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Internationalisme no.334

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Birmanie: Derrière les appels à la démocratie, les conflits impérialistes

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Fin août, des manifestations ont explosé en Birmanie suite à l'augmentation brutale et drastique des prix de l'énergie : 66% pour l'essence, 100% pour le diesel et plus de 500% pour le gaz ! La raison officielle en était l'augmentation des prix des hydrocarbures mais il s'agissait de faire payer toujours plus à la population l'enfoncement catastrophique du pays dans la crise. L'Etat birman est déjà un des trois pays les plus pauvres de l'Eurasie et a un PIB aussi bas que celui de la Corée du Nord. La crise financière de ces derniers mois et ses répercussions sur l'économie mondiale n'a épargné aucun pays et surtout pas les plus faibles. Cette hausse des prix de l'énergie a provoqué inévitablement une hausse généralisée des prix de première nécessité. Aussi, la colère d'une population pressurée, survivant dans une situation de misère chronique, subissant le joug d'une clique militaire qui la contraint au « travail forcé », c'est-à-dire à l'esclavage, pour laquelle le viol est une pratique systématisée à grande échelle, était grande.

Officiellement, la répression des 26 et 27 septembre aurait fait (mi-octobre) dix morts et il y aurait eu 3000 arrestations tandis que les hommes de main du pouvoir birman poursuivent encore à l‘heure actuelle de véritables chasses à l‘homme sur tout le territoire. Comme tous les observateurs étrangers l‘affirment, le bilan réel est très certainement beaucoup plus lourd, tant la réputation de barbarie de la junte birmane est assise sur une réalité sanglante. Ainsi, lors des manifestations de protestation contre la vie chère de 1988, le bilan de la répression s‘était finalement élevé à 3000 morts, toujours "officiellement", entraînant là aussi la fuite de milliers de personnes vers les frontières.

L‘hypocrisie et le mensonge démocratiques

La "communauté internationale" s‘est élevée avec la plus grande indignation contre cette "atteinte grave à la démocratie". L‘Union européenne n‘a pas cessé d‘annoncer des "sanctions économiques" comme le gel des avoirs à l‘étranger des responsables birmans ou un embargo sur les importations de bois et métaux. L‘ONU, par la voix de son émissaire, Ibrahim Gambari, "déplorait la répression » et, après avoir rencontré le 2 octobre les chefs militaires birmans, sans aucun résultat, proposait de se rendre en Birmanie... "la troisième semaine de novembre". Quant à Bush, il appelait à "une pression internationale énorme" pour contraindre la junte à accepter une "transition vers la démocratie", en regrettant amèrement ne pas être suivi par le reste du monde dans son initiative. Le pompon revenait à Nicolas Sarkozy et à son ministre des Affaires étrangères, le bien connu Bernard Kouchner. Le premier, dans de grands élans humanitaires, "envisageait" de réclamer de Total, qui soutient financièrement le pouvoir birman et en tire des bénéfices juteux pour l‘Etat français, de retenir ses investissements en Birmanie et même de les geler ; le second, auteur d‘un rapport d‘enquête mensonger de 2003 dédouanant la même entreprise  d‘accusations selon lesquelles elle utiliserait le travail forcé de la population en Birmanie, préconisait plutôt d‘intervenir auprès des voisins asiatiques de la Birmanie, dont la Chine, pour qu‘ils fassent pression. Ce qui est certes plus commode et encore plus inutile, mais qui préserve les intérêts français.

La répression, la pauvreté, la misère, l‘exploitation la plus brutale, la classe bourgeoise s‘en contrefiche. Alors pourquoi tout ce battage, pourquoi ces déclarations "révoltées" ? Parce que derrière cette réaction de la bourgeoisie occidentale, il s‘agissait de faire passer ces manifestations et cette lutte de la population contre la misère pour un mouvement pour la démocratie, sous-entendu que, dans les pays démocratiques, on vit forcément mieux. C‘est pour cela que ce n‘est qu‘à partir du moment où les moines bouddhistes sont apparus dans les manifestations, comme en 1988, que la presse a commencé à en parler. C‘est pour cela encore que c‘est l‘opposition au pouvoir en place, incarnée par Aung San Su Kyi, qui a été présentée comme la seule planche de salut. Il ne s‘agissait pas tant de mystifier la faible classe ouvrière birmane que celle des pays occidentaux. Ce grand cirque médiatique fut une nouvelle occasion de leur faire avaler la potion démocratique comme remède à tous leurs maux.

La Birmanie, enjeu impérialiste

Cependant, ces glapissements hypocrites étaient également et surtout dirigés vers la Chine, qui possède une influence grandissante sur le pays.

La plus grande frontière de la Birmanie est celle avec la Chine, son partenaire économique le plus important et fournisseur du gouvernement militaire du général Than Chew. La Chine reconstruit pour l'Etat birman l'ancienne route vers l'Inde.  Elle y a envoyé 40 000 ouvriers de la construction. Des zones entières de la Birmanie sont complètement dominées par son puissant voisin, la langue et la monnaie chinoises y sont même de mise, tout comme si Pékin les dirigeait. La Birmanie fait partie de la stratégie d‘avancée de la Chine vers l‘Océan indien, avec des postes d'écoute et carrément une base navale. Elle est une pièce du "collier de perles" chinois, c‘est-à-dire des satellites-clés de Pékin. Avec une mainmise sur le Boutan (Tibet), la Chine étend de plus en plus son influence sur le Népal, la Birmanie, le Cambodge et le Laos, avec l'objectif de la poursuivre vers le Vietnam et l'Indonésie. Ses ambitions se portent vers l'ouest de l'Asie centrale et le sud de l'Océan indien. Cette montée de la Chine se manifeste ainsi par son agressivité particulière envers le Japon et Taïwan.

Cet intérêt et cette sollicitude des pays occidentaux comme de la Russie, l‘Inde, la France, les Etats-Unis ou encore l‘Australie, ont donc eu fondamentalement comme objectif de contrecarrer l'avancée impérialiste de Pékin et d‘y défendre leurs propres intérêts. Voilà la vraie raison de toutes ces hypocrites tractations "diplomatiques". Voilà quels sordides intérêts se cachent derrière toutes les déclarations « humanistes » des Sarkozy, Bush et consorts!

Wilma / 26.10.07

Géographique: 

  • Asie [1]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [2]

Courriers d'un lecteur: Che Guevara, mythe et réalité

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Il y a quelques mois déjà, nous avons reçu sur notre boîte Internet(1) deux messages concernant Che Guevara d'un camarade se nommant E.K. Nous publions ici la lettre que nous lui avons envoyée début avril tout en saisissant cette occasion pour compléter et élargir notre réponse aux questions restées alors en suspens. Nous rendons publique cette correspondance parce que, comme EK le dit lui-même, on est "dans les célébrations des 40 ans de sa mort au combat" et il s'agit pour nous, CCI, non pas de nous ajouter à la ronde de célébrations mais, bien au contraire, d'essayer de comprendre si Che Guevara était réellement un révolutionnaire et si la classe ouvrière et les jeunes générations doivent se revendiquer ou non de son action.

Quelques extraits du message de EK

Pour le camarade EK, Che Guevara est un authentique combattant pour la cause des peuples opprimés. En effet, pour lui, "l‘internationalisme du Che est hors de doute. Il est le modèle du combattant international et de la solidarité entre les peuples". Il serait ainsi l'un des rares révolutionnaires à avoir osé critiqué le régime de l'URSS: "Lors du second séminaire de solidarité afro-asiatique, le Che critique sans ambages les positions conservatrices et exploiteuses de l‘URSS". Enfin, EK expose dans ce premier courrier sa vision du prolétariat et du rôle des révolutionnaires : "Quant à l‘agent historique de la transformation sociale, il n‘y a pas, me semble-t-il, de raison de réduire le concept de prolétariat aux seuls ouvriers, négation absolue de la condition humaine. (...) La tâche des intellectuels est d‘introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation par des moyens éminemment politiques."

Suite à notre réponse, le camarade E.K nous a envoyé très rapidement un deuxième message dans lequel il tient à se démarquer d'emblée de tous ceux qui transforment le Che en icône, en multipliant les T-shirts et autres posters à son effigie : "La mythification du Che à travers la duplication de son image a tendance à occulter sa vie et son oeuvre.". Mais surtout, il y réaffirme que "poursuivant des objectifs distincts, le Che sera amené fort logiquement à se départir du modèle social-impérialiste de l‘URSS. La CIA et le KGB coopéreront même pour s‘en débarrasser lors de sa tentative révolutionnaire en Bolivie". Et le camarade de conclure : "Ernesto Che Guevara a payé sa probité intellectuelle de sa vie. Lui rendre hommage, c‘est lire ses textes ; perpétuer sa mémoire, c‘est continuer la lutte ; lui rendre justice, c‘est soutenir ses valeurs. A l‘aube des célébrations des 40 ans de sa mort au combat, il est plus que temps de redonner vigueur à sa pensée et vie à ses idées".

Notre réponse à EK

Nous te remercions pour ton message de début avril. Excuse-nous pour le retard de ce complément de réponse. Nous voulons faire ici une critique de ce que tu nous écris. Cette critique ne signifie pas pour nous une "fin de non-recevoir", bien au contraire. Nous sommes toujours disposés à répondre à tes questions et à tes points de vue. Nous voudrions répondre à ce que tu dis à propos de Che Guevara en étudiant le plus sincèrement et sérieusement possible ce que furent réellement, comme tu le demandes, "ses valeurs", "ses idées" et "sa lutte".

Che Guevara est-il un exemple pour la jeunesse révolutionnaire d'aujourd'hui ?

En ce mois d'octobre, on célèbre le 40e anniversaire de la mort de Che Guevara, tué par l'armée bolivienne, encadrée par la CIA américaine.

Depuis 1967, "le Che" est devenu le symbole de l'éternelle "jeunesse révolutionnaire romantique" : mort jeune, les armes à la main, luttant contre l'impérialisme américain, grand "défenseur des masses pauvres d'Amérique latine". Tout le monde a en tête cette image du Che avec son béret étoilé, regard triste et lointain.

Ses fameux Carnets de voyage ont grandement contribué à populariser l'histoire de ce révolté, venant d'une bonne famille un peu bohème d'Argentine, qui se lance dans un aventureux voyage à moto sur les routes d'Amérique du Sud, utilisant son savoir médical pour aider les pauvres... Il vit au Guatemala à un moment (1956) où les États-Unis fomentent un énième coup d'Etat contre un gouvernement qui ne leur convient pas. Cette mainmise permanente sur les pays d'Amérique latine de la part des États-Unis va nourrir toute sa vie une haine implacable contre ces derniers. Par la suite, il rejoint au Mexique le groupe cubain de Castro, réfugié dans ce pays après une tentative avortée de renversement du dictateur cubain, Batista, longtemps soutenu par les États-Unis2 . Après une série d'aventures, ce groupe s'installe dans les montagnes de Cuba jusqu'à la défaite de Batista, début janvier 1959. Le noyau idéologique de ce groupe est le nationalisme, le "marxisme" n'étant qu'une enveloppe de circonstance à une "résistance" anti-yankee exacerbée, même si quelques éléments, dont Guevara lui-même, se considèrent comme "marxistes". Le Parti communiste cubain, qui d'ailleurs en son temps avait soutenu Batista, envoie un de ses dirigeants, Carlos Rafael Rodríguez, auprès de Castro en 1958, quelques mois seulement avant la victoire de ce dernier.

Cette guérilla n'est pas du tout l'expression d'une quelconque révolte paysanne, encore moins de la classe ouvrière. Elle est l'expression militaire d'une fraction de la bourgeoisie cubaine qui veut renverser une autre fraction pour prendre sa place. Il n'y a aucun "soulèvement populaire" dans la prise de pouvoir de la guérilla castriste. Elle se présente, comme souvent en Amérique latine, sous la forme de la substitution d'une clique militaire par une autre formation armée dans laquelle les couches exploitées et miséreuses de la population de l'île, enrôlées ou non par les combattants putschistes de la guérilla, ne jouent pas un rôle important, sinon d'acclamer les nouveaux maîtres du pouvoir. Face à la résistance plutôt faible de la soldatesque de Batista, Guevara apparaît comme un intrépide guérillero, dont la détermination et le charisme grandissant apparaissent rapidement susceptibles de faire de l'ombre à son maître Fidel. Après la victoire sur Batista, Fidel Castro va charger le Che de mettre en place les "tribunaux révolutionnaires", une mascarade sanglante dans la meilleure tradition du règlement des comptes entre fractions des différentes bourgeoisies nationales, en particulier en Amérique latine. Che Guevara prend son rôle vraiment à cœur, par conviction et avec zèle, en mettant en place une justice "populaire" où, en guise de défoulement collectif, on juge les anciens tortionnaires de Batista, mais aussi on prend du "tout venant" sur simple dénonciation. D'ailleurs, Guevara s'en revendiquera plus tard à l'ONU, en réponse à des représentants latino-américains, bonnes âmes "démocratiques" qui s'offusquent de ces méthodes, en disant : "Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que ce sera nécessaire". Ces pratiques n'ont rien à voir avec la défense maladroite d'une quelconque justice révolutionnaire. Ce sont là, répétons-le, les méthodes typiques d'une fraction de la bourgeoisie qui a pris le dessus sur une autre par la force des armes.

Alors, on peut toujours s'identifier en rêve au "héros" austère de la Sierra Maestra, au "guérillero héroïque" qui mourra quelques années plus tard dans la montagne bolivienne mais, dans le monde réel, il n'a en fait tenu qu'un rôle d'exécuteur de basses oeuvres dans la mise en place d'un régime qui n'a de communiste que le nom.

Che Guevara : internationaliste ?

Tu nous dis : "l'internationalisme du Che est hors de doute" et "Lors du second séminaire de solidarité afro-asiatique, le Che critique sans ambages les positions conservatrices et exploiteuses de l‘URSS" pour affirmer enfin "le Che sera amené fort logiquement à se départir du modèle social-impérialiste de l‘URSS".

Le régime nationaliste de Castro s'est vite enrobé du qualificatif "communiste", autrement dit, ce régime s'est rallié... au camp impérialiste régenté par l'URSS. Cuba étant située à quelques encablures des côtes américaines, ceci ne pouvait évidemment qu'inquiéter la tête du bloc de l'Ouest. Le processus de stalinisation de l'île, avec une présence importante de personnel civil, militaire et des services secrets des pays du bloc de l'Est, trouvera son point d'orgue en 1962 au moment de "la crise des missiles".

Dans ce processus, Che Guevara, maintenant ministre de l'Industrie (1960-61), pour souder la nouvelle alliance avec le "camp socialiste", est envoyé par Castro dans les pays de ce camp, où il se répand en discours dithyrambiques sur l'URSS : "ce pays qui aime si profondément la paix", "où règne la liberté de pensée", "la mère de la liberté"... Il célèbre tout autant "l'extraordinaire" Corée du Nord ou la Chine de Mao où "tout le monde est plein d'enthousiasme, tout le monde fait des heures supplémentaires" et ainsi de suite pour l'ensemble des pays de l'Est : "les réalisations des pays socialistes sont extraordinaires. Il n'y a pas de comparaison possible entre leurs systèmes de vie, leurs systèmes de développement et ceux des pays capitalistes". Un véritable VRP du modèle stalinien ! Nous reviendrons plus loin sur le "désamour" de Guevara avec l'URSS. Mais, contrairement à ce que tu affirmes, le Che n'a jamais émis le moindre doute de principe sur le système stalinien. Pour lui, l'URSS et son bloc étaient le camp "socialiste, progressiste" et sa propre lutte s'intégrait pleinement dans celle du bloc russe contre le bloc occidental. Le mot d'ordre lancé par Guevara "Créer un, deux, plusieurs Vietnams", n'est pas un mot d'ordre "internationaliste" mais bel et bien nationaliste et favorable au bloc russe ! Son critère réel n'est pas le changement social, mais la haine de l'autre tête de bloc, les États-Unis.

En effet, après la Seconde Guerre mondiale, le monde s'est trouvé divisé en deux blocs antagonistes, l'un régenté par la puissance américaine, l'autre par l'URSS. La "libération nationale" s'avéra alors une mystification idéologique parfaite pour justifier régulièrement l'embrigadement militaire des populations. Dans ces guerres, ni la classe ouvrière ni les autres classes exploitées n'avaient rien à gagner, servant de masse de manœuvre pour les différentes fractions de la classe dominante et de leurs parrains impérialistes. Le partage du monde en deux blocs impérialistes après les accords de Yalta a signifié que toute sortie d'un bloc ne pouvait signifier que la chute dans le bloc adverse. Et, justement, il n'y a pas de meilleur exemple que celui de Cuba : ce pays est passé de la dictature corrompue de Batista, sous la coupe directe de Washington, de ses services secrets et de toutes sortes des mafia, à la mainmise du bloc stalinien. L'histoire de Cuba est un concentré de l'histoire tragique des "luttes de libération nationale" pendant près d'un demi-siècle !

Alors, à la base, avant de dire quand et comment Guevara s'est prétendument plus ou moins "écarté" de l'URSS, il faut bien être clair sur la nature de l'URSS et de son bloc. Derrière la défense d'un Che Guevara révolutionnaire, il y a l'idée que l'URSS, peu ou prou, qu'on le veuille ou non, malgré ses défauts... était le "bloc socialiste, progressiste". C‘est là le plus grand mensonge du 20e siècle. Il y a bien eu une révolution prolétarienne en Russie, mais elle a été défaite. La forme stalinienne de la contre-révolution s'est donnée un mot d'ordre : la "construction du socialisme en un seul pays", mot d'ordre se situant à l'exact opposé du socle naturel et fondamental du marxisme. Pour le marxisme, "les prolétaires n'ont pas de patrie"3 ! C'est cet internationalisme, bien réel celui-là, qui a servi de boussole à la vague révolutionnaire mondiale qui a débuté en 1917 et à tous les révolutionnaires de l'époque, de Lénine et des bolcheviks à Rosa Luxemburg et aux Spartakistes4 . L'adoption aberrante de cette "théorie" d'une "patrie socialiste" à défendre a eu pour corollaire le recours systématique à une méthode bourgeoise : la terreur et le capitalisme d'Etat, ce talon de fer, expression la plus totalitaire et la plus féroce de l'exploitation capitaliste !

Est-ce que le Che "s'est départi du modèle social-impérialiste de l‘URSS" ?

À l'origine des critiques du Che vis-à-vis de l'URSS, il y a "la crise des missiles", en 1962. Pour l'URSS, sa mainmise sur Cuba fut une aubaine. Enfin, elle pouvait rendre la pareille aux États-Unis, qui menaçaient directement l'URSS depuis les pays voisins de celle-ci, tels que la Turquie. L'URSS commence à installer des rampes de lancement de missiles à tête nucléaire à quelques miles des côtes américaines. Les États-Unis ripostent en mettant en place un embargo total de l'île, obligeant les bateaux russes à faire demi tour. Khrouchtchev, le maître du Kremlin de l'époque, est finalement obligé de retirer ses missiles. Pendant quelques jours d'octobre 1962, les affrontements impérialistes entre ceux qui se présentaient comme "le monde libre" et ceux qui se présentaient comme le "monde socialiste progressiste" ont failli mettre toute l'humanité au bord de l'abîme. Khrouchtchev est alors considéré par les dirigeants castristes comme une "lavette" qui n'a pas les "couilles" d'attaquer les États-Unis. Dans un accès d'hystérie patriotarde, où le slogan castriste "La patrie ou la mort" prend son sens le plus sinistre, ils sont disposés à sacrifier le peuple (ils diront que c'est le peuple qui est disposé à se sacrifier) sur l'autel de la guerre atomique. Dans ce délire pervers, Guevara ne peut être qu'à l'avant-garde. Il écrit : "Ils ont raison [les pays de l'OEA5 d'avoir peur de la ‘subversion cubaine'], c'est l'exemple effrayant d'un peuple qui est disposé à s'immoler par les armes atomiques pour que ses cendres servent de ciment aux sociétés nouvelles, et qui, lorsqu'un accord est conclu sur le retrait des fusées atomiques sans qu'on l'ait consulté, ne pousse pas un soupir de soulagement, n'accueille pas la trêve avec reconnaissance. Il se jette dans l'arène pour [...] affirmer [...] sa décision de lutter, même tout seul, contre tous les dangers et contre la menace atomique elle-même de l'impérialisme yankee"6 . Ce "héros" a décidé que le peuple cubain était disposé à s'immoler pour la patrie... Ainsi, la base de la "déception", de la critique vis-à-vis de l'URSS n'est pas la perte de foi dans les vertus du "communisme soviétique" (le capitalisme stalinien en termes vrais), mais, au contraire, c'est le fait que ce système n'allait pas jusqu'au bout de sa logique guerrière d'affrontement, au paroxysme de la période de la "guerre froide". Et le discours d'Alger de Che Guevara sur lequel tu t'appuies pour affirmer que le Che "s'est départi du modèle social-impérialiste de l‘URSS" ne change rien en réalité à cet attachement de Guevara aux positions staliniennes. Au contraire ! Durant ce fameux discours, il met certes en cause le "mercantilisme" dans les rapports entre les pays du bloc de l'URSS mais il les appelle toujours socialistes et "peuples amis" : "Les pays socialistes sont, dans une certaine mesure, les complices de l‘exploitation impérialiste [...]. [Ils] ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l‘Ouest. ». Au-delà de son apparence radicale, une telle critique est donc bien celle de quelqu'un de l'intérieur du système stalinien. Pire, elle émane d'un responsable qui a participé de toutes ses forces à la mise en place d'un tel système de capitalisme d'Etat à Cuba ! D'ailleurs, par la suite, Guevara ne fera jamais plus officiellement la moindre critique à l'URSS.

Che Guevara, au moment où il a été assassiné par le CIA et l'armée bolivienne en 1967, fut la victime non seulement de l'impérialisme américain, mais aussi de la nouvelle orientation politique du Kremlin dite de "coexistence pacifique" avec le bloc occidental. Nous n'allons pas traiter ici les raisons qui ont poussé la direction de l'URSS et son bloc à prendre ce "tournant". Mais ce "tournant" n'a rien à voir avec une quelconque "trahison" envers les peuples qui voulaient "se libérer" de l'impérialisme, ni envers le prolétariat. La politique de la classe dominante stalinienne a souvent changé de cap en fonction de ses intérêts comme classe dominante et, justement, l'affaire des missiles a montré aux dirigeants de l'impérialisme stalinien qu'ils n'ont pas les moyens de défier la tête de l'autre bloc à ses propres portes et qu'il leur faut être prudents en Amérique latine. C'est ce que Guevara et une fraction des dirigeants cubains ne veulent pas comprendre, au point de devenir gênants non seulement pour l'URSS, mais même pour leurs propres amis cubains. A partir de là, le destin de Che Guevara était scellé : après la désastreuse aventure au Congo7 , il finira par se retrouver seul en Bolivie, avec une poignée de compagnons d'armes, abandonné par le PC bolivien, qui, finalement, se retrouve sur la ligne de Moscou. Pour les factions les plus "moscovites", les tenants de la tactique du "foco" (foyer de guérilla) étaient des petits-bourgeois en mal d'aventures, "coupés des masses". Et pour les factions des PC favorables à la lutte armée, avec leurs soutiens critiques de toutes sortes, les "officiels" des PC étaient des "révolutionnaires de salon", des bureaucrates embourgeoisés... eux aussi "coupés des masses". Pour nous, qui nous réclamons de la Gauche Communiste, ce sont là deux formes de la même contre-révolution, deux variantes du même grand mensonge du siècle, celui d'avoir fait passer la contre-révolution stalinienne pour la continuatrice de la révolution d'Octobre et l'URSS comme communiste.

Quelle vision Che Guevara avait-t-il de la classe ouvrière ?

Pour toi, la tâche des intellectuels serait "d'introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation...". Tu sembles ici reprendre à ton compte la vision de Che Guevara sur "l'élite révolutionnaire". Mais cette position du Che ne cache t-elle pas en réalité un profond mépris pour la classe ouvrière ? Que révèlent réellement ses envolées lyriques sur "l'homme nouveau dans la révolution cubaine" ?

L'unité prolétarienne révolutionnaire a une base pratique très concrète : la solidarité de classe. C'est cette solidarité spontanée dans l'organisation de la lutte, faite d'entraide et de fraternité qui nourrit les qualités de dévouement du prolétariat révolutionnaire. Mais ce "dévouement" dans la bouche de Guevara, sonne, dans le meilleur des cas, comme un appel quasi-mystique au martyre suprême (il faut lui reconnaître qu'il a été toujours prompt au sacrifice, et sans doute il était disposé à devenir un "martyre" de la cause impérialiste qu'il défendait avec tout le peuple cubain "volontaire" au moment de la crise des missiles)... Au-delà de son propre comportement "exemplaire", reste sa vision du "sacrifice" ou de "l'héroïsme" (de la même eau que l'idéalisme patriotard exalté et diffusé par les staliniens dans la "Résistance" au cours de la Seconde Guerre mondiale) qui devrait s'imposer par le haut, pour les besoins de l'Etat et sous la férule d'un "líder máximo". Cette vision repose sur un mépris de l'intellectuel petit-bourgeois vis-à-vis de la "masse prolétarienne" qu'on regarde de haut, qui prétend qu'il faut "l'éduquer" pour qu'elle comprenne les "bienfaits de la révolution". "La masse, a déclaré avec condescendance Guevara, n'agit pas comme un doux troupeau. Il est vrai qu'elle suit sans hésiter ses dirigeants, surtout Fidel Castro..." "Si on regarde les choses superficiellement, on pourrait penser que ceux qui parlent de soumission de l'individu à l'Etat ont raison, mais les masses réalisent avec enthousiasme et discipline sans égal, les tâches que le gouvernement établit, qu'elles soient économiques, culturelles, de défense ou sportives... L'initiative vient en général de Fidel ou du haut commandement de la Révolution et elle est expliquée au peuple qui la fait sienne" (Le socialisme et l'homme à Cuba, 1965).

En fait, quand tu nous dis "qu'il n'y a pas de raison de réduire le concept de prolétariat aux seuls ouvriers", ton raisonnement puise certainement et involontairement ses racines dans cette vision méprisante de la classe ouvrière8 . En effet, une des caractéristiques communes des avatars du stalinisme (du maoïsme au castrisme), c'est leur méfiance et leur mépris vis-à-vis de la classe ouvrière, faisant d'une mythique paysannerie pauvre "l'agent de la révolution" dirigée par des intellectuels qui, eux, possèdent la conscience et "l'introduisent" dans les cerveaux des masses. Dans le meilleur des cas, la classe ouvrière était, pour ces neo-staliniens, une masse de manœuvre qui leur servait de référence historique, une comparse de leur révolution. On ne trouve jamais dans les écrits de ces pseudo-révolutionnaires la moindre référence à une classe ouvrière organisée comme telle et aux organisations du pouvoir de classe, les soviets. Ces clones du stalinisme n'ont plus besoin de déguiser leur idéologie capitaliste d'Etat et de parler des conseils ouvriers ou des autres expressions de la vie prolétarienne dans la révolution russe. Il n'y a plus que l'État dirigé par des gens "éclairés" et en bas la masse, à qui on laisse parfois faire preuve "d'initiative", encadrée dans des "comités de défense de la révolution" et autres organismes de surveillance sociale.

Et à Cuba, l'un des premiers organes d'encadrement et de direction de la classe ouvrière fut une fois encore et sans surprise les syndicats. Les syndicats cubains (CTC) étaient déjà des syndicats à la manière américaine, parfaitement intégrés au "capitalisme libéral" et à sa corruption. Ils vont être ainsi très rapidement transformés par la direction cubaine, en 1960, en syndicats à la sauce stalinienne, sur un mode bureaucratique et étatique. Les premières décisions du régime castriste seront de les charger d'encadrer l'alignement des salaires par le bas et de faire respecter l'interdiction de la grève dans les entreprises, en flics patentés ! Et là encore, cette attaque contre la classe ouvrière sera justifiée par l'idéologie anti-américaine et la "défense du peuple cubain". Profitant à l'époque d'une grève contre les baisses de salaire d'ouvriers d'entreprises appartenant à des capitaux américains, les dirigeants castristes stigmatisent cette grève des "nantis" et en profitent pour déclarer la "grève à la grève" par la bouche du nouveau dirigeant castriste de la CTC.

Dans les semaines qui viennent de s'écouler, on a été servi en controverses sur la vie et l'œuvre du Che. D'un coté, dans la lignée des apôtres de la "mort du communisme", les fractions droitières de la bourgeoisie ont réchauffé ce plat avec l'aide servile de quelques historiens, toujours prêts à mettre en exergue le rôle "anti-démocratique" du Che, son rôle d'exécuteur en chef en tant que responsable des tribunaux "révolutionnaires" au tout début de l'ère castriste, en déblatérant les uns et les autres sur la question de savoir si ces exécutions furent "excessives", s'il y a eu "un bain de sang" ou non, si ce fut une justice "modérée" ou "arbitraire". Pour nous, comme nous le disions plus haut, il a tout simplement bien joué son rôle nécessaire pour la mise en place d'un nouveau régime tout aussi bourgeois et répressif que le précédent. D'un autre coté, on nous a asséné des mensonges et des demi-vérités à sa gloire. Il n'y a qu'à voir comment la Ligue Communiste Révolutionnaire qui, avec sa volonté de remplacer le Parti Communiste Français et devenir le premier parti "anticapitaliste" de France, porte aujourd'hui aux nues "Le Che" et exploite son image "jeune et rebelle"9 .

Cher camarade EK, la réalité est là : chez tous ces jeunes qui portent un T-shirt à l'effigie du Che, il y a certainement un cœur généreux et sincère, voulant combattre les injustices et les horreurs de ce monde. D'ailleurs, si on met le Che en avant, c'est bien pour stériliser l'enthousiasme qui nourrit la passion révolutionnaire. Mais le Che, lui, n'est qu'une des figures de la longue cohorte des dirigeants nationalistes et staliniens, plus avenant que les autres peut-être, mais représentatif tout de même de cet avatar tropical de la contre-révolution stalinienne qu'est le castrisme.

Malgré toutes nos divergences, camarade EK, la discussion reste évidemment ouverte... plus que cela, nous t'y encourageons même chaleureusement.

Courant Communiste International

 

1 https://fr.internationalism.org/contact [3]

2 En fait, l'entreprise couronnée de succès de renversement de Batista par Castro et Guevara a bénéficié de l'appui des États-Unis et de la bienveillance d'une partie de la droite qui dénonçaient la corruption du régime. L'embargo sur les armes décidé par le gouvernement américain à l'encontre de Cuba a privé de façon décisive Batista des moyens de lutter contre la guérilla. Ce n'est qu'au bout de quelques mois d'exercice du nouveau pouvoir que les relations avec les États-Unis se sont détériorées et c'est face à la menace d'intervention de ces derniers que Castro s'est tourné vers le bloc russe.

3 Citation célèbre du Manifeste communiste de 1848, écrit par Marx et Engels.

4 Lire nos articles sur "Octobre 1917", notamment : "Les masses ouvrières prennent leur destin en main" (Revue internationale n°131) et "Le stalinisme est le fossoyeur de la Révolution russe" (RI n°383).

5 Organisation des États Américains, instance continentale au service des intérêts de "l'oncle Sam" pour exercer leur contrôle sur les autres États d'Amérique latine, dont Cuba castriste a été exclu.

6 Écrit au moment de "la crise des missiles", ne sera publié qu'en 1968 par une revue de l'armée cubaine. Reproduit dans la biographie du Che de Pierre Kalfon.

7 En 1965, peut-être pour mettre en pratique le slogan "Deux, trois Vietnams...", quelques dizaines de Cubains se pointent à l'est de la République du Congo (ex-Zaïre) pour organiser un "foco anti-impérialiste", le tout patronné par les services secrets cubains avec l'accord de l'URSS (peut-être aussi pour se débarrasser du Che...). C'est, depuis le début, un désastre annoncé : Guevara se retrouve sous les ordres politiques d'une bande de dirigeants congolais (dont Kabila, futur président-dictateur sanglant du Zaïre dans les années 1990), des aventuriers qui mènent grand train de vie grâce aux subsides soviétiques et chinois. Quant à la population, censée recevoir ses libérateurs les bras ouverts, elle était plutôt interloquée à la vue de ces gens venant d'on ne sait où. C'était une anticipation de ce qui allait arriver en Bolivie l'année suivante. Il faut aussi noter que, toujours pour le compte de l'impérialisme russe, des milliers de Cubains ont continué de servir "d'instructeurs militaires" dans de nombreuses "guerres de libération nationale" sur le sol africain (Guinée-Bissau, Mozambique, Angola,...) jusqu'à l'effondrement de l'URSS et de son bloc au début des années 1990.

8 Nous n'allons pas développer ici ce qu'est le prolétariat ou la classe ouvrière, pour nous deux expressions équivalentes. Disons, cependant, que notre vision de la classe ouvrière n'a rien à voir avec la sociologie ni les images d'épinal de l'ouvrier en bleu de travail.

9 Le leader de la LCR, Olivier Besancenot, a affirmé qu'aujourd'hui son parti s'identifie bien plus au Che qu'à Trotski, alors que depuis sa naissance, cette organisation légitimait frauduleusement son appartenance à la classe ouvrière en se revendiquant avant tout de ce grand militant bolchevik.

Marx se plaisait à souligner les ironies de l'histoire. C'en est une des plus mordantes de constater que cette nouvelle propagande de la LCR, en voulant à tout prix faire jeune et dans le vent afin d'attirer à elle les nouvelles générations de la classe ouvrière, est en train de se revendiquer d'un héritier déclaré de la clique stalinienne et de son idéologie, cette même clique qui assassina il y a plus de soixante ans un révolutionnaire quant à lui authentique, un certain... Léon Trotski !

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [4]

Philippines: Prise de position d'Internasyonalismo pour le XVIIème Congrès du CCI

  • 1984 lectures

Nous publions ci-dessous l'adresse envoyée au 17e Congrès du CCI par le groupe Internasyonalismo des Philippines, dont une délégation a été invitée au Congrès mais n' a malheureusement pas pu y assister pour diverses raisons matérielles. Les camarades sont en contact avec le CCI depuis plus d'un an, et ont entrepris de développer une présence de la Gauche communiste aux Philippines, dans des conditions matérielles extrêmement difficiles. C'est grâce à leurs efforts que le CCI a pu ouvrir son propre site en langue Filipino, et nos lecteurs peuvent suivre et participer dans les discussions des camarades d'Internasyonalismo (en anglais et en Filipino) sur leur blog.

Le Congrès a fortement salué cette adresse. Elle est non seulement une expression de la solidarité communiste internationale envers le CCI et les autres groupes qui étaient présents au Congrès. Elle a apporté une contribution importante aux débats et aux travaux du Congrès, notamment sur la question syndicale telle qu'elle s'exprime dans des pays comme les Philippines, et sur la question du développement de la Chine en tant que puissance impérialiste en Orient.

Camarades,

(...) Depuis presque 100 ans, les ouvriers aux Philippines ne savaient rien au sujet des positions de la Gauche communiste, et encore plus, les révolutionnaires ici n'avaient pas la possibilité de les lire ou les étudier, spécialement dans les années 1920 et 1930. Maintenant, même si nous sommes très peu de communistes internationalistes aux Philippines, nous ferons de notre mieux pour contribuer aux débats et discussions collectives dans le Congrès du CCI à travers ce texte.

Nous avons étudié et discuté collectivement les trois projets de documents pour le XVIIe Congrès. Pouvons-nous présenter ce qui suit au Congrès ?

D'une manière générale, nous avons été d'accord avec les positions et le contenu des trois projets de documents -le projet de rapport sur la lutte de classe, le rapport sur l'évolution de la crise du capitalisme, le rapport sur les conflits impérialistes. Les documents sont basés sur l'internationalisme et la dynamique présente du système en décomposition et la lutte des classes, aussi bien que sur les interventions actuelles des minorités révolutionnaires à l'échelle mondiale. Ceux-ci sont conformes avec la méthode matérialiste historique du marxisme.

Le projet de rapport sur la lutte des classes

« Qu'avec l'actuelle évolution des contradictions, la question la plus critique pour l'humanité est la cristallisation d'une conscience de classe suffisante pour l'émergence de la perspective communiste » et "l'importance historique de l'émergence d'une nouvelle génération de révolutionnaires ». (Rapport sur la lutte de classe pour le 17ème Congrès international).

Dans l'ensemble, nous sommes d'accord que la solidarité de classe est la chose la plus importante pour nous en tant que révolutionnaires. La maturation de la conscience de classe peut être mesurée au niveau de la solidarité de classe parce que cette dernière est l'expression concrète de l'auto-organisation et du mouvement indépendant du prolétariat.(...)

Aujourd'hui, ce qui est le plus important est de chercher les chemins de la solidarité de classe pour s'élever sur les bases de l'inter-nationalisme et d'un mouvement de classe indépendant. Mais, nous voulons proposer au Congrès de souligner ce qui suit:

1. La nature réactionnaire des syndicats dans le capitalisme décadent pourrait retenir le vrai développement de solidarité à l'échelle internationale.

Dans les pays avancés, les syndicats (de gauche et de droite) ont été exposés aux yeux des ouvriers ; dans les pays où le capitalisme est plus faible, les syndicats de gauche sont encore de fortes mystifications pour les ouvriers parce que généralement les patrons capitalistes sont  anti-syndicats. Pour ces ouvriers, les syndicats gauchistes sont des expressions d'engagement et de défense des intérêts ouvriers même si un nombre croissant de la classe se pose des questions sur les promesses et les résultats de ces syndicats gauchistes.

A l'époque de lutte massive, quand les assemblées ouvrières sont la forme appropriée des organisations de la classe, ouvrir ces assemblées aux syndicats par solidarité, c'est mettre en péril la lutte indépendante de la classe et aussi risquer que ces assemblées se transforment en instruments des syndicats, aussi bien que de tomber victime des conflits entre syndicats des différentes organisations gauchistes.

Dans les années 1970 jusqu'aux années 1980, les luttes ouvrières massives aux Philippines n'étaient pas menées par les syndicats mais par les alliances d'ouvriers constituées dans les luttes. La composition de ces alliances étaient des ouvriers syndiqués et non syndiqués avec le soutien des classes moyennes. Les syndicats étaient avec les alliances, mais ils n'étaient pas décisifs. Les ouvriers non syndiqués étaient décisifs parce qu'ils étaient majoritaires dans les alliances.

Mais les syndicats, menés par les gauchistes, organisaient les ouvriers non syndiqués dans les alliances, augmentant donc leurs membres en l'espace de quelques années. Durant la vague de luttes suivante au milieu des années 1980 et jusqu'à maintenant, les alliances ont été soit transformées en fédérations syndicales ou ont été placées sous le contrôle des syndicats.

2. Il devrait être souligné que, main dans la main pour rechercher la solidarité de classe, il y a la vigilance et la résistance opportune contre toutes manœuvres et sabotage des syndicats dans les assemblées ouvrières afin de ne pas faire dérailler la généralisation de la lutte, spécialement dans une situation comme celle des Philippines où le sectarisme et la concurrence dans les différentes fédérations syndicales et les différentes organisations gauchistes sont très forts.

3. Dans la recherche de la solidarité de classe, les larges masses d'ouvriers devraient être mises aussi en garde contre les dangers du syndicalisme tout comme nous mettons toujours en garde les ouvriers des dangers de toute sorte de réformisme et gauchisme.

Rapport sur l'évolution de la crise du capitalisme

Nous sommes complètement d'accord avec l'analyse de l'évolution de la crise du capitalisme. Toutefois, nous aimerions insister sur les points suivants :

1. La croissance de la sous-traitance est aussi une manifestation de la crise dans les pays capitalistes avancés, spécialement les USA. Cette outsourcing industrie loue des centaines de milliers de jeunes travailleurs à la fois aux Philippines et en Inde. Presque tous ces ouvriers sont contractuels ou ont des postes précaires et travaillent de longues heures.

2. La Chine aussi envahit l'économie philippine, mais nous sommes encore en train de rassembler des informations pour savoir dans quelle ampleur et si elle supporte une faction de la classe dirigeante de Filipino pour rivaliser contre la politique de contrôle des USA.

Des RTW fabriqués en Chine, des micro plaquettes et même un projet ferroviaire d'un multi-billion de dollars ont pénétré le pays. Beaucoup de grosses entreprises philippino-chinoises investissent en Chine et beaucoup d'officiels gouvernementaux, du niveau local au niveau national, sont allés en Chine pour le marché. Beaucoup de ces membres officiels regardent la Chine comme un modèle de développement.

L'impérialisme américain est bien conscient de cela et il exerce des pressions sur le gouvernement Arroyo sur cette question.

Rapport sur les conflits impérialistes

 Ce rapport est compréhensif et détaillé. Nous sommes d'accord qu'aujourd'hui, le chaos et la barbarie empirent jour après jour, mais que la capacité du prolétariat international n'est pas encore suffisante pour les arrêter et pour balayer finalement le capitalisme international. Par conséquent, il y a un besoin urgent pour la Gauche communiste du monde entier de déployer plus d'efforts dans leurs interventions dans les luttes prolétariennes. Avec tous ces rapports, il y a, aujourd'hui, le besoin urgent que tous les communistes internationalistes dans le monde devraient coordonner leurs activités et leurs interventions à l'échelle mondiale. Le prolétariat pourra seulement hâter son accumulation de force et élever sa conscience de classe à travers les efforts communs des minorités révolutionnaires dans le monde. Par conséquent, le sectarisme des autres organisations de la Gauche communiste est très dommageable pour le prolétariat international dans son combat contre son puissant ennemi de classe (...)

Pour le succès du XVIIe Congrès International du CCI.

Internasyonalismo 21 mai 2007

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [5]

Russie 1917: L'isolement du prolétariat en Russie signe l'arrêt de mort de la Révolution d'Octobre

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Le formidable trésor d'expériences, faites entre février et octobre 1917 par le prolétariat en Russie, a montré aux prolétaires du monde entier qu'il était possible de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. L'insurrection d'Octobre avait signifié la victoire des masses ouvrières conscientes organisées en conseils ouvriers et avec en leur sein leur avant garde politique, le parti bolchevik (voir Internationalisme N° 333). Le cours des événements postérieurs à l'insurrection d'Octobre, c'est-à-dire le processus de dégénérescence de la révolution russe qui donna naissance au stalinisme, n'est compréhensible qu'à partir de la dynamique de défaite de la vague révolutionnaire mondiale dont il est une conséquence. Cette dégénérescence n'a donc rien à voir avec le mensonge bourgeois de la prétendue continuité entre la dictature du prolétariat issue d'octobre 17 et le stalinisme qui, au contraire, s'est développé sur les cendres de la révolution.

La Révolution russe de 1917 ne fut pas un phénomène isolé, dû aux conditions particulières à la Russie, mais le point culminant de la première vague révolutionnaire mondiale qui secoua l'ordre bourgeois de l'Allemagne aux Etats-Unis, de l'Europe à l'Asie, en passant par le continent sud-américain. Cette vague révolutionnaire fut la réponse à la guerre impérialiste qui avait inauguré la période de décadence du capitalisme mondial. Dorénavant, une seule alternative était en mesure de contrecarrer la barbarie capitaliste : la révolution prolétarienne mondiale.

 Une seule issue,l'extension de la révolution mondiale

Si Lénine et les bolcheviks se sont portés à l'avant-garde des révolutionnaires, c'est en étant convaincus que l'alternative à la guerre mondiale ne pouvait être que la révolution mondiale du prolétariat. Internationalistes depuis la première heure, ils ne voyaient dans la Révolution russe que "la première étape des révolutions prolétariennes qui vont surgir inévitablement comme conséquence de la guerre".

La prise du pouvoir en Russie, dès lors qu'elle est devenue une possibilité, du fait de la maturation des conditions à l'échelle internationale et en Russie même, est conçue par les révolutionnaires comme un devoir élémentaire du prolétariat russe vis-à-vis du prolétariat mondial. Répliquant aux arguments mencheviks selon lesquels la révolution devait commencer dans un pays plus avancé, Lénine justifie ainsi la nécessité de la prise du pouvoir : "Les Allemands, c'est-à-dire les internationalistes révolutionnaires allemands, avec seulement un Liebknecht (qui de plus est en prison), sans organes de presse, sans droit de réunion, sans conseils, face à une gigantesque inimitié de toutes les classes de la population jusqu'au dernier hameau de paysans contre les idées de l'internationalisme, face à la superbe organisation de la grande, moyenne et petite bourgeoisie impérialiste, les allemands, c'est-à-dire les internationalistes révolutionnaires allemands, les travailleurs en uniforme de marins, ont commencé à se soulever dans la flotte, avec un rapport de peut-être de un à cent contre eux. Mais nous, qui avons des douzaines de journaux, qui avons la liberté de faire des assemblées, qui avons obtenu la majorité dans les soviets, nous qui en comparaison des internationalistes prolétariens du monde entier avons les meilleures conditions, nous devrions renoncer à soutenir les révolutionnaires allemands par notre insurrection. On va utiliser les mêmes arguments que Scheidemann et Renaudel : la chose la plus censée, c'est de ne pas faire l'insurrection parce que quand nous serons fusillés, le monde perdra avec nous des internationalistes si merveilleux, si raisonnables... Adoptons une résolution de sympathie pour les insurgés allemands. Ce sera vraiment de l'internationalisme raisonnable". (Lettre aux camarades bolcheviks participant au congrès des soviets de la région du nord).

Moins d'un an après la prise du pouvoir en Russie, il ne fait pas de doute que c'est au reste du prolétariat des autres pays de prendre le relais pour pousser plus loin la révolution mondiale : " La révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale et le succès et le triomphe de la révolution russe que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée (...) Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et pour prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier" (Lénine, discours du 23 juillet 1918 à la conférence des comités d'usine de Moscou).

La révolution russe ne se contenta pas de confier passivement son destin au surgissement de la révolution prolétarienne dans d'autres pays, elle prit continuellement des initiatives pour étendre celle-ci. Le centre de gravité du rapport de force entre les classes se trouvait en Allemagne et ce sont des responsabilités considérables qui reposaient sur la classe ouvrière de ce pays. "Le prolétariat allemand est le plus fidèle, le plus sûr allié de la révolution russe et de la révolution prolétarienne" (Lénine).

 Les révolutionnaires allemands, quant à eux, comprenaient pleinement l'enjeu de la situation : "(...) le destin de la révolution russe : elle atteindra son objectif exclusivement comme prologue de la révolution européenne du prolétariat. Si en revanche les ouvriers européens, allemands, continuent à rester spectateurs de ce drame captivant et jouent les badauds, alors le pouvoir russe des soviets ne devra pas s'attendre à autre chose qu'au destin de la Commune de Paris (c'est-à-dire la défaite sanglante)" (Spartacus, janvier 1918).  L'effervescence révolutionnaire qui se développa notamment en Allemagne et en Europe Centrale durant l'année 1918 entretint tous les espoirs de l'imminence du déclenchement de la révolution mondiale.

La contre-offensive de la bourgeoisie contre l'extension de la révolution en Allemagne

De son côté, la bourgeoisie avait déjà tiré les leçons de la première bataille remportée par son ennemi de classe en Russie. Les capitalistes, ceux-là mêmes qui, quelques mois auparavant, déchaînaient encore leurs rivalités impérialistes sur les champs de bataille de la première boucherie mondiale, comprennent la nécessité de resserrer les rangs et de s'unir pour désamorcer et écraser la révolution mondiale en marche.

Ainsi, les forces de l'Entente ne cherchent nullement à mettre à genoux leur ennemi impérialiste lorsque le Kaiser est contraint de demander l'armistice en novembre 1918, pour lui permettre de faire face à la montée révolutionnaire en Allemagne (1).

L'armistice et la proclamation de la République en Allemagne provoquent un sentiment naïf de "victoire" que paiera très cher le prolétariat. Alors que les ouvriers en Allemagne ne parviennent pas à unifier les différents foyers de lutte et se laissent désorienter par les discours et manœuvres des partis ouvriers et des syndicats passés dans le camp de la bourgeoisie, la contre-révolution s'organise et coordonne les syndicats, les partis "socialistes" et le haut commandement militaire.

A partir de décembre 1918, la bourgeoisie passe à l'offensive par de constantes provocations envers le prolétariat de Berlin dans le but de le faire partir en lutte seul et de l'isoler du reste du prolétariat allemand. Le 6 janvier, un demi-million de prolétaires berlinois sortent dans la rue. Le lendemain même, à la tête des corps-francs (officiers et sous-officiers démobilisés par le gouvernement), le "socialiste" Noske écrase dans un bain de sang les ouvriers de Berlin. Afin de laisser le moins de chances possibles au prolétariat de se remettre de cette bataille perdue, la bourgeoisie allemande frappe encore plus fort : elle décapite l'avant-garde du prolétariat allemand en faisant assassiner ses deux figures les plus prestigieuses, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Avec la défaite sanglante que vient de subir la classe ouvrière en Allemagne, la Russie des Soviets voit s'éloigner la perspective immédiate de l'extension de la révolution mondiale.

Néanmoins, le bastion prolétarien russe se fixe comme tâche de "tenir" dans l'attente de nouveaux soulèvements révolutionnaires en Allemagne et dans d'autres pays. Le prolétariat en Russie se trouve ainsi confronté à des conditions extrêmement difficiles : toute la bourgeoisie mondiale s'étant unie dans une gigantesque croisade anti-bolchevique, la République des Soviets était devenue une véritable forteresse assiégée. Totalement isolée, la révolution se débattait entre la vie et la mort. Tenir dans de telles condition exigeait du prolétariat des sacrifices sans fin.

Isolée et étranglée par la coalition bourgeoise, la révolution russe s'effondre

En Ukraine, en Finlande, dans les Pays Baltes, en Bessarabie, la Grande-Bretagne et la France mettent en place des gouvernements qui appuient les armées blanches contre-révolutionnaires regroupées autour des restes de la bourgeoisie russe. Les grandes puissances décident en outre d'intervenir directement en Russie même. Des troupes japonaises débarquent à Vladivostok et plus tard arrivent les détachements français, anglais et américains. Pendant trois ans, jusqu'en 1921, ces forces vont déclencher une véritable orgie de terreur sanglante au sein du pays des soviets, déchaînant massacres et atrocités en tout genre, applaudis des deux mains par les Etats "démocratiques" et bénis par les "socialistes" européens. De surcroît, à l'action des troupes occidentales et des armées blanches s'ajoutent le sabotage et la conspiration contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie en Russie. La guerre civile atroce qui ravage le pays pendant ces années, avec son cortège de maladies et de famines résultant du blocus économique imposé à la population russe, causa 7 millions de morts.

Pendant ce temps, démocrates et socialistes écrasent paquets par paquets les insurrections ouvrières en Allemagne, en Autriche et en Hongrie. Toutes les défaites que subit alors le prolétariat dans les autres pays sont autant de coups portés au prolétariat russe qui voit ainsi se renforcer son isolement. Alors que le pouvoir des Soviets en Russie ne pouvait se consolider qu'au sein d'une dynamique d'extension de la révolution mondiale pour éradiquer la domination bourgeoise à l'échelle internationale, a contrario, cette situation d'isolement politique, conjuguée aux conséquences de la guerre civile, l'affaiblissent considérablement.

 Le prolétariat et son avant-garde en Russie étaient littéralement "coincés". Les bolcheviks étaient dans l'incapacité de mener une politique différente de celle qui leur était imposée par le cours défavorable du rapport de forces entre la révolution prolétarienne et le capitalisme dominant. La solution à ce dilemme ne se trouvait pas en Russie même : elle n'était pas plus entre les mains de l'Etat russe que dans les rapports entre le prolétariat et la paysannerie. La solution ne pouvait venir que du prolétariat international.

 C'est la raison pour laquelle toutes les mesures économiques prises, notamment celles instaurées sous ce qu'on a appelé par la suite le "communisme de guerre", n'auguraient en rien une "véritable" politique socialiste. Elles ne représentaient pas l'abolition des rapports sociaux capitalistes mais étaient simplement des mesures d'urgence imposées par le blocus économique capitaliste contre la république des Soviets et par les nécessités résultant de la guerre civile.

 De même, lorsque la vague révolutionnaire est entrée dans sa phase finale à partir de 1921, malgré encore la poursuite d'héroïques combats de la classe ouvrière, l'instauration de la NEP (Nouvelle Politique Economique) n'était pas la "restauration" du capitalisme puisque celui-ci n'avait jamais été éliminé en Russie. Toutes ces politiques et mesures portaient la marque des conditions d'asphyxie que l'isolement imposait à la révolution.

Lénine était parfaitement conscient du fait que, malgré la prise du pouvoir par le prolétariat, la destruction de l'économie capitaliste en Russie dépendait de l'extension de la révolution en Europe : "Nous avions totalement raison de penser que si la classe ouvrière européenne avait pris le pouvoir avant, elle aurait pris à sa charge notre pays attardé - tant d'un point de vue économique que culturel-, elle nous aurait ainsi aidé par la technique et l'organisation et nous aurait permis, en corrigeant et modifiant en partie ou totalement nos méthodes de communisme de guerre, de nous diriger vers une véritable économie socialiste" (2).

Face au déchaînement de la guerre impérialiste, puis de la guerre civile, un grand nombre de prolétaires se sont retrouvés d'emblée sur les champs de bataille où ils comptèrent parmi les combattants les plus valeureux de l'armée rouge mais où ils furent décimés également par centaines de milliers. Les grandes concentrations ouvrières, qui avaient donné naissance aux Soviets les plus en pointe dans la révolution, se trouvèrent ainsi terriblement affaiblies par la guerre et la famine. L'isolement du bastion prolétarien en Russie entraîna la perte progressive de la principale arme politique de la révolution : l'action massive et consciente de la classe ouvrière à travers ses Conseils ouvriers. Ceux-ci devinrent l'ombre d'eux-mêmes et furent absorbés par un appareil d'Etat devenu de plus en plus tentaculaire et bureaucratique.

La nécessité de "tenir" en attendant la révolution en Europe entraîna de plus en plus le parti bolchévik à abandonner sa fonction d'avant-garde politique du prolétariat au profit de la défense de l'Etat soviétique. Cette politique de défense de l'Etat soviétique devint très rapidement antagonique aux intérêts économiques du prolétariat (3). Elle conduisit à l'absorption totale du parti bolchévik par l'appareil d'Etat. Ainsi l'identification du parti à l'Etat finit par conduire les bolchéviks, en 1921, à réprimer dans le sang l'insurrection des ouvriers de Krondstadt contre la misère et la famine. Cet épisode tragique de la révolution russe (sur lequel nous reviendrons dans un prochain article) fut le signe le plus spectaculaire de l'agonie de la révolution russe.

Le stalinisme, fer de lance de la contre-révolution

C'est en fait de l'intérieur, au sein même de la République des Soviets, là où les révolutionnaires l'attendaient le moins, que surgit la contre-révolution et que se reconstitua le pouvoir de la bourgeoisie du fait du processus d'absorption du parti bolchévik par l'Etat.

 Gangrené par le surgissement d'un appareil bureaucratique et totalitaire, le parti bolchevik tendit de plus en plus à substituer la défense des intérêts de l'Etat soviétique au détriment des principes de l'internationalisme prolétarien. Après la mort de Lénine en 1924, Staline, principal représentant de cette tendance vers l'abandon de l'internationalisme, aida la contre-révolution à s'installer : grâce à l'influence qu'il avait acquise dans l'ombre au sein de l'appareil, il entrava puis paralysa l'action des éléments qui tentèrent de s'opposer aux déviations contre-révolutionnaires du parti bolchévik.

 Ainsi, l'épuisement de la vague révolutionnaire après 1923 et dont le dernier soubresaut interviendra en Chine (1927), signa la faillite de la plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat. Le bastion prolétarien russe s'effondra de l'intérieur et la chasse aux révolutionnaires internationalistes fut ouverte dans le parti. Le parti bolchévik stalinisé devait ainsi être "épuré" de tous ceux qui, restés fidèles à l'internationalisme, continuaient à se revendiquer des principes du prolétariat que Lénine avait défendus bec et ongles. Dès 1925, Staline mit en oeuvre la théorie de "la construction du socialisme en un seul pays" grâce à laquelle allait s'installer dans toute son horreur la contre-révolution la plus effroyable de toute l'histoire humaine.  Cette contre-révolution stalinienne, en détruisant toute pensée révolutionnaire, en muselant toute velléité de lutte de classe, en instaurant la terreur et la militarisation de toute la vie sociale, en décimant la vieille garde bolchevique, devenait l'incarnation de la négation du communisme. L'URSS devenait un pays capitaliste à part entière où le prolétariat était soumis, le fusil dans le dos, aux intérêts du capital national, au nom de la défense de la "patrie socialiste".

La défaite de la vague révolutionnaire mondiale, et en son sein de la révolution en Russie à travers sa dégénérescence stalinienne, a constitué l'événement le plus tragique de l'histoire du prolétariat et de l'humanité puisqu'elle a provoqué le plus profond recul jamais connu par la classe ouvrière (un demi-siècle de contre-révolution mondiale) et ouvert la voie à la seconde guerre mondiale.

Il est donc vital pour la classe ouvrière de tirer tous les enseignements de la révolution russe et de son échec.

 Seule la capacité du prolétariat à se réapproprier les leçons de sa propre histoire peut lui permettre de ne pas céder aux campagnes mensongères de la bourgeoisie répétant à satiété que la terreur du régime stalinien est l'enfant naturel de la révolution d'Octobre 17.

 L'objectif de telles campagnes et de tels mensonges consiste à dénaturer Octobre 1917 en faisant croire que toute révolution prolétarienne ne peut conduire qu'au stalinisme. La classe dominante et ses idéologues patentés s'efforcent ainsi d'empêcher la classe ouvrière de reprendre le flambeau du formidable combat mené par cette génération de prolétaires qui, il y a 80 ans, avait osé se lancer à l'assaut du ciel pour détruire l'ordre bourgeois.

                                                 BS

(1) On mesure ainsi tout le chemin parcouru par la bourgeoisie puisque, moins de deux ans auparavant, les bourgeoisies française et anglaise avaient poussé le gouvernement Kerensky, issu de la révolution de février 1917, à maintenir l'effort de guerre coûte que coûte, obligeant ce gouvernement provisoire à démasquer sa nature bourgeoise aux yeux des ouvriers et attisant ainsi le feu révolutionnaire en Russie.

(2) Lénine, La NEP et la révolution, Théorie communiste et économie politique dans la construction du socialisme. (Autres sources : Revue Internationale n° 3, 75, 80).

(3) Ce problème n'échappa pas à la vigilance de Lénine qui soutint à propos du débat dans le parti bolchevik sur le rôle des syndicats au début des années 20, que la classe ouvrière avait encore à défendre ses intérêts immédiats contre l'Etat durant la période de transition du capitalisme au socialisme. Mais dans les conditions de l'époque, les révolutionnaires n'eurent pas les moyens de pousser plus avant la réflexion politique sur cette question cruciale.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [6]

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