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Révolution Internationale n°436 - octobre 2012

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Espagne, Grèce, Portugal, Italie: face à la crise, la colère grandit, comment passer de l’indignation à l’espérance ?

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Le 15 septembre dernier, 700 000 personnes sont descendues dans la rue à Lisbonne et dans une trentaine de villes du Portugal pour manifester contre la politique d’austérité menée par le nouveau gouvernement de Pedro Coelho. La majoration brutale de 7  % des cotisations-sociales (TSU, Taxe sociale unique) des travailleurs, jointe à la diminution de 5,75  % des cotisations du patronat ont été à l’origine de cette réaction spontanée de colère qui a débordé les syndicats officiels. C’est effectivement exclusivement à travers les réseaux sociaux que se sont organisées ces manifestations. Devant la massivité de cette mobilisation, le gouvernement a momentanément fait semblant de reculer. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, c’est pour mieux mettre en œuvre les mêmes mesures et d’autres, demain, avec l’accord et l’aide des syndicats comme la CGTP (Confédération générale des travailleurs portugais) qui auront bien balisé le terrain cette fois-ci, comme ils l’ont fait depuis plus d’un an, pour contribuer à faire passer les programmes d’austérité qui s’accumulent. D’ailleurs, la CGTP a très vite réagi ; pour retrouver le contrôle du mouvement, elle appelait immédiatement à une nouvelle manifestation encadrée par ses soins et sous ses mots d’ordre dès le samedi 29 septembre, manifestation qui s’est révélée être bien moins suivie.

En Grèce, suite au troisième mot d’ordre de grève générale donné par les syndicats, dont le plus suivi est le Pame, de nouvelles manifestations ont eu lieu mercredi 26 septembre à Salonique et à Athènes, auxquelles ont participé plus de 30 000 travailleurs. La colère est telle qu’on a vu une nouvelle fois de violents affrontements avec la police, et cette fois-ci même entre policiers en grève et forces de l’ordre !

En Espagne, des dizaines de milliers de manifestants sont venus crier leur rage le mardi 25 septembre devant un parlement protégé par 2000 policiers, avec des débordements de violence policière “comme à l’époque de Franco”, selon de nombreux témoins. Samedi 29, à peine cinq jours plus tard, preuve de la profonde exaspération, le parlement s’est retrouvé de nouveau encerclé toute la soirée.

En Italie encore, 30 000 fonctionnaires étaient dans la rue vendredi 28 à Rome pour protester contre un nouveau train de mesures d’austérité sur les retraites et les “reclassements”.

Bref, la dernière semaine de septembre a été marquée par une montée de la colère dans de nombreux pays d’Europe face à la brutalité des attaques et l’annonce sans fin de nouveaux plans d’austérité.

Ces luttes sont NOS luttes

Évidemment, devant toutes ces mesures drastiques, les responsables désignés par les gouvernements comme par les partis d’opposition et les syndicats, ce sont les membres de la fameuse “troïka” composée de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international. Tout ce joli monde veut nous faire croire encore que le problème de la crise pourrait se régler pays par pays et s’efforce d’enfoncer dans les têtes l’illusion que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, qu’il est possible pour certains d’éviter le pire, pour d’autres de se relancer, en faisant les “efforts nécessaires”. Ainsi, les reportages sur la situation éco­nomique des fameux PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) n’ont pour but que de conforter l’idée fausse selon laquelle en France, par exemple, les choses iraient mieux. Non, cela ne va pas mieux ! D’ailleurs, les mesures sociales en trompe-l’œil du gouvernement Ayrault vont vite montrer ce qu’elles sont : des attaques pures et simples contre nos conditions de vie et de travail. Et c’est le sort de toute la classe ouvrière, partout dans le monde, une classe qui subit le même joug de l’exploitation pour toujours être moins en mesure de survivre, et la matraque si elle se révolte.

La bourgeoisie fait tout son possible pour empêcher la prise de conscience que partout les ouvriers sont attaqués et que ce sentiment d’appartenir à une même classe ne prenne chair dans les rangs des travailleurs au niveau international. C’est pourquoi les médias ne parlent que très peu, sauf si c’est trop gros, et de toute façon toujours très ponctuellement ou en montrant de préférence la violence repoussoir d’affrontements, les faiblesses ici et là, des nombreuses manifestations qui se déroulent de par la planète. Et c’est pourquoi, pour nous, exploités, il est au contraire absolument nécessaire de regarder autant dans les livres que par dessus les frontières, de discuter des expériences de luttes, passées et présentes, et ainsi tirer les leçons pour les luttes à venir (1.

Qui sont nos ennemis ?

Il n’y a pas d’issue à cette crise ; cela doit être clair et sans ambiguïté, bien que le désir d’un avenir éco­nomique plus radieux soit un espoir qui tient à tout un chacun. La paupérisation et la misère sont le lot du futur pour tous dans ce système capitaliste. Cela fait plus de trente ans qu’on nous annonce quotidiennement que ça ira mieux demain si nous consentons des sacrifices aujourd’hui. Mais chaque sacrifice ouvre la porte à un autre encore pire ! Il ne s’agit même pas de mauvaise volonté de la part des capitalistes ou des Etats, c’est la plongée dans la faillite inexorable qui exige cette loi implacable de la brutalité grandissante des attaques )(2.

Alors, comment faire, comment se battre ? Malgré la montée de la colère, qui se traduit par des affrontements de plus en plus réguliers avec la police, les journées d’action montrent qu’elles ne servent à rien. On voit bien depuis des décennies que cette forme “d’action” ne sert que de défouloir stérile et de quadrillage d’une classe ouvrière mise bien en rang derrière les banderoles syndicales, souvent saucissonnée par “corporations”, et prise entre les barrières de la police et le bruit des hauts parleurs des meneurs syndicaux empêchant toute discussion.

La classe ouvrière le ressent plus ou moins, mais si elle n’affirme pas consciemment et massivement la claire compréhension qu’elle doit prendre elle-même ses luttes en main, sur le terrain de ses revendications propres, les avancées du mouvement risquent de rester lettre morte.

A ce titre, l’exemple de l’Espagne est très frappant. L’an dernier, le mouvement des Indignés a été une réelle et puissante démonstration de la volonté de la population et de la classe ouvrière de se retrouver collectivement, en-dehors des syndicats, pour chercher et discuter des moyens de lutte contre les attaques et exprimer son écœurement face aux conditions de misère imposées par l’Etat espagnol. Le plus significatif fut cette création d’espaces de discussion dans les rues à travers de multiples assemblées générales libres et ouvertes à tous et cette ouverture aux souffrances et aux combats menés partout dans le monde. En Espagne, lorsqu’un ouvrier venu “d’ailleurs” prenait le micro pour se porter solidaire du mouvement et parfois raconter comment cela se passait d’où il venait, la sympathie était immédiate et palpable, l’accueil chaleureux et enthousiaste. A ce moment-là, nul drapeau, ni national ni régional, n’était visible, et ceux qui voulaient restreindre la lutte aux combats indépendantistes n’étaient pas particulièrement les bienvenus, en tout cas leurs discours n’entraînaient aucune adhésion. Et le mouvement des Indignés n’est pas resté enfermé dans les frontières hispaniques, il a “fait des petits” dans de très nombreux pays, jusqu’en Israël ou aux Etats-Unis avec le mouvement des “Occupy”.

La bourgeoisie est, elle, consciente du danger potentiel que représente le mûrissement des telles idées “saugrenues” (à ses yeux) dans les cerveaux des exploités ; elle sait qu’il n’est jamais bon, de son point de vue, qu’un sentiment de solidarité DANS la lutte naisse entre les ouvriers, encore moins à l’échelle internationale. Aujourd’hui, en cette fin septembre, une contre-­offensive de la bourgeoisie est donc menée, elle tente d’instiller progressivement le poison nationaliste et régionaliste dans l’ensemble de la classe ouvrière. Ainsi, lors de la journée du 15 septembre, le sommet social (autrement dit : CO, UGT () et 200 autres plateformes) a été appelé à Madrid sous le slogan : “Il faut empêcher qu’ils nous volent le pays”. Le 25 septembre, un essaim d’organisations, un éventail qui allait des regroupements ayant une histoire trouble jusqu’à des formations plus ou moins classiques de la gauche du capital (le PC ou la Gauche anticapitaliste), en y incluant les restes décomposés du 15M, ont promu une action de “désobéissance civile” pour protester “contre la séquestration de la souveraineté nationale perpétrée par les marchés”, tournant autour de la Chambre des députés. On sait que le tout s’est soldé par des affrontements (où la provocation d’éléments “troubles” était évidente) avec les flics… pour rien. Le jour d’après, les syndicats les plus exaltés (autrement dit : CGT et CNT ()) appelaient, avec des syndicats nationalistes (ELA, LAB, etc3.), à une autre grève générale dans certaines parties de l’Etat, etc., et dans d’autres, à une journée de lutte. C’est-à-dire à lier les ouvriers derrière les intérêts nationalistes, qui ne sont pas les leurs.

De telles récupérations sont possibles, comme on l’a vu le 15 septembre à Barcelone où un million de personnes ont participé à une manifestation nationaliste catalane ! Et représentent un danger réel et grave pour la classe ouvrière et l’avenir de ses luttes.

Ce que représentait encore le mouvement des Indignés dès ses débuts et que les discussions en son sein ont montré, c’était l’espoir dans un autre monde. Cet espoir, la confiance que la classe ouvrière doit développer en elle-même, doit développer et faire vivre dans ses luttes, sont de puissants et indispensables leviers pour dépasser les pièges qu’une bourgeoisie aux abois ne cessera de nous mettre dans les jambes et dans la tête. Cela permettra de se dégager des mouvements à répétition qui ne donnent rien, sinon la démoralisation et la démobilisation.

Cela ne viendra pas tout seul, par un coup de baguette magique, mais par la compréhension profonde que les seules perspectives qui s’ouvrent pour l’humanité sont celles que peuvent lui offrir la classe ouvrière, unie internationalement, pour ouvrir la voie vers le renversement d’un monde capitaliste en pleine déliquescence. La gravité de la crise, si elle fait grandir en nous une profonde colère, a aussi un aspect effrayant ; elle révèle qu’il ne s’agit pas de faire plier tel ou tel patron, tel ou tel ministre, mais bel et bien de changer radicalement le système, de lutter pour la libération de toute l’humanité des chaînes de l’exploitation. En sommes-nous capables ? Nous, la classe ouvrière, pouvons-nous accomplir une telle tâche ? Comment nous y prendre ? Face à la barbarie croissante et à l’incapacité de plus en plus manifeste du capitalisme à offrir autre chose que toujours plus de misère, toutes ces questions se posent et traînent dans les têtes, consciemment ou non. Le prolétariat a la force de retrouver confiance en lui-même, en sa capacité à s’unir et à faire vivre la solidarité en son sein… l’aube commence d’ailleurs à poindre à l’horizon. Quand ce jour viendra, ces mots de Karl Marx prendront alors tout leur sens : “Les révolutions prolétariennes […] se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !” ( (le 18 Brumaire).

Wilma, 28 septembre

 

1) Voir nos articles sur la situation au Venezuela, en Turquie et en Espagne, pages 4 et 5 de ce numéro.

2) Nous retiendrons dans le registre “Plus menteur, tu meurs !”, le dernier éditorial de Lutte ouvrière qui explique qu’il n’y a même pas de crise, mais seulement des patrons qui s’en mettent plein les poches !

() Les Commissions ouvrières (CO) et l’Union générale de travailleurs (UGT) sont les syndicats largement majoritaires en Espagne. Le premier est historiquement lié au PC et le second au Parti socialiste.

() La CGT en Espagne est un syndicat anarchiste, scission du syndicat anarchiste historique CNT.

3) ELA et LAB sont deux syndicats nationalistes basques, le premier “modéré” (crée à l’origine pour contrer les syndicats “marxistes et anarchistes”) et le second est lié à la gauche abertzale (patriote).

() C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser !

 

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Editorial

Sahel: le Mali sombre dans le chaos et la barbarie

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Depuis le coup d’Etat militaire du 22 mars qui a mis le pays en lambeaux, le Mali baigne dans un chaos sanglant. Il est la proie de nombreux gangs et puissances impérialistes qui se disputent son cadavre. Tandis que des centaines de milliers d’habitants quittent leurs demeures pour tenter d’échapper aux massacres, d’autres, sur place, sont bastonnés systématiquement, abattus froidement, voire lapidés. Les habitants des villes et des campagnes vivent ainsi dans une misère et une insécurité effroyable que les forces armées sanguinaires se préparent encore à aggraver en généralisant les tueries au nom de la “libération” de la région Nord, entre les mains des groupes islamistes.

Voilà une situation on ne peut plus claire : un coup d’Etat dans le Sud, une rébellion qui ne vise désormais qu’à installer un Etat théocratique d’un autre âge dans le Nord, AQMI et consorts qui narguent le monde entier, leurs chefs, parmi les plus recherchés de la planète, qui se baladent tranquillement à Tombouctou ou à Gao et dont les crimes en série les enverraient aussi sûrement à la CPI [Cour pénale internationale] que tous ceux qui attendent leur procès dans les geôles de Scheveninge, à La Haye.

“A Bamako, le président de la transition, qui n’a pas grand-chose à se reprocher dans l’épreuve que traverse son pays, s’est fait lyncher pendant près d’une heure, devant des bidasses passifs, voire hilares, par des jeunes désœuvrés dont des politiciens, qui n’avaient aucune chance d’exister en dehors du chaos actuel, avaient savamment lavé le cerveau pour les inciter à commettre ce crime impardonnable. Le “sauveur de la nation”, Amadou Haya Sango, chef d’une junte qui a arraché le pouvoir des mains d’un président sur le départ, ne sauve rien du tout. (…) Et ses troupes ne se privent pas de torturer, bastonner et emprisonner arbitrairement tous ceux qui n’adhèrent pas à la “cause”.

[Face au] Mali qui sombre chaque jour un peu plus, on nous explique que tous les ingrédients d’une véritable bombe à retardement sont réunis. Qu’une nouvelle Somalie, plus proche et plus inquiétante, est en gestation. Tout le monde clame sa détermination à ne pas laisser AQMI s’installer et son indignation face à une telle descente aux enfers” ().

Voilà la parfaite description d’un Etat à terre et de sa population prise en otage par les gangsters civils, militaires et islamiques. Fidèles à leur réputation barbare, ces derniers n’ont pas tardé à mettre en branle leur machine à mutiler, à lapider, à expédier dans “l’enfer islamique” tous ceux qui ne se conforment pas à leur “charia”.

Voici une illustration caractéristique de la mentalité et des méthodes de cette “tribu” d’un autre âge qui règne sur Gao : “Gao n’est plus très loin. Le drapeau noir des salafistes flotte sur le barrage dressé au bord de la route. Le jeune qui nous arrête, mon chauffeur et moi, n’a pas plus de 14 ans. Il s’énerve en entendant la musique que crachote le vieil autoradio de notre véhicule. “C’est quoi, ça ? hurle-t-il en arabe.

“– Bob Marley.

“– Nous sommes en terre d’Islam et vous écoutez Bob Marley ? Nous sommes des djihadistes, nous ! Descendez de la voiture, nous allons régler ça avec la charia.

“Un chapelet dans une main, un kalachnikov dans l’autre, il me rappelle ces enfants-soldats croisés vingt ans plus tôt en Sierra Leone… Les enfants sont souvent plus féroces que les adultes. Nous nous empressons de l’assurer de notre fidélité à l’Islam, avant d’être autorisés à reprendre la route. (…) Venus d’Algérie ou d’ailleurs, tous se retrouvent au commissariat de police, rebaptisé siège de la “police islamique” : Abdou est ivoirien ; Amadou, nigérien ; Abdoul, somalien ; El Hadj, sénégalais ; Omer, béninois ; Aly, guinéen ; Babo, gambien… Il y a là toute l’internationale djihadiste ! Lunettes noires sur le nez, le bas du visage mangé par une barbe abondante, un Nigérian explique qu’il est un membre de la secte islamique Boko Haram, responsable de nombreux attentats dans le Nord de son pays. Il parle du Mali comme la “terre promise”, fustige l’Occident et les “mécréants”, et jure qu’il est “prêt à mourir”, si c’est la volonté de Dieu” ().

Ce que vivent les populations sous le “gouvernement” des diverses cliques maliennes, qui rivalisent en barbarie, est abominable. Mais, surtout, le monde bourgeois se fiche des souffrances des victimes en laissant pourrir sordidement la situation et en attendant cyniquement les monstrueux déchaînements qui se préparent.

La décomposition du Mali s’installe pour de bon

Après six mois de gesticulations et de marchandages entre brigands, une coalition hétéroclite de cliques maliennes vient de solliciter officiellement l’aide de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), cela “dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et la lutte contre le terrorisme”. Selon le Monde du 8 septembre 2012, Paris, qui préside le Conseil de Sécurité de l’ONU, a aussitôt annoncé l’organisation d’une conférence internationale sur le Sahel, le 26 septembre à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, dont l’appui est nécessaire pour une intervention militaire au Mali. Et de fait, les pays de la Cédéao n’attendent que le “feu vert” du Conseil de sécurité pour envoyer au front quelques 3300 soldats. On sait aussi que depuis le début de l’occupation du nord du pays par les islamistes, les grandes puissances, en particulier la France et les Etats-Unis, poussent en coulisse les pays de la zone à s’impliquer militairement au Mali en leur promettant financements et moyens logistiques.

En clair, après avoir embrasé le Mali en soutenant ou armant directement les bandes qui assassinent, Français et Américains, avec leurs rivaux, s’apprêtent à se lancer dans une nouvelle aventure guerrière sous prétexte d’aider le Mali à retrouver son “intégrité territoriale” et au nom de la lutte contre le “terrorisme islamiste”.

Malheureusement pour la classe ouvrière et les opprimés de cette région, toutes les forces bourgeoises autour de l’ONU et de l’UA-Cédéao, qui clament hypocritement leur “détermination” et leur “indignation” pour mieux justifier une intervention armée, ne vont certainement pas lancer la soldatesque dans le but de leur épargner la descente aux “enfers”. En effet, qui peut croire que les impérialismes français ou américain s’indignent sincèrement face à la misère que subissent les masses prolétariennes de cette région ? Qui peut penser que ces chefs de gangs s’activent sérieusement contre AQMI et consorts dans le seul but d’établir la “paix” et la “sécurité” des “peuples” de cette zone ?

A l’évidence, la réponse est : personne ! En vérité, nos grands barbares “démocrates” s’apprêtent à brûler toute la région simplement parce que leurs intérêts stratégiques et économiques y sont menacés directement par des groupes armés, empêchant de fait le “bon fonctionnement” des circuits économiques. D’ailleurs, c’est ce qu’il faut comprendre quand les autorités américaines et françaises parlent de “guerre contre les groupes terroristes” et pour la “sécurisation des zones d’approvisionnement des matières premières”. De même certains organes de la presse bourgeoise préparent les “opinions publiques” dans ce sens pour mieux justifier les massacres de masse : “Ce n’est plus une hypothèse, c’est une certitude : plus les jours passent, plus s’accentue la décomposition de cet Etat désormais éclaté, et plus le cauchemar stratégique, humanitaire et politique d’une somalisation du Mali hante l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et bientôt l’Europe. Même ceux qui, il y a deux mois, accordaient à la sécession du Nord quelques circonstances atténuantes par sympathie pour les revendications socio-économiques trop longtemps négligées des Touaregs, sont effarés par la mainmise brutale des groupes islamiques les plus intransigeants sur ce qui reste des populations de l’Azawad. Comment accepter que le terrorisme et les trafics en tous genres trouvent un sanctuaire en plein Sahel, sous le couvert de la charia et la bannière d’un djihadisme dévoyé ?” ()

En effet, de l’Algérie au Nigeria, de la Libye au Niger, du Soudan au Mali, du Tchad au Gabon en passant par la Côte d’Ivoire, toute cette partie de l’Afrique est bourrée des matières premières les plus recherchées dont le contrôle constitue un enjeu hautement stratégique. Donc, même s’ils savent parfaitement qu’ils vont y laisser des plumes, les divers charognards vont cyniquement entretenir le sanglant chaos. On sait que la France n’a jamais cessé d’intervenir militairement dans cette zone, notamment en Mauritanie et au Niger, en compagnie de troupes de ces pays pour protéger ses sociétés, comme AREVA qui exploite l’uranium nigérien. Les Etats-Unis ne sont également pas en reste comme le remarque à nouveau la revue Jeune Afrique : “Leur rôle [des Etats-Unis] est devenu encore plus vital depuis que le Nord du Mali est tombé entre les mains des islamistes et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad. (…) La tension qui règne dans le nord malien incite aussi le Pentagone à renforcer sa présence en Mauritanie. (…) Actuellement, affirme le Washington Post, les Américains auraient débloqué plus de 8 millions de dollars pour rénover une base proche de la frontière malienne et mener des opérations de surveillance conjointes avec les forces mauritaniennes. Les deux autres points chauds qui incitent les Etats-Unis à mettre en branle leur dispositif sont le Nigeria, avec la montée en puissance de Bako Haram, et la Somalie (…). Devant le Congrès en mars dernier, le général Carter Ham (qui dirige l’Africom) a souligné : “Si nous ne disposons pas de bases sur le continent, nos moyens en RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) seraient limités et cela contribuerait à fragiliser la sécurité des Etats-Unis.” (...) Lors de son passage devant les parlementaires, le général Carter Hom a aussi déclaré qu’il souhaitait pouvoir établir une nouvelle base de surveillance à Nzara, au Soudan du Sud. Là encore, ce projet s’explique par le contexte local. Les tensions entre le Soudan et son voisin méridional riche en hydrocarbures ne laissent pas indifférent Washington, qui doit assurer la sécurité des compagnies pétrolières présentes dans la région”.

On ne peut être plus clair : le grand gang américain et ses concurrents vont pulvériser toute la région du Sahel, à commencer par le Mali, dans le seul but de sécuriser (entre autres) les zones “riches en hydrocarbures”.

Le Mali n’est pas seulement un “Afghanistan africain” mais le visage du capitalisme moribond

Voilà un pays en décomposition totale qui ne peut offrir aucune perspective vivable à sa population et à ses enfants livrés à eux-mêmes, dont nombreux sont ceux qui, pour survivre, se laissent manipuler ou se font recruter de force par divers mafieux et autres trafiquants qui les transforment en soldats ou en mercenaires. Voilà comment de simples hommes victimes de la misère du capitalisme peuvent devenir, du jour au lendemain, des tueurs, des “apprentis bourreaux” d’une grande cruauté. Tous ces jeunes, chômeurs et éternels sans travail, tous ces “sans rien” se trouvent à la merci de tous les brigands criminels assoiffés de profits et de sang : “démocrates” civils ou militaires, putschistes, nationalistes indépendantistes, “djihadistes” et autres vrais “fous de Dieu”.

Amina, 9 septembre

 

() Jeune Afrique du 14 juillet 2012.

() Récit d’un journaliste de Jeune Afrique, 4 août 2012.

() Jeune Afrique, 16 juin 2012.

 

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  • Afrique [2]

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International

Film anti-islamiste et manifestations salafistes: haine, obscurantisme et manipulation médiatique

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Le film paru sur YouTube le 11 septembre dernier, Innocence of muslims, selon tous les avis d’une rare stupidité et d’une médiocrité à l’avenant, produit par un petit malfrat californien prétendument de confession copte, a été le centre de l’attention internationale durant une quinzaine de jours. En effet, cette dénonciation en règle du prophète Mahomet et de ses disciples, présentés, entre autres caricatures, comme des individus immoraux, pédophiles et brutaux, a provoqué des réactions dans l’ensemble du monde musulman. Ces manifestations de colère ont débouché sur des affrontements et des exactions visant principalement les intérêts des Etats-Unis, allant jusqu’au meurtre de l’ambassadeur américain en Libye.

De nombreuses choses ont été dites sur ces réactions conduites par des radicaux salafistes. Tout cela a bien sûr été allégrement monté en épingle par les médias occidentaux. Car on n’a pas dénombré en tout plus de quelques dizaines de milliers de manifestants épars, de la Tunisie au Daccar indien, en passant par le Yémen. Ce qui, au regard des centaines de millions de musulmans qui peuplent le monde arabe, sans compter les millions de musulmans qui vivent en Europe ou en Amérique, est tout à fait dérisoire.

Il ne s’agit bien sûr pas de minimiser la violence qui s’est exprimée, mais ces événements ont été délibérément grossis pour stigmatiser le “péril musulman”. Pour l’Allemagne, Angela Merkel a fait part de sa “grande inquiétude”, tandis que, pour la France, Manuel Valls tremblait devant cette “menace contre la République” après la mini-manifestation qui s’était produite devant l’Élysée, “à l’insu” des pouvoirs publics. Les Etats-Unis réagissaient quant à eux par la voix d’Hillary Clinton en déclarant que les pays arabes n’avaient “pas troqué la tyrannie d’un dictateur pour celle des foules”, en référence aux “révolutions arabes” du printemps 2011. Jusqu’au pape qui, depuis le Liban, a appelé à “éradiquer” le fondamentalisme, musulman s’entend !

Dans ce concert de réactions offusquées des politiciens, certains commentateurs ont quand même relev0é l’évidente manipulation idéologique, de part et d’autre :

• D’un côté, qu’un tel film (1 sorte dans le contexte de tensions guerrières grandissantes avec la Syrie et l’Iran, mais aussi avec les islamistes radicaux du Mali et du Sahel, et qui plus est le 11 septembre, jour anniversaire de l’attaque des Twin Towers à New-York, qui avait provoqué en 2001 la mort de 4000 personnes puis l’invasion américaine contre les talibans en Afghanistan, vient à point nommé pointer du doigt la sauvagerie des extrémistes musulmans de par le monde.

• De l’autre, ces extrémistes musulmans ne pouvaient faire autrement que de tomber peu ou prou dans le panneau, en faisant preuve une nouvelle fois de leur potentiel destructeur, car ils se devaient de faire montre de leur détermination à en découdre avec l’Amérique et les puissances occidentales afin d’asseoir leur pouvoir grandissant vis-à-vis des autres cliques bourgeoises concurrentes.

Il est donc clair que nous avons eu affaire à une escalade des deux côtés, alors que se profile des interventions militaires et d’autres massacres qui seront justifiés par ce type de préparation idéologique.

Bien sûr, la bourgeoisie et toutes ses fractions, quelle que soit la religion, s’en servent incidemment pour diviser les ouvriers partout dans le monde, comme pour les terroriser, mais l’objectif premier, derrière les discours hypocrites appelant au « calme et à la raison », est de préparer à une nouvelle avancée dans la barbarie guerrière  )(2.

Mulan, 28 septembre

 

1) Il faut aussi s’interroger sur le fait que cette vidéo est restée deux jours sur le site YouTube, filiale de Google, et lié de près au pouvoir américain, dont la charte précise : “Nous n’autorisons pas les discours incitant à la haine, qui attaquent ou rabaissent un groupe en raison de la race, l’origine ethnique, la religion, le handicap, le sexe, l’âge, le statut de vétéran ou l’identité sexuelle.”

2) Nous invitons les lecteurs à lire notre article : “Une vallée de larmes dont la religion est l’auréole”, page 8, pour plus de détails sur ce que représente la religion aujourd’hui.

 

 

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International

L’Etat renforce son dispositif sécuritaire pour mieux réprimer les luttes sociales

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Ah, qu’il est bon de se sentir en sécurité ! Voilà ce que tout bon travailleur devrait se dire en son for intérieur en se laissant envahir la nuit venue par le sommeil réparateur d’une journée harassante de labeur.

Car oui, vraiment, en matière de sécurité, le gouvernement ne peut pas être taxé d’attentisme ou d’inaction. C’est le moins que l’on puisse dire ! Alors que Claude Guéant avait à peine eu le temps de le rêver et que déjà on l’accusait à l’envi de crime liberticide, voilà que Manuel Valls, son successeur au ministère de l’Intérieur, le fait dans le plus grand calme. Le nouveau ministre n’a pas seulement créé quinze zones de sécurité prioritaires, où les moyens policiers seront significativement renforcés, il a aussi remis sur le tapis législatif la question de l’arrestation préventive.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une idée qui avait germé suite à l’affaire Mohamed Merah à Toulouse, celle d’autoriser l’arrestation de quiconque dont le comportement pourrait laisser penser qu’il présenterait un risque pour la sécurité du pays. Pour étudier ce comportement alarmant, la police a le droit de surveiller les communications, de répertorier les pays visités, de garder trace de tous les sites internet visités. Rien de moins que la légalisation du délit idéologique. Vos idées sont... subversives ? Au trou ! Après tout, on ne sait jamais.

Avec de telles mesures, la France devrait rapidement être ramenée au calme. Mais aussi se couvrir de prisons !

On pourrait presque en rire si derrière tout cela ne se cachait des intentions qui nous conduisent plutôt à une sérieuse inquiétude. Bien sûr, il y a la crainte de la bourgeoisie de voir se développer le banditisme sur le terreau de la crise et le terrorisme sur celui des pressions impérialistes. La décomposition du système capitaliste conduit à un développement violent du chacun-pour-soi et d’une situation de moins en moins contrôlable. Il ne s’agit pas de nier que la bourgeoisie – véritable pompier pyromane – fait face à une vraie problématique sécuritaire et à de vraies menaces terroristes. Mais il n’y a pas que cela. Et pour s’en convaincre, il suffit simplement de s’intéresser à deux exemples voisins en Europe.

D’abord en Allemagne : là-bas existent depuis 1968 (sans doute un hasard), des lois d’urgence qui autorisent l’intervention de l’armée sur le sol national en cas de péril grave, et notamment des agissements d’insurgés armés et organisés. Jusque ici, ces lois étaient rangées bien haut sur les étagères. Un peu trop pour certains puisque la cour constitutionnelle a, le 17 août dernier, autorisé la Bundeswehr à exercer sur son propre sol dans des conditions pour le moins allégées : “en cas de situation exceptionnelle de nature catastrophique”  (). D’habitude le droit est connu pour son attachement à la précision des termes. Là, les juristes vont pouvoir s’adonner à l’interprétation jusqu’au dégoût tellement la formule est floue !

Aurions-nous l’esprit assez tordu pour imaginer qu’une telle mesure soit prévue pour faire face à des luttes massives ? L’idée n’avait pas encore eu le temps d’être formulée totalement dans les esprits les plus aguerris que déjà la Cour répondait : non ! Sont exclus “les dangers pouvant émaner d’une foule qui manifeste”. Pourquoi tant d’empressement à le préciser ? Aurions-nous vraiment l’esprit tordu ?

Surtout que, deuxième exemple, d’autres pays ne prennent pas autant de gants. En Espagne, la bourgeoisie se remet avec peine des secousses ressenties autour de la place Puerta del Sol en 2011. L’homologue de Manuel Valls, Jorge Fernandez Diaz, en oublie carrément la langue de bois : désormais, le fait d’organiser par Internet des rassemblements protestataires sera qualifié de participation à une organisation criminelle  (). Ceci pour, selon lui, mettre fin à une spirale de violence qui tourne à la guérilla urbaine. C’est qu’il a dû avoir très peur, le Monsieur, car déjà l’arsenal répressif et pénal de l’Espagne n’était pas parmi les plus laxistes sur le continent !

Qu’on se le tienne pour dit : émettre des idées remettant en cause la légitimité du pouvoir, ou même simplement chercher à les lire sur Internet, développer des contacts autour de ces idées, protester contre le pouvoir, chercher à s’organiser pour défendre ses intérêts et construire un rapport de force, tout cela peut nous conduire devant les juridictions pénales, en prison, sous les matraques de la police ou les flingues de l’armée. C’était déjà implicitement le cas, mais maintenant, c’est écrit noir sur blanc ! Ces mesures sont tout autant dirigées contre le banditisme ou le terrorisme que contre… la lutte de classe, elles en font même volontairement l’amalgame pour criminaliser par nature ceux qui refusent de laisser le système nous détruire sans réagir.

Si ces mesures doivent nous rendre conscients et lucides sur la détermination que mettra la bourgeoisie à s’affronter au développement des luttes, elles nous informent aussi, en négatif, de la menace que le prolétariat représente en perspective pour les intérêts du capitalisme. C’est une preuve de plus que l’avenir appartient bien à la lutte de classe.

GD, 26 septembre

 

()  lemonde.fr

()  legrandsoir.info

 

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France

Espagne: pourquoi les syndicats nous mènent-ils toujours à la défaite?

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L’article que nous publions ci-dessous est paru dans Acción Proletaria, journal de la section du CCI en Espagne.

En septembre 2011, les travailleurs de l’enseignement à Madrid ont répondu aux 3000 licenciements et à l’allongement de la journée de travail par des assemblées générales massives unissant professeurs, étudiants et tous les travailleurs du secteur de l’enseignement. Les cinq syndicats de l’Education ont fait de leur mieux pour étouffer cette initiative afin de contrôler la lutte. Quel a été le résultat ? Les assemblées massives ont été remplacées par des “enquêtes” et des réunions de comités syndicaux, les professeurs sont restés isolés, les manifestations étaient chaque fois moins fréquentées. Finalement, la lutte s’est terminée et les mesures du gouvernement autonome ont fini par s’imposer.

En février 2012, les lycéens de Valence, qui ont subi une répression sauvage, sont descendus chaque jour dans la rue et ont appelé à la solidarité des travailleurs. Ce mouvement s’est étendu à toute l’Espagne et le gouvernement central a dû retirer ses mesures répressives. Les syndicats se sont empressés de prendre en mains la lutte contre la répression et la réforme du Code du travail. Ils ont organisé une journée de “grève générale”-défouloir, le 29 mars, qui fut une immense escroquerie. Devant la déception de nombreux travailleurs, ils ont promis de nouvelles mobilisations. Ils se sont limités à appeler à des manifestations pour la fin avril et le 1er mai. Résultat : l’Etat a appliqué la réforme du Code du travail avec toutes ses conséquences dramatiques.

Le 11 juillet, le gouvernement Rajoy a adopté le pire programme d’austérité depuis plus de cinquante ans. Les syndicats sont restés silencieux. Mais, le même jour, des manifestations spontanées ont éclaté, surtout à Madrid. Devant ce phénomène, les syndicats se sont “réveillés” et ont offert leurs “bons et loyaux services” : ils ont appelé à des manifestations dans toute l’Espagne, le 19 juillet. Mais, au vu de l’intérêt et la rage de la population, les syndicats – une fois de plus – ont reporté les actions à une date ultérieure, la plus lointaine possible : une marche sur Madrid pour le 15 septembre, un référendum pour octobre, une nouvelle journée de “grève générale” prévue pour on ne sait quand. Cela revient à balancer un seau d’eau glacée sur la combativité et la colère des travailleurs !

Des rencontres secrètes entre les syndicats et le gouvernement

Quelques jours après la manifestation du 19 juillet, nous apprenions que les chefs des CCOO et de l’UGT avaient rencontré, début juillet, Madame Merkel. Cette visite s’est doublée d’une autre au Palais de la Moncloa pour discuter avec Rajoy. L’objet de ces rencontres secrètes ne fait aucun doute : Merkel, le gouvernement espagnol et les syndicats ont pactisé pour, selon toutes probabilités, élaborer une stratégie contre les travailleurs.

Ainsi, avant la grève du 29 mars, Rajoy a rencontré séparément chaque leader syndical. La vice-présidente du gouvernement a même reconnu la tenue de 33 “réunions techniques” entre les représentants du gouvernement et les syndicats !

Ce n’est là nullement une nouveauté. Tout au long de l’histoire, de nombreux coups ont été portés aux travailleurs à travers des réunions secrètes entre ses ennemis déclarés (les gouvernements) et ses faux-amis (les syndicats et les partis de gauche). Quand en 1980-81, à l’époque du régime soi-disant “communiste”, une grève massive frappait la Pologne, le syndicat Solidarnosc a progressivement démobilisé les ouvriers pour faciliter le coup de grâce : l’Etat de siège décrété par le général Jaruzelski, alors chef de l’Etat, le 13 décembre 1981. Or, deux jours avant le coup d’Etat, une réunion secrète était organisée entre ce général, le cardinal primat de Pologne et le chef de Solidarnosc, Lech Walesa  ! () Il ne faut pas être particulièrement clairvoyant pour comprendre que ce conciliabule a préparé la répression qui a envoyé à la mort des centaines d’ouvriers, en prison des milliers d’autres, et l’armée pour inonder les mines avec les mineurs prisonniers à l’intérieur ! 

Les syndicats mobilisent pour... démobiliser

Nous savons parfaitement ce que font les gouvernements et le patronat. Personne n’entretient plus aucune illusion sur eux. Ils ne cherchent d’ailleurs même plus à cacher leur volonté d’imposer les pires sacrifices aux travailleurs. Mais que font les syndicats ? Quel est leur rôle ?

Une première tâche des syndicats consiste à organiser des mobilisations qui, en réalité, démobilisent et divisent les travailleurs. Les actions de “lutte” des CCOO et de l’UGT servent uniquement à mouiller la poudre. Les appels syndicaux sont systématiquement à contretemps : quand les gens ont envie de lutter, les syndicats démobilisent et ne lancent aucun appel, tandis qu’ils multiplient les “actions de lutte” quand les gens sont fatigués et déboussolés. Beaucoup de personnes en ont marre des gesticulations des journées de “grève générale”, des “manifestations-ballades”, des luttes isolées, enfermées dans un secteur déterminé ou une entreprise particulière.

C’est à ce problème que la grève des mineurs a dû faire face. Ces derniers ont été enfermés dans une lutte pour “sauver les mines de la nation”. Toute la combativité et toute la colère ont été canalisées à travers des affrontements stériles avec la police pour bloquer les lignes ferroviaires ou les autoroutes. Cependant, le 11 juillet, lors de la marche des mineurs sur Madrid, beaucoup de travailleurs de la capitale ont rejoint la manifestation par solidarité et se sont eux-mêmes mis en lutte. Les syndicats ont alors hâtivement renvoyé les mineurs chez eux et ont annulé les appels à la lutte, en promettant des mobilisations futures à des dates très lointaines.

Le piège national

Les syndicats ont appelé à la manifestation du 19 juillet avec pour slogan : “Ils veulent couler le pays !” Selon eux, Merkel veut faire sombrer l’Espagne et le gouvernement Rajoy se comporte comme un domestique complaisant. L’objectif de la lutte aurait donc été de “sauver le pays” face à Merkel et à Rajoy.

Machiavel, le philosophe qui a inspiré depuis le xvi siècle les générations successives de gouvernements, disait que le bon homme d’Etat devait présenter ses intérêts particuliers comme étant l’intérêt de ses sujets. Un des meilleurs mensonges avec lequel la minorité exploiteuse assoit sa domination consiste à nous faire croire que la nation appartient à tous, qu’il s’agit d’une communauté dans laquelle les exploiteurs et les exploités ont un intérêt et un lien communs. Cet “intérêt commun” est le déguisement des intérêts particuliers et égoïstes des capitalistes.

Qu’est-ce que la nation ? La nation est la propriété privée d’un groupe de capitalistes qui opèrent dans un pays. Défendre la nation, c’est défendre cette propriété privée. En d’autres termes, nous, travailleurs, nous renonçons à nos propres intérêts et au futur de toute l’humanité pour servir de pions aux intérêts capitalistes, et, parfois, de chair à canon dans ses guerres contre les autres Etats capitalistes.

Rajoy ne cesse d’ailleurs de répéter que les mesures d’austérité sont prises “pour le bien de tous les Espagnols”. Chaque fois, de moins en moins de personnes croient en ce mensonge. Alors, comment continuer à faire crédit à la mystification selon laquelle l’intérêt national est “l’intérêt de tous” ? C’est ici qu’interviennent les syndicats pour rabattre les travailleurs sur des revendications interclassistes, en lien avec celles des policiers, des politiciens “honnêtes”, des chefs d’entreprise productifs, des “entrepreneurs”, etc., avec qui nous pourrions sauver le pays.

Lutter pour la défense de l’intérêt national est la meilleure manière d’accepter l’austérité, les licenciements, le chômage, les expulsions, et, ce qui reste le sacrifice suprême, la guerre.

De la même manière qu’ils nous ligotent au capital national, les syndicats nous séparent et nous opposent aux travailleurs du monde entier qui sont les seuls sur lesquels nous pouvons compter, avec lesquels nous pouvons forger un front unis et solidaire contre le capital pour créer une société nouvelle, libérée des classes, des Etats, des frontières nationales, une communauté humaine mondiale.

Le piège du référendum

Avant les coupes budgétaires, les syndicats proposent comme alternative un référendum sur le gouvernement Rajoy. Ils font valoir que Rajoy a commis une fraude envers les électeurs, qu’il a été élu sur un programme et qu’une fois au gouvernement, il en applique un autre. Ils ont raison, mais c’est ce que font tous les gouvernements, pas seulement en Espagne, mais dans n’importe quel pays du monde ! Les élections sont toujours une fraude parce que tous les partis promettent des choses et s’empressent de faire le contraire quand ils sont au pouvoir. Quand ils sont dans l’opposition, ils affirment vouloir faire ce que personne ne fait, et quand ils sont au gouvernement, ils font ce que personne n’a dit vouloir faire. C’est là l’essence de l’Etat démocratique : le parti qui gagne poursuit l’œuvre du précédent, tout comme celui qui succédera… Et l’alternative des syndicats, c’est un référendum visant à renverser Rajoy pour fraude au profit d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle fraude ! C’est-à-dire nous lier à une fraude permanente ! Comment pouvons-nous briser cette chaîne sans fin de fraudes ?

D’abord en rompant avec la proposition syndicale et en refusant de participer au référendum et aux élections. Le vote est toujours un piège et il est toujours une escroquerie. Il se base sur la prétendue “liberté de vote” d’une somme de citoyens supposés agir souverainement. Mais c’est une tromperie ! Parce que nous sommes soumis à des conditions de vie aliénantes, atomisés, mis en concurrence les uns les autres ; parce que nous subissons l’intoxication quotidienne des médias et de la communication qui nous manipulent ; parce que l’idéologie dominante nous pousse à un affronter entre nous, à lutter pour les intérêts d’une minorité au lieu de lutter pour nos propres intérêts. Dans de telles conditions, il n’y a pas d’autre choix que d’élire ceux que le capital et l’Etat ont choisi. Voter pour n’importe quel parti, dire oui ou dire non ; toujours seront élus ceux dont le capital a besoin.

D’autre part, le vote consiste à déléguer la gestion de nos affaires à une minorité de politiciens professionnels et de leaders syndicaux à qui nous donnons un chèque en blanc pour “nous défendre” alors que ce qu’ils font toujours – et il ne peut en être autrement – c’est défendre les intérêts du capital et de l’Etat.

En fixant le référendum comme objectif de lutte, les syndicats nous divisent et sabotent ce qui serait le début de la solution aux sérieux problèmes qui se posent aux travailleurs et à l’humanité : les assemblées générales et la lutte unitaire, directe et massive.Ces assemblées se basent sur la force que donne l’association : s’unir de manière solidaire et empathique afin que chacun puisse donner le meilleur de lui-même pour un objectif commun à tous, débattre, décider ensemble, se sentir responsable de toutes les décisions prises. L’alternative est donc la suivante : la lutte syndicale, avec sa démobilisation et ses pièges, ou la lutte autonome de la classe exploitée.

Acción Proletaria, 31 août

 

()  Il faut également signaler que Monsieur Walesa est passé de la fonction de chef du syndicat à celle de chef d’Etat dans les années 1990.

 

 

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Grève sauvage à Antep (Turquie): “nous voulons vivre comme des êtres humains!”

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Face au black-out qu’impose la bourgeoisie sur les luttes du prolétariat dans le monde, nous tenons à nous faire l’écho des mobilisations les plus significatives. C’est dans ce cadre que nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article de notre section en Turquie.

“Où allez-vous ?

– Nous sortons, mon frère, nous ne voulons pas travailler.

– Bien, alors sortons tous ensemble, n’allons pas travailler.”

Les ouvriers du textile dans la zone industrielle d’Antep, une ville à la frontière de la zone kurde de la Turquie, ont récemment déclenché une grève contre leurs conditions de travail, les bas salaires et les réductions de leurs primes. La grève, qui a débuté avec trois à cinq mille ouvriers selon différentes sources, s’est rapidement étendue à sept usines dans la zone industrielle, impliquant sept mille travailleurs au total.

Au sujet de leurs conditions de travail dont la durée journalière est en moyenne de douze heures, les ouvriers disaient ceci : “Ce que nous voulons, c’est juste un salaire, qui suffise à nourrir nos familles, et nos droits sociaux. Nous ne demandons rien d’autre. Nous n’avons rien contre quelqu’un en particulier, ni n’avons de mauvaises intentions, nous voulons ce que nous méritons” ().

Un ouvrier qui a participé à la grève explique comment la bourgeoisie turque, qui a pris un tournant important en développant solidement son intégration dans le réseau des rapports impérialistes internationaux avec le mot d’ordre de “devenir une superpuissance”, n’a semé que de faux espoirs dans son adresse à la nation : “Ils disent que nous ne sommes que derrière la Chine au niveau économique. Ils disent que nous sommes des pionniers en ce qui concerne les exportations. Personne ne demande quel impact cela a sur les travailleurs, quelle quantité de pain peuvent ramener les ouvriers à la maison. Personne ne se soucie des travailleurs. Nous avons été en grève ici pendant des jours et les revendications humaines de milliers de personnes ont été ignorées” ()

Une autre caractéristique importante de la grève est la réaction contre le syndicat Oz-Iplik-Is qui fait partie de la confédération Hak-Is () dont une partie significative des grévistes sont membres. Dès le début, la grève était indépendante de la direction et des orientations syndicales ; les ouvriers n’ont pas hésité à critiquer les syndicats. La prise de position la plus claire sur la situation a été celle de Nihat Necati Bencan, le représentant régional du DISK () a Antep, que nous souhaitons citer non seulement pour sa clarté sur la façon dont les syndicalistes ont ressenti la grève, mais aussi pour son ironie : “Les revendications des travailleurs de cinq usines sont formulées par les représentants qu’ils ont délégués parmi eux. Toutefois, des directeurs d’usine ne prennent pas ces revendications au sérieux et ne prennent pas les mesures nécessaires pour satisfaire ces revendications. Des mesures doivent être prises de façon à régler le problème rapidement. Autrement la grève continuera et s’étendre” ().

L’accord sur une augmentation ridicule entre le syndicat et un patron d’usine est une des raisons qui a déclenché la grève. Quand les ouvriers ont réalisé que le syndicat avait négocié une augmentation de 45 TRY (), c’est-à-dire presque rien, ils se sont immédiatement mis en grève en juillet. Mehmet Kaplan, le président régional du syndicat OZ-Iplik-Is à Antep, a même été retenu dans l’usine pendant un moment par les travailleurs après avoir fait face à des slogans comme “Président, traître ! Syndicat, traître” ! Les travailleurs ont donc concrètement et immédiatement fait grève contre un syndicat !

Comme la grève continuait, les laquais de la bourgeoisie ont continué à réprimer par différents moyens. L’Etat, qui a envoyé des meutes de chiens devant les usines dès le début de la vague de grèves, a été très perturbé par les actions ouvrières qui n’étaient pas contrôlées par les syndicats. Les “conseils” donnés par les policiers aux ouvriers pendant la grève étaient à ce titre frappants : “Si vous n’acceptez pas cela, vous ne trouverez plus jamais de travail ailleurs. Les patrons ne peuvent pas se permettre plus. Acceptez et reprenez le travail”. Les forces de l’ordre semblent ainsi aussi bien informées que la police des usines : les syndicats…

Le onzième jour, la grève s’est terminée avec un gain réel pour les travailleurs, notamment une augmentation de salaire allant de 780 à 875 TRY. Les ouvriers de l’usine Motif Textile reviendront même au travail avec une augmentation de 905 TRY par mois. Grâce encore à cette grève, les travailleurs ont obtenu un bonus de dix jours pour chaque grande fête nationale.

Juste après la grève, l’attentat à la bombe, qui a entraîné la mort de neuf civils à Antep, est rapidement devenu le sujet principal en ville et a dissipé la bouffée d’air frais produite par la grève. Dans un pays comme la Turquie, où les événements médiatiques sont très faciles à produire et très aléatoires, les nouvelles, qui sont entièrement contrôlées par la bourgeoisie comme dans tous les autres pays, sont utilisées pour empêcher de tels mouvements d’atteindre le reste de la classe ouvrière. Ainsi, la classe dominante fait tout ce qu’elle peut pour empêcher le reste de la classe ouvrière d’entendre seulement parler de pareilles grèves. Par exemple, alors que les principaux médias turcs ont relayé sans arrêt l’information du massacre des mineurs sud-africains par la police, cette grève, qui avait lieu dans le pays où ils sévissent, n’a évidemment pas fait l’objet de commentaires, même très brefs, dans les journaux et à la télévision. Nous n’en sommes pas surpris, bien sûr ! C’est leur rôle de manipuler.

Malgré ces manœuvres, les travailleurs ont poursuivi leur grève. Les patrons, dans quelques usines, voulaient, en effet, faire signer aux travailleurs un document qui disait : “Je regrette d’avoir participé au mouvement.” Contre ces manœuvres des patrons qui sont capables de toutes sortes de mesures répressives, les ouvriers ont refusé de signer ces documents.

Cette grève est une pierre angulaire pour le mouvement de la classe ouvrière en Turquie, qui a progressé dans une série de luttes isolées au sein des usines et des ateliers après la lutte des ouvriers du tabac de Tekel, comme lors de la lutte des travailleurs de Hey Textile qui ont été mis à pied sans motif valable, ou lors de la grève de Turkish Airlines.

Certains détails mettent en lumière la signification de la grève. Les ouvriers se sont organisés pour satisfaire presque tous leurs besoins au long de la lutte, à côté de quelques aides limitées qui leur ont été données plus tard au cours de la lutte. Ils agissaient ensemble sur des questions comme la nourriture, les transports, etc., et prenaient toutes les décisions avec un comité qu’ils avaient constitué en leur sein. Un des éléments les plus importants de cette grève auto-organisée a été la capacité des travailleurs à agir en dehors des syndicats, à prendre leur lutte en mains ; ce qui constitue un acquis très significatif. Les critiques à l’égard des syndicats pendant la grève démontrent qu’il existe maintenant une question brûlante pour les travailleurs : nous n’avons pas besoin des syndicats dans notre lutte !

Selon toute la presse bourgeoise de gauche, en dépit de cette grève pourtant complètement indépendante des syndicats (et même contre eux), les travailleurs devraient être incités à former des syndicats plus forts ! Affirmer que les ouvriers vont discuter de cela alors que leur lutte a eu lieu en-dehors des syndicats, est une manœuvre politique. Ainsi, au lieu d’écrire sur la grève sauvage elle-même, la gauche bourgeoise ne parle que de ce qui correspond à son programme pro-capitaliste et syndicaliste.

Nous pouvons également constater une différence considérable lorsque nous comparons la durée des luttes et des grèves encadrées par les syndicats et celles qui ne le sont pas. Les premières, tout en suscitant une profonde colère contre les formations syndicales, qui ne sont rien d’autres que des appareils d’Etat, entraînent aussi l’épuisement et le désespoir chez les travailleurs, en particulier quand il leur apparaît nécessaire de prendre le contrôle de leur propre lutte. Cependant, nous pouvons voir, en prenant aussi en considération l’expérience de la classe ouvrière dans le monde, que les mouvements organisés et dirigés par les travailleurs eux-mêmes entrent toujours dans l’histoire du prolétariat et réussissent vraiment à remonter le moral, car les ouvriers organisent et mènent leur lutte eux-mêmes. D’un côté, la capacité des travailleurs à s’organiser et à faire vivre la solidarité développe la confiance en leur capacité et leur dignité et, de l’autre, les grèves organisées par les syndicats aboutissent dans des impasses, gaspillent l’énergie des ouvriers et les poussent au désespoir de l’impuissance ; le résultat en est une nouvelle mauvaise expérience et une amère déception.

“Malgré tout, nos salaires se sont élevés de 780 à 875 TRY. Ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas une petite augmentation. Cette grève est aujourd’hui terminée mais notre lutte ne l’est pas”  (). Suite à la grève, les ouvriers ont décidé que leur comité de lutte organiserait un congrès pour discuter de leur expérience. Alors que les comptes-rendus sur les détails de la grève diffèrent dans les média bourgeois, il est significatif de constater que les ouvriers créent des espaces de discussion pour clarifier les leçons de la grève sauvage et de la lutte.

Nevin, 3 septembre

 

() www.medya73.com/iscilerden-insanca-yasmak-istiyoruz-grevi-haberi-1017780... [6]

() www.medya73.com/iscilerden-insanca-yasmak-istiyoruz-grevi-haberi-1017780... [6]

() Hak-Is est une confédération syndicale pro-gouvernementale et islamiste

() La Confédération syndicale ouvrière révolutionnaire (progressiste, comme se désigne désormais la confédération) est le principal syndicat gauchiste dans le secteur privé turc.

() www.agos.com.tr/gaziantepte-4-bin-tekstil-iscisi-grevde-2304.html [7]

() 45 livres turques, soit environ 20 euros.

() www.soldefter.com/2012/08/20/antep-iscilerinin-grevi-sona-erdi-bir-adim-... [8]

 

 

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Lutte de classe

Elections présidentielles au Venezuela: le “chavisme” et les partis d’opposition contre les travailleurs

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article écrit par Internacionalismo, notre section au Venezuela.

Les élections présidentielles du 7 octobre au Venezuela représentent un moment de tension maximale entre les fractions bourgeoises que sont les chavistes et les partis d’opposition. Ces derniers, regroupés dans la Mesa de la Unitad Democrática () (MUD), ayant choisi Henrique Capriles pour candidat, comme le pouvoir officiel misant sur son candidat à perpétuité, Hugo Chàvez, qui dispose de l’appareil de son parti et de centaines de millions de bolivars (), tentent de mobiliser et de gagner des voix, principalement parmi les masses ouvrières épuisées depuis l’arrivée du régime chaviste au pouvoir, par treize années d’affrontements politiques.

Décomposition et crise en toile de fond de la “bataille finale”

L’ascension de Chavez fut le produit de la décomposition de la bourgeoisie vénézuélienne, principalement des forces politiques qui ont gouverné le pays jusqu’à son accession au pouvoir en 1999. En raison de sa forte popularité, divers secteurs du capital l’ont appuyé avec, alors, pour objectif de lutter contre le niveau élevé de corruption, de rétablir la crédibilité des institutions et, par dessus tout, celle du gouvernement, c’est-à-dire d’améliorer le système d’oppression et d’exploitation dans l’intérêt de la nation et de la bourgeoisie. Les forces d’opposition, bien qu’affaiblies, sont rapidement entrées dans un rapport de force avec le régime, notamment lors du coup d’Etat en 2002 () et l’arrêt de la production pétrolière à la fin de la même année, ce qui s’avéra finalement infructueux et renforça le pouvoir de Chavez, se traduisant par sa réélection en 2006. 

Après plus d’une décennie de chavisme, la crise a poussé les différentes fractions de la bourgeoisie à se disputer le pouvoir central de l’Etat. Les forces d’opposition bénéficient en effet de la baisse de popularité du régime liée à deux causes principales :

• La décomposition croissante du régime chaviste, que nous caractérisions ainsi dans un précédent article d’Internacionalismo : “De nouvelles élites civiles et militaires se sont constituées et trustent les postes au sommet de la bureaucratie Etatique. Elles ont échoué dans leur objectif de surmonter les problèmes accumulés par les gouvernements précédents bien plus occupées par leurs intérêts personnels et le partage du butin de la manne pétrolière, provoquant une croissance exponentielle de la corruption et un abandon progressif de la gestion de l’Etat. Cette situation, doublée de la mégalomanie du régime chaviste et de sa prétention d’étendre la “révolution bolivarienne” au niveau de tout le continent latino-américain, a peu à peu vidé les caisses de l’Etat. Elle a également exacerbé les antagonismes politiques et sociaux qui ont élevé l’incapacité de gouverner à un niveau bien pire que dans les années 90.”

• L’intensification de la crise du capitalisme en 2007 a joué contre les aspirations du régime chaviste d’implanter son projet de “socialisme du xxi siècle”. Bien que Chavez, comme les autres gouvernements, ait déclaré que l’économie vénézuélienne était “blindée”, la réalité est que la crise mondiale du capitalisme a permis de redécouvrir la fragilité historique de l’économie nationale : elle varie en fonction des prix du pétrole. A cela s’ajoute le fait que les plans populistes ont été possibles grâce aux attaques sur les salaires et à la réduction ou à la suppression des “acquis” comme les conventions collectives que le chavisme avait pourtant octroyé comme “pourboire” aux travailleurs.

La stratégie du candidat d’opposition, Henrique Capriles, basée sur des tournées quotidiennes sillonnant les villes et les villages du pays, “maison par maison”, cherchant à exploiter l‘abandon social des laissés-pour-compte et les échecs du chavisme, ont permis, selon certaines enquêtes d’opinion, une remontée en flèche dans les sondages de sa candidature. Sa tactique consistant à proposer des programmes sociaux, populistes et semblables à ceux du chavisme, tout en évitant la confrontation directe, a donné des résultats. Cependant, Hugo Chavez insiste sur les pseudo-réussites de son projet en direction des pauvres et sur sa qualité de “gardien de l’ordre nécessaire” contre l’anarchie qui pourrait frapper le capital vénézuélien dans son ensemble.

Le chavisme, malgré toutes ses faiblesses (perte de gouvernements de province, conflits d’intérêts dans ses propres rangs, maladie de Chavez, etc.), n’envisage pas d’abandonner le pouvoir et, ces derniers mois, n’a négligé aucun détail dont l’opposition pourrait tirer avantage : inscription obligatoire des employés du secteur public au Parti Socialiste Uni du Venezuela (), obstacles dressés contre le vote des résidents à l’étranger, particulièrement à Miami et en Espagne, neutralisation des partis qui soutiennent l’opposition (PODEMOS, PPT, COPEI) à travers des condamnations prononcées par le Tribunal supérieur de justice, etc. A cela s’ajoute le contrôle exercé sur les médias et les moyens de communications qui offrent à Chavez un avantage décisif sur le plan de la propagande électorale.

Chavez a également élaboré d’autres stratégies pour l’emporter en cas d’échec aux élections. Il a notamment déjà annoncé que l’opposition prépare un plan pour dénoncer une fraude électorale... Pour mener à bien cette stratégie, il s’appuie comme toujours sur le pouvoir d’Etat et parti­culièrement sur l’armée, qui a abandonné son statut de “force professionnelle au service de la nation, non décisionnelle et apolitique” pour se convertir en “force patriotique, anticapitaliste, anti-impérialiste et chàviste”. En ce sens, on comprend la fréquence des menaces de Chavez et de son entourage contre les opposants.

Le parti au pouvoir accuse également l’opposition de refuser de reconnaître dès maintenant les résultats qui seront proclamés par le Conseil national électoral (CNE) ; c’est pour cela que le gouvernement prétend donner l’alerte afin d’éviter que les opposants excitent la population quand le CNE annoncera le triomphe de Chavez. Pour sa part, l’opposition explique qu’elle ne peut pas donner un chèque en blanc au CNE, à la fois juge et partie, qui a sanctionné l’opposition mais qui n’a pas sanctionné les arrangements du pouvoir avec les règles qu’il avait pourtant imposées. En somme, il s’agit simplement d’un affrontement entre partis bourgeois où chaque clan utilise les ruses propres à sa classe pour assurer le meilleur rapport de forces possible à sa candidature.

Les travailleurs doivent rejeter toute division en leur sein

Le prolétariat vénézuélien doit rester sur ses gardes pour ne pas être la victime de cette “bataille finale” que se livrent les forces du capital national et dans lequel elles vont chercher à l’entraîner.

Le chavisme dispose d’armes idéologiques très puissantes pour mobiliser “les pauvres” et “les exclus” qui ont encore l’espoir que Chavez tiendra ses promesses, surtout celles sur les “Missions”, théoriquement dirigées “contre la bourgeoisie prédatrice, qui veut un retour au passé”. Mais, Chavez se prépare également à un affrontement armé en cas de nécessité. Il sait pouvoir compter sur la milice bolivarienne et sur les troupes de choc qui se sont constituées en différents “collectifs” aussi bien à Caracas qu’à l’intérieur du pays, armés par l’Etat lui-même.

Les forces d’opposition, de leur côté, bien qu’elles n’aient pas de stratégie publique en cas d’épreuve de force, ne vont pas rester les bras croisés. Parmi celles-ci, on trouve des partis traditionnels comme celui de la social-démocratie, Action démocratique, qui ont des décennies d’expérience dans l’organisation de “collectifs” armés. Dans les rangs de l’opposition, on trouve également des organisations de gauche qui ont soutenu le chavisme à ses débuts et qui connaissent parfaitement les méthodes d’affrontement.

Les travailleurs doivent avoir conscience qu’il est impossible de lutter contre la précarité et l’exploitation en changeant de gouvernement. La crise du capitalisme demeure et s’approfondira quel que soit le vainqueur, Chavez ou Capriles. Ce sont les mesures d’austérité et la précarité qui l’emporteront finalement.

Nous ne devons pas tomber dans le piège idéologique que nous tendent ceux qui prétendent que la confrontation électorale oppose le “communisme” et la démocratie, “le peuple” et la bourgeoisie. Chavez et Capriles défendent deux programmes capitalistes d’Etat, qui chacun s’appuie sur la même exploitation de la force de travail du prolétariat vénézuélien.

La dispute électorale est seulement un moment de la confrontation entre les différentes fractions du capital national. Le prolétariat doit éviter de se laisser prendre au jeu des conflits entre fractions bourgeoises. Il doit plutôt rompre avec l’idéologie démocratique, tirer les leçons de ses propres luttes, poursuivre son effort pour retrouver son identité de classe, son unité et sa solidarité.

Internacionalismo, août 2012

 

() Plateforme de l’Unité démocratique.

() Monnaie locale.

() Du 11 au 13 avril 2002, un coup d’Etat, mené par Pedro Carmona, a vainement tenté de destituer Chàvez.

() Le parti chaviste.

 

 

Géographique: 

  • Vénézuela [10]

Rubrique: 

International

Les conditions de vie et les conduites addictives

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Nous publions ci-dessous la contribution d’une lectrice qui permet, à la lumière des recherches en psychologie sociale et en neurologie, de mieux comprendre les liens entre les conditions de vie et les conduites addictives. En expliquant les mécanismes sous-jacents de ce phénomène croissant, cette contribution illustre un aspect de l’impasse du capitalisme et tout le cynisme de la classe dominante. Prendre conscience de la réalité des souffrances générées par l’exploitation et la barbarie de la société est important. L’appel à la “conscience collective” est à ce titre parfaitement valable car il s’agit d’une arme des exploités pour critiquer et renverser une société inhumaine. Nous tenons donc vivement à saluer l’initiative de la camarade et à encourager cette démarche.

Les individus sans activité professionnelle sont constamment stigmatisés pour leur prétendu manque de volonté, en particulier à cause de la consommation de substances psychoactives () plus importante dans cette population, comme en témoignent de nombreuses études qui sont régulièrement réalisées sur les conduites addictives des jeunes et des personnes sans emploi. A contrario, très peu d’étude sur la consommation de substances psychoactives ont été réalisées chez les personnes en activité. C’est pourtant une réalité qui affecte de nombreux travailleurs et dont les causes sont multiples et souvent travesties. Par ailleurs, les structures et les actions qui sont mises en place par l’Etat pour lutter contre les addictions sont peu efficaces et hypocrites.

La consommation des publics exclus et anxieux face à l’avenir

Les publics en exclusion professionnelle consomment davantage de tabac, d’alcool, de médicaments psychotropes (anxiolytique, antidépresseur, myorelaxant, etc.) et de drogues illicites. Ainsi, selon une étude de l’INPES () réalisée auprès de 2594 chômeurs en 2005, 10,5 % d’entre eux étaient dépendants à l’alcool, 12 % consommaient du cannabis et 17,4 % ingéraient des médicaments psychotropes. Par ailleurs, les allocataires du Revenu de solidarité active sont 45 % à avoir des difficultés avec l’alcool contre 15 % des actifs occupés (). Les jeunes sont également victimes d’une surconsommation de substances psychoactives. Selon les études de l’OFDT (), en 2002, et de l’ADSP (), en 2007, 40 % des jeunes âgés de 18 ans consomment quotidiennement du tabac, contre 29 % des personnes âgées entre 18 et 75 ans. De plus, 10,5 % des jeunes surconsomment des boissons alcoolisées et 13,3 % fument régulièrement du cannabis.

Plusieurs explications à cette surconsommation chez les populations en recherche d’insertion sociale peuvent être avancées. D’une part, certains auteurs pensent que l’adolescence et ses multiples changements (physiologique, psychologique, passage à l’âge adulte, etc.) est la cause principale des conduites à risque des jeunes. En effet, les adolescents perçoivent l’alcool comme un moyen, soit de mieux vivre ce bouleversement générant un mal-être, soit de créer du lien social. Il est vrai que si l’aspect convivial de l’alcool n’est pas propre à l’adolescence, il n’en reste pas moins un moyen perçut comme efficace et facilement accessible par les jeunes. D’ailleurs, les professionnels du secteur des boissons alcoolisées connaissent ce phénomène et développent des stratégies marketing en direction des jeunes consommateurs qui sont attirés par des saveurs sucrées. Des produits appelés “premix” ou “alcopops” sont créés à destination de ce public. Ces boissons fortement alcoolisées (vodka, whisky ou rhum) sont mélangées à des boissons non alcoolisées fortement sucrées (sodas ou jus de fruits) afin de cacher le fort goût d’éthanol. Or, même si la quantité d’alcool ingérée est moindre par rapport à une boisson alcoolisée traditionnelle, le risque est d’oublier leur teneur en alcool et donc d’en consommer en plus grande quantité, ce qui a des conséquences graves sur ces cerveaux encore en développement.

D’autre part, l’anxiété face au futur et la crainte du chômage, liées à la situation économique, accentuent également la consommation de substances psychoactives des populations précaires. A ce titre, Isabelle Varescon montre que la dépendance à l’alcool est la conséquence d’un échec devant une tâche. Cet échec se traduit par un sentiment d’incompétence personnelle et sociale. Par son effet analgésique, la consommation de substances psychoactives est un moyen de pallier la faible estime que l’individu a de lui-même.

La recherche de lien social au moyen de l’alcool et l’effet antalgique des substances psychoactives sont des stratégies d’adaptation dont les consommateurs s’aperçoivent, souvent trop tard, qu’elles les précarisent davantage.

La consommation des travailleurs

La même enquête de l’INPES, réalisée auprès de 15 994 “actifs occupés” âgés de 16 à 65 ans, estime que 28,1 % des répondants présentent un tabagisme régulier, 13,8 % consomment des médicaments psychotropes, 8,1 % présentent une alcoolo-dépendance et 8 % consomment des drogues illicites.

Cette enquête a également montré qu’il existe des liens entre le type de substances psychoactives consommé et le milieu professionnel. Sauf le milieu des activités financières, aucun secteur ne semble épargné. Mais, les domaines du bâtiment et des transports sont les plus touchés dans la mesure où la consommation de tabac, d’alcool, de médicaments psychoactifs et de drogues illicites est supérieure à tous les autres milieux professionnels. Une surconsommation de tabac et de drogues illicites est également démontrée dans le milieu de la restauration. En ce qui concerne les médicaments psychotropes, les activités de ménage et administratives présentent une consommation plus importante que d’autres secteurs comme l’industrie, les services et la restauration.

Des études récentes ont montré que la surconsommation de substances psychoactives en milieu professionnel est la conséquence d’un mal-être au travail se traduisant par du stress. Le stress apparaît lorsqu’une situation de travail dépasse les capacités normales d’un individu (ressources adaptatives) (). Pour faire face à ces situations de travail tendues, les travailleurs développent donc des stratégies d’adaptation. Dans ce cadre, les salariés qui usent de substances psychoactives le font pour mieux gérer leur stress ou augmenter leur capacité de travail (). Concrètement, l’expérience de Niezborala (2000) montre que sur 2106 personnes en activité interrogées à l’occasion de l’examen périodique de santé au travail, près d’une personne sur trois consomme des médicaments psychoactifs pour faire face à des difficultés rencontrées sur le lieu du travail. Ainsi, “20 % utilisent un médicament pour être ‘en forme au travail’, 12 % prennent leur médicament sur leur lieu de travail pour traiter un ‘symptôme gênant’, et 18 % utilisent un médicament ‘pour se détendre au décours d’une journée difficile’”.

D’autres auteurs, comme Reynaud-Maurupt et Hoareau, (2010) et Fontaine et Fontana (2003) pensent également que la consommation excessive de substances psychoactives concerne essentiellement les actifs qui ont des conditions de travail pénibles, induisant “la nécessité de se sentir hyperperformant”. Cette stratégie vise l’amélioration de la performance afin de s’adapter aux exigences professionnelles. D’ailleurs, Angel montre que les salariés qui ont des conditions de travail physiques et pénibles consomment davantage de substances psychoactives que les salariés des autres secteurs d’activité.

La consommation de substances psychoactives est donc bien une stratégie d’adaptation face au stress professionnel. Ce phénomène est le résultat direct de la pénibilité au travail et de la précarité croissante. De même, l’isolement social au sein des entreprises et dans la vie privée, dont sont de plus en plus victimes les travailleurs, entraîne des consommations à risque. Ces consommations permettent d’une part de rétablir du lien social par la consommation collective (tabac et alcool, notamment) et, d’autre part, de mieux supporter les troubles physiques et psychiques liés au travail (alcool, médicaments psychoactifs et drogues illicites, notamment).

Comment répondre au développement des conduites addictives ?

Ces surconsommations de substances psychoactives chez les publics précaires et chez les travailleurs qui ont des conditions de travail qui agissent sur leur santé physique et mentale ont des conséquences dramatiques. En effet, chaque année en France, environ 45 000 décès sont directement liés à la surconsommation d’alcool. Cette surconsommation de substances engendre également des conflits, des accidents du travail, des maladies de courte et de longue durée, des suicides, etc. Hassé Consultants et Angel estiment qu’en moyenne 20 % des accidents et des arrêts de travail sont liés à la surconsommation de substances psychoactives. De plus, dans 40 à 45 % des cas, les accidents mortels au travail sont la conséquence directe d’une surconsommation.

Quelques structures et actions sont mises en place pour lutter contre les dépendances, notamment les centres d’addictologie. Ces centres accueillent, dans le cadre d’une hospitalisation, des personnes en Etat de dépendance à un produit psychoactif (). Dans un premier temps un sevrage physique d’environ une semaine est imposé, puis un sevrage psychologique plus long est proposé. A l’occasion de ce sevrage psychologique, de plus en plus de structures choisissent d’informer les patients sur le fonctionnement physiologique des dépendances. Ainsi, une phase de déculpabilisation est souvent mise en place par la compréhension du mécanisme cérébral de la dépendance.

Dans le cadre d’une surconsommation régulière d’alcool, par exemple, l’éthanol déséquilibre les récepteurs, dits récepteurs GABA, sur les neurones. Ces récepteurs, devenus dépendants, solliciteront, tout au long de la vie, une quantité d’éthanol croissante pour être satisfaits. L’arrêt de la consommation d’alcool se révèle donc extrêmement difficile dans la mesure où un syndrome de sevrage, plus ou moins important selon les individus, apparaît. L’abstinence totale est alors préconisée à vie dans la mesure où ces récepteurs ne retrouveront jamais un fonctionnement normal. Ainsi, une faible quantité d’alcool ingérée suffit pour réactiver ce processus.

Toutefois, le sevrage n’est rien par rapport aux difficultés futures de l’ex-dépendant. En effet, en plus de la difficulté à échapper aux nombreuses sollicitations sociales (fêtes, réunions de famille, dîners professionnels, etc.), tout est fait pour le pousser à consommer des boissons alcoolisées. Les commerces font de ces rayons un passage obligé. Quant aux boissons sans alcool que dire à part que ce n’est pas très “fun” et… qu’elles contiennent pour la plupart de l’alcool ! Oui, une histoire sordide de législation veut qu’en dessous de 1,2° d’éthanol, les boissons puissent porter la mention : “sans alcool”1, sans indiquer dans leur contenu qu’elles en contiennent justement, alors que la moindre quantité d’alcool suffit à la rechute.

Alors, la fête est plus folle sans alcool ? Certainement pour les industriels de la boisson alcoolisée ! Voilà bien la preuve que les rechutes sont liées à un manque de volonté des dépendants !... Quant à leur travail, quand ils en ont un, il ne s’est bien sûr pas amélioré pendant leur cure. Ah, ces travailleurs qui ont bien de la chance d’avoir un travail et un gentil patron qui les attend après leur “petit problème personnel” !... pourvus quand même qu’ils gardent la même docilité qu’avant leur cure ! Sinon, pourvu qu’ils rechutent vite ! Ça restera toujours un moyen de pression supplémentaire pour que le travail soit fait rapidement et sans réclamation.

L’exclusion sociale est grandissante à cause de la précarisation de l’emploi, du chômage, des difficultés financières, etc., et les conditions de travail sont de plus en plus pénibles. L’isolement social, qui en découle souvent, s’accentue et se pérennise. Les individus cherchent des solutions à cette dégénérescence lente et laborieuse. Ces solutions peuvent prendre plusieurs formes : la lutte contre ces conditions de vie ou l’abandon. Lutter contre des conditions de vie pénibles ne devrait jamais se faire par l’adaptation de son organisme à ces dites conditions au moyen de substances psychoactives. Lutter contre l’origine du problème serait bien plus efficace mais, plutôt qu’une réponse individuelle, requiert une conscience collective.

Agnosia, 17 septembre

 

() Les substances psychoactives (tabac, alcool, médicaments psychoactifs et drogues illicites) agissent sur le fonctionnement cérébral des individus et modifient leurs comportements.

() Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.

() Données tirées du site ALPA (Alcool, prévention et accompagnement).

() Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

() Actualité et Dossier en santé publique.

() Guillet, Hermand et Py (2003).

() Angel, Amar, Gava et Vaudolon (2005).

() Généralement, l’alcool et les drogues illicites.

1) Article L3321-1 du Code de la santé pu­blique.

 

 

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [11]

Rubrique: 

Courrier de lecteur

Une vallée de larmes... dont la religion est l'auréole

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Nous publions ci-dessous de longs extraits de la  Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel écrit par Karl Marx en 1843 (1. Ces lignes, qui ont la force de la beauté poétique, sont aussi d’une brûlante actualité. La religion, la croyance, le mysticisme, l’obscurantisme… y sont dépeints comme un produit de l’aliénation et donc des souffrances et de la déshumanisation infligées aux exploités. La religion n’est donc pas simplement une conscience erronée du monde, elle est aussi une réponse à l’oppression réelle, mais une réponse inappropriée et qui ne conduit qu’à l’échec.

La mise à bas des mille plaies de la société passe inévitablement par l’abolition de l’exploitation et de l’oppression. Alors l’obscurantisme n’aura plus de raison d’être.

Sous la plume de Marx, cette révolution n’est pas seulement absolument nécessaire, elle est surtout possible. Dans ce texte, il exprime en effet toute la confiance qu’il porte dans la capacité du prolétariat à mener une lutte historique et consciente pour l’émancipation de toute l’humanité.

Le texte que nous publions ayant fait l’objet de larges coupes, nous pensons qu’il est nécessaire d’expliquer ce choix à nos lecteurs.

La source fondamentale de la mystification religieuse est l’esclavage économique. Les croyances disparaîtront donc avec l’abolition de la dernière forme d’exploitation, le salariat. Tel est le fond de la pensée de Marx, son aboutissement logique. Néanmoins, au milieu du xix)e siècle, Marx a sous les yeux un capitalisme florissant. En France, la bourgeoisie révolutionnaire et éclairée mène depuis près d’un siècle une lutte décidée et radicale contre les archaïsmes économiques et politiques féodaux qui entravent son développement. La religion faisant partie de ces archaïsmes, elle est combattue par la nouvelle classe dominante et elle recule effectivement au fur et à mesure que le capitalisme se développe. La bourgeoise allemande est, en revanche, économiquement empêtrée dans le passé ; elle ne parvient pas à jeter aux orties les vestiges féodaux qui la paralysent, ce qu’elle fera finalement lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et la transformation de la Prusse en Allemagne.

Marx pensait alors que cette tâche revenait au prolétariat allemand qui, par le développement de sa lutte, porterait un coup fatal à l’obscurantisme. C’est pourquoi la version intégrale de la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel contient de longs passages sur la particularité de la situation allemande que nous avons choisi ici de couper.

De façon plus générale, Marx pensait que le développement économique du capitalisme allait saper les fondements de la religion. Dans l’Idéologie allemande, par exemple, il affirme que l’industrialisation capitaliste a réussi à réduire la religion à n’être plus qu’un simple mensonge. Pour se libérer, le prolétariat devait perdre ses illusions religieuses et détruire tous les obstacles l’empêchant de se réaliser en tant que classe ; mais le brouillard de la religion devait être rapidement dispersé par le capitalisme lui-même. En fait, pour Marx, le capitalisme lui-même était en train de détruire la religion, à tel point qu’il en parlait parfois comme une forme d’aliénation déjà dépassée pour le prolétariat. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en a rien été, bien que le capitalisme et le développement des sciences aient sapé un à un les fondements de toutes les religions. En fait, depuis que le capitalisme a cessé d’être une force révolutionnaire pour la transformation de la société, la bourgeoisie s’est de nouveau tournée pleinement vers l’idéalisme et la religion.

Au-delà des erreurs de prévisions inévitables, liées à ‘époque historique, le fond de la pensée exprimée par Marx reste parfaitement valable : la religion est le résultat de l’exploitation, elle ne disparaîtra qu’avec elle, et seul le prolétariat est capable de mener à bien cette lutte indispensable pour la survie et l’épanouissement de l’humanité.

CCI

 

“Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, et non la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, son universel motif de consolation et de justification. Elle est la réalisation chimérique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

Nier la religion, ce bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il abandonne toute illusion sur son Etat, c’est exiger qu’il renonce à un Etat qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l’auréole.

La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans rêve ni consolation, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille les fleurs vivantes. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme afin qu’il pense, agisse, forge sa réalité en homme sans illusions parvenu à l’âge de la raison, afin qu’il gravite autour de lui-même, c’est à dire de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.

C’est donc la tâche de l’histoire, une fois l’au-delà de la vérité disparu, d’établir la vérité de l’ici bas. Et c’est tout d’abord la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, de démasquer l’aliénation de soi dans ses formes profanes, une fois démasquée la forme sacrée de l’aliénation de l’homme. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. (….)

Il s’agit de faire le tableau d’une sourde oppression que toutes les sphères sociales exercent les unes sur les autres, d’une maussaderie générale mais inerte, d’une étroitesse d’esprit faite d’acceptation et de méconnaissance, le tout bien encadré par un système de gouvernement qui, vivant de la conservation de toutes les médiocrités, n’est lui-même que la médiocrité au gouvernement.

Quel spectacle ! Voici la société infiniment divisée en races les plus diverses qui s’affrontent avec leurs petites antipathies, leur mauvaise conscience et leur médiocrité brutale, et qui, en raison même de leur voisinage équivoque et méfiant, sont toutes, sans exception, traitées par leurs seigneurs comme des existences concédées. Et ce fait même d’être dominées, gouvernées, possédées, elles doivent le reconnaître et le confesser comme une concession du ciel ! Et voici, en face d’elles, ces maîtres eux-mêmes dont la grandeur est inversement proportionnelle à leur nombre ! (…)

Il faut rendre l’oppression réelle encore plus pesante, en lui ajoutant la conscience de l’oppression, rendre la honte plus infamante encore, en la divulguant. (…)

De toute évidence, l’arme de la critique ne peut pas remplacer la critique des armes : la force matérielle doit être renversée par une force matérielle, mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu’elle saisit des masses. La théorie est capable de saisir les masses, dès qu’elle argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est saisir les choses par la racine. Mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. (…) La critique de la religion s’achève par la leçon que l’homme est l’être suprême pour l’homme, donc par l’impératif catégorique de renverser tous les rapports sociaux où l’homme est un être dégradé, asservi, abandonné, méprisable ; ces rapports, on ne saurait mieux les rendre que par l’exclamation d’un Français à l’annonce d’un projet d’impôt sur les chiens : Pauvres chiens ! on veut vous traiter comme des hommes ! (…)

[La possibilité de l’émancipation réside] dans la formation d’une classe chargée de chaînes radicales, d’une classe de la société civile qui ne soit pas une classe de la société civile, d’un ordre qui soit la dissolution de tous les ordres, d’une sphère qui possède un caractère universel en raison de ses souffrances universelles et qui ne revendique aucun droit particulier parce qu’on ne lui fait subir non un tort particulier mais le tort absolu, qui ne peut plus s’en rapporter à un titre historique, mais seulement à un titre humain, (…) d’une sphère, enfin, qui ne peut s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et, partant, sans les émanciper toutes ; en un mot, une sphère qui est la perte totale de l’homme et ne peut donc se reconquérir elle-même sans la reconquête totale de l’homme. Cette dissolution de la société, c’est, en tant que classe particulière, le prolétariat. (…) Lorsque le prolétariat annonce la dissolution de l’ordre présent du monde, il ne fait qu’énoncer le secret de sa propre existence, car il est lui-même la dissolution effective de cet ordre du monde.”

K. Marx

 

1)  Ces extraits s’appuient sur les différentes traductions de ce texte disponibles sur Internet (marxists.org) et sur papier dans la Bibliothèque de la Pléiade (Karl Marx, Œuvres III, Philosophie, 1982, pages 382 à 397).

 

 

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