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Avant de définir la "démocratie ouvrière", d'expliquer pourquoi nous utilisons un tel terme, que les trotskystes en particulier ont totalement dénaturé, nous devons montrer quelle forme de démocratie le prolétariat doit rejeter, s'il veut véritablement renverser la société de classes. Pour cela, on doit balayer un certain nombre de confusions qui se sont tissées autour du mot "démocratie". Lorsque nous parlons de "démocratie", nous ne parlons jamais de la "démocratie" en soi, mais d'une forme de pouvoir, de dictature de classe, ou bien de la bourgeoisie, ou bien du prolétariat.
Le marxisme, même lorsqu'il parle de "conquête de la démocratie", dans le Manifeste Communiste, a précisé ce qu'il entendait par là : certes, conquête de libertés (réformes, droits de grève et de coalition) dans le cadre de la démocratie bourgeoise du 19ème siècle, encore réelle avant sa décadence au 20ème siècle, mais surtout conquête du pouvoir politique par et pour le prolétariat. Il y avait alors un programme minimum (lutte pour des réformes ouvrières, des libertés réelles de presse et de réunion) et un programme maximum (conquête du pouvoir politique, c'est-à-dire dictature du prolétariat). Abandonnant la lutte pour le socialisme, le révisionnisme (Bernstein, Jaurès, social-démocrates de la IIème Internationale) ont fait du rafistolage de la "démocratie" bourgeoise leur drapeau. "Conquête de la démocratie" s'est transformée dans leur bouche en abandon de la dictature du prolétariat. "Améliorer", mais non détruire l' État bourgeois, dont ils fétichisèrent le parlementarisme ! Collaboration de classes, et non lutte de classe, tel était pour eux le sens de cette "conquête de la démocratie".
C'est pourquoi leur drapeau fut la "démocratie en soi "ou la "démocratie du peuple tout entier", "démocratie" où, bien entendu, devaient coexister pacifiquement prolétariat et bourgeoisie.
Cette démocratie-là, avec son parlement, ses prisons, son armée, sa police, ses camps de concentration, sa terreur et la privation de toute véritable liberté politique pour les classes laborieuses, le prolétariat la rejette totalement, et affirme la nécessité de la briser, de la détruire de fond en comble, car elle est la forme même de la dictature bourgeoise.
La dictature du prolétariat, si elle ne peut se traduire par la terreur -comme nous l'avons vu dans un précédent article- ne signifie pas "démocratie" pour la bourgeoisie. Celle-ci se voit -comme classe- privée de tout droit et de toute liberté politique : la bourgeoisie est privée du "droit" de participer au nouveau pouvoir, privée de sa "liberté" de propriété, sa "liberté" d'exploiter les ouvriers. Il n'y a pas d'égalité entre prolétariat et bourgeoisie. La dictature du prolétariat implique le rejet de la mystification "liberté pour tous".
Si la prise du pouvoir par le prolétariat se manifeste par "l'égalité véritable et la démocratie réelle pour les travailleurs, les ouvriers et les paysans" (Lénine : "Thèses et rapport sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat", 1919), cela n'implique pas l'égalité politique entre les classes, exploitées et la classe ouvrière. Bien que s'appuyant sur celles-là contre la bourgeoisie, elle doit préserver rigoureusement son indépendance de classe ; liberté politique pour tous les exploités (droit de réunion, participation aux soviets) n'implique pas égalité politique absolue. Le prolétariat, à la différence de l'ancienne social-démocratie ou des trotskystes actuels respectueux de la "loi du nombre" (majorité numérique) dénie à toute autre classe la possibilité de s’organiser comme classe, sur le terrain politique[1]. Le pouvoir des conseils ouvriers, en octobre 1917, a affirmé clairement qu'une voix d'ouvrier dans les soviets valait au moins cinq fois plus que celle d'un paysan. Si l'on définit, au sens étymologique, le terme "démocratie" par "pouvoir du peuple", la dictature ouvrière n'est pas "démocratique" : c'est la dictature d'une classe qui monopolise le pouvoir bien que les paysans et les membres des couches exploitées participent aux soviets. Le mécanisme même de la démocratie que la minorité doit se plier à la majorité, abdiquer ses propres intérêts devant la "loi de la majorité numérique", le prolétariat le rejette. Classe minoritaire dans la société à l'échelle du globe (quelques centaines de millions d'ouvriers sur 4 milliards d'hommes), sous peine de voir son pouvoir dégénérer, doit préserver ses intérêts de classe, qui, bien que coïncidant avec ceux de tous les exploités face à la barbarie capitaliste, ne s'identifient pas à ceux des classes exploitées liées à la propriété privée (paysans, artisans, etc.). La condition du socialisme, c'est que le prolétariat reste la classe politiquement dominante. Se lier les mains par le respect fétichiste de la démocratie formelle, ce serait abdiquer son pouvoir de classe.
Les bordiguistes, à la suite de la Gauche Communiste, rejetant clairement et la "démocratie" bourgeoise et la démocratie formelle, ont cru en tirer la conclusion que la révolution prolétarienne serait "antidémocratique" ou ne serait pas. Pour cela, ils s'appuient généralement sur Engels qui affirmait que le socialisme se traduit par "la suppression de tout État, et, par conséquent, de la démocratie". Si l'on entend par "démocratie" la FORME que prend le pouvoir prolétarien, une dictature de classe dans une société où l' État subsiste, où les exploités participent à cet État au travers des soviets, qui sont l'organe d'un tel pouvoir, c'est tout-à-fait juste. La disparition des classes, et donc de l' État qui exprime cette division en classes, c'est l'abolition de tout pouvoir de classes, et donc, de la "démocratie". Malheureusement, tel n'est pas le but des croisés de l'"antidémocratisme". Lorsqu'ils définissent la dictature du prolétariat comme totalitaire, renforçant la violence de l' État, ils nient le but du socialisme : l'abolition de tout pouvoir, de tout État.
Il faut en finir avec ces jongleries sur le mot "démocratie" ; laissons aux juristes et aux philosophes le soin de définir l'essence invariante, éternelle du mot "démocratie". Pour nous, marxistes, la "démocratie" que nous voulons, n'est pas un mot, une simple FORME. La "démocratie ouvrière", c'est un CONTENU, une PRATIQUE DE CLASSE, UN BUT : le socialisme, l'émancipation du prolétariat et de l'humanité qui se traduisent par une égalité réelle, une liberté sans précédent pour le prolétariat et les exploités, non limitées mais en développement constant, au fur et à mesure que dépérissent les rapports de production capitalistes.
Il faut en finir aussi avec les conceptions phénoménologiques des anarchistes et des conseil listes, dont la myopie politique ne leur laisse entrevoir de la "démocratie ouvrière" que son mécanisme interne, sa forme, son fonctionnement. Ils ne veulent voir dans la "démocratie ouvrière" que les décisions prises à la majorité, le vote libre de toute contrainte exercée par la bourgeoisie. Ils ne voient pas que l'important, ce n'est pas le mécanisme du vote, mais la pratique réelle du prolétariat : que les positions révolutionnaires de la minorité deviennent celles de la majorité des conseils, emportent l'adhésion de toute la majorité exploitée dans la société.
Inversement, cette pratique du prolétariat qui devient une classe consciente, se libérant de l'idéologie bourgeoise, est un refus de toute contrainte, de toute violence au sein du prolétariat. Le prolétariat ne peut se libérer du joug du capitalisme en se privant de sa propre liberté de mouvement, de discussion, de décision. Le prolétariat progresse à travers ses erreurs, ses hésitations, qu'il tend sans cesse à dépasser. Une minorité révolutionnaire ne saurait suppléer cet indispensable effort du prolétariat de se libérer par ses propres forces. Pour être efficace, emporter l'adhésion de la masse des ouvriers, lui montrer la nécessité de prendre le pouvoir, lui montrer la solution juste quand se multiplient les obstacles, la minorité doit CONVAINCRE la majorité. Inversement, quand une minorité de la classe reste soumise aux préjugés petits-bourgeois, la majorité révolutionnaire n’use pas de sa force numérique pour l'écraser. Elle cherche patiemment à emporter l'adhésion. Pour cela, il faut la liberté de discussion, de délibération la plus totale dans les conseils. La classe ouvrière n'est pas une classe homogène qui décide comme un seul homme la Révolution, marche d'un pas égal vers le communisme. Il y a le poids de l'idéologie bourgeoise, dont le prolétariat se dégage à grand peine ; il y a le poids des éléments arriérés du prolétariat dans les conseils territoriaux ; il y a enfin le poids des paysans et des petits bourgeois avec leurs préjugés de classe. Cette lutte de tous les instants, sans violence ni contrainte, contre les préjugés, par la persuasion, la conviction que donne l'expérience révolutionnaire, c'est la démocratie ouvrière, une liberté nouvelle qui s'impose par la liberté de sa pratique.
S'il était possible d'arriver au socialisme, en l'imposant par la violence au prolétariat, aux couches non exploiteuses, par les actions dictatoriales de minorités résolues, le marxisme n’aurait pas été le marxisme et aurait reconnu la pleine validité du blanquisme. Mais le socialisme ne passe pas par des voies détournées, terrestres ou célestes. Il est possible, parce qu'il est la pratique de millions d'ouvriers, de chaque ouvrier pris non comme individu mais comme l'expression d'une même force collective. Affirmer que la réalisation du communisme, c'est une simple question de "dictature monoparti, totalitaire du prolétariat dirigé par le parti de classe", c'est tout simplement trahir l'essence du socialisme.
Enfin, le prolétariat représente historiquement les intérêts de l'humanité toute entière. Il n'a pas de privilège de classe ou de caste à défendre. Il vise non à se perpétuer comme classe, à devenir une classe exploiteuse totalitaire -ce qui est contraire à son essence- mais à saper les bases mêmes de son existence ; en intégrant en son sein, les classes non exploiteuses et même les membres des classes exploiteuses déchues, le prolétariat fait surgir une véritable communauté humaine, fraternelle et libre. Sa dictature de classe se traduit immédiatement par l'extension, l'élargissement de la démocratie ouvrière, "l'extension sans précédent de la démocratie réelle en faveur des classes laborieuses opprimées par le capitalisme" (Lénine).
Le prolétariat ne pourra jamais parvenir au socialisme, s'il ne donne à lui-même et à l'ensemble des exploités, à l'humanité tout entière, le goût de la société sans classes fondée sur la liberté matérielle et spirituelle la plus totale. Il en donnera le goût, non par l'étouffement de la société, par de des massacres sans fin, à coup de camps de concentration, mais en brisant les chaînes de l'esclavage qui l'enserrent. Si le prolétariat est amené dans la révolution, à utiliser la violence, il ne fera pas de nécessité vertu. De telles mesures ne sont pas sa pratique spécifique, mais lui sont imposées par la bourgeoisie ; elles sont exceptionnelles et doivent immédiatement laisser place à la démocratie ouvrière, sous peine de dégénérer, de faire perdre au prolétariat son propre but, et, donc, sa propre pratique.
Et pourtant, diront certains ouvriers rendus méfiants par la contre-révolution stalinienne : "ce que vous dites, vous marxistes, est très beau en théorie, nous ne pouvons qu'y adhérer ; mais donnez-nous des exemples où votre dictature du prolétariat ne s'accompagne pas de restriction de la démocratie ouvrière, et même de violence contre les ouvriers. Regardez donc la révolution russe, ce qu'elle a donné . Il y a un monde entre votre théorie et votre pratique."
Certes oui, la révolution russe nous a montré souvent en négatif la nécessité de la démocratie ouvrière, d'une véritable liberté d'organisation et de critique dans le prolétariat. Certes, il y a eu Kronstadt, l'interdiction des grèves ouvrières pendant la guerre civile, les Tcheka, la militarisation du travail. Mais même négativement, la révolution russe montre la voie du prolétariat dans le futur. Elle montre la validité de la phrase de Marx que "l'émancipation du prolétariat ne saurait être l'œuvre que du prolétariat lui- même". Elle nous montre que le prolétariat ne pourra déléguer son pouvoir ni à l' État, ni à aucun parti censé remplacer sa propre action dans les conseils. Loin d'être un thème de défaitisme, d'abandon de ses propres responsabilités historiques, la révolution russe est un encouragement pour le prolétariat de tirer les leçons de son passé, de comprendre ses propres faiblesses pour ne plus les répéter demain.
De plus cette image de la révolution russe que se sont complus à propager les ennemis du socialisme est à l'opposé de ce qu'elle fut à ses débuts, quand le prolétariat était fort dans ses conseils, quand il n'était pas encore épuisé par la guerre civile. La révolution russe, quand elle fut la dictature des conseils ouvriers et non d'un parti unique, ce fut :
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Que cette démocratie puisse s'épanouir pleinement, cela dépend du succès de la révolution mondiale, du triomphe de la révolution dans les centres vitaux du capitalisme.
La "démocratie ouvrière" n'est pas un idéal que le prolétariat devrait atteindre, à travers le sang et la terreur, la contrainte et l‘oppression. ELLE SERA LA PRATIQUE MÊME DU PROLÉTARIAT AU COURS DE LA RÉVOLUTION, son élargissement signifiant non le recul du prolétariat, son affaiblissement devant des forces hostiles, mais sa marche en avant vers le socialisme, où s'opère le passage du "règne de la nécessité* dans le règne de la liberté.
Ch.
[1] Les trotskystes montrent leur véritable visage d'agents du capital lorsqu'ils disent que la "démocratie ouvrière" "signifie que la liberté d'organisation politique devrait être accordée à tous ceux, y compris des éléments pro-bourgeois, qui, dans les faits, respectent la constitution de l’État ouvrier" ("Démocratie socialiste et dictature du prolétariat", brochure LCR, mai 1978).
Le "camarade" Brejnev, qui respecte la constitution de l'"État ouvrier" russe, peut dormir sur ses deux oreilles. Le trotskysme a le plus grand respect pour l' État capitaliste russe.
Suite de la lettre du F.O.R. parue dans le n° précédent.
..."Mais, parlons de notre divergence sur la nature des événements en Espagne de 1936 (et même avant) à 1937. Il est pour le moins étrange que vous ne considériez pas comme révolutionnaire une insurrection qui aboutit à la suppression de fait de l'État bourgeois laissé sans police et sans armée, donc sans pouvoir, au surgissement de comités-gouvernement et de milices ouvrières un peu partout dans l'Espagne non occupée par les troupes franquistes, une insurrection enfin où le prolétariat s'est montré d'une dynamique telle qu'il n’avait jamais eu auparavant. Par ailleurs, vous affirmez que le prolétariat s 'est fait embrigader dans la "lutte anti-fasciste" ; mais cela n'est vrai qu'après l'écrasement de ses éléments les plus radicalisés après mai 37. Enfin, l’insurrection de mai 37 à Barcelone fut sans nul doute le point culminant, la marque de la conscience prolétarienne la plus radicale de la vague révolutionnaire débutée en 1917 car, pour la première fois (et il faut bien le dire, pour la dernière fois) le prolétariat s'affrontait les armes à la main â la fois au stalinisme et aux démocrates bourgeois. Que le prolétariat, fortement influencé par l'anarchisme, ait permis que l'État bourgeois républicain subsiste (même sans aucun pouvoir), ce qui lui a permis de se ressaisir et de, petit à petit, rassembler et organiser ses forces en vue de réprimer le prolétariat ; qu'il n'ait pas centralisé l’appareil d’État qu’il s’était constitué et qui exerçait sa seule autorité jusqu'à ce que l'État bourgeois se redresse, cela, nous ne le nions pas. Mais il est inutile que nous nous étendions plus longtemps sur ce sujet et passons aux implications qu'entraîne votre position sur la nature des événements espagnols de 1936 à 1937 en relation avec d’autres de vos positions.
Vous parlez de "crise révolutionnaire" pour mai. 68, alors que les événements qui sont advenus à cette époque, même s’il ne manque pas d'intérêt de se pencher sur eux, n'ont rien à voir avec un quelconque renversement de pouvoir. Il semblerait donc que la différence de langage au sujet de la révolution espagnole trouve des racines plus profondes qu'une simple méconnaissance par le CCI de l'histoire. Pour le CCI, le prolétariat est écrasé à partir de 1923, et la course à la guerre est inévitable à partir de 1929. Parler de "révolution espagnole" ne serait-il pas bien gênant car ce serait reconnaître que le prolétariat n'était pas écrasé partout et qu’il y avait encore des possibilités de révolution ? Par contre, si mai 68 fut le théâtre d'une "crise révolutionnaire", n’est-ce pas parce que la "crise" doit, selon les principes du CCI, permettre (grâce à lui en dernière instance) la révolution ? À nos yeux, donc, le CCI, loin de baser ses positions sur la réalité, base la réalité sur ses positions -c'est-à-dire la déforme.
Mais revenons sur le fait que vous affirmez que, au moment où ce que nous appelons la révolution espagnole éclatait, le prolétariat mondial était écrasé et le cours vers la guerre inéluctable, reprenant ainsi les positions de la fraction "Bilan" qui se contentait par conséquent ie se croiser les bras, acte, ou plutôt non-acte, considéré par vous corme éminemment révolutionnaire. Plus de révolution possible puisque le prolétariat mondial était écrasé, dites-vous. Tout d’abord, nous ne pensons pas que le prolétariat était écrasé en 1936, et, en général, nous affirmons que l’écrasement du prolétariat, quand il a lieu à un moment donné, peut très bien n'être que momentané et en aucun cas ne préjuge sur ses capacités de lutte et sur les perspectives de révolution dans la période en cours. D'autre part, l'application de vos positions aboutit â transformer la défense de l'internationalisme prolétarien et le défaitisme révolutionnaire en de simples formalités : lorsqu'une guerre est déclarée, le prolétariat est alors écrasé, sans quoi il pourrait immédiatement se lancer contre la guerre dans la révolution... Or, penser qu'il restera écrasé durant toute la période de guerre en agitant le défaitisme révolutionnaire et la défense de l'internationalisme prolétarien, c'est oublier que ces deux principes ont pour objectif de pousser le prolétariat mondial à la révolution... Mais que faire avec un prolétariat écrasé jusqu’à la fin de la période en cours c'est-à-dire de la guerre ? Ce qu'il faut bien retenir en conclusion de ceci, c 'est que la lutte des révolutionnaires ne doit à aucun moment cesser (comme "Bilan" l'a fait) même si le prolétariat est, dans l'immédiat, écrasé . Aussi, ne voir dans les événements en Espagne qu'un des jalons vers la guerre impérialiste (qui, en effet, se préparait) rendue dans le même temps inéluctable, c’est contredire à toute possibilité réelle de renversement par le prolétariat de quelque situation que ce soit.
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L'appréciation des événements en Espagne entre 36 et 39 constitue incontestablement une divergence majeure entre nos deux organisations. Nous profitons donc de votre lettre pour critiquer ce que nous considérons être une analyse complètement erronée de ces événements : celle qui en fait "le point culminant de la vague révolutionnaire débutée en 17."
Dans votre lettre vous ne "niez pas" que le prolétariat "fortement influencé par l'anarchisme, ait permis que l' État bourgeois subsiste... ce qui lui a permis de se ressaisir...et...de réprimer le prolétariat". Mais au lieu de tirer des enseignements de cette constatation, et de la confronter avec votre autre assertion suivant laquelle "ce prolétariat s'est montré d'une dynamique telle qu'il n'avait jamais eue auparavant", vous coupez court et concluez : "mais il est inutile que nous nous étendions plus longtemps sur ce sujet..." On comprend que vous n'ayez pas envie de vous étendre là-dessus, que vous n'ayez pas envie de comprendre comment un prolétariat que vous dites aussi conscient se soit finalement laissé battre de cette façon : cela risquerait d'être un peu douloureux pour vos bonnes certitudes quant à la haute valeur révolutionnaire des événements d'Espagne. Aussi nous nous "étendrons" un peu, à votre place, sur les enseignements à tirer de ces événements.
Avant cela, nous voudrions vous signaler une petite bourde de votre lettre : vous attribuez une note plus élevée aux ouvriers espagnols de 37 qu'aux ouvriers russes ou allemands de 17 ou de 18 parce que "pour la première fois, le prolétariat s'affrontait les armes à la main à la fois au stalinisme et aux démocrates bourgeois". D'une part, on voit mal comment des ouvriers auraient pu affronter le "stalinisme" en 17 ou 18. D'autre part, les ouvriers russes et allemands, s'ils n'avaient pas en face d'eux une alliance entre démocrates et staliniens (et pour cause!) ont dû, par contre, s'affronter à la sainte-alliance entre démocrates et socialistes qui, à leur époque, constituaient déjà le dernier rempart du capitalisme. C'est justement parce qu'ils ont su déjouer les pièges que leur tendaient les partis de gauche et "ouvriers" (mencheviks, socialistes-révolutionnaires, "troudoviks") que les ouvriers russes ont détruit le gouvernement bourgeois et instauré la dictature du prolétariat. Et c'est justement ce que n'ont pas été capables de faire les ouvriers espagnols. Leur réplique du 19 juillet 36 au putsch fasciste, la rapidité et l'ampleur avec lesquelles ils se sont mobilisés, le courage dont ils ont fait preuve pour attaquer, souvent à main nue, les casernes, sont une manifestation incontestable et remarquable de combativité prolétarienne. Mais si on ne peut pas les dissocier, combativité et conscience ne sont pas rattachées par un lien mécanique : à la haute combativité des ouvriers espagnols, et notamment catalans, correspondait un niveau de conscience finalement assez bas. En effet, il serait illusoire de distinguer un prolétariat d'un côté qui aurait été le "plus conscient" de l'histoire de la lutte de classe et de l'autre le fait qu'il était "fortement influencé par l'anarchisme". Le simple fait que l'anarchisme ait eu une telle influence parmi les ouvriers espagnols et non les conceptions communistes (au sens révolutionnaire s'entend, celui des bolcheviks ou des spartakistes et non évidemment au sens stalinien) est une manifestation de l'arriération politique et idéologique de ces ouvriers : à moins de penser que l'anarchisme représente la plus haute expression de la conscience prolétarienne. Mais, à notre connaissance, telle n'est pas votre analyse, puisque vous considérez justement comme une faiblesse du prolétariat l'influence qu'avait sur lui l'anarchisme.
Effectivement, l'anarchisme, sous sa forme anarcho-syndicaliste, avait une grosse influence sur les ouvriers d'Espagne 36. À ce phénomène, on peut attribuer plusieurs causes :
Dans ces conditions originales, uniques en Europe, la crise économique mondiale des années 30 avait provoqué de très fortes réactions de la part des ouvriers espagnols, qui se reconnaissaient de plus en plus dans le langage radical de la CNT et dans son refus de participer aux compromissions coutumières des socialistes ou des staliniens. Mais la dure épreuve des faits allait être fatale à l'anarcho-syndicalisme. Incapable de comprendre que la première étape de la révolution prolétarienne réside dans la destruction de l' État capitaliste et dans l'instauration de la dictature du prolétariat, levier politique pour une transformation progressive des rapports économiques, la CNT, toute occupée à "implanter le communisme libertaire" dans chaque commune et dans chaque entreprise, a résolu la question du pouvoir politique de la façon la plus désastreuse qui fut : non en incitant les ouvriers à prendre ce pouvoir mais en les incitant à apporter leur soutien à l' État bourgeois. Et si on veut établir un rapprochement entre la révolution russe de 1917 et les événements d'Espagne en 36-37, on peut dire que la CNT a occupé, sur la scène politique, une position semblable à celle des mencheviks : soutien critique au gouvernement "démocratique", puis participation à ce gouvernement en vue de lui donner une coloration plus "ouvrière" (entrée des anarchistes à la "Generalitat" de Catalogne le 26 septembre 36, au gouvernement central le 4 novembre comparable à l'entrée des mencheviks au gouvernement provisoire en mai 1917). Et, de fait, les arguments mêmes utilisés par la CNT pour justifier sa participation sont du meilleur cru réformiste et social-démocrate : "La CNT a toujours été, par principe et par conviction, anti-étatiste et ennemie de toute forme de gouvernement. Mais les circonstances ont changé la nature du gouvernement et de l' État espagnols... Le gouvernement a cessé d'être une force d'oppression contre la classe ouvrière de même que l' État n'est plus l'organisme qui divise la société en classes. Tous deux cesseront encore plus d'opprimer le peuple avec l'intervention de la CNT dans leurs organes" ("Solidaridad Obrera“ du 13 novembre 1936).
Si on suit la thèse du FOR, on aboutit donc à la conclusion absurde que tout en se laissant mystifier par l'équivalent des mencheviks, tout en leur conservant sa confiance, tout en étant incapable de faire surgir en son sein un véritable parti révolutionnaire, de s'organiser en conseils ouvriers à l'échelle du pays, de prendre le pouvoir politique, le prolétariat espagnol était plus conscient, est allé plus loin que le prolétariat russe de 17, qui a repoussé les bavardages mencheviks, qui s'est donné le parti le plus avancé de l'histoire du mouvement ouvrier, qui s'est donné une auto-organisation et a pris le pouvoir à l'échelle d'un pays immense. On ne voit vraiment pas comment le FOR lui-même peut croire à ce qu'il avance! Peut-être estime-t-il que ces fameux "comités-gouvernements" étaient une forme d'organisation supérieure aux conseils allemands ou aux soviets russes. C'est là une conception défendue par Andres Nin, dirigeant du POUM[1] :
Mais ce qui, pour Nin, constituait une force du prolétariat espagnol était, en réalité, une de ses plus grandes faiblesses. Ces fameux comités, en effet, au lieu d'être l'émanation directe des assemblées générales ouvrières, des organismes élus et révocables par elles, étaient la plupart du temps constitués par des délégués nommés par les différentes organisations se réclamant de la classe ouvrière : les syndicats CNT et UGT, les partis socialiste, stalinien et le POUM. Et il en était ainsi à tous les niveaux, les "comités de base" n'ayant pratiquement aucun contrôle sur les comités du "sommet" comme "le comité central des milices anti-fascistes" de Catalogne ou le "comité exécutif populaire" de Valence. À cet égard, le "conseil de défense" d'Aragon faisait figure d'exception puisque résultant de la fédération des divers comités de villes et de villages eux-mêmes nommés par des assemblées générales. Nous ne prétendons pas qu'une forme différente de ces comités aurait changé radicalement le cours des événements en Espagne. Contrairement aux conseil listes, nous ne sommes pas des fétichistes de la forme, nous ne disons pas que l'organisation des ouvriers en conseils les préservent de toute influence bourgeoise, mais nous affirmons, avec l'Internationale Communiste, que dans la période de décadence du capitalisme ouverte par la première guerre mondiale, ceux-ci constituent l'organisation autonome et générale de la classe ouvrière en période révolutionnaire, la "forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" (Lénine)
Et ces fameux "comités" constitués sur la base de la lutte contre le fascisme, purent d'autant mieux devenir des auxiliaires du gouvernement de la République, avant de prononcer leur auto-dissolution, qu'ils étaient directement l'émanation d'organisations ouvertement hostiles aux luttes ouvrières ou incapables de leur indiquer une orientation de classe. Le FOR rejette l'idée qu'avant mai 37 le "prolétariat se soit fait embrigader dans la lutte anti-fasciste en dehors donc de son terrain de classe." C'est faux! Parmi tous les exemples qui illustrent le contraire nous ne donnerons, par manque de place, que cette déclaration de Joaquim Ascaso, président du conseil d'Aragon (pourtant le plus "radical" des différents comités) suite à une entrevue avec Largo Caballero le 31 octobre 1936 :
De fait, malgré une poussée initiale très forte dans les rangs ouvriers en faveur d'un renversement immédiat des institutions officielles de la bourgeoisie républicaine, ceux-ci ont finalement capitulé devant l'argument "qu'avant de faire la révolution, il fallait d'abord gagner la guerre" ressassé par les leaders anarchistes. Et cela, en l'espace de quelques semaines.
Dans votre lettre, vous comparez les événements de 1936 à ceux de mai 68 : pour vous, les premiers représentent une expression de la lutte de classe bien plus élevée que les seconds (que le CCI ne qualifie pas de "crise révolutionnaire" comme vous le dites). Certes, sur le plan de l'intensité des affrontements, la comparaison est à peine possible, cependant ce que vous ne voyez pas, c'est que ceux de 36 représentaient un ultime soubresaut rapidement dévoyé d'un prolétariat victime d'une contre- révolution chaque jour plus profonde, alors que ceux de 68 constituaient une première manifestation d'une reprise générale après cette terrible contre-révolution. Et c'est justement parce que les ouvriers d'Espagne luttaient dans un environnement international de silence de la lutte de classe, qu'au lieu de compter sur la solidarité internationale de leurs frères de classe et de faire appel à elle, ils se sont rendus aux arguments des larbins de la bourgeoisie comme Garcia Olives, lequel déclarait :
C'est bien pour cela que nous considérons que ce qui ressort essentiellement des événements d'Espagne 36, ce n'est pas un quelconque aspect révolutionnaire des luttes de classe qui s'y sont menées, mais bien la façon dont ces luttes ont été dévoyées dans le soutien d'un camp de la bourgeoisie contre un autre, d'un camp impérialiste contre un autre.
[1] Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, petit parti surtout influent en Catalogne qu'on peut situer à l'extrême-gauche de la social-démocratie puisqu'il collaborait avec "l'Indépendant Labour Party" et le PSOP de Marceau Pivert au sein du "Bureau de Londres".
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Nous publions ici la 3ème partie de la lettre que nous a adressé le "Ferment Ouvrier Révolutionnaire" (cf. RI n° 56 et RI n° 57) et la réponse qu'elle appelle de notre part.
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... À part cela, le paragraphe de votre article sur Trotsky et les "trotskystes" a retenu également notre attention.
Tout d'abord, jamais le "Pour un second manifeste communiste" n'a défini le courant trotskyste comme "réformiste" mais comme "réformiste vis-à-vis du stalinisme" ce qui est quelque peu différent. Cependant, cette rectification étant faite, aujourd'hui, en effet, une très grande partie d'entre nous ne considère plus cette définition comme valable et préfère souligner que le "trotskysme" se rapproche de plus en plus de la contre-révolution.
Pour ce qui est du "préjugé favorable" pour LO que notre groupe a en effet à un moment montré, nous pensons encore maintenant que le F.O.R. n'a pas eu tort d'espérer que LO donnerait quelque chose d'intéressant puisqu’en 1974, Union Ouvrière scissionnait. Bien entendu, nous savons que, pour vous,U.0. n'a jamais été qu'un ramassis d'"avortons du capital", mais nous jugeons ce qu'a été U.O. différemment de la manière si peu indulgente et si rapide dont vous l'aviez jugée du haut de votre promontoire de "futur parti de la révolution".
Enfin, sur le fait que nous faisons une différence entre Trotsky, le "maître" comme vous dites, et les "trotskystes", les "disciples", une question une seule : faites-vous une différence entre Marx et ceux qui se baptisent "marxistes", entre Lénine et ceux qui se baptisent "léninistes", entre Bordiga et ceux qui se baptisent "bordiguistes" ?
En dernier, vous nous demandiez de nous prononcer sur la caractérisation de la période présente. Bien que nous pensions qu’un adjectif n'a pas un intérêt majeur, nous nous prononçons ici à ce sujet clairement : malgré l'agitation qui s'est déclarée depuis plusieurs années, nous pensons que la période est encore contre-révolutionnaire car rien ne nous indique que la période ait changé dans sa nature.
Voilà, nous pensons avoir épuisé les problèmes que soulevait votre SALUT A "ALARME". Nous ne ferons pas paraître cette présente lettre dans notre journal car, pour le moment, nous ne voulons pas y faire entrer de polémiques entre groupes.
Le 27 octobre 1978, Salutations communistes
F. 0. R
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Cette partie de votre lettre traite principalement de Trostky et du trotskysme mais avant d'aborder cette question, nous voudrions dire quelques mots de votre idée que "malgré l'agitation qui s'est déclarée depuis plusieurs années... la période est encore contre-révolutionnaire car rien ne nous indique que la période ait changé dans sa nature".
En premier lieu, il serait nécessaire que vous précisiez ce que vous entendez par "période contre-révolutionnaire". Si vous désignez de cette façon une période qui n'est pas encore révolutionnaire, nous sommes d'accord avec une telle idée. Effectivement, "rien n'indique" encore que la révolution soit à nos portes. De fait, avec une telle définition, c'est pratiquement toute la vie du capitalisme (à l'exception d'une courte période qui va de 1917 à 1923) qu'on peut qualifier de "période contre-révolutionnaire". Cependant, en mettant dans le même sac toutes les périodes autres que celles où le prolétariat s'affronte les armes à la main et de façon généralisée à l' État capitaliste, on s'interdit de comprendre que dans ces autres périodes, il peut exister des moments où la lutte de classe tend à avancer et se généraliser et d'autres où, au contraire, elle tend à reculer au point de laisser la scène politique entièrement occupée par le jeu interne du capitalisme. Il en est ainsi de la période qui va de 1'épuisement et de la défaite de la vague révolutionnaire du premier après-guerre jusqu'au milieu des années 60. Globalement, pendant toute cette période, c'est le capitalisme qui a l'initiative, qui a les mains libres pour imposer à la société ses propres "solutions" aux problèmes qui sont posés à celle-ci. C'est ainsi qu'à la suite de la crise économique mondiale de 1929, le prolétariat est incapable de résister au cours vers la guerre impérialiste qui constitue justement la réponse capitaliste à cette crise. Plus : le mécontentement ouvrier qui ne manque pas de se manifester contre la misère que la crise inflige aux travailleurs, s'il est incapable de se transformer en combativité contre le capitalisme, est par contre récupéré par divers secteurs de celui-ci pour mieux encadrer les prolétaires dans la participation à la deuxième guerre mondiale : c'est à la gauche du capital et à l’"antifascisme" que revient la palme de cette politique dont le prolétariat espagnol a été, comme on l'a vu, une des premières victimes. Voilà ce qu'on peut appeler une "période contre-révolutionnaire" ou, plutôt, de triomphe de la contre- révolution. Or, telle n'est pas, dans notre analyse, la nature de la période présente. Ce que vous qualifiez de simple "agitation" : mai 68, "l'automne chaud" italien et les émeutes d'Argentine en 69, l'insurrection des ouvriers polonais de 1970, l'explosion de grèves "sauvages" et très combatives qui touche même des pays aussi "calmes" que l'Allemagne et la Suède au tournant des années 60 et 70, la reprise actuelle des luttes de classe aux USA, en Allemagne, en Grande-Bretagne ainsi que dans des pays arriérés comme le Pérou et maintenant l'Iran, tous ces mouvements constituent pour nous (et nous l'avons affirmé depuis 1968) des indices indiscutables du fait que "la période a changé dans sa nature", que le capitalisme n'est plus entièrement maître du jeu et que, de plus en plus, il devra compter avec ce protagoniste dont on avait oublié jusqu'à l'existence pendant des décennies : le prolétariat mondial.
Venons-en à la question du trotskysme : vous affirmez qu'il n'y a pas unanimité dans votre organisation sur cette question : nous pensons qu'il serait très important que vous fassiez connaître publiquement le contenu de vos débats comme les révolutionnaires l'ont toujours fait dans le passé et comme, pour sa part, le CCI le fait chaque fois qu'apparaissent en son sein des divergences politiques importantes. Ceci dit, même celle de vos positions qui se considère la plus critique à l'égard du trotskysme est, de notre point de vue, encore trop timorée. Pour vous, "le trotskysme se rapproche de plus en plus de la contre- révolution". Pour nous, il est dans la contre-révolution. Nous considérons en effet que sa participation au second conflit impérialiste au nom de l'anti- fascisme et de la défense de l'URSS marque son passage irrémédiable dans le camp du capitalisme. Dans ce conflit, il a complètement abandonné ce qui constitue une des positions fondamentales de la classe ouvrière, l'internationalisme, pour passer corps et âme aux côtés d'un des camps impérialistes, pour participer partout à la "résistance" ou appeler les ouvriers russes à défendre la "patrie socialiste". Et votre façon de faire une distinction entre Trotsky et les trotskystes nous paraît, sur ce point, assez spécieuse. Nous n'identifions pas, nous non plus, Trotsky et les courants politiques qui se réclament de lui. Cependant, les aberrations politiques (du point de vue prolétarien) contenues dans le "Programme de Transition" de 1938 n'ont pas été écrites par un quelconque Mandel, Lambert ou Bois[1], c'est Trotsky lui-même qui y préconise la "défense de l' État ouvrier" et la priorité de la lutte "anti-fasciste". Et les contorsions qu'il est obligé de faire entre le début de la guerre mondiale et son assassinat pour, à la fois, encourager les ouvriers anglais à saboter l'effort de guerre de leur capitalisme et leur demander -au cas qu'il considère probable d'une entrée de l'URSS dans la guerre- de favoriser les livraisons d'armes à l'"État ouvrier", ces contorsions illustrent de façon claire la contradiction entre son souci internationaliste et la nature bourgeoise de sa position. Cette contradiction, la plupart de ses compagnons la résolvent en l'alignant ouvertement derrière un des camps. Que, par la suite, certains de ses proches, y compris sa compagne Natalia Sedova, aient rompu avec la "IVe Internationale" et ses positions chauvines comme lui-même l'aurait peut-être fait s'il n'était tombé sous les coups des tueurs de l'"État ouvrier", n'enlève rien à l'énorme responsabilité -d'autant plus grande qu'il avait été auparavant un grand révolutionnaire- que Trotsky a porté dans le passage du "trotskysme" à la contre-révolution et qui n'a rien à voir avec les erreurs que Marx et même Lénine ont pu commettre et derrière lesquelles se réfugient les faussaires de tout acabit.
De fait, le FOR n'a jamais été capable de faire une rupture claire avec le trotskysme et de comprendre la nature exacte de ce courant. De la même façon que Trotsky a été incapable de rompre complètement avec la dégénérescence de la révolution en Russie et de la 3e Internationale, dans la mesure où il avait lui-même participé à cette dégénérescence, l'appartenance au trotskysme jusqu'à la seconde guerre mondiale des fondateurs du FOR leur a interdit jusqu'à présent de comprendre la nature aujourd'hui contre-révolutionnaire de ce courant, elle-même résultat des positions confuses ou carrément bourgeoises qu'il a véhiculées depuis ses origines et malgré sa propre résistance contre la dégénérescence. C'est ce qui apparaît clairement dans “Pour un second Manifeste Communiste" (1961) où on se contente de relever le caractère "plus qu'insuffisant", "propre à favoriser les opportunismes face à la contre-révolution stalinienne" et désormais "caduc" du Programme de Transition alors qu'on affirme en même temps que : "En contraste avec la dégénérescence réactionnaire de l'internationale Communiste, l'Opposition de gauche , qui fut à l'origine de la IVe Internationale, exprimait la continuité idéologique et organique de la Révolution de la même manière que les groupes internationalistes de 1914 face à la corrosion patriotique de la social-démocratie ". Malheureusement, la "défense de l'URSS" n'était pas, en 1938, seulement "propre à favoriser les opportunismes" mais bien une position bourgeoise comme l'avait compris la Gauche communiste (italienne, allemande et hollandaise) qui, bien plus que l'Opposition de gauche , "exprimait la continuité idéologique et organique de la Révolution" et dont le "second Manifeste" ne dit pas un mot.
Cette incapacité du FOR à couper le cordon ombilical avec ses origines trotskystes l'a conduit à commettre des erreurs de taille sur les scissions qui ont pu secouer les groupes trotskystes et dont votre lettre, au lieu d'en tirer les enseignements, au contraire se vante. Ainsi, pour vous, "le FOR n'a pas eu tort d'espérer que LO donnerait quelque chose d'intéressant puisqu'en 1974, "Union Ouvrière" scissionnait". Peut-être considérez-vous que le FOR n'a "pas eu tort" d'écrire à cette occasion ('Alarma’ n°28) que : "la présence d'Union Ouvrière au sein du prolétariat promet de révéler le fait organique le plus positif arrivé en France pour le moins depuis la fin de la guerre jusqu'à aujourd'hui... la constitution d'Union Ouvrière marquera une nouvelle époque dans la régénération du mouvement révolutionnaire en France". Rien que cela ! Quand on connaît la pitoyable trajectoire suivie par "Union Ouvrière" depuis cette époque, ballotée entre le "situationnisme" et l'ouvriérisme pour sombrer dans le néant, on devrait pouvoir se rendre compte de l'absurdité (et du ridicule !) des analyses d'alors du FOR. Pas du tout dites-vous ! "Le FOR n'a pas eu tort".
Au risque de nous attirer encore le mécontentement du FOR qui trouvera probablement que nous le "jugeons du haut de notre promontoire", il nous semble nécessaire de mettre en évidence ce qui, de notre point de vue, constitue la base de ses erreurs politiques : l'incapacité de rompre de façon claire et énergique avec la période de contre-révolution que la classe ouvrière a supportée jusqu'au milieu des années 60 et dont elle a commencé depuis à sortir. Cette incapacité se manifeste sur plusieurs plans :
La dernière manifestation du poids des années de contre-révolution sur le FOR, qui n'apparaît pas dans cette lettre mais n'en est pas moins réelle est son sectarisme, sectarisme qui s'est exprimé notamment par son départ spectaculaire de la conférence internationale de novembre 78 et par le refus de ce groupe de poursuivre la discussion et la confrontation politiques avec les autres courants communistes.
Nous pensons que le FOR est incontestablement un groupe communiste animé d'une sincère volonté révolutionnaire. Mais ces qualités ne suffisent pas aux courants révolutionnaires pour être à la hauteur des tâches pour lesquelles ils ont surgi dans la classe. Pour que le FOR puisse contribuer efficacement au processus déjà engagé de prise de conscience de celle-ci vers de nouveaux affrontements révolutionnaires, il faut qu'il soit capable de tirer à fond les enseignements de plus d'un demi-siècle d'expérience prolétarienne, qu'il se dégage de la "tradition de toutes les générations mortes (qui) pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants" (Marx "Le 18 Brumaire...") et en particulier, qu'il comprenne l'impérieuse nécessité de rompre avec l'esprit de secte et d'engager le débat entre révolutionnaires en vue de préparer leur regroupement futur. Sinon, il est condamné à devenir une entrave à ce processus et finalement à disparaître après avoir stérilisé les énergies révolutionnaires de ses militants et de ceux qu’il influence.
Salutations Communistes
[1] Leaders respectifs de la IVème "Internationale", de l'OCI et de "Lutte Ouvrière".
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_57.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/debat
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/4/459/democratie
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/revolution-proletarienne
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/polemique
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/dehors-gauche-communiste
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/alarma-for
[8] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_58.pdf
[9] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_59.pdf
[10] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_60_0.pdf
[11] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_61.pdf
[12] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_62.pdf