Confrontée à la revendication d'indépendance de
la Tchétchénie à la suite de l'effondrement de
l'URSS, la Russie a répondu par une offensive meurtrière
dans laquelle au moins 100 000 personnes ont trouvé la mort.
En 1999, après une accalmie du conflit, Poutine a relancé
son offensive à un niveau encore plus barbare, rasant littéralement
la capitale tchétchène de Grozny. Le prétexte de
cette nouvelle offensive était les explosions d'immeubles à
Moscou et Volgodonsk au cours desquelles 300 personnes furent tuées.
Bien que les terroristes tchétchènes furent tenus pour
responsables, il y a de fortes raisons de penser que c'était
le travail des services secrets russes. Depuis, la Russie a maintenu
une intransigeance totale face aux revendications d'indépendance
de la Tchétchénie. En effet, la perte de celle-ci constituerait
un coup énorme aux intérêts impérialistes
russes. D'abord à cause de la position stratégique de
la Tchétchénie vis à vis des champs de pétrole
et des pipes-lines du Caucase; mais plus encore à cause du danger
que comporte la sécession de la Tchétchénie pour
la Fédération de Russie ; cela donnerait le signal
d'un éclatement de celle-ci, et la Russie y perdrait ses dernières
prétentions à jouer un rôle sur l'arène mondiale.
Il n'y a pas de limite aux crimes commis par l'armée russe dans
le Caucase. Un certain nombre d'organisations "humanitaires"
a fourni beaucoup de documentation à ce sujet. Par exemple, l'organisation
Human Watch parle de l'incapacité de Poutine "à établir
un moyen significatif de poursuivre les responsables des crimes commis
par les sodats et les forces de police russes… les disparitions
forcées, les exécutions sommaires et les tortures ont
énormément sapé la confiance vis à vis des
institutions de l'Etat russe dans la population tchétchène
ordinaire" (cité dans The Guardian, septembre 2004).
Ces ravages sont tout-à-fait équivalents à ceux
perpétrés par les tyrans "officiels" tels que
Saddam Hussein ou Milosevic. Pourtant pendant toutes ces années
de misère dans le Caucase, les leaders de "la démocratie
occidentale", les avocats de "l'intervention humanitaire"
au Kosovo ou en Irak, ont soutenu Poutine à fond. Blair l'a même
invité à prendre le thé avec la reine. C'est parce
que derrière toute leur rhétorique "morale",
Bush, Blair et les autres ne sont intéressés que par les
besoins impérialistes des Etats capitalistes qu'ils représentent.
Aujourd'hui, ces besoins requièrent que l'unité nationale
de la Russie soit préservée - même si elle est un
rival sous bien des rapports comme l'a montré son opposition
à la guerre en Irak - et qu'elle ne s'effondre pas dans
le chaos. La Russie est une grande réserve d'armes nucléaires
et un des principaux producteurs d'énergie au niveau mondial.
Si la Fédération de Russie volait en éclats, comme
l'ancienne URSS, les conséquences seraient trop dangereuses pour
la bourgeoisie occidentale. Cela ne veut pas dire que demain (ou dans
certains cas, aujourd'hui déjà), les grandes puissances
ne chercheront pas à tirer profit des difficultés intérieures
de la Russie pour pousser leurs propres pions dans la région.
Mais pour le moment, elles ont toutes - y compris les principaux rivaux
des Etats-Unis, la France et l'Allemagne - montré beaucoup de
prudence vis-à-vis de la question russe. Le président
Chirac en France et le chancelier Schröder en Allemagne ont récemment
rendu visite à Poutine, lui ont apporté leur total soutien
pour sa politique en Tchétchénie et ont soutenu l'élection
totalement frauduleuse du nouveau président tchétchène
pro-russe Alu Alkharov qui succède à son prédécesseur
assassiné Kradryov.
Ca convient aux Etats-Unis et à la Russie de proclamer qu'ils
"combattent le terrorisme". En fermant les yeux sur l'occupation
militaire barbare de la Tchétchénie par la Russie et sur
le soutien de cette dernière à des petits chefs de guerre
locaux ailleurs dans le Caucase, Washington reçoit en échange
un certain acquiescement de la Russie envers sa politique au Moyen-Orient
et ailleurs.
Comme c'est la barbarie de l'Etat russe en Tchétchénie
qui a engendré la barbarie des gangs terroristes, il y a des
critiques envers les excès de l'Etat russe qui nous demandent
de "comprendre" les actions des terroristes, tout comme ils
nous demandent de "comprendre" les actions suicide organisées
par le Hamas et des groupes similaires en Palestine, ou même de
"comprendre" les attaques d'Al Qaida le 11 septembre. Et en
effet, nous "comprenons" que ceux dont les familles ont été
massacrées et violées par les troupes russes, ou bombardées
par les avions et les tanks israéliens ou américains,
soient entraînés dans des actes violents de désespoir,
de revanche et de suicide. Mais nous pouvons tout autant "comprendre"
que des conscrits russes terrifiés soient poussés à
des actes d'une brutalité folle contre la population civile en
Tchétchénie. Cette "compréhension" ne
nous amène ni à soutenir l'armée russe, ni à
soutenir les nationalistes et leurs chefs fondamentalistes en attente
du pouvoir qui exploitent le désespoir des pauvres et des opprimés
et les poussent à mener des attaques terroristes contre les pauvres
et les opprimés des autres nations. Face au choix entre la terreur
de l'Etat russe et le terrorisme tchétchène, entre l'armée
d'occupation israélienne et le Hamas, entre les Etats-Unis et
Al Qaida, nous disons : assez de faux choix ! Nous ne nous
ferons pas avoir à soutenir une fraction du capitalisme contre
une autre, à rechercher le "moindre mal" dans aucune
des guerres impérialistes qui ravagent la planète aujourd'hui.
Nous comprenons les racines de la haine nationale et raciale, et c'est
pourquoi nous nous opposons à toutes ses formes d'expression.
Le nationalisme fanatique des preneurs d'otages à Beslan les
a conduits à considérer leurs victimes comme moins qu'humains ;
et maintenant, un puissant sentiment de revanche contre leurs actes
inhumains enfle non seulement en Ossétie mais dans toute la Russie.
L'Etat russe utilisera ces sentiments pour justifier de nouveaux actes
d'agression en Tchétchénie et ailleurs : déjà
ses chefs militaires ont menacé de porter "des attaques
préventives" n'importe où dans le monde. Cela donnera
lieu à de nouvelles représailles terroristes et la spirale
infernale de la mort se poursuivra, comme en Israël, en Palestine
et en Irak.
Contre les divisions nationales et religieuses quelles qu'elles soient,
nous défendons la solidarité des exploités sans
considération de race, de nationalité ou de religion.
Contre tous les appels à la solidarité avec "notre"
Etat ou "nos" représentants nationaux, nous défendons
la solidarité de classe du prolétariat dans tous les pays.
Cette solidarité, cette unité de tous les exploités
ne peut se forger que dans la lutte contre l'exploitation. Elle n'a
rien en commun avec les appels à la charité, avec l'illusion
que la solidarité se réduit à l'envoi d'argent
ou de couvertures aux victimes de la guerre et de la terreur. Les guerres
et les massacres qui s'étendent sur toute la planète sont
le produit de la société capitaliste décadente
dans sa phase terminale ; on ne peut s'y opposer et les combattre
que par la lutte commune pour une nouvelle société où
la solidarité humaine sera la seule loi.
L'une des mères éplorées de Beslan disait que l'inhumanité
du siège lui avait fait penser que c'était "le début
de la fin du monde". La disparition de toute décence humaine,
des liens sociaux les plus basiques que montre le massacre d'enfants,
nous montre vraiment que le monde capitaliste arrive à sa fin,
d'une façon ou d'une autre. Une façon, c'est la voie capitaliste
qui mène à l'extermination de l'humanité ;
l'autre, c'est la voie prolétarienne qui mène au renversement
révolutionnaire du capitalisme et à la construction d'une
société communiste sans classes ni exploitation, sans
Etats, sans frontières et sans guerres.