Les bourgeoisies européennes ne se limitent pas à étaler "l'exemple français" dans leurs médias mais tiennent à l'exploiter pour étendre la défaite dans d'autres pays. Les syndicats ont partout en Europe d'ores et déjà sauté sur l'occasion pour tenter d'entraîner des secteurs entiers de la classe ouvrière dans le même piège qu'en France, en embrayant l'organisation d'une série de grèves et de manifestations "sur le modèle français". L'exemple le plus significatif est sans nul doute le développement des manoeuvres syndicales en Belgique durant ces derniers mois.
La bourgeoisie belge, comme en France, est confrontée à la nécessité impérieuse de lancer une série d'attaques particulièrement dures : réforme de la Sécu et du système d'indexation des salaires, dégraissage de la Fonction publique et nouvelle série de licenciements dans le privé. Elle sait pertinemment qu'elle ne s'arrêtera pas là et qu'elle devra continuer à porter des attaques frontales contre les conditions de vie de la classe ouvrière, auxquelles cette dernière réagira en développant ses luttes et son expérience.
C'est pourquoi la bourgeoisie a pris les devants. Déjà depuis plusieurs mois, comme dans les autres pays européens, la bourgeoisie a lancé ses syndicats dans une série d'actions préventives pour renforcer leur crédibilité et leur contrôle, et pour entretenir et semer la confusion au sein de la classe ouvrière. Les mouvements en France contre le plan Juppé lui ont permis de passer à la vitesse supérieure, par l'exploitation habile de toute la campagne lancée autour de ce "nouveau mai social". Gouvernement, patronat et syndicats, fraternellement unis dans la défense de l'ordre capitaliste, ont développé un piège perfide visant à entraîner certains secteurs de la classe ouvrière en Belgique à leur tour dans une lutte prématurée, afin de leur infliger une défaite devant servir de leçon pour l'ensemble de la classe ouvrière.
Les différentes phases de la mise en place du piège sont éclairantes :
Une fois de plus, nous voyons comment gouvernement, patronat et syndicats se répartissent le travail : les provocations doivent faire voir rouge aux travailleurs et assurer la mobilisation derrière les syndicats qui ont soigneusement préparé l'occupation du terrain social. Ainsi, le ras-le-bol, la volonté d'en découdre sont habilement utilisés contre les travailleurs, engagés dans une série de grèves syndicales tournantes. Celles-ci permettent aux syndicats de se placer sur le devant de la scène, se présentant comme "radicaux" et "défenseurs des intérêts ouvriers", et de développer leur manoeuvre dans laquelle les cheminots et les ouvriers de la Sabena sont mis dès le départ à l'avant-plan.
Ce "recul" est bien sûr présenté par les médias comme une "première percée grâce à la mobilisation syndicale", alors qu'à aucun moment bien sûr la bourgeoisie n'a manifesté la moindre intention de suspendre ses attaques ("Plus d'argent pour la SNCB ne signifie donc pas qu 'il faudra faire moins d'économies." ("De Morgen" du 9 décembre). Sur base de cette "première victoire syndicale", la bourgeoisie passe alors à l'étape suivante :
Cette manifestation générale de la fonction publique avait de toute évidence un rôle très important dans la manoeuvre de la bourgeoisie.
L'ensemble de ses orientations en témoignent :
Bref, tout était mis en oeuvre pour pousser de larges secteurs de la classe ouvrière dans la mobilisation syndicale. Ayant assuré et renforcé son contrôle sur le mouvement, la bourgeoisie lance, dans les mêmes secteurs, deux jours après la manif nationale, une nouvelle provocation qui illustre une fois de plus la collusion absolue entre gouvernement, patronat et syndicats. Le vendredi 15, le conseil de direction de la SNCB adopte "à l'improviste" le plan de restructuration contesté, ce qui provoque un coup de colère des syndicats "mis devant le fait accompli". Mensonges évidemment ! Comme ils ont des représentants au conseil de direction, les syndicats étaient parfaitement au courant de l'ordre du jour. Les 18 et 19 éclatent un peu partout parmi les cheminots des grèves "spontanées" face à la provocation, soigneusement encadrées par les syndicats qui les suspendent "jusqu'après les fêtes" : "Nous aurions préféré ne développer des actions qu'après les vacances mais la base n est apparemment pas du même avis. Nous soutenons ces gens." (M. Bovy du syndicat social-chrétien) Quelle hypocrisie ! Derrière cette "spontanéité" du mouvement, il y a une stratégie de la tension qui a soigneusement été préparée par l'ensemble des forces de la bourgeoisie et qui utilise, exactement comme en France, les cheminots comme appât pour attirer d'autres parties de la classe ouvrière dans le piège. Le 19 et le 20, c'est à la Sabena que, face au refus du patron de retirer sans conditions la suspension des conventions collectives en vigueur, les syndicats déclenchent une grève "dure" de 48h (pour en assurer le succès, la direction avait d'ailleurs demandé à tous les employés de rester à la maison) avec blocage de l'aéroport, puis la dramatisent à travers le piège de l'occupation du tarmac, provoquant une intervention des forces de l'ordre, et la "radicalisent" le jour suivant au moyen d'une manif avec la participation de délégations syndicales de diverses entreprises privées (SNCB, VW, Volvo, Sidmar, Belgacom, Renault), venues "manifester leur solidarité" et affirmer aux travailleurs de la Sabena que "leur lutte constitue un laboratoire social pour l'ensemble des travailleurs". De cette façon, une fois de plus, les syndicats utilisent les travailleurs de la Sabena pour entraîner d'autres secteurs dans la manoeuvre.
Le but est clair. Comme en France, la bourgeoisie lance une partie de la classe ouvrière dans une lutte prématurée, en exploitant pleinement "l'exemple français", afin de préparer l'avenir en affaiblissant la classe ouvrière. Comme en France, son objectif central est non seulement de re-crédibiliser ses syndicats mais, plus encore, d'amener la classe ouvrière à leur faire confiance.
"Révolution Internationale" n°253
Février 1996