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Internationalisme no 357 - 1er trimestre 2013

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Après Ford-Genk, Arcelor Mittal, Caterpillar... encore plus d'austérité, de licenciements, de précarité... l'unification et la solidarité sont nécessaires!

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Mais comment?

Après la fermeture de Ford-Genk, c’est 1.400 des 4.000 jobs qui sont supprimés chez Caterpillar. ArcelorMittal pour sa part arrête 7 de ses 12 lignes de production de l’acier à froid à Liège: 1.300 licenciements sont annoncés. Depuis 2011, 800 emplois avaient déjà disparu par la fermeture de la production à chaud.. À Bruxelles, à Gand, à Schoten et à Overpelt aussi, des licenciements ont été annoncés les deux dernières années. Ils font partie des 9.000 jobs qui disparaissent mondialement, selon ce que ArcelorMittal avait déjà annoncé en 2008 (1): la bourgeoisie belge «oublie» en effet souvent de mentionner les pertes d'emplois en France, en Espagne, au Luxembourg .... Et n’oublions pas d’autres drames dans des entreprises diverses, aussi bien en Belgique qu'à l'étranger: Beckaert, Belfius, Carsid, Dow Chemical, Duferco, ING, NLMK, Philips, Siemens… Dans tous ces cas, il s’agit de licenciements, de fermetures d’unités de production ou d'autres mesures d'économie. Les services publics n'échappent pas à la vague des rationalisations: les réformes du secrétaire d'État Bogaert prévoient un nouveau système d'évaluation qui apportera entre autres une charge de travail plus lourde, des promotions plus compliquées, une réduction des primes pour le travail de nuit et le week-end (2). Dans les CPAS aussi, on taille drastiquement dans les budgets: A Beringen, Malines, Rochefort, Zelzate…, il y a des licenciements et des suppressions de postes. Les contrats des temporaires ne sont pas prolongés, les gens qui partent à la retraite ne sont pas remplacés.

La Belgique n’échappe donc clairement pas à la crise: en 2012, près de 1.7000 emplois ont disparu (3), le nombre des faillites pour 2012 dépasse les 10.000 unités et le chômage augmente clairement, surtout parmi les jeunes (4). La fermeture de sites de production ici ne mène guère en outre à la réouverture d'autres à l’étranger. Il ne s’agit donc pas de simples «délocalisations», mais d’un rétrécissement effectif de la production mondiale. Et si de nouvelles unités de production ouvrent malgré tout, c’est pour presser encore plus le citron: ainsi Ford a déménagé une partie de la production de Genk vers Valence, où les salaires sont jusqu’à 42 % plus bas! Le malheur de l’un fait donc ... aussi le malheur de l’autre!

Qui est responsable de ce carnage? Est-ce Ford qui a trahi son «engagement» pour Genk? Est-ce Lakshmi Mittal qui s’est révélé un manager «non fiable»? Est-ce les gouvernements parce qu’ils ont avalé leurs promesses de protéger l'emploi? Non! La vraie cause pour ces catastrophes sociales n’est pas à chercher auprès d’entreprises spécifiques «non éthiques» de capitalistes «non fiables» ou de gouvernements «lâches». La généralité des attaques que la classe ouvrière subit en Belgique comme sur un plan mondial est la conséquence directe de la crise du capitalisme. De toute évidence, le capitalisme n’en peut plus!

Le capitalisme n'offre pas d'avenir

Depuis quelques années, les crises de l'immobilier, de la bourse, du commerce et de l'industrie, des banques et des dettes souveraines des États se succèdent sur le plan mondial. Entre-temps, la dette des États de la zone euro s’élève à 8.517 s'élève milliards d'euros, soit 95 pour-cent du produit intérieur brut de la zone (5). Quel Etat prendra le risque de financer ces dettes? Financer des dettes qui ne pourront jamais être repayées signifie en effet à terme devenir soi-même insolvable. C'est un risque qui menace par exemple l'Allemagne. Comment le système va-t-il alors financer cette relance absolument nécessaire, qui devrait arrêter le carnage dans l'économie? Toujours plus d'économies et de rationalisations diminueront encore plus fortement le pouvoir d'achat, avec pour conséquence que les produits seront encore moins vendus et donc qu’il y aura encore des rationalisations, des fermetures, des baisses des salaires…. Ou le système va-t-il écumer maintenant le marché de l'épargne en imposant des taux d’épargne faibles, comme en Belgique avec des taux d'intérêt qui plongent en dessous des 1%, alors que l'inflation s'élève à 2,76%? Dans ce cas, la réserve financière que beaucoup de familles ouvrières ont établie pour faire face aux contretemps potentiels, aux dettes courantes (emprunts) et à la pauvreté fondra comme neige au soleil. Quelle que soit la méthode choisie, à terme le pouvoir d'achat diminuera une fois de plus fortement.

Faire marcher la planche à billet alors, comme le font les EU, le Japon et le Royaume Uni en mettant sur le marché des emprunts à faible taux d'intérêt? Mais ainsi, on accroît le puits sans fond de la dette et on en revient au début du problème, car en fin de compte, pour chaque somme d’argent, une contrepartie en valeur réelle est nécessaire. Donc pas de l’argent fictif, comme c’est le cas de notre épargne que la banque fait circuler sous la forme d'un emprunt, tandis qu’on nous fait croire qu'il se trouve toujours sur notre compte. Pour rembourser les dettes il faut donc créer et vendre une nouvelle valeur effective (sous la forme de marchandises).

Comment surgit la nouvelle valeur? «La valeur d'une marchandise est déterminée par la quantité de travail totale contenue dans la marchandise. Une partie de cette quantité de travail est réalisée dans une valeur pour laquelle un équivalent est payé sous forme du salaire; une autre partie toutefois est réalisée dans une valeur pour laquelle aucun équivalent n'a été payé (la plus-value). Une partie du travail que comprend la marchandise est du travail payé; une partie est du travail non rémunéré» (6). Si les capitalistes de ce monde réussissent à vendre suffisamment leurs marchandises, ils empochent la plus-value et font du profit. «Évidemment, les ouvriers achètent ces marchandises… à la hauteur de leurs salaires. Il en reste donc une bonne partie encore à vendre. Sa valeur est équivalente à celle du travail des ouvriers qui ne leur a pas été payée. Elle seule a ce pouvoir magique pour le Capital de générer du profit. Les capitalistes eux aussi consomment… et ils ne sont d’ailleurs en général pas trop malheureux. Mais ils ne peuvent pas à eux seuls acheter toutes les marchandises porteuses de plus-value. Cela n’aurait d’ailleurs aucun sens. Le Capital ne peut s’acheter à lui-même, pour faire du profit, ses propres marchandises; ce serait comme s’il prenait l’argent de sa poche gauche pour le mettre dans sa poche droite. Personne ne s’enrichit ainsi, les pauvres vous le diront. Pour accumuler, se développer, le Capital doit donc trouver des acheteurs autres que les ouvriers et les capitalistes. Autrement dit, il doit impérativement trouver des débouchés en-dehors de son système, sous peine de se retrouver avec des marchandises invendables sur les bras et qui viennent engorger le marché: c’est alors la “crise de surproduction”!» (7)

Si les entreprises arrêtent de tourner aujourd’hui, ce n'est donc pas parce que les ouvriers ne veulent pas travailler ou parce qu’il n’y a plus de besoins, mais parce que les capitalistes n’y ont plus rien à gagner. Les débouchés solvables sont soit insuffisants soit inexistants et les profits ne peuvent donc être obtenus que par une exploitation sociale encore plus grande. Voilà pourquoi les entreprises ferment leurs portes, baissent les frais de production, augmentent la productivité, voilà pourquoi les frais improductifs (sécurité sociale, allocations de chômage, retraites) sont réduits de manière drastique. Le système capitaliste mondial est dans l’impasse!

Que pouvons-nous faire contre la dégradation de nos conditions de vie et de travail? Comment pouvons-nous faire face aux attaques? Dans son histoire, le capitalisme n'a jamais été pacifique, raisonnable, moral ou durable. Il n'a jamais concédé de son plein gré des améliorations aux ouvriers ou à d'autres exploités. Le mouvement ouvrier a toujours été un mouvement de lutte. Sans résistance, les exploiteurs gardent l’initiative. Ces dernières années, on constate à nouveau une combativité ascendante au sein de la classe ouvrière mondiale. En Belgique aussi, les ouvriers montrent des signes de combativité. Cela s’est vu à Ford-Genk et surtout auprès des sous-traitants, à ArcelorMittal Liège, dans les manifestations des fonctionnaires en 2012 et 2013… Mais le ras-le-bol et la combativité seuls ne sont pas suffisants pour développer une résistance efficace. L'indignation ne réussit pas véritablement à se transformer en un mouvement de résistance vigoureux. Pourquoi pas?

Le corporatisme = une voie sans issue

Pour construire un rapport de force, l'unité est nécessaire. Et pour y arriver, la solidarité est exigée. Mais la bourgeoisie en appelle aussi par le biais de ses différents organes, comme les syndicats, le gouvernement (national, ou régional ou local), les partis bourgeois, les mass media… à la «solidarité», mais de quelle sorte!

«La solidarité, bien sûr», avance le bourgeoisie, mais alors au sein de l’entreprise, du secteur et de la région. La solidarité «bourgeoise» enferme les ouvriers dans le corporatisme et le régionalisme.

Pourquoi les ouvriers de Liège et de Genk ne se sont-ils pas retrouvés, alors qu’ils ne sont séparés que par 50 km et que leurs problèmes sont les mêmes? Pourquoi les manifestations se tiennent-elles à différents endroits et à différents moments et en plus de manière aussi locales que possible? Ainsi la «marche pour l'avenir» s’est tenue le 11 novembre à Genk, alors que le 14 novembre avait lieu à Bruxelles une manifestation européenne. Le 26 janvier, il y avait une manifestation à Seraing, tandis que le 7 février, une manifestation de fonctionnaires était prévue à Bruxelles. Et une autre manifestation devait encore avoir lieu le 21 février à Bruxelles.

Ce fractionnement des ouvriers est orchestré par les syndicats en personne pour exterminer dans l’oeuf tout germe d’unification de la lutte et de discussion. Que les syndicats sabotent chaque forme de solidarité et d'unité, est bien ressenti par des parties du prolétariat: des ouvriers des sous-traitants de Ford-Genk se sont détachés des syndicats et se sont organisés dans un comité de grève indépendant. Mais est-ce bien suffisant? Malgré le mécontentement de ces ouvriers vis-à-vis des syndicats, ils n'ont pas rompu avec la logique corporatiste. Le comité exigeait en effet des primes de licenciement aussi élevées que celles des ouvriers de l'usine de Ford elle-même. Ils veulent être aussi «Ford» que ceux de «Ford». Est-ce suffisant d’être furieux au sujet d'une mauvaise répartition de la pauvreté? Ne faut-il donc pas exprimer un ras-le-bol de la pauvreté elle-même? Ne devons-nous pas être solidaires contre la pauvreté? La «solidarité» des syndicats correspond à l'acceptation de la misère au nom de l'économie nationale! Et c'est parfaitement compréhensible, car les syndicats sont depuis des dizaines d'années une partie intégrale de l'état capitaliste. Ils sont les chiens de garde des intérêts de l’Etat au sein des usines.

Pas de solidarité avec l'économie nationale!

«La solidarité, bien sûr», renchérit la bourgeoisie, mais alors avec les forces sociales et politiques au sein du système démocratique. La «solidarité» bourgeoise enferme les ouvriers dans la logique du capitalisme national.

Beaucoup d'ouvriers, dont ceux de Ford et d’ArcelorMittal, placent tout leur espoir dans l’intervention des autorités. Ils ont même plus souvent confiance dans les pouvoirs régionaux ou locaux que dans les autorités nationales. Aucun gouvernement ne peut toutefois offrir une réponse à leurs problèmes, étant donné que la tâche du gouvernement est la gestion et la défense des intérêts de l'économie nationale. Que l'Etat soit belge, flamand, wallon, catalan, écossais ou palestinien, aucun ne peut échapper à la faillite du capitalisme. Les gouvernements ne peuvent pas réaliser leurs promesses, par exemple pour assurer le maintien en activité des haut fourneaux à Liège (sous le contrôle direct de l'Etat ou par un repreneur privé). Ils racontent des bobards aux ouvriers. Rappelons-nous l’interminable et épuisante procédure avant la fermeture définitive d'Opel Anvers. Les intérêts nationaux demandent toujours plus de sacrifices et d'exploitation et sont donc antagoniques aux intérêts de la classe ouvrière. «Les ouvriers n'ont pas de patrie.» (8)

La démocratie n'est-elle pas un appareil politique du peuple et pour le peuple? Non! La démocratie capitaliste se distingue de la dictature ouverte par le fait qu’en apparence elle accorde un droit de décision à ses ressortissants. Ainsi elle lie la classe ouvrière à ses intérêts qui ne sont rien d'autre que les intérêts du capital national et donc du capitalisme. Ou comme le mouvement de l'Indignados en Espagne l’a affirmé: «c'est une dictature, mais tu ne le vois pas ». Rechercher la solidarité avec l'Etat démocratique mène au suicide pour la classe ouvrière.

L'élargissement, l'unification, la solidarité de classe!

En 2011 et en 2012 il y a eu de manière massive sur tous les continents des protestations, des grèves et des manifestations: de la Norvège jusqu'au Portugal, de l'Inde jusqu'à la Turquie, de l'Égypte jusqu'à la Chine. En septembre, des centaines de milliers de personnes ont manifesté au Portugal, des dizaines de milliers en Espagne, en Grèce et en Italie. Au Japon, depuis 1970, il n’y avait plus eu des manifestations contre les conditions de vie d’une telle ampleur (170.000 manifestants à Tokyo). Les mouvements les plus frappants ont été ceux des Indignés et d'Occupy en 2011, qui ont surtout été portés par les jeunes et les chômeurs en Espagne, en Grèce et aux EU. Partout la question était posée de comment faire face à de telles attaques, comment organiser la lutte, quelle perspective mettre en avant. Trois besoins centraux pour la lutte ont constamment été avancés: (a) l'élargissement et l'unification de la lutte, (b) le développement de la solidarité active parmi les travailleurs salariés, les chômeurs et les jeunes et (c) une large discussion au sujet de l'alternative pour le système actuel en faillite. Ces différents aspects dépendent l’un de l’autre et se nourrissent mutuellement.

Pour construire un rapport de force effectif contre le capitalisme, la classe ouvrière doit s’unifier au delà des frontières des entreprises, des secteurs, des régions et des nations. Un tel mouvement d’unification exige de la solidarité. Toute prime de licenciement, toute concession apparente du capital n’est qu’une aumône et ne remet pas en question les fondements de la misère. Une attitude défensive ne suffit pas. La solidarité mutuelle contre le système et sa logique est plus que jamais nécessaire. Les ouvriers en Pologne en 1980 l’ont bien compris, tout comme les ouvriers en Belgique en 1986. Des délégations massives ont été envoyées vers d’autres régions, villes, secteurs, lieux de travail… pour persuader les ouvriers de participer à une lutte commune. En Pologne, le mouvement s’est développé jusqu’à devenir le mouvement de lutte le plus important depuis 1968 et à faire vaciller le régime stalinien. En Belgique, le mouvement a connu son apogée au cours des mois avril et mai, quand les mineurs, les ouvriers de l'automobile, les métallurgistes, les enseignants, les lycéens, les éboueurs, les dockers, les ouvriers des transports en commun ont été impliqués… dans un tourbillon des grèves spontanées et de manifestations (pendant lequel les trains ont continué à rouler en fonction du mouvement de lutte!). Ceci a été le résultat d'une recherche active de la solidarité qui a nourri l'élargissement et l'unification de la lutte.

Comment développer cette solidarité? En ne faisant pas confiance aux syndicats ou à d'autres «spécialistes», mais bien à notre propre force en tant que classe. La force de la classe ouvrière ne se situe pas seulement dans sa capacité à arrêter une partie ou même la totalité de la production. La grève est une arme importante, mais doit être utilisée en fonction du renforcement de la solidarité de classe. La force du prolétariat se trouve surtout dans sa capacité à construire une nouvelle société. Elle est en effet le cœur de l'appareil de production: elle est constituée de l’ensemble des producteurs qui doivent chaque jour collaborer. Elle a la capacité de transformer la production: d'un système où la production est placée sous le signe du profit, vers un système où la production vise la satisfaction des nécessités et des besoins. Le fait que le prolétariat est la seule classe qui produit collectivement, fait qu’elle est aussi la seule classe qui peut développer une véritable solidarité. Cette solidarité et cette unité sont non seulement nécessaires, mais elles sont aussi possibles.

Alex/ 06.03.2013

 

(1) The New York Times, 2008, https://www.nytimes.com/2008/11/27/business/worldbusiness/27iht-steel.4.... [2]

(2) De Wereld Morgen, 2013, https://www.dewereldmorgen.be/artikels/2013/02/07/federale-ambtenaren-be... [3]

(3) Le Soir, 2012, le https://archives.lesoir.be/l-annee-2012-a-co%FBte-17.000-jobs-en-chiffre... [4]…

(4) De standard, 2012, https://www.standaard.be/artikel/detail.aspx?artikelid=DMF20121203_00390... [5]

(5) Reuters, 2013, https://graphics.thomsonreuters.com/F/09/EUROZONE_REPORT2.html [6]

(6) Marx, 1865,Salaire, prix et profit.

(7) Internationalisme n 353, «la crise de la dette, pourquoi?», 1ier trimestre 2012, https://fr.internationalism.org/isme353/la_crise_de_la_dette_pourquoi.html [7]

(8) Marx, 1848, manifeste communiste

Géographique: 

  • Belgique [8]

Situations territoriales: 

  • Situation économique en Belgique [9]

Rubrique: 

Attaques et austérité

Intervention au Mali: encore une guerre au nom de la paix et de la libération des populations!

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« Ce que nous avons fait était pour libérer... » : voici ce que le président Hollande pouvait déclarer devant les caméras lors de sa visite du 2 février dernier à Tombouctou. Difficile de ne pas se laisser prendre au jeu des apparences! En effet, c’est bien une foule en liesse, agitant des drapeaux tricolores et maliens, chantant et vantant les mérites du Président français, qui a accueilli le «héros national du Mali». Hollande, le «grand libérateur», ne s’est probablement pas trompé en y voyant «la journée la plus importante de sa vie politique». La communication est une arme stratégique et, comme Mitterrand l’avait fait à Sarajevo en son temps, Hollande a voulu marquer les esprits d’un sentiment de légitime victoire au nom d’un prétendu combat «pour la paix». Par contre, pas une image du conflit n’a filtré, pas l’ombre d’un cadavre, aucune trace des bombardements massifs de l’armée française au Nord du Mali, à peine quelques mots chuchotés des exactions des troupes maliennes. Circulez, il n’y a rien à voir! Tout cela ne porte pas à critique, tant le travail de propagande a été facilité par la terreur même des fondamentalistes et hordes mafieuses d’un côté et la liesse d’une population exsangue soulagée, pouvant enfin «se mettre à chanter» de l’autre! La cruauté des bandes armées qui régnaient au Nord du Mali ne fait aucun doute. Ces seigneurs de guerre sèment la mort et la terreur partout où ils passent. Mais, contrairement à ce que nous racontent en chœur politiciens et journalistes, les motifs de l’intervention française n’ont évidemment rien à voir avec les souffrances des populations locales. L’Etat français ne vise qu’à défendre ses sordides intérêts impérialistes. En réalité, l’allégresse des populations sera de courte durée. Quand une «grande démocratie» passe avec ses chars, l’herbe n’est jamais plus verte après! Au contraire, la désolation, le chaos, la misère, sont les preuves de leur intervention. La carte ci-dessous détaille les principaux conflits qui ont ravagé l’Afrique dans les années 1990 et les famines qui l’ont frappé. Le résultat est spectaculaire: chaque guerre – souvent opérée sous la bannière du droit à l’ingérence humanitaire, comme en Somalie en 1992 ou au Rwanda en 1994 – a entraîné de graves pénuries alimentaires. Il ne va pas en être autrement au Mali. Cette nouvelle guerre, paradoxalement, va déstabiliser la région entière et accroître considérablement le chaos.

Une guerre impérialiste

«Avec moi Président, c’est la fin de la ‘Françafrique’». Ce mensonge grossier de François Hollande pourrait prêter à rire s’il n’impliquait pas une logistique militaire imposante et de nouvelles victimes. Il y a autant de soldats mobilisés qu’en Afghanistan, 4000 hommes! Selon le ministre de la défense français : « Nous avons acheminé 10.000 tonnes de matériel en quinze jours. C’est autant que ce que nous avons transporté en un an lors du retrait d’Afghanistan. » L’utilisation du matériel aérien est particulièrement intensive, notamment avec les frappes aériennes au nord de Kidal.

La gauche n’a de cesse de mettre en avant son humanisme mais, depuis près d’un siècle, les valeurs dont elle se drape ne servent qu’à dissimuler sa réelle nature: une fraction bourgeoise qui comme les autres est prête à tout, à tous les crimes, pour défendre l’intérêt national. Car c’est bien de cela qu’il s’agit au Mali: défendre les intérêts stratégiques de la France. Comme François Mitterrand qui avait décidé d’intervenir militairement au Tchad, en Irak, en ex-Yougoslavie, en Somalie et au Rwanda, François Hollande prouve que les «socialistes» n’hésitent jamais à protéger leurs «valeurs» (entendre les intérêts bourgeois de la nation française) à la pointe de la baïonnette.

Depuis le début de l’occupation du Nord du pays par les islamistes, les grandes puissances, en particulier la France et les Etats-Unis, poussaient en coulisses les pays de la zone à s’impliquer militairement en leur promettant financements et moyens logistiques. Mais à ce petit jeu d’alliances et de manipulations, l’État américain semblait plus doué et gagner peu à peu en influence. Se faire ainsi damer le pion au cœur de son «pré-carré» était tout simplement inacceptable pour la France, elle se devait de réagir et de taper un grand coup: «A l’heure des décisions, la France a réagi en usant de son ‘droit-devoir’ d’ancienne puissance coloniale. Le Mali se rapprochait certes un peu trop des Etats-Unis, au point d’apparaître comme le siège officieux de l’Africom, le commandement militaire unifié pour l’Afrique, instauré en 2007 par George Bush et consolidé depuis par Barack Obama» (Courrier international du 17 janvier 2013).

En réalité, dans cette région du globe, les alliances impérialistes sont d’une infinie complexité et très instables. Les amis d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain quand ils ne sont pas les deux en même temps! Ainsi, tout le monde sait que l’Arabie Saoudite et le Qatar, ces «Grands alliés» déclarés de la France et des Etats-Unis, sont aussi les principaux bailleurs de fonds des groupes islamiques agissants au Sahel. Il n’y a donc aucune surprise à lire dans les colonnes du Monde du 18 janvier, le Premier ministre du Qatar se prononcer contre la guerre que la France a engagée au Mali en mettant en doute la pertinence de l’opération «Serval». Et que dire des superpuissances que sont les Etats-Unis et la Chine qui soutiennent officiellement la France pour mieux agir en coulisses et continuer d’avancer leurs pions?

Selon Hollande, «le combat n'est pas terminé»

Conscient des difficultés, le président français n’a pas hésité à déclarer: «Le terrorisme a été repoussé, chassé, mais il n’a pas encore été vaincu. » Si Gao, centre névralgique de la lutte contre les islamistes radicaux a été reprise comme tout le nord du Mali, les zones montagneuses restent un ultime refuge pour des groupes terroristes bien armés et fanatisés, conditions qui rappellent la situation et le terrain difficiles de l’Afghanistan. On ne peut, en outre, s’empêcher aussi de faire un rapprochement avec la Somalie. «La violence dans le pays, à la suite des tragiques événements de Mogadiscio au début des années 1990, s’est propagée dans toute la Corne de l’Afrique qui, vingt ans après, n’a toujours pas retrouvé sa stabilité.» (A. Bourgi, Le Monde du 15 janvier 2013). Cette dernière idée doit être soulignée: la guerre en Somalie a déstabilisé toute la Corne de l’Afrique qui, «vingt ans après, n’a toujours pas retrouvé sa stabilité». Voilà ce que sont ces guerres prétendument «humanitaires» ou «antiterroristes». Quand les «grandes démocraties» brandissent le drapeau de l’intervention guerrière pour défendre le «bien-être des peuples», la «morale» et la «paix», elles laissent toujours derrière elles des champs de ruines où règne l’odeur de la mort.

De la Libye au Mali, de la Côte d’Ivoire à l’Algérie, le chaos se généralise

«Impossible (…) de ne pas noter que le récent coup d’Etat (au Mali) est un effet collatéral des rébellions du Nord, qui sont elles-mêmes la conséquence de la déstabilisation de la Libye par une coalition occidentale qui n’éprouve étrangement ni remords ni sentiments de responsabilité. Difficile aussi de ne pas noter cet harmattan kaki qui souffle sur le Mali, après être passé par ses voisins ivoirien, guinéen, nigérien et mauritanien » (Courrier international du 11 avril 2012). En effet, nombreux ont été les groupes armés qui se battaient aux côtés de Kadhafi qui se trouvent aujourd’hui au nord du Mali, et ailleurs, avec leurs armements après avoir vidé les caches d’armes libyens. Pourtant, en Libye aussi, la «coalition occidentale» intervenait prétendument pour faire régner l’ordre et la justice, pour le bien être du peuple libyen… Aujourd’hui, la même barbarie est subie par les opprimés de cette région du monde et le chaos ne cesse de s’étendre. Ainsi, avec cette guerre au Mali, l’Algérie elle même se trouve aujourd’hui déstabilisée. Depuis le début de la crise malienne, le pouvoir algérien menait un double jeu, comme l'ont montré deux faits significatifs: d’un côté la «négociation» ouverte avec certains groupes islamistes, laissant même certains s’approvisionner sur son sol en grosses quantités de carburant lors de leur offensive pour la conquête de la ville de Konna en direction de Bamako; d’un autre côté, Alger a autorisé le survol de son espace aérien aux avions français pour bombarder les groupes djihadistes au Nord du Mali. Ce positionnement contradictoire et la facilité avec laquelle les éléments d’AQMI ont pu accéder au site industriel le plus «sécurisé» du pays, tout cela a montré le caractère décomposé des rouages de l’Etat comme de la société. A l’instar des autres Etats du Sahel, l’implication croissante de l’Algérie ne peut qu’accélérer le processus de décomposition en cours.

Toutes ces guerres indiquent que le capitalisme est plongé dans une spirale extrêmement dangereuse et qui met en péril la survie même de l’humanité. Progressivement, des zones entières du globe plongent dans le chaos et la barbarie. S’entremêlent la sauvagerie des tortionnaires locaux (seigneurs de guerre, chefs de clans, bandes terroristes…), la cruauté des seconds couteaux impérialistes (petits et moyens Etats) et la puissance dévastatrice des grandes nations, chacun étant prêt à tout, à toutes les intrigues, à tous les coups bas, à toutes les manipulations, à tous les crimes, à toutes les atrocités… pour défendre ses minables et pathétiques intérêts. Les incessants changements d’alliances donnant à l’ensemble des allures de danse macabre.

Ce système moribond ne va cesser de s’enfoncer, ces conflits guerriers ne vont faire que s’étendre, embrasant des régions du globe toujours plus vastes. Choisir un camp, au nom du moindre mal, c’est participer à cette dynamique qui n’aura d’autre issue que la mort de l’humanité. Il n’y a qu’une seule alternative réaliste, qu’une seule façon de sortir de cet engrenage infernal: la lutte massive et internationale des exploités pour un autre monde, sans classe ni exploitation, sans misère ni guerre.

Amina/15.02.2013

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Guerre

Tunisie, Egypte: l'impasse des "révolutions arabes"

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Alors que les prétendues «révolutions arabes» fêtaient leur deuxième anniversaire, les émeutes et les manifestations massives qui se produisent ces derniers mois et ces dernières semaines en Égypte et en Tunisie sont venues rappeler à la face du monde que le départ des dictateurs Ben Ali et Moubarak n’avait rien réglé. Bien au contraire, la situation économique avec son cortège de chômage grandissant, de misère et d’attaques anti-ouvrières s’est aggravée. Et l’autoritarisme régnant comme la violence de la répression qui s’abattent aujourd’hui sur les manifestants n’ont rien à envier à ce qui prévalait auparavant.

Une colère et un courage immenses…

La Tunisie, où l’immolation par le feu du jeune Mohammed Bouazizi avait été le déclencheur du «Printemps arabe», traverse une grave crise sociale, économique et politique. Le taux de chômage officiel est de 17% et les grèves se multiplient dans de nombreux secteurs depuis des mois. La colère qui s’est exprimée si ouvertement et massivement dans de nombreuses villes du pays n’a donc pas explosé dans un ciel serein. En décembre déjà, de jeunes chômeurs s’étaient violemment opposés à la police dans la ville de Siliana, en protestation contre le programme d’austérité annoncé par le président Moncel Marzouki, provoquant des manifestations de solidarité contre la répression et ses 300 blessés, dont certains par chevrotines, dans plusieurs grandes villes et dans la capitale. Le président tunisien avait alors déclaré devant la tension sociale grandissante: «Nous n’avons pas une seule Siliana. J’ai peur que cela se reproduise dans plusieurs régions.» Et c’est l’assassinat de l’opposant laïc Chokri Belaïd qui a tout dernièrement poussé une nouvelle fois la population dans la rue, tandis que son enterrement était l’occasion pour les 50.000 personnes présentes dans le cortège funéraire d’appeler à «une nouvelle révolution» et de réclamer «Du pain, la liberté et la justice sociale», slogan principal de 2011. Dans une douzaine de villes, outre des postes de police, comme un commissariat du centre de Tunis, des locaux du parti islamiste Ennahda au pouvoir étaient attaqués, et l’armée déployée pour contenir les manifestations de masse à Sidi Bouzid d’où était partie la «révolution de jasmin» il y a deux ans.

Pour calmer la situation et récupérer le mouvement, le syndicat UGTT (Union générale de Tunisie) a appelé à une grève générale, une première depuis 35 ans en Tunisie, tandis que le gouvernement organisait un simulacre de changement parmi des dirigeants de l’État en attendant les élections législatives de juin. A l’heure actuelle, la tension semble être retombée mais il est clair que la colère va continuer à gronder d’autant que la promesse d’un prêt à venir du Fonds monétaire international va impliquer de nouvelles mesures d’austérité drastiques.

En Égypte, la situation n’est pas meilleure. Le pays est en cessation de paiement. En octobre dernier, la Banque mondiale a publié un rapport qui exprimait son «inquiétude» devant la multiplication des grèves, avec un record de 300 pour la seule première moitié de septembre. La fin de l’année avait vu se dérouler de nombreuses manifestations anti-gouvernementales, en particulier autour du referendum organisé par les Frères musulmans pour légitimer leur pouvoir, mais c’est depuis le 25 janvier, jour du deuxième anniversaire du déclenchement de la «révolution égyptienne», que la contestation s’est amplifiée. Jour après jour, des milliers de manifestants ont dénoncé les conditions de vie imposées par le nouveau gouvernement et réclamé le départ de Morsi.

Mais c’est encore la colère face à la répression qui a mis le feu aux poudres. En effet, l’annonce le 26 janvier de la condamnation à mort de 21 supporters du club al-Masry de Port-Saïd impliqués dans le drame de fin de match du 1er février 2012 (1) où 77 personnes avaient trouvé la mort, a été le prétexte à cette flambée de violence. Les manifestations pacifiques auxquelles avait appelé le Front du Salut National, la principale force d’opposition, ont donné lieu à des scènes de guérilla urbaine. Le soir du 1er février, place Tahrir et devant le palais présidentiel, des milliers de manifestants se sont livrés à une bataille rangée avec les forces de l’ordre. Le 2 février encore, ils étaient plusieurs milliers à jeter des pierres et des cocktails-Molotov contre l’enceinte du bâtiment. En une semaine, les émeutes violemment réprimées se sont soldées par plus de 60 morts, dont 40 à Port-Saïd. Une vidéo montrant un homme nu, battu par des policiers, n’a fait qu’aviver la colère déjà grande des manifestants.
Malgré le couvre-feu instauré par le régime, des manifestations avaient lieu dans trois villes situées sur le canal de Suez. Un manifestant déclarait: "Nous sommes dans les rues maintenant, car personne ne peut nous imposer sa parole (...) nous ne nous soumettrons pas au gouvernement."
Dans la ville d'Ismaïlia, outre les manifestations, des matches de football ont été organisés par les habitants pour défier le couvre-feu comme le durcissement du régime, et le siège des Frères musulmans était incendié.

Devant l’ampleur et la rage exprimée dans le mouvement, les policiers, craignant pour eux-mêmes, ont manifesté dans dix provinces le 12 février pour demander au gouvernement de ne pas les utiliser comme instruments de répression dans les troubles qui ébranlent le pays! Déjà, en décembre, nombre d’entre eux avaient refusé de s’affronter contre les manifestants au Caire et s’étaient déclarés opportunément «solidaires» de ces derniers.

… mais sans espoir…

Les leitmotivs qui peuvent s’entendre dans toutes ces manifestations sont: «Ennahda, dégage!» et «Morsi, dégage!», comme, il y a deux ans, on entendait «Ben Ali, dégage!» et «Moubarak, dégage!». Mais si, début 2011, l’heure était à l’espoir de changement, à l’ouverture d’une voie royale vers la liberté «démocratique», en 2013, l’heure est au désenchantement et à la colère. Cependant, au fond, s’exprime toujours la même illusion démocratique qui subsiste, ancrée fortement dans les esprits.. Celle-ci est entretenue par tout le battage idéologique actuel montrant du doigt le fanatisme religieux, présenté comme le grand responsable de la répression et des assassinats, ce qui masque en fait la continuité de l’appareil répressif de la bourgeoisie. C’est ce qu’on a vu de façon frappante en Égypte comme en Tunisie, où le pouvoir a réprimé sans vergogne, alors qu’il était impuissant jusqu’alors face aux grèves ouvrières parce que les illusions se paient et se paieront toujours plus dans des bains de sang. Après le départ des dictateurs «laïcs» sont venus les dirigeants religieux, qui tentent d’imposer «démocratiquement» une autre dictature, celle de la charia, sur laquelle tout est focalisé, mais il s’agit de la même: la dictature de la bourgeoisie et de son État sur la population, celle de l’exploitation forcenée de la classe ouvrière(2).

La même question se pose concernant la croyance en la possibilité de «changer la vie» en choisissant telle ou telle clique de la bourgeoisie. Car, comme on l’a encore vu récemment, ce sont aussi ces illusions-là qui ont fait le lit de la répression et de l’explosion de la violence étatique. Cela est particulièrement vrai dans ces pays conduits depuis des décennies par des fractions bourgeoises arriérées, maintenues à bout de bras par les pays développés, et dans lesquels aucune équipe de rechange avec une perspective viable, sinon les massacres de population, n’est possible. Il n’y a qu’à voir l’état de déliquescence des coalitions au pouvoir dans les deux pays, passant leur temps à se faire et se défaire, sans être en mesure de dessiner un programme économique à peu près crédible, la vitesse avec laquelle la situation de pauvreté s’est généralisée et accélérée, avec une crise agraire, donc d’alimentation, sans précédent. Ce n’est pas la question que les dirigeants seraient plus stupides qu’ailleurs, mais cela manifeste l’impasse complète dans laquelle se trouve la bourgeoisie de ces pays, qui n’a pas de marge de manœuvre, reflets de toute la bourgeoisie mondiale et du système capitaliste en entier qui n’ont aucune solution à offrir à l’humanité.

«Le peuple veut une autre révolution» criaient les jeunes chômeurs de Siliana. Mais si «révolution» veut dire changement de gouvernement ou de régime, en attendant d’être mangé tout cru par les nouveaux caciques au pouvoir, ou encore si cela signifie focalisation et combats de rue et affrontements contre telle ou telle fraction de la bourgeoisie, désorganisés face à des tueurs professionnels armés par les grandes puissances, ce n’est plus un leurre mais du suicide.

Il est significatif que si les populations égyptiennes et tunisiennes ont à nouveau relevé la tête c’est parce qu’en leur sein il existe une forte composante ouvrière, qu’on avait vu clairement s’exprimer en 2011 par une multitude de grèves. Mais c’est justement à elle qu’il revient de ne pas se laisser happer par toutes les illusions drainées par les anti-islamistes et/ou les pro- ou anti-libéraux de tout poil. La poursuite des grèves démontre en effet la force potentielle du prolétariat pour défendre ses conditions de vie et de travail et il faut saluer son immense courage.

… tant que la lutte ne se développera pas dans les pays centraux

Mais ses luttes ne pourront offrir une réelle perspective tant qu’elles resteront isolées. On avait assisté en 1979, en Iran, à une série de révoltes et de grèves ouvrières qui avaient aussi démontré la force des réactions prolétariennes mais qui, enfermées dans un cadre national faute de perspectives et d´une maturation insuffisante des luttes ouvrières au niveau mondial, avaient été étouffées par les illusions démocratiques et prises dans le carcan des affrontements entre cliques bourgeoises. C’est le prolétariat occidental, par son expérience et sa concentration, qui porte la responsabilité de donner une véritable perspective révolutionnaire. Les mouvements des Indignés en Espagne et des Occupy aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne se sont explicitement référés à la continuité des soulèvements en Tunisie et en Égypte, à leur immense courage et leur incroyable détermination. Le cri poussé lors du «printemps arabe», «Nous n’avons plus peur», doit effectivement être source d’inspiration pour tout le prolétariat mondial. Mais c’est seulement le phare de l’affirmation des assemblées ouvrières, au cœur du capitalisme, dressées contre les attaques du capitalisme en crise qui peut offrir une alternative permettant réellement le renversement de ce monde d’exploitation qui nous plonge toujours plus profondément dans la misère et la barbarie.

Il ne faut pas que la classe ouvrière minimise le poids réel dont elle dispose dans la société, de par sa place dans la production mais aussi et surtout dans ce qu’elle représente comme perspective pour toute la société et pour l’avenir du monde. En ce sens, si les ouvriers d'Égypte et de Tunisie ne doivent pas se laisser berner par les mirages de l’idéologie bourgeoise démocratique, il est de la responsabilité de ceux des pays centraux de leur montrer le chemin. C’est en Europe particulièrement que les prolétaires ont la plus longue expérience de confrontation à la démocratie bourgeoise et aux pièges les plus sophistiqués dont elle est capable. Il se doivent donc de cueillir les fruits de cette expérience historique et d’élever bien plus haut qu’aujourd’hui leur conscience. En développant leurs propres luttes, en tant que classe révolutionnaire, ils briseront l’isolement actuel des luttes désespérées qui secouent nombre de régions à travers la planète et redonneront ainsi l’espoir de la possibilité d’un nouveau monde à toute l’humanité.

Wilma/15.01.2013

1)Lire notre article sur notre site web : fr.internationalism.org/./drame_a_port_said_en_egypte_une_provocation_ policiere_pour_baillonner_la_revolte_populaire.html

2) Lire notre article sur notre site web : fr.internationalism.org/./egypte_un_changement_de_regime_n_est_pas_une _revolution

 

Rubrique: 

International

L'internationalisme comme réponse à la problématique kurde: le nationalisme ne peut jamais être à la base d'une société sans classes

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Début août 2012, une Rencontre internationale anarchiste s’est tenue dans la commune de St Imier (Jura suisse). Un des conférenciers était le porte-parole de Fekar (1). L'initiative de lui donner la parole a été prise par le groupe suisse du Forum des anarchistes germanophones, qui s'efforce de réunir les anarchistes turcs/kurdes dans une seule fédération.

Selon le conférencier, le PKK (Parti ouvrier kurde, un parti avec des origines maoïstes et staliniennes, en kurde: Partiya Karkerên Kurdistan) «serait arrivé à la conclusion, fin des années quatre-vingt-dix, que même si les Kurdes n'ont pas encore leur propre État, des problèmes avec l'autorité dans leur propre mouvement se posaient déjà, problèmes qui correspondent à ceux au sein d'un État. Le PKK s'est dès lors éloigné d'une «orientation prolétarienne» et d'un modèle d'un État national indépendant avec son propre gouvernement, et donc d'une forme d'État autoritaire. Il serait maintenant un modèle pour des formes de vie sociale «communalistes», dans lequel la liberté de la femme, mais également des «transsexuels» et fondamentalement de chaque individu est primordiale, dans lequel règne le respect des différences et où on vise à atteindre un bon équilibre écologique dans la nature.» Dixit le rapport synthétique d’un des participants (2). Jan Bervoets, un membre du comité de rédaction de la revue anarchiste aux Pays-Bas «Buiten de Orde» (en dehors de l'ordre), exprime ses réserves quant à la déclaration du porte-parole de Fekar. Il se demande si «Öcalan a été illuminé, ou si c'est plutôt l'adage «quand le renard prêche, prenez garde à vos poules» qui s'applique ici ». Mais en même temps, il laisse entendre que ce n'est pas totalement impossible que le PKK se développe réellement dans la direction d'une organisation avec des principes antiautoritaires et communalistes, dans lesquels l'individu est primordial: «Avons-nous tous ensemble vécu un moment historique, ou un tour d'illusionniste? L'histoire elle-même nous le dira. » Malgré les réserves exprimées ici, c'est une fois de plus le comble de la naïveté politique si souvent caractéristique de l'anarchisme, qui surgit. Le désir parmi les anarchistes de voir quelque part des expressions de principes anarchistes est si grand, qu'un spectre d'un principe anarchiste (antiautoritaire, communaliste, fédéraliste, la primauté de l'individu) est suffisant pour créer une ambiance de liesse chez beaucoup d'entre eux (ibid.).

 


 

À l'occasion de cette discussion dans le milieu anarchiste, un participant à la «journée d'été 2012» du CCI en Belgique nous a demandé quelle est la position du CCI par rapport aux développements récents au sein du PKK. Il ressort de la contribution ci-dessous que le PKK, quel que soit l'image positive qu'en trace le conférencier, n'a toujours rien à voir avec la lutte pour l'émancipation de l'humanité et sa libération du joug de la société de classes (3).

Les origines du P.K.K.

Le PKK a été fondé le 27 novembre 1978 au village Fis (Diyarbakir) par entre autre Abdullah Öcalan, Mazlum Dogan et 21 disciples. Son but était de mettre fin au «colonialisme» turc dans l'Est et le Sud-Est de la Turquie et la réalisation d'un État kurde indépendant et uni (4). Depuis sa création, Öcalan (apo) est le leader incontesté du PKK.

Au niveau idéologique, le PKK s'inspirait du maoïsme basé sur le stalinisme (ce que le conférencier invité à St Imier appelle «l'orientation prolétarienne»). D'une part, le pouvoir pouvait être conquis par le biais d'une armée de paysans et d'autre part, des alliés devaient être recherchés sur l'échiquier impérialiste du bloc de l'Est contre le bloc de l'Ouest. Pour atteindre cet objectif, le PKK s'est déclaré prêt à utiliser tous les moyens, aussi terribles que certains actes puissent être. Le PKK a lancé une lutte armée, avec de nombreux attentats, également contre d'autres fractions kurdes. Certains insistent pourtant sur le fait que le PKK a rendu aux Kurdes turcs leur respect de soi et les a rendus conscients de leur identité kurde. De son côté, la Turquie, où la plus grande partie des Kurdes habite, s'est toujours opposée, malgré les promesses après la seconde guerre mondiale, contre toute forme d'autonomie et a joué la carte de l’assimilation. L'importance stratégique de la région, beaucoup plus encore que son importance économique, y a été déterminante. Les Kurdes étaient officiellement dénommés «Turcs des montagnes» et leur langue était classée comme un dialecte turc. Ils étaient tenus dans la pauvreté et devaient marcher au pas.

 

 

 

 

 

La guerre civile: champ de bataille de l'impérialisme mondial

Le 15 août 1984, des paysans kurdes, entraînés par le PKK, attaquaient des postes de police dans les villages Eruh (Siirt) et Şemdinli (Hakkâri), actions dans lesquelles deux agents turcs ont été tués. Ce fut le début de toute une série d'actions paramilitaires. Comme contre-attaque, les autorités turques ont décidé de recruter des milliers de Kurdes qui, en échange d'argent et d'armes, étaient postés comme gardes villageois contre le PKK.

En plus de leurs attentats contre les propriétaires fonciers, le PKK agissait sans pitié contre ces gardes villageois et contre tous les Kurdes qui montraient une quelconque sympathie avec l'autorité centrale turque. Le PKK a ainsi perdu la sympathie d'une partie de la population kurde, y compris celle d'autres fractions kurdes telle que celle de Massoud Barzani au Nord de l'Irak. La population du Kurdistan était donc prise en tenaille entre la guérilla du PKK d'une part et l'armée turque d’autre part. Dans ce conflit, le parti nationaliste, organisé sur des bases staliniennes, était également soutenu de façon stratégique par d'autres forces impérialistes dans la région qui l'utilisaient comme moyen de pression contre la Turquie.

Tout comme les autres partis bourgeois de gauche, le PKK se présentait à l’époque comme le défenseur du «socialisme». Grâce à la lutte armée contre le cruel gouvernement turque de l'époque, le PKK pouvait s'attirer une partie des ouvriers et des masses de pauvres qui étaient désespérés ou qui avaient des illusions, pour les entraîner dans une lutte nationaliste et impérialiste. En mars 1990, lors du Nouvel An kurde, des funérailles de membres du PKK abattus ont abouti à des manifestations massives.

Mais après l'effondrement du bloc russe en 1989 et l'effritement du bloc occidental rival, les cartes sur l'échiquier impérialiste étaient fortement secouées et le PKK perdait des anciens alliés. La Guerre du Golfe en 1991 en Irak avait ouvert la porte vers un «nouvel (dés) ordre mondial», dans lequel le nationalisme kurde était utilisé pour la énième fois comme appât pour recruter de la chair à canon. Dans le chaos croissant, avec le développement du «chacun pour soi», où toutes les puissances impérialistes, petites et grandes, veulent accroître leur influence dans l’importante région économique et stratégique du Moyen-Orient, le PKK continue à jouer sur les contradictions impérialistes dans la région, recevant le soutien de gouvernements tels que ceux de la Syrie, l'Iran, l'Irak, l'Arménie, la Grèce et d'autres pays impérialistes, y compris la Russie.

Pour survivre, le PKK devait changer son fusil d'épaule; il ne pouvait plus se présenter comme une formation purement maoïste-stalinienne. Et alors qu'au début des années 90, quelques trois mille guérilleros du PKK avaient conquis encore de fait le pouvoir dans l'Est de la Turquie, Öcalan devait chercher en même temps d'autres opportunités politiques afin de pouvoir se maintenir. À partir de ce moment, les confrontations militaires alternent avec des périodes de cessez-le-feu et de négociations. Un premier tournant est advenu au début des années 90, lorsque le président Turgut Özal a accepté de négocier. À part Özal, lui-même à moitié kurde, peu de politiciens turcs s'y intéressaient, pas plus qu'une partie du PKK lui-même, et après la mort du président, le 17 avril 1993, dans des circonstances suspectes, l'espoir d'une conciliation s'est évaporé. En juin 1993, Öcalan appelait de nouveau à la «guerre totale». D'autres épisodes ont suivi en 1995 et 1998 qui se sont soldés chaque fois par des échecs. Quand la lutte armée a pris des formes de plus en plus intenses, la Turquie a contraint la Syrie (pays dans lequel il s’était réfugié) à expulser Öcalan. Celui-ci a pris la fuite, mais a été finalement arrêté par des agents turcs le 15 février 1999. Il a été condamné à mort pour haute trahison, mais cette sentence, sous pression de l'Union Européenne (UE), a été commuée en réclusion perpétuelle. La Turquie avait en effet posé sa candidature à l'adhésion à l'UE et devait ainsi promettre d'améliorer la situation des Kurdes turcs au niveau des droits humanitaires. Depuis, Öcalan essaie de diriger son parti de la prison, à travers ses avocats. À partir d'août 1999, les guérilleros du PKK se retirent de la région et une série d'initiatives sont prises visant à élaborer le soi-disant «processus de paix et de démocratie».

Des manœuvres politiques pour cacher leur vraie nature

La stratégie pour conquérir leur place au sein de la bourgeoise dominante devait être modifiée, et après beaucoup de luttes (sanglantes) entre fractions au sein du mouvement, la carte de l'autonomie et du fédéralisme fut jouée afin de sortir de l'impasse politique. Le huitième Congrès du Parti PKK a approuvé le 16 avril 2002 cette soi-disant transformation «démocratique». Dès lors, il s’efforcerait d’obtenir la «libération» à travers des droits politiques pour les Kurdes en Turquie et renoncerait à la violence, bien que le leader de fait du PKK, Murat Karayilan déclarait encore en 2007 qu’un État indépendant reste toujours l'objectif principal de l'organisation. Lors de ce congrès, le PKK s'est transformé et une nouvelle branche politique a été créée, même si cela n'était qu'un acte purement tactique: le Congrès du Kurdistan pour la démocratie et la liberté (KADEK). Le PKK signalait à ce moment-là qu'il ne voulait poursuivre la lutte qu'avec des moyens démocratiques. Un porte-parole du PKK/KADEK déclarait cependant qu'il ne dissolverait pas sa branche armée, les Forces de défense du peuple (HPG), ni rendre ses armes pour des raisons de «légitime défense». L'organisation voulait maintenir sa capacité à effectuer des opérations armées afin de s'imposer comme partenaire à part entière dans les négociations. En avril, le KADEK élit sa direction mais les membres furent presque les mêmes que ceux du Conseil présidentiel du PKK. Le 15 novembre 2003, le KADEK est à son tour transformé dans une fraction encore plus «modérée», le Congrès du peuple du Kurdistan (KONGRA-GEL), dans une tentative de se rendre plus acceptable à la table des négociations et pour un mandat parlementaire.

Les négociations avec le gouvernement turc ne donnent pourtant pas les résultats escomptés, et Öcalan appelle en juin 2004 par le biais de ses avocats à reprendre les armes. Pour maintenir l'image démocratique, il s'empresse d'y ajouter qu'il ne s'agit pas d'une déclaration de guerre mais de «légitime défense». Entre 2004 et 2009, le PKK perpétra régulièrement des attentats et l'armée turque attaqua à plusieurs reprises les combattants du PKK dans le Nord de l'Irak. Ainsi, les deux parties ont maintenu la pression sur la chaudière.

En 2005, les nationalistes essaient dès à présent d'obtenir par voie légale une place au parlement turc. À cette fin, un parti pro-kurde soi-disant indépendant et large fut fondé, le Parti de la société démocratique (DTP), une organisation politique affiliée au PKK qui a envoyé plusieurs élus au parlement. Ce parti a cependant à son tour été interdit par les autorités turques en raison de ses liens étroits avec le PKK et a été remplacé en 2008 par le Parti pour la paix et la démocratie (BDP) pro-kurde (turc :Barış ve Demokrasi Partisi, kurde :Partiya Aştî û Demokrasiyê). Ce dernier est maintenant officiellement reconnu comme un parti social-démocrate. En 2009, il a participé pour la première fois aux élections municipales et il a remporté une large majorité dans le Sud-Est de la Turquie; depuis la dernière élection, 36 délégués siègent en tant qu'indépendants au parlement turc. Beaucoup de prisonniers du KCK (5) sont membres de ce parti.

Afin de couper l'herbe sous les pieds du PKK, le gouvernement turc entame en juillet 2009 une nouvelle contre-offensive, cette fois-ci présentée comme «démocratique»: le plan de réforme kurde. Les Kurdes recevraient leur propre radio-télévision publique, de nouveaux droits comme le droit à l’enseignement de la langue kurde, le droit aux noms de villages kurdes et les partis politiques kurdes pourraient participer à des voyages à l'étranger. Plus récemment, on essaie encore de gagner la sympathie des masses kurdes par des distributions charitables de nourriture, de frigos, de fours, etc…

Le chef du PKK, Öcalan, y répond de sa prison avec une nouvelle version de sa «feuille de route vers la paix» de 2003 (dont la publication ne sera pas autorisée par les autorités turques) (6). Le PKK annonce qu'il abandonnera la lutte armée et qu'il va envoyer des «brigades de la paix» à travers la frontière afin de soutenir la solution «démocratique» du conflit que le gouvernement turc a entamée. La première brigade, composée de 8 combattants du PKK et de 26 citoyens kurdes turcs qui avaient fui dans les années 90 en Irak, passe la frontière le 19 octobre à partir de l'Irak et est accueillie avec des drapeaux kurdes par des milliers de Kurdes turcs.

Désormais, les deux camps cachent leurs véritables intentions. Leurs intérêts capitalistes, nationalistes et impérialistes sont déguisés par un discours pacifiste et démocratique qui s'intègre mieux dans la nouvelle vision du monde. Les deux camps cherchent également à présenter des motifs religieux et à répondre ainsi à l'islamisme politique émergent, tel que l'appel d'Öcalan à former une alliance avec le mouvement islamiste turc autour de Gülen.

Mais c'est dans le contexte des nombreuses tensions dans la région du Moyen-Orient et des ravages de la crise économique mondiale que nous devons comprendre les efforts de la bourgeoisie turque et kurde, qui utilisent la «liberté» des Kurdes comme carte de négociation.

Que représentent l'autonomie kurde et le fédéralisme?

Alors que la stratégie du gouvernement de l'AKP (Parti de la justice et du développement) restait fondamentalement la même que celle des gouvernements précédents, sa tactique était nettement différente. Les représentants du mouvement kurde dans la politique turque furent ouvertement comblés d'intrigues et de faux gestes et en arrière-plan se sont tenues pendant trois ans des négociations avec des représentants du PKK en Europe dans la capitale norvégienne Oslo, tandis que le gouvernement poursuivait sa répression. Pendant ce processus, des milliers furent arrêtés dans les procès contre le KCK, des centaines de guérilleros kurdes furent tués alors qu'ils se retiraient pendant les «cessez-le-feu». Des manifestations furent sévèrement réprimées avec de nombreux blessés et plusieurs morts. La répression sociale fut encouragée dans les villes turques contre les Kurdes qui y habitaient, avec des tentatives de lynchage comme conséquence.

Les nationalistes du PKK ont répondu à la tactique du gouvernement AKP avec leur plan pour une autonomie démocratique pour la région. Au quatrième congrès du DTK (7) en août 2010 à Diyarbakir, la capitale officieuse du Kurdistan, le co-président Ahmet Turk a présenté le projet d'un Kurdistan libre et autonome par la création et la définition d'une autonomie au niveau juridique au sein de la constitution turque. Donc pas de séparatisme. En ce qui concerne la question historique de l'utilisation de la langue kurde, celle-ci doit être apprise à tous les groupes d'âge, de l'école primaire à l'université, localement et dans toutes les villes kurdes. Dans un Kurdistan libre et autonome, le kurde doit être la langue officielle, à côté du turc et des dialectes locaux. L'exploitation des ressources économiques dans les régions kurdes doit être entre les mains des dirigeants kurdes du Kurdistan libre et autonome. Il y aura également des représentants du Kurdistan libre et autonome dans le parlement turc afin de discuter de questions d'égalité de droits et de discussions connexes. Enfin, le Kurdistan libre et autonome doit avoir un drapeau qui diffère du drapeau de la République turque, à savoir un drapeau kurde avec ses propres logos et symboles qui sont basés sur l'histoire des Kurdes et du Kurdistan. Le débat évoluait dans la direction d'une Confédération des différentes régions kurdes dans la région. Selon le congrès, les peuples et les régions kurdes dans des pays tels que la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran appartiennent indéniablement au tissu du Kurdistan.

«Le modèle de l'autonomie démo-cratique est la solution la plus raisonnable, parce qu'il correspond le mieux à l'histoire et aux circonstances politiques dans lesquelles la Turquie se trouve. En effet, les Kurdes jouissaient d'un statut d'autonomie dans les frontières de l'Empire ottoman. D'où cette proposition qui ne se base pas sur le séparatisme. Au lieu de cela, nos peuples détermineront leur relation réciproque sur base de la libre volonté et l'union volontaire dans une patrie commune. Le modèle ne vise pas l'abolition de l'État, ni le changement des frontières. La Turquie démocratique et le Kurdistan autonome démocratique sont la formule concrète pour nos peuples pour se gouverner soi-même avec leur propre culture et identité, ainsi que leur droit de vivre librement. » (Déclaration de presse du PKK, 13.08.2010) (8).

Mais face à la répression incessante, il fallait encore renchérir et le 14 juillet 2011, le 5ème congrès kurde du DTK approuve une déclaration dans laquelle il déclare audacieusement et unilatéralement «l’autonomie démocratique» pour les Kurdes de Turquie, et appelle à ce qu'elle soit reconnue internationalement. La pression d'Ankara est intensifiée et le 24 juillet, le DTK annonce unilatéralement des élections dans 43 provinces. Le maire de Diyarbakir considéra ces élections comme un pas important vers l'autonomie. Bengi Yildiz, député parlementaire et délégué du BDP dans le DTK, a déclaré que la région autonome ne devait plus payer des impôts à Ankara.

Le récent sixième congrès du DTK, le 15 et 16 septembre 2012 à Diyarbakir, s'est tenu sous le slogan «de l'autonomie démocratique vers l'Unité nationale». La tâche principale était de renforcer les bases du PKK contre les tentatives des autorités turques de l'isoler et de l'affaiblir.

Le DTK devait devenir le parlement de tous ceux qui vivent au Kurdistan, Kurdes ou pas Kurdes. La situation en Syrie était également un point important à l’ordre du jour. Il ne faut pas oublier en effet que le PKK fait partie de l’Union des communautés du Kurdistan KCK, le proto-État du mouvement nationaliste kurde. Elle a quatre organisations militaires sœurs fortes dans la région: le PKK dans le Kurdistan turc, le Parti pour une vie libre du Kurdistan (PJAK) en Iran, le Parti pour de la solution démocratique du Kurdistan (PÇDK) en Irak et le Parti de l'union démocratique (PYD) en Syrie, qui récemment, avec l'accord tacite d'El Assad, a pris le contrôle de quatre villes (9).

Il ne ressort nulle part, ni des dix principes de la feuille de route du PKK en 2003 ou en 2009, ni de la déclaration du PKK en 2010, ni de la pratique du Kurdistan «autonome et libre» jusqu'à présent, que «le PKK se développe réellement en direction d'une organisation avec des principes antiautoritaires et communalistes, où l'individu est primordial». Pas d'illusions, camarades, la stratégie de la bourgeoisie kurde, dont le PKK en est un représentant majeur, consiste à s’intégrer dans l'État turc et à gouverner le Kurdistan turc en tant qu’appareil local de l'tat turc. Cette stratégie l’a contrainte à suivre au coup par coup les nombreuses sales manœuvres de son rival, ne serait-ce que pour pouvoir rester à la table des négociations. Les négociations de paix que le gouvernement turque AKP a entamées en janvier 2013, directement avec Öcalan ne sont qu'un pas de plus, logique dans ce processus. Ce qui n'empêche pas la poursuite des affrontements militaires entre les deux parties.

En effet, «Le PKK, même s'il n'a pas réussi à devenir un véritable État, agit comme l'appareil principal de la bourgeoisie nationaliste kurde en Turquie; il essaie de réaliser ses intérêts dans son domaine d'activité comme s'il était un véritable État et est tenu dans ses tentatives à compter sur le soutien direct ou indirect de tel ou tel État impérialiste dont les intérêts rivalisent avec ceux de l'impérialisme turc sur différents points. Alors que ses forces sont plus faibles que celles de l'État impérialiste turc, et ses intérêts plus limités, le PKK est dans ce cadre tout autant une partie intégrante de l'impérialisme mondial que l'État turc.» (Point 1 de la résolution adoptée par notre section en Turquie à propos des développements au Kurdistan, 02.2012, cf. note 3).

La bourgeoisie kurde veut survivre et pour cela, du capital doit être attiré vers la région. Sur ce terrain, la bourgeoisie kurde et la bourgeoisie turque ont des intérêts mutuels. Cela inclut également la transformation de la Turquie en un paradis de main d'œuvre à bon marché. Inutile de mentionner qu'une bonne partie sera composée de forces de travail kurdes qui travaillent déjà pour des salaires très bas dans de nombreux secteurs. La mise en œuvre de cette politique est déjà en pleine préparation au Kurdistan avec la nouvelle politique régionale des salaires minimaux. Les deux bourgeoisies ont donc intérêt dans une normalisation de la situation pour assurer la stabilité, notamment pour ne pas mettre en danger l'important projet stratégico-économique Nabucco (10). Mais le jeu pour répartir ces intérêts entre eux est joué très durement, à l'image du capitalisme impitoyable.

Y a-t-il une raison pour jubiler sur «la liberté de la femme qui serait primordiale» au sein du PKK?

Le PKK affirme qu'au sein de l'organisation, femmes et hommes sont traités de manière égale et que les femmes adhèrent au PKK sur une base volontaire. La question est de savoir si c'est un principe souhaitable, hérité de son «orientation prolétarienne», ou bien d'une illusion trompeuse.

Limitons-nous pour cet aperçu aux références des nombreux témoignages dans le livre 'PKK'da Semboller, Aktörler, Kadınlar' (Symboles, acteurs et femmes dans le PKK) (11) de Necati Alkan. Dans son livre, elle parle avec des centaines de femmes qui étaient dans les milices du PKK dans les montagnes du Sud-Est de la Turquie, à la frontière avec l'Irak, la Syrie et l'Iran. Selon le livre, la plupart d'entre elles ont fui l'oppression familiale et plus particulièrement le risque de mariage forcé ou de crime d'honneur dans les territoires kurdes traditionnels et dans la société turque. Elles se sont crues en sécurité. Mais contrairement à ce que notre conférencier Fekar affirmait, ces femmes témoignent aussi que dans les camps du PKK, elles ont été victimes de la violence masculine. Elles ont été enrôlées comme chair à canon dans les milices, endoctrinées idéologiquement, sans égard pour leur propre personnalité. Ensuite, quand elles ont voulu quitter le PKK, elles en étaient empêchées et contraintes à continuer à se battre dans ses rangs.

Nationalisme contre internationalisme

Ce texte vise à exposer l'hypocrisie et la pratique bourgeoise et nationaliste du PKK. Et il est illusoire de penser qu'une telle qu'organisation, qui, depuis sa fondation, ne s'est posée que des questions stratégiques et tactiques afin de conquérir sa place parmi les autres États-nations, et qui pour atteindre cette place a utilisé une terreur impitoyable envers tous et chacun (y compris contre les Kurdes eux-mêmes dans leur propre pays et dans les pays voisins), pourrait se transformer en une organisation internationaliste.

Dans l'ère actuelle du capitalisme, tous les mouvements ethniques qui luttent pour l'autodétermination ou la libération nationale, sont des mouvements réactionnaires. La participation ou le soutien à de tels mouvements reviennent à approuver les actions et les objectifs du capitalisme, parfois en collaboration ouverte avec les différentes forces impérialistes, sinon de façon déguisée. Comme le disait clairement Rosa Luxemburg au début du 20ème siècle, l'idée d'un «droit» abstrait à l'autodétermination nationale n'a rien à voir avec le marxisme, parce qu'elle occulte la réalité que chaque nation est divisée en classes sociales antagoniques. Si la formation de certains États-nations indépendants pouvait être soutenue par le mouvement ouvrier à une période où le capitalisme avait encore un rôle progressif à jouer, cette période a pris fin définitivement – comme Luxemburg a également montré – avec la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, la classe ouvrière n'a plus de tâches «démocratiques» ou «nationales» à remplir. Son unique avenir réside dans la lutte de classe internationale, non seulement contre les États nationaux existants, mais pour leur destruction révolutionnaire.

«Dans un monde désormais divisé et partagé en blocs impérialistes, toute lutte de «libération nationale», loin de constituer un quelconque mouvement progressif, se résume en fait à un moment de l'affrontement constant entre blocs rivaux dans lequel les prolétaires et paysans enrôlés, volontairement ou de force, ne participent que comme chair à canon.» (Plateforme du CCI, Le mythe contre-révolutionnaire de la libération nationale)

«Cela a encore une fois démontré, à la suite de toutes ces réformes et négociations, que la paix de la bourgeoisie ne peut qu'engendrer la guerre, que la solution de la problématique kurde ne saurait être le résultat d'un compromis avec l'État impérialiste turc, et que le PKK est en aucun cas une structure, loin de là, qui serait en mesure d'offrir quelque solution que ce soit. La question kurde ne peut pas être résolue dans la seule Turquie. La solution kurde ne peut être résolue par une guerre entre nations. La question kurde ne peut être résolue avec la démocratie. La seule solution de cette question réside dans la lutte unie des ouvriers kurdes et turcs avec les ouvriers du Moyen-Orient et du monde entier. La seule solution de la question kurde est la solution internationaliste. Seule la classe ouvrière peut porter haut la bannière de l'internationalisme contre la barbarie de la guerre nationaliste en refusant de mourir pour la bourgeoisie.» (Point 8 de la résolution adoptée par notre section en Turquie à propos des développements au Kurdistan, 0..2012 – voir note 3).

Rosa & Felix & Lac / 03.01.2013



1)Fekar: Fédération des associations kurdes en Suisse, www.fekar.ch/ [12]

2)https://www.vrijebond.nl/internationale-anarchistische-bijeenkomst-st-im... [13]

3)Voir aussi la résolution que la section du CCI en Turquie a adoptée à sa dernière conférence à propos des développements au Kurdistan: l'Internationalisme est la seule solution pour la question kurde! https://en.internationalism.org/icconline/201202/4676/internationalism-o... [14]

Voir pour d’autres sources de cet article également:

-Le Monde Diplomatique, 1 novembre 2007 archive cache PKK

-https://www.lenziran.com/2011/08/pkk-leader-murat-karayilan-exclusive-in... [15]

-https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-10707935 [16]

-https://www.hurriyetdailynews.com/default.aspx?pageid=438&n=dtk-declares... [17]

4)Au cours des derniers siècles, les descendants du peuple kurde historique se sont dispersés sur différents États de la région: Iran, Irak, Turquie, Syrie, Arménie et Azerbaïdjan. Beaucoup d'entre eux ont en plus émigré vers des dizaines de pays à travers le monde.

5)KCK, l’Union des communautés du Kurdistans (Koma Civakên Kurdistan), le proto-État du mouvement nationaliste kurde. Techniquement parlant, il sert comme organe qui chapeaute tous les organes du PKK, tels que la formation politico-parlementaire Kongra-Gel (Congrès du peuple) et l'aile militaire HPG (Forces de défense du peuple, Hêzên Parastina Gel), le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) en Iran, le Parti pour une solution démocratique du Kurdistan (PÇDK) en Irak et le Parti de l'union démocratique (PYD) en Syrie; en plus de nombreux autres organes et organisations qui remplissent une fonction étatique.

6)La proposition de feuille de route (Road Map to Peace) est un document qui fait des propositions détaillées sur différents domaines du nouvel État qui doit être créé:

https://www.fekar.ch/index.php/en/english/88-abdullah-ocalans-three-phas... [18]

7)Pour compléter l'enchevêtrement d'organisations clandestines, semi-légales, licites et chapeautantes, liées ou sous le contrôle direct des idéologues nationalistes du PKK, il faut ici encore mentionner que le DTK, le Congrès populaire démocratique (en turc Demokratik Toplum Kongresi), une organisation chapeautant pro-kurde avec environ 850 délégués du monde politique, religieux, culturel, social et des ONG, jouera un rôle important dans les initiatives du PKK.

8)Déclaration de presse du PKK :

https://www.pkkonline.com/en/index.php?sys=article&artID=60 [19]

9)L'aile syrienne du parti a récemment, selon un accord non-officiel avec le gouvernement de Bashar ElAssad, conquis quatre villes au nord de la Syrie (des photos d'Öcalan et Bashar Assad ont été suspendues à divers endroits), alors que d'autres fractions de Kurdes en Syrie sont bien intentionnées envers l'opposition. Les Kurdes irakiens «indépendants» de Barzani essaient également de rompre le pouvoir du PKK-PYD. «Au début du conflit syrien, le PKK aurait conseillé à son allié syrien, le parti kurde PYD, de veiller à ce que les droits des Kurdes soient si possible étendus sous un nouveau gouvernement. Maintenant cependant, il semble que le gouvernement Assad qui se retrouve coincé, aurait retiré ses troupes des régions kurdes. «Le PYD contrôle depuis lors la région et garantit un minimum d'ordre public». Simultanément, le PKK a déplacé 1.500 combattants du Nord de l'Irak vers la région kurde en Syrie.» (https://ejbron.wordpress.com/2012/08/16/koerden-starten-groot-offensief-... [20])

«Le PYD tient cependant un double langage. Le parti doit son pouvoir actuel à Basjar al-Assad, qui a cédé des positions militaires aux combattants du PYD. Il est généralement admis qu'Assad a décidé de coopérer à cause de l'ennemi commun, la Turquie. Il pouvait être sûr que le PYD défendrait la frontière turque, et passait ainsi également le signal à Ankara de ne pas s'aventurer dans une intervention en Syrie. La chose la plus importante était que la coopération lui donnait la possibilité de se concentrer militairement sur les villes les plus importantes. (…) La montée en puissance de la sœur du PKK en Syrie, le PYD, est suivie avec méfiance, à la fois en Turquie et au Kurdistan irakien. Ankara craint que le Kurdistan syrien ne devienne le tremplin pour le PKK, qui opère actuellement surtout à partir du Kurdistan irakien, et a déjà menacé avec une intervention militaire. Le président irako-kurde Barzani a fait en sorte que le PYD ait été contraint de coopérer avec les autres partis kurdes, entre autres par l'entrainement militaire de jeunes kurdes syriens en Irak. Pour garder la pression, quelques six-cents de ceux-ci ont ensuite été cantonnés à la rivière frontalière entre les deux régions kurdes, et les parlementaires irako-kurdes ont déjà suggéré que les peshmergas, l'armée irako-kurde, pourrait intervenir en Syrie si cela s'avère nécessaire. Pour contrer le pouvoir du PYD, Barzani a organisé une rencontre entre les blocs kurdes et l'opposition syrienne organisée par la Turquie. La rencontre a pour but d'unifier l'opposition syrienne dans un seul front pour l'avenir de la Syrie. » (https://www.trouw.nl/tr/nl/4496/Buitenland/article/detail/3321328/2012/0... [21])

Voir aussi à propos de la Syrie : https://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-azadi/190712/syrie-les-kurdes-ont... [22]

10)https://fr.wikipedia.org/wiki/Nabucco_gazoduc [23]

11)PKK’da Semboller, Aktörler, Kadinlar (Acteurs, Symboles et Femmes au sein du PKK) de Necati Alkan; https://www.kitapsarayi.nl/PKKda-Semboller-Aktoerler-Kadnlar-Necati-Alka... [24])

Rubrique: 

Débat

La crise est-elle structurelle et peut-elle être contenue par une série de réformes et d'ajustements? (cycle de discussion sur la crise III)

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«Karl Marx le disait déjà : L'État est de retour. Même les néo-libéraux purs et durs préconisent aujourd'hui la nationalisation.» Ainsi écrivait De Standaard au milieu de la crise, le 1er mars 2009. Des économistes et professeurs éminents, des dirigeants mondiaux veulent « moraliser » et réglementer l'économie depuis la nouvelle crise ouverte de 2009. L'ingérence de l'État et les nationalisations sont devenues presque monnaie courante dans tous les pays du monde : une vague de nationalisations a commencé en 2009 dans le secteur bancaire et l'industrie automobile aux États-Unis et la Grande-Bretagne. En Bolivie, Morales nationalise l'industrie du gaz, et au Venezuela Chavez fait de même avec le pétrole. La Russie nationalise en 2003 Yukos (exploitation pétrolière), la Hongrie est critiquée par l'UE en raison du contrôle excessif de l'État de l'industrie, des médias, des fonds des pensions, de la banque centrale, etc. Le Japon nationalise Tepco (distribution d'électricité), l'Argentine nationalise pour la deuxième fois en quelques années l'exploitation du pétrole. Les Pays-Bas nationalisent la banque ABN-Amro et pensent à re-nationaliser les chemins de fer, la Belgique et la France nationalisent la banque Dexia, l'Espagne de même,...

Thatcher, Reagan, Milton Friedman, l'école de Chicago, en bref le néo-libéralisme était l'épouvantail qui avait réduit la croissance économique en miettes. Mais il semblait que l'époque du néo-libéralisme était au bord de l'épuisement, écrivait Joseph Stiglitz dans Freefall. C'est ce qui donnait le ton pour ce qui est avancé depuis 2008 en chœur par tous les partis, mais surtout par la gauche et l'extrême-gauche : plus d'ingérence de l'État, plus de réglementation, plus de contrôle, plus de nationalisations.

Une poignée de déclarations : « Une banque étatique est un premier pas possible pour contrer la crise à court terme. » (De Bruyn, président Sp.a Rood, De Standaard 1/03/09) ; « … qu’une nationalisation complète du secteur financier est nécessaire. » (PSL, Alternative Socialiste, avril 2009) ; « Le PTB veut une banque publique » (PTB, Solidaire, 26/03/2009). « Le secteur bancaire dans son ensemble doit devenir propriété publique » (l'ultragauche aux Pays-Bas).

Ici se posent plusieurs questions :

- est-ce que la crise peut être contrée par l'ingérence de l'État (nationalisations) et un nouveau développement des forces productives mis en marche ?

- est-ce qu'une forte ingérence de l'État (nationalisations) peut garantir que la classe ouvrière soit épargnée ou au moins protégée ?

- Les expropriations (nationalisations) signifient quand même un affaiblissement de la propriété privée capitaliste. Par conséquent, « plus d'État » est progressif, une revendication que toute la classe ouvrière doit soutenir. Est-ce vrai ?

Est-ce que l'État à travers des nationalisations a jamais sorti le capitalisme du marasme?

Engels écrivait en 1878 :

« La période industrielle de haute pression, avec son gonflement illimité du crédit, aussi bien que le krach lui-même, par l'effondrement de grands établissements capitalistes, poussent à cette forme de socialisation de masses considérables de moyens de production qui se présente à nous dans les différents genres de sociétés par actions. Beaucoup de ces moyens de production et de communication sont, d'emblée, si colossaux qu'ils excluent, comme les chemins de fer, toute autre forme d'exploitation capitaliste. Mais, à un certain degré́ de développement, cette forme elle-même ne suffit plus; […] il faut finalement que le représentant officiel de la société́ capitaliste, l'État, en prenne la direction. La nécessité́ de la transformation en propriété́ d’État apparaît d'abord dans les grands organismes de communication : postes, télégraphes, chemins de fer. »

Mais il y ajoute :

« Car ce n’est que dans le cas où les moyens de production et de communication sont réellement trop grands pour être dirigés par les sociétés par actions, où donc l'étatisation est devenue une nécessité́ économique, c'est seulement en ce cas qu'elle signifie un progrès économique, même si c'est l'État actuel qui l'accomplit; qu'elle signifie qu'on atteint à un nouveau stade, préalable à la prise de possession de toutes les forces productives par la société́ elle-même. Mais on a vu récemment, depuis que Bismarck s'est lancé dans les étatisations, apparaître certain faux socialisme qui même, çà et là, a dégénéré en quelque servilité́, et qui proclame socialiste sans autre forme de procès, toute étatisation, même celle de Bismarck. Évidemment, si l'étatisation du tabac était socialiste, Napoléon et Metternich compteraient parmi les fondateurs du socialisme. Si l'État belge, pour des raisons politiques et financières très terre à terre, a construit lui-même ses chemins de fer principaux; si Bismarck, sans aucune nécessité́ économique, a étatisé́ les principales lignes de chemins de fer de la Prusse, simplement pour pouvoir mieux les organiser et les utiliser en temps de guerre, pour faire des employés de chemins de fer un bétail électoral au service du gouvernement et surtout pour se donner une nouvelle source de revenus indépendante des décisions du Parlement, - ce n'était nullement là des mesures socialistes, directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes. Autrement ce seraient des institutions socialistes que la Société́ royale de commerce maritime [...], la Manufacture royale de porcelaine et même, dans la troupe, le tailleur de compagnie […]. » (F. Engels, L’Anti-Dühring, Ch. II : Notions Théoriques, pp. 140-141)

Engels démontre que dans la période d'épanouissement du capitalisme, des nationalisations pouvaient avoir un caractère progressif (c'est-à-dire promouvoir le développement du capitalisme).

Mais il ajoute que beaucoup de nationalisations ne correspondaient pas à ce critère. Cette question est bien sûr parallèle avec le rôle progressif que l'État national jouait dans cette période de développement du jeune capitalisme.

Nous pouvons y revenir dans la discussion.

La transformation de la propriété des sociétés anonymes – qui de ce temps-là ne dépassaient pas les frontières de l'État-nation – en propriété de l'État était donc progressive. Le développement du capitalisme dans cette période de progrès était caractérisé par un transfert de propriété des capitalistes individuels à des sociétés à actions, et ensuite, selon les conditions, à la propriété de l'État. La concentration des forces productives dans les mains de groupes de capitalistes (ou de l'État) était alors un important pas en avant. Les signes de l'expansion de la production et de la concentration de la propriété étaient alors, en principe, l'État-nation unifié, dont la formation signifiait une amélioration en comparaison aux entités féodales fragmentées.

L'échelle de concentration de capital nécessaire pour le développement était dont un facteur crucial (le capital accumulé qui ne pouvait être accordé uniquement par l'attribution de crédit énorme). Et aussi l'intérêt général de la bourgeoisie nationale, sans laps dans une concurrence stérile.

Mais, rapidement, l'expansion de la production et la concentration de la propriété débordèrent les limites des Etats nationaux. Les grandes compagnies anonymes prirent de plus en plus un caractère international, créant à leur manière une division internationale du travail, et cela, en dépit de son caractère contradictoire, constituant une des contributions les plus importantes du capitalisme au progrès de l'humanité. Le caractère de plus en plus international de la production, commence alors à se heurter avec la division du monde en Etats nationaux. « L’État national », affirme le 1er Congrès de l'Internationale Communiste en 1919, « après avoir donné un élan vigoureux au développement capitaliste est amené à être trop étroit pour l’expansion des forces productives ».

Mais aujourd'hui, la situation est totalement différente :

Personne ne prétendra que la nationalisation de l'industrie pétrolière au Mexique 1938, ou celle de l'Argentine ou de la banque Dexia en Belgique aujourd'hui sont advenues parce qu'économiquement parlant, leur gestion dépassait les limitations de la société (multinationale). Et personne ne verra un progrès économique dans la transformation de la propriété de ces multinationales déjà étendues, organisées mille fois mieux et bien plus puissantes que l'État mexicain, argentin, hongrois ou vénézuélien qui en acquiert la propriété. Une telle nationalisation, dit Engels, ne représente aucun progrès pour le capitalisme ou pour un développement des forces productives.

Les nationalisations commencèrent à changer de signification : dirigées chaque fois davantage contre la division internationale du travail croissante, elles constituèrent par conséquent, au lieu d'un progrès, une régression. Tandis que les nationalisations dans le passé étaient l'expression de la croissance et de l'expansion du capitalisme, actuellement, elles sont, au contraire, l'expression de la régression et de la décomposition chaque fois plus violente du système capitaliste.

Des nationalisations à caractère progressif ne sont donc plus possibles dans l’actuelle phase de décomposition du capitalisme.

La question de savoir si une forte ingérence de l'État (nationalisation) peut faire en sorte que la classe ouvrière soit épargnée, ou du moins protégé, ne saurait être répondue que par la négative.

Il ne s'agit plus de l'expansion des forces productives, mais de leur rétrécissement... avec une exception notable : celle de l'industrie de guerre. Depuis cette période, les nationalisations s'orientent sur la destruction des forces productives et des biens de consommation. Avant de disparaître de la scène historique, le capitalisme détruit une grande part de ce qu'il a créé lui-même : son magnifique appareil de production, le prolétariat moderne et la division internationale du travail, enchaînant chaque fois davantage les forces de production dans les limites des Etats nationaux.

Et nous constatons que depuis cette période qui a donné lieu à la première guerre mondiale, depuis que la survie de chaque nation dépend de sa capacité d'assurer sa position par la force et la violence (et à défendre sa place dans l'arène impérialiste) sur un marché mondial devenu trop étroit, l'économie capitaliste est devenu continuellement plus dépendante de son État. Dans le capitalisme en décadence, la tendance au capitalisme d'État est d'ailleurs devenue une tendance générale, universelle.

Ce que nous vivons aujourd'hui, depuis 2008, n'est donc point un changement radical dans la vision du rôle de l'État, mais au contraire la confirmation du rôle central que l'État joue pour éviter des catastrophes économiques. Ce rôle consiste à se réfugier derrière l'État afin de faire fonctionner une machine économique qui, spontanément, livrée à elle-même, s'est paralysée, coincée entre ses contradictions internes. C'est seulement en analysant les nationalisations et la tendance à « plus d’État » depuis 1914 comme faisant partie du processus de décomposition du capitalisme que nous pouvons comprendre leur véritable signification historique :

- la nationalisation de l'industrie de guerre dans tous les pays impliqués dans la Première Guerre mondiale;

- Avec le développement de la crise dans les années 1920, tous les régimes, le stalinisme, le fascisme, les démocraties se retrouvent dans une politique de nationalisations et d'ingérence accrue de l'État, comme le New Deal aux États-Unis en 1933, celui du Front populaire en France ou le Plan De Man en Belgique;

- Ensuite sont venus la nationalisation générale ou le contrôle étatique sur l'industrie de guerre dans les années de guerre 1940;

- Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, la politique de reconstruction est directement prise en charge par les États dans de nombreux pays, également à travers des nationalisations importantes de secteurs-clé de l'économie, y inclus dans l'Angleterre « libérale » et tout le bloc de l'Est nouvellement formé;

- Suit maintenant une période de guerre froide avec une course aux zones d'influence et la réorganisation de l'économie post-guerre. Cette période est également celle des décolonisations et est accompagnée d'une nouvelle série de nationalisations dans de nombreux pays;

- La nouvelle crise à partir des années 1970 est déjà mieux connue. Nous pouvons y revenir dans la discussion, et surtout sur la période du néo-libéralisme avec ses fausses contradictions.

Est-ce que les expropriations (nationalisations) signifient un affaiblissement du capitalisme ?

Il s’agit ici de la question de la propriété privée et de la propriété collective des moyens de production. L’affaiblissement de la propriété privée signifierait par conséquent un pas vers le « socialisme » et pour cette raison une revendication que la classe ouvrière doit soutenir.

Nationalisation ne signifie en aucune manière « propriété de la 'nation' », mais uniquement, exclusivement propriété de l'État. En d'autres termes : avec la « nationalisation », la propriété passe simplement des capitalistes individuels ou des compagnies capitalistes au « capitalisme collectif » (pour employer la formule d'Engels), c'est-à-dire l'État des capitalistes.

L'État bourgeois n'est « autre chose qu’une machine d’oppression d’une classe par une autre classe et cela autant dans la république démocratique que dans la monarchie » (Engels, préface à ‘La Guerre civile’ de Marx).

L'Etat est une institution née de la division de la société en classes ayant des intérêts irréconciliables, et sa fonction est de perpétuer cette division et avec elle «le droit de la classe possédante d’exploiter celle qui ne possède rien, et la domination de la première sur la seconde» (Engels). «L’État moderne n’est à son tour que l’organisation que cette société bourgeoise se donne pour défendre les conditions collectives extérieures du mode de production capitaliste, tant par les ouvriers que par les capitalistes individuels. L’État moderne, sous n’importe quelle forme, est en essence un outil capitaliste, l’État capitaliste, le capitaliste universel idéel.» (Friedrich Engels)

Les nationalisations ne sont pas du socialisme

En proclamant la possession privée des moyens de production comme la nature du capitalisme, on proclame en même temps qu'en dehors de cette possession privée, le capitalisme ne peut subsister. Le concept marxiste de la propriété privée des moyens de production, comme étant le fondement de la production capitaliste, semblait contenir l'autre formule : la disparition de la possession privée des moyens de production équivaudrait à la disparition de la société capitaliste, et donc est vue comme synonyme du socialisme. Or, le développement du capitalisme, ou plus exactement, le capitalisme dans sa phase décadente, nous présente une tendance plus ou moins accentuée mais également généralisée à tous les secteurs, vers la limitation de la possession privée des moyens de production, vers leur nationalisation.

La nature du capitalisme n’est pas donnée par la possession privée des moyens de production, qui n’est qu’une forme, propre à une période donnée du capitalisme, à la période du capitalisme libéral, mais dans la séparation entre les moyens de production et le producteur.

Ce qui donne un caractère capitaliste à la production, ce n'est pas la possession privée des moyens de production. La propriété privée et celle des moyens de production existaient aussi dans la société esclavagiste ainsi que dans la société féodale. Ce qui fait de la production une production capitaliste, c'est la séparation des moyens de production d'avec les producteurs, leur transformation en moyens d'acheter et de commander le travail vivant dans le but de lui faire produire de l'excédent, de la plus-value, c'est-à-dire la transformation des moyens de production perdant leur caractère de simple outil dans le processus de production, pour devenir et exister en tant que capital.

Le capitalisme c'est la séparation entre le travail passé, accumulé, entre les mains d'une classe, dictant et exploitant le travail vivant d'une autre classe. Peu importe comment la classe possédante répartit entre ses membres la part de chacun. Dans le régime capitaliste, cette répartition se modifie constamment par la lutte économique ou par la violence militaire.

A l'époque du capitalisme libéral, la forme sous laquelle existait le capital était essentiellement celle du capitalisme privé individuel.

« Possession privée des moyens de production = capitalisme » et « atteinte à la possession privée = socialisme » étaient des formules frappantes, mais n'étaient que partiellement vraies.

L'inconvénient ne surgit que lorsque la forme tend à se modifier. L'habitude prise de représenter le contenu par sa forme, parce que correspondant pleinement à un moment donné, se transforme en une identification qui n'existe pas, et conduit à l'erreur de substituer le contenu par la forme.

L'expropriation la plus poussée peut tout au plus faire disparaître les capitalistes en tant qu'individus jouissant de la plus-value, mais ne fait pas encore disparaître la production de la plus-value, c'est-à-dire le capitalisme.

« La grande différence entre le principe capitaliste et le principe socialiste de la production est celle-ci : les ouvriers trouvent-ils en face d’eux les moyens de production en tant que capital, et ne peuvent-ils en disposer que pour augmenter le surproduit et la plus-value au compte de leurs exploiteurs, ou bien, au lieu d’être occupés par ces moyens de production, les emploient-ils pour produire la richesse à leur propre compte. » (Marx)

Lac / mai 2012

Récent et en cours: 

  • Crise économique [26]

Rubrique: 

Crise économique

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Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/f_isme357.pdf [2] https://www.nytimes.com/2008/11/27/business/worldbusiness/27iht-steel.4.18212781.html?_r=0 [3] https://www.dewereldmorgen.be/artikels/2013/02/07/federale-ambtenaren-betogen-tegen-hervormingsplannen-bogaert [4] https://archives.lesoir.be/l-annee-2012-a-co%FBte-17.000-jobs-en-chiffres_t-20130129-0296LV.html?query=arcelor&queryand=arcelormittal+licenciements&queryor=arcelor&firstHit=0&by=10&when=-1&sort=datedesc&pos=2&all=65&nav=1 [5] https://www.standaard.be/artikel/detail.aspx?artikelid=DMF20121203_00390595&word=vlaamse+metertjes [6] https://graphics.thomsonreuters.com/F/09/EUROZONE_REPORT2.html [7] https://fr.internationalism.org/isme353/la_crise_de_la_dette_pourquoi.html [8] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/40/belgique [9] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-economique-belgique [10] https://fr.internationalism.org/files/fr/tunisiei.jpg [11] https://fr.internationalism.org/files/fr/kurdes1.jpg [12] http://www.fekar.ch/ [13] https://www.vrijebond.nl/internationale-anarchistische-bijeenkomst-st-imier-2012-enkele-verslagen/ [14] https://en.internationalism.org/icconline/201202/4676/internationalism-only-solution-kurdish-question#_ftn2 [15] https://www.lenziran.com/2011/08/pkk-leader-murat-karayilan-exclusive-interview-with-bbc-persian-tv/ [16] https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-10707935 [17] https://www.hurriyetdailynews.com/default.aspx?pageid=438&n=dtk-declares-democratic-sovereignty-2011-07-15 [18] https://www.fekar.ch/index.php/en/english/88-abdullah-ocalans-three-phases-road-map [19] https://www.pkkonline.com/en/index.php?sys=article&artID=60 [20] https://ejbron.wordpress.com/2012/08/16/koerden-starten-groot-offensief-in-syrie-en-turkije/ [21] https://www.trouw.nl/tr/nl/4496/Buitenland/article/detail/3321328/2012/09/24/Vrijheid-verdeelt-Syrische-Koerden.dhtml?utm_source=scherm1&utm_medium=button&utm_campaign=Cookiecheck [22] https://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-azadi/190712/syrie-les-kurdes-ont-pris-le-controle-d-une-ville [23] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nabucco_gazoduc [24] https://www.kitapsarayi.nl/PKKda-Semboller-Aktoerler-Kadnlar-Necati-Alkan-PKKda-Semboller-Aktoerler-Kadnlar [25] https://fr.internationalism.org/files/fr/nationalisations.jpg [26] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique