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Revue Internationale n° 1 - 2e trimestre 1975

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Revue Internationale n° 1 - Présentation

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Avec ce premier numéro, commence la parution de la Revue Internationale de notre Courant Communiste International.

La nécessité d'une telle publication est apparue clairement à tous les groupes constituant notre Courant au cours des longues discussions qui ont précédé et préparé la Conférence Internationale du début de cette année. En prenant la décision de la publication d'une même revue en Anglais, Français et Espagnol, la Conférence a non seulement franchi un pas décisif dans le processus d'unification de notre Courant, mais a encore posé les jalons pour le regroupement nécessaire des révolutionnaires.

Concentrer les faibles forces révolutionnaires dispersées par le monde est aujourd'hui, dans cette période de crise générale, grosse de convulsions et de tourmentes sociales, une des tâches les plus urgentes et les plus ardues qu'affrontent les révolutionnaires. Cette tâche ne peut être entreprise qu'en se plaçant d'emblée et dès le départ sur le plan International. Ce souci est au centre des préoccupations de notre Courant. C'est à ce souci que répond également notre Revue, et en la lançant nous entendons en faire un instrument, un pôle pour le regroupement International des révolutionnaires.

La revue sera nécessairement et avant tout l'expression de l'effort théorique de notre Courant, car seul cet effort théorique dans une cohérence des positions politiques et de l'orientation générale, peut servir de base et assurer la condition première pour le regroupement et l'intervention réelle des révolutionnaires.

Tout en maintenant son caractère d'organe de recherche et de discussion indispensable pour la clarification des problèmes qui se posent au mouvement ouvrier, nous n'entendons nullement en faire une revue de marxologie si chère aux universitaires distingués. Notre Revue sera avant tout une arme de combat solidement ancrée sur les positions fondamentales de classe, les positions marxistes révolutionnaires, acquises par et dans l'expérience de la lutte historique de la classe contre toutes les tendances "gauchistes", confusionnistes, "innovatrices" (de Marcuse à Invariance et ses succédanés) tant répandues aujourd'hui, et qui encombrent gravement la voie de la reprise des luttes du prolétariat et entravent l'effort vers la reconstitution de l'organisation révolutionnaire de la classe.

Nous n'avons pas la prétention d'apporter un Programme en tous points achevé. Nous sommes parfaitement conscients de nos insuffisances qui ne peuvent être comblées que par l'effort incessant des révolutionnaires vers une plus grande compréhension et une plus haute cohérence au cours même du développement de la lutte de la classe et de ses expériences.

A cet effort que nous entendons poursuivre au travers de notre Revue, nous convions également les groupes révolutionnaires qui ne font pas partie organisationnellement de notre Courant international mais qui manifestent les mêmes préoccupations que nous, de s'y associer en multipliant et resserrant les contacts, les correspondances et éventuellement par l'envoi de critiques, de textes et d'articles de discussion que la Revue publiera dans la mesure du possible.

D’aucuns pensent que c'est là une action précipitée. Rien de tel. On nous connaît assez pour savoir que nous n'avons rien de ces braillards activistes, dont l'activité ne repose que sur un volontarisme autant effréné qu'éphémère. Mais il est tout autant nécessaire de rejeter énergiquement toute tendance à la formation des "petits cercles" qui se contentent de se réunir et à la rigueur de publier de temps en temps de petits papiers destinés bien plus à leur propre satisfaction qu'à une volonté de participation et d’intervention dans la lutte politique de la classe ouvrière. Une lutte implacable doit être menée contre cet esprit localiste, étroit de petites sectes familiales sécurisantes. Ne peut être considéré comme révolutionnaire que le groupe qui comprend la fonction militante dans la classe et l'assume effectivement.

Contre ceux qui ne font que dénigrer la notion de militant, des Situationnistes d'hier à Invariance dans toutes ses variantes d'aujourd'hui, nous n'avons qu'un peu de mépris et beaucoup d’indifférence à leur opposer. Chacun occupe sa place : les uns dans la lutte, les autres en marge, et c’est bien ainsi.

Nous laissons volontiers aux contestataires désabusés de la petite bourgeoisie en décomposition le plaisir de se gratter le nombril. Pour nous, militants, combattants de la classe, la Revue est une arme de la critique préparant le passage à la critique par les armes.

Ce premier numéro est entièrement consacré aux principaux textes de discussion de la Conférence Internationale. Tous les textes n’ont pu trouver place dans ce numéro, déjà par trop volumineux. Les débats soulevés sont loin d’être clos ; ils se poursuivront dans les prochains numéros, qui paraîtront trimestriellement. Il nous est pour le moment impossible d’assurer une publication plus fréquente. Cela sera en partie pallié par des brochures en diverses langues que nous nous proposons de publier.

Un grand pas vient d’être fait.

<<>>A tous les Révolutionnaires nous demandons leur soutien actif. > <<>> >

<<>>La Rédaction>

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [1]

Bilan d’une conférence internationale

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Depuis plusieurs années, Révolution Internationale (France), Internatio­nalism (USA) et World Revolution (Angleterre) organisent des rencontres et conférences internationales afin de développer la discussion politique sur les perspectives de la lutte et de favoriser une plus grande compréhension des posi­tions de classe aujourd’hui. Cette année, en plus des groupes déjà cités, deux nouveaux groupes de notre courant ont assisté à la Conférence Internationale : Accion Proletaria (Espagne) et Rivoluzione Internazionale (Italie) et nous avons accueilli également une délégation d’Internacionalismo, le groupe de notre Courant au Venezuela. Cette conférence était principalement orientée sur la nécessité d’organiser l’intervention et la volonté d’action des révolutionnaires dans un cadre international.

Même lorsque notre courant n'était constitué que d’un ou deux groupes dans différents pays (à la fin de la période de réaction et au début de la nouvelle période qui s'ouvre en 1968), la nature de la lutte prolétarienne et les positions de classe que nous défendions nous ont imposé une cohérence politique internationale. Aujourd'hui, face à l'aggravation de la crise et à la montée des luttes, cette unité politique fondamentale et les années de travail commun nous ont permis de créer un cadre organisationnel international pour notre courant, afin de concentrer nos efforts dans plusieurs  pays.

Dans le contexte de la confusion politique actuelle et vu les forces très faibles des révolutionnaires, nous estimons qu'il est très important d’insister sur la nécessité, toujours existante en période de montée des luttes, de travail­ler vers un regroupement des révolutionnaires. Pour cette raison, nous avons invité des groupes dont les positions politiques les rapprochent de notre courant : Pour une Intervention Communiste (France), Revolutionary Workers' Group (USA), Revolutionary Perspectives (Grande-Bretagne) à participer à notre conférence. La confrontation des idées entre notre courant et ces groupes a aidé à clarifier les analyses et les orientations que défendent les différents groupes face aux tâches politiques actuelles.

La situation actuelle

Pendant les longues années qu'a duré la période de reconstruction d’après guerre, les marxistes révolutionnaires ont répété que le système capitaliste, entré dans sa période de décadence depuis sa première guerre mondiale, ne "prospérait" provisoirement que grâce aux divers palliatifs de la reconstruction, des mesures étatiques, de l'économie d'armement et qu'éventuellement les contradictions inhérentes au système vont éclater clairement dans une crise ouverte encore plus profonde que celle de 1929. Aujourd’hui, la crise n’est plus un mystère pour personne et la réalité du système en faillite a balayé de la scène les bourgeois exaltés et les marxologues érudits comme Socialisme ou Barbarie qui ont cru voir "la fin des crises", le "dépassement du marxisme" ou comme Marcuse, l’embourgeoisement du prolétariat. Notre courant analyse depuis 7 ans les péripéties de la crise qui va s’approfondissant : dans ce cours général, l’année 1974 a marqué une dégradation qualitative et quantitative de la situation économique du capitalisme (à l'Est comme à l’Ouest) et a montré la nature éphémère et trompeuse des mini reprises de 1972.

L'inflation, le chômage, les crises monétaires et les guerres commerciales, la chute des valeurs à la Bourse et les taux de décroissance des économies avancées, sont les signes de la crise générale de surproduction et de saturation des marchés qui mine le système capitaliste mondial à ses racines.

Contrairement à 1929, le Capitalisme aujourd'hui essaye autant que possible de pallier aux effets de la crise au moyen des structures étatiques. Malgré l'intensification des rivalités inter impérialistes (comme le montre la guerre continuelle en Indochine, les affrontements au Moyen-Orient et à Chypre) et le raffermissement des blocs impérialistes, le cours vers la guerre, inhérent aux crises économiques du capitalisme décadent, ne peut pas aboutir à la guerre généralisée aujourd'hui tant que la combativité de la classe ouvrière continue à se maintenir et à se développer. A la conférence, les groupes de notre courant ont élaboré la perspective défendue dans notre presse à savoir que la lutte de la classe ouvrière va s'intensifier dans une résistance à la crise et va poser l'alternative Socialisme ou Barbarie sur la scène historique après 50 années de recul.

La bourgeoisie vit une période de bouleversements et de crises politiques profondes. Dans une telle situation, elle cherche à mettre en avant son masque de "gauche" pour mieux embrigader la classe ouvrière, que ce soit à travers le parti Travailliste et le "contrat social" en Angleterre, les partis social-démocrate en Allemagne et ailleurs, ou le PS et le PC au Portugal, et bientôt en Espagne et en Italie et leurs tentatives en France. Dans la crise actuelle, une des armes les plus dangereuses de la classe capitaliste est sa capacité de désarmer la classe ouvrière à travers les mystifications réchauffées des fractions de "gauche" de la bourgeoisie. Economiquement, toutes les fractions de la bourgeoisie seront amenées à préconiser, d'une façon ou d'une autre, des mesures d’étatisation pour renforcer le capital national. Mais politiquement, surtout dans les aires où la crise frappe déjà très fort, c'est de ses partis de gauche dont la bourgeoisie a besoin pour pouvoir appeler à l'unité nationale et au travail gratuit le dimanche. Ces partis auront leur place au soleil capitaliste (soit dans le gouvernement, soit dans une opposition "constructive"), du fait qu'ils peuvent encore, ainsi que les syndicats, prétendre pouvoir encadrer la classe ouvrière et sa lutte.

Face à cette analyse, le PIC nous a semblé sous-estimer le poids des mystifications de gauche sur la classe ouvrière lorsqu'il supposait que ces mystifications n'ont plus tellement d'effet. Bien au contraire, nous croyons qu'une compréhension plus objective de la situation nous démontre que "l’antifascisme" et "l'unité nationale" sont encore loin d'être épuisés à l'heure actuelle. Bien que la classe manifeste une combativité croissante, il ne faut pas sous-estimer la marge de manœuvre de la classe ennemie. La bourgeoisie ne peut plus tenir dans certains pays comme l'Espagne ou le Portugal uniquement grâce à la répression de la droite, mais a besoin de recourir à la gauche, qui se montrera, au niveau de la mystification et du massacre des ouvriers, autrement plus efficace dans ces pays comme ailleurs.

Intervention des révolutionnaires

La lutte de classe aujourd'hui surgit comme une résistance à la détérioration des conditions de vie produite par la crise et imposée aux ouvriers. C'est pour cette raison que notre courant a repoussé l'analyse du RWG qui disait que les luttes ''revendicatives" sont actuellement une impasse pour la classe. Au contraire, dans une période de crise et de montée des luttes, les luttes dites "revendicatives" s’inscrivent dans tout un processus de maturation de la conscience, de la combativité et de la capacité d'organisation de la classe. Les révolutionnaires doivent analyser le développement des luttes et contribuer à leur généralisation et au développement d'une conscience plus claire des buts historiques de la classe. En rejetant les manœuvres trotskistes qui fixent la classe dans des revendications partielles et mystificatrices dans un capitalisme décadent, les révolutionnaires ne doivent pas rejeter en même temps le potentiel de dépassement implicite dans les luttes actuelles.

L’analyse de la crise et de son évolution détermine en grande partie les perspectives que voient les révolutionnaires pour la lutte de classe. A la conférence internationale, notre courant a défendu la thèse selon laquelle la crise profonde du système se développe relativement lentement, bien qu'avec de brusques aggravations - un développement en dents de scie dans un cours s'approfondissant. La lutte de classe se manifeste d'une façon sporadique et épisodique laissant voir toute une période de maturation de la conscience à travers les confrontations importantes entre le prolétariat et la classe capitaliste. Cette analyse n’a pas été entièrement partagée par les autres groupes présents à la conférence. "RP", se basant sur d'autres explications économiques (rejetant la théorie luxembourgiste) voit la crise comme un long processus plutôt lointain ; pour eux, la lutte de classe est strictement déterminée par les données économiques et puisque la crise catastrophique est pour demain, un appel à la généralisation des luttes aujourd'hui n'est que volontarisme. Le "PIC", par contre, croit déjà voir aboutir la crise économique sous la forme d'un danger immédiat de guerre mondiale (lançant un "cri d’alarme" à propos des récents évènements diplomatiques au Moyen-Orient) ou celle des confrontations de classe qui puissent déjà trancher aujourd'hui l’évolution de l'histoire. Nous avons critiqué ces deux cas d’exagérations en mettant l’accent sur le fait que les révolutionnaires doivent pouvoir analyser une situation contingente au sein d’une période générale, sans tomber dans une sous ou surestimation qui mène soit à s'agiter dans le vide, soit à rester en marge de la réalité actuelle de la crise et de la lutte de classe.

Le moment n'est pas encore venu pour se lancer dans un travail d'agitation et les tentatives du PIC qui propose des campagnes (voir dans notre journal RI) en dehors de toute capacité pratique, entre autres, n'ont pas trouvé grand écho. D'un autre coté, après les rapports d'activité des différentes sections de notre courant et des autres groupes, les camarades du courant ont constaté la nécessité d’élargir notre travail d'intervention et de publication dans tous les pays d'une façon plus organisée et systématique. Surtout en assumant collectivement la responsabilité politique d'intervention dans des pays où le courant n'a pas encore de groupe organisé et en s'orientant vers la publication de journaux dans des pays où ceci serait possible. Pour nous, il est inutile de poser la question de l'intervention comme une abstraction : pour ou contre. La volonté d’action est la base même de toute formation révolutionnaire. La question est de ne pas se payer de mots en criant "intervention" à tue tête sans se préoccuper de la situation objective précise, en négligeant la nécessité même de se donner les moyens d'intervenir à travers l'organisation des révolutionnaires à l'échelle internationale. Nous devons plutôt voir que l'ampleur de l'intervention des révolutionnaires peut varier selon les nécessités de la situation mais tous les cris pour l’intervention ne peuvent pas combler le vide : l’absence d'une organisation des révolutionnaires. La question du niveau d'intervention est un problème d'analyse et d'appréciation du moment, tandis que la question d'organisation est un principe du mouvement ouvrier, un fondement sans lequel toute prise de position révolutionnaire reste lettre morte. C'est pour cette raison que nous avons rejeté la proposition d'Accion Proletaria de poser la question d’intervention comme une question préalable à la nécessité de s’organiser

L'organisation des révolutionnaires

Le travail militant est par définition un travail collectif : ce ne sont pas des individus qui assument une responsabilité personnelle au sein de la classe mais des groupes basés sur un corps d'idées qui sont appelés à répondre à la tache des révolutionnaires : aider à clarifier et à généraliser la conscience de classe. A la conférence internationale comme dans nos revues, nous avons insisté sur la nécessité de bien comprendre les raisons des surgissements de groupes au sein de la classe et les responsabilités qui en découlent. Après 50 années de contre-révolution c’est la rupture complète de toute continuité organique dans le mouvement ouvrier : la question d'organisation reste une des plus difficile à assimiler par de nouveaux éléments.

Un groupe révolutionnaire est basé fondamentalement sur les positions de classe et on ne saurait justifier le travail en groupes séparés que par une divergence de principe. Loin d'idéaliser ou de vouloir perpétuer l'état actuel d’éparpillement des efforts, les révolutionnaires dans notre période de montée des luttes doivent pouvoir distinguer les questions secondaires d'interprétation ou d’analyse des questions de principe, et mettre toutes leurs forces dans l’effort de regroupement autour des positions de principe en surmontant les tendances à la défense de sa "boutique" et de sa "liberté" d'isolement.

 Depuis les débats de la 1e  Internationale, c'est devenu un acquis dans le mouvement marxiste que l'organisation des révolutionnaires doit tendre vers une centralisation des efforts : Face aux bakouniniens et aux fausses théories du fédéralisme petit-bourgeois, les marxistes ont défendu la nécessité de la centralisation internationale du travail militant : nous n'avons fait que mettre ce débat à jour en dégageant l'idée de la centralisation des déviations léninistes (centralisme démocratique) ou bordiguistes (centralisme organique). Nous avons voulu insister sur la nécessité d'un cadre cohérent organisationnel pour le travail des révolutionnaires contrairement aux diverses théories des groupes "anti-groupes", des "libertaires" et autres formules anarchisantes en vogue actuellement. Le RWG était assez sceptique sur l’effort d'organiser un courant international ; ce groupe, outre les divergences secondaires qui nous séparent, semble être traumatisé par les aberrations de la contre-révolution (surtout le trotskisme) sur la question de l’organisation. En voulant prendre le contre-pied de la contre-révolution les militants risquent de tomber dans une idéalisation de l'actuelle fragmentation et confusion du milieu révolutionnaire et de ne jamais pouvoir dépasser les erreurs et les fétichismes organisationnels du passé d'une façon positive.

Si l'on regarde le développement du mouvement prolétarien dans l'histoire, on constate que la formation du parti de la classe suit les périodes de montée des luttes. Aujourd'hui, à notre époque où la lutte se développe à travers la résistance à la crise économique, la formation des noyaux du futur parti suit un chemin de lente maturation. L’effort de notre courant pour se constituer en pôle de regroupement autour des positions de classe s’inscrit dans un processus qui va vers la formation du parti au moment des luttes intenses et généralisées. Nous ne prétendons pas être un "parti" et nous nous gardons bien de surestimer la portée de nos efforts d’organisation dans la période actuelle. Cependant, le parti de demain ne sortira pas un beau jour du néant ; au contraire, l’expérience nous montre que la cohérence politique sert comme pôle de regroupement essentiel pour les éléments révolutionnaires du prolétariat dans le moment des surgissements décisifs.

Le regroupement des révolutionnaires s’effectue autour des frontières de classe et les perspectives révolutionnaires de base ; les questions politiques secondaires ne sauraient entraver un processus général vers une concentration des forces face aux exigences de la situation actuelle et à venir. Ceux qui sont pour un regroupement "en théorie" et en paroles et plutôt pour un lointain avenir, tout en élevant des questions secondaires au même niveau que des frontières de classe pour justifier leurs réticences ou confusions, ne font que retarder ce processus et font obstacle à la prise de conscience nécessaire.

Nous pensons que c’est essentiel aujourd’hui de faire le premier pas vers une plus grande organisation internationale des révolutionnaires, de traduire notre internationalisme en termes organisationnels pour solidifier notre travail. C’est cela que la conférence s’est donnée comme tâche principale. La conférence internationale cette année se distingue des autres dans la mesure où nous avons voulu rendre les militants plus conscients des moyens nécessaires pour assurer la discussion sur l’organisation et la situation actuelle en solidifiant les liens politiques et les fondements théoriques de notre courant.

Nous n’avons pas pu aborder la question de la période de transition, en discussion actuellement dans le courant, à la conférence faute de temps. Mais nous avons pensé important de publier ici les documents préparés pour la conférence à ce sujet. Le lecteur pourra constater que cette question théorique est loin d’être tranchée tant au sein du courant, que dans le mouvement ouvrier en général. Cependant ce débat offre un grand intérêt, même inachevé, pour les révolutionnaires qui essaient de dégager les grandes lignes pour l’orientation du mouvement de demain.

La conférence a terminé son travail avec la formation du Courant Communiste International (qui comprend Révolution Internationale, World Revolution, Internationalism, Internacionalismo, Accion Proletaria, et Rivoluzione Internazionale), et par la décision de publier une Revue Internationale en anglais, français et espagnol pour mieux diffuser et développer les positions de notre courant.

 JA, pour le Courant Communiste International

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [1]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [2]

La situation internationale 1975

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Les textes que nous publions ici font partie des documents présentés à la conférence internationale. Les trois premiers sont des rapports préparés pour la conférence, les autres ont été des contributions écrites à la discussion. Nous n'avons pas eu le temps de présenter le rapport sur la période de transition, ni d'en discuter, à la conférence même, mais nous avons décidé de publier ces textes tout de suite pour continuer le débat ouvert sur ce sujet. Notre courant n'est pas arrivé à une homogénéité sur cette question complexe et de toute façon, contrairement à d'autres groupes (dont Revolutionary Perspectives), nous pensons que ce n'est pas aux révolutionnaires de créer des frontières de classe là où l'expérience de la classe elle-même n'a pas tranché. Alors que certains éléments révolutionnaires se montrent incapables d'assumer leurs tâches dans la situation actuelle, ils sont déjà en train de se lancer dans des absolus sur une question aussi complexe que celle de la période de transition. Nous pensons préférable de publier ces textes pour contribuer à la clarification sans prétendre résoudre tous les problèmes. Nous publions ici également une contribution de Revolutionary Perspectives sur la période de transition - des extraits choisis par eux d'un texte plus long - qui montre leurs divergences avec certains de nos camarades à ce sujet.

La situation internationale : la crise, la lutte de classes et les taches de notre courant international

"Une nouvelle époque est née ! L'époque de la dissolution du capitalisme, de sa désintégration interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat". (Plate-forme de l'Internationale Communiste, 4 mars 1919)

Presque 54 ans après avoir été prononcés, ces mots résonnent à nouveau avec puissance et viennent hanter le capitalisme mondial. Le capitalisme décadent suant sang et boue de tous ses pores est à nouveau mis au banc d'accusation de l'humanité. Les accusateurs ? Des millions de prolétaires massacrés durant deux générations par le capital, ajoutés à tous ceux qui ont péri depuis le début du capitalisme ; tous se tiennent là, silencieux et sévères - ils sont la classe ouvrière internationale. La sentence ? Elle a été prononcée depuis que le prolétariat à ses débuts s'est dressé contre l'exploitation capitaliste. On la trouve dans les tentatives de Babeuf, Blanqui, la Ligue des Communistes qui préparaient déjà le prolétariat pour son assaut final. On la retrouve encore dans le travail de la première, seconde, et troisième Internationales, et dans celui que la Gauche Communiste nous a laissé en héritage. L'accusé est vraiment condamné -- sa sentence de mort a simplement été repoussée ; l'humanité elle-même ne peut plus tolérer d'autre délai !

LA CRISE

Ces dernières années ont confirmé l'analyse que notre courant a commencé à faire en 1967/68 - et sur la base de la crise historique, et sur celle de l'actuel déploiement de la crise.

D'une façon concrète, les douze derniers mois furent la preuve irréfutable des perspectives que nos camarades américains présentaient il y a un an à la conférence. Les perspectives qu'a esquissées Internationalism pour notre courant comprenaient trois alternatives fondamentales à la crise du capitalisme, et chacune était susceptible d'être mise en œuvre simultanément à plus ou moins grande échelle. C'était : la tentative de rejeter la crise sur d'autres états capitalistes, sur les secteurs faibles du capital (petite bourgeoisie et paysannerie comprises) et sur le prolétariat.

Nous n'entrerons pas ici dans les détails des manifestations spécifiques de la crise (ce qui requerrait un exposé systématique, nation par nation ; l'excellente série d'articles parus dans les derniers numéros de Révolution Internationale est un exemple de la manière dont nous devons traiter ces problèmes). Nous voulons ici faire ressortir les principaux aspects de la crise conjoncturelle actuelle, en d'autres termes tracer les tendances générales de façon à replacer la crise dans une perspective historique intégralement liée au niveau de la lutte de classe internationale.

         Avec la saturation des marchés qui condamne à tout  jamais le capitalisme à des cycles de barbarie croissante, c'est de façon objective et matérielle que s'ouvre pour l'humanité la perspective de la révolution communiste. Mais elle est possible depuis 60 ans, et l'échec des tentatives communistes passées de renverser le capital a signifié que la continuation du capitalisme ne pouvait se faire qu'à travers des cycles de crises, de guerres et de reconstructions.

Le plus grand "boom" du capitalisme, la reconstruction qui a résulté de la profondeur de la destruction et de l'auto-cannibalisation menées à bien par le capitalisme en 39/45, a duré plus de 20 ans. Mais un ''boom' en période de décadence n'est que le gonflement d'un corps vide. Entre 1848 et 1873, la production industrielle mondiale a été multipliée par 3,5. Le PNB a augmenté en moyenne de 5% (certains pays, comme le Japon, ont vu doubler cette augmentation). Cela n'a pas pour autant mis en échec l'inflation mondiale, et les prix aujourd'hui en Grande-Bretagne sont à peu près 7,5 fois plus élevés qu'en 1945. Plus encore, l'économie des pays du Tiers-Monde n’a fait qu'empirer, et ce secteur énorme du capital mondial sombre d'année en année dans un gouffre de dettes, de chômage, de militarisme, de despotisme et de pauvreté.

Depuis les années 60, la crise s'est manifestée par des effondrements monétaires et la récente apparition de l'inflation galopante (les deux caractéristiques de presque tous les pays industriels). Le système monétaire international adopté aux accords de Bretton Woods en 1944, qui établissait des taux d'échange fixes par rapport au dollar et au cours de l'or, est maintenant relégué aux archives. Les grands druides du Fond Monétaire International orientent aujourd'hui tous leurs efforts dans le seul but de s'assurer qu'aucune épidémie n'est à craindre à la suite des inévitables morts qui jalonneront la période à venir. Une tâche désespérée ! Il n’existe pas de filet qui permette de résister à l'effondrement du colosse capitaliste. L'inflation entraîne inévitablement la récession, les faillites, les banqueroutes, les licenciements et les diminutions de profit. Ce sont les inévitables aspects du système de production capitaliste aujourd'hui, et ne sont que des moments de l'attaque permanente que mène le capitalisme décadent contre la classe ouvrière. Mais la continuation de la spirale inflationniste ne peut s'achever que par la paralysie de tout le marché mondial, par un effondrement international avec toutes ses conséquences propres à effrayer la bourgeoisie.

Bien que la période 1972/73 ait semblé marquer un relatif équilibre de l’économie mondiale, elle n'était qu'une courte accalmie pour les plus grandes puissances impérialistes aux dépens de leurs faibles rivales. L'intensification des guerres commerciales non déclarées, les dévaluations des cours, et la lente désintégration des unions douanières prouvent que cette période n'était qu'une tentative des pays capitalistes avancés pour atteindre un certain degré d'équilibre avant une détérioration plus grave, à l'échelle internationale. 1914 et maintenant 1975 annoncent un effondrement plus catastrophique encore, et la fin de la période faste qu'ont connue certains capitaux nationaux pendant ces deux dernières années. 

Aujourd'hui, l'économie mondiale est plongée dans une profonde récession. En 1974 la croissance ne pouvait que diminuer et le commerce international s’est ralenti. Le PNB des USA a diminué de 2% en 73 et continue à baisser. Celui de la Grande-Bretagne stagne et celui du Japon a enregistré une baisse de 3%. Dans de nombreux pays, la panique grandit avec la chute de beaucoup de petites et moyennes entreprises. Eh Grande-Bretagne, c’est une maladie chronique qui touche même de grandes entreprises et même des multinationales (compagnies de transport, compagnies maritimes, d'automobiles, etc.). Les secteurs clé tels que le bâtiment, la construction, les compagnies aériennes, l'électronique, l'automobiles, le textile, la machine-outil et l'acier se trouvent confrontés à des difficultés grandissantes dans la période actuelle. L'augmentation des prix du pétrole est venu s’ajouter aux problèmes insolubles d'un capitalisme en récession, ajoutant un déficit global de 60 milliards de dollars en une année à la balance des paiements. A travers les mécanismes chancelants du FMI, les "druides" du capital tentent de "recycler" certains des profits venant des pays producteurs de pétrole, comme si de telles mesures "déflationnistes" pouvaient servir à autre chose qu'à faire entrer le pétrole dans la spirale inflationniste. Les dettes des compagnies industrielles ont doublé depuis 1965 et, depuis 1970, les taux de croissance des pays capitalistes n'ont cessé de diminuer ou de montrer clairement leur nature de création artificielle de dépenses déficitaires. Les prévisions pour 1975 ne vont pas au delà d'un maigre taux de croissance annuel de 1,9% pour les pays de l'OCDE (USA compris).

Bien que la situation soit critique pour le capitalisme mondial, différents mécanismes d'intervention de l'Etat ont aidé à amoindrir la crise en répandant immédiatement les pires conséquences (comme les licenciements massifs). Cela a été accompli grâce à des subventions - parfois massives - et le financement des déficits par le canal du système bancaire. Ces mécanismes sont absolument inaptes à aider à la réalisation de la plus-value globale dont le capital a besoin pour accumuler. La seule source qui peut offrir de tels revenus, ce sont des programmes d'austérité sévères (tels que les blocages de salaires, la réduction des services sociaux, les impôts, etc.). Tous ces procédés, qui ne sont que des mesures visant à colmater les brèches, intensifient au contraire la crise, soit en la déplaçant sur le terrain politique (c'est-à-dire la lutte des classes), soit en accélérant le tourbillon inflationniste, aujourd'hui irrésistiblement engagé. Tous les mécanismes habituels mis en place par le capitalisme pour "enrayer" la crise constituent la suite logique de la lutte désespérée que mène le capitalisme décadent contre sa propre décomposition depuis le début du siècle. Comme nous l'écrivions précédemment :

"Les causes profondes de la crise actuelle résident dans l'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste depuis la première guerre mondiale : les grandes puissances capitalistes se sont partagé entièrement le monde et il n'existe plus de marchés en nombre suffisant pour permettre l'expansion du capital ; désormais, en l'absence de révolution prolétarienne victorieuse, seule capable d'en finir avec lui, le système se survit grâce au mécanisme crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise, guerre, etc." (Surproduction et inflation, RI n°6).

Quand l’actuel ministre de l’agriculture américain a récemment rendu compte de la crise de l'agriculture américaine, il a admis : "Le seul moyen pour que nous ayons une pleine production agricole dans ce pays est d'avoir un marché d'exportation puissant. Nous ne pouvons pas consommer à l'intérieur du pays l'entière production de notre agriculture". Ce fidèle chien de garde aboyait pour une fois de façon honnête, à l'unisson avec tous ses collègues allemands, japonais, anglais, russes ou français. Chaque capital national du monde tente de pénétrer les marchés des autres. Comme Midas, ils sont saturés d'or, mais incapables de manger ne serait-ce qu'un croûton de pain ! L'insatiable soif de réalisation de plus-value ne peut être étanchée. Ainsi, les dirigeants russes ont cherché les statuts nationaux les plus favorables [1] [3] pour pénétrer les marchés des USA et pour acquérir ce qui leur manque (technologie, crédits, etc.) de façon à augmenter leur propre capacité productive et leur compétitivité sur le marché mondial. De même, les secteurs du capital américain qui comprennent le mieux dans quel état pitoyable se trouve le capital des USA, cherchent désespérément à pénétrer les marchés russes. Ces tentatives fusent toujours et de partout, pareilles à l’insatiabilité de Midas ; ce pauvre homme n'était qu'un propriétaire d'esclaves - ces capitalistes, pour leur part, sont véritablement des vampires ! Ayant saigné leurs victimes à blanc, ils se précipitent sur d'autres victimes, juste pour s’apercevoir que d'autres étaient sur les lieux avant eux !

La crise conjoncturelle actuelle contient un important facteur, inhérent au capitalisme décadent : la tendance au capitalisme d'Etat. Le crash et la crise de 1929 furent un effondrement catastrophique survenant soudain après des années de stagnation et de vaines tentatives de ressaisissement des pays capitalistes avancés, malgré, l' importante croissance des années avant 14. La tendance au capitalisme d'Etat déjà présente en 29, n'était cependant pas suffisamment développée pour servir de tampon aux crises mondiales.

Après la seconde guerre mondiale, la tendance au capitalisme d'Etat a été consciemment et délibérément adoptée par beaucoup de gouvernement capitaliste et appliquée de façon non officielle par tous les autres. L'économie de gaspillage (armement, etc.), largement financée par les dépenses inflationnistes, était considérée comme une solution à beaucoup de problèmes de stagnation et de surproduction. La production structurelle de gaspillage, ou plus précisément la consommation de la plus-value, devint une caractéristique économique indéniable après 1945, et c'est ce facteur qui est fondamentalement à la base de la soi-disante ''prospérité" de la période après-guerre. Les pays détruits par la guerre accusèrent de "miraculeuses" remontées (Allemagne, Italie, Japon), ce qui permit aux vainqueurs de reconstruire et de réorganiser un marché mondial détruit et mis en pièces par la guerre. Le marché mondial apportait à nouveau un regain de vie au prix de 55 millions de victimes. Un autre préjudice qu'a apporté cette période (préjudice beaucoup moins vital), c'est que beaucoup de Cardans, quittant définitivement le terrain marxiste et croyant au miracle, ont proclamé la "fin" des crises économiques. En fait, ce "préjudice" fut un bienfait pour la sociologie bourgeoise, tout est bien qui finit bien. Mais bien peu de miracles semblent survivre aux premières attaques de la crise grandissante. Le rythme et l'intensité de la crise actuelle semblent confirmer les analyses que notre tendance a faites il y a 9 ans. Le "boom" des années d'après guerre est terminé, disions-nous, et le système capitaliste mondial entre dans une longue, période de crise qui se développera encore. Les points de repère (en étroite relation les uns avec les autres) qui nous avaient servi à apprécier le rythme de la crise apparaissent simultanément et de plus en plus intensément :

1° - La chute massive du commerce international

2° - Les guerres commerciales ("dumpings", etc.) entre capitaux nationaux

3° - Les mesures protectionnistes et l'effondrement des unions douanières

4° - Le retour à l'autarcie

5° - Le déclin de la production

6° - L'accroissement considérable du chômage

7° - Les attaques portées au salaire réel des ouvriers, à leur niveau de vie

A certains moments, la convergence de plusieurs de ces points peut provoquer une dépression importante dans certains pays, tels que l'Angleterre, l'Italie, le Portugal ou l'Espagne. C'est une éventualité que nous ne nions pas. Toutefois, bien qu'un tel désastre ébranle irréparablement l'économie mondiale (les investissements et actions britanniques à l'étranger comptent à eux seuls pour 20 milliards de dollars), le système capitaliste mondial pourra encore se maintenir, tant que sera assuré un minimum de production dans certains pays avancés tels que les USA, l'Allemagne, le Japon ou les pays de l'Est. De tels évènements tendent évidemment à porter atteinte au système tout entier, et les crises sont inévitablement aujourd'hui des crises mondiales. Mais pour les raisons que nous avons exposées plus haut, nous avons lieu de croire que la crise sera étalée, avec des convulsions, en dents de scie, mais son mouvement ressemblera plus au mouvement rebondissant d'une balle qu'à une chute brutale et soudaine. Même l'effondrement d'une économie nationale ne signifierait pas nécessairement que tous les capitalistes en faillite vont aller se pendre, comme le disait Rosa Luxemburg dans un contexte légèrement différent. Pour qu'une telle chose arrive, il faut que la personnification du capital national, l'Etat, soit détruit : il ne le sera que par le prolétariat révolutionnaire.

La lutte de classe

Au niveau politique, les conséquences de la crise sont explosives et vont très loin. Avec l'approfondissement de la crise, la classe capitaliste mondiale va attiser les flammes de la guerre. Les "petites" guerres sans fin des 25 dernières années continueront (Viêt-Nam, Cambodge, Chypre, Inde, Moyen-Orient, etc.). Toutefois, à mesure que la décomposition chronique du Tiers-monde gagne les centres du capitalisme en période de crise, l'appel à la guerre fuse avec ces deux autres cris de guerre de la bourgeoisie : AUSTERITE et EXPORTER, EXPORTER ! Cette attaque à la classe ouvrière signifie que la bourgeoisie essaie de faire payer entièrement la crise au prolétariat, avec sa sueur et dans sa chair. Dans de telles conditions, le niveau de vie de la classe ouvrière, déjà brutalement diminué par l'inflation, va être encore réduit par l'austérité et l'effort sur l'exportation. La démoralisation psychologique entraînée par la perspective d'une guerre aide à fragmenter différents secteurs du prolétariat et les prépare à accepter une économie de guerre, avec toutes les conséquences qu'elle implique pour la future révolution prolétarienne. La bourgeoisie sent que l'unique solution à ses crises est d'avoir un prolétariat vaincu, un prolétariat incapable de résister aux cycles infernaux du capitalisme décadent. Donc incapable de résister à l'intensification systématique du taux d'exploitation, la considérable augmentation du chômage, comme c'est le cas en Angleterre, en Allemagne, aux USA, etc. On essaie aussi d'appliquer d'autres mesures draconiennes, telles que des réductions de salaire "volontaires", la semaine de trois jours, des semaines entières de chômage technique, l'expulsion des travailleurs "étrangers", les cadences, le freinage des services sociaux. Il n'est pas besoin de dire que ces mesures sont quotidiennement glorifiées dans les "medias" bourgeoises (presse, TV, journaux, etc.).

Mais, en dépit de leur sévérité, ces mesures ne sont rien en comparaison de ce que peut encore nous faire la bourgeoisie. Il n'est pas de crime, pas de monstruosité, pas de mensonge, pas de tromperie qui fasse reculer la classe capitaliste dans sa campagne lancée contre son mortel ennemi : le prolétariat. Si la bourgeoisie, au stade où nous en sommes, n'ose pas massacrer le prolétariat, c'est parce qu'elle hésite et qu'elle a peur. Le prolétariat, ce géant qui s'éveille, sort de la période de reconstruction sans être vaincu, et projette l'image d'une classe qui n'a rien à perdre et un monde à gagner. La lutte sera longue et dure à l'échelle mondiale avant que la bourgeoisie puisse imposer son ultime solution capitaliste : une nouvelle guerre mondiale.

Ceci explique l'hésitation que manifestent certaines sections de la bourgeoisie dans leurs rapports avec le prolétariat. Certains, effrayés par les dangers du chômage massif qu'entraîne une récession croissante, essaient d'augmenter la demande de consommation en réduisant les impôts individuels (Ford a proposé d'enlever 16 millions de dollars de taxes) ou en redorant la vieille production d'armement. Mais toutes ces mesures "anti-inflationnistes" finissent par aggraver le poids de l'inflation, et en fin de compte ne font qu'accélérer la tendance à la chute. Confrontée au déclin de la production qui accompagne l'inflation galopante, et incapable de réduire la baisse de son taux de profit, vu l'absence de marché, la bourgeoisie sera finalement contrainte d'affronter le prolétariat dans une lutte à mort.

Mais la bourgeoisie a aussi développé sa confiance en elle-même dans le "boom" d'après-guerre. Les platitudes pleines d'autosatisfaction des Daniel Bells, Bookchins et Cardan sur un capitalisme "moderne" libéré des crises, prennent leurs racines dans le fumier de la période de croissance et de reconstruction. Se raccrochant à l'Etat, cet appareil qui a directement supervisé la période de reconstruction, et dont les techniques d'intervention se sont perfectionnées en 60 ans de décadence, la bourgeoisie peut perdre l'assurance qu'elle avait pendant la période de reconstruction, elle peut même être prise de panique et de désespoir, elle n'est pas pour autant vaincue. Tant qu'elle pourra compter sur les mystifications de "l'unité nationale", sa confiance en elle-même pourra rester intacte. Mais les rapports entre classes tendent en période de crise à se durcir, et à prendre un caractère inconciliable.

Dans de telles conditions, l'Etat doit apparaître comme "impartial", de façon à mieux mystifier la classe ouvrière. Les interventions de l'Etat dans de tels moments doivent atténuer les insolubles culs-de-sac politiques et sociaux que la bourgeoisie a à affronter ; l'Etat doit donner l'impression qu'il agit au nom de "tous", patrons, petit-bourgeois, et travailleurs. Il doit donner l'apparence de posséder les nobles attributs d'un "arbitre" et ainsi obtenir la légitimité nécessaire pour écraser la classe ouvrière et maintenir les rapports de production existants.

Les fractions de gauche du capital (staliniens, sociaux-démocrates, les syndicats et leurs soutiens "critiques" trotskystes, maoïstes ou anarchistes) se préparent à assumer cette tâche, à assumer le rôle de gardien de l'Etat. Ils sont les seuls à pouvoir se poser comme les représentants de la classe ouvrière, des "petits", des "pauvres". C'est parce qu'une classe ouvrière n'est pas défaite qu’elle doit être amadouée si on veut qu'elle accepte les diminutions de salaire et autres mesures, que seule la gauche peut constituer un moyen réel d'introduire une plus grande centralisation étatique, les nationalisations et le despotisme, comme le montrent les exemples du Chili d'Allende ou du Portugal.

Dans un capitalisme en décadence, la tendance est aux crises et à la guerre, et il n'y a aucune force dans la société qui puisse mettre fin au cycle meurtrier de la barbarie, si ce n'est le prolétariat. A première vue, il semble que, dans l'immédiat, la guerre soit le seul chemin qui soit offert à la bourgeoisie. Le fait que le prolétariat n'ait pas d'organisation permanente de masse pourrait être le signe qu'il est sans défense contre l'orage de chauvinisme qui précède une nouvelle guerre mondiale. Mais la bourgeoisie sait que cela n'est pas vrai. Elle sait à travers ses syndicats que le prolétariat reste une classe révolutionnaire en dépit de l'absence d'organisation prolétarienne de masse. Les syndicats connaissent ce fait élémentaire depuis longtemps, et leur rôle est d'étouffer dans l'œuf tout mouvement ouvrier autonome. Dans toute mobilisation autonome du prolétariat, ils voient pointer l'hydre de la révolution. Et c'est là le principal obstacle aux desseins criminels de la bourgeoisie ! Avant que la bourgeoisie puisse mobiliser avec succès pour la guerre, il faut que la classe ouvrière soit vaincue. Jusque là, il faut être très prudent. En fait, la bourgeoisie éprouve de la difficulté à mobiliser le prolétariat derrière des mots d'ordre "d'austérité" et de "allons-y tous ensemble". Politiquement, les fascistes et antifascistes n'ont pas mieux réussi que la police du capital. Les nouvelles idéologies que secrète le capitalisme semblent trouver une résonance stable dans les rangs de la petite-bourgeoisie, mais pas dans la classe ouvrière. Ce n'est pas un hasard si les idéologies réactionnaires telles que la croissance zéro, la xénophobie, la libération sexuelle et ses contreparties (telles que le renforcement du mariage et "moins de sexe") ainsi que d'autres, semblent être concentrées la plupart du temps parmi des couches petite-bourgeoises. Aujourd'hui, il est clair qu'il n'y a plus un seul moyen de justifier rationnellement au prolétariat la continuation des rapports sociaux capitalistes.

Le fait que la classe ouvrière n'ait pas d'organisation permanente de masse aujourd'hui a plusieurs conséquences. La classe ouvrière n'est pas encombrée des énormes organisations réformistes de son passé comme c'était le cas en 14­-23. Les leçons de la période actuelle peuvent donc être assimilées plus vite qu'elles ne l'étaient pendant et après la première guerre mondiale. La conscience que seules les solutions communistes peuvent donner un sens aux luttes salariales et pour les conditions de vie, peut apparaître de façon plus aiguë et plus claire depuis que toute "victoire" économique est immédiatement rongée par la crise. Comme le disait Marx, l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre. Si le prolétariat affronte la crise sans organisation réformiste permanente de masse, ce fait a inévitablement des corollaires positifs.

Tant que la crise ne s'est pas approfondie au point de provoquer inévitablement le renversement révolutionnaire du capitalisme, tant que le prolétariat tout entier ne se pose pas la révolution comme but immédiat, toutes les institutions temporaires surgies de la lutte de classe (comités de grève, assemblées générales) sont inévitablement intégrées ou récupérées par le capital si elles essaient de devenir permanentes. Ceci est un processus objectif inévitable, un des traits de la décadence du capitalisme. La classe ouvrière se trouvera tôt ou tard confrontée au fait que tout comité de grève, toute "commission ouvrière" tend aujourd'hui à devenir un organe du capital. Déjà, les ouvriers de Barcelone et du nord de l'Espagne semblent avoir pris pleinement conscience de ce fait. En Angleterre, des milliers d'ouvriers se méfient presque instinctivement des comités de grève dominés par les shop stewards. Aux USA, les ouvriers tolèrent les dirigeants syndicaux de gauche ou radicaux mais seuls des imbéciles pourraient voir dans cette tolérance une loyauté permanente au syndicalisme, ou une conséquence des luttes salariales.

Les ouvriers luttent chaque jour, et plus encore dans les moments de crise, parce que le prolétariat comme classe ne peut jamais être intégré au capitalisme. Il en est ainsi parce que le prolétariat est une classe exploitée et que c'est la seule classe productive dans la société capitaliste. En conséquence, le prolétariat ne peut que se battre pour s'affirmer contre les conditions intolérables que le capitalisme l'oblige à supporter. Il importe peu de savoir ce que le prolétariat pense de lui-même à court terme, l’important est ce qu'il est. Et c'est cette réalité objective qui fera la conscience communiste de la classe ouvrière. Laissons les modernistes, rire de cela. Pour sa part, le prolétariat n'a pas d'autre chemin à prendre, pas d'autre moyen d'apprendre que celui tracé par le Golgotha de la société bourgeoise.

Le prolétariat a besoin du temps offert par la période de crise pour être capable de lutter et de comprendre sa position dans la société mondiale. Cette compréhension ne peut venir tout d'un coup à l'ensemble de la classe. La classe ira à des confrontations de nombreuses fois dans la période à venir, et de nombreuses fois elle devra reculer, apparemment vaincue. Mais en fin de compte, aucun mur ne peut résister aux assauts continuels de la vague prolétarienne, encore moins quand le mur se désintègre lui-même. Mais pendant que le prolétariat utilisera la nature étalée de la crise, la bourgeoisie, elle, utilisera toutes ses cartes pour plonger dans la confusion, défaire et vaincre les efforts de la classe ouvrière. Le destin de l’humanité dépend de l'issue finale de cette confrontation. Mais tandis que la bourgeoisie fera tout ce qu'il est possible pour affaiblir les tendances prolétariennes vers un regroupement mondial, le prolétariat renforcera la capacité à établir une continuité directe dans sa lutte, en dépit de toutes les divisions et mystifications des syndicats, de la gauche, des gouvernements, etc. Il n'y a pas d'organisation capitaliste qui puisse résister à une vague quasi continuelle de grèves et d'auto-activité du prolétariat sans être démoralisée. Ainsi la classe toute entière commencera à se réapproprier la lutte communiste et à approfondir sa conscience globale dans des affrontements réels. Le temps des actions de masse de la classe va continuer, et elle aura à son actif de plus en plus de leçons et de mémoire. Ceci n'est pas à négliger, puisque les seules armes de l'arsenal prolétarien sont sa conscience et sa capacité à s'organiser de façon autonome.

Les communistes ne peuvent que se réjouir de l'approfondissement de la crise. La possibilité de la révolution communiste apparaît une fois de plus au niveau conjoncturel comme l'expression de la décadence historique de la société bourgeoise. Nos tâches vont nécessairement devenir plus larges et plus complexes et le processus menant à la formation du parti sera directement accéléré par notre activité présente. Le développement graduel de la crise dans cette période nous permettra aussi de mieux nous regrouper, de galvaniser nos forces internationalement. La tendance indiscutable des groupes communistes aujourd'hui est d’abord et avant tout de rechercher un regroupement international des forces. Les regroupements internationaux ne sont pas des stades formels antérieurs du regroupement international. Formaliser ainsi le déroulement du regroupement dans un schéma stérile et localiste signifierai revenir aux conceptions social-démocrate de "sections nationales" et autres gradualismes de gauche. Ce n'est que globalement que nous pouvons mener" à bien notre travail de préparation, approfondir notre compréhension théorique et défendre notre plate-forme dans les luttes de la classe ouvrière.

Notre courant va se trouver de plus en plus systématiquement confronté à un immense amoncellement de travail organisationnel, tel que la contribution à la formation et au renforcement des groupes communistes futurs. En liaison étroite avec ceux-ci, notre courant devra être capable d'intervenir avec plus de cohésion et de façon internationale sur tous les évènements qui vont surgir dans la période à venir. Mais notre fonction spécifique n'est plus d'"organiser techniquement" les grèves ou autres actions de la classe, mais de mettre patiemment et avec force, de la façon la plus claire possible, l'accent sur les implications de la lutte autonome du prolétariat, et sur la nécessité de la révolution communiste. Nous sommes là pour défendre les acquis programmatiques de tout le mouvement ouvrier et cette tâche ne peut être approfondie que par un travail militant et uni partout où la classe manifeste une mobilisation pour ses propres intérêts et lorsque ces intérêts sont directement menacés par les attaques du capital.

Les perspectives que Révolution Internationale avait présentées pour notre courant en janvier 1974 ne rendaient pas compte de cet aspect primordial, l'auteur ne voyant pas clairement nos besoins organisationnels et minimisant de ce fait leur importance. Cela peut être attribué à la relative immaturité de notre courant, en ce qui concerne les implications concrètes de notre activité, pour la classe comme pour nous-mêmes. Aujourd'hui, nous pouvons considérer la question du regroupement et du parti sur des bases plus solides. Pour nous, un accord programmatique doit s'accompagner d'un accord organisationnel, une tendance à l'action à l'intérieur du cadre du regroupement mondial. Loin de nous les "activistes" qui veulent "intervenir" sans avoir une claire compréhension de ce qu'est un regroupement global. La construction d'un courant communiste international est une épreuve amère pour de tels activistes. L'accord sur ce point doit être prouvé dans les actes et l'attitude, pas seulement en paroles. Notre courant a déjà rencontré beaucoup de sectes qui, comme les centristes d'hier, sont "en principe" pour un regroupement communiste (un sentiment louable comme l'est un accord "de principe" sur la fraternité entre les hommes ou la justice éternelle). Mais, en pratique ces sectes sabotent le regroupement ou tout mouvement significatif vers lui, en invoquant des points secondaires ou des trivialités qui les différencient de nous.

De même que notre courant n'a que faire des modernistes qui annoncent à la classe ouvrière son intégration au capital, de même nous n'avons pas besoin de confusionnistes qui, dans la pratique, n'appellent qu'à la démoralisation et à la dispersion localiste. C'est le fait de notre évolution si notre Conférence n’attire pas de tels éléments. Le processus de regroupement a commencé en 70, mais notre courant a déjà polarisé de nombreux groupes ou tendances qui, depuis, se sont en majorité décomposés organisationellement et théoriquement. Dans ceux-ci sont inclus des groupes en rupture avec S ou B, des dilettantes du genre Barrot, et de semblables lumières du modernisme. Aujourd’hui, notre courant a déjà parcouru un long chemin, et nous pouvons être certains que, sous beaucoup d’aspects, la route à faire sera plus dure et plus difficile encore. Mais en ce qui concerne la période passée de clarification des points théoriques essentiels, de base, nous pouvons conclure que cette période tire à sa fin. Le spectacle des sectes "d’ultragauche" d’aujourd’hui, s’enfonçant dans le modernisme et l’oubli, est une confirmation tragique mais inévitable de ce pronostic.

                                                                                              WORLD REVOLUTION

                                                                                              Janvier 1975

 

[1] [4] C’est-à-dire : des accords préférentiels pour l'exportation aux USA.

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [5]
  • Luttes de classe [6]

Questions théoriques: 

  • Guerre [7]

Rapport sur la question de l’organisation de notre courant international

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La conférence de janvier se donne, entre autres buts, celui de se donner les moyens d'organiser et centraliser, au niveau international, l'activité des différents groupes du courant international.

Cet acte se veut consciemment un pas vers la formation d'une organisation internationale achevée.

Pour comprendre sa signification, il faut répondre à trois questions principales :

  1. Pourquoi une organisation politique internationale ?
  2. Pourquoi s'engager dans un tel processus maintenant ?
  3. Comment doit être conçu le rôle du C.C.I. dans le processus de constitution du parti mondial du prolétariat ?

POURQUOI UNE ORGANISATION POLITIQUE INTERNATIONALE ?

L'organisation politique est un ORGANE de la CLASSE, engendré par elle pour remplir une fonction spécifique : permettre le développement de sa conscience de classe. L'organisation politique n'apporte pas cette conscience de "l'extérieur"; elle ne CRÉE pas non plus le processus de cette prise de conscience. Elle est au contraire un PRODUIT de ce processus en tant qu'instrument INDISPENSABLE à son développement. D'un certain point de vue, on peut considérer que l'organisation politique est aussi nécessaire à l'élaboration collective de la conscience de classe que l'expression orale et écrite l'est pour le développement de la pensée individuelle.

Deux tâches principales peuvent être distinguées dans la fonction générale de l'organisation politique du prolétariat :        .

  1. L'analyse permanente de la réalité sociale en vue de cerner les intérêts historiques du prolétariat (appropriation des acquis de l'expérience historique de la classe et définition de la position prolétarienne face à chaque situation concrète). C'est la tâche d'élaboration constante du Programme Communiste, c'est-à-dire de la définition des buts et des moyens de la lutte historique de la classe ouvrière.
  2. L'intervention au sein de la classe afin qu'elle assume consciemment son pro­gramme historique et se donne les moyens de sa tâche révolutionnaire.

II La classe ouvrière n'est pas la seule classe à exister internationalement. La bourgeoisie et les diverses classes paysannes se retrouvent dans tous les pays. Mais le prolétariat est la seule classe qui puisse s'organiser et agir COLLECTIVEMENT au niveau international car elle est la seule qui ne possède pas d'intérêts nationaux. Son émancipation n'est possible qu'à condition d' être mondiale.

C'est pourquoi son organisation politique tend inévitablement à être CENTRA LISEE et INTERNATIONALE.

Le prolétariat crée son organisation politique à son image.

Qu'il s'agisse da sa tâche d'analyse politique ou qu'il s'agisse de son intervention, l'organisation politique prolétarienne a affaire à une réalité mondiale. Son caractère centralisé et international n'est pas le résultat d'une exigence éthique ou morale, mais une condition NECESSAIRE de son efficacité et donc de son EXISTENCE.

 

III. Le caractère international de l'organisation politique prolétarienne s'affirme tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier: Dès 1817, la Ligue des Communistes, avec son mot d'ordre :"Prolétaires de tous les pays, unissez vous. Les prolétaires n'ont pas de patrie" proclame sa nature d’organisation internationale. A partir de 1864, les organisations politiques prennent la forme des "Internationales". Jusqu'au triomphe de la contre-révolution stalinienne et du "socialisme dans un seul pays", seule la faillite de II° Internationale interrompt véritablement cette continuité internationaliste.

La deuxième Internationale, en correspondant à la période de stabilité des grandes puissances industrielles, souffre inévitablement, dans son internationalisme, de l'enfermement des luttes prolétariennes dans le cadre des réformes , l'horizon du combat, prolétarien subit objectivement un rétrécissement nationaliste. Aussi, la trahison de la II° Internationale ne fut pas un phénomène isolé, inattendu. Elle fut la pire conséquence de 30 ans d’enfermement des luttes ouvrières dans les cadres natio­naux.  En fait, dès ses premières années, 1a II° Internationale marque, sur le terrain de 1'internationalisme, un recul par rapport à l’AIT. Le parlementarisme, le syndicalisme, la constitution des grands de masse, en somme, toute l'orientation du mouvement ouvrier vers des luttes pour des réformes, ont contribué à fractionner le mouvement ouvrier mondial suivant les frontières nationales. La tâche révolutionnaire  du prolétariat ne peut se concevoir et se réaliser qu'à l'échelle internationale. Autrement elle n' est qu'une utopie. Mais, du fait même que le capital existe divisé en nations, les luttes pour la conquête des réformes (lorsqu'elles étaient possibles),  ne nécessitaient  pas du terrain international pour aboutir.  Ce n’est pas 1e capital mondial qui décidait d’accorder telle ou telle amélioration au -prolétariat de telle ou telle nation. C'est dans chaque pays, et dans sa lutte contre sa propre bourgeoisie nationale, quo les travailleurs parvenaient à imposer leurs revendications.

L’INTERNATIONALISME PROLETARIEN N’EST PAS UN SOUHAIT MORAL ? NI UN IDEAL ABSTRAIT ? MAIS UNE NECESSITE QUI LUI IMPOSE LA NATURE DE SA TACHE REVOLUTIONNAIRE.

C’est pourquoi la première guerre mondiale,  en marquant la non viabilité historique des cadres nationaux et la mise à l’ordre du jour de la tâche révolutionnaire prolétarienne, devait entraîner dans le mouvement ouvrier,  après la faillite de la II° Internationale, la plus énergique réaffirmation de l'internationalisme prolétarien. C'est ce que fit d' abord Zimerwald et Kienthal ; c' est ce qui imposa ensuite la constitution de la nouvelle internationale : L’Internationale Communiste.

La troisième internationale se fonda au début même de « l’ère de la révolution socialiste » et sa première caractéristique devait être inévitablement son interna­tionalisme intransigeant. Sa faillite fut marquée par son incapacité à continuer à assumer cet internationalisme. Ce fut la théorie du socialisme en un seul pays.

Depuis lors, ce n'est pas par hasard qui le mot internationaliste se retrouve dans le nom des principales réactions organisées à la contre-révolution stalinienne. Décadence capitaliste est synonyme de mise à 1'ordre du jour de la révolution prolétarienne et REVOLUTION PROLETARIENNE est synonyme d'INTERNATIONALISME.

IV. Si de tous temps les organisations politiques prolétariennes ont affirmé leur nature internationale, aujourd'hui cette affirmation est plus que jamais la PREMIERE CONDITION d'une organisation prolétarienne.

C'est ainsi qu'il faut comprendre l'importance et la signification profonde de l'effort internationaliste de notre courant.

POURQUOI S'ENGAGER DANS UN TEL PROCESSUS MAINTENANT ?

I. Lorsque l'on regarde le développement de notre courant international on ne peut pas ne pas être frappé par la faiblesse de notre importance numérique. Par le passé, même dans des circonstances particulièrement défavorables les organi­sations internationales étaient d'une ou d'autre façon l'aboutissement, le couronnement de diverses activités nationales. A regarder notre courant, on constate une -tendance inverse : l'existence internationale apparaît plutôt comme un point de départ pour 1es activités nationales que comme un résultat de celles-ci. Tous les groupes du courant se sont conçus comme partie intégrante d'un courant international avant même d'avoir publié le premier numéro de leur publication nationale !

On peut mettre en relief deux raisons principales de cet état de choses :

- la rupture organique produit de 50 ans de contre-révolution qui, par l’affaiblissement qu'elle a provoqué dans le mouvement révolutionnaire, oblige les révolutionnaires, dès le départ de 1a reprise des luttes de classe, à concentrer leurs faibles forces pour accomplir leur tâche ;

- la disparition définitive, après 50 ans de décadence capitaliste, de toute illusion sur les possibilités d'action réellement nationale .

Si le point de départ de notre courant a été l'activité internationale, c'est donc d'abord parce qu'il est l’expression concrète d'une situation historique particulière.

II.

En fait, par la création d'un bureau international, nous ne nous engageons pas maintenant clans le processus de formation de l'organisation internationale. Ce processus existe dès le début des différents groupes du courant. Nous ne faisons en réalité qu’assumer consciemment ce processus en passant du stade d’une certaine spontanéité passive et anarchique à l’égard des conditions  objectives du travai1 révolutionnaire â celui de l'organisation consciente qui se crée par sa propre volonté des conditions optimales  pour le développement de ce processus.

Il y a à la base de toute activité collective une spontanéité (réactions non préméditées à des conditions objectives et communes). Le passage à l’organisation est lui-même un produit spontané de cette activité, mais l’organisation n’en est pas moins un DEPASSEMENT (non une négation) de la spontanéité. Tout comme dans l’activité collective de l’ensemble de la classe, dans l’activité des révolutionnaires, l’organisation crée des conditions pour que :

1° surgisse la conscience des conditions pour que :

2° se forgent, de ce fait, les moyens pour agir consciemment  et volontairement sur le développement de ce processus.

C’est ce que nous faisons en créant ce bureau international et en nous orientant vers la constitution de l’organisation achevée.

III

La rupture organique qu’a subit le mouvement révolutionnaire depuis la dernière vague des années 20, pèse sur les révolutionnaires non seulement sur les difficultés qu’inévitablement ils éprouvent à retrouver les acquis des luttes passées, mais aussi par l’influence trop importante qu’a acquise dans leurs rangs la vision petite bourgeoise estudiantine. Le mouvement étudiant, qui marque de façon si spectaculaire les premières manifestations de l’entrée du capitalisme en crise et de la reprise de la lutte prolétarienne, empoisonne encore par sa conception du monde, les jeunes groupes révolutionnaires (il poivait, d’ailleurs, difficilement en être autrement).

Une des manifestations majeures de cette faiblesse se concrétise dans les problèmes d’organisation. Toutes les tares du milieu universitaire pèsent souvent d’un poids gigantesque sur le mondes des révolutionnaires : difficulté à concevoir la pensée théorique comme un reflet du monde concret divisé en classes antagoniques (ce qui se traduit par toutes sortes de jalousies vis-à-vis de « sa » petite pensée « à soit » de ce que l’on croit être une chapelle théorique que l’on prétend sauvegarder comme une thèse universitaire), difficulté à saisir l’activité théorique comme moment de l’activité générale et instrument de celle-ci, difficulté à comprendre l’importance de l’activité pratique, de l’activité consciemment organisée, bref, incapacité de faire sienne dans toute sa profondeur et dans toutes ses implications, la vieille devise marxiste : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer ».

C’est cette incompréhension qui s’exprime dans les critiques qu’ont pu naguère formuler, vis-à-vis de notre courant des éléments tels que ceux de la tendance « ex-LO » dans RI.

Pour ces éléments, notre courant international serait une invention artificielle et l’effort organisationnel pour le constituer du pur volontarisme. Les arguments d’une telle position se résument, en général, à deux idées :

1-      il y aurait « volontarisme » parce qu’il existe une volonté de construire une organisation alors que cette dernière ne peut être qu’un produit naturel d’un processus objectif indépendant de la volonté des quelques individus du courant.

2-      Il y aurait « artificialité » parce que les luttes de la classe n’ont pas encore franchies le « saut qualitatif » qui transformerait les luttes « revendicatives » en luttes « révolutionnaires », « communistes ».

Derrière ces deux idées à consonance marxisantes se cache en fait une incapacité totale à assumer le fondement essentiel du marxisme : la volonté d’agir consciemment pour la transformation révolutionnaire du monde.

Contre tous les courants idéalistes, le marxisme affirme l’insuffisance de la volonté humaine ; les hommes ne transforment 1e monde quand i1 et comme ils veulent. La concrétisation de toute volonté subjective dépend de l'existence de conditions objectives favorables, effectivement indépendante de cette volon­té. Mais rien n'est plus contraire au marxisme que de transformer l'insuffisance de la volonté en une négation de la volonté tout court. Ce serait identifier le marxisme à son antagoniste philosophique principal : le positivisme empiriste et fataliste. Le marxisme ne fait la critique du volontarisme que pour mieux affirmer l'IMPORTANCE DE LA VOLONTE. En affirmant la nécessité des conditions objectives pour la concrétisation de la volonté humaine, le marxisme souligne surtout le caractère nécessaire de cette volonté.

L'idée qu'une organisation révolutionnaire se construit VOLONTAIREMENT, CONSCIEMMENT , AVEC PREMEDITATION, loin d' être une idée volontariste est au contraire un des aboutissements concrets de toute praxis marxiste.                                                                                                                                       .

Comprendre la nécessité de conditions objectives pour commencer à cons­truire le parti révolutionnaire ne signifie pas que cette organisation soit un produit automatique de ces conditions . Cela implique en réalité comprendre l'importance de la volonté subjective au moment où ces conditions sont histori­quement données .

Voyons ce qu'il en est maintenant de l’accusation d’artificialité.

D'après nos "anti-organisationnels" les conditions objectives qui président au début du processus de construction du parti révolutionnaire ne sont autres que le début de la lutte ouvertement révolutionnaire du prolétariat ; destruc­tion de l'Etat capitaliste , voir même instauration de rapports de production communistes.

Le parti révolutionnaire n’est pas un organe décoratif qui vient embellir le tableau que présente l’éclatement spontané d’une lutte révolutionnaire. Il est au contraire un élément vital et puissant de cette lutte, un instrument indispensable de la classe. Si la révolution russe est la preuve positive du caractère indispensable de cet instrument, 1a révolution allemande en est la preuve négative. L'incompréhension par la tendance de Rosa Luxemburg de la nécessité de commencer la construction du parti AVANT les premiers éclats de la lutte révolutionnaire a lourdement pesé sur l’évolution des événements.

 

Comprendre la nature d’INSTRUMENT INDISPENSABLE du Parti pour la lutte révolutionnaire c’est comprendre la nécessité d’agir en vue de sa constitution dès que commence à mûrir les conditions d’un affrontement révolutionnaire.

 

En fait, ne pas saisir l’importance de la construction de l’organisation politique mondiale du prolétariat alors que mûrissent les conditions d’un affrontement révolutionnaire, c’est ne pas comprendre l’importance du rôle de cette organisation.

Il n’existe pas d’indice infaillible pour mesurer la montée des luttes de classe. Dans certaines circonstances, même la diminution du nombre d’heures de grève peut cacher un mûrissement de la conscience révolutionnaire. Nous possédons, cependant aujourd’hui deux indices qui permettent d’avoir la certitude que nous sommes entrés depuis 1968 dans un cours révolutionnaire :

1-       l’approfondissement de plus en plus accéléré de la crise.

2-       L’existence d’une combativité intacte dans la classe ouvrière mondiale qui manifeste du fait que, au fur et à mesure, que la bourgeoisie peut de moins en moins continuer à gouverner comme avant, le prolétariat peut et vent de moins en moins vivre comme avant. C'est-à-dire que les conditions d’une situation révolutionnaire mûrissent irréversiblement.

 

Dans ces conditions, le travail de construction de l’organisation politique, n’est pas un souhait artificiel, mais une nécessité IMPERIEUSE.

 

IV – pour les révolutionnaires, le danger actuel n’est pas d’être en avance mais d’être en retard.

 

COMMENT DOIT ETRE CONÇU LE ROLE DU COURANT INTERNATIONAL DANS LE PROCESSUS DE CONSTITUTION DU PARTI MONDIAL DU PROLETARIAT.

 

I – Pour bien comprendre l’importance et la signification de ce que nous faisons en constituant un bureau international, il nous faut poser le problème du rapport qui existe entre le courant international et tout groupe surgissant sur des positions de classe.

Nous avons souvent affirmé qu’une des tâches des révolutionnaires était de constituer un pôle de regroupement de l’avant-garde prolétarienne. Il nous faut aujourd’hui comprendre que nous avons à constituer l’axe, le « squelette » du futur parti mondial du prolétariat.

 

II

–         DU POINT DE VUE THEORIQUE, du fait qu’elle rassemble l’essentiel de l’expérience historique du prolétariat, la plate-forme du courant constitue le point de ralliement de tout groupe qui se situe sur le terrain de la lutte historique du prolétariat.

–         Contrairement à ce qu’affirmait la tendance ex-LO dans un de ses textes, il n’y a pas « plusieurs cohérence possibles » pour englober les positions de classes. En dernière instance, la cohérence théorique n’est pas une question de syllogisme, ni de pure logique dans les raisonnements. Elle est l’expression d’une cohérence objective matérielle qui est UNIQUE : celle de la pratique de la classe.

–         C’est parce qu’elle synthétise cette expérience pratique que notre plate-forme est le seul cadre possible pour l’activité d’une organisation révolutionnaire.

 

III

-          DU POINT DE VUE ORGANISATIONNEL. Bordiga soulignait à juste titre que le Parti, loin d’être uniquement une doctrine, était aussi une VOLONTE. Cette volonté ne consiste pas en un voeux pieux ni en un souhait « sincère ». Elle est une détermination persévérante d’intervention révolutionnaire. Et, comme nous l’avons vu, cette intervention est synonyme d’organisation et donc, d’expérience organisationnelle.

-          Il existe un ACQUIS ORGANISATIONNEL tout comme il y a ACQUIS THEORIQUE, et l’un conditionne l’autre de façon permanente.

-          L’activité organisée n’est pas un phénomène immédiat, donné d’emblée, spontanément. Elle est le résultat d’une expérience et d’une conscience qui ne se confondent pas avec celle d’un ou de plusieurs individus. Elle résulte uniquement d’une PRAXIS collective d’autant plus riche et complexe à acquérir qu’elle set justement collective.

-          C’est pourquoi du temps où il existait de grandes organisations révolutionnaires une scission était un événement que l’on hésitait longtemps à produire.

La continuité organique qui reliait les organisations révolutionnaires depuis 1847 n’était pas une simple « tradition » ou un fait du hasard. Elle exprimait, comme reflet de la continuité de la lutte prolétarienne, la nécessité de conserver l’acquis organisationnel que possédait l’organisation politique prolétarienne.

-          C’est pourquoi les organisation internationales du prolétariat se sont toujours constituées autour d’un axe, autour d’un courant qui non seulement défendait de la façon la plus cohérente les acquis théoriques du prolétariat, mais qui possédait aussi une expérience pratique, organisationnelle suffisante pour servir de pilier à la nouvelle organisation.

-          Ce rôle fut joué par le courant de Marx et Engels pour la 1° Internationale, par la Sociale Démocratie pour la 2°Internationale, par le Parti Bolchevik pour la 3°Internationale.

-          Si le mouvement ouvrier n’avait connu la rupture de 60 ans qui le sépare aujourd’hui le l’Internationale Communiste, c’est sans doute « la Gauche » de celle-ci (« Gauche italienne », « Gauche allemande ») qui auraient cette fois-ci assumé cette tâche. Du point de vue des positions politique,  il ne fait aucun doute que la prochaine Internationale sera une continuité de cette Gauche ; mais du point de vue organisationnel, cet axe est à construire.

-          Depuis la récente reprise des luttes de la classe, notre courant international a assumé une pratique organisationnelle avec les positions de classe du prolétariat. C'est-à-dire que sa praxis est devenue, avec toutes ses faiblesses et erreurs, patrimoine de la lutte prolétarienne. Le courant a ainsi créé une nouvelle source de continuité organique, en étant la seule organisation à avoir assuré une CONTINUITE dans sa pratique au sein du cadre que constituent les positions de classe.

 

IV

-          le courant international qui aujourd’hui franchit un pas vers sa centralisation doit donc, et peu effectivement considérer comme sa tâche essentielle, celle de constituer cette axe, indispensable pour la formation de la prochaine Internationale, le Parti mondial du prolétariat.

-          Ceux d’entre nous qui verrez dans cette affirmation pure mégalomanie ne serez pas des modestes mais des irresponsables. Le courant international se suiciderait s’il n’était capable d’assumer, dans toute son ampleur, ce qu’il est objectivement.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [1]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [8]

Problèmes de la période de transition

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C'est toujours avec une grande prudence que les révolutionnaires ont abordé la question de la période de transition. Le nombre, la complexité et surtout la nouveauté des problèmes que devra résoudre le prolétariat empêchent toute élaboration de plans détaillés de la future société, et toute tentative en ce sens risque de se convertir en carcan pour l'activité révolutionnaire de la classe, Marx, par exemple, s'est toujours refusé à donner des "recettes pour les marmites de l'avenir". Rosa Luxembourg de son côté, insiste sur le fait que sur la société de transition, nous ne disposons que de "poteaux indicateurs et encore de caractère essentiellement négatif".

            Si les différentes expériences révolutionnaires de la classe (Commune de Paris, 1905, 191723) et l'expérience même de la contre-révolution ont pu permettre de préciser un certain nombre de problèmes que posera la période de transition, c'est essentiellement sur le cadre général de ces problèmes que portent ces précision et non sur la façon détaillée de les résoudre. C'est ce cadre qu'il s'agira de dégager ici.

1. Nature des périodes de transition.

A -  L'histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de classes sociales fixes, et s'appuient sur des super structures appropriées. L'histoire écrite connaît comme sociétés fixes la société esclavagiste, la société "asiatique", la société féodale et la société capitaliste.

B – Ce qui distingue les périodes de transition de ces périodes de société stables, c'est la décomposition des anciennes structures sociale et la formation de nouvelles structures, toutes deux liées à un développement des forces productives et qu'accompagnent l'apparition et le développement de nouvelles classes, idées et institutions correspondant à ces nouvelles classes.

C – La période de transition n'a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l'ancien et le nouveau. C'est la période pendant laquelle se développent lentement, au détriment de l'ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu'au point de le supplanter et de constituer le nouveau mode de production dominant.

D – Entre deux sociétés stables, et cela sera aussi vrai entre le capitalisme et le communisme que cela était dans le passé, la période de transition est une nécessité absolue. Cela est du au fait que l'épuisement des conditions de l'ancienne société ne signifie pas nécessairement et automatiquement le maturation et l'achèvement des conditions de la nouvelle société. En d'autres termes, le dépérissement de l'ancienne société n'est pas automatiquement maturation de la nouvelle mais seulement condition de cette maturation.

E – Décadence et période de transition sont deux choses bien distinctes. Toute période de transition présuppose la décomposition de l'ancienne société dont le mode et les rapports de production ont atteint la limite extrême de développement. Par contre, toute décadence ne signifie pas nécessairement période de transition, qui est un dépassement vers un mode de production plus évolué.

      Par exemple la stagnation du mode asiatique de production n'a pas ouvert la voie au dépassement vers un nouveau mode de production. De même pour la Grèce antique qui ne disposait pas des conditions historiques au dépassement de l'esclavagisme. De même pour l'ancienne Egypte.

      Décadence signifie épuisement de l'ancien mode de production social. Transition signifie surgissement des forces et conditions nouvelles permettant de dépasser et de résoudre les contradictions anciennes.

2. Différences entre la société communiste et les autres sociétés.         

            Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut s'appuyer sur une idée fondamentale : toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Il faut donc d'abord mettre en relief les différences fondamentales qui distinguent la société communiste de toutes les autres.

A – Toutes les sociétés antérieures (à l'exception du communisme primitif qui appartient à la préhistoire) ont été divisées en classes.

-         Le communisme est une société sans classes.

B – Les autres sociétés sont basées sur la propriété et l'exploitation de l'homme par l'homme.

- Le communisme ne connaît aucun type de propriété individuelle ou collective, c'est la communauté humaine unifiée et harmonieuse.

C – Les autres sociétés dans l'histoire ont pour fondement l'insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. Ce sont des sociétés de pénurie. C'est pour cela qu'elles sont dominées par des forces naturelles et économico-sociales aveugles. L'humanité est aliénée à la nature, et par suite, aux forces sociales qu'elle-même a engendrées dans son parcours.

-   Le communisme est le plein développement des forces productives, par rapport aux besoins des hommes, l'abondance de la production capable de satisfaire les besoins humains. C'est la libération de l'humanité de la domination de la nature et de l'économie. C'est la maîtrise consciente de l'humanité sur ses conditions de vie. C'est le monde de la liberté, et non plus le monde de la nécessité de son histoire passée.

D – Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées. Cela est dû au fait que toutes sont fondées sur la propriété privée et de l'exploitation du travail d'autrui. C'est pour cela que la nouvelle société de classe peut et doit naître et se développer au sein de l'ancienne.

C'est pour cette raison qu'elle peut, une fois triomphante, contenir et s'accommoder des vestiges de l'ancienne société défaite, des anciennes classes dominantes et même associer celles-ci au pouvoir.

            C'est ainsi que dans le capitalisme il peut encore subsister des rapports esclavagistes ou féodaux, et que la bourgeoisie partage, pendant une longue période le pouvoir avec la noblesse. 

-   Toute autre est la situation dans la société communiste. Celle-ci ne supporte en son sein aucune survivance économico-sociale de la société antérieure. Tant que de telles survivances subsistent, on ne saurait parler de société pour des petits producteurs ou des rapports esclavagistes par exemple. C'est cela qui rend si longue la période de transition entre capitalisme et communisme. Telle le peuple hébreu devant errer quarante années dans le désert pour se libérer de l'esprit forgé par l'esclavagisme, l'humanité aura besoin de plusieurs générations pour se libérer des vestiges du vieux monde.

E - Toutes les sociétés antérieures, en même temps que fondée sur la division en classes, sont nécessairement basées sur des divisions géographiques régionales ou politiques nationales. Cela est dû surtout aux lois du développement inégal qui veulent que l'évolution de la société, tout en suivant partout une même orientation, se fasse de façon relativement indépendante et séparée dans ses différents secteurs avec des décalages de temps pouvant atteindre plusieurs siècles. Ce développement inégal est lui-même du au faible développement des forces productives : il existe un rapport direct entre ce degré de développement et l'échelle sur laquelle il se réalise. Seules les forces productives développées par le capitalisme à son apogée permettent pour la première fois dans l'histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde.

-                    L'instauration de la société communiste a immédiatement le monde entier pour théâtre. Le communisme pour être fondé, exige une même évolution, dans le temps dans tous les pays à la fois. Il est universel d'emblée ou il ne peut pas être.

F – Pour être fondée sur la propriété privée, l'exploitation, la division en classes et en zones géographiques différentes, la production des sociétés antérieures tend nécessairement vers la production de marchandises avec tout ce qui s'ensuit de concurrence et d'anarchie dans la distribution et la consommation seulement régulée par la loi de la valeur à travers le marché et l'argent.

-                    Le communisme ne connaît pas l'échange ni la loi de la valeur. Sa production est socialisée dans le plein sens du terme. Elle est universellement planifiée selon les besoins des membres de la société et pour leur satisfaction. Une telle production ne connaît que des valeurs d'usage dont la distribution directe et socialisée exclut l'échange, marché et argent.

G – Pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagoniques, toutes les sociétés antérieures ne peuvent exister et survivre que par la constitution d'un organe spécial, en apparence au-dessus des classes dans le cadre de sa conservation et des intérêts de la classe dominante : l'ETAT.

-                    Le communisme ne connaissant aucune de ces divisions n'a pas besoin d'Etat. Plus, il ne saurait supporter en son sein un organisme de gouvernement des hommes. Dans le communisme, il n'y a de place que pour l'administration des choses.

3. Caractéristiques des périodes de transition

            La période de transition vers le communisme est constamment imprégnée de la société d'où elle sort (la préhistoire de l'humanité) et de celle vers quoi elle tend (l'histoire toute nouvelle de la société humaine). C'est ce qui va distinguer de toutes les périodes de transition antérieures.

A  LES PERIODES DE TRANSITION ANTERIEURES

            Les périodes de transition jusqu'à ce jour ont en commun leur déroulement dans l'ancienne société, en son sein. La reconnaissance et la proclamation définitive de la nouvelle société sanctionnée par le bond que constitue la révolution, se situe à la fin du processus transitoire proprement dit. Cette situation a deux causes essentielles :

            1° - Les sociétés passées ont toutes un même fondement économico-social, la division en classe et l'exploitation qui font que la période de transition se réduit à un simple changement ou transfert de privilèges et non à la suppression des privilèges

            2° - Toutes ces sociétés subissent aveuglément  les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives (règne de la nécessité). La période de transition entre deux d'entre elles connaît par conséquent un développement économique aveugle.

B – LA PERIODE DE TRANSITION VERS LE COMMUNISME

            1° - C'est parce que le communisme constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute divisions en classes que la transition vers cette société exige une rupture radicale dans l'ancienne société et ne peut se dérouler qu'en dehors d'elle.

            2° - Le communisme n'a pas un mode de production soumis à des lois économiques aveugles opposées aux hommes mais est basé sur une organisation consciente de la production que permet l'abondance des forces productives que l'ancienne société capitaliste ne peut atteindre.

C  CE QUI DISTINGUE LA PERIODE DE TRANSITION VERS LE COMMUNISME

Comme conséquence de ce qui vient d'être vu, on peut tirer les conclusions suivantes :

-                    La période de transition au communisme ne peut s'ouvrir qu'en dehors du capitalisme. La maturation des conditions du socialisme exige au préalable la destruction de la domination politique, économique et sociale du capitalisme dans la société.

-                    La période de transition au communisme ne peut s'engager immédiatement qu'à l'échelle mondiale.

-                    A l'inverse des autres périodes de transition, les institutions essentielles du capitalisme : l'Etat, la police, l'armée, la diplomatie ne peuvent être utilisées telles quelles par le prolétariat. Elles sont immédiatement détruites de fond en comble.

-                    Par suite, l'ouverture de la période de transition se caractérise essentiellement par la défaite politique du capitalisme et par le triomphe de la domination politique du prolétariat.

"Pour convertir la production sociale en un large et harmonieux système de travail coopératif, il faut des changements sociaux généraux, changements dans les conditions générales de la société qui ne peuvent être réalisée que par le moyen de la puissance organisée de la société – le pouvoir de Etat – arraché aux mains des capitalistes et des propriétaires fonciers et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes".

Marx, Instructions sur les coopératives aux délégués du Conseil Général au premier congrès de Genève de l'AIT.

"La conquête du pouvoir politique est devenu le premier devoir de la classe ouvrière".

Marx, Adresse Inaugurale de l'AIT.

4. Les problèmes de la période de transition

A - La généralisation mondiale de la révolution est la condition première de l'ouverture de la période de transition. A cette généralisation est subordonnée toute la question des mesures économiques et sociales dans lesquelles il faut particulièrement se garder de "socialisations" isolées dans un pays, une région, une usine ou un groupe d'hommes quelconque. Même après un premier triomphe du prolétariat, le capitalisme poursuit sa résistance sous forme de guerre civile. Dans cette période, tout est subordonné à la destruction de la force du capitalisme. C'est ce premier objectif qui conditionne toute évolution ultérieure.

B – Une seule classe est intéressée au communisme : le prolétariat. D'autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que le prolétariat livre au capitalisme, mais ne peuvent jamais, en tant que classes, devenir les protagonistes et porteurs du communisme. C'est pour cela qu'il faut mettre en valeur une tâche essentielle : la nécessité pour le prolétariat de ne pas se confondre ou se dissoudre avec les autres classes. Dans la période de transition, le prolétariat, comme classe révolutionnaire investie de la tâche de créer une nouvelle société sans classe, ne peut assurer cette marche en avant uniquement qu’en s’affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société. Lui seul a un programme du communisme qu’il tente de réaliser et comme tel, il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute la forme armée : il a le monopole des armes.

            Pour ce faire, il se donne des structures organisées, les Conseils Ouvriers basés sur les usines, et le parti révolutionnaire.

            La dictature du prolétariat peut donc se résumer les termes suivants :

-                    le programme (le prolétariat sait où il va)

-                    son organisation générale comme classe

-                    la force armée

C – Les rapports entre le prolétariat et les autres classes de la société sont les suivants :

            1° Face à la classe capitaliste et aux anciens dirigeants de la société capitaliste (députés, hauts fonctionnaires, armée, police, église), suppression totale de tout droit civique et exclusion de toute vie politique.

            2° Face à la paysannerie et le petit artisanat, constitués de producteurs indépendants et non salariés, et qui constitueront la majeure partie de la société, le prolétariat ne pourra pas les éliminer totalement de la vie politique, ni d’emblée de la vie économique. Il sera nécessairement amené à trouver un modus vivendi avec ces classes tout en poursuivant à leur égard une politique de dissolution et d’intégration dans la classe ouvrière.

            Si la classe ouvrière doit tenir compte de ces autres classes dans la vie économique et administrative, elle ne devra pas leur donner la possibilité d’une organisation autonome (presse, partis, etc.). Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d’administration soviétique territorial. Elles seront intégrées dans la société comme citoyens et non comme classes.

            A l’égard des couches sociales qui dans le capitalisme actuel occupent une place particulière dans la vie économique comme les professions libérales, les techniciens, les fonctionnaires, les intellectuels (ce qu’on appelle la "nouvelle classe moyenne") l’attitude du prolétariat sera basée sur les critères suivants :

- Ces classes ne représentent pas une homogénéité : dans leurs couches supérieures ; elles sont fondamentalement intégrées à une fonction et à une mentalité capitalistes, alors que dans leurs couches inférieures, elles ont la même fonction et intérêts que la classe ouvrière.

- Le prolétariat devra agir avec ces couches dans le sens du développement de cette séparation.

D - La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir nécessairement en son sein cette institution propre à toutes les sociétés divisées en classes : l'ETAT

Avec toutes les amputations et mesures de précautions dont on peut entourer cette institution (fonctionnaires élus et révocables, rétributions égales à celles d’un ouvrier, unification entre le délibératif et l'exécutif, etc.) qui font de cet état un demi-état, il ne faut jamais perdre de vue sa nature historique anti-communiste et donc anti-prolétarienne et essentiellement conservatrice. L’Etat reste le gardien du statu quo.

Si nous reconnaissons l'inévitabilité de cette institution dont le prolétariat aura à se servir comme d'un mal nécessaire

- pour briser la résistance de le classe capitaliste déchue

- pour préserver un cadre administratif et politique uni à la société à une époque où elle est encore déchirée par des intérêts antagoniques

Nous devons rejeter catégoriquement l’idée de faire de cet état le drapeau et le moteur du communisme. Par sa nature d’état ("nature bourgeoise dons son essence" ­Marx), il es essentiellement un organe de conservation du statu quo et un frein au communisme. A ce titre, il ne saurait s'identifier ni au communisme, ni à la classe qui le porte avec elle : le prolétariat qui, par définition, est la classe la plus dynamique de l'histoire puisqu'elle porte la suppression de toutes les classe y compris elle-même. C’est pourquoi tout en se servant de l'Etat, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l'Etat, mais sur l’Etat. C'est pourquoi également, le prolétariat ne peut reconnaître aucun droit à cette institution à intervenir par 1a violence au sein de la classe ni à arbitrer les discussions et l’activité des organismes de la classe : Conseils et parti révolutionnaire.

E - Sur le plan économique, la période de transition consiste en une politique économique (et non plus une économie politique) du prolétariat en vue d'accélérer le processus de socialisation universelle de la production et de la distribution. Ce programme du communisme intégral à tous les niveaux, tout en étant le but affirmé et poursuivi par la classe ouvrière, sera encore dans la période de transition, sujet dans sa réalisation à des conditions immédiates, conjoncturelles, contingentes, qu’il serait du pur volontarisme utopique de vouloir ignorer. Le prolétariat tentera immédiatement d'obtenir le maximum de réalisations possibles tout en reconnaissant la nécessité d'inévitables concessions, qu'il sera obligé de supporter. Deux écueils menacent une telle politique :

- l’idéaliser : en la présentant comme communiste alors qu'elle n'en a rien.

- nier sa nécessité au nom d'un volontarisme idéaliste.

5. Quelques mesures de la période de transition

Sans vouloir établir un plan détaillé de ces mesures, Nous pouvons dès maintenant en établir les grandes lignes :

A - Socialisation immédiate des grandes concentrations capitalistes et des centres principaux pour l'activité productive.

B - Planification de la production et de la distribution, les critères de la production devant être la satisfaction maximum des besoins et non plus l’accumulation.

C - Réduction massive de la journée de travail

D - Elévation substantielle du niveau de vie.

E - Tentative vers la suppression des rémunérations salariales et de leur forme argent.

F - Socialisation de la consommation et de la satisfaction des besoins (transports, loisirs, repos, etc.)

G - Orientation des rapports entre secteurs collectivisés et secteurs de production encore individuels (et tout particulièrement à la compagne) vers un échange organisé et collectif au travers de coopératives supprimant ainsi le marché et l'échange individuel.

 

REVOLUTION INTERNATIONALE

Questions théoriques: 

  • Communisme [9]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [10]

La révolution prolétarienne

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La nature, spécifique de la révolution prolétarienne

La nécessité qui presse les communistes à se battre pour le maximum de clarté et de cohérence en ce qui concerne les tâches révolutionnaires du prolétariat, vient de la nature unique de la révolution prolétarienne. Alors que la révolution bourgeoise (Grande Bretagne, France, etc.) constituait, fondamentalement, le couronnement politique de la domination économique bourgeoise sur la société qui s'était étendue progressivement et fermement sur les vestiges de la société féodale décadente, le prolétariat ne détient aucun pouvoir économique au sein du capitalisme, et, en période de décadence, aucune organisation permanente qui lui soit propre. Les seules armes qu'il puisse utiliser sont sa conscience de classe et sa capacité à organiser sa propre activité révolutionnaire. Et une fois le pouvoir arraché des mains de la bourgeoisie, s'ouvre devant lui l'immense tâche de construire consciemment un nouvel ordre social.

La société capitaliste, comme toutes les sociétés de classe, a grandi indépendamment de la volonté des hommes, à travers un lent processus "inconscient", régi par des lois et forces qui n'étaient pas sujettes au contrôle humain. Et la révolution bourgeoise s'est simplement chargée de chasser les superstructures féodales qui empêchaient ces lois de se généraliser. Aujourd'hui, c'est la nature même de ces lois, leur caractère aveugle, anarchique, marchand, qui menace de mener la civilisation humaine à la ruine. Mais en dépit du caractère apparemment immuable de ces lois, elles sont, en dernière instance, uniquement l'expression de rapports sociaux que les hommes ont créés. La révolution prolétarienne signifie un assaut systématique contre les rapports sociaux existants liés aux lois impitoyables du capital. Elle ne peut être qu'un assaut conscient car c'est précisément le caractère inconscient et incontrôlé du capital que la révolution tente de détruire; et le système social que le prolétariat construira sur les ruines du capitalisme, constitue la première société dans laquelle le genre humain exercera un contrôle rationnel et conscient sur les forces productives et sur toute l'activité sociale humaine.

Ce qui force le prolétariat à affronter et à détruire les rapports sociaux du capital -travail salarié, production marchande généralisée- c'est que ces derniers sont rentrés en conflit ouvert avec les forces productives, que se soient les besoins matériels du prolétariat ou les forces productives de la société humaine dans son ensemble. La décadence des rapports sociaux qui dominent le prolétariat l'amène à se donner pour première tache, à notre époque, la destruction de ces rapports et l'instauration de nouveaux. Il n'a donc pas pour tâche de réformer, réorganiser ou gouverner le capital mais de le liquider pour toujours. La décadence signifie simplement que les forces productives ne peuvent plus se développer dans l'intérêt de l'humanité tant qu'elles restent sous le joug du capital, et qu'un développement réel ne peut avoir lieu que dans des rapports de production communistes.

Le matérialisme historique ne laisse aucune place à un mode de production transitoire entre capitalisme et communisme.

"Ce à quoi nous avons à faire, c'est à une société communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur ses bases propres, mais au contraire telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste. Ce qui veut dire qu'elle est encore à tous égards, économiquement, moralement et intellectuellement, marquée des empreintes de la vieille société dont elle naît" (Marx, Critique du Programme de Gotha.).

Nous avons à faire ici à une période de transition dans laquelle le communisme émerge, dans les violentes douleurs de l'accouchement, de la société capitaliste, un communisme en lutte constante contre les vestiges de l'ancienne société, un communisme qui s'efforce sans cesse de développer ses propres fondations, les fondations d'une étape plus avancée du communisme, du règne de la liberté, de la société sans classe.

La guerre civile révolutionnaire.

Mais le mouvement vers l'abolition des classes est un mouvement dirigé consciemment, et la conscience qui le guide vers son but final, n'appartient qu’à une seule classe communiste, le prolétariat. Le communisme n'est pas une simple impulsion inconsciente ayant pour but la négation des rapports marchands, et qui découvrirait, par hasard, que l'Etat capitaliste est leur gardien, qu'il faut le détruire pour réaliser le communisme. Le communisme est un mouvement du prolétariat qui met en place un programme politique; ce programme reconnaît clairement à l'avance dans l'Etat bourgeois le défenseur des rapports sociaux capitalistes; ce programme défend systématiquement que la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie est une condition préalable de la transformation communiste. En cela, la révolution prolétarienne se déroule selon un schéma contraire à celui de la révolution bourgeoise : la révolution sociale entreprise par le prolétariat ne peut prendre son envol qu'après la conquête politique du pouvoir par la classe ouvrière. Puisque le capital est un rapport mondial, la révolution communiste ne peut se développer qu'à l'échelle mondiale. La nature globale du prolétariat et de la bourgeoisie fait que la prise du pouvoir par les ouvriers d'un pays entraîne une guerre civile mondiale contre la bourgeoisie. Jusqu'à ce qu'elle soit victorieuse; jusqu’à ce que le prolétariat ait conquis le pouvoir mondialement, nous ne pouvons parler réellement d'une période de transition, encore moins d'une transformation communiste.

Pendant la période de guerre civile mondiale, la production, même lorsqu’elle est sous la direction du prolétariat, n'est pas une production principalement axée sur les besoins humains, ce qui sera le sceau de la production communiste. Pendant cette période, la production, comme tout le reste, est subordonné aux nécessités de la guerre civile, à la nécessité impérieuse d'étendre et d'enraciner la révolution internationale. Même si le prolétariat peut faire disparaître bien des caractéristiques formelles des rapports capitalistes, tout en s'armant et en produisant pour la guerre civile, on ne pourrait appeler communisme pur et simple une économie orientée vers la guerre. Tant que le capitalisme existera quelque part dans le monde, ses lois continuent à déterminer le contenu réel des rapports de production partout ailleurs.

Même si le prolétariat d'un pays se débarrasse de la forme du travail salarié et commence à rationner tout ce qu'il produit, sans aucune espèce d'intermédiaire monétaire, le rythme de la production et de la distribution dans ce bastion prolétarien reste encore à la merci de la domination du capital global, de la loi de la valeur globale. Au moindre reflux du mouvement révolutionnaire, ces mesures seraient rapidement minées et commenceraient à revenir à des rapports salariaux capitalistes dans toute leur brutalité, sans que les prolétaires aient jamais cessé d'être une partie de la classe exploitée. Prétendre qu'il est possible de créer des îlots de communisme quand la bourgeoisie détient encore le pouvoir à l'échelle mondiale, c'est tenter de mystifier la classe ouvrière et de la détourner de sa tâche fondamentale - l'élimination totale du pouvoir bourgeois.

Cela ne veut pas dire pour autant que sa lutte pour le pouvoir politique,  le prolétariat s'abstient de prendre des mesures économiques dont le but est de saper la puissance du capital. Encore moins que le prolétariat n'a à prendre en mains l'économie capitaliste et l'utiliser à ses propres desseins. Tout comme la Commune de Paris a prouvé que le prolétariat ne peut s'emparer de la machine d'Etat capitaliste, la révolution russe a révélé qu'il était impossible à la classe ouvrière de se maintenir indéfiniment "à la tête" d'une économie capitaliste. En dernière analyse, cela veut dire que le prolétariat doit s'engager dans un processus de destruction du capital global s'il veut garder le pouvoir quelque part, mais que ce processus commence sur le champ : la classe ouvrière doit être consciente que sa lutte contre le capital a lieu à tous les niveaux (même si elle n'est pas uniforme) parce que le capital est un rapport social global.

Dès que le prolétariat aura pris le pouvoir en un endroit, il sera forcé d'entreprendre l'assaut des rapports capitalistes de production, premièrement pour lutter contre l'organisation globale du capital, deuxièmement pour faciliter la direction politique de la zone qu'il contrôle, troisièmement pour jeter les bases d'une transformation sociale bien plus développée qui succèdera à la guerre civile. L'expropriation de la bourgeoisie à un endroit produira des effets profondément désintégrateur sur l'ensemble du capital mondial si elle a lieu dans un centre important du capitalisme, et ceci approfondira en conséquence la lutte de classe mondiale; le prolétariat devra se servir de toutes les armes économiques qu'il a à sa disposition. Si l'on considère la seconde raison (qui n’est pas de moindre importance), il est impossible d'imaginer l'unification et l'hégémonie du prolétariat s'il n'entreprend pas un assaut radical de toutes les divisions et les complexités qu'impose la division capitaliste du travail. Le pouvoir politique des ouvriers dépendra de leur capacité à simplifier et, à rationaliser le processus de production et distribution, et cette question n'est pas secondaire. Cette rationalisation est impossible dans une économie totalement dominée par les rapports marchands. Un des principaux moteurs qui pousse le prolétariat à produire des valeurs d'usage, et qu'une telle méthode de production convient bien mieux aux tâches qu'il a à affronter durant la crise révolutionnaire - telles que l'armement général des ouvriers, l'urgence du rationnement du ravitaillement, la direction centralisée de l'appareil productif, etc. En fin de compte, du moment que la révolution est mondialement victorieuse, ces mesures rudimentaires de socialisation peuvent trouver une continuité dans la véritable réorganisation positive de la production, qui a lieu après la victoire, pour autant qu'elles aident à neutraliser et à ruiner la domination des rapports marchands, diminuant ainsi les tâches "négatives" du prolétariat pendant la période de transition.

La profondeur de l'extension de ces mesures dépendra de l'équilibre des forces dans une situation donnée, mais on peut prévoir qu'elles seront plus poussées là où le capitalisme a déjà permis d'avancer dans le processus de socialisation matérielle. Donc la collectivisation des moyens de production ira sûrement bien plus vite dans les secteurs où le prolétariat est plus concentré - dans les grandes usines, les mines, les docks, etc. De même, la socialisation de la consommation aura lieu bien plus facilement dans les zones partiellement socialisées : transports, logement, gaz, électricité et d’autres secteurs peuvent fonctionner gratuitement presque immédiatement, seulement sujets à la totalité des réserves contrôlées par les ouvriers. La collectivisation de ces services empièterait profondément sur le système salarial. Tout comme pour la distribution directe d'articles individuels de consommation, la suppression totale des formes monétaires, il est difficile de dire jusqu'où ce processus peut aller tant que la révolution reste circonscrite à une région. Mais nous pouvons dire qu'il faut attaquer au maximum la forme salariale, et il n'y a pas de doute sur le fait que les ouvriers ne seront pas disposés à se payer eux mêmes en salaires, une fois qu'ils 'auront pris le pouvoir. Pour être plus concrets, nous sommes pour des mesures qui tendent à régir la production et la distribution en termes sociaux, collectifs (des mesures comme le rationnement, et l'obligation universelle au travail telles que les Conseils Ouvriers les revendiquaient) plutôt que pour des mesures qui nécessitent le calcul de la contribution de chacun au travail social. Le système de bons sur la base du temps de travail tendrait à diviser les ouvriers capables de travailler de ceux qui ne le sont pas (situation qui pourrait fort bien s'étendre dans, une période de crise révolutionnaire mondiale) et pourrait de surcroît creuser un fossé entre les prolétaires et les autres couches, entravant le processus d'intégration sociale. Ce système de requerrait une supervision bureaucratique énorme du travail de chaque ouvrier, et dégénèrerait bien plus facilement en salaires-monnaie à un moment de reflux de la révolution (ces reculs peuvent avoir lieu tant pendant la guerre civile que pendant la période de transition elle même).

Un système de rationnement sous le contrôle des Conseils Ouvriers se prêterait bien plus facilement à une régulation démocratique de toutes les ressources d'un bastion prolétarien, et encouragerait les sentiments de solidarité à l'intérieur de la classe. Mais nous n'avons pas d'illusion : ce système, pas plus qu'un autre, ne peut représenter une "garantie" contre un retour à l'esclavage salarié dans sa forme la plus brute. Fondamentalement, la soumission au temps, à la rareté, à la pression des rapports marchands globaux existe encore - elle est simplement supportée par l'ensemble du bastion prolétarien comme une sorte de salariat collectif. Tout système temporaire de distribution reste ouvert aux dangers de la bureaucratisation et de la dégénérescence tant que les rapports marchands existent - et les rapports marchands (la force de travail comme marchandise incluse) ne peuvent totalement disparaître tant que les classes n'ont pas cessé d'exister, car la perpétuation des classes veut dire perpétuation de l'échange. On ne peut en aucune façon prétendre qu'une telle méthode de distribution, durant les premières étapes de la révolution, ou pendant la période de transition elle-même, suit le principe de "à chacun selon, ses besoins", ce qui ne peut être achevé que dans une étape très avancée du communisme.

L'assaut contre la forme salariale va de pair avec l'assaut contre la division capitaliste du travail. En tout premier lieu, les divisions que le capital impose dans les rangs même du prolétariat, doivent être impitoyablement dénoncées et combattues. Les divisions entre qualifiés et non qualifiés, hommes et femmes, entre secteurs prolétariens, employés et chômeurs, doivent être combattues au sein des organes de masse de la classe, comme seule voie pour cimenter l'unité de la combativité ouvrière.

De même, le prolétariat, dès le début, met en route un processus d’intégration des autres couches sociales dans ses rangs, commençant par les couches semi-prolétariennes qui auront montré leur capacité à soutenir le mouvement révolutionnaire des ouvriers. On peut envisager l'intégration rapide de certaines couches qui ont déjà prouvé leur capacité à combattre collectivement contre leur exploitation, par exemple de grands secteurs d'infirmières et d'ouvriers à cols blancs.

Mais il faut insister sur le fait que tous ces empiètements sur les rapports marchands et la division capitaliste du travail ne sont en fait que des moyens pour arriver à un but auquel ils doivent être strictement subordonnés : l'extension de la révolution mondiale. Bien qu'il ne se dérobe pas à la tâche de s'attaquer dès le début aux rapports marchands, le prolétariat doit voir quelle illusion et quel piège comporte l'idée de créer des îlots de communisme dans une région ou dans une autre. Bien qu'il commence à intégrer des classes non-exploitrices dans ses rangs, le prolétariat doit être constamment sur ses gardes contre toute dilution dans des couches qui ne peuvent, dans leur ensemble, partager les buts communistes de la classe ouvrière, et qui peuvent constituer dans ses rangs une cinquième colonne dangereuse aux premiers signes de recul de la vague révolutionnaire. L'unification des ouvriers du monde entier doit prendre le pas sur les tentatives de commencer à réaliser la communauté humaine. Toutes ces tentatives de socialisation ne sont en réalité que des mesures pour combler des brèches, pour répondre à certaines situations urgentes. Elles peuvent faire partie de l'assaut contre les rapports marchands, mais en aucun cas ne représentent "l'abolition" de toutes les catégories capitalistes. Le véritable dépassement positif de ces rapports marchands ne peut être fait qu'après l'abolition mondiale de la bourgeoisie, après la construction de la dictature prolétarienne internationale. C'est là que la période de transition à proprement parler commence.

La période de transition

Nous ne pouvons nous étendre ici sur les tâches qu'aura à accomplir le prolétariat pendant cette période. Nous ne pouvons que les mettre en relief brièvement afin d'insister sur l'immensité du projet prolétarien. En libérant les forces productives des entraves du capital, en liquidant le système du travail salarié, les frontières nationales, le marché mondial, le prolétariat devra établir un système mondial de production et de distribution organisé dans le seul but de la satisfaction des besoins humains. Il devra diriger le nouveau système productif vers la restauration et la renaissance d'un monde ravagé par des décades de décadence capitaliste et de guerre civile révolutionnaire. Nourrir et habiller les zones pauvres du monde, éliminer la pollution et les productions inutiles, réorganiser l'infrastructure industrielle globale, combattre les innombrables aliénations léguées par le capitalisme, qui sévissent aussi bien dans le travail que dans la vie sociale toute entière, voilà qui constitue simplement les premières tâches. Ce ne sont là que les conditions nécessaires à construction d’une nouvelle civilisation, d'une nouvelle culture, d'une nouvelle humanité dont la splendeur peut difficilement être imaginée de ce côté-ci du capitalisme, et qui ne peut être envisagée, principalement, qu'en termes négatifs : l'élimination de l'antagonisme économie-société, du travail et du loisir, de l'individu et de la société, de l'homme et de la nature, etc. Et pendant tout le temps où le prolétariat établit les fondations de ce nouveau mode de vie, il doit progressivement intégrer toute l'humanité dans ses rangs, au travail associé, créant ainsi la communauté humaine sans classe - non sans garder de "s'abolir" trop rapidement, sans s'assurer qu'il n'y a plus la moindre possibilité de revenir au rapport marchandise généralisé, et donc au capitalisme. La période de transition sera le terrain d'une lutte titanesque pour maintenir un mouvement irréversible vers la communauté humaine contre les vestiges de l'ancienne société.

Ceux qui peignent la période de transition comme une étape sans problème pouvant être rapidement dépassée par le prolétariat, se préparent à décevoir non seulement eux-mêmes, mais la classe dans son ensemble. Nous ne savons pas combien de temps va durer cette période. Ce que nous savons, c’est qu'elle posera des problèmes d'une nature et d'une importance sans précédent dans l'histoire de l'humanité, que la tâche qu'aura à accomplir le prolétariat est plus vaste que dans toute autre époque, et que penser que cette tâche pourra s’accomplir en un jour est au mieux une utopie, et au pire une mystification réactionnaire. Ce dont nous pouvons être surs, c'est que la période de transition ne permettra pas au prolétariat ni à la transformation sociale de stagner.

Tout arrêt dans la révolutionarisation de la production sociale signifierait danger immédiat de retour au capitalisme, et donc finalement à la barbarie. A aucun moment le prolétariat ne pourra se reposer sur ses lauriers et attendre que le communisme arrive tout seul. Ou bien le prolétariat se bat pour un plus haut degré de communisme, en constant état de mouvement lui-même basé sur la généralisation des rapports communistes, ou bien il se retrouve dans la situation d'une classe exploitée, mobilisée pour quelque catastrophe finale.

La forme que prendra la dictature du prolétariat.

C'est une évidence de préciser que les révolutionnaires ne peuvent définir à l'avance les formes organisationnelles précises dont se servira le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste. Il est impossible de prévoir tous les divers problèmes organisationnels et pratiques que la classe ouvrière aura à affronter dans le monde entier, problèmes qui ne seront en fin de compte résolus que par la classe elle même dans sa lutte révolutionnaire. La créativité que manifestera la classe sera certainement supérieure à ses manifestations antérieures, et dépassera toutes les prévisions que pourraient faire les révolutionnaires aujourd'hui.

Néanmoins, les révolutionnaires ne peuvent en aucune façon se dérober à la discussion de la question des formes et des structures de la dictature du prolétariat. Agir ainsi reviendrait à renier toute l'expérience de la classe révolutionnaire à notre époque, expérience qui a permis de dégager certaines leçons que le prolétariat ne peut se permettre d'ignorer. Oublier ces leçons, surtout celle de la Russie, c'est laisser la porte ouverte à une répétition des erreurs passées. Ce n’est pas par hasard si la "gauche" capitaliste (Stalinistes, Trotskystes etc.) est incapable d’analyser les erreurs passées ou de définir un programme clair de ce qu'ils appellent la "révolution". Derrière cette ambiguité, cette réticence à "planifier en détail", se cache une position de classe qui s'opposera plus tard à l'activité révolutionnaire autonome de la classe ouvrière. Ces gauchistes "pratiques", "réalistes", se cachent souvent derrière la réticence souvent manifestée par Marx à spéculer sur les formes organisationnelles de la dictature du prolétariat. Mais cette résistance était le reflet de son époque, d'une époque où les conditions matérielles nécessaires à la révolution communiste n'existaient pas encore.

Toute prévision que pouvaient faire Marx ou Engels sur la forme de la dictature prolétarienne était déterminée par la maturité de la classe, par la façon dont elle se présentait, comme force capable de prendre en main la direction de la société. Mais dans la période ascendante du capitalisme, où le prolétariat était encore restreint et informe, la possibilité de prendre le pouvoir était extrêmement limitée, et de toute façon, le pouvoir n'aurait pu être maintenu dans cette période. Néanmoins, il y avait eu assez d'expériences de surgissements prolétariens pour permettre à Marx de définir certains points essentiels sur la nature du pouvoir prolétarien. Parce qu'ils se basaient sur la méthode du matérialisme historique, ils étaient capables de tirer les leçons des expériences qu'ils vivaient et de reconsidérer certaines conceptions fondamentales sur la nature de la prise de pouvoir par la classe ouvrière. C'est ainsi que l'expérience de l'insurrection de 1848 et plus encore de la Commune de Paris de 1871, les a amena à abandonner la perspective élaborée dans le Manifeste Communiste, perspective selon laquelle le prolétariat devait s'organiser pour s'emparer de la machine d'Etat bourgeoise. Après cette expérience, il était clair que le prolétariat ne pouvait que détruire cette machine et construire ses propres organes de pouvoir, qui pouvaient seuls servir les buts communistes.

En tirant cette leçon, Marx et Engels poursuivaient la tâche communiste fondamentale d'appuyer le programme politique prolétarien sur la seule base des expériences historiques de la classe, et c'est encore la seule façon d'élaborer le programme communiste aujourd'hui. Mais aujourd'hui nous vivons une époque de décadence du capitalisme et donc de possibilité de révolution sociale prolétarienne, et nous pouvons et devons tirer les conséquences de l'expérience de la classe à notre époque, particulièrement de la grande vague révolutionnaire de 1917-1923, en particulier en ce qui concerne la tâche d'élaborer des points organisationnels de ce programme, ce qui était impossible à Marx et Engels.

Engels décrit la Commune comme la forme même de la dictature du prolétariat. Marx l’appelle "la forme politique de l'émancipation sociale du travail". Mais alors que la Commune donne des leçons qui restent valables (nécessité de détruire l'Etat bourgeois, d'armer les ouvriers, d'assurer un contrôle direct sur les délégués, etc.), elle ne peut être considérée aujourd'hui comme le modèle de la dictature. La Commune a été l’expression d'une classe ouvrière jeune qui, non seulement n'était pas une classe mondiale, mais qui même dans les centres urbains du capitalisme, était fragmentée et pas encore distincte tout à fait d'autres classes urbaines comme la petite bourgeoisie. Ce fait se vit clairement reflété dans la Commune. Malgré son aspiration, à une "république sociale universelle", la Commune ne pouvait pas s'étendre à l'échelle mondiale. Les membres des organes centraux de la Commune étaient des Jacobins aussi bien que des Proudhoniens ou des communistes, et leur base électorale était circonscrite à l'enceinte de Paris, selon le système du suffrage universel : il n'y avait pas de représentation distinctement prolétarienne ou industrielle. De plus, et surtout, la Commune n'aurait pas pu entreprendre une transformation socialiste parce que les forces productives n'étaient pas suffisamment développées, pour mettre à l'ordre du jour aussi bien la possibilité que la nécessité immédiate du communisme. A la fin de la période ascendante du capitalisme, 1'extension du capitalisme au niveau global ainsi que sa concentration, avaient déjà fait tomber en désuétude beaucoup d'évènements caractéristiques de la Commune. Cependant aucun révolutionnaire des années 1890 et début 1900 ne pu parvenir à une vision claire du dépassement possible de la Commune, modèle de dictature prolétarienne, et les perspectives qu'ils ont émises sur le sujet sont nécessairement restées vagues.

Il faut le répéter, c'était l'expérience concrète de la classe elle-même qui devait apporter une réponse au problème. Ainsi, en Russie en 1905 et 1917, et durant toute la vague révolutionnaire qui suivit dans d'autres pays, le Soviet ou Conseil Ouvrier apparut comme l'organe de combat de la lutte révolutionnaire. Les Conseils, assemblées de délégués élus et révocables des secteurs industriels furent d'abord et avant tout l'expression de l’organisation collective du prolétariat unifié sur son propre terrain de classe et apparurent ainsi comme une forme du pouvoir prolétarien plus développée que celle de la Commune de Paris. Dès que l'union mondiale des Conseils Ouvriers apparut comme le but immédiat de la révolution prolétarienne, le mot d’ordre "tout le pouvoir aux Soviets" marqua une frontière de classe entre les organisations prolétariennes et les organisations bourgeoise. Aucune organisation prolétarienne ne pouvait plus rejeter le pouvoir des Soviets comme la forme de dictature prolétarienne. Depuis lors, tous les mouvements insurrectionnels de la classe depuis là Chine de 1927 jusqu'à la Hongrie de 1956, ont tendu à s'exprimer sous la Forme d'organisation en Conseils, et, malgré toute la faiblesse de ces mouvements, rien n'a fondamentalement changé dans la lutte de classe qui puisse justifier que les Conseils n'apparaissent pas dans la prochaine vague révolutionnaire comme la forme concrète d'organisation du prolétariat.

On est aujourd'hui assailli par une foule de modernistes et "innovateurs" (Invariance, Négation, Communismen) qui prétendent que les Conseils Ouvriers ne font que reproduire la division capitaliste du travail et qu'ils ne sont donc pas des instruments appropriés pour une révolution communiste qu'ils définissent comme le renversement immédiat de toutes les catégories de la Société capitaliste. Le point de vue de classe de ces tendances trahit la nature non dialectique et antimarxiste de leur conception de la révolution. Pour eux, la classe ouvrière n'est qu'une fraction du capitalisme qui ne peut être une partie du "sujet révolutionnaire" ou du "mouvement communiste" qu'en se niant immédiatement dans une "humanité" universelle.

La vision marxiste de la révolution, elle, ne peut être que celle du prolétariat s'affirmant comme la seule classe communiste avant d'intégrer l'ensemble de l'humanité dans le travail associé, mettant ainsi fin à sa propre existence de classe séparée. Les Conseils Ouvriers sont les instruments appropriés à l'auto affirmation du prolétariat contre le reste de la société, autant qu'au processus d'intégration des autres couches sociales dans les rangs du prolétariat, qu'à la création d'une communauté humaine. Ce n'est que lorsque cette communauté est définitivement réalisée que les Conseils Ouvriers disparaissent. Reliés, de ville en ville à travers le monde, les Conseils ouvriers seront responsables des tâches militaires, économiques et idéologiques de la guerre civile et de la direction de la transformation économique dans la période de transition. Dans cette période, les Conseils étendront constamment leur base sociale au fur et à mesure qu'ils intègreront de plus en plus 1'humanité aux rapports de production communistes.

Mais le fait d'affirmer la nécessité de la forme conseil n'empêche aucunement les révolutionnaires d'aujourd'hui de critiquer les mouvements précédents de conseils, ou les tendances politiques produites ou inspirées de ces mouvements. Cette critique est absolument indispensable si la classe ouvrière veut éviter de refaire les erreurs du passé; et elle ne peut que se fonder sur les amères leçons que le prolétariat a tirées de ses luttes les plus combatives de l'époque.

On peut en résumer ainsi les leçons les plus importantes.

1. - Le pouvoir politique est exerce a travers les conseils ouvriers eux-mêmes et non au moyen d'un parti.

En Russie et partout ailleurs, dans le passé, il était acquis que la dictature du prolétariat s'exerçait au moyen du parti communiste, ce dernier constituant le "gouvernement", une fois qu'il avait la majorité dans les soviets, comme dans les parlements bourgeois. Plus encore, on choisissait les délégués des soviets sur les listes de partis, et non dans les assemblées d'ouvriers où ils seraient élus et mandatés pour en accomplir lès décisions (et souvent les délégués ne venaient pas du tout des usines mais étaient des représentants des partis ou de syndicats). Ce fait en lui-même était une concession directe aux formes bourgeoises de représentation et de parlementarisme, et tendait à laisser le pouvoir entre les mains "d'experts" en politique, plutôt qu'à la masse des ouvriers eux-mêmes ; mais ce qui est plus grave encore, c'est l'idée que le parti exerce le pouvoir et non la classe dans son ensemble (une idée du mouvement ouvrier de l'époque); elle est devenue le porteur direct de la contre-révolution et utilisée par le parti bolchevik décadent pour justifier ses attaques contre la classe dans son ensemble après la faillite de la vague révolutionnaire. L'identification du pouvoir du parti à la dictature du prolétariat revêtit les bolcheviks d'une parure idéologique qui servit rapidement de couverture à la dictature du capital lui-même. L'expérience russe a définitivement réfuté la vieille idée social-démocrate selon laquelle c'est le parti qui représente et organise la classe.

Dans les soviets du futur, les décisions les plus importantes concernant la direction de la révolution doivent être pleinement discutées et élaborées dans les assemblées générales de la classe à la base dans les usines et autres lieux de travail, de sorte que les délégués des soviets servent essentiellement à centraliser et à exécuter les décisions de ces assemblées. Ces délégués seront souvent des membres du parti, ou d'autres fractions, mais ils seront élus en tant qu'ouvriers et non en tant que représentants d’un parti quelconque. Il se peut même qu'à un moment donné, la majorité des délégués soient les membres du parti communiste, mais cela ne comporte en soit pas de danger, tant que le prolétariat dans son ensemble participe activement à ses organes unitaires de Classe et en garde le contrôle. En dernière analyse, cela ne peut être assuré que par la radicalisation et l'énergie des ouvriers eux-mêmes, par le succès de la transformation révolutionnaire qu'ils ont entre les mains; mais certaines mesures formelles devront être prises pour parer au danger de voir se former une élite bureaucratique autour du parti ou de n'importe quel corps.

            Parmi ces mesures, la révocabilité constante des délégués, la rotation des tâches administratives, accès égal des délégués et de n'importe quel autre ouvrier aux valeurs d'usage, et en particulier, séparation complète du parti et des fonctions "étatiques" des conseils. Ainsi, par exemple, ce sont les conseils ouvriers qui contrôlent les armes et se chargent de la répression des éléments contre-révolutionnaires, et non une partie ou une commission particulière du parti.

Le futur parti communiste n'aura pas d'autres armes que sa propre clarté théorique et son engagement politique envers le programme communiste. Il ne peut pas rechercher le pouvoir pour lui-même, mais doit lutter au sein de la classe pour l'application du programme communiste. En aucun cas, il ne peut forcer la classe dans son ensemble à mettre ce programme en pratique, pas plus que le mettre en pratique lui-même, car le communisme n'est crée que par l'activité consciente de la classe dans son ensemble. Le parti ne peut que chercher à convaincre la classe dans son ensemble de la justesse de ses analyses à travers le processus de discussion et d'éducation active qui a lieu dans les assemblées et les conseils de la classe, et il dénoncera sans pitié toute tendance auto proclamée révolutionnaire qui voudra s'arroger la tâche d'organiser la classe et de se substituer au sujet révolutionnaire.

2. - Les conseils ne sont pas des organes d'autogestion

Quelle que soit la situation révolutionnaire future, nous aurons les héritiers de la contre-révolution russe, trotskystes, staliniens et autres pour revendiquer la subordination des conseils ouvriers à un parti-Etat tout puissant qui guiderait et éduquerait la masse amorphe des ouvriers et centraliserait le capital entre ses mains. Les communistes devront se tenir au sein de leur classe et combattre ces conceptions bec et ongles. Mais l'expérience amère qu'a eu le prolétariat du capitalisme d'Etat en Russie et ailleurs, et son expérience de la nature réactionnaire des nationalisations en général peut très bien rendre la classe beaucoup plus réticente aux appels à la nationalisation qu’elle ne le fut dans les moments révolutionnaires du passé. Mais il ne fait aucun doute que la bourgeoisie trouvera d'autres cris de ralliement pour tenter de lier les ouvriers à l'Etat bourgeois et aux rapports de production capitalistes; l'un des plus pernicieux pourrait être le mot d'ordre "d'autogestion ouvrière"; il peut trouver un écho dans les mystifications corporatistes localistes et syndicalistes qui existent dans la classe. Les expériences du passé en ont donné bien des exemples. En Italie, en Allemagne, pendant la première grande vague révolutionnaire, on trouvait chez les ouvriers une forte tendance à s'enfermer tout simplement dans leur usine et à tenter de gérer "leur usine" sur une base corporatiste, à ramener l'organisation des conseils au niveau de chaque usine plutôt que de créer des organes spécifiquement destinés au regroupement et à la centralisation des efforts révolutionnaires de tous les ouvriers.

Aujourd'hui, l'idée d'autogestion se présente déjà comme un dernier recours à la crise du capitalisme et nombreuses sont les fractions de gauche du capital des social-démocrates aux trotskystes et divers libertaires qui préconisent des "conseils ouvriers" émasculés. L'avantage d’un tel mot d’ordre pour la bourgeoisie réside en ce qu'il sert à conduire le prolétariat à participer activement à sa propre exploitation et à son propre écrasement sans mettre en question le pouvoir de l'Etat capitaliste, ni les rapports de production marchands. C'est ainsi que la république bourgeoise espagnole a pu récupérer bien des cas d'autogestion et les mettre au service de son effort de guerre contre sa rivale capitaliste, la fraction de Franco ([1] [11]).

L’isolement des ouvriers dans les "conseils" composés de simples unités productives ne fait que maintenir les divisions imposées par le capitalisme et amène à la défaite certaine de la classe (Voir cardan : Sur le contenu du socialisme et les conseils ouvriers et les bases économiques de l’autogestion de la société, comme modèle parfait de la défaite).

De telles méthodes d’organisation détournent les ouvriers de leur but premier : détruire l'Etat capitaliste, et permettent ainsi à l'Etat de relancer son offensive contre une classe ouvrière fragmentée. Elles servent ainsi à perpétuer l'illusion "d'entreprises autonomes" et du socialisme qui consisterait en un libre échange entre collectivités d’ouvriers, alors que la véritable socialisation de la production exige la suppression des entreprises autonomes en tant que telles et la soumission de tout l'appareil productif à la direction consciente de la société, sans l'intermédiaire de l'échange. ([2] [12])

Dès que la classe ouvrière commence à s'emparer de l'appareil productif (et la prise des usines doit être considérée comme un moment de l'insurrection), elle commence à entreprendre la lutte pour soumettre la production aux besoins humains. Ceci n'implique pas seulement une production de valeurs d'usage, mais aussi de profondes transformations dans l'organisation du travail, de sorte que l'activité productive elle-même tend à devenir une partie de la consommation dans le sens le plus large. Certaines mesures allant dans ce sens devront être prises immédiatement, comme par exemple la réduction de la journée de travail (en fonction des besoins de la révolution), la rotation des tâches et l'élimination des rapports hiérarchiques à l'intérieur de l'usine par la participation égale de tous les ouvriers qualifiés ou non qualifiés, manuels ou techniques, hommes ou femmes, aux assemblées et comités d'usine. Mais la mystification de l'autogestion ne s'arrête pas à l'idée d'unités de production "autonomes". Elle peut s'étendre au niveau national, si l'on imagine des conseils ouvriers planifiant de concert l'accumulation "démocratique" du capital national. On peut aussi 1'associer à l'idéal d'un bastion "communiste" se suffisant à lui-même qui tenterait d'abolir formellement le travail salarié et le commerce dans un seul pays - illusion entretenue par beaucoup de communistes de conseils dans les années 20-30, et qui réapparaît de nouveau sous diverses formes dans les idées des "innovateurs" du marxisme qui demandent la création immédiate de la "communauté humaine". Toutes ces idéologies sont liées par un rejet commun de la nécessité pour le prolétariat de détruire l'Etat-bourgeois à l'échelle mondiale avant que toute socialisation réelle puisse être entreprise. Contre toutes ces confusions il faut affirmer que les Conseils Ouvriers sont d'abord et avant tout des organes de pouvoir politique qui doivent servir à unifier les ouvriers non seulement pour l'administration de l'économie mais pour la conquête du pouvoir à l'échelle mondiale.

3 - Les conseils ouvriers ne sont pas une fin en soi

La conquête internationale du pouvoir par la classe ouvrière n'est que le début de la révolution sociale : Dans la période de transition, les conseils ouvrier sont les moyens qu'emploie le prolétariat pour mener à bien la transformation communiste de la société. Si les conseils ouvriers deviennent une fin en soi, cela veut simplement dire que le processus de révolution sociale s'arrête et qu'on assiste à un début de retour au capitalisme. Bien que les Conseils Ouvriers soient les instruments positifs de l'abolition de l'esclavage salarié et de la production marchande, ils peuvent devenir l'enveloppe vide dans laquelle une nouvelle bourgeoisie pourra s'implanter pour exploiter la classe ouvrière.

Il ne peut y avoir aucune garantie, ni dans la période de transition, ni dans la période d'insurrection révolutionnaire elle-même, de la continuité du processus révolutionnaire jusqu'au triomphe du communisme. La meilleure volonté des minorités révolutionnaires ne peut suffire à empêcher la dégénérescence de la révolution qui dépend d'un changement matériel du rapport de force entre les c1asses. Entre le moment où les Conseils sont révolutionnaires et le moment où ils sont définitivement devenus des appendices du capital, il existe un moment d'équilibre instable où il est encore possible de réformer les Conseils de l'intérieur : mais ce n'est qu'une possibilité relativement restreinte. Si cette tentative échoue, les révolutionnaires doivent quitter les Conseils,  et appeler à la formation de nouveaux Conseils en opposition aux anciens, en d'autres termes à une seconde révolution. A cet égard, nous avons l'exemple des petites fractions communistes de Russie qui ont refusé de collaborer aux Soviet morts des premières années 20, et appelaient au renversement de l'Etat "Bolchevik" (voir le Groupe Ouvrier de Miasnikov en 23) -ou celui de la Gauche Allemande qui abandonna les organisations d’usine réformistes aux machinations sordides du KPD et des partis Social-démocrate.

La question de l'état.

Le Problème de l'Etat dans la période de transition et de ses relations avec le prolétariat est si complexe que nous devons traiter cette question séparément, bien qu'elle soit en relation étroite avec les leçons tirées des révolutions précédentes, au sujet de la forme de la dictature du prolétariat et du rôle des Conseils Ouvriers.

Tant que les classes existent, nous ne pouvons parler de l'abolition de l'Etat. L'Etat continue à exister pendant la période de transition, parce qu'il reste encore des classes dont les intérêts directs ne peuvent être concilié : d'un côté le prolétariat communiste, de l'autre les autres classes, vestiges du capitalisme, qui ne peuvent avoir aucun intérêt matériel dans la communisation de la société (paysans, petite bourgeoisie des villes, professions libérales) comme l'écrit Engels dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat : "L'Etat n'est en aucune façon un pouvoir imposé de l'extérieur à la société… C'est un produit de la société à un certain niveau de développement est un constat du fait que la société s'est engagée dans d'insolubles contradictions, qu'elle est prisonnière d'antagonismes incompatibles, qu'elle est incapable de résoudre. Mais pour que ces antagonismes, ces classes en conflit avec les intérêts économiques, ne se consument pas eux-mêmes et avec eux la société tout entière dans une lutte stérile, apparaît la nécessité d'un pouvoir apparemment au dessus de la société pour modérer le conflit, le maintenir dans les limites de "l'ordre" ; et ce pouvoir issu de la société, mais se plaçant au dessus d'elle et de ce fait tendant constamment à se conserver lui-même, c'est l'Etat."

Il est important de ne pas réduire le phénomène de l'Etat à une simple conspiration de la classe dominante pour garder le pouvoir. L'Etat n'a jamais agi par la seule volonté d'une classe dirigeante, mais a été l'émanation de la société de classe en général, et par ce fait, est devenu l'instrument de la classe dominante.

"L'Etat surgit du besoin de contenir les antagonismes de classe, mais en même temps qu'il surgit au milieu du conflit entre ces classes, la règle veut qu'il soit l'Etat de la classe la plus puissante, de la classe qui domine économiquement et qui par l'intermédiaire de l'Etat, s'assure la domination politique" (ibid.).

Dans la période de transition communiste, l'Etat surgira inévitablement, pour empêcher que les antagonismes de classe ne fassent voler cette société hybride en éclats. Le prolétariat, en tant que classe dominante, utilisera l’Etat pour maintenir son pouvoir, et défendre les acquis de la transformation communiste qu'il accomplit. Ce qui est sûr c'est que cet Etat sera différent de tous les Etats du passé. Pour la première fois, la nouvelle classe dominante "n’hérite" pas de l'ancienne machine d'Etat pour s'en servir à ses fins propres mais renverse, détruit, anéanti l'Etat bourgeois, et construit de façon systématique ses propres organes de pouvoir. Et ceci parce que le prolétariat est la première classe exploitée de l’histoire à être révolutionnaire et qu'elle ne peut pas être une classe exploiteuse. Ainsi, elle n'utilise pas l'Etat pour exploiter les autres classes, mais pour défendre une transformation sociale qui anéantira à jamais l'exploitation, qui abolira tous les antagonismes sociaux, et conduira ainsi à la disparition de l'Etat. Le prolétariat ne peut pas être une classe qui domine économiquement. Sa domination ne peut être que politique.

Dans les écrits de Marx, Engels, Lénine et beaucoup d'autres, on trouve souvent l’idée que dans la période de transition "l'Etat ne peut être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat, que, l’Etat n'est que le prolétariat armé "organisé en classe dominante", et que cet Etat "prolétarien" n'es déjà plus un Etat dans le vieux sens du terme. Mais une analyse plus approfondie de la nature de l'Etat, basée sur les critiques de l'Etat de Marx et Engels les plus profondes, et sur l'expérience historique de la classe, amène à la conclusion que l'Etat de la révolution est autre chose que le prolétariat armé, que le prolétariat et l'Etat ne sont pas identiques.

Voyons les principales raisons qui nous permettent d’affirmer ceci.

1. - Dans la période insurrectionnelle elle-même, la période de guerre civile révolutionnaire, les perspectives élaborées par Marx, Engels et Lénine, peuvent conserver une certaine valeur. Dans cette phase, la principale tâche de la classe ouvrière, de la dictature du prolétariat qui s'exprime dans les Conseils Ouvriers, est en effet une fonction "étatique" : l'élimination violente de l'ennemi de classe, la bourgeoisie. Au début de l'insurrection, quand la masse des ouvriers détient les armes, et que l'assaut révolutionnaire contre la bourgeoisie est à son point culminant, les délégués des Conseils Ouvriers ne fonctionnent que comme instrument de la volonté de classe. Il n'y a alors que peu ou pas de conflit entre les assemblées de base des ouvriers et les organes centraux qu'ils élisent. Il est alors facile d'identifier le prolétariat armé et l’Etat. Mais même dans cette phase, il est dangereux de faire une identification. Si la vague révolutionnaire rencontre de sérieux obstacles ou entrave l'action des délégués ouvriers mandatés pour traiter avec le monde extérieur, (que se soient les paysans qui. fournissent la nourriture ou les Etats capitalistes prêts à échanger avec le pouvoir ouvrier) ([3] [13]), il sera nécessaire de recourir à certains compromis comme demander aux ouvriers de travailler plus ou réduire leur l'action. Les délégués commenceront alors à apparaître comme des agents extérieurs aux ouvriers, comme des fonctionnaires d'Etat dans le vieux sens du terme, comme des éléments se situant au-dessus des ouvriers, et contre eux.

A ce stade, les délégués ouvriers et les organes centraux sont à mi-chemin entre être les négociateurs entre ouvriers et capital mondial, et devenir définitivement les agents du capital mondial et par conséquent de la contre-révolution capitaliste à l'intérieur du bastion prolétarien, comme cela était le cas des bolcheviks en Russie. L'équilibre entre les deux est instable. La seule chose qui puisse faire pencher la balance en faveur des ouvriers, c'est une plus grande extension de la révolution mondiale, offrant un nouvel espace aux ouvriers cernés par le capital, et au secteur socialisé qu'ils ont crée.

L'instauration de mesures formelles n'est pas suffisante pour empêcher cette dégénérescence de prendre place, puisqu'elle est la conséquence directe des pressions du marché mondial. Mais il est tout de même primordial que les ouvriers soient préparés à une telle éventualité, pour qu'ils puissent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour la combattre. C'est pourquoi il est important que le prolétariat ne soit pas identifié à l'Etat, ni même à l'appareil qu'il met en place pour servir de médiateur entre les classes non exploitantes et le bastion prolétarien, ni non plus aux organes centraux chargés des relations avec l'extérieur, ou à toute autre institution, parce qu'il y a toujours une possibilité qu'une institution, même créée par la classe ouvrière, soit intégrée au capital, alors que la classe ouvrière, elle, ne peut jamais être intégrée, ne peut jamais devenir contre-révolutionnaire.

Identifier le prolétariat à l'Etat, comme l'ont fait les bolcheviks, amène à un moment de reflux, à la situation désastreuse où l'Etat, en tant "qu'incarnation" de la classe ouvrière, peut tout se permettre pour maintenir son pouvoir, alors que la classe ouvrière toute entière reste sans défense. C'est ainsi que Trotski déclarait que les ouvriers n'avaient pas le droit de faire grève contre "leur" propre Etat, et que le massacre de l'insurrection de Kronstadt a pu être justifié puisque toute rébellion contre "l'Etat ouvrier" ne pouvait qu'être contre-révolutionnaire. Il est sûr que ces évènements n'étaient pas dus au seul fait que la classe ouvrière était identifiée à l'Etat, mais aussi au recul matériel de la révolution mondiale. Néanmoins, cette mystification idéologique a servi à désarmer les ouvriers face à la dégénérescence de la révolution. A l'avenir, l'autonomie et l'initiative de la base ouvrière vis à vis des organes centraux devront être assurées et renforcées par des mesures positives, telles que renoncer à toute méthode violente au sein du prolétariat, donner le droit de grève aux ouvriers, aux assemblées de base la possession de leurs propres moyens de communication et de propagande (presse, etc.), et par dessus tout, la détention des armes par les ouvriers, dans les usines et dans les quartiers, de façon à ce qu'ils soient en mesure de résister à toute incursion de la bureaucratie, si nécessaire.

Nous n'invoquons pas ces mesures de précaution par manque de confiance dans la capacité du prolétariat à étendre la lutte et à socialiser la production, seules garanties contre la dégénérescence, mais parce que le prolétariat doit être prêt à toute éventualité et ne pas s'exposer aux déceptions que procurent les fausses promesses du genre "tout ira bien". La révolution aura peu de chance de résister aux obstacles si le prolétariat n'est pas près à les affronter.

2. - Contrairement à certaines prévisions de Marx, la révolution socialiste ne se produira pas dans un monde où la vaste majorité de la population est prolétarienne. Si tel était le cas, on pourrait peut-être imaginer que l'Etat disparaisse presque immédiatement après la destruction de la bourgeoisie. Mais une des principales conséquences de la décadence du capitalisme est qu'il n'a pu intégrer directement la majorité de l'humanité dans les rapports sociaux capitalistes, même s'il l'a entièrement soumise aux lois tyranniques du capital.

Le prolétariat n'est qu'une minorité de la population à l'échelle mondiale. Le problème que pose ce fait à la révolution prolétarienne ne peut disparaître par la magie des invocations des situationnistes ou autres' "modernistes", qui incluent dans le prolétariat tous ceux qui se sentent "aliénés", ou sans ou sans contrôle sur leur vie. Il y a des raisons matérielles qui font du prolétariat la seule classe communiste : sa nature d'associés au niveau mondial, sa place au centre de la production capitaliste, la conscience historique qui lui vient de la lutte de classe. C'est le fait que les autres couches ou classes n'ont pas ces caractéristiques qui rend nécessaire la dictature du prolétariat, et l'affirmation qu’il fait de ses buts communistes, face à toutes les autres couches de la société. Dans le processus de conquête du pouvoir lui-même, le prolétariat se trouvera confronté avec une énorme masse de couches non prolétariennes, non bourgeoises, qui peuvent avoir un rôle à jouer dans la lutte contre la bourgeoisie, qui peuvent éventuellement soutenir le prolétariat, mais ne peuvent, en tant que classe, avoir un quelconque intérêt dans le communisme.

Vouloir se dispenser de la période de transition, en intégrant immédiatement toutes les autres couches au prolétariat, est une idée qui relève soit d’une fantaisie sans espoir, soit d'une tentative consciente saper l’autonomie de la classe. La tâche est si énorme qu'elle ne peut être réalisée en un jour, fut-ce en portant un grand coup. Et toute tentative allant dans ce sens n'aboutirait pas à la dissolution des autres classes dans le prolétariat, mais à la dissolution du prolétariat dans le "peuple" mystique du radicalisme bourgeois. De telles tentatives diluerait la force du prolétariat en rendant impossible toute autonomie d'action. La condition première de cette autonomie, c'est que l’intégration se fasse en termes prolétariens, et soit soumise à l'extension de la révolution mondiale.

De même, vouloir donner à ces couches une représentation égale dans les Consei1 ouvriers, sans les avoir dissoutes en tant que couches, c'est-à-dire les avoir transformées en ouvriers, affaiblirait définitivement l'autonomie de la classe ouvrière. Tout au plus, le prolétariat peut permettre à ces couches ou classes de siéger dans des organismes parallèles de pouvoir, analogues aux Conseils Ouvriers.

En même temps, la classe ouvrière ne peut se contenter d’agir par la répression envers ces classes, et de leur ôter tout moyen d'expression. L'exemple de la Russie, où le prolétariat a été contraint pendant toute la période de "communisme de guerre" à une guerre civile contre la paysannerie, atteste de façon éloquente de l'impossibilité pour le prolétariat d'imposer sa volonté sur le reste de la société par la seule force armée. Un tel projet représenterai un terrible gâchis de vies et d'énergie révolutionnaire, et contribuerait de façon sûre à l'échec de la révolution. La seule guerre civile qui ne peut être évitée est celle qui doit être menée contre la bourgeoisie. La violence envers les autres classes ne devrait être employée qu'en dernière instance. De plus, le prolétariat, dans la production et la distribution de façon communiste, devra compter non seulement avec ses besoins mais avec ceux de la société toute entière, ce qui signifie que des institutions sociales adaptées à l'expression des besoins de tous seront nécessaires.

Donc le prolétariat devra permettre au reste de la population (à l’exclusion de la bourgeoisie) de s'organiser et de former des organes qui peuvent représenter ses besoins face aux Conseils Ouvriers. Cependant, la classe ouvrière ne permettra pas à ces autres couches de s'organiser spécifiquement en tant que classes ayant des intérêts économiques particuliers. Tout comme ces autres couches ne sont intégrées au travail associé qu'en tant qu'INDIVIDUS, le prolétariat ne leur permet de s'exprimer qu'en tant qu’individus au sein de la société civile. Ceci implique que les organes représentatifs au moyen desquels ils s'expriment, à la différence des Conseils .ouvriers, se fondent sur des unités et des formes d'organisation territoriales. C'est-à-dire, par exemple, à la campagne, les assemblées de village pourraient envoyer des délégués aux conseils de district rural et régional; et dans les villes, les assemblées de quartier pourraient envoyer des représentants aux conseils communaux de ville. Il est important de noter que les ouvriers (en tant que représentants des quartiers ouvriers) seront présents au sein de ces organes, et que des mesures devront être prises pour mener à bien la domination prolétarienne, même au sein de ces organes. Donc, les conseils ouvriers doivent insister sur le fait que les délégués de la classe ouvrière ont des droits de vote prépondérants, que les quartiers ouvriers ont leurs propres unités de milice, enfin que ce sont les délégués communaux de la classe ouvrière qui assurent la plus grande part des liaisons et de la discussion avec les conseils ouvriers.

L’existence même de ces organes en rapport régulier avec les conseils ouvriers crée constamment des formes étatiques au sens où l'entendait Engels plus haut, quel que soit le nom qu'on donne à un tel appareil. Pour cette raison, l'Etat dans la période de transition est lié aux Conseils Ouvriers et au prolétariat armé tout entier, mais non identique à eux. Car, comme le dit Engels, l'Etat n'est pas seulement un instrument de violence et de répression, (fonction qui sera, espérons-le, réduites au maximum après la défaite de la bourgeoisie) ; il est aussi un instrument de médiation entre les classes, un instrument servant à contenir la lutte de classe dans les limites nécessaires à la survie de la société. Ceci n'implique en aucune façon que cet Etat puisse être "neutre" ou "au-dessus des classes" (bien qu'il puisse apparaître souvent comme tel). Les médiations et négociations effectuées sous le contrôle de l'Etat sont toujours faite dans l'intérêt de la classe dominante, servent toujours à perpétuer sa domination. L'Etat dans la période de transition doit être utilisé comme instrument de la classe ouvrière.

Le prolétariat ne partage le pouvoir avec aucune autre couche ou classe. Il devra s’approprier le monopole du pouvoir politique et militaire, ce qui signifie concrètement que les ouvriers devront avoir le monopole des armes, le pouvoir de décision suprême sur toutes les propositions de tout organe de négociation, un maximum de représentation dans tous les corps étatiques, etc. Le prolétariat devra garder une vigilance constante envers cet Etat pour que cet instrument, surgi de la nécessité d'empêcher l'éclatement de la société transitoire, reste dans les mains de la classe ouvrière, et ne devienne pas le représentant des intérêts d'autres classes, l'instrument d'autres classes contre le prolétariat. Aussi longtemps que les classes existent, aussi longtemps qu'il y a échange et division du travail social, l'Etat se maintient. Mais aussi, comme tout autre Etat, il tend, selon les mots d'Engels, à "s'auto conserver", à devenir un pouvoir au-dessus de la société, et donc du prolétariat.

Le seul moyen qu'a le prolétariat d'empêcher que cela se produise, c'est de s'engager dans un processus continu de transformation sociale, de mettre en place de plus en plus de mesures tendant à saper les assises matérielles des autres classes, de les intégrer aux rapports de production communistes. Mais avant qu'il n'y ait plus de classe, le prolétariat ne peut dominer les organes surgis pendant la période de transition qu'en comprenant clairement leur nature et leur fonction. Nous utilisons le terme "Etat" pour caractériser cet appareil destiné à servir de médiateur entre les classes dans la période de transition, dans un contexte de domination politique du prolétariat. Le mot lui même a peu d'importance. Ce qui est important, c'est de ne pas confondre cet appareil et les Conseils Ouvriers, organes autonomes dont la fonction et l'essence ne sont pas les compromis et les négociations, mais la révolution sociale permanente.

3. - Ceci nous amène à notre dernier point. La nature même de l'Etat est d'être une force conservatrice, un héritage de millénaires de société de classe. Sa fonction même est de préserver les rapports sociaux existants, de maintenir l’équilibre des forces entre les classes, en un mot le statu quo. Mais, comme nous l’avons dit, le prolétariat ne peut pas s'en tenir à un statu quo. Tout ce qui n'est pas mouvement au communisme est retour au capitalisme. Laissé à lui-même, 1’Etat ne "s'évanouira" pas de lui-même, mais au contraire tendra à se préserver, voire à renforcer sa domination sur la vie sociale. L'Etat ne disparaît que si le prolétariat est capable de porter plus loin la transformation sociale, jusqu'à l'intégration de toutes les classes dans la communauté humaine. L'établissement de cette communauté sape les fondements sociaux de l'Etat : "l'antagonisme irréductible des classes", maladie sociale dont le seul remède est l'abolition des classes.

Seul le prolétariat contient en lui-même les bases des rapports sociaux communistes, seul le prolétariat est capable d'entreprendre la transformation communiste. L'Etat peut au mieux aider à conserver les acquis de cette transformation, (et au pire y faire obstacle) mais il ne peut, en tant qu'Etat, se charger de cette transformation. C'est le mouvement social du prolétariat tout entier qui par son activité créatrice propre anéantit la domination du fétichisme de la marchandise et construit de nouveaux rapports entre les êtres humains.

Le mouvement ouvrier, de Marx et Engels à Lénine et même aux Gauches Communistes a été marqué par la confusion selon laquelle la prise en main des moyens de production par l'Etat a quelque chose à voir avec le communisme, selon laquelle étatisation = socialisation. Comme Engels l'écrit dans l'Anti-Dühring :

"Le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et transforme en premier lieu les moyens de production en propriété d'Etat. Mais en agissant ainsi il met un terme à son existence en tant que prolétariat, à toute différence ou antagonisme de classe. Il met aussi un terme à l'Etat en tant qu'Etat".

Marx et Engels pouvait établir de telles perspectives, malgré leur analyses contradictoires (et profondes) de l'impossibilité pour le prolétariat d'utiliser l'Etat dans l'intérêt de la liberté, parce qu'ils vivaient une période d'ascendance du capitalisme. En effet, dans cette période dominée par l'anarchie du capitalisme "privé", les crises de surproduction à l’intérieur des frontières nationales, l'organisation de la production par l'Etat, même un Etat national, pouvait apparaître comme un mode d'organisation économique extrêmement supérieur. Les fondateurs du socialisme scientifique n'ont jamais complètement échappé à l'idée d'une transformation socialiste pouvant prendre place à l'intérieur d'une économie nationale, ou d'une étatisation pouvant être un "pont" vers le socialisme ou même un équivalent à la socialisation elle-même. Ces illusions et confusions ont imprégné la Social-Démocratie et les tendances communistes qui rompirent avec elle après 1914, et n'ont été rejetées du mouvement communiste que par l'expérience russe, la crise de surproduction globale du capital, la tendance générale au capitalisme d'Etat propre à la décadence. Mais les confusions qui restent au sujet de l'étatisation qui aurait "quelque chose de socialiste" demeurent encore une mystification qui pèse comme un poids mort sur la classe ouvrière, et doivent être combattues avec énergie par les communistes.

Aujourd’hui, les révolutionnaires peuvent affirmer que la propriété étatique reste une propriété privée tant que les producteurs sont dépossédés, que l'étatisation des moyens de production ne met un terme ni au prolétariat, ni aux antagonismes de classe, ni à l'Etat, et que les perspectives d'Engels ne se sont pas vérifiées. Ni la nationalisation, ni l'étatisation par un état, fut-il mondial, dans la période de transition ne seront un pas vers la propriété sociale qui, en un sens, équivaut à l'abolition de la propriété elle-même. En expropriant la bourgeoisie, le prolétariat n'est pas en train d'instituer une propriété privée quelconque, pas même une propriété "prolétarienne". Il n'existe pas "d'économie prolétarienne" où les moyens de production seraient la propriété privée des seuls ouvriers. Le prolétariat, en prenant le pouvoir, socialise la production : ceci signifie que les moyens de production et de distribution tendent à devenir la "propriété" de la société toute entière. Le prolétariat "détient" cette propriété dans la période de transition, dans l'intérêt de la communauté humaine dont il jette les bases. Ce n'est pas sa propre propriété, parce que par définition, le prolétariat est une classe sans propriété. Le processus de socialisation de la société se réalise à condition que le prolétariat intègre à lui la société, devenant un avec la communauté humaine communiste, une humanité sociale qui naîtra à la vie pour la première fois. Une fois encore, le prolétariat utilisera l'Etat pour réguler l'accomplissement de ce processus, mais le processus lui-même non seulement se déroule indépendamment de l'Etat mais encore participe activement à la disparition de l'Etat.

Nous, communistes nous ne sommes pas "partisans" de l'Etat. Nous ne le brandissons pas non plus comme l'incarnation du mal, comme le font les anarchistes. En analysant les origines historiques de l'Etat, nous ne faisons que reconnaître l'inévitabilité des formes étatiques qui surgissent dans la période de transition et, en la reconnaissant, nous aidons la classe à se préparer à sa mission historique. LA CONSTRUCTION D'UNE SOCIETE SANS CLASSE, ET DONC LIBEREE A JAMAIS DE L'EMPRISE DE L'ETAT.

WORLD REVOLUTION.

Notes en supplément sur la question de l’Etat.

Ce texte exprime la vision de World Revolution, dans son ensemble, mais il n'est pas un programme achevé ou une "solution" aux problèmes de la période de transition; la discussion sur la période de transition doit rester ouverte entre les révolutionnaires, à l'intérieur d'un cadre délimitant les frontières de classe. Elle ne pourra être résolue concrètement que par l'activité révolutionnaire de la classe toute entière. Il s'ensuit qu'à l'intérieur de ce cadre différentes conceptions et définitions de l'Etat peuvent exister dans une tendance révolutionnaire cohérente.

Les frontières de classe sur la question de l'Etat sont les suivantes:

1. - La nécessité de détruire complètement l'Etat bourgeois à l'échelle mondiale.

2. - La nécessité de la dictature du prolétariat :

- le prolétariat est la seule classe révolutionnaire.

- l'autonomie du prolétariat est une condition nécessaire à la révolution communiste

- le prolétariat ne partage le pouvoir avec aucune autre classe. Il a le monopole du pouvoir politique et militaire.

3. - Le pouvoir est exercé par le prolétariat tout entier, organisé en Conseils et non par le parti.

4. - Tout rapport de force, toute violence à l'intérieur du camp prolétarien doivent être rejetés. La classe dans son ensemble doit avoir le droit de grève, le droit de porter les armes, d'avoir une pleine liberté d'expression, etc.

5. - La dictature du prolétariat doit rendre effectif le contenu social de la révolution : abolition du travail salarié, de la production marchande, des classes et construction de la communauté humaine mondiale.



[1] [14] Nous ne devons pas cependant oublier la nature bureaucratique et étatique de la plupart de la soi-disant collectivisation faite sous les auspices de la CNT anarchiste, et l'hostilité de celle-ci envers tout mouvement indépendant de la part de la classe, comme en témoigne la collaboration de la CNT à ta république lorsque celle-ci est venue demander par les armes aux ouvriers de rendre la Centrale des Téléphones en 1937. En fait, toutes les tentatives des ouvriers de "gérer" le capital se terminent nécessairement par le despotisme normal de la production capitaliste sur la société entière et sur chaque usine. Le soi-disant "capitalisme ouvrier" est impossible.

[2] [15] Ceci ne signifie pas que les ouvriers révolutionnaires devront tolérer des contremaîtres ou des régimes despotiques à l'intérieur de l'usine. Pendant tout le processus révolutionnaire, les comités d'usine élus et responsables devant l'assemblée générale de l'usine prendront en charge le fonctionnement quotidien de l'usine. Plus encore, les plans de production généraux auxquels se réfèreront les comités d'usine, seront décidés par les conseils ouvriers composés de délégués et donc par la classe ouvrière toute entière.

[3] [16] Nous ne nous opposons pas par principe à tout commerce ou compromis entre le prolétariat et d'autres classes non exploiteuses au cours de la guerre civile, ni même entre les bastions prolétariens et les sections de la bourgeoisie mondiale, si cela est nécessaire. Mais nous devons éclaircir les points suivants :

1) Le prolétariat doit savoir faire la distinction entre les compromis imposé par une situation difficile, et ceux qui sont une capitulation ouverte relevant d’une trahison de classe. Il doit être conscient du danger que représente tout compromis, et prendre des mesures pour les contrer. Toute tentative d'instaurer ou d’institutionnaliser un quelconque échange permanent  avec la bourgeoisie est une entorse aux frontières de classe, une trahison de la guerre civile.

2) Dans les zones contrôlées par les Conseils ouvriers, il surgit un Etat qui a la tache de servir d'intermédiaire entre le prolétariat et les autres classes exploiteuses (cf tous les Congrès russes de Conseils d'ouvriers, de paysans, de soldats, après 17. Voir aussi plus loin). Mais le prolétariat ne peut se servir de cet Etat comme médiateur avec son ennemi de classe irréductible : la bourgeoisie. Toute négociation tactique avec les acteurs de la bourgeoisie en dehors du bastion prolétarien est la tâche directe des seuls conseils ouvriers, et doit être strictement supervisée par la classe ouvrière toute entière et ses assemblées générales.

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [10]
  • La Révolution prolétarienne [17]

Les problèmes de la période de transition

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Nous considérons ce texte comme un outil de travail et non comme quelque chose de complet ou d’achevé. Certaines positions sont seulement affirmées, d'autres esquissées. Cependant nous sommes convaincus qu'il pourra constituer une base pour une discussion correcte sur la "période de transition".

Dans "l'Idéologie Allemande", Marx écrivait : "La révolution n'est pas nécessaire uniquement parce que la classe dominante ne peut pas être abattue autrement, mais aussi parce que c'est seulement dans une révolution que la classe qui l'abat peut "réussir à se débarrasser de toute la saleté qu'elle hérite et devenir capable de jeter les bases de la société nouvelle".

Cependant l'insurrection prolétarienne, l'affrontement et l'attaque armée contre le pouvoir bourgeois, nécessités indispensables, ne sont que les premiers pas inévitables d'un PROCESSUS DYNAMIQUE qui doit conduire, en fin de compte, au triomphe du communisme de la société sans classe dans laquelle "le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous".

La révolution prolétarienne est une "révolution politique à âme sociale. La révolution est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Il nécessite cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais il se débarrasse de son enveloppe politique dès le début de son activité organisatrice, dès qu'il poursuit son but propre, dès que se révèle son âme."

L'acte politique est donc l'irruption victorieuse d'une classe née et forgée dans les entrailles même du capitalisme, l'affirmation de cette classe qui en s'émancipant émancipera toute l'humanité.

Le prolétariat, en s'érigeant en nouvelle classe dominante à travers révolution, ne vise pas à instaurer un nouveau rapport d'oppression d'une classes à une autre mais à supprimer toutes les conditions inhumaines de vie la société actuelle et qu'elle résume dans sa propre condition."

L'abattement du pouvoir bourgeois n'est pas DEJA LE COMMUNISME, mais est uniquement le premier pas d'un processus plus ou moins long et difficile. "Entre la société capitaliste et la société communiste il y a la période de la transformation révolutionnaire de l'une en l'autre. Il lui correspond aussi une période politique transitoire dont l'Etat ne peut être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat" (Marx, Critique du Programme de Gotha).

Dans l'histoire du mouvement communiste, le prolétariat est parvenu à deux reprises à abattre l'Etat bourgeois, à mettre sa dictature à l'ordre du jour: la Commune de Paris et la révolution russe.

Ces deux expériences ont été défaites, la première directement par la force des armes dans un massacre généralisé, la seconde dans des bains de sang non moins important, mais moins "visibles", dans une lente dégénérescence des objectifs initiaux, étouffée dans sa potentialité par l'absence de la révolution en Occident, condamnée à assumer des tâches qui n'étaient pas les siennes, la combativité prolétarienne se voyant réduite à une résistance toujours plus passive : dans le cas de la Russie ce fut un recul lent (et donc moins évident que pour la Commune de Paris), réalisée au nom du communisme (et ce fut là la pire tragédie), qui conduisit à la honte du stalinisme. "Il était facile de faire la révolution en Russie. Il était difficile de la continuer". (Lénine)

La résolution de "l'énigme" russe, des motifs de sa dégénérescence ont amené des groupes de révolutionnaires à tenter de résoudre les problèmes posés par la "période de transition", mais ils étaient trop liés à l'expérience russe où la question du pouvoir prolétarien et de la voie au communisme ne pouvait être que posée, jamais résolue.

Contrairement à ce que pensaient, en révolutionnaires, Lénine et Trotski, il était impossible de résister seuls pendant des décennies et des décennies dans les tranchées de la révolution : la dictature du prolétariat est la manifestation de sa combativité ou elle ne représente rien.

Kronstadt et les agitations de Petrograd montrent les premiers signes de la scission qui s'établissait entre les exigences immédiates de la classe et un pouvoir encore prolétarien qui Cherchait à résister.

Le drame de la révolution russe ne peut être compris en dehors de ce cadre qui condamnait à l'impuissance le parti bolchevik et un Lénine (qui avait pourtant, écrit "L' Etat et la Révolution") qui devait maintenant admettre : "La machine fuit des mains de celui qui la conduit: on dirait qu'il y a quelqu'un d'assis au volant et qui conduit cette machine, mais que cette dernière suit une direction différente à celle voulue, comme si elle était guidée par une main secrète, illégale. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou à tous les deux ensembles. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par celui qui est au volant, quelque fois elle va plutôt dans le sens contraire." (Rapport politique du C.C. au parti, 1922). "Seule la lutte décidera (en fin de compte) de combien nous pourrons avancer, seule elle décidera de quelle part de cette très haute tâche, de qu’elle part de nos victoires nous pourrons définitivement consolider. Qui vivra, verra." (1921, Pour le IV anniversaire de la Révolution d'octobre).

Tout le déroulement des évènements en Russie a conduit à parler "d'Etat Ouvrier" ou "d'Etat prolétarien".

Il faut préciser que dans les années 20 ces expressions étaient synonymes de "dictature du prolétariat". L’Etat prolétarien dont on parlait alors était un : "…nouvel appareil tout à fait différent de celui actuel, non seulement parce qu'il n'y aura plus besoin de la distinction existante dans l'Etat bourgeois entre appareil représentatif et appareil exécutif, mais surtout du fait des différences fondamentales de structures, conséquences elles-mêmes de l'opposition dans les tâches historiques à accomplir et sur lesquelles les révolutions prolétariennes depuis la Commune de Paris jusqu'à la république russe des soviets, ont jeté une lumière décisive. ("Il Communista", février 1921)

Par la suite, ces synonymes" sont allés en s'autonomisant jusqu'à ce qu'on parle de "faire à la place de la classe" et d'une classe qui ne "comprenait pas que "tout était fait dans ses intérêts".

Les écrits sur le dépérissement de l'Etat-commune prenaient une résonance sinistre face à la croissance de cette force anonyme représentant du capital. Marx a laissé, après la Commune de Paris, des écrits mémorables dans lesquels il exprimait, de la meilleure façon possible, l'essence et la nature de la révolution communiste et de la dictature du prolétariat. Nous devons revenir à lui pour fonder sur ces bases notre perspective.

Marx, en corrigeant ce qu'il avait écrit 25 ans auparavant, écrivait : "La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l'Etat telle qu'elle est, pour la faire fonctionner à son profit. En fait l'appareil d'Etat est bourgeois en tant que tel et non uniquement parce que ses rouages sont aux mains de la bourgeoisie. L'Etat n'est pas un instrument neutre, mais de classe. Cependant, ce qui en fait un appareil bourgeois ce n'est pas à l'origine bourgeoise du personnel qui le dirige, mais bien sa propre nature d'appareil opposé au reste de la société."

La révolution communiste donne vie, au cours de son affirmation, à des institutions qui diffèrent de celles de la bourgeoisie de par LEURS PRINCIPES MEMES : telles sont la Commune et les soviets.

La Commune a été : "La forme politique enfin trouvée dans laquelle pouvait, s'accomplir l'émancipation économique du travail".

La lutte de classe ne finit pas avec la victoire politique de la classe : "La Commune ne supprime pas la lutte des classes (…) Elle crée le climat le plus rationnel dans lequel cette lutte peut se déroule à travers diverses phases de la façon la plus rationnel le et la plus en accord avec l'essence humaine (…) Elle ouvre la porte à l'émancipation du travail, sa grande finalité".

La classe à qui on a ôté le pouvoir ne peut pas être aboli par décret; elle survit, elle cherche à se réorganiser politiquement. Le prolétariat ne partagera le pouvoir avec personnelle, il exercera sa dictature pour combattre tous ceux qui s'opposent aux mesures qui minent le privilège économique

Le premier pas de la dictature du prolétariat vers l'abolition du salariat consistera dans l'obligation pour tous de travailler (généralisation de la condition du prolétariat) et dans l'action, simultanée pour une réduction sensible du temps de travail. C'est déjà la fin de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel.

L'avancement de ce processus en termes réels, matériels, est vital pour le pouvoir prolétarien; le renforcement de ce dernier est simultanément prémisse et garantie du progrès vers le but final : le communisme. "Le communisme, abolition positive de cette aliénation de l'homme par lui-même que constitue la propriété privée, donc conquête effective de l'essence humaine par l'homme et pour l'homme; donc retour complet "conscient, atteint à travers l'entière richesse du développement passé, de l'homme pour lui-même en tant qu'homme social, c'est-à-dire en tant qu’homme humain. Ce communisme est (…) la véritable solution de la contradiction entre existence et essence, entre réalité objective et conscience subjective, entre liberté et nécessité,-entre individu et espèce. Le communisme c'est la solution de l'énigme de l'histoire et il se considère comme tel."

Sur la base de ce que nous venons d'exposer nous critiquons :

- AUSSI BIEN la position d'après laquelle c'est le parti qui prend le pouvoir, dirige et se confond avec l'Etat du fait qu'il possèderait une claire vision de la perspective révolutionnaire, etc, etc.

- Que la position qui parle de l'Etat prolétarien comme d'un instrument, expression de la classe, mais qui conserve toutes les caractéristiques de l'Etat, et où seul le nom et la direction changent.

- Que la position d'après laquelle, à côté de la dictature du prolétariat est nécessaire un Etat, compromis provisoire dans une société divisée en classes antagonistes.

Nous revendiquons, après la destruction du pouvoir bourgeois, la DICTATURE DU PROLETARIAT, dictature de la classe ouvrière victorieuse qui ôte par la force tout droit aux autres classes et n'admet aucune sorte de médiations, moment politique et social qui vit et s'alimente dans la prise de conscience de masses toujours plus larges.

RIVOLUZIONE INTERNAZIONALE.

 

Décembre 1974.

LA PERIODE DE TRANSITION

L'Etat

Tout d'abord, quelques remarques pour situer la question.

Historiquement parlant, l'Etat apparaît comme un organe de la classe dominante, bien qu'il apparaisse souvent comme siégeant au-dessus de la société, médiateur entre les classes, comme Engels l'écrit dans Socialisme utopique et socialisme scientifique :

"L'Etat était le représentant officiel de la société dans son ensemble ; son rassemblement dans une incarnation visible. Mais il l'était dans la mesure où l'Etat était celui de la classe qui elle même représentait à ce moment donné, la société dans son ensemble."

Donc, dès que l'Etat devient le "représentant réel de l'ensemble de la société" (nous soulignons), dès qu'il n'existe plus de classe à soumettre, alors l'Etat "lui-même n'a plus de raison d'être".

Cependant, c'est une erreur anarchiste de prétendre qu'une fois l'Etat-bourgeois détruit, le communisme peut apparaître automatiquement. Le prolétariat doit d'abord détruire l'Etat bourgeois et mettre en place sa propre forme de domination de classe. A cet égard seulement, l'Etat prolétarien ne se distinguera pas des autres Etats dans l'histoire. Mais à d'autres égards la dictature du prolétariat se démarquera tout à rait des autres formes d'Etat. Quantitativement parlant, ce sera le premier Etat dans l'histoire à exprimer les intérêts historiques de la majorité sur la minorité, et qualitativement, le prolétariat comme classe n'aura aucune forme spécifique de propriété à défendre. C'est cette dernière différence qui explique pourquoi l'Etat prolétarien n’est plus un Etat au sens propre du terme (Le Marxisme et l'Etat, Lénine). L'Etat prolétarien continuera d'opprimer tous les éléments qui tenteront de faire revivre les rapports de propriété bourgeois. Lorsqu'ils seront dissous et définitivement vaincus, la dictature du prolétariat cessera d'exister. Nulle part, à notre connaissance Lénine, Marx et Engels dans leurs écrits ne conçoivent d'autre possibilité. Dans la Critique du Programme de Gotha et dans l'Etat et la Révolution ils dénient effectivement toute alternative d’un "Etat des peuples libres ou d'un front populaire. Il est vrai que Lénine (et c'est compréhensible dans le contexte de 1917, quoi qu'erroné) appelle à une alliance entre le prolétariat et la paysannerie mais il conclut encore que l'Etat doit rester "le prolétariat organisé en classe dominante (citant le Manifeste Communiste). Et l'expérience du prolétariat durant les dernières soixante année ne nous a pas donné de raison nouvelle de douter de cette idée. Et même, si nous avons pu voir quelque chose, ce sont des développements qui ont fait pencher 1’équilibre encore plus en faveur du prolétariat. Ici, nous pensons à la paysannerie dont nous faisons une analyse dans la section suivante.

La paysannerie

La question des rapports du prolétariat avec l'aire vitale de la production rurale a toujours été particulièrement épineuse. La révolution russe (1917-21) est un exemple du problème, bien que ses leçons doivent être replacées dans une véritable perspective historique. Lénine a toujours pris en considération l'immense masse de la paysannerie en Russie. Dans l'Etat et la Révolution il suggère que l'alliance des ouvriers et des paysans formera la base de la nouvelle société, bien qu'elle reste sous la dictature du prolétariat. Mais en fait, Lénine et les bolcheviks n'auraient pas pu établir des rapports de production communistes dans la Russie isolée. Les ouvriers russes, comme tout autre secteur du prolétariat mondial avaient besoin d'une révolution mondiale pour mener leurs buts à bien. Aussi, le décret sur les terres de Novembre1917, n’était pas un pas vers le communisme, mais une tentative de se gagner le soutien des moujiks afin d'aider la lutte du régime des soviets pour survivre. C'est seulement la perspective de la révolution mondiale qui pouvait empêcher cette mesure d'être complètement contre-révolutionnaire, ce que l'échec de la révolution mondiale révéla pleinement ensuite. Soyons clairs sur ce point. Si la même situation se reproduisait aujourd'hui, où le prolétariat soit entouré d'une gigantesque masse de paysans, le prolétariat de ce pays serait encore destiné à être défait en l'absence d'une l'évolution mondiale. Cependant, cela ne nécessite pas des révolutionnaires qu'ils se découragent.

Avec les techniques modernes de production capitaliste de nourriture, avec la concentration croissante de la production alimentaire mondiale dans les agricultures Capitalistes hautement développées, et l'existence par conséquent d'un prolétariat dans, cette branche comme dans toute autre industrie, dans une situation révolutionnaire, il n'y aura pas de nécessité stratégique de satisfaire le besoin qu'a le paysan d'avoir des terres, car l'expropriation des unités agricoles capitalistes suffira à assurer la base de l'existence du prolétariat mondial. Le Prolétariat rural de ces aires sera donc une simple partie de la structure soviétique comme n'importe quel ancien ouvrier salarié du capitalisme.

Reste la question du maintien de la révolution prolétarienne dans une nation moins développée, où une grande proportion de ruraux pauvres demande des terres comme base de subsistance. Nous devons être réalistes, et appliquer les leçons de la révolution russe. Aucun prolétariat dans aucun pays, ne peut instaurer seul le communisme, mais dans ces pays sous-développés, le prolétariat souffre de deux inconvénients majeurs :

A. -La dictature du prolétariat, ne peut y établir, ne serait-ce qu'un minimum de conditions pour le communisme à l'intérieur de frontières nationales, vue la nécessité de faire des concessions à la puissante mentalité paysanne.

 

B. -Ils ne se trouveront pas face à une économie qui représente une puissance significative dans le marché mondial capitaliste, et donc la possibilité d'un résultat positif de leur action, d'un dépassement de la crise est très réduite. La révolution Prolétarienne mondiale ne peut arriver à temps pour sauver un surgissement prolétarien isolé dans un tel pays. Si nous devons en conclure que la révolution ne peut être victorieuse que si l'effondrement des centres vitaux du capitalisme (USA, URSS, Europe) intervient rapidement, nous devons nous en accommoder. L'alternative de faire des concessions idéologiques à tout autre couche, dans tout pays conduirait à la confusion pour le prolétariat mondial, et ultérieurement à la contre-révolution.

Dans les pays capitalistes avancés, la question de la paysannerie ne se pose pratiquement pas puisque chaque fermier capitaliste emploie des ouvriers agricoles. En Grande Bretagne par exemple, il y a 329 000 ouvriers agricoles. Avec l'aide des soviets auxquels ils seront rattachés, ils mèneront à bien l’expropriation des terres et commenceront à intégrer l'agriculture à l'économie socialiste. Là où une paysannerie significative existe encore, le prolétariat devra évidemment établir avec elle la quantité et l'orientation de la production à l'intérieur d'un cadre contrôlé par le prolétariat. Mais aucune concession ne peut être faite aux formes petite-bourgeoises de propriété. D'un autre côté, le prolétariat devra inciter activement les paysans à former leurs propres organisations qui pourront devenir éventuellement la base de la collectivisation de la production agricole. Nous devons reconnaître que certaines tâche de la période de transition peuvent prendre plus de temps que d'autres, et ce dernier point exige la maintien de la vigilance de la dictature du prolétariat pour au moins une génération.

( …)La première partie de cet article sur la période de transition a déjà traité de la question de l'Etat et des formes politiques de la Dictature du Prolétariat ; dans cet article, on a fait seulement des commentaires en passant sur les fondements économiques de ces formes. Ici, nous traitons de leur contenu, et seulement entre parenthèses, de leurs manifestations politiques concrètes. Ce type de présentation ne s'explique pas parce que nous pensons qu'un aspect est plus important que l'autre, ni parce que nous pensons que ce sont deux expressions séparées; au contraire, comme nous l'avons dit clairement dans la première partie, nous parlons de la totalité d'une transformation avec des aspects inséparables et tous aussi essentiels les uns que les autres.

Economiquement, aussi bien que politiquement, la soi-disant période de transition s'ouvre pour la classe ouvrière quand un ou plusieurs Etats capitalistes sont renversés par la révolution, et ne se termine qu'après l'inauguration d'un système global de production et de distribution selon les besoins; plus on s'approche du communisme, moins la période de transition comporte de résidus du capitaliste; sa durée n'est évidemment pas courte, mais d'au moins une génération. Ce n'est pas un système statique, et "ses défauts inévitables dans la première phase de la société communiste" (Marx) sont progressivement dépassés.

(…)L'idée que la production dans les bastions prolétariens devrait être dirigée vers une "économie de guerre" communiste est confusionniste. Quoiqu’il y ait certainement des luttes armées et même des batailles rangées pendant la révolution communiste, il n'y aura aucune possibilité que les travailleurs puissent vaincre le capital dans une guerre civile globale. Sur ce terrain, la défaite du prolétariat serait rapide et amènerait à l'avènement de la barbarie. Ceci met en évidence d'une façon encore plus forte que la révolution communiste doit éclater plus ou moins simultanément dans plusieurs Etats capitalistes, y compris les puissances impérialistes militairement dominantes, ou aller à la défaite. Les ouvriers dans une région doivent certainement aider les surgissements communistes voisins, mais l'instauration des premières étapes d'une économie communiste est une arme plus puissante et plus efficace que n'importe quel soutien militaire apporté par un groupe d'ouvriers à un autre.

(…) On doit maintenant examiner les rapports d'un prolétariat victorieux dans une région donnée avec le marché mondial encore existant, et ré insister sur la non séparation du politique et de l'économique pendant la période de transition. Les communistes doivent appeler les organes de masse de la classe à mettre fin à tous les rapports économiques entre les zones isolées où les travailleurs ont pris le pouvoir, et le marché mondial bourgeois. D'abord, parce qu'à une époque de crise mondiale, cette mesure approfondira une telle crise en retirant des marchés et des matières premières aux sections de la bourgeoisie mondiale qui existent encore. L'impact de l'arrêt des exportations de pétrole par une Russie révolutionnaire, ou de la nourriture par une Amérique soviétique donnerait une impulsion puissante à l'élargissement de la révolution communiste et à sa résolution à l'échelle mondiale. Ici, les tactiques économiques hâtent le progrès politique de la révolution.

D'un autre côté, seuls les rêveurs peuvent s'imaginer que les capitalistes accepteront de commercer avec une dictature prolétarienne sans que celle-ci ne capitule politiquement devant le capital mondial. Par exemple, dans les accords de commerce seraient exigés les indemnisations des expropriations dans les bastions ouvriers, la mise en veilleuse des branches du mouvement communiste en dehors des aires déjà révolutionnaires, la reconnaissance diplomatique et l'échange, etc. En fait, tout ce qui s'est vu en Russie à partir de 1920 à peu près quand la NEP et le commerce extérieur allaient de pair avec le frontisme, le retour à la léga1ité des PC, la suppression du prolétariat russe comme élément de la force du travail du marché mondial, etc. La leçon de la révolution russe est que le mouvement communiste est une lutte pour tout ou rien, le communisme ne peut pas être introduit à la dérobée, ni défendu par des compromis, ou des manœuvres pour "gagner du temps". Sur cette question, la défense de toute autre politique que celles que nous avons soulignées est une frontière de classe qui sépare les communistes de ceux qui aujourd'hui font l'apologie de la contre-révolution dans le passé; et préparent la même chose pour l'avenir.

 

REVOLUTIONNARY PERSPECTIVES.

Janvier 75.

Questions théoriques: 

  • Communisme [9]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [10]

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Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international [2] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste [3] https://fr.internationalism.org/rinte1/situ.htm#_ftn1 [4] https://fr.internationalism.org/rinte1/situ.htm#_ftnref1 [5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique [6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe [7] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre [8] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire [9] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/communisme [10] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution [11] https://fr.internationalism.org/rinte1/revo.htm#_ftn1 [12] https://fr.internationalism.org/rinte1/revo.htm#_ftn2 [13] https://fr.internationalism.org/rinte1/revo.htm#_ftn3 [14] https://fr.internationalism.org/rinte1/revo.htm#_ftnref1 [15] https://fr.internationalism.org/rinte1/revo.htm#_ftnref2 [16] https://fr.internationalism.org/rinte1/revo.htm#_ftnref3 [17] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/revolution-proletarienne