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Internationalisme no.342

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Internationalisme no.342

Darwin et le mouvement ouvrier

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On commémore cette année le 200e anniversaire de la naissance de Charles Darwin (et les 150 ans de la publication de son livre L'Origine des espèces). Depuis toujours, l'aile marxiste du mouvement ouvrier a salué la contribution remarquable apportée par Darwin à la compréhension par l'humanité d'elle-même et de la nature.

Darwin était, à plusieurs égards, un représentant typique de son époque, intéressé par l'observation de la nature et heureux d'entreprendre des expériences sur la vie de la faune et de la flore. Son étude empirique, notamment des abeilles, des coléoptères, des vers, des pigeons et des bernacles, était scrupuleuse et détaillée. L'attention que portait Darwin à ces dernières était si tenace que ses jeunes enfants «se mirent à penser que tous les adultes devaient avoir la même préoccupation ; l'un d'entre eux demanda même, à propos d'un voisin : où est-ce qu'il s'occupe de ses bernacles ? ' » (Darwin, Desmond & Moore).

Ce qui distinguait Darwin, c'était sa capacité à aller au-delà des détails, à théoriser et à chercher des processus historiques, pendant que d'autres se contentaient de classer les phénomènes par catégories ou se rangeaient aux explications existantes. Un exemple typique de cette attitude est la réponse qu'il a apportée à la découverte de fossiles dans les Andes, à des milliers de mètres d'altitude. Grâce à l'expérience d'un tremblement de terre et aux Principes de la Géologie de Lyell, sa réflexion porta sur l'échelle des mouvements terrestres qui avaient amené des fonds marins dans les montagnes, sans avoir recours au récit biblique sur le Déluge. «Je crois fermement que, sans réflexion spéculative, il ne peut y avoir d'observation qui soit juste et originale» (comme il l'a écrit dans une lettre à AR Wallace, le 22/12/1857).

Il n'avait pas peur non plus d'utiliser des observations faites dans un domaine et de les appliquer à d'autres. Bien que Marx ait fait peu de cas de la plupart des écrits de Thomas Malthus, Darwin a utilisé les idées de ce dernier sur la croissance démographique de la population humaine pour développer sa théorie de l'évolution. «En octobre 1838, il s'est trouvé que j'ai lu pour me distraire le livre de Malthus sur la population et, étant bien préparé à apprécier la lutte pour l'existence qui a lieu partout, grâce à une observation prolongée et ininterrompue des habitudes des animaux et des plantes, j'ai été immédiatement frappé par le fait que, dans ces circonstances, des variations favorables tendraient à être préservées et des variations défavorables à être détruites. Le résultat en serait la formation de nouvelles espèces. A partir de là, je disposai finalement d'une théorie pour mon travail » (Darwin, Souvenirs sur le développement de mon esprit et de ma personnalité). C'était 20 ans avant que cette théorie apparaisse publiquement avec L'Origine des Espèces, mais les bases étaient déjà là. Dans L'Origine des espèces, Darwin explique qu'il emploie «l'expression de Lutte pour l'Existence dans un sens large et métaphorique » et «par commodité » et que, par Sélection Naturelle, il veut dire la «préservation des variations favorables et le rejet des variations nuisibles.» L'idée de l'évolution n'était pas nouvelle mais, en 1838, Darwin développait déjà une explication sur comment les espèces ont évolué. Il compara les techniques des éleveurs de lévriers et des colombophiles (sélection artificielle) à la sélection naturelle qu'il considérait être «la plus belle partie de [sa] théorie » (Darwin, cité par Desmond & Moore).

La méthode du matérialisme historique

Trois semaines seulement après la publication de L'Origine des Espèces, Engels écrivait à Marx : «Darwin, que je viens juste de lire, est magnifique. Il y avait un point sur lequel la téléologie n'avait pas été démolie ; maintenant c' est fait. En outre, il n'y a jamais eu, jusqu'ici, d' aussi splendide tentative pour démontrer le développement historique dans la nature, au moins avec autant de succès.» La "démolition de la téléologie" fait référence au coup que L'Origine des espèces a porté à toutes les idées religieuses, idéalistes ou métaphysiques qui cherchent à expliquer les phénomènes par leurs effets plutôt que par leur cause. Ceci est fondamental dans une vision matérialiste du monde. Comme Engels l'a écrit dans L'Anti-Dürhing (chapitre 1), Darwin «a porté le coup le plus rude à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent l'homme aussi, est le produit d'un processus d'évolution qui s'est poursuivi pendant des millions d'années».

Dans les documents de préparation à son ouvrage, La Dialectique de la Nature, Engels souligne la signification de L'Origine des Espèces. «Darwin, dans son ouvrage qui a fait époque, est parti de la base la plus large existante du hasard. Précisément, des différences infinies et accidentelles entre les individus d'une même espèce, différences qui s'accentuent jusqu'à ce qu'elles transforment les caractéristiques de l'espèce ,(...) l'ont obligé à mettre en question les bases précédentes de la régularité en biologie, à savoir le concept d'espèce dans sa rigidité et son invariabilité métaphysiques passées.»

Marx lut L'Origine des espèces un an après sa publication et a immédiatement écrit à Engels (19/12/1860) «Voilà le livre qui contient la base, en histoire naturelle, pour nos idées». Plus tard, il écrivit que le livre avait servi «de base naturelle-scientifique à la lutte de classe dans l'histoire» (lettre à Lassalle, 16/1/1862).

En dépit de leur enthousiasme pour Darwin, Marx et Engels n'étaient pas sans critique à son égard. Ils se rendaient bien compte de l'influence de Malthus et, aussi, que la perspicacité de Darwin était utilisée dans le "Darwinisme social" pour justifier le statu quo de la société victorienne, la grande richesse pour quelques-uns et, pour les pauvres, la prison, les foyers de travail, la maladie, la famine ou à l'émigration. Dans son introduction à La Dialectique de la Nature, Engels dégage certaines implications : «Darwin ne savait pas quelle amère satire de l'humanité il écrivait (...) quand il montrait que la libre concurrence, la lutte pour l'existence, célébrée par les économistes comme la plus haute réalisation historique, est l'état normal du règne animal.» C'est seulement «l'organisation consciente de la production sociale» qui peut conduire l'humanité, de la lutte pour la survie à l'extension des moyens de production comme base de la vie, du plaisir et du développement ; et cette "organisation consciente" exige une révolution par les producteurs, la classe ouvrière.

Engels voyait également comment les luttes de l'humanité (et la compréhension marxiste de celles-ci) dépassaient le cadre de Darwin : «la conception de l'histoire comme une série de luttes de classe est déjà bien plus riche dans son contenu et sa profondeur que celle qui se contente de la réduire à des phases de lutte pour l'existence» (La Dialectique de la Nature, notes et fragments).

Cependant, de telles critiques ne remettent pas en cause la place de Darwin dans l'histoire de la pensée scientifique. Dans un discours sur la tombe de Marx, Engels soulignait que «de même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, Marx a découvert la loi du développement de l'histoire de l'humanité».

Le marxisme après le darwinisme

Alors que Darwin a été, tour à tour, à la mode ou démodé dans la pensée bourgeoise (mais pas chez les scientifiques sérieux), l'aile marxiste du mouvement ouvrier ne l'a jamais abandonné.

Plekhanov, dans une note de son livre La Conception moniste de l'histoire (chapitre 5), décrit le rapport entre la pensée de Darwin et celle de Marx : «Darwin a réussi à résoudre le problème de comment se sont créées les espèces végétales et animales dans la lutte pour l'existence. Marx a réussi à résoudre le problème de comment ont surgi différents types d'organisation sociale dans la lutte des hommes pour leur existence. Logiquement, l'investigation de Marx commence précisément là où finit celle de Darwin [...] L'esprit de recherche est absolument le même chez les deux penseurs. C'est pourquoi on peut dire que le marxisme est le darwinisme appliqué à la science sociale.»

Un exemple de l'interdépendance entre le marxisme et les contributions de Darwin se trouve dans le livre Ethique et Conception Matérialiste de l'Histoire de Kautsky. Bien que Kautsky surestime l'importance de Darwin, il s'inspire de son livre La Filiation de l'Homme pour décrire l'importance des sentiments altruistes, des instincts sociaux dans le développement de la morale. Dans le chapitre 5 de La Filiation, Darwin décrit comment « l'homme primitif » s'est socialisé et comment « [les hommes] se seraient mutuellement avertis du danger, et se seraient apportés une aide mutuelle lors des attaques. Tout ceci implique un certain degré de sympathie, de fidélité et de courage ». Il décrit : «quand deux tribus d'hommes primitifs... entraient en compétition, si l'une comprenait (...) un plus grand nombre de membres courageux, bien disposés, et fidèles, toujours prêts à s'avertir du danger, à s'aider et à se défendre mutuellement, nul doute que cette tribu réussirait mieux et vaincrait l'autre. Il faut garder à l'esprit que la fidélité et le courage devaient être de la plus haute importance, dans les guerres incessantes entre sauvages. L'avantage qu'ont des soldats disciplinés sur des hordes indisciplinées provient principalement de la confiance que chaque homme ressent dans ses camarades. (...) Les personnes égoïstes et querelleuses ne s'uniront pas et, sans union, rien ne peut être réalisé.» Sans doute Darwin exagère à quel point les sociétés primitives étaient engagées en guerre permanente les unes contre les autres, mais la nécessité de la coopération comme fondement de la survie n'était pas moins importante dans les activités telles que la chasse et dans la distribution du produit social. C'est l'autre face de la "lutte de pour l'existence", où nous voyons le triomphe de la solidarité et de la confiance mutuelles sur la division et l'égoïsme.

De Darwin à un avenir communiste

Anton Pannekoek était non seulement un grand marxiste, mais aussi un astronome de renom (un cratère de la face cachée de la lune et un astéroïde portent son nom). Aucune discussion sur "marxisme et darwinisme" ne serait complète sans faire référence à son texte de 1909 du même nom (que nous allons republier dans la Revue internationale).

En premier lieu, Pannekoek affine notre compréhension du rapport entre le marxisme et le darwinisme. «La lutte pour l'existence, formulée par Darwin et soulignée par Spencer, exerce un effet différent sur les hommes et sur les animaux. Le principe selon lequel la lutte conduit au perfectionnement des armes utilisées dans les conflits, mène à des résultats différents chez les hommes et chez les animaux. Chez l'animal, il mène à un développement continu des organes naturels  ; c'est la base de la théorie de la filiation, l'essence du darwinisme. Chez les hommes, il mène à un développement continu des outils, des moyens de production. Ceci est, cependant, le fondement du marxisme. Ici nous voyons que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes, chacune s'appliquant à son domaine spécifique, sans rien avoir en commun avec l'autre. En réalité, le même principe est à la base des deux théories. Elles forment une unité. La nouvelle direction prise par les hommes, la substitution des outils aux organes naturels, fait se manifester ce principe fondamental différemment dans les deux domaines ; celui du monde animal se développe selon les principes darwiniens, alors que pour l'humanité le principe marxiste s'applique.»

Pannekoek a également développé l'idée de l'instinct social sur la base des contributions de Kautsky et de Darwin :

«Le groupe chez qui l'instinct social est le mieux développé pourra se maintenir sur son territoire, alors que le groupe chez qui l'instinct social est peu développé, soit deviendra une proie facile pour ses ennemis, soit ne sera pas en mesure de trouver les endroits favorables à son alimentation. Ces instincts sociaux deviennent donc les facteurs les plus importants et les plus décisifs qui déterminent qui survivra dans la lutte pour l'existence. C'est à cause de cela que les instincts sociaux ont été élevés à la position de facteurs prédominants.»

«Les animaux sociaux sont en mesure de battre ceux qui mènent la lutte individuellement.»

La distinction entre les animaux et l'homo sapiens réside, entre autres, dans la conscience.

«Tout ce qui s'applique aux animaux sociaux s'applique également à l'homme. Nos ancêtres simiesques et les hommes primitifs qui se sont développés à partir d'eux étaient tous sans défense, de faibles animaux qui, comme presque tous les singes, vivaient dans des tribus. Ici, ce sont les mêmes motivations sociales, les mêmes instincts sociaux qui ont dû apparaître, qui, plus tard, se sont transformés en sentiments moraux. Que nos coutumes et notre morale ne soient rien d'autre que des sentiments sociaux, des sentiments que nous rencontrons chez les animaux, est connu de tous ; même Darwin a parlé des " habitudes des animaux qu'on appellerait morale chez les hommes". La différence se trouve seulement dans le niveau de conscience ; dès que ces sentiments sociaux deviennent clairs pour les hommes, ils prennent le caractère de sentiments moraux.»

Pannekoek critique aussi le "Darwinisme Social" quand il montre comment les "darwinistes bourgeois" sont tombés dans un cercle vicieux - le monde décrit par Malthus et Hobbes est, sans surprise, semblable au monde décrit par Hobbes et Malthus ! : «Sous le capitalisme, l'humanité ressemble la plupart du temps au monde des animaux rapaces et c'est pour cette raison même que les darwinistes bourgeois ont recherché le prototype humain chez les animaux qui vivent en solitaires. Ils y étaient conduits par leur expérience. Leur erreur, cependant, a consisté dans le fait qu'ils considéraient les conditions capitalistes comme éternelles. Le rapport qui existe entre notre système capitaliste concurrentiel et les animaux solitaires a été exprimé par Engels dans son livre, L'Anti-Dühring, comme suit :

'En fin de compte, l'industrie moderne et l'ouverture du marché mondial ont rendu la lutte universelle et, en même temps, lui ont imprimé un violence inconnue jusqu'ici. Maintenant ce sont les avantages des conditions, naturelles ou artificielles, qui décident de l'existence ou non des capitalistes individuels ainsi que de toute une série d'industries et de pays. Celui qui échoue, est rejeté sans merci. C'est la lutte darwinienne pour l'existence de l'individu, transposée de la nature dans la société avec une rage décuplée. La condition de l'animal dans la nature apparaît comme l'apogée du développement humain'».

Mais les conditions capitalistes ne sont pas éternelles, et la classe ouvrière a la capacité de les renverser et d'en finir avec la division de la société en classes aux intérêts antagoniques. «Avec l'abolition des classes, l'ensemble du monde civilisé deviendra une grande communauté productive. Au sein de cette communauté, la lutte qui opposait ses membres cessera et se transformera en lutte avec le monde extérieur. Ce ne sera plus une lutte contre notre propre espèce, mais une lutte pour la subsistance, une lutte contre la nature. Mais, grâce au développement de la technique et de la science, on ne pourra pas vraiment appeler cela une lutte. La nature est subordonnée à l'homme et, avec très peu d'efforts de la part de celui-ci, elle le pourvoira en abondance. Ici, une nouvelle vie s'ouvre à l'humanité : le dégagement de l'homme du monde animal et son combat pour l'existence au moyen d'outils arrivent à leur terme, et un nouveau chapitre de l'histoire de l'humanité commence.»

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GRÈVES EN GRANDE BRETAGNE: Les ouvriers commencent à remettre en cause le nationalisme

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La vague de grèves non-officielles initiée par la lutte des ouvriers de la construction et de l'entretien à la raffinerie du groupe Total de Lindsey a été une des luttes les plus importantes de ces vingt dernières années.

Des milliers d'ouvriers du bâtiment d'autres raffineries et de centrales électriques ont cessé le travail en solidarité. Des meetings de masse ont été organisés et tenus de façon régulière. D'autres ouvriers du bâtiment, de l'acier, des docks ou au chômage, ont rejoint les piquets de grève et les manifestations qui ont eu lieu devant différents sites. Les ouvriers n'étaient pas le moins du monde troublés par la nature illégale de leurs actions car ils exprimaient leur solidarité envers leurs camarades en lutte, leur colère devant la vague grandissante de licenciements et l'incapacité du gouvernement à y remédier. Lorsque 200 ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint la lutte, celle-ci a atteint son plus haut point par la remise en cause du nationalisme qui avait marqué le mouvement depuis le début.

Le licenciement de 300 ouvriers sous-traités à la raffinerie de Lindsey, le projet d'engager un autre sous-traitant employant 300 ouvriers italiens et portugais (dont le salaire est inférieur car indexé sur le salaire de leur pays d'origine), et l'annonce qu'aucun ouvrier britannique ne serait inclus dans ce nouveau contrat a propagé la colère comme un traînée de poudre parmi les ouvriers du bâtiment. Depuis des années, on assiste à un recours croissant à l'exploitation d'ouvriers étrangers sous contrat, généralement avec des salaires beaucoup plus bas et des conditions de travail bien pires, avec pour résultat direct l'accentuation de la concurrence entre ouvriers pour avoir du travail, et une pression exercée sur tous les ouvriers vers des baisses de salaires et une détérioration plus forte des conditions de travail. Tout cela, combiné avec la vague de licenciements dans l'industrie du bâtiment et ailleurs du fait de la récession, a généré la profonde combativité qui a trouvé son expression dans ces luttes récentes.

Depuis le début, le mouvement s'est trouvé face à une question fondamentale, non seulement pour les grévistes impliqués aujourd'hui mais pour toute la classe ouvrière maintenant et pour demain : est-il possible de se battre contre le chômage et toutes les autres attaques en s'identifiant comme "ouvriers britanniques" et s'en prendre aux "ouvriers étrangers", ou devons-nous nous considérer comme des ouvriers, avec des intérêts communs avec tous les autres ouvriers, d'où qu'ils viennent ? C'est une question profondément politique, que ce mouvement devait prendre à bras-le-corps.

Dès le début, la lutte est apparue dominée par le nationalisme. On pouvait voir aux actualités des images d'ouvriers avec des pancartes faites-maison réclamant "des emplois britanniques pour les ouvriers britanniques" ("British job for British workers") et les bannières syndicales de chaque corporation déployaient le même slogan. Les syndicats officiels défendaient et reprenaient plus ou moins le mot d'ordre ; les médias parlaient d'une lutte contre les ouvriers étrangers et ont trouvé des ouvriers qui partageaient cette opinion.. Ce mouvement de grèves sauvages aurait potentiellement pu s'engluer dans le poison du nationalisme et s'orienter en défaite cuisante pour la classe ouvrière, les ouvriers s'opposant les uns aux autres, avec des ouvriers défendant en masse les cris de ralliement nationalistes et appelant à ce que le travail soit donné aux ouvriers "britanniques", tandis que les ouvriers portugais et italiens perdaient le leur. La capacité de toute la classe ouvrière à se battre aurait alors été affaiblie et la capacité de la classe dominante d'attaquer et diviser les ouvriers aurait été renforcée.

La couverture médiatique (et ce que certains ouvriers pouvaient dire) a permis de faire croire que les revendications des ouvriers de Lindsey étaient "Des boulots britanniques pour les ouvriers britanniques". Mais ce n'était pas le cas. Ainsi, la BBC a trafiqué et tronqué sans vergogne par exemple l'interview d'un gréviste, ensuite largement diffusée en boucle à l'appui de la thèse de la « xénophobie du mouvement » en lui faisant dire : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens » alors que sur une autre chaîne de moindre audience, l'interview réelle prenait un tout autre sens : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens ; on est complètement séparés d'eux, ils viennent avec leur propre compagnie », ce qui signifie qu'il était impossible de les côtoyer parce qu'ils étaient tenus volontairement à l'écart de la main-d'oeuvre locale. En l'occurrence, la BBC a servi de porte-parole servile à un gouvernement et à une bourgeoisie effayés face au renouveau de la combativité et de la solidarité ouvrières et face au danger d'extension de la lutte. Les revendications discutées et votées dans les meetings de masse n'ont pas repris le mot d'ordre ni manifesté d'hostilité envers les ouvriers étrangers, contrairement aux images de propagande largement diffusées et relayées dans les médias à l'échelle internationale..! Ces revendications ont plutôt exprimé des illusions sur la capacité des syndicats à empêcher les patrons de monter les ouvriers les uns contre les autres, mais sans nationalisme manifeste.

Le nationalisme fait partie intégrante de l'idéologie capitaliste. Chaque bourgeoisie nationale ne peut survivre qu'en entrant en compétition avec ses rivales économiquement et militairement. La culture, les médias, l'éducation, l'industrie du sport, toute cette idéologie bourgeoise répand son poison sans cesse de façon à lier la classe ouvrière à la nation. Les ouvriers ne peuvent échapper à l'infestation de cette idéologie. Mais ce qui est crucial dans ce mouvement est que ce poids du nationalisme s'est trouvé remis en question alors que les ouvriers s'attaquaient dans la lutte à la question de de la défense élémentaire de leurs conditions de vie et de travail, de leurs intérêts matériels de classe.

Le mot d'ordre nationaliste " Du boulot britannique pour les ouvriers ritanniques", volé au Parti National Britannique (British National Party, équivalent du FN en France) par le « travailliste »  Gordon Brown, a au contraire suscité beaucoup de malaise et de réflexion chez les ouvriers et dans la classe ouvrière. De nombreux grévistes ont déclaré qu'ils n'étaient pas racistes, que leur lutte n'avait rien à voir avec la question de l'immigration ou qu'ils ne soutenaient pas le BNP, qui a même été chassé par les ouvriers, alors qu'il tentait de s'infiltrer dans leur grève.

Tout en rejetant le BNP, beaucoup d'ouvriers interviewés à la télé essayaient de toute évidence de réfléchir à la signification de leur combat. Ils n'étaient pas contre les ouvriers étrangers, ils devaient travailler à l'étranger eux aussi, mais ils se trouvaient au chômage ou voulaient que leurs enfants puissent travailler aussi et donc ressentaient la nécessité que le boulot aille d'abord aux ouvriers "britanniques". Ces mots empoisonnés ont été relancés au visage de Gordon Brown en voulant souligner ironiquement et dénoncer le caractère purement démagogique et mensonger de ses promesses. Mais de telles visions finissent toujours par se retourner contre les ouvriers eux-mêmes en les enfermant dans une division en tant que "britanniques" ou "étrangers", niant leur intérêt commun de classe, et les ligotent dans le piège du nationalisme.

Cependant, des ouvriers ont clairement souligné à cette occasion les intérêts communs à tous les prolétaires, signe qu'un processus de réflexion est en train de naître et ils ont dit qu'ils voulaient que tous les ouvriers, de quelque origine qu'ils soient aient du travail. "J'ai été licencié de mon emploi de docker il y a deux semaines. J'ai travaillé à Cardiff and Barry Docks pendant 11 ans et je suis venu aujourd'hui ici dans l'espoir de secouer le gouvernement. Je pense que tout le pays devrait être en grève alors que nous perdons toute l'industrie britannique. Mais je n'ai rien contre les ouvriers étrangers. Je ne peux les blâmer de venir chercher du travail ici." (Guardian On-line du 20 janvier 2009) Il y a également eu des ouvriers qui défendaient le fait que le nationalisme constituait un réel danger. Un ouvrier travaillant à l'étranger est intervenu sur un forum Internet des ouvriers du bâtiment sur les divisions nationales utilisées par les patrons : "Les médias qui ont attisé les éléments nationalistes se retournent à présent sur vous, montrant les manifestants sous la pire lumière possible. Le jeu est fini. La dernière chose que les patrons et le gouvernement veulent, c'est que les ouvriers britanniques s'unissent avec les ouvriers d'au-delà des mers. Ils pensent qu'ils peuvent nous rendre idiots et nous pousser à nous battre les uns contre les autres. Cela leur donnera froid dans le dos que nous ne le fassions pas." Dans un autre mail, il reliait la lutte avec celles de France et de Grèce et la nécessité de liens internationaux : "Les manifestations massives en France et en Grèce ne sont que des signes précurseurs de ce qui va venir. A-t-on jamais pensé à contacter et construire des liens avec ces ouvriers et renforcer un large mouvement de protestation en Europe contre le fait que des ouvriers se font entuber ? Cela résonne comme une meilleure option que d'avoir les parties réellement coupables, cette cabale de patrons, de vendus de leaders syndicaux, et du New Labour, qui profitent de la classe ouvrière." (Thebearfacts.org). D'autres ouvriers d'autres secteurs sont aussi intervenus sur ce forum pour s'opposer aux mots d'ordre nationalistes.

La discussion parmi les ouvriers engagés dans la grève, et dans la classe en général, sur la question des mots d'ordre nationalistes atteignit une nouvelle phase le 3 février lorsque 200 ouvriers polonais rejoignirent 400 autres ouvriers dans une grève sauvage en soutien aux ouvriers de Lindsey, à la centrale en construction de Langage à Plymouth. Les médias firent leur possible pour cacher cet acte de solidarité internationale : la station télévisée locale de la BBC n'en faisait aucune mention et au niveau national encore moins. Le black-out a été total.

La solidarité des ouvriers polonais a été particulièrement importante car l'année dernière, ils avaient été impliqués dans une grève similaire. 18 ouvriers avaient été licenciés et d'autres ouvriers avaient cessé le travail en solidarité, y compris les ouvriers polonais. Le syndicat avait essayé d'en faire une grève contre la présence de travailleurs étrangers, mais la détermination des ouvriers polonais avait complètement fait avorter cette tentative. Les ouvriers de Langage ont ainsi lancé cette nouvelle lutte en étant avertis de comment les syndicats s'étaient servis du nationalisme pour essayer de diviser la classe ouvrière. Le lendemain du jour où ils avaient participé à un meeting de masse à Lindsey avec une banderole proclamant : "Centrale électrique de Langage - Les ouvriers polonais ont rejoint la grève : Solidarité", ce qui impliquait que quelques ouvriers polonais avaient fait le voyage de 7 heures pour être là, ou qu'au moins un ouvrier de Lindsey voulait mettre en lumière leur action.

Dans le même temps, on put voir une banderole du piquet de grève de Lindsey appelant les ouvriers italiens à se joindre au mouvement de grève - elle était écrite en anglais et en italien - et on sait que certains ouvriers portaient des pancartes où était inscrit : "Ouvriers du monde entier, unissez-vous !" (The Guardian du 5 février 2009). En bref, on a pu voir les débuts d'un effort conscient de certains ouvriers, à l'opposé des réactions nationalistes, racistes et xénophobes qu'on leur prêtait, pour développer et mettre en avant un véritable internationalisme ouvrier, un pas qui ne peut conduire qu'à plus de réflexion et de discussion dans la classe ouvrière.

Tout ceci a posé la question de porter la lutte à un autre niveau, qui devait remettre directement en cause la campagne pour la présenter comme une réaction nationaliste. L'exemple des ouvriers polonais a fait apparaître la perspective de milliers d'autres ouvriers étrangers rejoignant la lutte sur les plus grands sites en construction de Grande-Bretagne, tels ceux de l'Est de Londres pour les Jeux olympiques. Il y avait aussi le danger que les médias ne puissent cacher les slogans internationalistes. Ce qui aurait brisé la barrière nationaliste que la bourgeoisie s'est efforcée de dresser entre les ouvriers en grève et le reste de la classe. Il n'est pas surprenant que la lutte ait été aussi rapidement résolue. En 24 heures, les syndicats, les patrons et le gouvernement se sont mis d'accord alors qu'ils avaient annoncé précédemment que la résolution de ce conflit prendrait des jours, voire des semaines et ont promis non seulement l'embauche de 102 « ouvriers britanniques » mais l'annulation de leur décision précédente du renvoi des travailleurs portugais et italiens vers leur pays d'origine. Comme un gréviste le rapportait, "pourquoi devrions-nous nous battre seulement pour avoir du travail ?".

En une semaine, nous avons vu les grèves sauvages les plus importantes depuis des décennies, les ouvriers tenant des meetings de masse et engageant des actions de solidarité illégales sans un moment d'hésitation. Une lutte qui aurait pu plonger dans le nationalisme a commencé à remettre en question ce poison. Cela ne veut pas dire que le danger soit écarté : c'est un danger permanent, mais ce mouvement a donné aux luttes futures la possibilité de tirer d'importantes leçons. Le fait de voir des banderoles proclamant "Ouvriers de tous les pays, unissez-vous!" devant un piquet de grève supposé nationaliste ne peut qu'inquiéter la classe dominante sur ce qui l'attend dans l'avenir.

Phil  / 07.02.2009

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [1]

Crise économique : la seule réponse est le développement de nos luttes!

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"Les économistes n'y comprennent plus rien, ils sont perdus" titrent les médias, à la recherche de réponses et de solutions à la crise économique actuelle qui déferle sur le monde comme un tsunami. Seules des injections massives de crédits sur les marchés financiers et des déficits tout aussi colossaux ont permis à la bourgeoisie de provisoirement éviter une implosion totale du système financier dans la plupart des pays centraux. Mais ceci ne résout pas en fin de compte la crise historique sous-jacente de son système.

Internationalement, elle ne peut plus cacher que le monde est confronté à l'effondrement le plus brutal depuis la Dépression des années 1930. Le Japon et l'Allemagne connaissent des baisses inouïes de leurs exportations et de leur production industrielle. Une grande partie de l'Europe occidentale frise une catastrophe «à l'islandaise»: la Grèce, l'Irlande, l'Italie, l'Espagne, l'Autriche et la Belgique font la queue. Les "marchés émergents" montrent également des signes de tension -rien qu'en Chine, les licenciements se chiffrent en dizaines de millions-, ces économies étant atteintes par le même Tsunami. L'OCDE et le FMI prévoient que l'économie mondiale comme un tout va se contracter cette année; du jamais vu aujourd'hui depuis la seconde guerre mondiale.

Quarante ans après la fin du boom économique d'après-guerre, il s'avère que toutes les formes de politique menées par la bourgeoisie ont échoué. Des décennies d'intervention étatique (le capitalisme d'État) ont eu pour seul résultat de mener la bourgeoisie au gouffre. Le mécanisme le plus important pour maintenir la demande -toujours plus de crédit- face à la surproduction massive a mené l'économie à un état qu'on pourrait comparer à celui d'un patient qui aurait pris trop d'antibiotiques: l'efficacité du traitement est réduit à zéro. Plus grave encore, le crédit est devenu une partie du problème: l'ensemble du système est maintenant littéralement en faillite.

Tous prétendent en chœur qu'il ne s'agit que d'une crise "temporaire", "cyclique". Tous tablent sur une reprise qui devrait arriver dans quelques mois ou quelques années, dépendant de "l'effort" que nous devons consentir «tous ensemble». Le sommet du G20, qui s'est tenu le 2 avril à Londres, a également été présenté comme une étape intermédiaire vers la reprise. "Le jour où le monde s'est réuni pour riposter contre la récession globale, non avec des discours, mais avec un plan pour une reprise globale" (déclaration du premier ministre britannique Gordon Brown). Mais la crise de surproduction actuelle a ses racines, non comme le prétendent les érudits de l'économie dans une sorte de "déséquilibre" temporaire de l'économie mondiale, mais dans les relations sociales fondamentales du capitalisme, où par définition la grande masse de la population est productrice de la "plus-value", qui ne peut se réaliser que par un élargissement constant du marché. Devenu incapable de s'étendre et de conquérir de nouveaux marchés, le capitalisme a contourné le problème pendant des décennies en remplaçant le véritable marché par le marché artificiel du crédit.

Le monde est basé sur la concurrence pour les marchés. Aujourd'hui, un capitaliste ne peut prospérer qu'aux dépens d'un autre, et c'est vrai aussi à l'échelle des nations capitalistes. Bien entendu, elles ont des intérêts communs en tant que classe exploiteuse: elles travaillent ensemble quand il s'agit de maintenir les esclaves salariés dans le rang, et reculent aussi quand des États entiers vont dans le mur, même s'il s'agit de concurrents, surtout parce qu'ils représentent des marchés pour leurs marchandises ou sont leurs débiteurs. Mais elles ne peuvent pas indéfiniment en vase clos continuer à réaliser des profits dans un cercle de ventes réciproques, et c'est pour cela qu'elles sont touchées par le fléau de la surproduction; le marché se grippe et mène à une vague de faillites, d'effondrement de pans industriels, et à une pandémie de chômage. Pour la classe ouvrière, ceci signifie clairement: une attaque inédite sur l'emploi, les salaires et les conditions de vie, auprès de laquelle les quarante dernières années ressemblent à une oasis de bien-être.

Nous sommes tous touchés

Depuis le début de cette récession, chaque jour un nombre croissant de travailleurs perdent leur emploi, et dans beaucoup de cas, tout moyen de subsistance. Les chiffres officiels du chômage sont trafiqués depuis longtemps et ne donnent plus du tout aujourd'hui une image fiable de la réalité. C'est ainsi que le nombre de temps partiels involontaires s'est envolé (y compris suite à des décisions collectives de faire travailler tout le monde à temps partiel). Un quart des travailleurs en Belgique est au chômage temporaire ou économique. De plus en plus de familles s'enfoncent dans l'endettement et s'en sortent de plus en plus difficilement. Le nombre des allocataires du CPAS a augmenté de 10% en cinq mois. De toute évidence, l'augmentation du chômage est liée à l'augmentation du nombre de sans abri et de la fréquentation des soupes populaires dans tous les centres industriels du monde. Et ceux qui ont encore un emploi vivent dans la crainte permanente d'être victimes des prochaines vagues de "restructurations".

 

Même le mythe des prospères baby-boomers d'après guerre, arrivés à l'âge de la retraite, est de plus en plus une fiction. Les fonds de retraite de beaucoup de travailleurs ont disparu et leurs rêves de vieux jours sans souci partis en fumée. La Belgique connaît déjà les retraites les moins élevées d'Europe, et jusqu'à présent c'était grâce aux taux d'épargne très élevés que subsistait une certaine prospérité, bien que la limite de la misère avait déjà été franchie pour une nombre croissant de seniors. Avec la crise financière, ces taux d'épargne fondent maintenant comme neige au soleil.

Entre-temps, les demandes d'approbation des mesures de restrictions se suivent. Le Haut Conseil des Finances, la Banque Nationale, la coalition gouvernementale, et tant d'autres ténors de la bourgeoisie nationale sont tous d'accord: "une apogée de plans d'austérité va se déferler sur nous de façon ininterrompue et cela pour cinq à dix ans". Les salaires et avantages doivent baisser, la charge de travail doit augmenter. Les retraites, allocations sociales, frais d'études et de soins de santé seront de plus en plus sous pression. Les vacances et autres types d'«absentéismes» rémunérés doivent diminuer ou être remplacés par des absences non payées, tout est dans le collimateur. Et on essaye de vendre tout ça à la classe ouvrière comme une "nécessaire solidarité", où il faudrait partager la misère. Au fond, il s'agit d'une solidarité avec le système capitaliste, et non d'une solidarité réciproque de la classe ouvrière contre les mesures de la bourgeoisie qui veut faire payer sa crise au prolétariat.

L'État ne peut pas nous sauver

Naturellement, nous dit-on, on ne peut pas laisser aller les choses comme c'était le cas dans les dernières décennies. Le "libre marché" va conduire à un effondrement dévastateur comme dans les années 1930. Ce dont nous avons besoin, c'est plus d'intervention étatique: l'avidité des spéculateurs et des banquiers doit être mis sous contrôle, et les banques et d'autres secteurs économiques très importants doivent être nationalisés lorsque les autres moyens échouent. C'est le nouveau "Keynésianisme", présenté comme la solution aux échecs du "néolibéralisme" (voir l'article dans ce journal: L'État est toujours l'ennemi des ouvriers).

Mais croire que le capitalisme peut devenir plus démocratique, plus humain, plus vert grâce à l'intervention de l'État est une illusion. Les relations sociales capitalistes sont par nature inhumaines. Elles sont indissociablement liées à la soif d'accumuler des profits, et là, "les gens ne viennent jamais d'abord". C'est la leçon la plus claire de la crise actuelle: quarante ans d'interventionnisme étatique n'ont pas réussi à résoudre les problèmes inhérents à ce système. La guerre, le chômage massif, la misère et la destruction de l'environnement ne sont pas le résultat de "mauvais gouvernements". Ils sont le produit direct d'un système sénile, un ordre social qui survit depuis longtemps à son utilité pour l'humanité.

Il y a une véritable alternative: la lutte de classes

"Travailler plus longtemps et plus dur pour moins. Plus vite nous accepterons cela, mieux ce sera" (De Standaard, 15.3.09). Voilà le message que tous les médias adressent à la classe ouvrière en Belgique.

Non! La résistance n'est pas futile! Résister aux attaques économiques et à la répression politique du capitalisme, résister à ses campagnes idéologiques empoisonnées est l'unique point de départ d'un mouvement pour véritablement changer le monde.

Et cette résistance est possible: - la récente vague de mouvements parmi les étudiants, les instituteurs et professeurs, les chômeurs et d'autres parties de la classe ouvrière, qui a vu le jour en Europe ces derniers mois, et qui a culminé en Grèce en décembre; - les grèves sauvages dans les raffineries de pétrole en Grande-Bretagne (voir dans ce journal); - les occupations d'usines contre les licenciements en France, Grande-Bretagne et Irlande; - les grèves massives en Égypte, au Bangladesh, dans les Antilles; - les émeutes de la faim dans de nombreux pays. Autant de signes de mécontentement social réel et massif, à une échelle internationale toujours plus large. Les mêmes signes se retrouvent dans le nombre croissant de jeunes qui discutent des idées révolutionnaires via Internet, forment des cercles de discussion, remettent en question les fausses solutions offertes par les médias dominants et les gauchistes.

Pour les révolutionnaires, il n'existe qu'une solution à la crise, c'est de jeter une fois pour toutes le capitalisme aux poubelles de l'histoire. Mais cela ne se passera pas automatiquement. Une révolution sociale destinée à surmonter l'exploitation de l'homme par l'homme, la division de la société en classes, l'existence de nations... ne peut qu'être le produit d'un effort conscient et collectivement organisé du prolétariat mondial. Confrontés à des attaques impitoyables, les ouvriers doivent répondre en conséquence, au coup par coup en refusant la logique du capitalisme et en développant la lutte de classes jusqu'au bout de ses limites. Ils doivent forger un rapport de forces basé sur l'unité et la véritable solidarité de classe, sous leur propre contrôle.

Lac / 13.4.09

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [2]

De la gauche à la droite, tous appellent l'Etat à l'aide : les Etats sont toujours les ennemis des ouvriers

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Ces dernières semaines, les annonces successives de parachutes dorés, de stock-options, de primes, bonus ou de salaires versés aux grands patrons ont fait scandale. Il n'y a ici rien de nouveau sous le soleil. Le capitalisme est un système où une minorité exploite la majorité.

Mais il est vrai que, par ces temps de crise, voir d'un côté les ouvriers se serrer la ceinture, être licenciés et jetés comme des kleenex et, de l'autre, des grands patrons se remplir les poches est encore plus révoltant qu'à l'accoutumée. Ces annonces de millions d'euros attribués aux grands patrons ont provoqué, légitimement, un profond sentiment de dégoût.

Une situation aussi révoltante et provocatrice peut très bien pousser les travailleurs à la lutte. La bourgeoisie ne pouvait donc rester sans réagir. Ainsi elle s'est drapé de sa plus belle hypocrisie pour taper du poing sur la table, dénoncer ces "patrons-voyous" et à l'aide du code Lippens, elle veut restreindre les parachutes dorés et brider les indemnités des top managers. "L'indignation sur les bonus n'est pas du populisme mais un tant soit peu une décence sociale élémentaire et un sens de la norme moral"dit-elle.

Bref, l'État vient au secours de la classe ouvrière!

L'Etat est le pire des patrons

" Plusieurs pays ont déjà pris des mesures pour mettre un frein aux primes et aux bonus élevés que les cadres des firmes financières indigentes s'approprient encore toujours" (edito dans De Standaard, 31/3/09). Cette ritournelle en effet est reprise en chœur par tous les hauts dirigeants de la planète. D'Obama à Merkel, de Zapatero à Brown, tous promettent que les Etats vont intervenir pour "moraliser" l'économie. C'est même l'un des principaux buts affichés par le G20.

Il est donc nécessaire de rappeler une vérité toute simple : pour les prolétaires, l'Etat est depuis toujours le pire des patrons ! Qui mène sans cesse des attaques générales contre les conditions de vie de la classe ouvrière ? Qui a réduit l'accès aux soins, augmenté l'âge de départ à la retraite et diminué les pensions? Qui a rendu impossible la vie aux chômeurs en les culpabilisant, en les radiant massivement des statistiques officielles et en restreignant leurs droits ? Qui a, de plus en plus instauré des contrats"poubelle" précaire? L'Etat, toujours l'Etat et encore l'Etat !

 

Pourtant, il existe encore aujourd'hui dans les rangs ouvriers beaucoup d'illusions sur la nature de cet organe bourgeois. La raison en est la croyance, inculquée et entretenue par la gauche, les syndicats et tous les gauchistes. Et l'intérêt soudain de la bourgeoisie pour Marx  ne sert qu'à entretenir cette illusion : « Karl Marx le disait déjà: L'État est  entièrement de retour. Même les néolibéraux les plus acharnés plaident maintenant pour la nationalisation »." (De Standaard 1/3/09). Ainsi après la Seconde Guerre mondiale, l'État aurait pris des mesures pour le bien-être de la classe ouvrière (la création de la Sécurité sociale par exemple). Ainsi s'entretient l'illusion que des nationalisations massives pourraient permettre une amélioration des conditions ouvrières, et c'est d'ailleurs le programme actuel de toute l'extrême-gauche. En voici une poignée d'exemples :"Une banque d'Etat est un premier acte  faisable pour contrer la crise à court terme. Tu ne peux pas tout de suite nationaliser l'entièreté du secteur financier- bien que ce soit à terme sûrement une option."  (De Standaard, 1/3/09, E. DeBruyn, président Sp.a Rood). "C'est pourquoi nous disons qu'il faut une nationalisation totale du secteur financier. » (Alternative Socialiste, avril 09 PSL), « Le PTB veut une banque publique » (Solidaire, 26 mars 09 PTB). Contrairement à ces mensonges traditionnels de la gauche et de l'extrême-gauche, les nationalisations n'ont jamais été une bonne mesure économique pour le prolétariat. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l'appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. Il ne faut pas oublier les paroles de Thorez, secrétaire général du Parti "communiste" français et alors vice-président du gouvernement dirigé par De Gaulle, qui lança à la face de la classe ouvrière, et tout particulièrement à celle des travailleurs des entreprises publiques : "Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront", ou : "Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !" ou encore : "La grève est l'arme des trusts". Bienvenue dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées !

 

Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l'expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle viscéralement anti-prolétarien de l'État : "L'État moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble" (F. Engels en 1878)  (1).

L'État ne peut pas sauver l'économie capitaliste

La nouvelle vague de nationalisations, qui a effectivement commencé dans le secteur bancaire et dans l'automobile aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, n'apportera donc rien de bon à la classe ouvrière. Elle ne permettra pas non plus à la bourgeoisie de renouer avec une véritable croissance durable. Au contraire ! Ces nationalisations annoncent des bourrasques économiques à venir encore plus violentes.

 

En effet, en 1929, les banques américaines qui ont fait faillite ont sombré avec les dépôts d'une grande partie de la population américaine, plongeant dans la misère des millions d'ouvriers. Dès lors, pour éviter qu'une telle débâcle ne se reproduise, le système bancaire avait été séparé en deux : d'un côté, les banques d'affaires qui financent les entreprises et qui travaillent sur les opérations financières en tout genre, de l'autre, les banques de dépôt qui reçoivent l'argent des déposants et qui s'en servent pour des placements relativement sécurisés. Or, emportées par la vague de faillites de l'année 2008, ces banques d'affaires américaines n'existent plus. Le système financier américain s'est recomposé tel qu'il était avant le 24 octobre 1929 ! A la prochaine bourrasque, toutes les banques "rescapées" grâce aux nationalisations partielles ou totales risquent à leur tour de disparaître mais en emportant cette fois-ci les maigres économies et les salaires des familles ouvrières. Aujourd'hui, si la bourgeoise nationalise, ce n'est pas pour suivre un quelconque nouveau plan de relance économique mais pour éviter l'insolvabilité immédiate des mastodontes de la finance ou de l'industrie. Il s'agit d'éviter le pire, de sauver les meubles (2).

Mais, si ce n'est à travers ses plans de relance, l'État peut-il tout de même être LE sauveur en relançant l'économie à coup de milliards de dollars ? Eh bien, non ! Cette espérance se base sur l'idée qu'un Etat ne peut pas faire faillite, qu'il peut donc sortir indéfiniment de l'argent de sa poche (ou plutôt de ses planches à billets). Ben Bernanke, l'actuel président de la Fed (la Banque centrale américaine), avait ainsi prononcé un discours le 21 novembre 2002 qui est resté célèbre : il affirmait qu'en cas de crise aux Etats-Unis, il suffisait d'"imprimer de l'argent à l'infini et le déverser par hélicoptère" .

Quand un particulier fait faillite, il perd tout et il est jeté à la rue. L'entreprise, elle, met la clef sous la porte. Mais un État ? Un État peut-il faire faillite ? Après tout, nous n'avons jamais vu d'État "fermer boutique". Pas exactement, en effet. Mais être en cessation de paiement, oui ! En 1982, quatorze pays africains sur-endettés ont été contraints de se déclarer officiellement en cessation de paiement. Dans les années 1990, des pays d'Amérique du Sud et la Russie ont fait eux aussi défaut. Plus récemment, en 2001, l'Argentine s'est à son tour écroulée. Concrètement, ces États n'ont pas cessé d'exister, l'économie nationale ne s'est pas arrêtée non plus. Par contre, chaque fois, il y eu une sorte de séisme économique : la valeur de la monnaie nationale a chuté, les prêteurs (en général d'autres États) ont perdu tout ou partie de leur investissement et, surtout, l'État a réduit drastiquement ses dépenses en licenciant une bonne partie des fonctionnaires et en cessant de payer pour un temps ceux qui restaient.

Aujourd'hui, de nombreux pays sont au bord d'un tel gouffre : l'Equateur, l'Islande, l'Ukraine, la Serbie, l'Estonie, etc. Plus proche encore l'UE a récemment développé un plan de secours par rapport à la profonde crise finacière de quatre de ses pays-menbre: l'Irlande, la Grèce, l'Autriche et... la Belgique. J. L. Dehaene confirme que « Si on n'y [l'union monétaire européenne] était pas, nous serions comme l'Islande, aujourd'hui, un pays en faillite. » (La Vif/L'Express 27/3/09) Mais qu'en est-il des grandes puissances ? Le gouverneur de Californie, A. Schwarzenegger, a déclaré fin décembre que son État se trouvait en "état d'urgence fiscale". Ainsi, le plus riche des Etats américains, le "Golden State", s'apprête à licencier une bonne partie de ses 235 000 fonctionnaires! En présentant ce nouveau budget, l'ex-star d'Hollywood a averti que "chacun devra consentir des sacrifices". C'est ici un symbole éloquent des difficultés économiques profondes de la première puissance mondiale. Nous sommes encore loin d'une cessation de paiement de l'État américain, mais cet exemple montre clairement que les marges de manœuvre financières sont actuellement très limitées. L'endettement mondial semble arriver à saturation (il était de 60 000 milliards de dollars en 2007 et a encore gonflé de plusieurs milliers de milliards depuis) ; contrainte de poursuivre dans cette voie, la bourgeoisie va donc provoquer des secousses économiques dévastatrices. Tous les économistes de la planète en appellent à un new New Deal, rêvant de voir en Obama le nouveau Roosevelt, capable de relancer l'économie, comme en 1933, par un immense plan de grands travaux publics financé... à crédit. Mais le plan d'Obama annoncé début 2009 est, aux dires mêmes des éco­nomistes, "bien décevant" : 775 milliards vont être débloqués pour à la fois permettre un "cadeau fiscal" de 1000 dollars aux foyers américains (95 % de ces foyers sont concernés), afin de les inciter à "se remettre à dépenser" et lancer un programme de grands travaux dans le domaine de l'énergie, des infrastructures et de l'école. Ce plan devrait, promet Obama, créer trois millions d'emplois "au cours des prochaines années". L'économie américaine détruisant en ce moment plus de 500 000 emplois par mois, ce nouveau New Deal (même s'il fonctionne au mieux des prévisions, ce qui est très peu probable) est donc encore vraiment loin du compte.

Des plans d'endettement étatique équivalents au New Deal, la bourgeoisie en lance régulièrement depuis 1967, sans véritable succès. L'endettement des ménages, des entreprises ou des États, n'est qu'un palliatif, il ne guérit pas le capitalisme de la maladie de la surproduction  (3) ; il permet tout au plus de sortir momentanément l'économie de l'ornière mais toujours en préparant des crises à venir plus violentes. Et pourtant, la bourgeoisie va poursuivre cette politique désespérée car elle n'a pas d'autre alternative, comme le montre, une énième fois, la déclaration du 8 novembre 2008 d'Angela Merkel à la Conférence internationale de Paris : "Il n'existe aucune autre possibilité de lutter contre la crise que d'accumuler des montagnes de dettes" ; ou encore la dernière intervention du chef économiste du FMI, Olivier Blanchard : "Nous sommes en présence d'une crise d'une amplitude exceptionnelle, dont la principale composante est un effondrement de la demande [...] Il est impératif de relancer [...] la demande privée, si l'on veut éviter que la récession ne se transforme en Grande dépression". Comment ? "par l'augmentation des dépenses publiques".

 

La montagne de dettes accumulées durant quatre décennies s'est transformée en véritable Everest et rien ne peut aujourd'hui empêcher le capital d'en dévaler la pente. L'état de l'économie est réellement désastreux. Cela dit, il ne faut pas croire que le capitalisme va s'effondrer tout seul d'un coup. La bourgeoisie ne laissera pas SON système disparaître; elle tentera désespérément, et par tous les moyens, de prolonger l'agonie de son système, sans se soucier des maux infligés à l'humanité. Mais ce qui est certain, c'est que la crise historique du capitalisme vient de changer de rythme. Après quarante années d'une lente descente aux enfers, l'avenir est aux soubresauts violents, aux spasmes économiques récurrents frappant non plus les seuls pays du tiers-monde ou de l'ex bloc de l'est  mais aussi les États-Unis, l'Europe, et les économies émergentes en Asie...Alors, la bourgeoisie peut bien aujourd'hui tenter de nous bercer de douces illusions en nous faisant croire que les Etats ont l'économie en main et qu'ils vont dorénavant s'attacher à "moraliser" le capitalisme. La réalité, c'est que dans tous les pays, les Etats, de droite comme de gauche, seront les fers de lance des attaques anti-ouvrières à venir

Jennifer&Lac /13.04

1) In l'Anti-Duhring, Ed. Sociales 1963, p.318.

2) Ce faisant, elle crée un terrain plus propice au développement des luttes. En effet, en devenant leur patron officiel, les ouvriers auront tous face à eux dans leur lutte directement l'Etat. Dans les années 1980 et 1990, la vague importante de privatisation des grandes entreprises avait constitué une difficulté supplémentaire pour dévoyer la lutte de classe. Non seulement les ouvriers étaient appelés par les syndicats à se battre pour sauver les entreprises publiques ou, autrement dit, pour être exploités par un patron (l'Etat) plutôt qu'un autre (privé), mais en plus ils se confrontaient non plus au même patron (l'Etat) mais à une série de patrons privés différents. Leurs luttes étaient souvent éparpillées et donc impuissantes. A l'avenir, au contraire, le terreau sera plus fertile aux luttes d'ouvriers unis contre l'Etat.

3) Pour comprendre plus en profondeur la crise économique, lire notre article "La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme".

Questions théoriques: 

  • Décadence [3]

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Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne [2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-belgique [3] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence