Une fois la guerre en Europe finie en mai 1945, et le butin en Europe partagé entre les vainqueurs, la bataille pour la domination de l’Asie commence. Déjà, quand la bataille touche à sa fin en Europe, 3 zones de conflits deviennent immédiatement des champs de bataille en Asie orientale.
La première zone de conflit concerne celle où le Japon était dominant. Il est évident que l’effondrement du régime militaire japonais et son élimination de la Chine et de la Corée laissent une place vide, ce qui ne peut qu’aiguiser les appétits de tous les gangsters impérialistes.
Le premier pays à tenter sa chance et à occuper ce "vide" est la Russie qui, presque quatre décennies plus tôt, dans la guerre de 1904-1905, avait subi une grosse défaite contre le Japon. Cependant, dans une première phase, c'est_à-dire après l’attaque japonaise de Pearl Harbour en décembre 1941, (et aussi plus tard, fin 1944/début 1945, au moment de la Conférence de Yalta tenue en février 1945) les États-Unis pensent encore que, la bataille avec le Japon ayant atteint une intensité inouïe en Extrême-Orient, ils auront besoin de la chair à canon russe pour la bataille finale avec le Japon. Bien qu’économiquement très affaiblie et ayant perdu plus de 20 millions de morts dans la guerre, l’URSS a été capable de se renforcer sur l’échiquier impérialiste À la Conférence de Yalta, l’URSS réclame la Mandchourie, l’archipel des Kouriles, Sakhaline, et la Corée au nord du 38ème parallèle, ainsi que les ports chinois de Dalian et Lüshün (appelé Port-Arthur quand il était occupé par les russes) qui deviendront des bases navales russes. Le régime de Staline vise directement le Japon. La Russie cherche de nouveau à étendre sa domination en Extrême-Orient. La guerre tirant à sa fin en Europe, les intérêts stratégiques de la Russie changent. La Russie a bénéficié du carnage entre la Chine et le Japon et plus tard, de la guerre entre le Japon et les États-Unis. Pendant la guerre, le Japon étant prisonnier de sa guerre avec la Chine et les États-Unis, il n’allait pas être capable d’attaquer la Russie en Sibérie, comme les nazis allemands l’avaient poussé à faire. Comme la Russie et le Japon partagent l’intérêt commun de protéger leurs arrières de toute agression (la Russie voulant éloigner le Japon, l’allié de son ennemi, l’Allemagne; le Japon voulant le maintien de la Russie, alliée des États-Unis, dans une position de neutralité), les deux pays pratiquent une politique "de non-agression" l’un vis-à-vis de l’autre pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais vers la fin de 1944-1945, quand la fin de la guerre en Europe est en vue, les États-Unis poussent la Russie à prendre part à la tempête sur le Japon. Staline s’arrange même pour arracher un soutien militaire et logistique américain pour armer et transporter les troupes russes à l’est.
A Yalta, l’URSS et les États-Unis sont encore d’accord : Une fois la guerre terminée en Europe, l’URSS recevra sa part après la défaite du Japon. Cependant, une fois la guerre terminée en Europe, qui voit la Russie comme grand vainqueur obtenant de vastes parties de l’Europe de l’est et la partie est de l’Allemagne, l’impérialisme américain change sa stratégie afin d’éviter une participation russe à la fin de la guerre contre le Japon.
L’impérialisme russe, cependant, persiste et signe et mobilise une armée d’un million et demi de soldats, plus de 5000 chars, et 3800 avions dans les cents jours après la fin de la guerre en Allemagne1. Ses troupes traversent la Chine du Nord et occupent un territoire de la taille de l’Espagne, de la France, de l’Italie, de l’Allemagne et de la Pologne réunies. La Russie déclare la guerre au Japon le 9 août, le jour où les États-Unis lancent la première bombe atomique sur Hiroshima et, le 10 août, les troupes russes prennent d’assaut la Corée occupée par les japonais, avançant rapidement jusqu‘au 38ème parallèle, jusqu'au nord de Séoul. Les troupes russes deviennent la force d’occupation de grandes parties de la Chine et de la Corée du Nord et se mobilisent pour un débarquement au Japon. Les États-Unis voient alors leurs positions menacées.
Bien que le Japon ait été substantiellement affaibli par les bombardements incessants d’avant août 1945, et alors que certaines parties de la bourgeoisie japonaise aient essayé d’établir une trêve, les États-Unis décident de lancer les premières bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : elles sont destinées non pas tant à la défaite d’un Japon déjà à genoux, mais surtout à servir d’avertissement envers la Russie dans la nouvelle polarisation entre les deux grands blocs impérialistes, russe et américain.
Ainsi, le premier grand choc, quoiqu’indirect, entre la Russie et les États-Unis se produit à cause du Japon. Mais un second théâtre de confrontation se prépare déjà : la bataille pour la Chine où l’écroulement de la domination japonaise aiguise l’appétit de tous les gangsters impérialistes.
1"La défaite de l’armée russe en 1904 avait laissé des souvenirs amers dans le cœur de notre peuple. C’était une tache sur notre nation. Notre peuple a attendu, croyant qu’il devrait un jour défaire le Japon et laver cette tâche. Notre génération d’anciens a attendu 40 ans que ce jour arrive." (cité par Jörg Friedrich,Yalu : An den Ufern des dritten Weltkrieges (à la veille de la 3e guerre mondiale), Berlin, 2007).
Deux guerres pour le contrôle de la péninsule coréenne ont déjà été menées au tournant du 20ème siècle. La Chine et le Japon s’y affrontent en 1894 ; en 1904, la Russie et le Japon entrent en guerre pour la domination de la Corée et de la Mandchourie. Staline, à la Conférence de Yalta en 1945, insiste pour que la Corée soit divisée au niveau du 38ème parallèle, i.e. une division entre nord et sud que la Russie réclamait déjà en 1904 avant d’être éjectée de la région par l’impérialisme japonais.
Auparavant, en août 1945, la Russie occupe la Corée jusqu’au 38ème parallèle juste au nord de Séoul. Cette configuration durera de 1945 à 1950, c'est-à-dire pendant la période de la guerre en Chine. Cependant, la formation de la République Populaire chinoise ajoute un nouvel élément au panier de crabes impérialistes. Après avoir reçu le feu-vert des russes, Kim Il Sung,1 qui s’est battu pour eux pendant la Seconde Guerre mondiale, passe à l’offensive au-delà du 38ème parallèle avec l’espoir de rejeter, par une attaque éclair, les forces américaines du territoire coréen.
La guerre se développe en quatre phases :
dans un premier temps, les troupes nord coréennes fondent sur Séoul le 25 juin 1950. En septembre 1950, toute la Corée du Sud a été conquise par la Corée du Nord, seule la région autour de la ville de Pusan résiste à l’offensive nord-coréenne et à un siège sanglant, et reste dans les mains sud-coréennes.
Dans une seconde phase – à la suite de la mobilisation massive de troupes sous direction américaine – Séoul est repris le 27 septembre. Les troupes des Nations Unies conduites par les États-Unis continuent leur offensive vers le Nord et, à fin novembre 1950, occupent Pyongyang et atteignent le Yalou, frontière entre la Chine et la Corée ;
Dans une troisième phase, la Chine entre ouvertement dans la guerre avec l’envoi de millions de "volontaires" chinois qui se battront du côté nord coréen. Le 4 janvier 1951, Séoul est repris par les troupes chinoises et nord coréennes (avec une mobilisation de 400 000 soldats chinois et de 100 000 soldats nord-coréens)
Suite à une nouvelle contrattaque, Séoul retombe dans les mains américaines en mars 1951. Entre le printemps 1951 et la fin de la trêve (27 juillet 1953), le front ne bouge presque plus. La guerre tombe rapidement dans une impasse et il n’y aura pas de victoires majeures pendant deux ans.
Cette guerre est une confrontation horrifiante entre les deux superpuissances et devient l’une des plus meurtrières et destructrices de la période de la guerre froide.
Pendant la guerre, les États-Unis testent toutes sortes d’armes (par exemple, les armes chimiques, Anthrax et napalm). L’intensité des destructions est telle que presque toutes les villes attaquées sont rasées jusqu’au sol ; par exemple, les deux capitales, Séoul et Pyongyang sont toutes les deux écrasées sous les bombardements américains. Le commandement américain dit : "nous ne pouvons plus penser à bombarder une quelconque ville en Corée du Nord, il n’y a presque plus de maison qui tienne debout". Les forces aériennes ont pour ordre de "détruire tous les moyens de communication et toute installation, usine, ville et village". Dans l’espace d’une année, presque tout le pays est réduit à des ruines par les bombardements. Aucun camp ne réussit à imposer ses objectifs militaires. La guerre se répand rapidement mais il faudra des années pour arriver à une trêve. Au niveau militaire, la guerre finit où elle a commencé, la frontière (telle qu’elle avait été établie avant le déclenchement de la guerre) ne bouge pas.
On estime à environ deux millions le nombre des morts en Corée du Nord et à un million au Sud. Le Général Curtis Le May, qui dirigea le bombardement de Tokyo en 1945, fit ce bilan : "nous avons détruit chaque ville en Corée du Nord et certaines en Corée du Sud aussi. Sur une période de trois ans à peu près, nous avons tué 20 % de la population de Corée, soit du fait de la guerre, soit à cause de la famine et du manque d’abri".2
La Corée du Nord perd 11 % de sa population, avec un tribut élevé de morts dans la population civile. L’armée nord-coréenne perd quelques 500 000 soldats (tués, blessés, disparus), l’armée chinoise déplore environ 900 000 victimes, l’armée sud coréenne à peu près 300 000 et les États-Unis subissent le quatrième plus grand nombre de victimes de leur histoire ; 142 000 soldats au total périssent.
Cette guerre voit la première apparition de l’impérialisme chinois. La Chine, qui a été dépendante des ventes d’armes russes, essaie en même temps de compenser les limites de son arsenal d’armes par l’emploi presque illimité de chair à canon humaine. Mao ne cache pas les ambitions et le cynisme de son régime, quand il déclare en 1952 : "la guerre a été une grande expérience et un apprentissage pour nous… Ces exercices sont mieux que n’importe quelle académie militaire. Si nous continuons à combattre une autre année, nous aurons alors réussi à ce que toute nos troupes se familiarisent avec la guerre".3 Même quand la guerre touche à sa fin, en 1953, la Chine prépare sa sixième offensive contre les États-Unis. En octobre 1951 déjà, la Chine avait mobilisé 1,5 millions de soldats, et le pays consacrait la moitié de son budget étatique à la guerre.
En octobre 1951, les États-Unis durent quadrupler leurs dépenses militaires pour couvrir les coûts croissant de la guerre.
Les deux côtés sont prêts à jeter dans la balance tout leur poids économique et militaire. Staline, Mao, Chiang et Truman avaient tous fait un front contre le Japon 6 ans avant seulement, au temps de la Seconde Guerre mondiale. Pendant la guerre de Corée, ils cherchaient tous les moyens possibles de s’annihiler les uns les autres. Les autorités militaires américaines envisagèrent un bombardement nucléaire sur 24 villes chinoises, parmi les cibles programmées il y avait Shanghai, Nankin, Beijing, Mukden.
Depuis lors, le pays a été une zone de conflit permanent, au niveau le plus élevé de militarisation. La Corée du Sud est soutenue par les États-Unis pour qui ce pays est une importante tête de pont. À l’image du Japon, la Corée du Sud fut rapidement reconstruite avec l’aide américaine.
Le Nord, qui est à la fois une zone tampon mais aussi une tête de pont importante pour menacer le Japon, est un point crucial pour les stratégies impérialistes de la Chine et de la Russie. Reconstruite sur le modèle stalinien, la partie nord présente de nombreuses similitudes avec les ex-régimes de l’Est européens. Quoique plus développée économiquement que le Sud avant 1945, et plus riche en matières premières et ressources énergétiques, le Nord montre une arriération similaire – typique des régimes étouffés par le militarisme et gouvernés par une clique stalinienne. Tout comme l’union Soviétique, la Corée du Nord est incompétitif sur le marché mondial et ne survit que grâce à une militarisation à outrance. Pratiquement ses seules exportations sont les armements.
La fin de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée a laissé la Chine continentale, le Japon et la péninsule coréenne en ruines. La guerre a ravagé de grandes régions de l’Asie. Une des conséquences de la création d’une nouvelle constellation impérialiste dans la guerre froide a de plus été que deux pays, la Chine et la Corée, ont été divisés en deux parties (la République Populaire de Chine et la République de Chine sur Taiwan, la Corée du Nord et du Sud), chacune étant alliée de l’un des deux blocs. Le Japon et la Corée du Sud, qui avaient été détruits par la guerre ont tous les deux reçu rapidement des fonds américains pour accélérer leur reconstruction de façon à devenir des appuis militaires et économiques solides pour les États-Unis dans leur confrontation avec leur rival russe et ses alliés.
1Kim Il Sung, né à Pyongyang mais dont la famille s’installe en Mandchourie, entre dans le mouvement de résistance contre l’occupation japonaise et y participe à la guérilla. Lorsque les japonais décident de liquider la guérilla une fois pour toutes, Kim est le seul dirigeant qui survit l’assaut : il est obligé de se retirer en Russie où lui et ses hommes intègrent l’Armée rouge russe. Il deviendra par la suite des évènements le premier dirigeant de la Corée du Nord.
2Jörg Friedrich, Yalu, p. 425. Notre traduction.
3Jörg Friedrich, Yalu, p. 516. Notre traduction.
Durant la Seconde guerre mondiale, alors qu'une alliance des États-Unis, de l’URSS et des deux factions rivales de la bourgeoisie chinoise, le Kuomintang et l’Armée Rouge dirigée par les Maoïstes, se battent contre le Japon, Mao propose ses "bons services" aux États-Unis, vantant ses troupes comme étant des alliées plus déterminées et plus capables (une opinion partagée par plusieurs envoyés américains auprès de l’Armée rouge).
Quand la guerre cesse avec le Japon, le conflit au sein de la bourgeoisie chinoise éclate de nouveau au grand jour – alimenté par les appétits impérialistes de la Russie et des États-Unis. Après 1945, les États-Unis, qui ont soutenu le Front Unique Chinois contre le Japon, se mobilisent pour soutenir le KMT. Dans un premier temps, à la suite de la reddition du Japon, les États-Unis rapatrient, grâce à leurs moyens logistiques, environ un million de soldats japonais de la Chine au Japon (à peu près un cinquième de toute l’armée japonaise), pour que les soldats japonais ne tombent pas aux mains des Russes.
A la suite de cette opération de sauvetage des troupes japonaises, entre octobre et décembre 1945, un demi-million de soldats du Kuomintang sont aussi aéroportés par les troupes américaines du sud-ouest au nord de la Chine et vers les centres côtiers.
Comme nous l’avons montré plus haut, le Front Unique entre l’Armée Rouge stalinienne et les forces du KMT est vraiment précaire, déchiré par des conflits répétés et des confrontations directes. Le Japon s’est battu contre deux ailes rivales du capital chinois qui sont constamment à couteaux tirés. Une fois l’ennemi commun - l’impérialisme japonais – disparu, l’antagonisme entre les deux factions chinoises en conflit explose en guerre ouverte en juin 1946. une nouvelle guerre succède à celle de huit ans contre le Japon. Avec quelques trois millions de soldats de son côté au début du conflit, le KMT affiche au début une supériorité numérique sur l’Armée Rouge. De plus, il bénéficie d’un soutien massif des États-Unis. À l’inverse, la Russie, qui revient en force sur le front impérialiste en Asie orientale en août 1945, et occupe la Mandchourie que le Japon a dû abandonner, ne peut dans la première phase fournir autant de matériel (surtout militaire) aux troupes de l’Armée Rouge. Au contraire, du fait de son manque de ressources, la Russie démantèle les équipements locaux et les rapatrie chez elle.
Sur fond d’effondrement économique, largement dû à une économie de guerre incessante (80-90 % du budget alloué à l’armée), le KMT perd une grande partie de ses soutiens et beaucoup de soldats changent de camp. Entre 1937 et 1945, la création monétique est multipliée par 500. Après 1945, sous l’impact de la guerre économique, l’hyper-inflation continue, paupérisant la classe ouvrière et les paysans qui se détournent massivement du KMT.
Après presque 3 ans de combats continuels, l’Armée Rouge parvient à infliger une défaite cuisante aux troupes du KMT. Deux millions au moins de soldats du KMT, et de ceux qui le soutenaient, s’échappent vers l’île de Taiwan.
En octobre 1949, les troupes de Mao déclarent que la Chine continentale est un État indépendant. La République Populaire est proclamée. Cependant, il ne s’agit pas d’une révolution socialistemais du triomphe militaire d’une aile de la bourgeoisie chinoise (soutenue par la Russie) sur une autre aile du capital chinois (soutenue par les États-Unis). La nouvelle République Populaire s’érige sur les ruines d’un pays qui est passé par 12 ans de guerre – précédés par trois décennies de conflits entretenus par des seigneurs de guerre insatiables. Comme tant d’autres "nouveaux" États fondés au 20ème siècle, elle se fonde sur une division en deux parties, Taiwan et la Chine "continentale", entraînant un antagonisme permanent qui va perdurer jusqu’à nos jours.
Ravagée par des décennies d’économie de guerre, soutenue non par un pays techniquement supérieur, les États-Unis, mais par la Russie qui a, comme en Europe de l’Est, pillé les matières premières et démantelé les équipements en Mandchourie et ne peut pas offrir le même soutien matériel, la République Populaire sera marquée par une grande arriération.
A peine finie la guerre en Chine en 1949, la guerre entre la Corée du nord et du sud éclate.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/6/518/yalta
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/232/coree
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/guerre-coree
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/62/chine
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/6/519/kuomintang-defaite
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/6/520/guerre-civile-chine