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V - L'intervention du CCI

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Dans son intervention, le CCI s'est pleinement mobilisé pour être à la hauteur de ses responsabilités. Et il n'a pas attendu le mois de novembre pour cela. C'est justement parce qu'il s'est résolument impliqué, qu'il est intervenu activement dans les nombreuses journées d'action syndicales organisées dans le mois d'octobre (notamment le 10 octobre dans la Fonction Publique) qu'il a pu déceler, analyser avec lucidité et dénoncer la préparation d'une grande manoeuvre de la bourgeoisie. C'est pour cela qu'il a pu mettre en garde par avance l'ensemble de la classe ouvrière en annonçant qu'un énorme piège lui était tendu. Nous écrivions alors de façon "prémonitoire" fin octobre : "La journée de "protestation" des fonctionnaires contre le blocage des salaires a ainsi constitué le premier épisode de l'offensive de grande ampleur de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. En prenant une telle mesure provocatrice (dans la Fonction publique), Il s'agissait pour la classe dominante de lancer un ballon d'essai destiné à tester les réactions ouvrières face à l'encadrement syndical. Cette journée d'action n'était en effet rien d'autre qu'une manoeuvre préventive visant à remettre en selle les syndicats. Ces derniers sont parvenus à occuper tout le terrain, en embarquant un maximum d'ouvriers de la fonction publique dans une action stérile. (...) Ils sont parvenus à faire croire que la seule lutte possible, c'est la lutte derrière les syndicats." (RI n° 250).

Tout au long de la lutte, les militants du CCI ont cherché, en chaque occasion, à assurer au maximum la présence et la défense de la position des révolutionnaires au sein de leur classe. Ils ont dénoncé sans relâche la manoeuvre de la bourgeoisie dans les manifestations comme sur leurs lieux de travail. Ils sont intervenus par tous les moyens dont ils disposaient, à travers des discussions ou des prises de parole en assemblées générales chaque fois que cela était possible comme à travers la vente de la presse, la diffusion à un millier d'exemplaires d'un supplément au journal dont des extraits sont publiés ci-dessous, puis par la distribution la plus large possible dans l'ensemble de la classe ouvrière et au niveau national à la fin de la grève d'un tract-bilan également reproduit en fin de ce chapitre. Le CCI a également tenu plusieurs réunions publiques sur ce sujet dans différentes villes de France.

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Quelle intervention des révolutionnaires face à la manoeuvre ?

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En chaque circonstance, les organisations révolutionnaires se sont toujours appuyées dans leurs interventions au sein de leur classe sur des principes et sur une méthode à partir desquels elles sont à même de s'orienter comme avec une boussole. Ces principes, cette méthode vivante, c'est le marxisme.

 

Mais le degré d'appropriation de cette méthode ne s'auto-proclame pas, ne se décrète pas. Il se vérifie et peut être jugé entièrement dans la pratique de ces organisations. La justesse -et par là même l'efficacité- de leur intervention se démontre toujours après coup, à terme, dans son apport à la défense des intérêts et des positions prolétariennes pour armer le mouvement ouvrier dans sa lutte historique.

 

Le marxisme : seule boussole pour l'intervention des révolutionnaires

 

C'est le caractère propre à la lutte révolutionnaire du prolétariat, tel qu'il a été défini par Marx au siècle dernier, qui détermine un des premiers principes de l'intervention des révolutionnaires dans la lutte de classes : savoir garder la tête froide pour analyser les événements et le rapport de forces entre les classes. Ce principe s'appuie sur la connaissance fondamentale que la classe ouvrière ne pourra aller à la victoire qu'après avoir subi une longue série de défaites :

 
  • "Les révolutions bourgeoises se précipitent rapidement de succès en succès. (...) Les révolutions prolétariennes, par contre, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour recommencer à nouveau, raillant impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n 'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière." (Marx, "Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte").
 

C'est parce qu'elle est l'émanation d'une classe historique, seule porteuse d'un avenir pour l'humanité que l'intervention des révolutionnaires est un travail patient, opiniâtre, à long terme. Mais dans cette intervention, les révolutionnaires doivent avant tout se prémunir contre le danger constant de céder au découragement ou de succomber au revers de la même médaille : se laisser bercer d'illusions rassurantes ou pire, euphorisantes. Pour cela, ils ne doivent pas plonger la tête dans le sable face à la réalité mais prendre la mesure la plus exacte possible des obstacles dressés sur le chemin de la révolution par la bourgeoisie et des difficultés des batailles à mener.

 

Cette pratique est tout à l'opposé de l'impatience et de l'immédiatisme. Ces tares caractéristiques de la petite-bourgeoisie font courir celle-ci en tous sens et lui font voir l'hydre de la révolution derrière la moindre grève ou même derrière tout ce qui bouge et à chaque moment. Une telle attitude, ravivée par l'héritage du mouvement étudiant "soixante-huitard", représente un véritable fléau pour les luttes du prolétariat.

 

L'intervention des révolutionnaires est le seul antidote qui puisse s'y opposer, dans la mesure où elle cristallise l'expérience historique des combats de la classe ouvrière et où elle est capable de savoir dégager l'analyse la plus claire du rapport de forces réel entre les classes à un moment donné.

 

L'intervention du CCI dans les grèves de décembre 95

 

C'est là la méthode utilisée par le CCI qui a servi de guide à son intervention dans les événements de l'hiver dernier en France. C'est sa pratique marxiste qui lui a permis d'écarter fermement toute approche opportuniste pour "gagner les masses" sur des orientations floues, ambiguës, superficielles. Dans la forme comme dans le contenu, les critères d'intervention du CCI dans ce mouvement ont reflété notre conception d'une organisation révolutionnaire conséquente.

 

La tâche des révolutionnaires n'est pas de pousser la classe ouvrière vers n'importe quelle aventure, en particulier lorsqu'il s'agit, comme dans ce mouvement, d'une aventure derrière les syndicats, contrairement à ce qu'ont fait les groupes parasites. Ce n'est pas sur le même terrain que celui des détracteurs de son intervention que le CCI a combattu. Ceux-ci ont ricané parce qu'au lieu d'un tract d'appel à la lutte, le CCI a diffusé un supplément à sa presse territoriale où il dénonçait la manoeuvre de la bourgeoisie en mettant les ouvriers en garde contre le danger de foncer tête baissée dans une lutte prématurée, provoquée et téléguidée par les syndicats.

 

Pour nos détracteurs du milieu parasitaire, c'était la preuve indubitable que le CCI "n'était pas partie prenante". Mais la vraie question était de savoir de quoi eux-mêmes étaient "partie prenante" : d'une gigantesque manoeuvre de la bourgeoisie pour ramener les prolétaires derrière les syndicats. Contrairement à tous ceux qui, en se prétendant révolutionnaires, ont donné comme seule perspective aux ouvriers de marcher toujours plus nombreux dans un mouvement dirigé par les forces de la bourgeoisie, le CCI a affirmé clairement et sans la moindre ambiguïté dans ce supplément à notre journal RI qu'il n'y avait AUCUNE PERSPECTIVE pour la classe ouvrière dans un tel mouvement, sinon celle de se laisser embrigader derrière les syndicats. En plein déploiement de la manoeuvre bourgeoise, ce supplément était la seule forme d'intervention permettant à notre organisation d'être à la hauteur de ses responsabilités en débusquant, en analysant en profondeur et en dénonçant sous tous ses angles les différentes facettes du piège de la bourgeoisie.

 

L'intervention des révolutionnaires ne consiste nullement à flatter ou applaudir ce que font à chaque instant les ouvriers. Leur fonction n'est pas de faire de la "géviculture", ni de s'extasier béatement sur la "combativité" du prolétariat en réduisant la vision de ses luttes à cette dimension, car cela contribue à masquer le fait que l'arme essentielle du prolétariat dans ses combats de classe est sa conscience. C'est pourquoi la responsabilité cruciale des révolutionnaires est de mettre en garde la classe ouvrière contre les pièges que lui tend la bourgeoisie et de les dénoncer en tant que tels. Le CCI a été ainsi la seule organisation capable d'anticiper la défaite de la classe ouvrière, non pas pour s'en lamenter mais pour l'aider à surmonter cette nouvelle épreuve, afin de pouvoir repartir au combat. C'est dans ce but que le CCI a massivement diffusé, à la fin du mouvement un tract-bilan, tirant les enseignements de cette défaite et permettant à la classe ouvrière de comprendre ce qui s'était passé, afin de mieux s'armer et de mieux se préparer pour les luttes à venir. En particulier, ce tract-bilan souligne que la première nécessité pour aborder les prochaines luttes est d'abord de savoir reconnaître et identifier qui sont les ennemis auxquels le prolétariat devra se confronter, et en premier lieu les syndicats. C'est là que réside la responsabilité la plus élémentaire des révolutionnaires aujourd'hui.

"Révolution Internationale" n°254 Mars 1996

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Peut-on gagner en luttant derrière les syndicats ? (Extraits du supplément à notre journal diffusé en décembre 95)

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(...) Alors que pendant des années, notamment les années de la Gauche au gouvernement, ils freinaient des quatre fers face aux différents plans d'austérité, aujourd'hui les syndicats «excitent la foule» à travers des discours «radicaux» et «jusqu'au boutistes».

 

Les syndicats poussent les ouvriers dans le piège de la bourgeoisie avec la complicité des médias.

 

Dans toutes les entreprises, d'abord du secteur public, puis du secteur privé, ils poussent les ouvriers à engager massivement la lutte derrière eux. Face aux hésitations de la plupart des secteurs devant la perspective d'une grève de longue durée, ils sont revenus à la charge à plusieurs reprises partout où la volonté d'entrer en grève était minoritaire (centres de tris, certains dépôts de la SNCF, aux usines Renault, etc.). Les médias bourgeois leur ont même prêté main forte en relayant les appels répétés des grands dirigeants syndicaux à 1'«extension» et au «durcissement du mouvement». Jamais on avait vu un tel empressement des médias au service de la lutte de la classe ouvrière. En général, lorsque les combats ouvriers menacent réellement les intérêts de la classe dominante, c'est le «black out», la conspiration du silence, quand ce n'est pas une dénonciation ouverte des ouvriers en lutte (comme par exemple lors de la grève spontanée de la RATP en décembre 85 où on a eu droit à une campagne hystérique des médias, accusant les grévistes de «prendre les usagers en otage», tandis que les syndicats dénonçaient le caractère «illégal» de cette grève qui est partie sans consignes et donc sans préavis syndical). Il est même arrivé que la grève soit annoncée dans le journal «Le Monde» avant même que les ouvriers ne se soient mobilisés (par exemple au tri de Paris-Austerlitz le 28 novembre) !

 

Les syndicats occupent tout le terrain de la lutte

 

Dans la rue, dans les entreprises, dans les ateliers, dans les assemblées générales, dans des «comités de grève» mis en place par eux, ce sont les syndicats qui dirigent et contrôlent la lutte, ce sont eux qui prennent toutes les décisions, ne laissant pas d'autre alternative aux ouvriers que de les suivre dans une grève longue, «illimitée», ou 'de ne rien faire. En quadrillant ainsi tout le terrain, ils ne laissent aux ouvriers pas d'autre choix que de se soumettre à leurs directives en leur faisant croire que la seule lutte possible, c'est la lutte derrière les syndicats. Après chaque journée d'action (le 24, puis le 28 novembre, puis le 5 décembre, etc.), les syndicats mettent en avant la nécessité de «tenir» jusqu'à la prochaine journée de manifestations afin de faire durer la grève le plus longtemps possible pour épuiser les ouvriers.

 

Les syndicats organisent l'extension... de la défaite

 

Aujourd'hui, les syndicats, CGT en tête, n'ont à la bouche que le mot «extension de la grève !», mais dans la réalité, ils sabotent tous les moyens permettant aux ouvriers de réaliser une véritable extension de la lutte. En particulier, en poussant à la paralysie totale des transports (SNCF et RATP), ils empêchent tout moyen de communication, de déplacement des ouvriers. Non seulement, en bloquant les transports, les syndicats obligent les ouvriers qui veulent aller aux manifestations à dépendre des cars syndicaux, mais ils les empêchent de se rendre aux assemblées générales des autres entreprises en grève. En prenant ainsi les ouvriers en otage, les syndicats gardent le monopole des assemblées générales et de tout contact, de tout lien réel entre les différents lieux de lutte (d'ailleurs sur certaines lignes de la RATP et de la SNCF, c'est la direction elle-même qui a empêché le départ des trains pour donner un petit coup de pouce aux syndicats).

 

Face à cette manoeuvre de séquestration de la classe ouvrière destinée à la déposséder de ses armes de combat, les prolétaires doivent se souvenir de la lutte exemplaire de leurs frères de classe de Pologne en août 1980 qui non seulement a été capable de faire reculer le gouvernement Gierek, mais qui a fait trembler toute la bourgeoisie mondiale. Dès le début du mouvement, en prenant eux-mêmes leur lutte en mains sans l'»aide» d'aucun syndicat, les ouvriers avaient décidé de ne pas bloquer les voies de communication. Ils avaient mis les transports au service de l'extension géographique de la lutte. C'est en grande partie grâce à la circulation des trains et des tramways qu'ils avaient pu étendre et unifier leur combat, en envoyant des délégations massives, d'un bout à l'autre du pays.

 

Tous les ouvriers savent qu'une lutte ne peut être victorieuse que si elle s'étend et implique le plus grand nombre possible de travailleurs. Aujourd'hui, les syndicats utilisent ce besoin ressenti par les ouvriers non pour renforcer le mouvement mais pour embarquer le maximum d'ouvriers dans le piège de la bourgeoisie. C'est la raison pour laquelle les syndicats, épaulés par leur «base radicale» et les trotskistes (notamment de «Lutte Ouvrière») ont organisé et manipulé des délégations de cheminots qu'ils ont envoyés aller «étendre» la grève notamment dans les entreprises (par exemple les tris postaux) où les ouvriers hésitaient à s'engager dans une lutte longue dont la seule perspective est de «tenir jusqu'au bout», en leur faisant croire que le bras de fer avec le gouvernement se joue sur la durée du mouvement.

 

En poussant à «l'extension» sur ce terrain pourri, celui d'une lutte «dure» et «longue», les syndicats ne visent qu'à élargir la défaite à l'ensemble de la classe ouvrière. Les ouvriers ne doivent pas se leurrer : à chaque fois que les syndicats appellent à «l'extension», c'est pour embrigader le maximum d'ouvriers dans une impasse. C'est d'ailleurs ce qu'ils avaient fait lors de la grève des cheminots, début 87 lorsqu'ils ont appelé à «l'extension» et au «durcissement» du mouvement non pas lors de la montée de la lutte, mais au moment de son déclin, dans le but d'entraîner le plus possible de secteurs de la classe ouvrière derrière la défaite des travailleurs de la SNCF.

 

La grève longue divise les ouvriers et les dégoûte de la lutte

 

Une grève longue ne renforce pas la lutte ouvrière, elle ne peut que renforcer la bourgeoisie. Dans une situation économique où les ouvriers ont déjà bien du mal à joindre les deux bouts, ils ont tout à perdre dans une grève «illimitée». D'abord, ils perdent des semaines de salaire pour une lutte qui ne fait pas peur à la bourgeoisie car, sur le plan économique, celle-ci est prête à tenir jusqu'à ce que les ouvriers soient totalement épuisés. Souvenons-nous de la grève des mineurs en 84 en Grande-Bretagne où les ouvriers ont mené une lutte qui a duré plus d'un an, avec piquets de grève et caisse de «solidarité». Ils ont perdu des mois de salaires pour rien. Non seulement le gouvernement n'a pas cédé, mais de plus, il a accéléré ses plans de licenciements.

 

Souvenons-nous de l'échec de la grève des cheminots en 86-87 et des travailleurs d'Air-France à l'automne 93 où, après plusieurs semaines de paralysie des transports, les ouvriers ont repris le travail sans avoir rien obtenu. Us se sont retrouvés complètement démoralisés. Les grèves longues préconisées par les syndicats ne servent qu'à écoeurer les ouvriers de la lutte. Lorsque les prolétaires reprennent le travail avec le sentiment qu'ils se sont battus «jusqu'au bout» pour rien, ils ne sont pas prêts à repartir au combat avant longtemps, ils se sentent impuissants et ont le sentiment que lutter ne sert à rien. C'est justement ce que recherche la bourgeoisie. C'est bien pour cela qu'elle compte sur ses syndicats pour insuffler un tel sentiment d'amertume et de démoralisation dans les rangs ouvriers, ce qui permettra par la suite au gouvernement et au patronat de faire passer de nouvelles attaques encore plus brutales.

 

La grève longue, «jusqu'au-boutiste», divise aussi les ouvriers en lutte entre ceux qui suivent les syndicats sur ce terrain, et ceux qui ne sont pas disposés à se laisser entraîner aveuglément, qui hésitent à se lancer dans une combat sur lequel ils n'ont aucun contrôle, aucune maîtrise. Dans ce mouvement de riposte contre le plan Juppé, fréquemment, la grève n'est suivie que par une partie, souvent minoritaire, des ouvriers. En imposant sans réelle discussion la grève illimitée dans les AG, en bloquant les dépôts de bus de la RATP autoritairement, en excluant ceux qui ne veulent pas ou hésitent à s'engager dans une grève longue (comme aux usines Renault par exemple), les syndicats interdisent tout contrôle et toute maîtrise collective de la lutte par les ouvriers eux-mêmes. Et surtout ils préparent la défaite : en divisant la classe ouvrière entre grévistes et non-grévistes, ils provoquent des ressentiments et des amertumes.

 

Aujourd'hui la bourgeoise veut infliger une défaite à l'ensemble de la classe ouvrière, elle veut la démoraliser car les attaques du gouvernement Juppé ne sont qu'un début. La crise économique du capitalisme ne pourra aller qu'en s'aggravant et la classe dominante sera amenée à cogner toujours plus fort pour faire payer aux prolétaires les frais de l'effondrement de son système. (...)

Supplément à Révolution Internationale (6/12/95)

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Quelles leçons pour les luttes futures ? - (Tract diffusé en janvier 1996)

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Novembre-décembre 1995 : il n'y avait pas eu depuis longtemps une telle mobilisation de la classe ouvrière en France. Et pourtant, malgré les centaines de milliers de grévistes, les millions de manifestants, le gouvernement a réussi à faire passer ses principales attaques contre les travailleurs, à commencer par le plan Juppé sur la Sécurité sociale.

 

Il faut appeler un chat un chat : malgré son énorme mobilisation, la classe ouvrière a encaissé une défaite. Et même là où le gouvernement a retiré ses mesures, particulièrement à la SNCF, il ne faut pas se faire d'illusions : il va revenir à la charge en attendant le moment propice.

 

Mais cette défaite sera beaucoup plus grave encore si les ouvriers ne sont pas en mesure d'en tirer les enseignements, s'ils ne comprennent pas pourquoi cette mobilisation a mené à un tel résultat.

 

Et la première question à laquelle il faut répondre est celle du rôle des syndicats.

 

Les syndicats changent d'attitude pour duper les ouvriers

 
  • Aujourd'hui, on les voit arborer un langage hyper-radical et contestataire à l'égard du gouvernement alors qu'entre 81 et 84, ils nous avaient habitués à la plus grande «modération» envers les patrons et le gouvernement qui licenciaient à tour de bras dans la sidérurgie, les mines et l'automobile, un gouvernement PC-PS qui envoyait même ses CRS contre les ouvriers.
  • Les syndicats se sont portés à la tête du mouvement, poussant systématiquement les ouvriers à s'engager dans la lutte alors que dans le passé, ils n'ont pas arrêté de saboter les luttes ouvrières :
 
 

Souvenons-nous de la formidable grève de 1968, qui a démarré sans les syndicats, où beaucoup d'ouvriers ont déchiré leurs cartes syndicales, tellement ils avaient été écoeurés par les magouilles des syndicats pour brader le mouvement (le secrétaire général de la CGT, Séguy, s'était même fait huer lorsqu'il avait essayé de faire avaler aux ouvriers de Renault les accords de Grenelle qu'il avait concocté avec Pompidou et le jeune Chirac).

 

Souvenons-nous de la grève de décembre 1985 à la RATP, dénoncée comme «illégale» par la CGT parce qu'elle avait démarré spontanément, sans aucune consigne syndicale.

 

Souvenons-nous qu'au début de la grande grève des cheminots de décembre 1986, les syndicats avaient freiné des quatre fers : on avait même vu la CGT (encore elle !) organiser des piquets antigrève.

 

Et lorsque les syndicats se sont «engagés» dans le mouvement, c'était... pour aller négocier la défaite des cheminots avec le gouvernement !

 
  • Aujourd'hui, on voit les principaux syndicats unis, lancer des appels aux mêmes manifestations, avec les mêmes mots d'ordre, alors que pendant des années, ils n'ont pas cessé de diviser les ouvriers en étalant leurs propres divisions, en appelant à la grève à des jours différents, à des manifestations dans des cortèges différents, etc.
  • Les syndicats se démènent pour l'extension de la grève au-delà des secteurs, alors que pendant des années, ils ont systématiquement divisé, enfermé, isolé les travailleurs, par des revendications catégorielles, corporatistes, spécifiques à telle ou telle entreprise. Les rares fois où ils ont appelé à l'extension, c'était pour mieux étendre une défaite de la classe ouvrière : ainsi, pendant la grève des cheminots en décembre 86, ils se sont bien gardé d'appeler à l'extension de la lutte. Ce n'est qu'au début de l'année 1987 qu'ils ont appelé l'ensemble du secteur public à entrer en lutte au moment même où le mouvement des cheminots refluait du fait de son isolement.
 
 

Les syndicats sont-ils devenus de véritables défenseurs de la classe ouvrière ?

 

Pour répondre à cette question, il nous faut comprendre ce qui s'est réellement passé au cours des dernières semaines.

 

En fait, la classe ouvrière a été confrontée à une énorme manoeuvre de la bourgeoisie qui avait deux objectifs principaux :

 
  • faire passer dès à présent un maximum de mesures anti-ouvrières ;
  • préparer le terrain pour les futures attaques en affaiblissant la classe ouvrière.
 
 

Comment la bourgeoisie s'y est-elle prise ?

 

Le point d'orgue de cette manoeuvre a été constitué par une gigantesque provocation du gouvernement Juppé qui, semaine après semaine, a accumulé volontairement les annonces d'attaques brutales contre l'ensemble des travailleurs :

 
  • augmentation de la fiscalité indirecte (hausse de la TVA) et directe (création de la CRD, contribution au remboursement de la dette) ;
  • gel des allocations familiales pour 1996 avant de les rendre imposables en 1997 : ainsi, ce sont les ouvriers, les bas salaires et les chômeurs qui sont visés en priorité ;
  • réforme de la Sécurité sociale : les travailleurs devront payer plus (les retraités et les chômeurs sont également mis à contribution) pour être moins remboursés et plus mal soignés.
 
 
 

En même temps, le gouvernement annonce des attaques plus spécifiques contre le secteur public : blocage des traitements, attaque sur les régimes de retraites.

 

Enfin, cette provocation est couronnée par une véritable agression contre les cheminots, et particulièrement les roulants, avec le contrat de plan de la SNCF qui prévoit notamment des suppressions massives d'emplois, un démantèlement des régimes de retraites et l'obligation de travailler 7 ans de plus en moyenne.

 

En prenant cette dernière mesure, le gouvernement savait parfaitement que les cheminots allaient être les premiers à réagir, qu'ils allaient constituer un «exemple» pour les autres ouvriers, particulièrement dans le secteur public. Et c'est justement ce qu'il voulait : que les cheminots donnent le signal de la grève comme ils allaient donner le signal de la reprise lorsqu'il retirerait son plan pour la SNCF. Il ne faut pas s'y tromper, la bourgeoisie avait prévu depuis le début ce prétendu recul à la SNCF, comme elle avait prévu de «reculer» sur le régime de retraite des fonctionnaires : c'était le meilleur moyen de faire avaler tout le reste, et particulièrement la «réforme» de la Sécurité sociale.

 

Ce type de manoeuvre n'est pas nouveau : il avait déjà été utilisé par exemple lors de la grève des hôpitaux à l'automne 88. En effet :

 
  • comme en 88 durant la grève des infirmières, face au ras le bol des ouvriers contre la politique d'austérité du gouvernement, la classe dominante a pris les devants en provoquant un combat prématuré afin de mouiller la poudre, saboter tout le terrain de la lutte et entraîner l'ensemble de la classe ouvrière dans une défaite cuisante ;
  • comme en 88 avec les infirmières, elle a utilisé un secteur ouvrier particulièrement combatif (les cheminots) pour présenter leur lutte comme un exemple à suivre ;
  • comme en 88, le gouvernement avait prévu dans son plan d'attaque un simulacre de «recul» pour faire croire à une «victoire» de la classe ouvrière.
 
 
 

Faut-il des preuves de cette manoeuvre ? Il n'y a qu'à voir l'attitude de la presse et de la TV au cours de la grève : jamais une lutte ouvrière n'avait été présentée de manière aussi favorable en même temps qu'on mettait en relief l'arrogance et la morgue de Juppé. Même la presse étrangère s'y est mise : habituellement, les médias font un complet silence sur les luttes dans les autres pays. Cette fois-ci, les grèves en France faisaient la une des journaux dans les principaux pays d'Europe.

 

Et dans cette manoeuvre, les syndicats ont pris toute leur part. Grâce à la provocation du gouvernement Juppé, ils ont pu se mobiliser pour se présenter comme les véritables défenseurs de la classe ouvrière :

 
  • à la SNCF, puis à la RATP et dans l'ensemble des transports publics, ils ont poussé systématiquement à l'entrée en grève ;
  • une semaine après, ils ont appelé à l'extension de la grève dans le reste du secteur public, particulièrement aux PTT, en organisant en beaucoup d'endroits l'envoi de délégations de cheminots vers les centres de tri ;
  • ils ont multiplié les manifestations «unitaires» (qui ne pouvaient qu'encourager encore plus de travailleurs à entrer en grève) sauf celle du samedi 16 décembre qui était un baroud d'honneur préparant la reprise du travail.
 
 
 

Sur le terrain, les syndicats contrôlent tout. Ils récupèrent les besoins de la lutte pour enlever toute initiative aux ouvriers : ce sont eux qui «organisent» l'extension du mouvement. Même l'idée des AG «souveraines» est mise en avant par eux pour mieux les dénaturer en faisant croire que ce sont les ouvriers qui décidaient de la conduite du mouvement. Ensuite, ils poussent plus ou moins ouvertement à la reprise du travail, sans trop se mouiller, sachant très bien que la lassitude a fait son effet (le gouvernement a fait exprès d'attendre trois semaines). Cette tactique leur permettait de ne pas être démasqués. Enfin, ils participent au «sommet social» du 21 décembre en bombant le torse, plus radicaux que jamais.

 

Grâce aux syndicats, non seulement l'essentiel des mesures contre la classe ouvrière est passé mais, pour la bourgeoisie, le terrain est beaucoup mieux préparé pour lui permettre de faire passer les nouvelles attaques : cette grève aura servi à «mouiller la poudre». Ainsi :

 
  • à la SNCF même, lorsque le frère ou le cousin du contrat de plan sera annoncé, les cheminots épuisés par trois semaines de grève, ne seront pas prêts à se lancer dans un mouvement d'une telle ampleur ;
  • dans les autres parties du secteur public, qui se sont également investies dans le mouvement, les postes, France télécom, EDF-GDF, les enseignants, les impôts, etc., il risque d'en être de même;
  • dans l'ensemble de la classe ouvrière, même parmi ceux qui ne se sont pas mobilisés cette fois-ci, il y aura de fortes hésitations à reprendre le chemin de la lutte du fait du sentiment que malgré des combats de grande ampleur, les mesures passent quand même ;
  • en particulier, l'idée que l'extension ne sert à rien est une fausse leçon du mouvement que la bourgeoisie cherche aujourd'hui à faire tirer aux ouvriers.
 
 
 
 

Après trois semaines de grève, un grand nombre d'ouvriers ont repris le travail avec un sentiment de fierté d'avoir été capable de relever la tête. Ce sentiment est tout à fait valable en lui-même car le principal gain de la lutte, c'est la lutte elle-même, c'est la capacité de la classe ouvrière à riposter aux attaques capitalistes. Mais aujourd'hui cette idée représente un grand danger pour les ouvriers car la bourgeoisie l'utilise contre eux : à travers sa manoeuvre elle cherche à induire l'idée que ce sont les syndicats qui ont permis aux ouvriers de relever la tête, sans les syndicats la classe ouvrière n'est pas capable de lutter. Ainsi, un tel sentiment de «victoire» obtenue grâce aux syndicats est pire qu'une défaite ouverte, ressentie comme telle.

 

Alors que les syndicats ont pleinement participé au partage des tâches avec le gouvernement et les médias, la manoeuvre a été telle-' ment bien ficelée qu'ils ont réussi à masquer leur sale travail. Plus encore, ils ont redoré leur blason, ils sont effectivement apparus comme des organes de lutte de la classe ouvrière. En regagnant la confiance d'un grand nombre d'ouvriers, ils pourront d'autant mieux saboter, comme ils l'ont fait systématiquement dans le passé, les prochaines luttes qui surgiront nécessairement face aux attaques de la bourgeoisie.

 

Quels enseignements pour les prochaines luttes ?

 

La première leçon que les ouvriers doivent tirer de cette grève, c'est que, malgré les apparences, malgré l'énorme «combativité» dont ils ont fait preuve, les syndicats sont toujours des ennemis de la classe ouvrière.

 

Pour lutter efficacement, les ouvriers n'auront pas d'autre choix que de s'affronter aux syndicats, notamment en leur disputant dès le début la direction de la lutte. Ils doivent garder le contrôle de leur mouvement du début à la fin :

 
  • à travers de véritables AG souveraines, ouvertes aux ouvriers de tous les secteurs, qu'ils soient chômeurs ou «actifs». Dans ces AG souveraines, les ouvriers doivent discuter collectivement de toutes les questions concernant la lutte et prendre eux-mêmes en main toutes les initiatives, en premier lieu l'extension de la lutte ;
  • cette extension est une nécessité vitale pour la classe ouvrière car une lutte isolée mène TOUJOURS à la défaite. C'est pour cela que dès le début, la recherche de l'extension doit être la préoccupation centrale des ouvriers ;
  • pour contrôler et diriger eux-mêmes leur combat, les ouvriers doivent élire des comités de grève sur base des décisions prises par l'ensemble des travailleurs en lutte. Ces comités doivent être révocables à chaque instant par les assemblées ;
 
 
 

lorsque la lutte s'élargit, il ne faut pas laisser aux syndicats le soin de la centraliser. Par exemple, il faut refuser la pratique des négociations des dirigeants syndicaux avec le patronat ou le gouvernement car celles-ci sont toujours des magouilles dans le dos des ouvriers, où ces derniers ne peuvent rien contrôler. Seule une représentation véritable des travailleurs en lutte, mandatée et contrôlée par les assemblées souveraines, pourra éviter ces magouilles.

 

La classe ouvrière sera obligée de reprendre et développer ses combats car les attaques capitalistes ne vont pas cesser : celles qu'elle a subies dans les derniers mois ne sont qu'un avant-goût de ce qui l'attend. En effet, les attaques anti-ouvrières sont la seule réponse que la bourgeoisie puisse apporter à la crise insoluble de son système. Cette crise est l'expression de la faillite du capitalisme. C'est ce système moribond qui est responsable ici de la misère et du chômage, ailleurs des famines, des guerres et du chaos.

 

Face à l'aggravation de la misère et de la barbarie capitaliste, la lutte de la classe ouvrière représente la seule perspective pour l'humanité. Ce n'est qu'en menant le combat contre les effets de la crise du capitalisme dont il est la principale victime, que le prolétariat, en tirant les leçons de ses luttes, pourra trouver la force de renverser ce système avant qu'il ne détruise toute la planète.

Révolution Internationale, organe du Courant Communiste International en France (3/01/96)

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[1] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/interventions [2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france