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Internationalisme - 2014

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Internationalisme n° 360 - 1er trimestre 2014

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Nelson Mandela: l’image trompeuse d’un capitalisme à visage humain

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Le 5 décembre dernier, le président de l’Afrique du sud Jacob Zuma annonçait la mort de Nelson Mandela (1918-2013). L'information était aussitôt relayée en boucle dans les médias du monde entier, suivie quelques jours après de funérailles grandioses. Une première cérémonie, au grand stade Soccer City de Soweto (lieu symbolique des émeutes contre l'apartheid en 1976) accueillait mardi 10 décembre tout le gratin international, les chefs d'Etats et de gouvernements venus du monde entier. Cela, avant un hommage et une inhumation prévus le 15 décembre dans son village de Qunu au Sud. La plupart des grands dignitaires (officiellement 53) étaient donc présents dans ce grand stade: les Obama, Hollande, Joakim Gauk (Allemagne), Dilma Roussef (Brésil), de même que de nombreuses personnalités, comme le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki moon. Cette grande union sacrée constitue ainsi la meilleure preuve que Mandela, encensé auparavant plutôt par tous les gauchistes et les staliniens, est bien reconnu aujourd'hui comme un des dignes représentants historiques de sa classe: la bourgeoisie! Cette reconnaissance unanime de toute la classe dominante, sincèrement endeuillée, tranche nettement avec la conduite qu'elle pouvait tenir lors de la disparition des authentiques révolutionnaires. Non seulement les mêmes dignitaires ont fait assassiner bien souvent les grandes figures du mouvement ouvrier, comme ce fut le cas pour Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht et Trotski, mais loin de venir se recueillir ensuite, ils ont toujours déversé des tombereaux de calomnies à leur encontre. Ce fut notamment le cas lors de la mort de Lénine, où la haine accumulée redoublait dans tous les journaux de l'époque. Et que dire de Marx qui, aux yeux de tous les bourgeois, incarnait le " diable " en personne?

Aujourd'hui, la reconnaissance des valeurs nationalistes et d'agent du capital vaut à Mandela tous les honneurs posthumes. Une véritable aubaine pour le business qui a transformé momentanément les abords du stade de Soweto à Johannesburg en un véritable supermarché à ciel ouvert: tee-shirts à l’effigie du grand leader et autres produits dérivés à l'image du monde capitaliste que Mandela défendait avec zèle. Le prolétariat ne perd rien. Il ne pleurera pas cette figure qui, comme le montre l'article ci-dessous, incarnait bel et bien l'exploitation capitaliste.

Dans la dernière partie de sa vie, Nelson Mandela était considéré comme une sorte de "Saint" moderne, un apôtre de la réconciliation nationale et internationale sous l'égide bienveillante de la démocratie et de la non-violence. Les intellectuels bourgeois de tous bords, la presse, les politiciens et toute la clique des "faiseurs d'opinion" brossaient du "Père de la nation sud-africaine", un portrait d'homme illustre, le faisant apparaître tantôt sous les traits d'un modèle d’humilité, d’intégrité et d’honnêteté, tantôt sous ceux d'un "héros" doté d'une remarquable propension au pardon.

Mais ce portrait élogieux dissimule en fait la vie bien réelle d'un politicien bourgeois qui n'a jamais hésité à porter les coups les plus rudes et à user des pires manœuvres contre les classes exploitées.

Le "bilan" de Mandela à la tête du gouvernement est à ce titre éloquent: selon un récent rapport d’Oxfam, l’Afrique du Sud est "le pays le plus inégalitaire du monde et significativement plus inégalitaire qu’à la fin de l’Apartheid." L’ANC (1) a en effet gouverné pendant presque vingt ans une société où les classes exploitées, et spécialement la population noire de celles-ci, sont plongées dans la pire des misères. Pourtant, bien que Mandela ait été le représentant incontournable de l’ANC depuis les années 1940, les "faiseurs d'opinion" le présentent encore comme un politicien sensiblement différent des autres dirigeants africains et du reste du monde.

L'homme du pardon?

Après le décès de Mandela, les bulletins spéciaux de la presse bourgeoise l'ont radoté de toutes les manières possibles: Mandela a pardonné ses geôliers! Quelle générosité! Quel désintéressement pour le bonheur de tous!

Le mythe de "l'homme du pardon," qui n'existe que pour magnifier les illusions démocratiques véhiculées par la figure de Mandela, est d'ailleurs confirmé par l'intéressé lui-même dans son autobiographie, rédigée en 1994, La longue route vers la liberté, (LWF): "En prison, ma colère contre les blancs faiblit, mais ma haine du système grandit. Je voulais que l’Afrique du Sud voit que j’aimais même mes ennemis alors que je haïssais le système qui nous montait les uns contre les autres." (LWF, p. 680)

En dépit des reconstructions historiques complètement irrationnelles qui circulent depuis son décès, Mandela n'est pas sorti de prison grâce à la tempérance de son caractère, pas plus qu'à la "force de ses convictions" ou par la bonté d'âme de son co-prix Nobel de la Paix, F.W. de Klerk, alors chef du gouvernement sud-africain. Comme toujours avec la bourgeoise, la réalité est beaucoup plus sordide. Si Mandela a pu quitter sa geôle, c'est sous la pression d'une partie de l'appareil politique sud-africain et de plusieurs grandes puissances, notamment les États-Unis, qui ont su déceler dans ce vieil allié de l'URSS, tout juste démantelée, l'occasion d’assurer la pérennité de l'approvisionnement minier malgré les nuisances d'une société d’Apartheid à bout de souffle et menacée à chaque instant de déflagration sociale. Ainsi, quand Mandela eut quitté la prison, l’ANC s'employa aussitôt à rassurer les investisseurs sur l'aptitude du futur gouvernement à assurer la protection des intérêts économiques. Dans le Message de Mandela à USA Big Business (19/06/1990), on peut lire ce qu’il a d'ailleurs répété à maintes occasions: "Le secteur privé, à la fois intérieur et international, recevra une contribution vitale afin de réaliser la reconstruction économique et sociale après l’Apartheid (…) Nous sommes sensibles au fait qu’en tant qu’investisseurs dans une Afrique post-Apartheid, vous aurez besoin d’avoir confiance dans la sécurité de vos investissements, un retour suffisant et équitable de votre capital et un bon climat général de paix et de stabilité." (3). Assurer au Capital la paix sociale au moyen de la mystification démocratique: voilà le sens véritable de la libération "miraculeuse" de Mandela et de la soudaine conversion de ce fomentateur d'attentats meurtriers à la non-violence et au pardon!

Un défenseur convaincu des intérêts du Capital national!

D'abord allié du régime stalinien, qui a longuement assuré la formation militaire de ses partisans, Mandela, vers la fin des années 1980, c'est-à-dire au moment-même où il négociait sa libération, s'est employé à démolir son image de "socialiste" au profit d'une stature de défenseur sérieux des intérêts nationaux sud-africains.

Mandela a souvent fait référence à la Charte de la Liberté de l’ANC, adoptée en 1955: "En juin 1956, dans le mensuel Libération, j’ai noté que la Charte visait l’entreprise privée et permettait au capitalisme de se développer pour la première fois chez les africains." (LWF, p. 205. En 1988, quand il négociait en secret avec le gouvernement, il fit référence au même article "dans lequel je disais que la Charte pour la Liberté n’était pas une recette pour le socialisme, mais pour le capitalisme appliqué en Afrique. Je leur ai dit que je n’avais pas changé d’avis depuis." (LWF, p. 642). De même, lorsque Mandela reçut la visite, en 1986, d’une délégation d’importantes personnalités, "je leur ai dit que j’étais un nationaliste sud-africain, pas un communiste, que les nationalistes deviennent de plus en plus en vue." (LWF, p. 629).

Ce nationalisme immuable et son rôle dans la "pacification" de la société au profit de la bourgeoisie, Mandela en était parfaitement conscient, lui qui écrivait à propos du massacre de Sharpeville, en 1960: "la bourse de Johannesburg s’effondra et les capitaux commencèrent à fuir le pays." (LWF, p. 281). De fait, la fin de l’Apartheid ouvrit une période d’accroissement des investissements étrangers en Afrique du Sud.

Mais "l'émergence" économique du pays se fit bien entendu par la sueur de la classe ouvrière, largement composée de travailleurs noirs, sans que celle-ci ne puisse au moins s'extraire de la grande misère dans laquelle elle est plongée depuis de nombreuses décennies. Pourtant, pendant les années 1950, Mandela disait que "l’objectif caché du gouvernement était de créer une classe moyenne africaine afin d’étouffer l’appel de l’ANC et la lutte pour la libération." (LWF, p. 223). En pratique, la "libération" politique des travailleurs noirs et près de trois décennies de gouvernement ANC n’ont pas significativement grossi les rangs de cette "classe moyenne" africaine.

L'accroissement de l'exploitation a également signifié la répression, la remilitarisation de la police, l’interdiction de manifester et les attaques physiques contre les ouvriers, comme on l’a vu, par exemple, avec la grève des mineurs de Marikana, au cours de laquelle quarante-quatre ouvriers furent tués et des dizaines gravement blessés.(4)

Dans son autobiographie, Mandela a hypocritement écrit que "tous les hommes, même ceux qui ont le sang le plus froid, ont un souci de décence et si leur cœur est touché, ils sont capables de changer" (LWF, p. 549). Ce qui peut être vrai pour les individus ne l’est aucunement pour le capitalisme: il n’a aucun souci de décence et ne peut être changé. Les apparences du gouvernement noir de l’ANC sont différentes de celles de leurs prédécesseurs blancs mais l’exploitation et la répression demeurent.

La fable de la non-violence

La classe dominante utilise l'idéologie de la non-violence afin de pousser le prolétariat à renoncer à sa violence de classe, massive et organisée, pour la remplacer par celle de l'impuissance politique. Et pour ce faire, il lui faut construire de toute pièce des modèles et des histoires attestant l'efficacité de la lutte non-violente.

Le mythe d'un Mandela "non-violent" est à ce titre un grossier et ridicule mensonge. L’ANC, dans sa lutte de "libération", utilisa sans vergogne une forme particulièrement crapuleuse de violence, typique des classes sans avenir: le terrorisme. Quand la tactique non-violente eut démontré son inefficacité, l’ANC créa une branche militaire, dans laquelle Mandela joua un rôle central. "Nous considérions qu’il existait quatre types d’activités violentes: le sabotage, la guérilla, le terrorisme et la révolution ouverte." Il espérait, écrivait-il, que le sabotage "amènerait le gouvernement à la table des négociations". Bien que des instructions strictes furent données "pour que nous ne supportions aucune perte en vies humaines (…), si le sabotage ne produisait pas les résultats escomptés, nous étions préparés à passer à l’étape suivante: la guérilla et le terrorisme." (LWF, p. 336).

Ainsi, le 16 décembre 1961, "des engins explosifs artisanaux explosèrent dans les centrales électriques et les bureaux du gouvernement à Johannesburg, Port-Elizabeth et Durban." (LWF, p. 338). En 1983, lorsque l’ANC organisa la première attaque à la bombe, dans laquelle dix-neuf personnes furent tuées et plus de deux cents blessées, Mandela écrivit: "La mort violente de civils était un tragique accident et j’ai ressenti une profonde horreur à l’annonce du nombre de victimes. Mais, autant j’ai été perturbé par ces victimes, autant je savais que de tels accidents sont l’inévitable conséquence de la décision de s’embarquer dans un conflit militaire" (LWF, p. 618). Aujourd’hui, on fait allusion à de tels "accidents" en utilisant le doux euphémisme de: "dommages collatéraux."

Dans sa déposition au tribunal, en 1964, Mandela se définissait lui-même comme un "admirateur" de la démocratie: "J’ai un grand respect pour les institutions politiques britanniques et pour le système judiciaire de ce pays. Je considère le parlement anglais comme l’institution la plus démocratique du monde et l’indépendance et l’impartialité de sa magistrature ont toujours suscité mon admiration. Le Congrès américain, la doctrine de ce pays garantissant la séparation des pouvoirs, ainsi que l’indépendance de sa magistrature, éveillent en moi de semblables sentiments" (LWF, p. 436). En champion de la démocratie, Mandela sert encore aujourd'hui les sordides intérêts de sa classe en étant clairement destiné à incarner, vivant comme mort, la figure de proue de l’idéologie démocratique moderne et d'un capitalisme prétendu à visage humain.

KS et El Genericor /10.12.2013

 

(1) African National Congress, parti de Nelson Mandela au pouvoir depuis la fin de l'Apartheid en 1994.

(2) La pagination est celle de l'ouvrage en langue anglaise.

(3)Souligné par nous.

(4) Vous pouvez lire, à ce sujet nos articles sur le mouvement social de 2012 en Afrique du Sud: En Afrique du Sud, la bourgeoisie lance ses chiens de garde policiers et syndicaux sur la classe ouvrière, et : Après le massacre de Marikana, l’Afrique du Sud est frappée par des grèves massives.

 

Personnages: 

  • Nelson Mandela [2]

Où en est la lutte de classe ? (extrait de la résolution sur la situation internationale du XXe congrès du CCI)

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Nous publions ci-dessous la partie consacrée à la lutte de classe de la résolution sur la situation internationale adoptée lors du dernier congrès international du CCI. La première partie de cette résolution (Internationalisme n°359), montre comment l’impérialisme menace l’humanité de la plus effroyable des barbaries. Viennent ensuite le danger de destruction de l’environnement et les ravages de la crise économique. C’est dans ce contexte de faillite historique du capitalisme qu’est ensuite abordée la question de la lutte actuelle et à venir. En particulier, cette résolution souligne le lien entre le niveau des attaques de la bourgeoisie et les capacités de résistances du prolétariat: “Pour le mode de production capitaliste, la situation est sans issue. Ce sont ses propres lois qui l’ont conduit dans l’impasse où il se trouve et il ne pourrait sortir de cette impasse qu’en abolissant ces lois, c’est-à-dire en s’abolissant lui-même. […] La crise des “subprimes” de 2007, la grande panique financière de 2008 et la récession de 2009 ont marqué le franchissement d’une nouvelle étape très importante et significative de l’enfoncement du capitalisme dans sa crise irréversible. […] Cela ne veut pas dire cependant que nous allons revenir à une situation similaire à celle de 1929 et des années 1930. Il y a 70 ans, la bourgeoisie mondiale avait été prise complètement au dépourvu face à l’effondrement de son économie et les politiques qu’elle avait mises en œuvre, notamment le repliement sur soi de chaque pays, n’avaient réussi qu’à exacerber les conséquences de la crise. L’évolution de la situation économique depuis les quatre dernières décennies a fait la preuve que, même si elle était évidemment incapable d’empêcher le capitalisme de s’enfoncer toujours plus dans la crise, la classe dominante avait la capacité de ralentir le rythme de cet enfoncement […]. Il existe une autre raison pour laquelle nous n’allons pas revivre une situation similaire à celle des années 1930. A cette époque, l’onde de choc de la crise, partie de la première puissance économique du monde, les États-Unis, s’était propagée principalement vers la seconde puissance mondiale, l’Allemagne. C’est dans ces deux pays qu’on avait vu les conséquences les plus dramatiques de la crise, comme ce chômage de masse touchant plus de 30% de la population active, ces queues interminables devant les bureaux d’embauche ou les soupes populaires […]. A l’heure actuelle, […] les pays les plus développés de l’Europe du Nord, les États-Unis ou le Japon sont encore très loin d’une telle situation et il est plus qu’improbable qu’ils y parviennent un jour, d’une part, du fait de la plus grande résistance de leur économie nationale face à la crise, d’autre part, et surtout, du fait qu’aujourd’hui le prolétariat de ces pays, et particulièrement ceux d’Europe, n’est pas prêt à accepter un tel niveau d’attaques contre ses conditions d’existence. Ainsi, une des composantes majeures de l’évolution de la crise échappe au strict déterminisme économique et débouche sur le plan social, sur le rapport de forces entre les deux principales classes de la société, bourgeoisie et prolétariat.”

Où en est la lutte de classe? 
(Points 15 à 19 de la résolution)

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. Alors que la classe dominante voudrait nous faire passer ses abcès purulents pour des grains de beauté, l’humanité commence à se réveiller d’un rêve devenu cauchemar et qui montre la faillite historique totale de sa société. Mais alors que l’intuition de la nécessité d’un ordre de choses différent gagne du terrain face à la brutale réalité d’un monde en décomposition, cette conscience vague ne signifie pas que le prolétariat est convaincu de la nécessité d’abolir ce monde, encore moins de celle de développer la perspective d’en construire un nouveau. Ainsi, l’aggravation inédite de la crise capitaliste dans le contexte de la décomposition est le cadre dans lequel s’exprime la lutte de classes actuellement, bien que d’une manière encore incertaine dans la mesure où cette lutte ne se développe pas sous la forme de confrontations ouvertes entre les deux classes. A ce sujet, nous devons souligner le cadre inédit des luttes actuelles puisqu’elles ont lieu dans le contexte d’une crise qui dure depuis presque 40 ans et dont les effets graduels dans le temps – en dehors des moments de convulsion – ont “habitué” le prolétariat à voir ses conditions de vie se dégrader lentement, pernicieusement, ce qui rend plus difficile de percevoir la gravité des attaques et de répondre en conséquence. Plus encore, c’est une crise dont le rythme rend difficile la compréhension de ce qui se trouve derrière de telles attaques rendues “naturelles” de par leur lenteur et leur échelonnement. C’est là un cadre très différent de celui de convulsions et de bouleversements évidents, immédiats, de l’ensemble de la vie sociale que l’on connaît dans une situation de guerre. Ainsi, il y a des différences entre le développement de la lutte de classe – au niveau des ripostes possibles, de leur ampleur, de leur profondeur, de leur extension et de leur contenu – dans un contexte de guerre qui rend le besoin de lutter dramatiquement urgent et vital (comme ce fut le cas lors de la Première Guerre mondiale au début du XXème siècle même s’il n’y eut pas immédiatement de réponse à la guerre) et dans un contexte de crise ayant un rythme lent.

Ainsi, le point de départ des luttes d’aujourd’hui est précisément l’absence d’identité de classe d’un prolétariat qui, depuis l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition, a connu de grandes difficultés non seulement pour développer sa perspective historique mais même pour se reconnaître comme une classe sociale. La prétendue “mort du communisme” qu’aurait sonné la chute du bloc de l’Est en 1989, déchaînant une campagne idéologique qui avait pour but de nier l’existence même du prolétariat, a porté un coup très dur à la conscience et à la combativité de la classe ouvrière. La violence de l’attaque de cette campagne a pesé sur le cours de ses luttes depuis lors. Mais malgré cela, comme nous le constations dès 2003, la tendance vers des affrontements de classe a été confirmée par le développement de divers mouvements dans lesquels la classe ouvrière a “démontré son existence” à une bourgeoisie qui avait voulu “l’enterrer vivante”. Ainsi, la classe ouvrière dans le monde entier n’a pas cessé de se battre, même si ses luttes n’ont pas atteint l’ampleur ni la profondeur espérées dans la situation critique où elle se trouve. Toutefois, penser la lutte de classes en partant de “ce qui devrait être”, comme si la situation actuelle “était tombée du ciel”, n’est pas permis aux révolutionnaires. Comprendre les difficultés et les potentialités de la lutte de classes a toujours été une tâche exigeant une démarche matérialiste et historique patiente afin de trouver un “sens” au chaos apparent, de comprendre ce qui est nouveau et difficile, ce qui est prometteur.

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. C’est dans ce contexte de crise, de décomposition et de fragilisation de l’état du prolétariat sur le plan subjectif que prennent leur sens les faiblesses, les insuffisances et les erreurs, tout comme les potentialités et les forces de sa lutte, en nous confirmant dans la conviction que la perspective communiste ne dérive pas de façon automatique ni mécanique de circonstances déterminées. Ainsi, pendant les deux années passées, nous avons assisté au développement de mouvements que nous avons caractérisés par la métaphore des 5 cours:

1. des mouvements sociaux de la jeunesse précaire, au chômage ou encore étudiante, qui commencent avec la lutte contre le CPE en France en 2006, se poursuivent par les révoltes de la jeunesse en Grèce en 2008 et qui culminent dans les mouvements des Indignés et d’Occupy en 2011;

2. des mouvements massifs mais très bien encadrés par la bourgeoisie qui avait préparé le terrain à l’avance, comme en France en 2007, en France et en Grande-Bretagne en 2010, en Grèce en 2010-2012, etc.;

3. des mouvements subissant le poids de l’interclassisme comme en Tunisie et en Égypte en 2011 ;

4. des germes de grèves massives en Égypte en 2007, Vigo (Espagne) en 2006, Chine en 2009;

5. la poursuite de mouvements dans des usines ou des secteurs industriels localisés mais contenant des germes prometteurs comme Lindsay en 2009, Tekel en 2010, les électriciens en Grande-Bretagne en 2011.

Ces 5 cours appartiennent à la classe ouvrière parce que malgré leurs différences, ils expriment chacun à son niveau l’effort du prolétariat pour se retrouver lui-même malgré les difficultés et les obstacles que sème la bourgeoisie; chacun à son niveau a porté une dynamique de recherche, de clarification, de préparation du terrain social. A différents niveaux, ils s’inscrivent dans la recherche “du mot qui nous emmènera jusqu’au socialisme” (comme l’écrit Rosa Luxemburg en parlant des conseils ouvriers) au moyen des assemblées générales. Les expressions les plus avancées de cette tendance ont été les mouvements des Indignés et d’Occupy – principalement en Espagne – parce que ce sont ceux qui ont le plus clairement posé les tensions, les contradictions et les potentialités de la lutte de classes aujourd’hui. Malgré la présence de couches en provenance de la petite bourgeoisie appauvrie, l’empreinte prolétarienne de ces mouvements s’est manifestée par la recherche de la solidarité, les assemblées, l’ébauche d’une culture du débat, la capacité d’éviter les pièges de la répression, les germes d’internationalisme, une sensibilité aiguë à l’égard des éléments subjectifs et culturels. Et c’est à travers cette dimension, celle de la préparation du terrain subjectif, que ces mouvements montrent toute leur importance pour le futur.

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. La bourgeoisie, pour sa part, a montré des signes d’inquiétude face à cette “résurrection” de son fossoyeur mondial réagissant aux horreurs qui lui sont imposées au quotidien pour maintenir en vie le système. Le capitalisme a donc amplifié son offensive en renforçant son encadrement syndical, en semant des illusions démocratiques et en allumant les feux d’artifice du nationalisme. Ce n’est pas un hasard si sa contre-offensive s’est centrée sur ces questions: l’aggravation de la crise et ses effets sur les conditions de vie du prolétariat provoquent une résistance que les syndicats tentent d’encadrer par des actions qui fragmentent l’unité des luttes et prolongent la perte de confiance du prolétariat en ses propres forces.

Comme le développement de la lutte de classe auquel nous assistons aujourd’hui se réalise dans un cadre de crise ouverte du capitalisme depuis près de 40 ans – ce qui est dans une certaine mesure une situation sans précédent par rapport aux expériences passées du mouvement ouvrier, la bourgeoisie tente d’empêcher le prolétariat de prendre conscience du caractère mondial et historique de la crise en en cachant la nature. Ainsi, l’idée de solutions “nationales” et la montée des discours nationalistes empêchent la compréhension du véritable caractère de la crise, indispensable pour que la lutte du prolétariat prenne une direction radicale. Puisque le prolétariat ne se reconnaît pas lui-même comme classe, sa résistance tend à démarrer comme une expression générale d’indignation contre ce qui a lieu dans l’ensemble de la société. Cette absence d’identité de classe et donc de perspective de classe permet à la bourgeoisie de développer des mystifications sur la “citoyenneté” et les luttes pour une “vraie démocratie”. Et il y a d’autres sources à cette perte d’identité de classe qui prennent racine dans la structure même de la société capitaliste et dans la forme que prend actuellement l’aggravation de la crise. La décomposition, qui entraîne une aggravation brutale des conditions minimales de survie humaine, s’accompagne d’une insidieuse dévastation du terrain personnel, mental et social. Cela se traduit par une “crise de confiance” de l’humanité. De plus, l’aggravation de la crise, à travers l’extension du chômage et de la précarité, vient affaiblir la socialisation de la jeunesse et faciliter la fuite vers un monde d’abstraction et d’atomisation.

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. Ainsi, les mouvements de ces deux dernières années, et en particulier les “mouvements sociaux”, sont marqués par de multiples contradictions. En particulier, la rareté des revendications spécifiques ne correspond apparemment pas à la trajectoire “classique” qui va du particulier au général que nous attendions de la lutte de classe. Mais nous devons aussi prendre en compte les aspects positifs de cette démarche générale qui dérive du fait que les effets de la décomposition se ressentent sur un plan général et à partir de la nature universelle des attaques économiques menées par la classe dirigeante. Aujourd’hui, le chemin qu’a pris le prolétariat a son point de départ dans “le général”, ce qui tend à poser la question de la politisation d’une façon bien plus directe. Confrontée à l’évidente faillite du système et aux effets délétères de sa décomposition, la masse exploitée se révolte et ne pourra aller de l’avant que quand elle comprendra ces problèmes comme des produits de la décadence du système et de la nécessité de le dépasser. C’est à ce niveau que prennent toute leur importance les méthodes de lutte proprement prolétariennes que nous voyons (assemblées générales, débats fraternels et ouverts, solidarité, développement d’une perspective de plus en plus politique) car ce sont ces méthodes qui permettent de mener une réflexion critique et d’arriver à la conclusion que le prolétariat peut non seulement détruire le capitalisme mais construire un monde nouveau. Un moment déterminant de ce processus sera l’entrée en lutte des lieux de travail et leur conjonction avec les mobilisations plus générales, une perspective qui commence à se développer malgré les difficultés que nous devrons affronter dans les années qui viennent. C’est là le contenu de la perspective de la convergence des “cinq cours” dont nous parlions plus haut en cet “océan de phénomènes”, comme Rosa Luxemburg décrit la grève de masse.

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. Pour comprendre cette perspective de convergence, le rapport entre l’identité de classe et la conscience de classe est d’une importance capitale et une question se pose: la conscience peut-elle se développer sans identité de classe ou cette dernière surgira-t-elle du développement de la conscience? Le développement de la conscience et d’une perspective historique est à juste raison associé à la récupération de l’identité de classe mais nous ne pouvons pas envisager ce processus se développant petit à petit selon une séquence rigide: d’abord forger son identité, ensuite lutter, ensuite développer sa conscience et développer une perspective, ou n’importe quel autre ordonnancement de ces éléments. La classe ouvrière n’apparaît pas aujourd’hui comme un pôle d’opposition de plus en plus massif; aussi le développement d’une posture critique par un prolétariat qui ne se reconnaît pas encore lui-même est le plus probable. La situation est complexe, mais il y a plus de chances que nous voyions une réponse en forme de questionnement général, potentiellement positif en termes politiques, partant non d’une identité de classe distincte et tranchante mais à partir de mouvements tendant à trouver leur perspective propre au travers de leur propre lutte. Comme nous le disions en 2009, “Pour que la conscience de la possibilité de la révolution communiste puisse gagner un terrain significatif au sein de la classe ouvrière, il est nécessaire que celle-ci puisse prendre confiance en ses propres forces et cela passe par le développement de ses luttes massives” (Résolution sur la situation internationale, point 11, 18e Congrès du CCI). La formulation “développer ses luttes pour retrouver confiance en soi et en sa perspective” est tout à fait adéquate car elle veut dire reconnaître un “soi” et une perspective, mais le développement de ces éléments ne peut dériver que des luttes elles-mêmes. Le prolétariat ne “crée” pas sa conscience, mais “prend” conscience de ce qu’il est réellement.

Dans ce processus, le débat est la clef pour critiquer les insuffisances des points de vue partiels, pour démonter les pièges, rejeter la chasse à des boucs-émissaires, comprendre la nature de la crise, etc. A ce niveau, les tendances au débat ouvert et fraternel de ces dernières années sont très prometteuses pour ce processus de politisation que la classe devra faire avancer. Transformer le monde en nous transformant nous-mêmes commence à prendre corps dans l’évolution des initiatives de débats et dans le développement de préoccupations qui se basent sur la critique des puissantes chaînes qui paralysent le prolétariat. Le processus de politisation et de radicalisation a besoin du débat pour critiquer l’ordre actuel et apporter une explication historique aux problèmes. A ce niveau reste valable que “La responsabilité des organisations révolutionnaires, et du CCI en particulier, est d’être partie prenante de la réflexion qui se mène d’ores et déjà au sein de la classe, non seulement en intervenant activement dans les luttes qu’elle commence à développer mais également en stimulant la démarche des groupes et éléments qui se proposent de rejoindre son combat” (Résolution sur la situation internationale du 17e Congrès du CCI, 2007). Nous devons être fermement convaincus que la responsabilité des révolutionnaires dans la phase qui s’ouvre est de contribuer, catalyser le développement naissant de la conscience qui s’exprime dans les doutes et les critiques qui commencent déjà à se poser dans le prolétariat. Poursuivre et approfondir l’effort théorique doit être le centre de notre contribution, non seulement contre les effets de la décomposition mais aussi comme moyen de fertiliser patiemment le champ social, comme antidote à l’immédiatisme dans nos activités, car sans la radicalité et l’approfondissement de la théorie par les minorités, la théorie ne pourra jamais s’emparer des masses.

CCI

 

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [3]

De la "malbouffe" aux famines:le capitalisme empoisonne et affame (I)

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Notre quotidien est imprégné par ces images insupportables d’enfants et de familles entières qui crèvent de faim au milieu de détritus. La violence de cette misère absurde ne semble pas avoir de limite. En a-t-elle seulement? A regarder la situation à travers le monde, on pourrait se le demander! La manière dont la situation évolue montre bien la tendance dans laquelle s’engouffre la société actuelle toute entière (1). A des degrés divers, la misère ne cesse de progresser à travers le monde et amène même une part de la population des pays "riches", quand elle n’est jetée elle-même dans la misère, à se sentir coupable des maux des pays du "tiers-monde".

Les fausses explications bourgeoises

De la bouche de prétendus "spécialistes" on entend invoquer les raisons les plus invraisemblables: nous serions "trop d’êtres humains", notre régime alimentaire ne serait "pas adapté aux ressources" de notre planète, notre attitude même à l’égard de ces ressources ne serait "pas respectueuse"… En bref, tous les motifs les plus culpabilisants sont évoqués, sans que jamais les véritables responsables ne soient dénoncés. Est-ce de leur faute si des familles "modestes" des "pays du Nord", ne trouvent rien d’autre pour se nourrir que les "modestes" produits que l’on trouve dans les grandes surfaces et des marques à bas prix? Faut-il effectivement rejeter la faute sur les "consommateurs" qui achètent des produits fabriqués dans des conditions plus que douteuses? Certains se plaisent à le répéter. Ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à dire que l’on peut "consommer autrement", que si l’on s’en donnait les moyens, on pourrait tous vivre mieux, y compris dans les pays pauvres. En gros, nous n’aurions pas une attitude responsable! Nous mangerions trop, trop mal! Pour ce qui est de mal manger, cela ne fait pas de doute avec tous ces produits bourrés de conservateurs, de colorants, de sucres, de pesticides… Nous y reviendrons plus tard. Nous mangerions trop de viande, trop de ceci ou de cela. Dans certains pays on meurt de faim pendant que dans d’autres, on mange des produits de mauvaise qualité mais finalement, tout cela serait un peu de notre faute. Comment comprendre cette situation? Notre terre est une planète très fertile, dotée d’un écosystème extrêmement riche et diversifié qui offre un immense potentiel. Avec près de 10 GHa (10. 000. 000 000 Ha) de terres potentiellement cultivables, ce sont des terrains fertiles à perte de vue qui se présentent. A tel point, qu’il devrait apparaître comme inconcevable que des individus qui possèdent le niveau de développement technologique actuel puissent connaitre la faim sur une planète aussi riche. Et pourtant! Que voyons-nous aujourd’hui? Si l’on fait le bilan des ressources disponibles sur la planète et que l’on met ce dernier en rapport avec la manière effective dont nous les exploitons aujourd’hui, d’un point de vue purement scientifique, il y a là des contradictions immenses. Aujourd’hui, ces contradictions menacent même l’existence de notre espèce!

Regardons un peu plus en détails quelles sont ces contradictions. Comme nous l'évoquions plus haut, notre planète dispose de près de 10 GHa de terres cultivables. D’après un rapport publié par l’Institution of Mechanical Ingeneers (2) en Angleterre, l’ensemble des terres actuellement exploitées représente une surface de 4,9 GHa, soit environ la moitié des ressources totales exploitables pour la production de denrées alimentaires. Ce même rapport indique que la capacité moyenne de production d’un champ d’un hectare de blé ou de maïs, permet de nourrir, avec les moyens actuels, entre 19 et 22 personnes pendant toute une année quand l’exploitation d’un hectare destiné à l’élevage de bœuf ou de mouton pour la consommation humaine, permet de nourrir environ 1,5 personnes par an.

La productivité actuelle dans le domaine agro-alimentaire permet donc de nourrir très largement toute la population mondiale. Si des millions d’êtres humains meurent chaque jour de faim, la cause est ce système immonde qui ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour vendre et faire du profit. Voici une grande différence avec les famines du Moyen-âge: celles-ci étaient le résultat du faible développement des outils, des techniques, de l’organisation du travail et des terres qui créait des manques réels. Les hommes ne cessaient jamais de défricher, d’exploiter chaque parcelle de terre afin de combler ce manque de productivité. Aujourd’hui, sous le capitalisme, l’humanité possède d’incroyables capacités dont elle ne bénéficie pas. Pire! La course au profit induit un immense gâchis permanent: "Dans les pays d’Asie du Sud-est par exemple, les pertes en riz s’étendent de 37% à 80% de la production totale, en fonction du niveau de développement, et représentent annuellement 180 millions de tonnes (...)[Au niveau mondial] la possibilité de fournir 60 à 100% de nourriture en plus, simplement en éliminant les pertes et simultanément en libérant des ressources en terres, en énergie et en eau pour d’autres utilisations est une opportunité qui ne devraient pas être ignorée." (3)! En Europe, 50% des aliments produits finissent à la poubelle, soit 240.000 tonnes chaque jour.

Face aux famines, l'exploitation des terres arables laissées en friche, la lutte contre le gaspillage, contre la destruction des invendus… apparaissent comme des mesures immédiates à prendre mais largement insuffisantes. D'ailleurs, même ces mesures de première urgence, jamais le capitalisme ne pourra les mettre en place car le bien-être et la satisfaction des besoins humains, même les plus élémentaires, ne sont absolument pas le but de la production (4). Ses usines, ses machines, ses capitaux n'existent que pour accumuler plus de capital et faire des profits. Ces mesures qui paraissent simples et immédiates ne pourront être adoptées que par le prolétariat dans une situation révolutionnaire et politique très avancée.

Cela dit, sur le long terme, un changement bien plus radical devra s’imposer pour une société future libérée des classes sociales et du capital. Le mode de production capitaliste ravage la nature, appauvrit les sols, empoisonne la vie. D’ailleurs, la plupart des espèces animales est en danger et menacée de disparition si un terme n’est pas mis à la folie destructrice de ce système.

Le réflexe de nombres de ceux qui ont conscience de cette situation et s’en indignent, est de prôner une réduction de la consommation, une "décroissance". En réalité, la solution n’est ni "productiviste" (produire toujours plus sans se soucier de la finalité de la production), ni "décroissante" (produire moins pour que chaque être humain vive à peine au-dessus du seuil de la pénurie, ce qui dans le capitalisme est impossible); elle doit être bien plus radicale et profonde que cela. Si la production n’est plus aiguillonnée par la recherche du profit mais par la satisfaction des besoins humains, alors les conditions de la production changeront intégralement. En l’occurrence, dans le domaine agro-alimentaire, toute la recherche, l’organisation du travail et des sols, la répartition,… tout sera guidé par le respect de l’homme et de la nature. Mais cela implique d’abattre le capitalisme.

De la pénurie à la surproduction

De ce que l’on sait actuellement, l’agriculture a fait son apparition il y a près de 10.000 ans, quelque part vers le Sud Est de la Turquie actuelle. Depuis lors, les techniques n’ont cessé de se développer, voyant les rendements faire parfois des bonds considérables. L’utilisation de la force animale ne tarda pas à se généraliser (utilisation de l’araire dès l’antiquité) et au moyen-âge, l’apparition de la charrue et de la rotation triennale (vers le Xe siècle en Europe), permirent de nettes améliorations de la production. Ce système, basé sur la culture attelée, dura de nombreux siècles. Toutefois, il est important de rappeler que malgré les avancées qui marquèrent cette longue période (5), les connaissances et la technique de l’époque ne permettaient pas de garantir des récoltes stables d’une année sur l’autre. Nombreux sont les exemples de grandes famines qui décimèrent les populations: en 1315 par exemple, du fait d’une année particulièrement froide et pluvieuse les récoltes en France sont inférieures de 50% à celles des autres années, entrainant la mort de 5 à 10% de la population. Dans une moindre mesure, le même phénomène est constaté en 1348, cette fois suivi de la peste Noire qui s’abat sur la population affaiblie. Pour faire simple, au cours des XIVe et XVe siècles où le climat se montre moins favorable que dans la période précédente, c’est pratiquement tous les 20 à 30 ans que survient une terrible famine! Finalement, il faudra attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour que la production agricole cesse de subir aussi durement des coups du climat. Les progrès du machinisme et l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole), les avancées de la chimie inorganique et l’introduction des engrais minéraux, permettent une augmentation formidable des rendements. Avec le développement du capitalisme, l’agriculture devient une industrie, à l’instar de l’industrie du textile ou des transports. Les tâches sont rigoureusement planifiées et la vision de "processus de fabrication" (avec l’organisation scientifique du travail) permet une augmentation inédite de la productivité. Tout cela pouvait laisser croire que les périodes de crises et de famines dont nous parlions plus haut allaient laisser place à des siècles d’abondance. La plupart des scientifiques de l’époque ne jurait que par le progrès scientifique et voyait dans le développement de la société capitaliste, le remède de tous les maux de la société. La plupart, mais pas tous! En 1845 par exemple, alors même que le capitalisme était en plein développement, une terrible famine s’abat sur l’Irlande. Le mildiou (6) et l’humidité du climat provoquent une chute de la production de pommes de terre de près de 40%. Les conséquences pour la population furent dramatiques. (7) Même si les moyens de l’époque sont encore assez rudimentaires, il serait faux de considérer ce parasite comme seul responsable de ce qui fut une véritable catastrophe: contrairement à ce qui s’est passé pendant la famine de 1780, les ports irlandais restèrent ouverts sous la pression des négociants protestants et l’Irlande continua à exporter de la nourriture. Alors que dans des régions de l’île, des familles entières mourraient de faim, des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l’armée, partaient vers l’Angleterre. On peut aussi rappeler qu’à cette époque l’armée britannique possédait les plus grandes réserves alimentaires d’Europe. C’est ainsi que l’Angleterre soutint son expansion capitaliste. La cruauté sans bornes du système capitaliste, dont les exemples foisonnent, amène notamment Engels à écrire en 1882 (8): "Dans les pays industriels les plus avancés, nous avons dompté les forces de la nature et les avons contraintes au service des hommes; nous avons ainsi multiplié la production à l’infini si bien qu’actuellement, un enfant produit plus qu’autrefois cent adultes. Et quelle en est la conséquence? Surtravail toujours croissant et misère de plus en plus grande des masses, avec, tous les dix ans, une grande débâcle."

(Dans le prochain article de cette série, nous aborderons le sujet à l'aune de la décadence du capitalisme).

Enkidu/ 20.10.2013

 

(1)100. 000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde, un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes, 842 millions de personnes souffrent de malnutrition chronique aggravée, réduites à l’état d’invalides.

(2) "Global Food, waste not, want not"

(3) Global food report, traduit par nous

(4) La bourgeoisie est seulement intéressée à suffisamment nourrir les ouvriers pour qu’ils aient la force d’aller au travail.

(5) On pourrait citer les travaux d’Olivier de Serres (1539-1619) pour structurer les pratiques agricoles.

(6) Principal parasite de la pomme de terre

(7) On estime à un million, le nombre total de victimes entre 1846 et 1851.

(8) Dans La dialectique de la nature, imprimée la première fois en 1925 d’après des notes datant de 1882, éditions sociales P. 42

 

Mali, Centrafrique: derrière l'alibi démocratique, la guerre impérialiste

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La "paix" ne règne pas au Mali! Bien au contraire, l’impérialisme français s’enfonce de plus en plus dans le chaos malien. Pourtant, au même moment, la France a décidé de faire le coup de feu en Centrafrique, un autre pays du Sahel, pour soi-disant "protéger" les populations et "rétablir l’ordre et permettre une amélioration de la situation humanitaire". En effet, les médias exposent en ce moment des images en provenance de la Centrafrique sur les massacres et le Département d’Etat américain évoque une situation "pré-génocidaire". Bref, l’horreur est omniprésente au cœur du continent africain. Mais aucune presse ne mentionne la responsabilité de la France dans l’explosion de cette barbarie alors que l’Etat français est l’acteur ou le témoin principal des crimes, passés et présents, commis dans son ex-pré carré colonial.

En ce qui concerne le Mali, contrairement aux allégations mensongères de François Hollande, sa fameuse "victoire sur les groupes terroristes" ne se confirme toujours pas! Le pouvoir français a beau obliger les cliques maliennes à organiser des "élections libres" et "démocratiques" (présidentielles en août et législatives en ce mois de novembre) en vue de "restaurer l’Etat malien et assurer la paix", cette propagande mensongère est en totale contradiction avec les faits eux-mêmes.

Silence radio sur la nouvelle guerre du Mali

"…pourquoi avoir engagé 1. 500 militaires dans cette "nouvelle reconquête" du Nord Mali? Avec, comme supplétifs, quelques éléments de l’armée malienne et de la force africaine de l’ONU dont les officiers français déplorent " le manque de combativité et leurs équipements médiocres". Enfin, quelle bizarre idée d’avoir baptisé "opération Hydre" ce nouvel engagement français, en référence à ce serpent dont les sept têtes repoussent après avoir été tranchées… En réalité, des avions de combat interviennent régulièrement, et, parfois les combats sont rudes, près de Gao et de la frontière du Niger. (…) A Bamako, l’amiral Guillaud (patron des armées françaises) a parlé métier. Au général Marc Fourcaud, commandant du corps expéditionnaire français, et, à ses officiers, il s’est bien gardé de fixer une date pour la fin de leur intervention: ‘Il faut redoubler d’adaptation, d’imagination et de vigilance face à un adversaire qui se montre jusqu’au-boutiste‘. Façon de dire qu’il ne s’agit pas d’"une simple action de contre-terroriste" comme le prétend Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense." (Le Canard enchaîné du 30/10/13).

"Malgré la présence de milliers de soldats français et africains dans le septentrion malien pour les traquer, les éléments de ces groupes terroristes ont pu perpétrer, depuis septembre 2013, trois attaques meurtrières. Particulièrement élaboré, le raid mené le 23 octobre dernier à Tessalit, dans le nord-est du Mali, contre des soldats tchadiens de la Mission intégrée des Nations-unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) nous apprend beaucoup sur la capacité de résistance d’Aqmi et du Mujao". (Courrier international 7-13/11/13).

A cela s’ajoute une série d’accrochages meurtriers entre l’armée malienne et les forces nationalistes du NMLA en vue de contrôler la ville de Kidal, sans compter les sanglantes prises d’otages et autres explosions de kamikazes dont les civils font régulièrement les frais.

Tout ceci confirme qu’au Mali la guerre est toujours aussi sanglante entre barbares islamistes et gangs agissant au nom de la défense de l’ordre et de la démocratie, tous également avides de sang et de gains économiques, tous semant la mort et la désolation parmi les populations sahéliennes sans le moindre état d’âme.

L'impérialisme français plonge dans le chaos centrafricain

Depuis mars 2013, la Centrafrique est plongée dans un chaos sanglant, suite à un coup d’Etat militaire piloté par une coalition de rebelles se nommant la "Séléka" qui a chassé du pouvoir l’ex-président (putschiste) François Bozizé en mettant à sa tête un élément de la rébellion Michel Djotodia. Une fois au pouvoir, les groupes armés se livrent quotidiennement aux assassinats, au pillage des ressources (or, diamant, etc.), au racket, à la rafle des jeunes dans les quartiers, aux viols... Pour échapper à ce monstrueux carnage, des centaines de milliers d’habitants ont dû quitter leur domicile en allant se réfugier tantôt dans la forêt tantôt dans les pays voisins. Mais, de fait, il n’y a pas que les ex-rebelles au pouvoir qui sèment la terreur, il y a aussi leurs opposants. Par exemple, les partisans de l’ancien président renversé se comportent eux aussi en bourreaux, tout cela sous les yeux indifférents des centaines de soldats français qui se contentent odieusement de "compter les points" et les morts. Sans doute hanté par "l’expérience rwandaise" où il fut accusé de complicité dans le génocide, l’impérialisme français se lance dans une nouvelle intervention en Centrafrique.

" Ce n’est plus qu’une question de jours, la France va lancer une opération militaire en République centrafricaine (RCA). ‘Une opération coup de poing, limitée dans le temps, pour rétablir l’ordre et permette une amélioration de la situation humanitaire, indique une source au ministère de la défense’". (Le Monde, 23/11/13).

Au moment où nous rédigeons ces lignes, le gouvernement français annonce l’envoi en Centrafrique d’un millier de soldats allant renforcer les 400 sur place en permanence.

Les responsabilités criminelles de la France en Centrafrique

" Pour le meilleur comme pour le pire, c’est un pays que Paris connaît bien. Ce fut même une caricature de ce que l’on appelait jadis la "Françafrique". Un Etat où la France faisait et défaisait les régimes. Remplaçant des dictateurs en cours d’émancipation par d’autres qui lui étaient redevables. On a bien noté les visites mystérieuses ces derniers mois à Bangui de Claude Guéant et de Jean-Christophe Mitterrand, deux figures d’une "Françafrique" moribonde". (Le Monde, 28/11/13).

En effet, le gendarme français retrouve le chemin de Bangui pour y rétablir son ordre néocolonial, mais contrairement au gros mensonge du gouvernement Hollande, ce n’est pas pour "permettre une amélioration de la situation humanitaire" ou à cause des "exactions extraordinaires" qui s’y déroulent. Car cela fait bientôt un an que les autorités françaises ferment les yeux sur les "actes abominables" se déroulant en Centrafrique et pire encore le silence était de mise jusqu’aujourd’hui à tous les étages du pouvoir français, grands médias compris. Et pour cause. Le gouvernement français se sentait bien mal à l'aise pour dénoncer les massacres et mutilations que subissent les populations centrafricaines. D’abord, rappelons que le général François Bozizé (arrivé au pouvoir en 2003 par un coup d’Etat téléguidé par Paris) a été renversé fin mars 2012 par une coalition de groupes armés (la "Séléka") soutenue en sous-main par la France. En réalité, l’impérialisme français s’est servi de ces bandes armées pour se débarrasser de l’ancien "dictateur" qui échappait à son contrôle: " Jacob Zuma n’a pas hésité une seconde à voler au secours du président centrafricain François Bozizé lors que ce dernier, menacé par une rébellion armée, a fait appel à lui en décembre 2012. Le fait que Bozizé ait été lâché par la France et soutenu de façon quelque peu ambiguë par ses voisins francophones -considérés à Pretoria comme autant des néo-colonies- a encore accru la détermination sud-africaine à intervenir. En une semaine, 400 soldats de la force de défense nationale d’Afrique du Sud (SANDF) ont été transportés à Bangui. Installés dans les locaux de l’école de la police du kilomètre 9, mais aussi à Bossembélé et à Bossangoa à l’intérieur du pays, ils n’ont aucun contact, ni avec les forces africaines multinationales présentes sur place, ni avec l’ONU, ni bien sûr avec le contingent français. Jakob Zuma n’a de comptes à rendre à personne. Et ce ne sont pas les sociétés chinoises qui, dans le plus grand secret, opèrent depuis 3 ans dans le nord-est de la Centrafrique, où des gisements de pétrole sont désormais avérés, qui s’en plaindront. Elles n’attendent qu’une protection sud-africaine pour démarrer les premiers forages". (Jeune Afrique, 10/03/13).

On voit là la vraie raison du "lâchage" de l’ex-président Bozizé: la "trahison" de son maître français en allant "coucher" avec l’Afrique du Sud, rivale déclarée de la France derrière laquelle se cache à peine la Chine, l’autre redoutable concurrent en train de s’emparer des ressources pétrolières de ce pays. Pourtant, en fonction des "accords de défense" existant entre les deux pays (permettant, entre autres, la présence militaire française permanente en Centrafrique), Hollande aurait dû soutenir Bozizé qui avait fait appel à lui. Au lieu de cela, le président français a décidé de "punir" son "ex- ami dictateur" par tous les moyens y compris en facilitant l’avancée des bandes sanguinaires de la Seléka jusqu’au palais présidentiel entouré par ailleurs de centaines de militaires français.

Cela permet de comprendre la dose de cynisme de la part de François Hollande quand on l’entend déclarer aujourd’hui: " Il se produit en Centrafrique des actes abominables. Un chaos, des exactions extraordinairement graves. Nous devons agir. (sic !)".

Voilà une hypocrisie de langage qui tente de camoufler et de justifier les abominables crimes que l’ex-puissance coloniale s’apprête à commettre en Centrafrique comme elle cherche à masquer sa complicité avec les diverses cliques sanguinaires concurrentes en présence et sa part majeure de responsabilité dans les horribles massacres en cours dans ces pays.

En clair, le gouvernement Hollande se fiche totalement du sort des populations centrafricaines, maliennes et autres, de leurs souffrances multiples. Il s’agit pour lui, de façon inavouée, simplement de défendre les intérêts du capital national par tous les moyens, dans un des derniers bastions de l’impérialisme français, le Sahel, région hautement stratégique et bourrée de matières premières, face aux autres requins impérialistes qui lui disputent son influence.

Amina/29.10.2013

 

Tragédie à Lampudesa: le capital et ses politiciens responsables de la catastrophe!

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Début octobre, une embarcation surchargée faisait naufrage à Lampedusa. Plus de 350 immigrés sont morts lors de cette tragédie. Quelques jours après, un autre navire de fortune sombrait et faisait une dizaine de victimes près des côtes maltaises. Chaque année en Méditerranée, avant même d'atteindre la forteresse-Europe tant convoitée, près de 20.000 êtres humains perdent ainsi la vie! Depuis les années 1990, les cadavres se sont accumulés aux frontières, le long des côtes, comme dans la plupart des points sensibles du monde où se concentrent des flux croissants d'affamés et de miséreux qui tentent de forcer le blindage des Etats.

L'hypocrisie de la classe dominante

Si aujourd'hui la bourgeoisie fait mine de s'offusquer et verse ses larmes de crocodiles alors que des milliers de personnes meurent en se fracassant sur ses côtes depuis longtemps, c'est simplement que l'ampleur du phénomène, le caractère désespéré et surtout le nombre élevé des victimes en un seul jour est bien trop visible. Cela risque de favoriser la colère et surtout la réflexion des populations.

La polémique ignoble autour de la "non- assistance" des marins-pêcheurs italiens est d'ailleurs venue à point nommé pour détourner l'attention, cherchant immédiatement des boucs-émissaires, alors même que les lois en vigueur ne cessent de criminaliser ceux qui tentent d'aider les immigrés!(1) C'est en grande partie tout cela qui explique la couverture médiatique de l'événement pour pourrir les cerveaux, dresser un rideau de fumée devant un arsenal répressif mis en place de façon coordonnée par les Etats. Le piège idéologique classique qui l'accompagne est composé des mêmes propos ouvertement xénophobes d'un côté, et de l'autre, des discours "humanitaires" bourgeois pour la "défense des droits", divisant, isolant ainsi de facto les immigrés des autres prolétaires.

Une chose doit être claire, le capitalisme en crise et ses politiciens sont bel et bien les responsables de cette nouvelle tragédie, eux qui obligent des centaines de milliers d'affamés à se jeter dans des aventures toujours plus suicidaires afin de contourner les obstacles qu'ils leurs imposent! Il n'est donc pas surprenant que ces mêmes politiciens, qui se sont présentés à Lampedusa faussement endeuillés, aient été hués à l'aéroport par une population locale écœurée et choquée.(2)

Le prolétariat est une classe d'immigrés

A l'image de ces immigrés, tous les prolétaires sont en réalité des "déracinés". Dès les origines du capitalisme, ils ont été arrachés de force au monde de la terre et de l'artisanat. Alors que durant le Moyen-Âge la main d’œuvre exploitée restait fixée au sol, elle subit un violent exode rural par les forces naissantes du capital. "La création du prolétariat sans feu ni lieu – licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d'expropriations violentes et répétées – allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes (…). La législation les traita en criminels volontaires ; elle supposa qu'il dépendait de leur libre arbitre de continuer à travailler comme par le passé et comme s'il n'était survenu aucun changement dans leur condition".(3). Historiquement, le développement du capitalisme dépend du libre accès à la force de travail. Il génère donc des déplacements multiples et des courants migratoires sans précédent pour extraire la plus-value. C'est d’ailleurs en grande partie par l'unité de cette nouvelle condition des exploités que le mouvement ouvrier a toujours considéré que "les prolétaires n'ont pas de patrie" !

Sans la traite négrière des XVIIe et XVIIIe siècles en Afrique, le développement du capitalisme n'aurait pu prospérer aussi rapidement à partir des centres industriels et surtout de l'essor des grands ports négriers que furent Liverpool, Londres, Bristol, Zélande, Nantes ou Bordeaux. Au cours du XIXe siècle et suite aux "bienfaits" d'une main-d’œuvre noire "libérée" par le salariat, accompagnant l'accumulation capitaliste, d'autres facteurs économiques ont accéléré par la suite des exodes ruraux et favorisé des migrations massives d'une autre ampleur, notamment vers le nouveau continent. Rien que pour la période allant du XIXe siècle à 1914, 50 à 60 millions d'Européens se sont dirigés vers les États-Unis pour trouver du travail. Au début du XXe siècle, près d'un million de migrants se rendent chaque année aux Etats-Unis. Rien que pour la seule Italie, entre 1901 et 1913, près de 8 millions de personnes ont été des migrants. Les pressions économiques qui ont été à l’œuvre, lors de sa phase ascendante, permettaient alors au système capitaliste d'absorber les travailleurs toujours plus nombreux dont il avait besoin pour son expansion vigoureuse.

Avec le capitalisme décadent, 'État transformé en bunker

Avec le déclin historique du système, les déplacements des populations et les migrations n'ont jamais cessé. Bien au contraire! Les guerres impérialistes, notamment les deux conflits mondiaux, la crise économique, engendrant la paupérisation et les catastrophes liées aux changements climatiques, poussent toujours davantage aux migrations. En 2010, les immigrés dans le monde étaient estimés à 214 millions (3,1% de la population mondiale(4)). Du seul fait des changements climatiques, certaines projections estiment pour 2050 entre 25 millions et 1 milliard le nombre d'immigrés supplémentaires !(5)

En raison de la crise permanente du capital et de la surproduction de marchandises, les immigrés se heurtent désormais aux limites du marché et aux forces brutales toujours plus réglementées des Etats. Le capital ne peut plus intégrer la force de travail et ne peut en grande partie que la refouler! Ainsi, après la période d'ouverture des Etats-Unis avant la Première Guerre mondiale, la mise en place d'un système de "quotas" a verrouillé et filtré drastiquement les entrées sur le territoire pour finir par la construction d'une véritable muraille à la frontière mexicaine, dont les chicanos, après l'ère tragique des boat-people venus d'Asie, font maintenant eux aussi les frais. La crise économique ouverte à partir des années 1960-70 a conduit tous les gouvernements, notamment d’Europe, à élaborer un quadrillage plus musclé au sud de la Méditerranée, utilisant une armada de navires et des patrouilles pour repousser les migrants. L’objectif non avoué de la classe dominante est clair: "que les migrants crèvent chez eux!". Pour cela, les démocrates zélés d'Europe, notamment en France, n'ont pas hésité jusqu’à ces dernières années à recourir aux services musclés de feu Kadhafi en Libye, ou des autorités marocaines sur le continent, laissant par exemple crever dans le désert ceux qui voulaient s'échapper de l'enfer.

Ces politiques de "contrôles" aux frontières, qui n'ont cessé de se durcir, sont bien des produits de la décadence et du capitalisme d'Etat. Elles ne sont pas nouvelles. En France, par exemple: "la création d'une carte d'identité est en 1917 un véritable bouleversement des habitudes administratives et policières. Nos mentalités d'aujourd'hui ont intégré cet estampillage individuel dont les origines policières ne sont plus perçues comme telles. Il n’est pourtant pas neutre que l'institution de la carte d'identité ait d'abord concerné les étrangers dans un but de surveillance, et ce en plein état de guerre."(6)

Aujourd’hui, la paranoïa des Etats atteint des sommets face aux étrangers qui ont toujours été suspectés de "troubler l'ordre public". Les murs gigantesques de béton et de métal aux frontières(7), ornés de barbelés ou électrifiés, ne sont pas sans rappeler les périmètres grillagés des sinistres camps de la mort de la Seconde Guerre mondiale. Alors que les Etats européens avaient fêté la chute du "mur de la honte" à Berlin, au nom de la "liberté", s'offusquant à bon compte de ce symbole barbare matérialisant "le rideau de fer", ils se doivent maintenant de masquer, plus que jamais, qu'ils sont eux mêmes d'hypocrites bâtisseurs de murs!

Le sort tragique des immigrés

La décadence du capitalisme est devenue la période des grands déplacements qu'il faut "maîtriser", l'ère des déportés, des camps de concentration et aussi de réfugiés (le nombre de réfugiés palestiniens est passé de 700.000 en 1950 à 4,8 millions en 2005!). Le génocide des Arméniens en 1915 a conduit à un des premiers grands mouvements de masse de réfugiés au XXe siècle. Entre 1944 et 1951, près de 20 millions de personnes ont été déplacées ou évacuées en Europe. La partition d'Etats et les divisions ont poussé à des déplacements massifs de populations. Si le "rideau de fer" allait mettre un frein à l'exode des pays de l'Est, une main-d’œuvre à bas prix disponible conduisait les pays européens à puiser vers le sud de la Méditerranée et l'Afrique. Les prétendues "luttes de libération nationales", issues de la crise et de l'impérialisme durant et après la guerre froide, allaient contribuer à alimenter la détresse et les déplacements de paysans ruinés, venant grossir des mégalopoles hypertrophiées, notamment des pays périphériques, multipliant ainsi les bidonvilles, faisant exploser les trafics en tout genre aux mains des mafias, de la drogue à la prostitution, en passant par la vente des armes. Partout, avec les fléaux du XXe et XXIe siècles, notamment au Moyen-Orient et en Afrique, les camps de réfugiés permanents ont poussé comme des champignons, parquant des masses toujours plus nombreuses (Palestiniens, Africains...) dans des conditions d'extrême précarité, voire de simple survie, en proie aux maladies, à la famine et aux mafias.

L'explosion du travail "illégal"

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l'Est, deux événements majeurs sont intervenus, en plus des conflits croissants, pour peser sur le marché mondial du travail et jouer sur les flux migratoires:

-l'approfondissement de la crise économique, notamment dans les pays centraux;

-l'émergence de la Chine.

Dans un premier temps, les travailleurs des pays de l'Est sont venus vers l'Ouest, notamment en Allemagne, ce qui s'est accompagné en même temps des premières délocalisations et d'une forte pression sur les salaires. Puis, les régimes qui jusqu'ici étaient restés plus en marge du marché mondial, comme l'Inde et la Chine, ont ouvert la possibilité de déraciner des millions de travailleurs venus des campagnes, amplifiant de façon pléthorique une armée de réserve constituée de chômeurs corvéables à merci. La faiblesse extrême de leurs salaires, dans un marché saturé, permettait de nouvelles pressions sur les coûts de la force de travail, entraînant de nouvelles délocalisations. C'est ce qui explique que dans les pays centraux, depuis les années 1990, le nombre de travailleurs illégaux et clandestins a explosé dans certains secteurs, en dépit du renforcement des contrôles, afin de permettre une baisse des coûts de la production et de la force de travail. En 2000, il y avait environ 5 millions de clandestins en Europe, 12 millions au États-Unis et 20 millions en Inde! La plupart des Etats centraux qui pillent les "cerveaux", filtrent par ailleurs une main-d’œuvre fragilisée, sans papiers ni qualification, prête à tout pour se vendre et survivre. Désormais, dans de nombreux secteurs, sous l'impulsion bienveillante de l'Etat, s'organise ainsi tout un marché parallèle et clandestin du travail, provoquant un afflux de migrants et de réfugiés, soumis au chantage, dont on subtilise les papiers et qu'on isole dans des abris de fortune. Il en résulte que l'essentiel des récoltes de l'agriculture sont maintenant le fait de travailleurs étrangers souvent dans l'illégalité. En Italie, 65 % de la main-d’œuvre agricole est illégale! Après la chute du mur de Berlin, 2 millions de Roumains ont émigré dans les régions du sud de l'Europe pour les travaux agricoles. En Espagne, le "boom" d'avant la faillite dans le secteur immobilier s'est en grande partie édifié avec la sueur de clandestins sous-payés, notamment venus d'Amérique latine (Équateur, Pérou, Bolivie, etc.). A cela, il faut ajouter les zones "grises" de l'activité, comme la prostitution. En 2003, dans un pays comme la Moldavie, 30% des femmes âgées de 18 à 25 ans ont disparu! La même année, 500.000 prostituées venues des pays de l'Est étaient au travail en Europe de l'Ouest. En Asie et dans les monarchies du Golfe, on observe les mêmes phénomènes pour des emplois de domestiques ou pour des travaux dans le bâtiment. Dans un pays comme le Qatar, les immigrés représentent 86 % de la population! De jeunes chinoises ou philippines sont formées pour se rendre à Hong-Kong ou en Arabie Saoudite, dans des conditions proches de l'esclavage.

Aujourd'hui, avec le développement des tensions guerrières, il faudra s’attendre à un afflux majeur de population et de ce type de travailleurs, notamment venant d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient.

Le combat du prolétariat

Face à la barbarie qui se déchaîne, au flicage contre les immigrés et face aux campagnes xénophobes qu'une partie de la bourgeoise cherche à diffuser par ses messages populistes, le prolétariat ne peut qu'opposer sa propre indignation et sa solidarité de classe internationale. Pour cela, il convient bien entendu de rejeter le discours officiel qui cherche à générer des réflexes anxiogènes, à faire des immigrés et de "l'étranger" les responsables de la crise et du chômage.

Après avoir polarisé l'attention sur le "péril jaune", les dangers de "l'invasion", les médias et politiciens de tout poil jouent sur les peurs évoquant toujours en arrière-plan les questions de "la délinquance" et des "troubles à l'ordre public". Ils ne cessent de nous bourrer le crâne en stigmatisant "les étrangers", les "illégaux" qui exercent une "concurrence déloyale" et "plombent les droits sociaux"... Cela, alors qu’en réalité, ils sont les premières et principales victimes du système! Une telle tactique grossière et nauséabonde, ignoble, a toujours été utilisée pour diviser les prolétaires entre eux. Mais le piège le plus sournois à éviter est surtout celui du "bon sens" et de la pseudo-générosité des organisations gauchistes ou "humanitaires" qui font des immigrés un "fait de société" l’objet d’une "politique particulière", qu'il faudrait traiter "à part", comme telle au regard du droit bourgeois.

Aujourd'hui, alors que les usines ferment à tour de bras, alors que les carnets de commandes sont en berne malgré l'annonce de la "reprise", il devient évident que tous les prolétaires sont frappés par la crise et la pauvreté croissante, immigrés ou pas. Quel sens peut avoir l'idée d'une concurrence des travailleurs clandestins alors que l’activité disparaît?

Face à toutes les offensives idéologiques et à la politique de répression, le prolétariat se doit de réaffirmer sa perspective historique. Il doit commencer, pour cela, par exprimer sa solidarité, reconnaître la force révolutionnaire qu'il représente dans la société. Lui seul en effet sera capable de réaffirmer, par la lutte, que "les prolétaires n'ont pas de patrie!"

WH /21.10.2013

 

(1)Plus durement encore que ceux qui ont cherché à assister les migrants à Sangatte, du fait des lois Bossi-Fini, des capitaines de pêche qui ont déjà porté secours à des boat-people ont été poursuivis pour "aide à l'entrée irrégulière sur le territoire" !

(2)Aux côtés du Premier ministre italien A. Alfano, on notait la présence de M. Barroso président de la Commission européenne et de C. Malmström chargée des affaires intérieures, venus surtout pour souligner qu'ils soutiennent, au nom de "l'humanitaire", un durcissement supplémentaire de la surveillance des frontières par le dispositif "frontex".

(3)K. Marx, Le capital, livre I, chap. XXVIII.

(4)Source : INED

(5)133 catastrophes naturelles ont été enregistrées en 1980. Le nombre est passé à plus de 350 par an ces dernières années. Voir le site : https://www.unhcr.org [4]

(6)P-J Deschott, F. Huguenin, La république xénophobe ; JC Lattès, 2001.

(7)Au sud de l'Europe (Ceuta, Melilla), à la frontière mexicaine au sud des Etats-Unis, en Israël face aux Palestiniens, en Afrique du Sud face au reste du continent où les autorités de Gaborone sont en train de construire un mur électrifié de 2,40 m de haut sur 500 km de longueur.

 

Journée de discussion été 2013: la perspective est-elle similaire à celle des années 1930?

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Fin Août 2013, le CCI a organisé une journée de rencontre et de discussion sur ​​la question de savoir si nous sommes confrontés à un retour dans les années 1930. Qu’est-ce qu’il y a de commun entre les deux périodes, qu’est-ce qui les distingue précisément et surtout, pourquoi?

L’initiative fut motivée par les nombreuses discussions qui ont eu lieu sur ce sujet depuis la dépression économique de 2008. En effet, il y a des raisons de penser que nous sommes de retour dans les années 1930 car il est indéniable que nous sommes confrontés actuellement avec :

la crise la plus profonde de l’histoire du capitalisme depuis les années 1930;

une attaque généralisée sans précédent sur ​​les salaires, l’emploi, les retraites et autres allocations, attaque surtout visible en Grèce, Espagne et Portugal;

des difficultés, voire la faillite des banques, dans le contexte de la menace constante d’un effondrement imminent de l’ensemble du système financier;

le développement de guerres barbares telles celles en Afrique Centrale, Mali, Libye, Syrie, … et de tensions impérialistes dans de nombreuses régions du monde ;

un raffermissement des campagnes idéologiques telles que celles de l’extrême droite et du populisme principalement basées sur le nationalisme, le régionalisme et la haine raciste;

un niveau de lutte dans les pays centraux y compris les Pays-Bas et la Belgique, mais surtout en Grande-Bretagne et en Allemagne, qui connait un sérieux déclin après l’éteinte des mouvements des Indignés et Occupy.

Mais est-ce que cela signifie que nous devons suivre les campagnes de défense de la démocratie bourgeoise, de toutes sortes de groupes gauchistes comme le PSL ou les Socialistes Internationaux (Pays-Bas) qui, lors de leurs "festivals" en 2013, ont mis centralement en avant la "lutte contre la dangereuse montée de l'extrême-droite et du nationalisme en Europe et la lutte antifasciste"?

Un certain nombre de groupes et d'individus qui se situent dans leur recherche entre les perspectives bourgeoises et prolétariennes, pensent également que nous sommes face à une situation qui est comparable à celle des années 1930:

"Je vois de grandes similitudes avec la crise des années trente du siècle dernier (....) Il ne s'agit pas de dérives du capitalisme, mais des caractéristiques propres au système d’une politique économique et de l’idéologie d’un type de société. Avec l'effondrement des pays de l’ex bloc soviétique stalinien, le capitalisme a pu prolonger quelque peu sa crédibilité idéologique " (De As169/170, 2010)

"L'éternel retour du fascisme en temps de crise. Pourquoi le fascisme réapparait chaque fois en temps de crise? Débat sur "Le fascisme ne se mange pas" (Basta!, KSU, 10/10/2013).

"Depuis 2008, la population d'Europe se trouve dans une crise sans précédent. Dans de nombreux pays européens, la population s’appauvrit rapidement. Aussi, dans notre pays, la crise a frappé: licenciements massifs entre autre dans les secteurs du bâtiment et des soins, listes d'attente pour les restaurants du cœur, chômage élevé surtout chez les jeunes, personnes âgées qui ne reçoivent plus d'aide à domicile, expulsions à cause des loyers trop chers, études qui ne seront bientôt réservées qu’aux riches, fonctionnaires dont les salaires depuis des années sont gelés. Pour toute cette misère, un bouc émissaire doit être trouvé. (...) L'histoire nous apprend que le racisme progresse avec l’augmentation de la pauvreté (....) Une comparaison avec les années ‘30 du siècle passé s’impose. La haine des Juifs était à l’époque aussi alimentée par la crise. "(Plate-forme Stop Racisme et l'exclusion, Septembre 2013)

"Tout cela au sein d’un climat politique et économique de chômage de masse qui, entre-temps, a dépassé le niveau des années trente et représente la forme " suprême et la plus barbare " d’une réduction du temps de travail imposée par le capital". (Une réduction du temps de travail au profit du capital; études marxiste n ° 101)

Certains participants du cercle de discussion Spartacus (Anvers) et du AAUG (Utrecht) qui ont participé à la journée de discussion, partageaient aussi certaines de ces visions.

Bien que la situation actuelle, en effet, montre certaines analogies avec celles des années 1930, elle n'est toutefois pas la même. Pour en comprendre la différence, le CCI a mis en avant le concept du cours historique, concept hérité d’un de ses plus importants prédécesseurs : Bilan (1). Selon le CCI, c’est le meilleur instrument pour trouver une réponse adéquate à la question de savoir si nous sommes confrontés à un retour dans les années 1930 et pour cette raison, il a été central dans l'introduction.

Dans la discussion, l’accent a été fortement mis sur la fonction du fascisme dans les années ’30 et aujourd'hui et s’il existe bien un lien mécanique entre l’approfondissement de la crise économique et la venue au pouvoir de l’extrême-droite. Ceci a été examiné en relation avec une classe ouvrière qui aujourd’hui, contrairement aux années 1930, n’est mondialement pas battue, ni physiquement, ni politiquement.

L’introduction: le concept du cours historique

L’approche du CCI de la question du cours historique est basée sur la méthode de Bilan, dont les activités politiques dans les années 1930 ont été engagées à la suite d'une reconnaissance du fait que la défaite de la vague révolutionnaire de 1917 à 1923 et le début de la crise de 1929 avaient ouvert un cours vers la guerre impérialiste. Tout comme Bilan, le CCI défend la tâche cruciale et fondamentale des révolutionnaires qui est de donner des orientations générales au développement social pour une période déterminée. Le capitalisme n’est pas "une fatalité économique objective" mais un rapport social. Ce rapport détermine globalement la politique de la bourgeoisie. Précisément, parce que les facteurs subjectifs (la conscience) ne sont pas immédiatement et mécaniquement déterminés par les conditions objectives (entre autre la situation économique) qu’il est tellement important d’analyser la situation à partir de ce concept.

Est-ce que nous revivons les années 1930, est-ce qu’une guerre généralisée s’annonce ou est-ce qu’une perspective révolutionnaire est devant nous? Ce sont des questions de grande importance. La pensée révolutionnaire dynamique n'est pas satisfaite avec "un peu de ceci et un peu de cela"  tout mélangé dans une sauce sociologique qui ne donne aucune orientation à la lutte de classe. Si le marxisme nous livre simplement une analyse du passé et s’il faut se contenter du "ok, on verra bien…", il est alors de peu d’utilité. L'action sociale, la lutte des classes, nécessitent une compréhension approfondie des forces élémentaires qui sont impliquées et appellent à une compréhension de la perspective. L’action du prolétariat varie en fonction de sa conscience de la réalité sociale et du rapport de force du moment entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ceci s’applique aussi aux possibilités d’intervention des révolutionnaires dans la classe de façon organisée. Le développement de la conscience de classe est différent, non pas sur le plan de son contenu fondamental mais bien dans son expression en fonction de la réponse à la question : est-ce que nous allons vers la guerre ou vers une confrontation révolutionnaire ?

Cet instrument du cours historique est pour les révolutionnaires d’un intérêt essentiel parce qu’il leur permet, contre toutes les autres interprétations, d’affirmer qu’actuellement en aucun cas on se retrouve dans les années 1930.

La discussion: sur les ressemblances et les différences avec les années trente

Cette année également, il y avait un noyau enthousiaste prêt à engager le débat. La plupart d’entre eux venait de l’expérience du mouvement Occupy ou d’un groupe de discussion, désireux d’échanger leurs points de vue et de les confronter à la vision du CCI.

Dans un premier tour, ont été principalement soulevées les nombreuses caractéristiques les plus frappantes de la période en cours, indiquant que chez un bon nombre, il existe bel et bien une sorte de crainte d’une répétition des années 30. Ont été citées: la gravité de la crise économique -dont plusieurs participants en demandaient la cause profonde- les conséquences désastreuses sur un plan écologique et la course massive à l’armement entre autre en Chine, Pakistan, Inde et Russie. En même temps, de nouveaux foyers de tension éclatent à répétition comme au Mali et en Syrie. La question a également été posée de savoir si l'Europe est de plus en plus centralisée et prend un tournant vers la droite. Comment comprendre la montée de Aube Dorée (Grèce) et de Le Pen (France)? Faut-il appeler aujourd'hui à la lutte contre le danger fasciste? Enfin, ont été soulevées la faiblesse et les divisions des réactions. Comment devons-nous comprendre ces faits?

D'autres questions ont été:

Est-ce important de réfléchir sur l'évaluation de la période historique?

Les questions que nous posons sont-elles utiles pour nos activités actuelles? Nous fournissent-elles une perspective?

Peut-on faire un appel aujourd'hui à développer un nouveau mouvement des Indignés ou Occupy?

Était-il sage de faire un appel à la révolution dans les années 1930 et à la création d'une 4ème internationale, comme Trotski l'a fait (2)?

Par manque de temps, plusieurs questions n'ont pas pu être creusées dans cette discussion.

Trois thèmes ont été au centre des réponses:

a. la dynamique de l’économie et la crise historique du capitalisme;

Dans de la discussion, il était clair pour la plupart des participants que la nécessité pour le capitalisme d'accumuler et de croître se fait au détriment des besoins sociaux et de l'environnement. Il a été dit "cette croissance doit cesser!". À cela, a été répondu que la production n’est pas vue pour répondre aux besoins de l'humanité mais pour engendrer du profit. Les marchandises ne constituent seulement qu'une étape intermédiaire entre un capital initial et un capital final supérieur. C'est l'essence même du capitalisme. Cela ne prendra fin que lorsque la classe ouvrière ne voudra plus rester le sujet de l'exploitation et de l'oppression, mais prendra en charge son rôle de porteuse d'une société future qui sera basée sur une production pour la satisfaction des besoins humains.

b. Le cours historique et le rôle de l'extrême-droite:

Dans le deuxième volet de la discussion, on est revenu encore une fois sur l'introduction et le CCI a appelé à prendre un certain recul. Pour comparer deux périodes historiques, on ne peut pas se limiter à prendre quelques éléments de l'une ou de l'autre période, aussi importantes qu'elles soient - comme la crise, la montée de l'extrême droite, un certain succès des thèmes xénophobes et racistes etc. Nous devons replacer ces éléments dans le contexte de la dynamique de la société et donc aussi du rapport de force entre la bourgeoisie et le prolétariat.

Dans les années 1930, l'accession au pouvoir des régimes fascistes a été soutenue par de larges fractions nationales de la classe dominante, en particulier par les grands groupes industriels. En Allemagne, ce furent Krupp, Siemens, Thyssen, Messerschmitt, IG Farben. Ils se sont regroupés en cartels (Konzerns), des fusions de capital financier et industriel, qui contrôlèrent les secteurs clés de l‘économie de guerre. En Italie, les fascistes ont aussi été subventionnés par les grands patrons italiens comme Fiat, Ansaldo, Edison, très vite suivis par l‘ensemble des milieux industriels et financiers centralisés au sein de la Confinindustria ou de l‘Association bancaire. Si besoin était, le programme fasciste était adapté aux besoins du capital national et les fractions indésirables éliminées. L‘émergence des régimes fascistes a correspondu aux besoins du capitalisme: il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l‘État, accélérer la mise en place de l'économie de guerre et de la militarisation du travail, en particulier dans les pays contraints pour survivre de se lancer dans la préparation d’une nouvelle guerre mondiale pour redistribuer les parts du gâteau impérialiste.

Aujourd'hui, au contraire, les "programmes économiques" des partis d’extrême-droite ou populistes sont soit inexistants, soit inapplicables du point de vue des intérêts de la bourgeoisie. En termes impérialistes aussi, ils n'offrent aucune alternative. Et surtout, l'autre condition majeure et essentielle pour la mise en place du fascisme n’est pas remplie: la défaite physique et politique préalable du prolétariat. Malgré ses difficultés à s'affirmer sur un terrain de classe, le prolétariat n'est pas battu et n'a pas connu de défaite décisive. Nous ne vivons pas dans un cours contre-révolutionnaire.

Pour ces raisons, le danger du retour imminent des régimes fascistes, agité comme un épouvantail, est inexistant. C'est pourquoi, La bourgeoisie actuelle utilise le soi-disant danger fasciste pour mobiliser la classe ouvrière sur un faux terrain derrière la défense de la démocratie bourgeoise, derrière l'Etat bourgeois.

c. Qui détient l’initiative? Qui détermine le cours? Quelle alternative?

Nous sommes donc arrivés à la question: la classe ouvrière reste-t-elle toujours un sujet révolutionnaire? Le CCI soutient que c’est précisément parce que beaucoup ne reconnaissent plus ou pas encore que la classe ouvrière est le sujet révolutionnaire, la force qui donnera une direction au soulèvement révolutionnaire contre le capitalisme, qu’il y a une sous-estimation ou une méconnaissance du concept du cours historique pour analyser la situation mondiale.
La "panique" est une mauvaise conseillère, car s'il est vrai que la classe ouvrière est un tant soit peu déboussolée et divisée, la cause n'est pas tant le fait qu'elle serait hétérogène, mais qu'elle a reçu un coup de massue par les campagnes répétitives pendant des dizaines d’années sur la "mort du communisme".

Le mensonge que le stalinisme est égal au communisme a eu un effet dévastateur tant sur la combativité que sur la perspective de la lutte prolétarienne. Le CCI a soutenu qu’il est de la plus haute importance de définir la classe ouvrière non seulement en terme sociologique, mais aussi politiquement et historiquement. Construire un rapport de force vis-à-vis de la classe dirigeante est une question hautement politique. La responsabilité des minorités politiques dans la classe est alors d’aider à développer la conscience de classe, le levier pour la construction d'une véritable alternative. Un accord général s’est dessiné sur le fait qu’il est de notre devoir de briser le mythe qu’il n’y aurait pas "d’alternative". Plusieurs participants ont déjà vu cette quête d'alternatives lors des mouvements des Indignés et d’Occupy. Ils en voient également la preuve dans l'émergence de cercles de discussion et de groupes d'étude autour du "Capital" de Marx, mais aussi dans le fait de l’émergence ici et là" d’idées utopiques" en réponse à la " realpolitik ".(3)

Le concept théorique du cours historique est un outil indispensable pour analyser la période actuelle. À une époque de prise de conscience que la lutte sera longue, une telle réflexion et un approfondissement théorique constituent une dimension qui préparera la lutte future. Cela nous renforce à mieux résister à l’activisme aveugle et à court terme, qui d’un sentiment euphorique nous plonge immédiatement dans le découragement et le désespoir dès que les mouvements de protestation reculent temporairement.
Le développement de cette compréhension nous donne plus de force et de détermination lors de notre participation dans la lutte. De pair avec le développement de la solidarité dans la lutte, c’est un facteur important dans la reconquête de l’identité de classe et donc d’un développement de la lutte sur un terrain de classe. Et à partir de là, peut se développer une confiance en soi d’une classe qui porte le projet historique pour toute l’humanité.

Le fait qu’un débat enthousiaste a pu se développer sur tous ces sujets avec les participants, essentiellement des jeunes, même si aujourd'hui ils sont encore une petite minorité, nous permet de définir cette initiative comme réussie.
Une table de lecture extensive sur le sujet et aussi autour des positions du CCI en général a fourni suffisamment de matières aux participants pour poursuivre la discussion.

Zyart / Lac, 09.02.2014
 

(1) "Bilan" est la revue de la fraction de gauche du Parti communiste d'Italie, qui est apparue entre 1933 et 1938. Elle est apparue après qu’au cours des années 1920, plusieurs camarades ont fui le fascisme italien et que le parti de Bordiga (et ses camarades) comme l'un des derniers a été expulsé de l'Internationale communiste en 1926.
(2) Toutes les analyses de la situation internationale qu'a faites Bilan - que ce soient celles des luttes nationales de la périphérie, du développement de la puissance allemande en Europe, du Front populaire en France, de l'intégration de l'URSS sur l'échiquier impérialiste ou de la soi disant révolution espagnole - se fondaient sur la reconnaissance du fait que le rapport de forces avait nettement évolué en défaveur du prolétariat et que la bourgeoisie dégageait la voie pour un autre massacre impérialiste. A l’encontre de la vision de Trotski, volontariste et idéaliste, qui voyait le moment propice pour créer une 4ième internationale. Les efforts pour réunir une organisation de masse dans une telle période ne pouvaient qu’aboutir à l’opportunisme.
(3) Lire l'article dans ce journal qui développe la question.

 

Rubrique: 

Histoire et mouvement ouvrier

L'utopie ne mène pas à la lutte: la recherche de la vérité offre une perspective

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Ces dernières années, de plus en plus nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour mettre en avant des revendications encore plus radicales et rechercher une solution pour une transformation plus fondamentale de la société. Les mouvements de lutte de ces dernières années (Occupy, Indignés, etc.) ont mis en évidence que des revendications partielles en tant que telles, des revendications sur des terrains particuliers de la société, bien qu’elles peuvent constituer un point de départ pour la lutte, sans suite et sans extension dans et par la lutte, se brisent tôt ou tard. Un texte signé Sander du KSU (1), tente de formuler une réponse à cette question.

“Viser les réformes semble, à première vue, plus réaliste, mais il vaut la peine de lutter pour une société qui est entièrement comme tu l’imagines. En revendiquant des réformes, on risque d’affaiblir la lutte une fois que les revendications ont été satisfaites. (…) Des causes sous-jacentes (…) sont faciles à reprendre à leur compte par des parties modérées qui ensuite récupèrent la résistance. Quand par contre, on lutte pour une toute autre société (…) alors il est possible sur cette base de davantage développer, parce que le but final dès le début est une société totalement différente et ainsi on peut continuer vers ce qu’on vise véritablement”. (Sander van Lanen; KSU)

Et Sander n’est pas le seul qui constate que poser des "revendications réalistes" ne favorise pas le combat. D’autres voix également font un plaidoyer pour radicaliser les revendications :

“Celui qui soumet l’art aux lois du marché, après tout, abolit la promesse sur l'avenir. Car du véritable art est hors normes, un sens du possible et de l’imagination et c’est là que le changement commence. Aussi l’artiste et les amoureux de la culture doivent, en ce qui concerne la gestion de la culture, oser réfléchir sur un changement radical." (L'imagination au pouvoir! Egalement dans le domaine de la gestion de la culture; 20-09-2013; DeWereldMorgen)

“Les dernières années m’ont appris que beaucoup de gens entre temps savent qu’un changement radical est inévitable. Les crises sociales, écologiques et économiques ne peuvent pas être résolues par un ‘business as usual’. Les conceptions existantes ont mené vers les crises et ne peuvent être employées pour les résoudre. ” (Martijn Jeroen van der Linden, économe d’entreprise, Hoogeveen)

Mais comment mettre en avant des revendications encore plus radicales si on a déjà lutté pour l'abolition du capitalisme? Quelque part désorientés, mais non découragés et battus, les camarades combattifs du KSU se retirent pour soigner leurs blessures et tirer les leçons, à la recherche d'une autre façon d’enfoncer une plus grande brèche dans le mur de l’état capitaliste. Plusieurs articles sont parus sur le site web du KSU, qui essayent de donner un élan à un nouveau concept stratégique pour la lutte à venir.

Toutes sortes de groupes, surtout anarchistes, ont depuis des années pris ces mêmes chemins battus. Le KSU est un des rares groupes dans le milieu politique qui montre encore une vraie vie et garde la capacité de prendre un autre chemin, dans une tentative de sortir de l’impasse dans laquelle il est arrivé, en partie suite à son propre activisme. C’est un regroupement qui existe depuis plusieurs années mais qui n’est pas un groupe d’action classique. Même si rien n'indique que de nombreuses discussions ont lieu au sein du groupe, les participants sont néanmoins intéressés par la théorie. Régulièrement des textes sont publiés, surtout des reprises, qui approfondissent l’un ou l’autre thème.

Le groupe est assez hétérogène, n’a pas de concept idéologique fixe (anarchiste, situationniste, moderniste, etc.)et développe surtout des activités dans le cadre de l’enseignement supérieur et de la science. Même si le noyau est resté pratiquement le même depuis plusieurs années, le groupe attire encore régulièrement des nouveaux, jeunes gens qui, avec des nouvelles idées, ravivent le groupe. Récemment encore par la publication de quelques contributions sur une stratégie utopique, qui pourrait éventuellement redonner une perspective à la lutte anticapitaliste :

Prenons par exemple l’article titré: "Ecotopia ", dans lequel on tend à présenter une alternative utopique d'une société où la nature est au centre, face à la dérive d’une croissance continue et de la consommation infinie, produits logiques du mode de production capitaliste ;

Un deuxième article sur le site, intitulé : " réalité au-dessus des rêves et de l’imagination ? " écrit : " les rêves sur un meilleur monde. Irréaliste! pas pratique! gaspillage de temps! dangereux ! Nous avons oublié la valeur de l’idéalisme. " ;

Dans un troisième article sur le site du KSU, nommé : " la pensée non pratique comme solution pratique ? " on lit : " …des autres font immédiatement le choix du but ultime et avancent des revendications utopiques " (…) " en élargissant le but, plus nombreux seront ceux qui peuvent s’y retrouver (…) cela parait utopique, mais c’est peut-être le façon la plus pratique de s’y prendre ".

Que ces trois articles cités expriment non seulement les besoins d’un groupe quelconque mais répondent aussi à un besoin plus large parmi les couches non exploiteuses, est confirmé par le fait qu’au cours de l’année passée, plusieurs livres sont parus sur le thème de l’utopie :

La nouvelle coopération entre la réalité et l’utopie (Walter Lotens) ;

De la crise vers l’utopie réalisable (Jan Bossuy) ;

La nouvelle démocratie et autres formes de politique (Willem Schinkel).

S’y ajoute d’autres initiatives:

Konfrontatie a consacré un numéro de sa revue pour une grande partie à la question de l’utopie ;

Une série de trois émissions de radio, il y a un an, traitait de l’idée utopiste ;

Dernièrement, a eu lieu une discussion de forum à Leiden sur le même sujet.

L’anticapitalisme donc, ne suffit pas. Cela entretemps, les camarades du KSU l’ont probablement également bien compris. Cela avait, en passant, déjà été souligné lors d’une contribution précédente sur le site du KSU (2). Il doit y avoir également une perspective, une perspective réelle d’une autre société. Celle-ci représente un autre avenir, constitue une attirance qui peut donner une orientation et une inspiration à la lutte actuelle. Selon Willem Schinkel, on aurait justement besoin de plus d’imagination utopique, car cela constitue un moyen de dépasser la "politique d’une simple gestion des problèmes".

Afin de dépasser la nature purement anticapitaliste de la lutte, certains soulignent l'importance des rêves. Parce que la pensée utopique est l'art de rêver d'une alternative. Pour transcender notre réalité, nous devons en effet apprendre à regarder au-delà de l'horizon du capitalisme et donner un contenu à une vision d'un monde alternatif et meilleur. Pour donner une forme dans nos têtes à un tel avenir, nous avons besoin de nous inscrire à un certain idéal, même s’il reste fondé sur une base matérielle. Libéré de la nécessité de rechercher une solution pratique à la misère quotidienne du capitalisme, un espace est libéré pour créer dans nos pensées une représentation idéale.

“L’imagination au pouvoir!”, a été le célèbre slogan de la révolte de mai 1968. Non pas que l'imagination suffise pour réaliser une autre société. Mais l'imagination peut avoir une fonction importante. "Nous devons à nouveau oser rêver. Parce que les rêves d'un monde meilleur, signifie une réflexion critique sur le monde actuel. Car si on réfléchit à des choses qui semblent impossibles, on est en mesure de penser en dehors du cadre, peu importe que notre idée soit oui ou non "réaliste" ("Réalité au-delà des rêves et de l'imagination?")

Le volet culturel de la lutte contre le capitalisme

La lutte contre le capitalisme se compose de trois éléments:

la lutte contre les attaques sur nos conditions matérielles de vie: notre revenu et sur l'éducation, sur la santé, .... ;

la lutte pour le pouvoir politique: le remplacement du système de la propriété privée par la propriété collective ;

la lutte contre l'aliénation, contre le rétrécissement de la conscience, contre l’abrutissement par un mode de vie comme une machine, comme des aspects importants du volet culturel de la lutte.

Ce troisième volet culturel de la lutte se caractérise par des caractéristiques fondamentales de l’homme, telles que l'engagement moral (la voix de l'intérieur) et les sentiments artistiques (le sens de la beauté), mais aussi par des aspects tels que l'imagination, la créativité, l'intuition. "L'imagination a tout;. Elle décide de la beauté, de la justice et du bonheur, qui signifient tout dans le monde" (Blaise Pacal) La lutte "pour le socialisme n'est pas seulement une question de pain et de beurre, mais un mouvement culturel ... ". (Rosa Luxemburg)

Dans les yeux de Henriette Roland Holst la lutte obtient toute son importance seulement quand la raison et l'intuition coulent conjointement. Il s’agissait pour elle d '"écouter la voix intérieure", où "la véracité et l’empathie sont les deux principales puissances psychiques “. Selon Henriette Roland Holst, le monde n’est pas connu dans son intégralité que par la raison. L’intuition, le sentiment, la perception et leur synthèse dans l’imagination sont les autres composants indispensables. (“Le communisme et la Morale")

"En élargissant l’objectif, plus de gens se reconnaîtront dans le but (....) Cela parait utopique ...” . En fait, dans la période actuelle, l’établissement d'une utopie dans le cadre de la lutte revendicative n'a jamais conduit à une forme de mobilisation générale des travailleurs, des étudiants, des chômeurs. La revendication "utopique": un revenu de base pour tous, qui depuis plusieurs décennies est mis en avant par les gauchistes, mène à l'opposé de l'unification dans la lutte. La revendication comparable de "gratuité de l’enseignement", qu’entre autre le KSU récemment avait mis en avant comme une revendication "utopique", n’a pas fonctionné. C’est parce que l’"utopie" ne se définit pas au niveau de la lutte matérielle, mais est une expression typique de la lutte "spirituelle".

Bien sûr, la lutte pour la défense des conditions matérielles de vie est et reste dans les circonstances actuelles, la première préoccupation dans la lutte de la classe. Parce que sans un minimum vital, la vie de toute façon n’est pas digne d’être vécue. Cependant la lutte contre le capitalisme et son idéologie étroite ne s’arrête pas là. Car la poursuite d’une véritable conscience, de la vérité, est motivée non seulement par des intérêts matériels, comme un revenu décent pour tous, mais aussi par l’idée d’une sorte d’ "idéal".

"Nous avons oublié la valeur de l'idéalisme." Non ! Mais sans nous considérer comme des idéalistes, la valeur la plus élevée de la lutte pour une autre société finalement ne se trouve pas sur le plan matériel, mais sur le plan de la conscience, de la lutte spirituelle. Et nous ne pouvons l'utiliser que si nous comprenons que l'idée créative en constitue un élément indispensable. Dépasser dans la tête – la représentation idéale donc - des limites du système actuel n'est pas possible sans faire appel à l'inspiration de l'imagination. Des structures idéales dans nos esprits sont capables de faire monter à la surface une force intérieure profonde, qui peut fournir un stimulus majeur à la lutte.

Il doit être clair qu’il serait myope de nous limiter aux sources d’inspiration, développées par les utopistes socialistes ci-dessus et Kropotkine. Nous devons considérer dans un contexte plus large la valeur de l’imagination, la pensée créative qui tout au long de l’histoire de l’humanité a toujours été une force majeure dans son progrès. En effet, les gens vivent également dans un monde d’idées et d’idéaux, dont la poursuite à certains moments peut être plus puissante que l’instinct de préserver le niveau des conditions matérielles immédiates. Ainsi, les révolutionnaires sociaux-démocrates en 1905, lors de la montée révolutionnaire en Russie, par exemple, ont été "surpris, rattrapés et dépassés par la turbulence du mouvement, ses nouvelles formes d’apparence, son imagination créatrice ....".

Un exemple d'un effort, conduit par l'imagination et l'inspiration, est la vie de Léon Tolstoï. La source de sa force venait des profondeurs de sa grande personnalité qui lui a donné le courage de rechercher sans préjudice la vérité. Comme a écrit Rosa Luxembourg dans le Leipziger Volkszeitung (1908) "tout au long de sa vie et de son œuvre, c’était en même temps une contemplation agitée de la vérité dans la vie humaine.” Il était un chercheur et un combattant, mais était loin d’être un socialiste révolutionnaire. "Avec son art, il a embrassé toute la passion humaine, toutes les faiblesses et les humeurs" qui lui ont permis, jusqu'à son dernier souffle, de lutter pour faire face aux problèmes sociaux les yeux ouverts.

Zyart / 15.01.2014

 

(1)KSU : Kritische Studenten Utrecht (Etudiants Critiques d’Utrecht)

(2)“Purement anticapitaliste? Peut-être nous ne le sommes pas tous”

 

Rubrique: 

Histoire et mouvement ouvrier

Internationalisme n° 361 - 3e et 4e trimestres 2014

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