui niaient toute conception de dictature du prolétariat. Pour les bolcheviks, la dictature s’exprimait et était défendue principalement, si ce n’est complètement, par le parti politique du prolétariat, devenu un parti étatique. A travers son parti, le prolétariat se dissolvait lui- même dans l’État. Mais si l’État, ce mal hérité du passé, était destiné à dépérir dans la théorie, en réalité, les seuls organes qui ont “dépéri”, ou plus précisément qui ont été minés par la politique des bolcheviks, ce sont les Conseils ouvriers.

L’État, loin d’être débarrassé de ses pires aspects, s’était renforcé non à travers la démocratie, mais à travers l’absorption graduelle de la société civile. Et il devint, avec l’isolement de la révolution russe, le fer de lance de la contre-révolution capitaliste d’État.

Les bolcheviks ont eu peur que la contre-révolution ne vienne des armées blanches et d’autres expressions directes de la bourgeoisie, et ils ont défendu la révolution contre ces dangers. Ils ont eu peur du retour de la propriété privée à travers la persistance de la petite production, et en particulier de la paysannerie. Mais le pire danger de la contre-révolution n’est venu ni des “koulaks”, ni des ouvriers lamentablement massacrés de Kronstadt, ni des “complots des blancs” que les bolcheviks voyaient derrière cette révolte. C’est sur les cadavres des ouvriers allemands massacrés en 1919 que la contre-révolution a gagné et c’est à travers l’appareil bureaucratique de ce qui était supposé être le “demi État” du prolétariat qu’elle s’est le plus puissamment exprimée.

Si une révolution prolétarienne doit rester isolée longtemps dans un pays, ou même un continent, le mode de production dominant dans le reste du monde, le capitalisme, se réaffirmera inévitablement en son sein.

Qu’une révolution isolée est inévitablement défaite est une leçon aujourd’hui, marquée au fer rouge dans le cerveau de la classe ouvrière. L’internationalisation de la lutte est la principale force vitale. Mais l’expérience russe nous a légué une autre leçon tout aussi précieuse: la contre- révolution ne s’incarnera pas uniquement dans les troupes versaillaises, comme ce fut le cas dans la Commune de Paris. Celle-ci peut aussi venir de l’État, cet appareil qui était supposé représenter la dictature du prolétariat.

Dans une période de pouvoir politique prolétarien, une période de bouleversements constants, si le prolétariat n’a pas la force matérielle d’imposer son programme, de garder le pouvoir, parce qu’il lui manque une extension internationale suffisante, l’État ne pourra que former et reformer une cohésion sociale toujours aliénée sur la seule base autorisée par la réalité prédominante. Ce n’est pas tant le “pourquoi” de cette limite qui est difficile à expliquer, mais le “comment”. L’expérience du prolétariat à l’égard de la question de l’État dans la période de transition est tellement limitée, que cette possibilité n’avait jamais été sérieuse ment soulevée, même théoriquement, avant la révolution russe. La spécificité de l’expérience russe ne se répétera probable ment jamais puisque l’histoire n’opère pas par répétitions identiques. Mais les leçons qu’elle a apportées sur la question des rap ports entre prolétariat et État ne pourront être ignorées qu’au péril de la révolution elle-même. Refuser de prendre ce problème à bras le corps, c’est ignorer une question centrale que le marxisme n’a pas encore complètement élucidée. Quelles que soient les autres conclusions spécifiques qui doivent être tirées de l’expérience russe, le moins qu’on puisse dire sur la façon dont le prolétariat russe traita cette question de l’État dans sa pratique, c’est qu’elle ne lui fut pas favorable. Le prolétariat a été confronté de façon sanglante à des contradictions que la théorie marxiste n’avait pas entièrement prévues.

Comment la dictature du prolétariat s’exprime-t-elle dans une nouvelle “démocratie”? Comment éviter que l’État échappe au contrôle des conseils ouvriers comme c’est arrivé en Russie, jusqu’à devenir la personnification du capitalisme d’État et de la contre-révolution? Comment imposer une dictature du prolétariat sur l’État et s’assurer contre une dictature de l’État sur le prolétariat? Quel est le rôle des conseils ouvriers par rapport à l’État et en son sein? Le demi-État est-il un État “ouvrier”? Comment les conseils ouvriers peuvent-ils limiter les effets négatifs de ce “mal nécessaire”? Tel les sont les questions que cette brochure tente d’explorer.



[1] Dans cette brochure, les termes de socialisme ou de communisme sont utilisés indifféremment pour nommer la société sans classe -cette étape que Marx, dans la Critique du Programme de Gotha a appelé “le stade supérieur du communisme”. La période qui le précède, qui commence avec la première insurrection prolétarienne victorieuse, n’importe où dans le monde, et va jusqu’à la création d’une société communiste à l’échelle mondiale, s’appelle la période de transition.

[2] “Du point de vue bourgeois il est aisé de traiter un semblable régime social de “pure utopie”, et de railler les socialistes qui promettent à chaque citoyen le droit de recevoir de la société, sans aucun contrôle de son travail autant qu’il voudra de truffes, d’automobiles, de pianos, etc. C’est à des railleries de cette nature que se bornent aujourd’hui encore la plupart des “savants” bourgeois, qui révèlent ainsi leur ignorance et leur mentalité de défenseurs intéressés du capitalisme. Leur ignorance, car il n’est venu à l’esprit d’aucun socialiste de “promettre” l’avènement de la phase supérieure du communisme; quant à la prévision de son avènement par les grands socialistes, elle suppose une productivité du travail différente de celle d’aujourd’hui, et la disparition de l’homme moyen d’aujourd’hui capable, comme les séminaristes de Pomialovski, de gaspiller’à plaisir” les richesses publiques et d’exiger l’impossible». (Lénine, L’État et la Révolution Ed. de Pékin 70, p120)

[3]Cest en cela que, selon Marx le prolétariat diffère des autres classes dans l’histoire qui, dans la victoire, continuaient défendre l’existence de leurs classes antagoniques et complémentaires. Le baron féodal avait besoin du vilain pour être baron; le bourgeois a besoin du prolétariat pour être bourgeois. Seul, le prolétariat, comme véritable “classe universelle” n’a pas besoin de son opposé pour assurer son existence”. (Avineri, Social and Political Thought of Karl Marx traduit par nous).

[4] Par propriété privée, nous voulons dire ce rap port social qui prive les ouvriers de tout pouvoir sur la production. La propriété privée est aussi bien propriété Individuelle, que propriété “collective» de l’État capitaliste.

[5] Il y a certainement d’autres classes exploitées dans l’histoire, mais elles n’étaient pas les classes révolutionnaires de leur temps car elles n’étaient pas et ne pouvaient pas être (étant donné les limites du développement des forces productives) les porteuses d’une nouvelle forme d’organisation sociale. Les esclaves sous la domination romaine se sont révoltés derrière Spartacus, contre leur oppression, mais la nécessité de rendre plus p l’agriculture imposait alors les germes de ce qui allait devenir les rapports féodaux de production. De même, les serfs se sont révoltés; mais qu’ils l’aient fait ou non, n’a rien changé au fait que c’est la classe bourgeoise marchande naissante dans les villes et qui se développait en dehors du cadre féodal (quelle que soit son origine sociologique au départ), qui était destinée à révolutionner la société avec la domination d’un nouveau mode de production dont elle était le porteur et le gérant. C’est essentiellement à cause du degré atteint par le développement des forces productives que la classe exploitée peut et doit être aujourd’hui la classe révolutionnaire, l’antithèse du capital, le porteur de sa propre négation en tant que classe distincte du reste de la société et le moteur du dépassement de toute contrainte économique.

[6] “Nous sommes souvent heurtés à une in compréhension de cette question. Beaucoup de gens qui regardent leur propre pays, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne par exemple, doutent du fait que l’intégration des autres couches se présente comme un problème. Apres tout, il n’y a pas de paysans en Grande-Bretagne ou si peu qu’ils ne comptent pas! Mais la question fondamentale, c’est que la période de transition doit être conçue à l’échelle mondiale. Il n’y a pas de “communisme en un seul pays», ni même sur un continent. C’est en termes de toute la planète qu’on raisonne sur la période de transition, et de toute l’humanité dont les deux tiers aujourd’hui connaissent la faim. Même si l’on suppose que les rapports de propriété pré-capitalistes ne seront pas trop difficiles à détruire, il y a tout un processus d’intégration sociale que le capitalisme n’a pas réalisée et qui ne peut être réalisé sans un développe ment correspondant des moyens matériels de production. Ici, le capitalisme n’a laissé que la misère. De plus, existent tous les vestiges idéologiques de siècles de lutte de classes, qui pèsent sur le cerveau des hommes. Cette force d’inertie doit être surmontée, et sur cette question aucun “continent” ne peut se considérer au-dessus de la question. Ce sont toutes les divisions de l’humanité, raciales, religieuses, sexuelles qui doivent être dépassées, tout comme les déformations psychologiques léguées par la société de classes. Et cela tout en avançant, au fur et à mesure que nous travaillons à la transformation de la réalité matérielle. Celui qui croit qu’on pourra sauter la tête la première dans le communisme, parce qu’il se voit lui-même sur une île, isolé, n’a même pas commencé à saisir le problème.

[7] Revolutionary Perspectives: aujourd’hui “Communist Workers’ Organisation” (CWO) qui publie un journal: Workers’ Voice et une revue: Revolutionary Perspectives en Grande-Bretagne

[8] Il est important de noter cependant que la violence de classe du prolétariat n’est pas semblable à celle de la bourgeoisie, sous certains rapports très importants. Elle n’a pas pour but la création d’une société de terreur, car elle n’a pas de classe à maintenir dans l’exploitation. Sa violence est essentielle ment défensive, et n’a pas pour modèle la terreur mise en oeuvre dans les révolutions bourgeoises. Malgré les exhortations de Trotsky sur la’terreur rouge>) dans Terrorisme et Communisme on ne peut dire que cette expérience qui a culminé dans la création d’une police secrète et le renforcement massif de la Tcheka, soit un exemple pour le futur. Dans la nature des buts mêmes de la révolution prolétarienne, il découle que certains moyens ne peuvent être utiles (comme la terreur bourgeoise des camps de concentration, la torture et le génocide), ni utilisés. Pour une étude plus détaillée de cette question, nous renvoyons le lecteur à l’article “Teneur, terrorisme et violence de classe, dans la Revue Internationale n°14).

[9] “En 1866, cinq ans avant la révolte de la Commune, sur 1.799.980 habitants de Paris, 51% vivaient du travail industriel. Le nombre de ceux qui vivaient d’un salaire ouvrier s’élevait à 729.584 personnes, soit plus de 40% du total de la population de Paris. Ainsi, la population de Paris de 1866 se distingue par le caractère majoritaire des ouvriers par rapport aux autres classes sociales”. Kazem Radjavi, La dictature du prolétariat et le dépérissement de l’État de Marx à Lénine Ed. Anthropos.