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Internationalisme no.324

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Après le pacte de solidarité, le pacte de compétitivité Encore un marché de dupes pour les travailleurs

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Après les mauvais coups portés à la classe ouvrière par l’adoption du “pacte de solidarité entre les générations”, c’est dans l’euphorie, que le premier conseil des ministres de janvier 2006 a fait savoir qu’il poursuivait la “remise en ordre” de l’économie belge, en d’autres mots qu’il n’en avait pas fini avec les attaques concernant les conditions de vie des travailleurs. A présent, la coalition libérale/socialiste s’attaque aux salaires des travailleurs. C’est tout opportunément qu’arrive le rapport de la Banque Nationale mi-février. Il réitère la proposition d’un “pacte pour la compétitivité” et la réduction des charges patronales. “Mobilisation générale au nom de la compétitivité” titre Le Soir du 16 février. Le gouverneur de la Banque nationale, la FEB et le gouvernement avaient déjà l’intention de débattre du coût salarial avant la Noël 2005. Mais les syndicats se voyaient mal en train de “négocier” une nouvelle modération salariale  pendant qu’ils menaient les dernières actions visant à épuiser la combativité contre le pacte de solidarité (lire Internationalisme n° 323).

On sait donc à quoi il faut s’attendre d’autant plus que socialistes et syndicats sont au premier rang pour reconnaître un «dérapage salarial». Ainsi, le socialiste Frank Vandenbroucke, ancien ministre fédéral de l’emploi et un des architectes du «pacte de solidarité», déclare que les salaires belges sont trop élevés et qu’il faudrait mener une politique de modération salariale à longueur d’années. Il confirme plus loin ce qu’avait déjà avoué le nouveau président des socialistes flamands, Vande Lanotte: «On a choisi une méthode très douce. Mais ce n’est pas le point final des réformes; Le travail doit encore commencer…» (De Morgen, 21.01.06). Le président du PS wallon Di Rupo déclarait quant à lui dès août 2005: «Nous ne pouvons pas nous permettre des écarts grandissants en matière de coûts du travail avec nos pays voisins». Les sociaux-chrétiens par la voix de Milquet montrent leur sens des responsabilités: «Il y a un problème de compétitivité». (chaîne télévisée RTL, 13.01.06). Les syndicats vont dans le même sens: «On ne nie pas l’existence d’un déficit de compétitivité, mais pas touche au salaires minimaux» (FGTB), (merci pour les autres). Ils ajoutent: «On n’a pas le choix. La loi nous impose de saisir ce problème à bras-le corps. Entre partenaires sociaux, on doit tenter de partager une analyse commune» (CSC) (Le Soir, 08.01.06). Ce ne sont donc pas des propos gratuits proférés par n’importe qui. De la gauche à la droite, syndicats compris, il y a une belle unanimité au sein de la bourgeoisie: le salarié belge coûte trop cher !

Bien sûr, tout le monde déclare, du premier ministre Verhofstadt à Di Rupo ou aux syndicats, qu’on ne touchera pas à l’index. Et le premier ministre rend hommage à «l’esprit constructif des partenaires sociaux qui parviendront à un accord sur la compétitivité des entreprises» (Le Soir, 28-29.01.06). Ces déclarations font partie de la méthode douce si chère à nos socialistes du nord et du sud: «On peut garder l’index, mais il restera bien peu  pour les augmentations» (Vandenbroucke dans De Morgen, 21.01.06).  En réalité, gouvernement et «partenaires sociaux» évitent d’attaquer de front l’index qu’on garde comme une sorte de symbole mais on le vide de toute substance par le biais d’accords «all-in» sectoriels qui règlent déjà la modération salariale dans la construction, les constructions métalliques, l’alimentation, le nettoyage, les garages les électriciens et le bois, au total un salarié sur cinq en Belgique, et qui seront généralisés à l’ensemble des salariés. Le all-in consiste à négocier un pot commun combinant augmentation de salaire et indexation. Si la hausse dépasse l’inflation prévue, on rogne les augmentations. Par ce procédé la bourgeoisie vise, sans en avoir l’air, à baisser les salaires. Car même avec ce système d’index que «le monde nous envie» et malgré les «dérapages salariaux» dénoncés par la droite et la gauche, le pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux en Belgique s’érode lentement mais sûrement. D’après une étude du CRIOC, ces dix dernières années le pouvoir d’achat des fonctionnaires a diminué de 2,28%, celui des salariés, 2,08%, et celui des «ménages défavorisés» de 3,2%.

L’argumentation des Verhofstadt, Di Rupo, Vande Lanotte ou des partenaires sociaux en direction de la classe ouvrière est identique: c’est un appel à l’esprit de sacrifice pour le bien commun, à la paix sociale, à l’esprit positif: la «modération salariale» est vitale pour le maintien de la compétitivité qui elle-même permet de maintenir le niveau de vie, de garantir l’emploi contre les délocalisations, de sauver l’Etat social. Ces arguments hypocrites ne cherchent qu’à mystifier les travailleurs:

- Avec un cynisme consommé, la bourgeoisie prétend garantir le niveau de vie … en baissant les salaires et en attaquant les retraites … en favorisant les restructurations destructrices d’emploi (ARCELOR, Ford, Belgacom, INBEV …), en faisant appel à une main d’œuvre bon marché au noir ou légale grâce au «grand marché européen de l’emploi»;

- Elle n’hésite pas à mentir pour faire passer son message. Si on se penche sur les chiffres officiels des coûts salariaux dans l’industrie belge (la Banque Nationale), on constate que la Belgique se situe à la 12ème place, juste devant l’Espagne et le Portugal et loin derrière la Grande-Bretagne, l’Allemagne aux coûts salariaux de 30 à 40% plus élevés (Banque Nationale, L’industrie en Belgique, p.27);

- Il en va de même avec le chantage aux délocalisations et aux fermetures d’entreprises. Même dans les sociétés très «compétitives», comme Daimler  en Allemagne ou VW et INBEV en Belgique, la bourgeoisie n’hésite pas à utiliser ces types de chantage pour exiger le sacrifice des «avan-tages», pour réduire ses coûts de production (Interna-tionalisme n° 310).

Les ouvriers en Belgique doivent savoir que ce discours, avec quasiment les mêmes chiffres et arguments, est servi aux ouvriers en Allemagne, Pays-Bas ou en France par leur bourgeoisie respective. Cette politique entraîne donc l’ensemble de la classe ouvrière dans une spirale infernale de baisses des salaires, de fermetures, de réduction des allocations sociales dans l’ensemble des pays industrialisés.

Le battage sur «le sens de la responsabilité des travail-leurs»  vise avant tout à cacher les vraies raisons de la crise et de l’austérité: dans une situation de saturation des marchés, de concurrence exacerbée entre capitaux nationaux, d’impasse croissante d’un système aux abois, «le salarié ne peut que coûter trop cher»! De fait, la bourgeoisie  n’a plus d’autres issues que l’agression généralisée contre les conditions de vie de la classe ouvrière, l’imposition d’une misère de plus en plus noire et la fuite éperdue dans la barbarie guerrière. Dès lors, les campagnes médiatiques sur les menaces contre la compétitivité et les délocalisations ne visent qu’à faire pression sur les salaires, à entraîner la classe ouvrière derrière la défense du capital national, à cacher les vraies raisons de la crise économique mondiale, à désarmer les ouvriers dans leur résistance aux attaques contre leurs conditions de vie.

Et si la gauche et les syndicats sont à la pointe de cette campagne et défendent avec ferveur la nécessité de ces mesures, s’ils se postent aux premiers rangs pour sauver l’économie nationale, c’est tout simplement parce qu’ils sont de fervents défenseurs du système capitaliste et de son Etat «démocratique».  Les Di Rupo, Vande Lanotte et consort ont beau dire que, sans leur présence au gouvernement, la dégringolade sociale serait plus grave. Il faut être aveugle pour ne pas voir le rôle central que les PS/SP jouent dans l’élaboration des plans d’austérité qui nous frappent depuis plus de 15 ans, ni leurs incessants efforts pour nous faire croire qu’il n’y a pas d’autres voies que la compétitivité des entreprises, la modération salariale, les pactes de solidarité avec la bourgeoisie, pendant qu’ils se révèlent être les plus zélés défenseurs du capital national et de l’Etat bourgeois. Comment croire les principaux  artisans de cette lente mais sûre dégringolade sociale quand ils prétendent lutter contre la misère alors qu’ils ont pleinement participé à son aggravation? Quant aux syndicats, ils constituent l’autre pièce maîtresse dans le dispositif de la bourgeoisie. Ils participent pleinement à la tactique de la méthode douce des réformes, après avoir encadré la colère, l’inquiétude sur l’avenir et le mécontentement de la classe ouvrière. Les déclarations de guerre tonitruantes des leaders syndicaux ont été remises aux vestiaires. Et leurs derniers agissements, l’entérinement des principes du «pacte de compétitivité», ne laissent aucun doute sur leurs intentions.

Le dernier trimestre de 2005 a été marqué en Belgique par un début de reprise de la combativité, comme elle s’est déjà manifestée dans la plupart des pays industriels. Dans les mouvements sociaux de l’an passé, une nouvelle génération de prolétaires s’est manifestée en Belgique également que les syndicats s’empressent d’encadrer. De ce point de vue, l’accroissement significatif de la syndicalisation de jeunes travailleurs que les médias ont mis en évidence ces dernières semaines, révèle des tendances contradictoires. D’une part, elle exprime l’inquiétude croissante par rapport au futur qui s’empare de larges couches de jeunes travailleurs et leur volonté de ne pas se laisser exploiter sans lutter, de l’autre, elle illustre les illusions encore fortes en la gauche et les syndicats, liées au regain de crédibilité de ceux-ci pendant les années ’90, et donc une conscience encore fort basse de ces éléments par rapport aux armes et aux perspectives de leur combat. Mais, inévitablement, sous les coups de boutoir de la crise et des attaques de la bourgeoisie, face aux magouilles syndicales, les aspirations de cette nouvelle génération de prolétaires entreront en contradiction violente avec la pratique et la nature des syndicats. De ces chocs naîtra petit à petit la prise de conscience que seules les luttes que les ouvriers prennent eux-mêmes en mains peuvent les mener sur le chemin de la victoire contre l’exploitation.

J&J / 26.02.06

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [1]

Caricatures de Mahomet Quand la bourgeoisie s'empare de quelques dessins pour attiser la haine et le nationalisme

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Ce qu’il est convenu maintenant d’appeler l’affaire “des caricatures de Mahomet” a envahi l’espace médiatique bourgeois. Chaque jour de nouvelles manifestations pro-islamistes éclatent dans le monde. La simple publication de dessins montrant un Mahomet belliqueux a donné immédiatement lieu à une empoignade généralisée entre les Etats impérialistes, non seulement dans le monde musulman, mais également à l’échelle de la planète. Ces événements sont en réalité une dramatique illustration du niveau de tension existant entre les différentes puissances capitalistes.

Une affaire de gangsters impérialistes

Le 30 septembre dernier, le quotidien danois Jyllands-Posten a publié douze caricatures représentant le prophète Mahomet affublé de bombes, mèches de dynamites et autres ustensiles terroristes. Ces dessins seront repris dans les semaines suivantes par de nombreux journaux, tel France-Soir. La suite, nous la connaissons. Des manifestations, parfois ultra violentes, éclatent à travers l’ensemble des pays dits musulmans. En Afghanistan, certains affrontements se traduisent même par des morts et des blessés graves. Comment quelques caricatures ont-elles pu engendrer une telle déflagration de haine ? Comment et pourquoi de simples dessins d’un journal danois se sont-ils retrouvés au cœur d’une tempête internationale ?

Pourtant au début d’octobre 2005, cette affaire n’avait encore que des répercussions nationales au Danemark. C’est alors que onze ambassadeurs de pays musulmans vont demander un entretien avec Fagh Rasmussen, premier ministre du Danemark et proche du journal Jyllands-Posten. Celui-ci refusant de les rencontrer, une délégation de représentants des associations musulmanes au Danemark va faire une tournée dans de nombreuses capitales du monde musulman, officiellement pour sensibiliser l’opinion publique sur cette affaire. Le résultat ne s’est alors pas fait attendre. Des manifestations commencent à éclater au Pakistan. A partir du mois de janvier, les manifestations vont gagner l’ensemble du «monde musulman» et notamment le Moyen-Orient. Ces manifestations prennent rapidement une ampleur et une violence anti-occidentale qui ne peuvent que surprendre au regard de la banalité apparente que peuvent représenter quelques caricatures journalistiques de Mahomet. Cependant, pour comprendre, il est nécessaire de se souvenir que, depuis la Seconde Guerre mondiale, cette région du monde et plus encore le Moyen-Orient n’ont jamais cessé de connaître un enfoncement dans la guerre et la barbarie. Depuis la fin des années 1980, les tensions deviennent de plus en plus explosives et incontrôlables. Ainsi, la déstabilisation irréversible du monde musulman en Afghanistan, en Irak, au Liban, en Palestine, souvent sous l’effet direct de la fuite en avant militaire et guerrière des grandes puissances impérialistes (au premier rang d’entres elles les Etats-Unis) se traduit aujourd’hui inévitablement par une montée du radicalisme religieux le plus archaïque au sein des populations complètement désorientées de ces régions. L’impasse totale dans laquelle se trouvent ces pays ne peut produire qu’un phénomène de montée en puissance des fractions les plus rétrogrades de la bourgeoisie. Tel est le sens, par exemple, de l’arrivée au pouvoir en Palestine du Hamas, mouvement politique radical, adepte jusqu’à ce jour du fanatisme anti-israélien le plus caricatural. C’est la même réalité du fondamentalisme le plus rétrograde qui explique la présence au pouvoir en Iran du parti ultraconservateur de Mahmoud Ahmadinejad. Les tensions entre chaque puissance de cette région et de celles-ci envers les Etats-Unis s’étalent chaque jour un peu plus. Il est bien évident que dans cette situation de montée des archaïsmes et du chacun pour soi, la bourgeoisie et les différentes cliques armées de cette partie du monde ne pouvaient que se saisir de cette opportunité, offerte par la publication de ces fameuses caricatures, afin de renforcer leurs positions sur place et de participer au mieux de leurs intérêts à la foire d’empoigne généralisée impérialiste au niveau mondial. Derrière ces manifestations apparemment spontanées se trouvent en réalité le bras armé des cliques bourgeoises, locales ou étatiques. Après des attaques d’ambassades danoise ou française, la Libye décide de fermer son ambassade à Copenhague. L’ambassadeur du Danemark au Koweït est convoqué. Les gouvernements Syriens et Irakiens se déclarent publiquement particulièrement choqués. Tout cela n’a rien plus à voir avec la publication de quelques dessins dans la presse bourgeoise occidentale et Jordanienne. Ces caricatures sont en réalité devenues des armes de guerre aux mains des classes bourgeoises dans le monde musulman, répondant ainsi à la politique impérialiste toujours plus agressive de la part des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne ou de l’Angleterre notamment. Comment, par exemple, ne pas faire le lien entre cette utilisation de quelques dessins avec la montée des menaces envers l’Iran à propos de son programme nucléaire de la part de la France ou des Etats-Unis ? La manipulation, à des fins de politique impérialiste, par les différentes bourgeoisies, de populations de plus en plus réduites à la misère, subissant en permanence la guerre, est alors un cynique jeu d’enfant. Ces manifestations violentes de masses croissantes de désespérées ne surgissent donc pas si «spontanément» ou si «naturellement». Elles sont le produit des politiques de guerre, de haine, et d’embrigadement idéologique nationaliste de toutes les bourgeoisies aux quatre coins de la planète.

Alors que les Etats-Unis se font depuis les attentats du 11 septembre 2001, les champions de la défense des valeurs de l’occident, les pourfendeurs du fanatisme religieux musul-man et de la lutte contre le mal qu’il est censé incarner, nous assistons à propos des caricatures de Mahomet à une très surprenante compréhension de l’administration Bush face aux réactions en Iran et ailleurs. Pourquoi ? Bien entendu, tout ceci n’a rien à voir avec la défense du droit de chacun à choisir librement sa religion comme ils peuvent le prétendre. La réalité est beaucoup plus cynique. Les Etats-Unis sont bien trop satisfaits de voir des pays impérialistes concurrentiels tels que la France embourbés à leur tour dans une situation d’affrontement politique avec plusieurs états du Moyen-Orient et du monde arabe. Dans ce monde pourri, en guerre perpétuelle, de tous contre tous, chaque Etat capitaliste ne peut que se réjouir de voir des concurrents tomber dans une chausse trappe.

Et la perfidie des fractions bourgeoises et leur volonté d’utiliser tous les aspects de la vie du capitalisme pourrissant sont encore plus criantes quand on regarde le positionnement du Hamas dans cette affaire. Le Hamas, parti radical religieux s’il en est, adepte jusqu’à maintenant de la lutte armée et du terrorisme, propose tout simplement ses bons offices en tant que médiateur dans cette affaire ! Le chef du bureau politique du mouvement palestinien Hamas, Khalel Mechaal déclare en effet à ce propos : »le mouvement est disposé à jouer un rôle pour apaiser la situation entre le monde islamique et les pays occidentaux à condition que ces pays s’engagent à mettre fin aux atteintes aux sentiments des musulmans.» (Le Monde du 9 février 2006). Afin de se faire un peu plus reconnaître sur le plan international, le Hamas est ainsi prêt à rentrer momentanément ses griffes.

Au regard de cette véritable foire d’empoigne, où chaque nation et clique bourgeoise attise la haine, toute la propagande des ‘grandes démocraties’ sur la liberté de la presse et le respect des religions apparaît ainsi pour ce qu’elle est : une vaste fumisterie.

Liberté de la presse et respect des religions, deux poisons au service de la bourgeoisie

The Independant, journal anglais cité par le Courrier International, résume très bien la campagne idéologique bourgeoise : «Il ne fait aucun doute que les journaux devraient avoir le droit de publier des dessins que certaines personnes estiment offensants». Voilà ici mis en scène le sacro saint droit de liberté d’expression, dont toute une partie de la bourgeoisie nous rabat les oreilles aujourd’hui. D’un autre côté, affirme immédiatement le même journal, «dans une situation aussi complexe, il est facile de se réfugier dans de banales déclarations sur les droits de la presse libre. Le plus difficile n’est pas de trancher entre le vrai et le faux, mais de prendre une décision qui tienne compte des droits des uns et des autres. Il y a le droit à l’expression libre de toute censure. Mais il y a aussi le droit pour de nombreux musulmans de vivre dans une société plurielle et laïque sans se sentir oppressés, menacés, raillés. Elevé un droit au dessus des autres est le masque du fanatisme.» Le piège idéologique, développé par la démocratie bourgeoise contre la classe ouvrière, est ici clairement exposé. Elle se doit de choisir entre ce qui serait un droit, la liberté d’expression, et un devoir moral, le respect des croyances d’autrui. En tout état de cause, le prolétariat est appelé à faire preuve de modération et de compréhension dans cette affaire pour le plus grand bénéfice de… ses maîtres bourgeois ! Voici ce que pensait Lénine dans les thèses sur la démocratie au premier congrès de l’IC1 : »La liberté de la presse est également une grande devise de la ‘démocratie pure’. Encore une fois, les ouvriers savent que les socialistes de tous les pays ont reconnus des millions de fois que cette liberté est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papiers sont accaparés par les capitalistes, tant que subsiste le pouvoir du capital avec d’autant plus de clarté, de netteté et de cynisme que le régime démocratique et républicain est développé comme par exemple en Amérique.» Et encore, Lénine et les communistes de son époque ne connaissaient pas les moyens de matraquage idéologiques d’aujourd’hui, que sont la radio et la télévision.

Quant à l’autre choix, celui du respect des croyances de chacun, il suffit de citer une phrase de Marx pour savoir ce que les communistes en pensent : «La religion est l’opium du peuple.» Quelle que soit cette religion, la croyance comme toute forme de mysticisme est un poison idéologique que l’on distille dans la tête des ouvriers. C’est un des nombreux pare-feu que possède la classe bourgeoise contre la prise de conscience du prolétariat.

La liberté de la presse n’est donc rien d’autre que la liberté pour la bourgeoisie d’enfoncer son idéologie dans le crâne des ouvriers ! Et le respect des religions est le respect de la classe dominante pour tout ce qui mystifie le prolétariat !

Il est évident que cette prolifération de manifestation et de violence à partir de quelques dessins publiés dans la presse bourgeoise ne peut laisser la classe ouvrière indifférente. Il est vital que la classe ouvrière ne se laisse pas impressionner par cette levée massive d’agitations anti-occidentale dans le monde musulman. Tout cela ne fait que traduire l’accélération du chaos dans la société capitaliste et rendre plus urgent le développement de la lutte de classe. La réponse du prolétariat ne se trouve pas dans le faux choix proposé par la bourgeoisie. A l’irrationalité grandissante du monde capitaliste, le prolétariat doit opposer la rationalité de la lutte de classe, du développement de sa conscience et du communisme.

Tino /20.02.2006

(1) Internationale Communiste, troisième Internationale.

Grève spontanée des ouvriers de SEAT en Espagne Pour développer la lutte,il faut affronter le sabotage syndical

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Le 23 décembre, dans l’entreprise automobile SEAT de Barcelone, les ouvriers des équipes du matin et de l’après-midi se sont spontanément mises en grève, en solidarité avec les 660 camarades à qui la direction avait adressé le jour même une lettre de licenciement.

C’était le début de la riposte à une attaque criminelle contre leurs conditions de vie. Une attaque parfaitement préméditée et traîtreusement portée par le triangle infernal constitué par le patronat, la Généralité 1 et les syndicats. Une attaque qui va bien au-delà des 660 licenciements, puisqu’à ces derniers s’ajoutent les licenciements disciplinaires des ouvriers qui avaient participé aux actions de début décembre, des licenciements masqués sous couvert de 296 démissions «volontaires», les plans d’intensification de l’exploitation visant à augmenter la production et au moyen desquels on faisait payer aux travailleurs leurs «heures dues»… En définitive, c’est une attaque brutale qui ouvre la porte à de nouvelles attaques. Ce n’est pas gratuitement que le président de la compagnie a annoncé avec arrogance et de façon provocante que «les mesures contenues dans l’accord ne résorbent pas tout l’excédent de personnel».

Comme les camarades de SEAT et tous les travailleurs, nous devons lutter ; mais pour pouvoir lutter avec force, nous devons tirer au plus vite les leçons de la stratégie de manipulation et de démobilisation que le patronat, les gouvernants et les syndicats ont mise en place contre les travailleurs.

Une stratégie calculée pour démobiliser les travailleurs

Depuis l’annonce, à la mi-août, par l’entreprise de la «nécessité» de mener à bien une réduction de personnel, «échangeable» éventuellement contre une baisse des salaires de 10%, les dirigeants de l’entreprise, ainsi que ceux qui se prétendent «représentants» des ouvriers, c’est-à-dire les syndicats et le gouvernement de «gauche» de la Généralité, se sont partagé les rôles pour empêcher qu’une lutte ouvrière réelle puisse bloquer l’application du plan.

Pendant plus de deux mois, depuis août jusqu’au début de décembre, les représentants syndicaux se sont consacrés à tenter d’anesthésier l’inquiétude qui se propageait parmi les travailleurs face à la menace de licenciements, en disant que ceux-ci ne seraient pas justifiés puisque «l’entreprise était bénéficiaire», la crise de SEAT serait «conjoncturelle» ou conséquente à une «mauvaise politique commerciale». Avec de tels mensonges - que nous avons dénoncés dans notre tract «SEAT : Sauver l’entreprise signifie des licenciements et des contrats bidon. La seule riposte est la lutte ouvrière» - ils faisaient baisser la garde des travailleurs, leur faisant croire que ce n’était qu’une bravade du patronat insatiable, à laquelle les études économiques des syndicats ou les pressions du gouvernement «progressiste» et de «gauche» de la Généralité, finiraient par mettre bon ordre. Ce même patronat a participé à cette mystification, jouant à cache-cache pendant des semaines jusqu’au 7 novembre où il a annoncé la ERE (Procédure de Régulation de l’Emploi) pour 1346 travailleurs.

Les syndicats avaient prévu ce jour-là une grève partielle, que les travailleurs ont débordée par des manifestations qui, dans la Zone Franche et à Martorell 2, ont coupé les routes. Face à une telle situation, la Plate-forme Unitaire (à laquelle participent l’UGT, les CCOO, et la CGT) 3 appellent à une grève d’une journée, le 10 novembre, et à une manifestation pour «exiger» que la Généralité «s’implique dans le conflit en faveur des travailleurs» (!). Les trois syndicats veulent par cette ‘action’ «confier notre sort à nos bourreaux, aux maîtres de la bonne parole et du coup de poignard dans le dos. L’État n’est pas le représentant du peuple mais le défenseur inconditionnel des intérêts du capital national. Toutes les autorités –du président du gouvernement au moindre maire- sont là pour veiller à la défense de celui-ci».

Après cette mascarade, les trois syndicats se sont débarrassés du problème et n’ont plus appelé à la moindre action ! Jusqu’au 1er décembre ! Soit trois semaines pendant lesquelles les travailleurs ont été maintenus dans la passivité et l’attente, abrutis par d’interminables ‘négociations’, puis par la ‘médiation’ de Monsieur Rané, conseiller au Travail [à la Généralité]. Comme nous le dénonçons dans le tract, «cette tactique des “pressions” et des “pétitions” dupe les ouvriers et les rend passifs».

La Plate-forme Unitaire des trois syndicats s’engagea à «revenir à la charge» après la semaine des «congés» (du 5 au 10 décembre). Mais ce n’était qu’un mensonge de plus ! Prétextant des limites légales imposées par le ERE, les pressions de la Généralité qui faisait planer la menace d’un «arbitrage»,… ils ont «oublié» les mobilisations et, le 15 décembre, les CCOO et l’UGT (la CGT s’étant retirée le 13) ont signé l’accord pour les 660 licenciements.

Mais le pire était à venir : elles ont gardé le silence pendant toute une semaine sur l’identité des victimes, gardant pour le dernier jour précédant les vacances le «gros» des lettres de licenciements, et comble du cynisme et de l’humiliation, ils ont traité les travailleurs concernés de fainéants et de criminels. Cette manœuvre vile et lâche les démasque (ne disaient-ils pas avoir signé le «meilleur accord possible» ?) et démontre également qu’ils ont peur des tavailleurs, car s’ils s’étaient sentis sûrs d’eux, ils auraient tout de suite annoncé les licenciements, et n’auraient pas multiplié les agents de sécurité privés qui gardent de près les sièges de l’UGT et des CCOO.

La lutte doit être menée par l’assemblée des travailleurs

La CGT joue le rôle du «bon syndicat» qui est proche des travailleurs. Il est certain que 145 de ses adhérents font partie des licenciés. Mais la souffrance de ces camarades et la solidarité avec eux ne peuvent cacher que la CGT n’a pas été une alternative à l’UGT-CCOO, et que, bien au contraire, elle n’a rien à leur envier. Pourquoi a-t-elle participé à la mascarade des «négociations» et de «lutte» de la Plate-forme Unitaire qu’elle n’a quitté qu’à la date tardive du 13 décembre ? Pourquoi, lorsque l’UGT et les CCOO ont signé, l’unique «mobilisation» à laquelle elle a appelé fut un rassemblement en dehors de l’usine, dont très peu d’ouvriers furent informés et à laquelle se rendirent 200 personnes seulement ? Pourquoi le matin du 23, avant les grèves spontanées, «la CGT a-t-elle décidé de limiter la protestation à quelques heures seulement» (Résumé du site Internet Kaosenlared, 24-12-05) alors que c’était le moment de foncer et qu’il y avait des forces comme le démontra l’équipe de l’après-midi qui se réunit en assemblée et décida de se mettre en grève pour la journée entière. Pourquoi toute alternative de sa part se réduisait-elle à «réviser au cas par cas chacun des licenciements et si nécessaire de faire un recours en justice» ?

Jusqu’au 23, les travailleurs ont été victimes d’une démo-bilisation, d’une stratégie pour empêcher toute riposte. Les syndicats ne se jouent pas de nous seulement en signant les licenciements ; ils se jouent de nous auparavant lorsqu’ils organisent leurs «Plans de Lutte». Leur action contre les ouvriers se concrétise en trois facettes intimement liées :

- leurs pactes et accords avec le patronat et le gouvernement ;

- leurs plans de «lutte» qui sont en réalité des stratégies contre la lutte ;

- leur défense inconditionnelle de l’intérêt de l’entreprise et de l’économie nationale qu’ils prétendent faire coïncider avec celui des travailleurs alors qu’ils sont diamétralement opposés.

En cela, la principale leçon de la lutte de SEAT que les ouvriers eux-mêmes commencent à tirer dans la pratique avec les grèves spontanées et les assemblées du 23, est qu’on ne peut pas confier la lutte aux syndicats.

Le 23, les licenciés, au lieu de rentrer chez eux ruminer de façon solitaire l’angoissante perspective du chômage, se sont tournés vers leurs camarades, et ceux-ci, au lieu de se laisser aller à la consolation du «ce n’est pas à moi que ça arrive», ou derrière la réponse individualiste du «chacun se débrouille comme il peut», ont manifesté la solidarité de la lutte. Ce terrain de la solidarité, de la riposte commune des licenciés et de ceux qui conservent encore leur emploi, des chômeurs et des actifs, des précaires et des contrats à durée «indéterminée», c’ est la base d’une réponse effective aux plans inhumains des capitalistes.

L’année 2006 commence avec le drame des 660 licenciés de SEAT, mais qui peut croire que ce seront les derniers ? Nous savons tous que non. Nous savons que le coup de poignard des licenciements, que le crime des accidents de travail, que l’angoisse de ne pouvoir payer un logement décent, que les menaces sur les retraites, que la «réforme» du travail concoctée par le trio infernal gouvernement-patronat-syndicats, seront la source de nouvelles souffrances. Que dans le secteur de l’automobile, comme dans tous les pays, les attaques contre les conditions de vie des ouvriers vont se poursuivre ; que les horreurs de la guerre, la faim, la barbarie qui accompagnent le capitalisme, comme la faux accompagne la mort, vont continuer.

C’est pourquoi il faut se lancer dans la lutte. Mais pour que la lutte soit efficace et puissante, le développement de la solidarité de classe est nécessaire, et elle doit être organisée et contrôlée par les ouvriers eux-mêmes.

Le besoin de la solidarité de classe

Le problème de SEAT ne se réduit pas aux 660 licenciés ; le problème concerne tout le personnel. Ce n’est pas seule-ment le problème des ouvriers de SEAT mais de tous les travailleurs, aussi bien les fonctionnaires ayant un «emploi garanti» (jusqu’à quand ?) que les travailleurs des entreprises du privé, aussi bien les sans-papiers que ceux qui en ont. Nous sommes tous ou nous serons tous dans la même situation que SEAT !

Notre force est la solidarité de classe, l’unité dans la lutte. Une lutte limitée à SEAT et enfermée dans SEAT serait une lutte perdue.

Mais en quoi consiste la solidarité ? Est-ce de boycotter l’achat de voitures de cette marque ? (Est-ce que par hasard les autres marques ne licencient pas ?) Est-ce de faire des rassemblements de licenciés devant les portes de l’usine ? S’agit-il des déclarations de «soutien» de la part du «secteur critique» des Commissions ouvrières ou de EUA 4 ? Consiste-t-elle en des «actes citoyens» dans les quartiers, manipulation qui n’aura servi qu’à faire accepter les manoeuvres crapu-leuses du trio infernal à la SEAT ?

Cette «solidarité» est aussi fausse que les «plans de lutte» de la Plate-forme Unitaire de SEAT. La seule solidarité effective est de s’unir dans la lutte ! Que les ouvriers des différents secteurs, des différents quartiers, se fondent dans une même lutte en brisant ces barrières qui nous affaiblissent tant : l’entreprise, le secteur, la nationalité, la race, au moyen de la force directe de délégations, d’assemblées et de manifes-tations communes.

La nécessité d’assemblées ouvrières souveraines

L’expérience de SEAT est claire : nous savons déjà ce qui arrive lorsque nous laissons les syndicats, les comités d’entreprise ou des «plateformes unitaires» jouer avec notre sort.

La direction de la lutte doit être entre les mains des travailleurs du début jusqu’à la fin. Ce sont eux qui doivent évaluer les forces sur lesquelles ils peuvent compter, les revendications à mettre en avant, les possibilités d’étendre la lutte. Leur riposte ne peut être influencée par les provocations de l’entreprise ou par les «plans de lutte» de ses complices des syndicats, mais par la décision collective des travailleurs organisés en assemblées et en comités élus et révocables. Les négociations avec le patronat ou avec le gouvernement doivent se faire sous les yeux de tous, comme ce fut le cas à Vitoria en 1976 en Espagne ou en Pologne en 1980. Ce sont les assemblées elles-mêmes qui prennent en charge la recherche de la solidarité, en organisant des délégations et des manifestations.

Le temps de la résignation, de la passivité et de la désorientation doit s’achever. La marge de manœuvre que cette situation a offert pendant des années au capital commence à diminuer. C’est l’heure de la lutte. La voix de la classe ouvrière doit se faire entendre avec de plus en plus de force.

Accion Proletaria / Décembre 2005

Section du CCI en Espagne

(1) La Généralité (Generalitat) est le gouvernement autonome de la région de Catalogne.

(2) Zones industrielles de la banlieue de Barcelone.

(3) L’UGT (Union Générale des Travailleurs) est la confédération de tendance socialiste. Les CCOO (Commissions Ouvrières) est la centrale dirigée par le Parti «communiste» espagnol. La CGT (Confédération Générale du Travail) est une centrale de tendance «syndicaliste révolutionnaire» issue d’une scission «modérée» d’avec la CNT (Confédération Nationale du Travail) anarcho-syndicaliste.

(4) EUA («Esquerra Unida i Alternativa – Gauche Unie et Alternative») : déguisement du Parti communiste espagnol en Catalogne.

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [2]

Grèves dans les transports à New York: Aux Etats-Unis aussi, la classe ouvrière réagit

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Une tactique commune dans les attaques capitalistes contre les retraites et les allocations de santé est la tentative de créer des systèmes “multi-niveaux”, dans lesquels les nouveaux employés perçoivent des avantages ou des retraites plus faibles, que cela prenne la forme de baisse de la valeur des avantages perçus par les plus récents employés, ou celle d’exiger d’eux un paiement plus élevé des contributions à l’assurance maladie ou aux fonds de pension. Les ouvriers plus anciens sont bridés par la promesse que les coupes ne les affecteront pas, mais seulement ceux qui seront embauchés à l’avenir. Traditionnellement, les syndicats aident à faire passer ces “marchés”, saluant leurs “efforts” pour avoir préservé les ouvriers déjà employés comme des “victoires”. Cette tactique monte les ouvriers les uns contre les autres, opposant les intérêts des ouvriers employés de longue date à ceux fraîchement embauchés, la vieille génération contre la jeune – une recette désastreuse pour l’unité de la classe ouvrière – permettant aux directions de diviser les ouvriers et de vaincre leur résistance. Cela a précisément été là l’option choisie : diviser les ouvriers qui s’est trouvée au cœur de la récente lutte dans les transports de la ville de New York. La Metropolitan Transit Authority, contrôlée par le gouver-neur, et dans une moindre mesure par le maire, a cherché à reculer l’âge de la retraite pour les nouveaux embauchés, des actuels 55 ans à 62 ans, et à exiger que ces derniers paient 6 % de leur salaire pour les fonds de pension. L’âge de la retraite à 55 ans (après 25 ans de service) est depuis longtemps en place du fait de la reconnaissance des conditions de travail extrêmement pénibles dans lesquelles triment les ouvriers des transports, dans des souterrains vieux de cent ans, avec un air vicié, le pullulement des rats et le manque général de structures sanitaires. La propo-sition du gouvernement n’aurait cependant touché aucun des ouvriers déjà employés.

Mais les ouvriers du métro et des bus n’étaient absolument PAS prêts à se laisser diviser par cette escroquerie. Instruits par l’expérience vécue chez nombre de leurs camarades dans d’autres secteurs ayant déjà subi une attaque sur leurs retraites, les ouvriers des transports ont refusé d’accepter qu’on touche à leur régime de retraites. De fait, ils se sont mis en grève pour protéger les retraites des ouvriers qui n’étaient pas encore au travail, ceux qu’ils appelaient «nos pas encore nés», leurs futurs collègues. En tant que telle, cette lutte est devenue l’incarnation la plus claire du mouvement pour réaffirmer l’identité de classe du prolétariat et sa solidarité à ce jour. Elle n’a pas seulement eu un impact profond sur les ouvriers qui ont participé à la lutte, mais aussi sur la classe ouvrière dans d’autres secteurs. Les ouvriers du métro se sont ainsi mis en grève par solidarité de classe avec la génération future, avec ceux qui n’étaient pas encore embauchés. Cette grève a eu un écho favorable chez beaucoup d’ouvriers, dans de nombreuses industries, qui ont enfin vu des ouvriers se lever en disant : «Ne touchez pas aux retraites !».

La signification de la grève des transports new-yorkais 

La grève des 33 700 ouvriers du métro qui a paralysé la ville de New York trois jours durant dans la semaine avant Noël a été la lutte ouvrière la plus significative depuis quinze ans aux Etats-Unis. Elle a été importante pour un nombre de raisons qui sont liées :

- au contexte international dans lequel elle s’est déroulée ;

- au développement de la conscience de classe parmi les grévistes eux-mêmes ;

- à l’impact potentiel de la grève sur les autres ouvriers.

La signification de cette grève ne doit pas être exagérée ; elle ne peut être comparée aux grèves des années 1980 qui ont non seulement été capables de remettre en cause l’autorité de l’appareil d’encadrement syndical destiné à contrôler et à faire dérailler les luttes ouvrières, mais qui ont aussi posé la question de l’extension de la lutte à d’autres ouvriers. Cependant, considérant le contexte de conditions difficiles dans lesquelles la classe ouvrière lutte aujourd’hui, cette signification doit être clairement comprise.

Bien qu’elle soit restée strictement sous le contrôle d’une direction syndicale locale dominée par les gauchistes et les syndicalistes de base, la grève du métro a reflété non seulement la combativité montante de la classe ouvrière, mais aussi des pas en avant significatifs et importants dans le développement d’un sentiment retrouvé de l’identité et de la confiance en elle-même de la classe ouvrière, ainsi que de la compréhension de la solidarité de classe, de l’unité des ouvriers par-delà les frontières des générations et des lieux de travail. Les ouvriers du transports ont entrepris cette grève alors même qu’ils savaient être en violation de la loi Taylor de New York qui interdit les grèves dans le secteur public et pénalise automa-tiquement les grévistes de deux jours de salaire pour chaque jour de grève, ce qui veut dire perdre trois jours de salaire pour chaque jour de grève (un jour pour celui non travaillé et deux jours de pénalité). La ville a ainsi menacé de requérir une amende pénale de 25.000 dollars contre chaque ouvrier pour fait de grève, et de la faire doubler chaque jour : 25.000 dollars le premier jour, 50.000 le deuxième, 100.000 le troisième. Face à des menaces si lourdes brandies par la bourgeoisie, la décision de faire grève n’a pas été prise à la légère par les ouvriers mais a représenté un acte courageux de résistance.

Ce qui rend la grève des transports de New York si significative n’est pas simplement qu’elle a paralysé la plus grande ville de l’Amérique trois jours durant, mais par le niveau de progrès dans le développement de la conscience de classe qu’elle reflète.

Comme nous avons dit, la principale question dans la grève était la défense des retraites, qui subissent une attaque incroyable de la bourgeoisie partout dans le monde et spécialement aux Etats-Unis. Dans ce pays, les allocations gouvernementales de sécurité sociale sont minimales et les ouvriers comptent sur leur entreprise ou sur des fonds de pension liés à leur travail pour maintenir leur niveau de vie une fois à la retraite. Ces deux genres de pensions sont en danger dans la situation actuelle, la première sous les efforts de l’administration Bush pour «réformer» la sécurité sociale, et la deuxième à travers le véritable manque de finances et les pressions pour réduire le paiement des retraites.

Le développement de la conscience de classe parmi les grévistes 

La réaffirmation de la capacité de la classe ouvrière à se concevoir et à réagir en tant que classe a pu être constaté à plusieurs niveaux et dans de nombreuses manifestations dans la lutte des transports. Clairement, le problème central lui-même – la protection des retraites pour les futures générations d’ouvriers – contenait cet aspect. Ce n’est pas seulement à un niveau abstrait mais à un niveau concret qu’on pouvait le percevoir et l’entendre. Par exemple, à un piquet de grève d’un dépôt de bus de Brooklyn, des douzaines d’ouvriers se sont rassemblés en petits groupes pour discuter de la grève. Un ouvrier a dit qu’il ne pensait pas qu’il était juste de lutter sur les retraites pour de futurs ouvriers, pour des gens qu’on ne connaissait même pas. Ses collègues s’opposèrent à lui en argumentant que ces futurs ouvriers contraints d’accepter l’attaque contre les retraites «pouvaient être nos enfants». Un autre a dit qu’il était important de maintenir l’unité des différentes générations dans la force de travail. Il a montré que dans le futur il était probable que le gouvernement essaierait de diminuer les avantages médicaux ou le paiement des retraites «pour nous, quand nous serons en retraite. Et il sera important pour les gars au travail alors de se souvenir que nous nous sommes battus pour eux, afin qu’ils se battent pour nous et les empêchent de casser nos avantages». Des discussions similaires se sont passées ailleurs dans la ville, reflétant clairement et concrètement la tendance des ouvriers à se concevoir en tant que classe, à rechercher au-delà des barrières générationnelles que le capitalisme cherche à utiliser pour diviser les uns et les autres.

D’autres ouvriers passant devant les piquets de grève klaxonnaient en signe de solidarité et criaient des hourras de soutien. A Brooklyn, un groupe d’enseignants d’une école élémentaire a exprimé sa solidarité en discutant de la grève avec les élèves et a amené les classes d’élèves de 9-12 ans à rendre visite à un piquet de grève. Les enfants ont apporté des cartes de Noël aux grévistes avec des messages comme : «Nous vous soutenons. Vous vous battez pour le respect.»

L’impact de la lutte pour les autres ouvriers 

La grève des transports est devenue un point de référence pour les ouvriers dans d’autres secteurs. A côté des démonstrations de soutien et de solidarité mentionnées ci-dessus, il y a eu de nombreux autres exemples. Les ouvriers qui ne travaillaient pas dans les transports étaient bienvenus aux piquets de grève. Par exemple, un groupe de maîtres-assistants de l’université de New York en grève a rendu visite au piquet de Brooklyn ; ils se sont présentés pour discuter des problèmes de la grève et de sa stratégie avec les ouvriers. Dans d’innombrables lieux de travail autour de la ville, d’autres ouvriers d’autres secteurs ont parlé de l’importance de la solidarité comme étant un exemple sur la question de la défense des retraites.

La sympathie pour les grévistes est restée forte malgré une intense campagne de diabolisation des grévistes menée par la bourgeoisie dès le deuxième jour de la paralysie des transports. Les tabloïdes, comme le Post et le Daily News, traitaient les grévistes de «rats» et de «lâches». Même le libéral New York Times dénonçait la grève comme «irresponsable» et «illégale».

L’illégalité de la grève elle-même a déclenché des discussions importantes au sein de la classe ouvrière à travers la ville et dans le pays. Comment pouvait-il être illégal pour les ouvriers de protester en se retirant du travail ? demandaient beaucoup d’ouvriers. Comme l’a dit un ouvrier lors d’une discussion dans une école de Manhattan, «c’est presque comme si on ne pouvait faire grève que si elle n’avait aucun effet».

Le rôle du syndicat dans le sabotage de la lutte 

Alors que le syndicat local des ouvriers des transports, conduit par les gauchistes et syndicalistes de base contrôlait clairement la grève, employait une rhétorique combative et adoptait un langage de solidarité pour tenir fermement en mains la grève, le rôle du syndicat a été de miner la lutte et de minimiser l’impact de cette grève importante. Très tôt les syndicats ont laissé tomber la revendication d’une augmentation de salaire de 8 % pendant trois ans, et ont focalisé entièrement sur les retraites.

La collusion entre le syndicat et la direction a été révélée dans un reportage publié après la grève dans le New York Times. Tandis que le maire et le gouverneur appelaient bruyamment à la reprise du travail comme pré-condition à l’ouverture de négociations, des négociations secrètes étaient en fait en route à l’Hôtel Helmsley, et le maire acceptait secrètement une proposition de Toussaint d’obtenir de la direction le retrait de l’attaque sur les retraites en échange d’une augmentation des contributions des ouvriers à la couverture maladie, pour dédommager le gouvernement du coût représenté par le maintien des retraites pour les futurs employés.

Cette fin orchestrée par le syndicat et le gouvernement n’est bien sûr pas une surprise, mais simplement une confirmation de la nature anti-ouvrière de tout l’appareil syndical, et n’enlève rien à la signification des apports importants réalisés dans le développement de la conscience de classe. Cela nous remet en mémoire les tâches importantes qui restent devant la classe ouvrière pour se débarrasser du carcan syndical et pour garder le contrôle de la lutte dans ses propres mains.

D’après Internationalism / Décembre 2005

section du CCI aux Etats-Unis

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [2]

La social-démocratie au 19e siècle et la fondation du POB (I) Le lent et difficile combat pour la construction des organisatio

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Aujourd’hui, partout dans le monde, les partis socialistes, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, mènent une même politique anti-ouvrière, en mystifiant et en dévoyant les luttes ouvrières, ou en prenant directement les mesures d’austérité. Ce sont eux aussi qui ont entraîné les ouvriers dans les boucheries des guerres mondiales du 20e siècle et qui participent à l’extension de la barbarie guerrière. Et demain, ces mêmes partis n’hésiteront pas à réprimer dans le sang les luttes du prolétariat lorsque cela s’imposera pour la sauvegarde du capital, comme ils l’ont démontré à maintes reprises depuis près d’un siècle. Au nom de cette réalité actuelle, beaucoup de gens rejettent la signification et les apports de la social-démocratie du 19e siècle puisqu’ils les rattachent aux magouilles du PS de Di Rupo ou du SPa de Vande Lanotte, qui se revendiquent d’ailleurs eux-mêmes de cette filiation.

Notre contribution sur le développement de la social-démocratie en Belgique au 19e siècle veut mettre en relief, au delà de sa trahison et de son passage dans le camp de la bourgeoisie au début du 20e siècle, l’apport fondamental de la Social-démocratie au combat prolétarien. En défendant cette continuité il ne s’agit pas pour nous de glorifier les partis qui ont constitué la deuxième Internationale. Encore moins de considérer leur pratique comme valable pour notre époque. Il ne s’agit surtout pas de revendiquer l’héritage de la fraction réformiste qui glissa vers le «social-chauvinisme» et passa, avec l’éclatement de la guerre, dans le camp de la bourgeoisie. Il s’agit de comprendre que la deuxième Internationale et les partis tels le POB qui l’ont constituée, ont été à un moment donné des expressions authentiques du prolétariat et un épisode important de l’histoire du mouvement ouvrier.

Les difficultés congénitales du mouvement ouvrier en Belgique

L’histoire a lourdement marqué le développement de la classe ouvrière en Belgique. Le prolétariat a d’abord souffert des dominations successives autrichienne, française et hollandaise qui soumirent les régions à leurs exigences économiques et politiques spécifiques jusqu’en 1830. Ensuite, les contradictions issues du cadre artificiel de la création de l’état belge en 1830 ont lourdement entravé le développement de la conscience et de l’orga-nisation du prolétariat. La bourgeoisie belge ne sut pas profiter pleinement de la période d’expansion du capitalisme et de la croissance industrielle spectaculaire pour effacer ses contradictions internes. Le manque d’homogénéité et d’unité économique de la Belgique et l’instabilité politique ont fortement favorisé la pénétration de réflexes régionalistes, localistes et corporatistes dans les rangs du prolétariat en formation. La concurrence féroce entre ouvriers wallons et paysans prolétarisés flamands a été exacerbée et exploitée par la bourgeoisie. La marge et les possibilités de réformes étaient réduites par les contra-dictions internes de la bourgeoisie, laissant la place à une rigidité et une discipline répressive. Contrairement à l’Angleterre où le développement du capital et la stabilité de l’économie et du cadre politique permirent à la bour-geoisie d’accorder des concessions à la classe ouvrière, la Belgique, pourtant le pays le plus industrialisé après la Grande-Bretagne, a toujours été traditionnellement considérée comme le pays des bas salaires et des longues journées de travail, et cela jusqu’à la fin du 19e siècle.

Le dénuement matériel, la misère physique, le déla-brement culturel, la résignation, l’ignorance, l’asser-vissement au clergé et sa composition fortement influencée par ses origines professionnelles et paysannes, nous per-mettent de comprendre le bas niveau de la conscience de classe et d’organisation. Les premières associations profes-sionnelles et les sociétés de résistance, créées à partir de 1840, tendront, de par leur localisme et leur corporatisme, à rester isolées, à freiner l’unification des luttes ouvrières, à fuir le contact international. Les luttes ont fréquemment un caractère explosif et spontané, reflet du désespoir, de la colère et de l’exaspération - on proteste, mais sans formuler de revendication précise, on rejette la mécani-sation -, et ces explosions sociales  débouchent sur une répression impitoyable: «Il s’agit pour la bourgeoisie d’étouffer toute prise de conscience ouvrière et de décourager la moindre forme d’opposition.» (M. Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, p13). Des dizaines de victimes tombent au cours de manifestations, de grèves, et de 1830 à 1860, plus de 1600 travailleurs sont poursuivis pour faits de grèves. C’est ainsi que le célèbre Appel aux ouvriers de l’Europe et des Etats-Unis lancé par l’AIT en 1869, en faisant allusion aux grèves importantes qui se produisirent à cette époque dans le Borinage, souligne que «il n’y a dans le monde civilisé qu’un seul petit pays dont la force armée soit destinée à massacrer les ouvriers en grève, où, avidement et malignement chaque grève est un prétexte à massacrer officiellement les ouvriers. Ce petit pays singulièrement doté, c’est la Belgique».

Ces difficultés du mouvement ouvrier en Belgique sont l’illustration vivante que la misère à elle seule ne suffit pas. Il faut une classe qui prend confiance en elle, qui s’organise de façon autonome, qui prend conscience pour résister victorieusement aux attaques du capital.

Premières expressions éparpillées d’organisation ouvrière

Cette situation explique les difficultés de développement du mouvement ouvrier dans ces régions. La participation active du prolétariat à la "révolution belge" de 1830 avait amené initialement une tolérance par rapport à la diffusion des idées blanquistes, socialistes utopiques et surtout proudhoniennes. Une première société ouvrière est fondée par J. Kats en 1836 à Bruxelles ; entre 1843 et 1847, on assiste à la naissance de plusieurs groupements (la Société Agneessens avec J. Pellering, l’Association ouvrière, l’Association démocratique, groupement international essentiellement d’inspiration Fouriériste dont Marx et les éléments de Agneessens font partie, l’Alliance, etc.). Cela crée une certaine fermentation, mais encore peu profonde. Soutenus par des bourgeois acquis aux idées démocratiques, le mouvement et les idées ne s’imposent pas comme ceux d’une classe antagonique à la bourgeoisie: «les idées socialistes d’alors consistaient en un mélange de démo-cratie, de républicanisme, de socialisme sentimental et d’athéisme... (qui) avaient peu d’écho dans les masses» (L. Bertrand, Histoire de la Démocratie et du Socialisme en Belgique depuis 1830 , Vol 2, p. 206). Il n’y a pas encore une classe ouvrière consciente de soi et de sa force.

La répression après les révolutions de 1848 en Europe fait fuir beaucoup d’éléments vers la Belgique, mais la tolérance des années 1830 y avait fait place à une surveillance très suivie. Malgré la présence vers 1845 pendant quelques années à Bruxelles, de Marx et d’autres communistes allemands, à la pointe de l’effort international de développement programmatique, ce sont surtout les nombreux réfugiés français à partir du coup d’Etat à Paris en 1851 qui marquent le jeune mouvement ouvrier. Le Proudhonnisme avec ses idées de mutuellisme et de coopératives faisait pour de bon son entrée, surtout repris et propagé par Jan Pellering et le Liégeois Nicolas Coulon. Il exprimait la nostalgie d’un passé révolu et prenait ses distances par rapport à toute lutte politique et économique du prolétariat. Vers 1860, après une scission avec le mouve-ment de Pellering et Coulon, la propagande socialiste et démocratique se concentre dans l’Association de la démocra­tie militante socialiste: le Peuple à Bruxelles, toujours d’inspiration anti-cléricale («rationalisme et socialisme ne font qu’un») et proudhonienne mais plus ouverte et orientée vers la solidarité.

Le développement d’organisations de type syndical subit le contrecoup du mépris des proudhoniens pour la lutte économique. Alors que la Grande Bretagne voit surgir dès la fin du 18ème siècle les premières mutuelles et asso-ciations ouvrières, que celles-ci obtiennent dès 1842 la levée de l’interdiction des coalitions et qu’elles profitent des cadres syndicaux déjà formés dans l’illégalité, les syndicats ouvriers en Belgique ne se constituent qu’à partir de 1857 et resteront interdits jusqu’en 1866. Cette deu-xième branche du mouvement ouvrier belge apparaît sous l’influence des Trade-unions anglais plus particulièrement dans les usines de textile gantoises sous l’impulsion de e.a. De Ridder et Moyson, venant de l’Association ‘le Peuple’, remplissant enfin le vide laissé par les Proud-honiens sur le plan de la lutte économique.

L’impact de la première Internationale et le combat contre l’anarchisme

La fondation de la première Internationale en 1864 et, à travers elle, la promotion des idées marxistes au niveau international favorisera un nouveau développement de la conscience et de l’organisation du prolétariat en Belgique. Il n’y a pas de Belges de présents lors de la création à Londres en 1864 de l’Association Interna­tionale des Travailleurs (AIT). Ce n’est qu’en juillet 1865 que se constitue à Bruxelles la section belge de la 1ère Interna-tionale, absorbant presque aussitôt L’Association ‘Le Peuple’ qui en devient la seule section. Elle continue à mettre l’accent sur les thèmes Proudhoniens comme la mise en place de coopératives de producteurs et de consom-mateurs, et manifeste un désintérêt pour la lutte économique ou politique et un mépris pour le développement d’orga-nisations centralisées. Toute autorité empêche la libre association, base économique d’une nouvelle société.

Finalement, la lutte héroïque des mineurs en 1868 et 1869 et la répression meurtrière qui s’en est suivie obligera la section belge de l’AIT à s’orienter vers les ouvriers en lutte, à reconnaître l’importance de la lutte et de la propagande parmi les ouvriers et à prendre à cœur la solidarité. Rejointe par les syndicalistes gantois, jusque là très localistes mais avec un noyau embryonnaire marxiste, la section belge de l’AIT cherche activement le contact avec les ouvriers. En quelques mois, plus d’une centaine de meetings se tiennent et rapidement, les activités et les points d’implantation de l’internationale se multiplient dans le pays. En 1870 l’AIT réunit 70.000 travailleurs.

Les idées fouriériste, blanquiste sont nettement sur leur retour et, même si les Proudhoniens restent majoritaires en Belgique, le marxisme gagne en influence, comme le montre l’évolution à partir de 1867 d’une figure importante comme C. De Paepe. Il commence à critiquer sérieusement les thèses Proudhoniennes, reconnaissant le maintien de l’exploitation du travail salarié par le mou-vement coopératif et la nécessité d’une révolution sociale. Bref, à ce moment, «L’Internationale est devenue une puissance en Belgique» (L. Bertrand, Histoire de la Démocratie et du Socialisme en Belgique depuis 1830, Vol 2, p.171), car elle constitue la base de départ d’une véritable action socialiste concertée et organisée sur le plan national. Certes, des faiblesses importantes demeu-rent qui se manifesteront encore. Le particularisme a été érodé, il n’a pas été vaincu. L’apolitisme, lui aussi, demeure solide, entretenu par les thèses abstentionnistes répan­dues par Proudhon et ses adeptes. L’ensemble garde un caractère hétéroclite y inclus concernant la signification de la lutte économique du prolétariat.

A partir de 1870 toutefois, l’élan de l’AIT sera brisé, d’abord par la guerre franco-prussienne de 1870, qui rendait tout travail international très difficile, puis quelques mois plus tard par l’écrasement de la Commune de Paris en 1871. Par ailleurs, le combat mar­xiste contre l’action destructrice des adeptes de Bakounine dans l’Internationale a prélevé un lourd tribut sur ses forces. En Belgique en particulier, les magouilles des adeptes de Bakounine favoriseront également la confusion politique, disperseront les forces et sèmeront la zizanie. Au congrès de La Haye de septembre 1872, en opposition aux votes de la conférence nationale de juillet 1872, la délégation belge choisit malgré tout le côté de Bakounine contre Marx. Dès ce moment, l’AIT tend à se diluer en Belgique, laissant un vide considérable.

Vers une organisation social-démocrate unifiée en Belgique

Le combat de l’AIT, s’il subissait un recul ponctuel, avait eu une valeur historique importante car dorénavant,  plus rien n’était comme avant. A côté de l’expérience dans L’AIT même, la commune de Paris avait démontré au mouvement ouvrier l’importance d’un parti ouvrier autonome et de l’action politique pour former et mobiliser les masses. L’action de l’AIT a profondément modifié le climat socio-politique. Sa «propagande fait prendre conscience aux mineurs, non seu­lement de l’identité de leur condition sociale, de la similitude de leur exploitation, mais aussi de la solidarité profonde qui les lie à l’ensemble des ouvriers du pays, et même de l’Europe... « (J.Puissant, La structuration politique du mouvement ouvrier, Vol 1 p.81). De manière plus générale grâce à l’Inter­nationale, on a assisté, en Belgique, dans les années 1867-1872 à un extraordinaire développement de la conscience ouvrière de même qu’à celui des capacités organisationnelles du prolétariat.

Les années suivantes vont montrer une poursuite de la décantation par rapport à l’anarchisme. Si en Wallonie, l’influence de la France maintient le classe ouvrière dans le vide organisationnel et l’absentéisme politique, les rares centres industriels flamands, et particulièrement la région gantoise, «subissent l’attraction d’un socialisme allemand en passe de s’organiser et de prendre un envol décisif». (M. Liebman, Les socialistes belges 1885-1914, p.41) En effet en Allemagne, dès 1869, le Parti Ouvrier Social-Démocrate est fondé à Eisenach par W. Liebknecht et A. Bebel, proches de Marx, après avoir scissionné de l’organisation de Lassalle sur des bases marxistes. En 1875, lors de la réunification des deux partis, les marxistes sont majoritaires, même si le programme qui est adopté est rempli de concessions aux conceptions lassalliennes. C’est ce programme avec ses forces et ses faiblesses qui inspire dès 1875 la fédération ouvrière gantoise, formée en 1874 autour de militants tels E. Anseele. A Bruxelles, les groupements profession­nels se réunissent en une Chambre de Travail autour de César de Paepe et du jeune Louis Bertrand.

L’internationale anti-autoritaire, contrôlée par des Bakou-ninistes, se délite progressivement et tiendra son dernier congrès en juin 1876. A la fin de la même année, des groupements ouvriers à Anvers, Gand et Bruxelles s’accordent sur la nécessité d’une action politique mais pas encore sur les modalités de formation d’une organisation politique à côté de syndicats. Faute d’accord complet et en attendant un écho dans les masses ouvrières des bassins industriels wallons, deux partis se forment en 1877: le Parti Socialiste flamand, selon le modèle allemand, et le Parti Socialiste brabançon. Si la motion de Anseele, approuvée en grande majorité par le premier, est sans ambiguïté sur les principes politiques et organisationnels: «le prolétariat organisé en parti distinct, opposé à tous les autres partis formés par les classes privilégiées, doit employer tous les moyens politiques tendant à l’émancipation sociale de tous».(C. Renard, La conquête du suffrage universel en Belgique, p.45), le programme du deuxième l’est beaucoup moins et il intègre surtout des syndicats de métier dans la tradition dépassée de l’AIT.

C’est finalement en 1879 que les formations flamande et bruxelloise s’unissent en un Parti Socialiste Belge et que les positions anarchistes, apolitiques deviennent nettement minoritaires. Plusieurs éléments de Wallonie, en particulier de Verviers, rejoignent le parti. Mais les difficultés ne sont pas levées pour autant. Le Parti Socialiste Belge nouveau né décide de porter ses efforts sur la conquête du suffrage universel: Manifestations, congrès, présentation de candidatures aux élections de 1880, autant d’échecs que d’efforts. A Verviers et à Liège la classe s’agite beaucoup et l’idée d’une alliance mûrit lentement. En février 1885, une grève importante éclate dans le Borinage ; ouvriers et chômeurs s’unissent dans la lutte. Edouard Anseele décide de distribuer du pain fabriqué par les coopératives aux chô-meurs et aux ménages ouvriers et ce dans tout le pays. Ce geste de solidarité est mieux apprécié par la population que tous les discours qui chantent les vertus de l’unité. Aussi, quand la Ligue Ouvrière de Bruxelles, qui travaille en marge du Parti Socialiste brabançon, demande la convocation d’un congrès général pour le 5 avril 1885, elle recueille l’appro-bation quasi unanime.

Le lendemain 6 avril 1885, cent douze représentants d’associations ouvrières majoritairement bruxelloises et flamandes, rassemblés à Bruxelles sous la présidence de Louis Bertrand, déclarent adhérer à la Constitution d’un Parti Ouvrier Belge (POB). Le programme et les statuts seront adoptés quelques mois plus tard. Cette fondation est l’expression d’un formidable développement, en Belgique comme partout en Europe, des luttes et de l’organisation au sein de la classe ouvrière. Elle offre un cadre organisé et des perspectives aux luttes ouvrières et représente en même temps un extraordinaire espoir de bouleversement révolutionnaire de la société capitaliste pour l’ensemble des exploités.

Lac / 21.02.2006

Situations territoriales: 

  • Belgique [3]

Conscience et organisation: 

  • La Seconde Internationale [4]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/internationalisme-no324

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-belgique [2] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe [3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/belgique [4] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/seconde-internationale