“Le Communisme est mort !”, “Ouvriers, il est inutile d’espérer mettre fin au capitalisme, ce système a terrassé définitivement son ennemi mortel”. Voilà ce que la bourgeoisie répète sur tous les tons depuis que s'est effondré le bloc de l'Est.
Pour les classes dominantes de tous les pays, il s'agit de convaincre leurs exploités qu'il est vain de lutter afin de changer le monde. “Il faut se contenter de ce que nous avons, car il n’y arien d’autre”.
Alors que la salive de ces discours n'était pas encore sèche, les grands pays qui se veulent “civilisés” ont, en 1990, déchaîné une barbarie guerrière sans nom au Moyen-Orient, écrasant sous les bombes des centaines de milliers d'êtres humains, transformant l'Irak en un champ de ruines et de cadavres, faisant subir de façon monstrueuse aux populations de ce pays la qu'ils prétendaient infliger aux dirigeants qui exploitent et oppriment ces mêmes populations. “Mais maintenant c’est fini” nous assure la bourgeoisie la main sur le coeur.
En réalité, l'avenir que le capitalisme propose à l'humanité est celui du plus grand chaos de l'histoire.
Aujourd'hui, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne où, derrière les grands discours sur “l’ordre mondial”, la “paix” et la “coopération” entre nations, la “solidarité” et la “justice” envers les peuples les plus défavorisés, se développe le “chacun pour soi”, l'exacerbation des rivalités impérialistes, la guerre de tous contre tous, la guerre économique mais aussi, de plus en plus, la guerre des armes.
La bourgeoisie “démocratique” veut nous faire croire que l'effondrement brutal des régimes staliniens, qu'elle nous présente comme “communistes”, résulte uniquement de l'impasse dans laquelle se trouvaient ces régimes, de la faillite définitive de leur économie. Encore une fois elle ment !
En réalité un évènement historique d'une telle ampleur, l'explosion de tout un bloc impérialiste, révèle le degré de pourrissement atteint non seulement par les régimes staliniens, mais encore et surtout par l'ensemble du système capitaliste.
Si la société est parvenue à un tel degré de putréfaction, si le désespoir, le “no future”, est devenu à ce point le sentiment dominant en son sein, c'est bien parce que le capitalisme, à un niveau bien plus élevé encore que par le passé, est incapable d'offrir la moindre perspective à l'humanité.
Si on laisse le capitalisme en place, il finira, même en l'absence d'une guerre mondiale, par détruire l'humanité : à travers l'accumulation des guerres locales, des épidémies, des dégradations de l'environnement, des famines et autres catastrophes qu'on prétend “naturelles”.
Plus que jamais, le seul espoir, le seul avenir possible pour celle-ci réside dans le renversement du système capitaliste, dans l'instauration de nouveaux rapports sociaux libérés des contradictions qui étranglent la société. Et un tel bouleversement, seule la classe ouvrière est en mesure de le réaliser. La classe des producteurs salariés, qu'ils travaillent dans des usines ou dans des bureaux, dans des écoles ou dans des hôpitaux, continue d'être le seul porteur de l'avenir de l'humanité.
C'est vrai que la gigantesque campagne orchestrée autour des événements de ces deux dernières années, l'explosion de l'ex-bloc “socialiste”, l'effondrement du régime stalinien en URSS elle-même, l'éclatement de ce pays qui avait vu la révolution prolétarienne il y a trois quarts de siècle, tout cela a affaibli la classe ouvrière.
Dans les pays de l'ex-bloc de l'Est, ceux où les prolétaires ont subi les formes les plus extrêmes de la contre-révolution, ils n'ont pas la force de s'opposer au déchaînement des illusions bourgeoises.
Mais ce ne sont pas là les secteurs les plus décisifs du prolétariat mondial. Ces secteurs, c'est dans les pays capitalistes les plus avancés d'Occident qu'ils se trouvent. C'est dans cette partie du monde, et particulièrement en Europe occidentale, que vivent, travaillent et luttent les bataillons les plus concentrés, mais aussi les plus expérimentés du prolétariat mondial. Et cette partie du prolétariat n'a pas été défaite. Si elle est désorientée par les mensonges actuels, elle n'a pas été embrigadée derrière les drapeaux bourgeois, nationalistes ou démocratiques.
En particulier, la guerre du Golfe s'est chargée de dévoiler plus clairement aux yeux de la classe ouvrière ce que signifiaient la démocratie et ses mensonges sur le “nouvel ordre mondial”. A l'heure actuelle, les célébrations des grand-messes démocratiques que sont les élections sont de plus en plus désertées par les prolétaires. Il en est de même des syndicats, ces organes de l'Etat bourgeois chargés d'encadrer les exploités pour saboter leurs luttes. En outre, l'aggravation inexorable de la crise économique se chargera de plus en plus de balayer les illusions sur la “supériorité” de l'économie capitaliste en même temps qu'elle obligera la classe ouvrière à reprendre le chemin des combats de plus en plus vastes et unis. Un chemin dans lequel elle n'avait cessé de progresser depuis la fin des années 1960, et particulièrement au milieu des années 1980, mais que les événements de ces deux dernières années lui ont fait momentanément quitter.
Jamais dans l'histoire les enjeux n'ont été aussi dramatiques et décisifs que ceux d'aujourd'hui. Jamais une classe sociale n'a dû affronter une responsabilité comparable à celle qui repose sur le prolétariat.
Si celui-ci n'est pas en mesure d'assumer cette responsabilité, il en sera fini de la civilisation, et même de l'humanité. Des millénaires de progrès, de travail et de pensée seront anéantis à tous jamais. Deux siècles de luttes prolétariennes, des millions de martyrs ouvriers n'auront servi à rien.
Mais pour être à la hauteur de cette immense responsabilité que l'accélération de l'Histoire lui confie aujourd'hui, le prolétariat des pays occidentaux doit d'abord refuser à tout prix d'adhérer aux campagnes démocratiques qui se déchaînent à l'heure actuelle, et qui ne visent qu'un seul objectif : extirper de sa conscience la seule perspective porteuse d'avenir pour l'humanité, la révolution communiste. Face à cette gigantesque propagande sur le thème de la "mort du communisme", la classe ouvrière doit non seulement continuer à développer ses luttes contre les attaques incessantes du capital, mais elle doit aussi se réapproprier son propre passé enfoui par plus d'un demi-siècle de contre-révolution. Un passé que toute la bourgeoisie mondiale, qu'elle soit démocratique ou totalitaire a cherché à effacer définitivement de sa mémoire en édifiant sur les décombres de la révolution russe cet effroyable mensonge qu'a été le stalinisme.
Octobre 17 appartient au prolétariat, pas le stalinisme. Face à la barbarie croissante dans laquelle le capitalisme entraîne l'humanité, plus que jamais, il revient au prolétariat de reprendre le cri de guerre de l'Internationale Communiste :
Plus que jamais reste vivant le mot d'ordre du Manifeste Communiste :
(D'après Révolution Internationale N°199; mars 91)
Contrairement à ce que soutient l'histoire officielle, celle de la bourgeoisie, la première guerre mondiale n'a pas pris fin, le 11 novembre 1918, parce que les forces de l'alliance germano-autrichienne avaient subi une défaite militaire décisive ou se trouvaient hors de mesure de poursuivre le combat. Non, l'armistice fut signé pour la raison que les bourgeoisies des deux camps belligérants devaient alors faire face à l'extension mondiale de la révolution ouvrière. De fait, c'est la menace immédiate de l'insurrection du prolétariat en Europe qui a entraîné l'arrêt forcé de la tuerie capitaliste.
Que la classe ouvrière soit parvenue à un tel résultat découlait bien entendu d'un long processus au cours duquel se construisit progressivement sa force. Dès l'été de 1916, il y avait certes eu des mouvements de masse significatifs, notamment en Allemagne, pour exprimer la colère des ouvriers contre les souffrances, les privations et la misère qu'entraînait la guerre.
Mais le véritable début de la vague révolutionnaire se situe au mois de février 1917, en Russie. A Petrograd, le 23, ce qui aurait dû être une simple journée en hommage à la femme ouvrière dans le cadre des manifestations routinières des partis socialistes, créa en réalité l'occasion de l'explosion de tout le mécontentement accumulé dans les rangs ouvriers - ainsi que dans d'autres couches pauvres de la population - contre le ravitaillement en vivres de jour en jour plus défectueux de la capitale de la Russie d'alors et la surexploitation imposée par l'économie de guerre. De telle sorte que, débordant le 23 février, le mouvement qui criait : "Du pain ! " prend vite les jours suivants les allures d'une insurrection, involontairement aidée par la férocité de la répression tsariste. Le 26, la force de la dynamique ouvrière provoque le ralliement des soldats professionnels ; le 27, le régime capitaliste impérial a vécu et s'installe le gouvernement bourgeois (dit provisoire) de Kerenski tandis que le prolétariat, dans les usines et autres lieux de travail, s'organise en conseils autonomes et envoie des délégués au Soviet central de la ville.
Mais comme le nouveau pouvoir, dans les mois qui succèdent, poursuit la participation à la guerre, au lieu d'apporter des solutions au problème endémique de la famine, et renforce l'économie d'armement qui oblige les ouvriers à travailler bien au-delà de huit heures par jour, il suscite chez ceux-ci des réactions de plus en plus révolutionnaires qu'éclaire leur parti de classe, les bolcheviques. Après de nouvelles journées insurrectionnelles en juillet se tiennent à partir du 22 octobre 1917 des meetings qui rassemblent des foules considérables desquelles, de manière très révélatrice, montent les slogans : "A bas le gouvernement provisoire ! A bas la guerre ! Tout le pouvoir aux conseils ouvriers ! " Le 25, les masses prennent d'assaut le palais d'Hiver, à Petrograd, et chassent Kerenski.
C'est la révolution d'Octobre, dont l'âme, le Congrès des soviets de toutes les Russies, proclame l'avènement en ces termes :
Les évènements révolutionnaires de Russie eurent bien entendu un retentissement énorme dans tous les prolétariats d'Europe et du monde mais d'abord parmi ceux des pays impliqués directement dans le carnage inter-impérialiste. Ils catalysèrent partout des manifestations contre la guerre et engendrèrent de vibrantes protestations de sympathie en faveur de l'Octobre rouge, provoquant en outre, sur le front, des élans de fraternisation entre soldats d'armées adverses.
C'est cependant en Allemagne, le siège du plus puissant mouvement ouvrier, que les répercussions décisives se produisirent. Là, la révolte ouvrière, après un temps d'incubation durant l'année 1917, grossit tout au long de 1918 pour atteindre son point d'incandescence au début du mois de novembre, le 4 exactement. C'est alors que les ouvriers de Berlin, qu'ils soient revêtus d'habits civils ou d'uniformes et répondant assurément aux appels que leurs frères de classe russes leur adressaient afin qu'ils prennent le relais et la direction de la révolution mondiale, investissent la rue et leur soulèvement entraîne bientôt la rébellion des troupes demeurées jusque-là loyales au gouvernement, au reste dirigé par des socialistes renégats comme Ebert, de la toute nouvelle république de Weimar.
Comme nous l'écrivions dans un article de "RI" n°173 (novembre 1988) consacré à la célébration de ces faits, "Avec leur mouvement insurrectionnel, les ouvriers en Allemagne avaient mis en mouvement la plus grande lutte de masse de leur histoire. Toutes les trêves sociales, que les syndicats avaient signées durant la guerre, et la politique de paix entre les classes volèrent en éclats sous les coups de la lutte de classe. Avec ce soulèvement, les ouvriers se remettaient de la défaite d'août 1914 et relevaient la tête. Le mythe d'une classe ouvrière allemande (ou autre) paralysée par le réformisme était en train de s'effondrer. (...) Dans le sillage du prolétariat de Russie, avec le soulèvement ouvrier et un début de formation de conseils en Hongrie et Autriche l'année suivante (1919), les ouvriers allemands se portaient à la tête de la première grande vague révolutionnaire internationale de luttes nées de la guerre."
Et c'est donc pour ne pas risquer d'être balayée comme en Russie que la bourgeoisie d'Allemagne, certainement encouragée en cela par ses consoeurs et adversaires de guerre, s'est empressée de mettre fin au conflit commencé quatre ans plutôt.
C'est bien pour enrayer le développement de la révolution mondiale ouvrière que toutes les bourgeoisies se sont entendues à conclure très vite entre elles le cessez-le-feu, deux jours seulement après la mutinerie des marins de Kiel contre les autorités militaires allemandes.
Par la suite, on le sait, le mouvement révolutionnaire fut jugulé en Allemagne et cette défaite ouvrière devait plus tard entraîner la mort de la révolution en Russie. Il n'en reste pas moins vrai que, dans ces deux pays, la classe ouvrière mondiale avait fait la preuve qu'elle avait la capacité ‑ et qu'elle seule la détenait pourvu qu'elle luttât sur son terrain de classe ‑ de faire cesser la furie guerrière du capitalisme.
(D'après Révolution Internationale N°201; mai 1991)
A la fin des années 60, la bourgeoisie des pays développés, à travers ses divers canaux médiatiques syndicalistes et sociologiques, croyait pouvoir prétendre que la classe ouvrière s'était "embourgeoisée". Elle devait déchanter après la soudaine grève massive de 1968. Aujourd'hui encore, les idéologues patentés de la bourgeoisie s'appuient sur le déboussolement momentané de la classe ouvrière pour clamer à tue-tête que celle-ci est en voie de disparition, qu'elle n'est plus cette classe révolutionnaire qui hantait l'Europe au début du siècle.
Abrutis par la télévision, enchaînés par des crédits à vie, limités par un profond esprit corporatiste qui se confond avec un amer "chacun pour soi", transis à l'idée d'un lendemain inquiétant pour leurs enfants, les prolétaires ne vivraient plus, paraît-il, que dans un repli frileux à peine égayé par les matchs de foot télévisés... Mais en quoi cette triste condition de vie des prolétaires modernes réduirait-elle les ouvriers et employés à une masse informe impuissante, sans perspective ?
Au début du XIXe siècle, beaucoup d'écrivains socialistes décrivaient avec indignation la situation de misère du prolétariat, sorti peu à peu de l'artisanat pour être enfermé dans des bagnes industriels. Mais, comme l'a souligné Lénine, Engels - avec son livre "La Situation de la classe laborieuse en Angleterre" - fut le "premier" à montrer que le prolétariat n'était pas simplement une classe de pauvres, mais que, de par la situation économique ignoble dans laquelle on le tient, il était poussé sans cesse à la révolte, et plus encore : à se libérer définitivement de l'oppression capitaliste. Engels démontrait déjà à cette époque que l'action économique et politique de la classe ouvrière lui donne conscience qu'elle n'a pas d'autre voie de salut que de changer la société par le socialisme.
La lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat, qui succédait à la lutte entre les maîtres et les esclaves dans l'Antiquité, entre les nobles et les serfs au Moyen Age, s'accentuait dans la mesure même où le prolétariat se développait, où l'exploitation à laquelle il était soumis empirait, et où il prenait conscience de l'opposition radicale qui sépare ses intérêts de classe de ceux de la bourgeoisie. Du développement même du système capitaliste naissait un antagonisme croissant entre le capital et le travail, d'où la division de plus en plus accentuée de la société en deux grandes classes, la bourgeoisie, qui possède les moyens de production, et le prolétariat, démuni et exploité. Dans ces conditions, ne possédant que sa force de travail, le prolétaire est obligé, pour vivre, de se vendre comme une marchandise, ce qui le réduit lui-même à l'état de marchandise et le subordonne aux lois qui régissent la production et la vente des marchandises. Sa condition est encore aggravée par le fait que le travail, au lieu d'être pour lui l'activité libre, productive, par laquelle l'homme peut s'affirmer en tant que tel, est un travail qui lui est imposé. L'esclave était vendu une fois pour toutes : "L'ouvrier doit se vendre chaque jour et même chaque heure.(...) Le prolétaire isolé, propriété, pour ainsi dire, de toute la classe bourgeoise, à qui on n'achète son travail que quand on en a besoin, n'a pas d'existence assurée." (Engels, "Les Principes du communisme".) L'activité salariée du prolétaire n'assure sa vie qu'en le diminuant, et plus la division du travail est poussée, plus il est soumis à des conditions de fatigue et de démoralisation dont il ne peut s'évader. La personnalité du prolétaire lui apparaît sacrifiée "dès sa prime jeunesse, et il n'a aucune chance d'arriver, dans le cadre de sa classe, à des conditions qui lui permettraient d'accéder à une autre classe" (Marx). En 1847, dans l'ouvrage cité quelques lignes plus haut, Engels donne la définition marxiste du prolétariat moderne : "Le prolétariat est la classe de la société qui tire sa subsistance exclusivement de la vente de son travail et non de l'intérêt d'un capital quelconque, dont les conditions d'existence et l'existence même dépendent de la demande de travail, par conséquent de la succession des périodes de crise et de prospérité industrielle, des oscillations d'une concurrence sans fin. Le prolétariat, ou la classe des ouvriers, est, en un mot, la classe laborieuse de l'époque actuelle." Mais Engels prend soin d'ajouter que le prolétariat est à la fois classe exploitée et, surtout, classe révolutionnaire objectivement.
La question ne peut que faire s'esclaffer la plupart des ouvriers au premier abord. Pourtant, au niveau subjectif, les enquêtes sociologiques, les considérations journalistiques, ne se répandent-elles pas tous les jours sur ce constat imparable : la plupart des ouvriers et employés ne se considèrent pas ou plus comme membres d'une classe sociale, a fortiori révolutionnaire, et ont pour toute perspective de finir de payer leur maison et d'ouvrir un petit commerce... Les pourcentages et les chiffres sont là, sociologiquement. Votre voisin de bureau ou collègue d'usine n'en pense pas moins, sociologiquement !
Pour les marxistes, la condition de prolétaire telle que la définissait Engels n'a pas varié d'un iota en cette fin de XXe siècle. Les prolétaires, ouvriers ou employés, sont toujours obligés de vendre leurs bras et leur tête, chômeurs ou actifs, ils restent soumis aux fluctuations de la crise économique capitaliste ; ils vivent dans l'angoisse perpétuelle de se nourrir, se vêtir, se loger, éduquer leurs enfants pour qu'ils trouvent travail.
La conscience que les prolétaires ont d'eux-mêmes en tant que classe sociale est embrouillée par un aspect subjectif au détriment de la dimension objective, historique, de leur rôle, prouvée par la longue expérience du mouvement ouvrier. Cette vision sociologique veut que les ouvriers ne soient plus la "couche misérable" du XIXe siècle que dépeignait, non sans quelque déformation populiste d'ailleurs, Emile Zola dans "Germinal" ou "L'Assommoir", oubliant que, si le moteur à explosion avait remplacé la charrette à bras, la place des prolétaires dans la production n'avait pas changé. Cette vision sociologique veut que les "cols blancs" soient devenus majoritaires, les ouvriers abandonnant eux-mêmes leur bleu de chauffe dans les vestiaires de l'usine pour descendre dans le métro. Cette vision sociologique veut que les ouvriers soient considérés comme des médiocres propriétaires (de leur habitation), des actionnaires au petit pied (primes d'intéressement à l'entreprise)... Le travestissement idéologique de la réalité sociale n'avait pas atteint un tel raffinement au XIXe siècle, quoique, dès les années 1890, alors qu'on assistait à l'émergence des "cols blancs", se faisait déjà jour une remise en cause du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière au travers des thèses du révisionnisme. Edouard Bernstein, leur principal auteur, écrivait alors : "La formation des sociétés par actions contrecarre la tendance à la centralisation des fortunes qui découle de la concentration des entreprises.(...) Le nombre des possédants augmente.(...) Les classes moyennes ne tombent plus dans le prolétariat."
Contre cette déviation théorique opportuniste qui allait empoisonner la pensée socialiste, la gauche de la IIe Internationale avait immédiatement réfuté point par point Bernstein : l'aggravation de l'exploitation est incontestable, la richesse augmente mais la part du prolétariat dans sa répartition n'augmente pas. La "nouvelle couche moyenne" appelée à effacer les clivages de classes est un leurre ; comme l'avait constaté Marx, la prolétarisation ne cesse pas, les couches petites-bourgeoises continuent à "tomber" dans le prolétariat. Les "cols blancs" sont condamnés à la marginalité. Le capitalisme ne va pas vers une fin de ses crises cycliques, mais va s'enfoncer dans une crise permanente, dramatique. Pour Rosa Luxemburg, l'anarchie croissante de l'économie capitaliste entraînera l'effondrement du capitalisme mais sous les coups de boutoir de l'élément actif de la révolution : la classe ouvrière.
Ainsi, le courant marxiste du mouvement ouvrier maintint l'affirmation selon laquelle la classe ouvrière ne peut être conçue comme une somme d'individus mais comme classe à vocation historique, destinée à s'unifier par-delà toutes les divisions que lui impose le capital et à prendre conscience de son être révolutionnaire dans et par la lutte. Peu importe ce que pense tel ou tel prolétaire, disait Marx, ce qui prévaut, c'est ce que le prolétariat est contraint de faire comme classe.
Parmi les objections les plus couramment répandues par ceux qui, bien que ne pouvant nier l'existence de la classe ouvrière, expriment néanmoins des doutes sur ses potentialités révolutionnaires, il faut en souligner deux :
A la première objection, on peut répondre que dans la vision marxiste, la classe ouvrière n'existe pas comme somme des divers secteurs de l'industrie, des services, de la fonction publique, etc. Elle est certes cela mais plus encore un "mouvement" qui n'existe que par sa lutte économique et politique indépendamment de toute catégorisation professionnelle spécifique ou distinction de race ou de sexe. Au sein de cette classe sociale, les travailleurs de l'industrie ont toujours joué un rôle de fer de lance dans les conflits sociaux - la concentration industrielle favorisant la force ouvrière - mais, particulièrement depuis vingt ans, tant les employés de banque par exemple que les travailleurs des hôpitaux ou des PTT ont montré leur aptitude à lutter sur un terrain de classe. La dynamique des luttes ouvrières qui se sont développées tout au long des années 80, en posant la question de l'extension, montre que la destinée naturelle de l'action ouvrière réside dans le dépassement des clivages corporatifs, dans une union grandissante d'un maximum de secteurs pour contrer les attaques de l'Etat bourgeois.
Le premier patron étant désormais l'Etat, il faut bien constater que, succédant aux secteurs industriels traditionnels (sidérurgie, automobile), l'immense masse des travailleurs des services publics tend depuis 1968 à occuper le centre de l'action déterminante pour l'extension à une multitude d'industries dispersées. En 1936, période ingrate de veille de guerre, seul le secteur privé était en grève ; en 1968, la grève massive du secteur public donna un aspect plus impressionnant au mouvement au point de faire trembler les responsables de l'Etat.
La deuxième objection nous fournit l'occasion de rappeler que, si la classe ouvrière et la bourgeoisie se faisaient simplement face telles deux armées nettement délimitées, tout serait réglé depuis belle lurette, la révolution se serait produite selon la loi du nombre. Mais les travailleurs sont divisés par la hiérarchie des salaires, la concurrence journalière entre eux imposée par le système d'exploitation. Lorsqu'ils entrent en lutte, dépassant souvent très vite les petits corporatismes internes à l'entreprise ou au secteur, ils sont immédiatement confrontés aux lieutenants de la bourgeoisie dans la classe ouvrière, les syndicalistes, les divers syndicats en compétition pour encadrer et museler la dynamique de la lutte. Ces dernières années nous ont montré concrètement que les questions d'extension de la lutte et de contrôle du fonctionnement des assemblées générales n'étaient pas des utopies sorties de la tête des révolutionnaires. Les travailleurs en ordre de combat n'étaient plus cette masse informe impuissante et frileuse que les syndicats auraient eu pour tâche de guider dans les impasses renouvelées du carcan corporatiste.
Que les déçus à courte vue du prolétariat continuent à se lamenter. Que les ennemis de l'émergence de la force ouvrière soient clairement dénoncés et contrés. La bourgeoisie, elle, n'oublie jamais que la classe ouvrière n'a pas cessé d'exister comme "classe dangereuse", comme son propre fossoyeur. Et elle l'oublie d'autant moins aujourd'hui que l'aggravation catastrophique de la crise économique tend de plus en plus à mettre à nu l'impasse historique de son système. Elle l'oublie d'autant moins que les conditions de misère dans laquelle elle plonge de plus en plus les prolétaires des grandes concentrations industrielles d'Europe occidentale ne peuvent que les contraindre à reprendre massivement le chemin de l'affrontement. C'est bien cette réalité de la lutte de classe qui viendra apporter un démenti cinglant à tous les mensonges bourgeois prétendant que la classe ouvrière est en voie de disparition.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[2] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/premiere-guerre-mondiale
[3] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[4] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/vague-revolutionnaire-1917-1923