Le CCI vient de tenir son 11e Congrès international. Dans la mesure où les organisations communistes sont une partie du prolétariat, un produit historique de celui-ci de même que partie prenante et facteur actif de son combat pour son émancipation, leur Congrès, qui représente leur instance suprême, est un fait de première importance pour la classe ouvrière. C'est pour cette raison qu'il appartient aux communistes de rendre compte de ce moment essentiel de la vie de leur organisation.
Pendant plusieurs jours, les délégations venues de 12 pays ([1] [1]) représentant plus d'un milliard et demi d'habitants et surtout les plus grandes concentrations prolétariennes du monde (Europe occidentale et Amérique du nord) ont débattu, tiré des enseignements, tracé des orientations sur les questions essentielles auxquelles est confrontée notre organisation. L'ordre du jour de ce congrès comprenait essentiellement deux points : les activités et le fonctionnement de notre organisation, la situation internationale. ([2] [2]) Cependant, c'est de très loin le premier point qui a occupé le plus grand nombre de séances et suscité les débats les plus passionnés. Il en a été ainsi parce que le CCI a été confronté à des difficultés organisationnelles de premier plan qui nécessitaient une mobilisation toute particulière de toutes les sections et de tous les militants.
L'expérience historique des organisations révolutionnaires du prolétariat démontre que les questions touchant à leur fonctionnement sont des questions politiques à part entière méritant la plus grande attention, la plus grande profondeur.
Les exemples de cette importance de la question organisationnelle sont nombreux dans le mouvement ouvrier mais on peut plus particulièrement évoquer celui de l'AIT (Association Internationale des Travailleurs, appelée également plus tard 1re Internationale) et celui du 2e congrès du Parti Ouvrier Social Démocrate Russe (POSDR) tenu en 1903.
L'AIT avait été fondée en septembre 1864 à Londres à l'initiative d'un certain nombre d'ouvriers anglais et français. Elle s'était donnée d'emblée une structure de centralisation, le Conseil central qui, après le congrès de Genève en 1866, s'appellera Conseil général. Au sein de cet organe, Marx va jouer un rôle de premier plan puisque c'est à lui qu'il est revenu de rédiger un grand nombre de ses textes fondamentaux comme l'Adresse inaugurale de l'AIT, ses statuts ainsi que l'Adresse sur la Commune de Paris (La guerre civile en France) de mai 1871. Rapidement, l'AIT (« L'Internationale », comme l'appelaient alors les ouvriers) est devenue une « puissance » dans les pays avancés (en premier lieu ceux d'Europe occidentale). Jusqu'à la Commune de Paris de 1871, elle a regroupé un nombre croissant d'ouvriers et a constitué un facteur de premier plan de développement des deux armes essentielles du prolétariat, son organisation et sa conscience. C'est à ce titre, d'ailleurs, qu'elle fera l'objet d'attaques de plus en plus acharnées de la part de la bourgeoisie : calomnies dans la presse, infiltration de mouchards, persécutions contre ses membres, etc. Mais ce qui a fait courir le plus grand danger à l'AIT, ce sont des attaques qui sont venues de certains de ses propres membres et qui ont porté contre le mode d'organisation de l'Internationale elle-même.
Déjà, au moment de la fondation de l'AIT, les statuts provisoires qu'elle s'est donnée sont traduits par les sections parisiennes, fortement influencées par les conceptions fédéralistes de Proudhon, dans un sens qui atténue considérablement le caractère centralisé de l'Internationale. Mais les attaques les plus dangereuses viendront plus tard avec l'entrée dans les rangs de l'AIT de l'« Alliance de la démocratie socialiste », fondée par Bakounine et qui allait trouver un terrain fertile dans des secteurs importants de l'Internationale, du fait des faiblesses qui pesaient encore sur elle et qui résultaient de l'immaturité du prolétariat à cette époque, un prolétariat qui ne s'était pas encore dégagé des vestiges de l'étape précédente de son développement.
« La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d'être à une époque où le prolétariat n'est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnent des solutions fantastiques que la masse des ouvriers n'a qu'à accepter, à propager, et à mettre en pratique. Par leur nature même, les sectes formées par ces initiateurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d'ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indifférente ou même hostile à leur propagande... Ces sectes, leviers du mouvement à leurs origines, lui font obstacle dès qu'il les dépasse ; alors elles deviennent réactionnaires... Enfin, c'est là l'enfance du mouvement prolétaire, comme l'astrologie et l'alchimie sont l'enfance de la science. Pour que la fondation de l'Internationale fut possible, il fallait que le prolétariat eût dépassé cette phase.
En face des organisations fantaisistes et antagonistes des sectes, l'Internationale est l'organisation réelle et militante de la classe des prolétaires dans tous les pays, liés les uns avec les autres, dans leur lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir de classe organisé dans l'Etat. Aussi les statuts de l'Internationale ne connaissent-ils que de simples sociétés "ouvrières" poursuivant toutes le même but et acceptant toutes le même programme qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l'élaboration théorique à l'impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique, et à l'échange des idées qui se fait, dans les sections, admettant indistinctement toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs congrès.
De même que, dans toute nouvelle phase historique, les vieilles erreurs reparaissent un instant pour disparaître bientôt après ; de même, l'Internationale a vu renaître dans son sein des sections sectaires... » (Les prétendues scissions dans l'Internationale, chapitre IV, circulaire du Conseil général du 5 mars 1872)
Cette faiblesse était particulièrement accentuée dans les secteurs les plus arriérés du prolétariat européen, là où il venait à peine de sortir de l'artisanat et de la paysannerie, notamment dans les pays latins. Ce sont ces faiblesses que Bakounine, qui n'est entré dans l'Internationale qu'en 1868, après l'échec de la « Ligue de la Paix et de la Liberté » (dont il était un des principaux animateurs et qui regroupait des républicains bourgeois), a mises à profit pour essayer de la soumettre à ses conceptions « anarchistes » et pour en prendre le contrôle. L'instrument de cette opération était l'« Alliance de la démocratie socialiste », qu'il avait fondée comme minorité de la « Ligue de la Paix et de la Liberté ». C'était une société à la fois publique et secrète et qui se proposait en réalité de former une internationale dans l'Internationale. Sa structure secrète et la concertation qu'elle permettait entre ses membres devait lui assurer le « noyautage » d'un maximum de sections de l'AIT, celles où les conceptions anarchistes avaient le plus d'écho. En soi, l'existence dans l'AIT de plusieurs courants de pensée n'était pas un problème. ([3] [3]) En revanche, les agissements de l'Alliance, qui visait à se substituer à la structure officielle de l'Internationale, ont constitué un grave facteur de désorganisation de celle-ci et lui ont fait courir un danger de mort. L'Alliance avait tenté de prendre le contrôle de l'Internationale lors du Congrès de Bâle, en septembre 1869. C'est en vue de cet objectif que ses membres, notamment Bakounine et James Guillaume, avaient appuyé chaleureusement une résolution adminitrative renforçant les pouvoirs du Conseil général. Mais ayant échoué, l'Alliance, qui pour sa part s'était donnée des statuts secrets basés sur une centralisation extrême, ([4] [4]) a commencé à faire campagne contre la « dictature » du Conseil général qu'elle voulait réduire au rôle « d'un bureau de correspondance et de statistiques » (suivant les termes des alliancistes), d'une « boîte aux lettres » (comme leur répondait Marx). Contre le principe de centralisation exprimant l'unité internationale du prolétariat, l'Alliance préconisait le « fédéralisme », la complète « autonomie des sections » et le caractère non obligatoire des décisions des congrès. En fait, elle voulait pouvoir faire ce qu'elle voulait dans les sections dont elle avait pris le contrôle. C'était la porte ouverte à la désorganisation complète de l'AIT.
C'est à ce danger que devait parer le Congrès de la Haye de 1872 qui a débattu de la question de l'Alliance sur base du rapport d'une commission d'enquête et a finalement décidé l'exclusion de Bakounine ainsi que de James Guillaume, principal responsable de la fédération jurassienne de l'AIT qui se trouvait complètement sous le contrôle de l'Alliance. Ce congrès fut à la fois le point d'orgue de l'AIT (c'est d'ailleurs le seul congrès où Marx se soit rendu, ce qui situe l'importance qu'il lui attribuait) et son chant du cygne du fait de l'écrasement de la Commune de Paris et de la démoralisation qu'il avait provoquée dans le prolétariat. De cette réalité, Marx et Engels étaient conscients. C'est pour cela que, en plus des mesures visant à soustraire l'AIT de la main mise de l'Alliance, ils ont proposé que le Conseil général soit installé à New-York, loin des conflits qui divisaient de plus en plus l'Internationale. C'était aussi un moyen de permettre à l'AIT de mourir de sa belle mort (entérinée par la conférence de Philadelphie de juillet 1876) sans que son prestige ne soit récupéré par les intrigants bakouninistes.
Ces derniers, et les anarchistes ont par la suite perpétué cette légende, prétendaient que Marx et le Conseil général ont obtenu l'exclusion de Bakounine et Guillaume à cause des différences dans la façon d'envisager la question de l'Etat ([5] [5]) (quand ils n'ont pas expliqué le conflit entre Marx et Bakounine par des questions de personnalité). En somme, Marx aurait voulu régler par des mesures administratives un désaccord portant sur des questions théoriques générales. Rien n'est plus faux.
Ainsi, au Congrès de la Haye, aucune mesure n'a été requise contre les membres de la délégation espagnole qui partageaient la vision de Bakounine, qui avaient appartenu à l'Alliance, mais qui ont assuré ne plus en faire partie. De même, l'AIT « anti-autoritaire » qui s'est formée après le congrès de la Haye avec les fédérations qui ont refusé ses décisions, n'était pas constituée des seuls anarchistes puisqu'on y a retrouvé, à côté de ces derniers, des lassaliens allemands grands défenseurs du « socialisme d'Etat » suivant les propres termes de Marx. En réalité, la véritable lutte au sein de l'AIT était entre ceux qui préconisaient l'unité du mouvement ouvrier (et par conséquent le caractère obligatoire des décisions des congrès) et ceux qui revendiquaient le droit de faire ce que bon leur semblait, chacun dans son coin, condidérant les congrès comme de simples assemblées où l'on devait se contenter « d'échanger des points de vue » mais sans prendre de décisions. Avec ce mode d'organisation informel, il revenait à l'Alliance d'assurer, de façon secrète, la véritable centralisation entre toutes les fédérations, comme il était d'ailleurs explicitement dit dans nombre de correspondances de Bakounine. La mise en oeuvre des conceptions « anti-autoritaires » dans l'AIT constituait le meilleur moyen de la livrer aux intrigues, au pouvoir occulte et incontrôlé de l'Alliance, c'est-à-dire des aventuriers qui la dirigeaient.
Le 2e congrès du POSDR allait être l'occasion d'un affrontement similaire entre les tenants d'une conception prolétarienne de l'organisation révolutionnaire et les tenants d'une conception petite bourgeoise.
Il existe des ressemblances entre la situation du mouvement ouvrier en Europe occidentale du temps de l'AIT et celle du mouvement en Russie au début du siècle. Dans les deux cas nous nous trouvons à une étape d'enfance de celui-ci, le décalage dans le temps s'expliquant par le retard du développement industriel de la Russie. L'AIT avait eu comme vocation de rassembler au sein d'une organisation unie les différentes sociétés ouvrières que le développement du prolétariat faisait surgir. De même, le 2e congrès du POSDR avait comme objectif de réaliser une unification des différents comités, groupes et cercles se réclamant de la Social-Démocratie qui s'étaient développés en Russie et en exil. Entre ces différentes formations, il n'existait pratiquement aucun lien formel après la disparition du comité central qui était sorti du 1er congrès du POSDR en 1897. Dans le 2e congrès, comme dans l'AIT, on a vu donc s'affronter une conception de l'organisation représentant le passé du mouvement, celle des « mencheviks » (minoritaires) et une conception exprimant ses nouvelles exigences, celle des « bolcheviks » (majoritaires) :
D'une façon qui s'est confirmée par la suite (déjà lors de la révolution de 1905 et encore plus, bien entendu, au moment de la révolution de 1917, où les mencheviks se sont placés du côté de la bourgeoisie), la démarche des mencheviks était déterminée par la pénétration, dans la Social-Démocratie russe, de l'influence des idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises. En particulier, comme le note Lénine : « Le gros de l'opposition [les mencheviks] a été formé par les éléments intellectuels de notre Parti » qui ont donc constitué un des véhicules des conceptions petites bourgeoises en matière d'organisation. De ce fait, ces éléments « ... lèvent naturellement l'étendard de la révolte contre les restrictions indispensables qu'exige l'organisation, et ils érigent leur anarchisme spontané en principe de lutte, qualifiant à tort cet anarchisme... de revendication en faveur de la "tolérance", etc. » (Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière). Et, de fait, il existe beaucoup de similitudes entre le comportement des mencheviks et celui des anarchistes dans l'AIT (à plusieurs reprises, Lénine parle de « l'anarchisme de grand seigneur » des mencheviks).
C'est ainsi que, comme les anarchistes après le congrès de La Haye, les mencheviks se refusent à reconnaître et à appliquer les décisions du 2e congrès en affirmant que « le congrès n'est pas une divinité » et que « ses décisions ne sont pas sacro-saintes ». En particulier, de la même façon que les bakouninistes entrent en guerre contre le principe de centralisation et la « dictature du conseil général » après qu'ils aient échoué à en prendre le contrôle, une des raisons pour lesquelles les mencheviks, après le congrès, commencent à rejeter la centralisation réside dans le fait que certains d'entre eux ont été écartés des organes centraux qui ont été nommés à celui-ci. On retrouve des ressemblances même dans la façon dont les mencheviks mènent campagne contre la « dictature personnelle » de Lénine, sa « poigne de fer » qui fait écho aux accusations de Bakounine contre la « dictature » de Marx sur le Conseil général.
« Lorsque je considère la conduite des amis de Martov après le congrès, (...) je puis dire seulement que c'est là une tentative insensée, indigne de membres du Parti, de déchirer le Parti... Et pourquoi ? Uniquement parce qu'on est mécontent de la composition des organismes centraux, car objectivement, c'est uniquement cette question qui nous a séparés, les appréciations subjectives (comme offense, insulte, expulsion, mise à l'écart, flétrissure, etc.) n'étant que le fruit d'un amour-propre blessé et d'une imagination malade. Cette imagination malade et cet amour-propre blessé mènent tout droit aux commérages les plus honteux : sans avoir pris connaissance de l'activité des nouveaux centres, ni les avoir encore vus à l'oeuvre, on va répandant des bruits sur leur "carence", sur le "gant de fer" d'Ivan Ivanovitch, sur la "poigne" d'Ivan Nikiforovitch, etc. (...) Il reste à la social-démocratie russe une dernière et difficile étape à franchir, de l'esprit de cercle à l'esprit de parti ; de la mentalité petite-bourgeoise à la conscience de son devoir révolutionnaire ; des commérages et de la pression des cercles, considérés comme moyens d'action, à la discipline. » (« Relation du 2e Congrès du POSDR », Oeuvres, Tome 7)
Avec l'exemple de l'AIT et celui du 2e congrès du POSDR, ont peut voir toute l'importance des questions liées au mode d'organisation des formations révolutionnaires. En effet, c'est autour de ces questions qu'allait se produire en premier lieu une décantation décisive entre, d'un côté, le courant prolétarien et, de l'autre, les courants petits-bourgeois ou bourgeois. Cette importance n'est pas fortuite. Elle découle du fait qu'un des canaux privilégiés par lesquels s'infiltrent au sein de ces formations les idéologies des classes étrangères au prolétariat, bourgeoisie et petite bourgeoisie, est justement celui de leur mode de fonctionnement.
L'histoire du mouvement ouvrier est riche d'autres exemples de ce type. Si nous n'avons évoqué ici que ces deux-là, c'est évidemment pour une question de place mais aussi parce qu'il existe des similitudes importantes, comme nous le verrons plus loin, entre les circonstances historiques de la constitution de l'AIT, du POSDR et du CCI lui-même.
Le CCI a déjà été conduit à plusieurs reprises à se pencher avec attention sur ce type de question. Ce fut le cas, par exemple, lors de sa conférence de fondation, en janvier 1975, où il avait examiné la question de la centralisation internationale (voir le « Rapport sur la question de l'organisation de notre courant », Revue internationale n° 1). Un an après, au moment de son premier congrès, notre organisation est revenue là-dessus avec l'adoption de statuts (voir l'article « Les statuts des organisations révolutionnaires du prolétariat », Revue internationale n° 5). Enfin, le CCI, en janvier 1982, a consacré une conférence internationale extraordinaire à cette question suite à la crise qu'il avait traversée en 1981. ([6] [6]) Face à la classe ouvrière et au milieu politique prolétarien, le CCI ne s'était pas caché des difficultés qu'il avait rencontrées au début des années 1980. C'est ainsi qu'en parlait la résolution adoptée par le 5e Congrès et citée par la Revue internationale n° 35 :
Une telle attitude de transparence à l'égard des difficultés que rencontrait notre organisation ne correspondait nullement à un quelconque « exhibitionnisme » de notre part. L'expérience des organisations communistes est partie intégrante de l'expérience de la classe ouvrière. C'est pour cela qu'un grand révolutionnaire comme Lénine a pu consacrer tout un livre, Un pas en avant, deux pas en arrière, à tirer les leçons politiques du 2e Congrès du POSDR. C'est pour cela également que nous portons ici à la connaissance de nos lecteurs de larges extraits de la résolution adoptée à l'issue de notre 11e Congrès. En rendant compte de sa vie organisationnelle, le CCI ne fait donc pas autre chose qu'assumer sa responsabilité face à la classe ouvrière.
Evidemment, la mise en évidence par les organisations révolutionnaires de leurs problèmes et discussions internes constituent un plat de choix pour toutes les tentatives de dénigrement dont celles-ci font l'objet de la part de leurs adversaires. C'est le cas aussi et particulièrement pour le CCI. Certes, ce n'est pas dans la presse bourgeoise que l'on trouve des manifestations de jubilation lorsque nous faisons état des difficultés que notre organisation peut rencontrer aujourd'hui, celle-ci est encore trop modeste en taille et en influence parmi les masses ouvrières pour que les officines de propagande bourgeoise aient intérêt a parler d'elle pour essayer de la discréditer. Il est préférable pour la bourgeoisie de faire un mur de silence autour des positions et de l'existence des organisations révolutionnaires. C'est pour cela que le travail de dénigrement de celles-ci et de sabotage de leur intervention est pris en charge par toute une série de groupes et d'éléments parasitaires dont la fonction est d'éloigner des positions de classe les éléments qui s'approchent de celles-ci, de les dégoûter de toute participation au travail difficile de développement d'un milieu politique prolétarien.
L'ensemble des groupes communistes a été confronté aux méfaits du parasitisme, mais il revient au CCI, parce que c'est aujourd'hui l'organisation la plus importante du milieu prolétarien, de faire l'objet d'une attention toute particulière de la part de la mouvance parasitaire. Dans celle-ci on trouve des groupes constitués tels le « Groupe Communiste Internationaliste » (GCI) et ses scissions (comme « Contre le Courant »), le défunt « Communist Bulletin Group » (CBG) ou l'ex-« Fraction Externe du CCI » qui ont tous été constitués de scissions du CCI. Mais le parasitisme ne se limite pas à de tels groupes. Il est véhiculé par des éléments inorganisés, ou qui se retrouvent de temps à autre dans des cercles de discussion éphémères, dont la préoccupation principale consiste à faire circuler toutes sortes de commérages à propos de notre organisation. Ces éléments sont souvent d'anciens militants qui, cédant à la pression de l'idéologie petite-bourgeoise, n'ont pas eu la force de maintenir leur engagement dans l'organisation, qui ont été frustrés que celle-ci n'ait pas « reconnu leurs mérites » à la hauteur de l'idée qu'ils s'en faisaient eux-mêmes ou qui n'ont pas supporté les critiques dont ils ont été l'objet. Il s'agit également d'anciens sympathisants que l'organisation n'a pas voulu intégrer parce qu'elle jugeait qu'ils n'avaient pas la clarté suffisante ou qui ont renoncé à s'engager par crainte de perdre leur « individualité » dans un cadre collectif (c'est le cas, par exemple du défunt « collectif Alptraum » au Mexique ou de « Kamunist Kranti » en Inde). Dans tous les cas, il s'agit d'éléments dont la frustration résultant de leur propre manque de courage, de leur veulerie et de leur impuissance s'est convertie en une hostilité systématique envers l'organisation. Ces éléments sont évidemment absolument incapables de construire quoi que ce soit. En revanche, ils sont souvent très efficaces, avec leur petite agitation et leurs bavardages de concierges pour discréditer et détruire ce que l'organisation tente de construire.
Cependant, ce ne sont pas les grenouillages du parasitisme qui vont empêcher le CCI de faire connaître à l'ensemble du milieu prolétarien les enseignements de sa propre expérience. En 1904, Lénine écrivait, dans la préface de Un pas en avant, deux pas en arrière :
C'est exactement avec le même état d'esprit que nous portons ici à la connaissance de nos lecteurs de larges extraits de la résolution adoptée à l'issue de notre 11e Congrès. Ce n'est pas une manifestation de faiblesse du CCI mais, au contraire, un témoignage de sa force.
« Le 11e congrès du CCI l'affirme donc clairement : le CCI se trouvait dans une situation de crise latente, une crise bien plus profonde que celle qui a frappé l'organisation au début des années 80, une crise qui, si la racine des faiblesses n'avait pas été identifiée, risquait d'emporter l'organisation. » (Résolution d'activités, point 1)
« Les causes de la gravité du mal qui risquait d'engloutir l'organisation sont multiples, mais on peut en mettre en évidence les principales :
- le fait que la conférence extraordinaire de janvier 82, destinée à remonter la pente après la crise de 1981, ne soit pas allée jusqu'au bout de l'analyse des faiblesses qui affectaient le CCI ;
- plus encore, le fait que le CCI n'ait pas pleinement intégré les acquis de cette conférence elle-même (...) ;
- le renforcement de la pression destructrice que la décomposition du capitalisme fait peser sur la classe et sur ses organisations communistes.
En ce sens, la seule façon dont le CCI pouvait affronter efficacement le danger mortel qui le menaçait consistait :
- dans l'identification de l'importance de ce danger (...) ;
- dans une mobilisation de l'ensemble du CCI, des militants, des sections et des organes centraux autour de la priorité de la défense de l'organisation ;
- dans la réappropriation des acquis de la conférence de 1982 ;
- dans un approfondissement de ces acquis, sur la base du cadre qu'ils avaient donné. » (Ibid, point 2)
Le combat pour le redressement du CCI a débuté à l'automne 1993 par la mise en discussion dans toute l'organisation d'un texte d'orientation qui rappelait et actualisait les enseignements de 1982 tout en se penchant sur l'origine historique de nos faiblesses. Au centre de notre démarche se trouvaient donc les préoccupations suivantes : la réappropriation des acquis de notre propre organisation et de l'ensemble du mouvement ouvrier, la continuité avec les combats de celui-ci et particulièrement de sa lutte contre la pénétration en son sein des idéologies étrangères, bourgeoises et petites-bourgeoises.
Ici, la résolution fait référence à un point du texte d'orientation de l'automne 1993 qui met en évidence la question suivante :
Cette analyse se basait sur des précédents historiques dans le mouvement ouvrier (par exemple, l'attitude des anciens rédacteurs de l'Iskra, regroupés autour de Martov et qui, mécontents des décisions du 2e congrès du POSDR, avaient formé la fraction des mencheviks) mais aussi sur des précédents dans l'histoire du CCI. Nous ne pouvons entrer en détail dans celle-ci mais nous pouvons affirmer que les « tendances » qu'a connues le CCI (celle qui allait scissionner en 1978 pour former le « Groupe Communiste Internationaliste », la « tendance Chénier » en 1981, la « tendance » qui a quitté le CCI lors de son 6e Congrès pour former la « Fraction Externe du CCI ») correspondaient bien plus à des dynamiques de clan qu'à de réelles tendances basées sur une orientation positive alternative. En effet, le moteur principal de ces « tendances » n'était pas constitué par les divergences que leurs membres pouvaient avoir avec les orientations de l'organisation (ces divergences étaient on ne peut plus hétéroclites, comme l'a démontré la trajectoire ultérieure des « tendances ») mais par un rassemblement des mécontentements et des frustrations contre les organes centraux et par les fidélités personnelles envers des éléments qui se considéraient comme « persécutés » ou insuffisamment reconnus.
Si l'existence de clans dans l'organisation n'avait plus le même caractère spectaculaire que par le passé, il n'en continuait pas moins à miner sourdement mais dramatiquement le tissu organisationnel. En particulier, l'ensemble du CCI (y compris les militants directement impliqués) a mis en évidence qu'il était confronté à un clan occupant une place de premier plan dans l'organisation et qui, même s'il n'était pas un simple « produit organique des faiblesses du CCI », avait « concentré et cristallisé un grand nombre des caractéristiques délétères qui affectaient l'organisation et dont le dénominateur commun était l'anarchisme (vision de l'organisation comme somme d'individus, approche psychologisante et affinitaire des rapports politiques entre militants et des questions de fonctionnement, mépris ou hostilité envers les conceptions politiques marxistes en matière d'organisation) » (Résolution d'activités, point 5)
C'est pour cela que :
Finalement, après plusieurs jours de débats très animés, avec une profonde implication de toutes les délégations et une très grande unité entre elles, le 11e Congrès du CCI a pu parvenir aux conclusions suivantes :
Ce constat de l'issue positive du combat mené par l'organisation depuis l'automne 1993 n'a cependant créé aucun sentiment d'euphorie dans le Congrès. Le CCI a appris à se méfier des emballements qui sont bien plus tributaires de la pénétration dans les rangs communistes de l'impatience petite-bourgeoise que d'une démarche prolétarienne. Le combat mené par les organisations et les militants communistes est un combat à long terme, patient, souvent obscur, et le véritable enthousiasme qui habite les militants ne se mesure pas à des envolées euphoriques mais à la capacité de tenir, contre vents et marées, à résister face à la pression délétère que l'idéologie de la classe ennemie fait peser sur leurs têtes. C'est pour cela que le constat du succès qui a couronné le combat de notre organisation au cours de la dernière période ne nous a conduits à nul triomphalisme :
Avant de conclure cette partie sur les questions d'organisation qui ont été discutées lors du congrès, il importe de préciser que les débats menés par le CCI durant un an et demi n'ont donné lieu à aucune scission (contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, lors du 6e congrès, ou en 1981). Il en est ainsi parce que, d'emblée, l'organisation s'est retrouvée en accord avec le cadre théorique qui avait été donné pour la compréhension des difficultés qu'elle rencontrait. L'absence de divergences sur ce cadre a permis que ne se cristallise pas une quelconque « tendance » ou même une quelconque « minorité » théorisant ses particularités. Pour une grande part, les discussions ont porté sur comment il convenait de concrétiser ce cadre dans le fonctionnement quotidien du CCI tout en conservant le souci permanent de rattacher ces concrétisations à l'expérience historique du mouvement ouvrier. Le fait qu'il n'y ait pas eu de scission est un témoignage de la force du CCI, de sa plus grande maturité, de la volonté manifestée par la très grande majorité de ses militants de mener résolument le combat pour sa défense, pour assainir son tissu organisationnel, pour dépasser l'esprit de cercle et toutes les conceptions anarchisantes considérant l'organisation comme une somme d'individus ou de petits groupes affinitaires.
L'organisation communiste, évidemment, n'existe pas pour elle-même. Elle n'est pas spectateur mais acteur des luttes de la classe ouvrière et sa défense intransigeante vise justement à lui permettre de tenir son rôle. C'est avec cet objectif que le Congrès a consacré une partie de ses débats à l'examen de la situation internationale. Il a discuté et adopté plusieurs rapports sur cette question ainsi qu'une résolution qui en fait la synthèse et qui est publiée dans ce même numéro de la Revue Internationale. C'est pour cela que nous ne nous étendrons pas sur cet aspect des travaux du congrès. Nous nous contenterons d'évoquer ici, et de façon brève, uniquement le dernier des trois aspects de la situation internationale (évolution de la crise économique, conflits impérialistes et rapports de force entre les classes) qui ont été discutés au congrès.
Cette résolution l'affirme clairement :
Cependant, le Congrès a confirmé ce que le CCI avait annoncé dès l'automne 1989 :
Et c'est principalement pour cette raison qu'aujourd'hui :
Cependant, la bourgeoisie sait très bien que l'aggravation de ses attaques contre la classe ouvrière ne pourra qu'impulser de nouveaux combats de plus en plus conscients. Elle s'y prépare en développant toute une série de manœuvres syndicales de même qu'en confiant à certains de ses agents le soin de renouer avec des discours encensant la « révolution », le « communisme » ou le « marxisme ». C'est pour cela que :
Après avoir reconstitué et rassemblé ses forces, le CCI est à nouveau prêt, à la suite de son 11e Congrès, pour assumer cette responsabilité.
Liens
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[12] https://fr.internationalism.org/rinte82/11congres.htm#_ftnref5
[13] https://fr.internationalism.org/rinte82/11congres.htm#_ftnref6
[14] https://fr.internationalism.org/rinte82/11congres.htm#_ftnref7
[15] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/defense-lorganisation
[16] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[17] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire