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Révolution Internationale n°433 - juin 2012

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Gauche au pouvoir: qui croit encore au changement?

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Le titre de MIB3, dernière version de la série des Men In Black, aurait pu être le slogan de campagne de François Hollande  : “Retour vers le passé pour sauver le futur”. Tout aussi mensonger que “Le changement, c’est maintenant  !”, ça sonnait quand même plus “sympatoche” ou plus “djeuns”, comme un clin d’œil aux jeunes générations que le nouveau président de la République française cherche à enfumer par rapport à la réalité qui les attend, à savoir, pour celles-ci comme pour les plus anciennes, misère, chômage et souffrance.

Quel est donc ce programme de Hollande, répété avec force et conviction durant toute la campagne électorale présidentielle, et que nous allons entendre et réentendre jusqu’aux législatives  ? Le même que celui de Sarkozy à la sauce “socialiste”. Bon, on enlève le “bling-bling”, on ne va pas au Fouquet’s ni sur le yacht de Bolloré mais, pour le reste, quoi de neuf  ? Rien, si ce n’est ce baratin associé aux trains de promesses aussi allusives que vagues, quant à l’avenir de l’ensemble de la classe ouvrière, et de toute la jeunesse. Ce train de promesses va en réalité prendre la forme d’un train d’attaques qui seront déguisées ou enrobées dans le verbiage habituel de la gauche. Pour en retenir quelques-unes des plus médiatisées, citons “Je veux redresser la France”, “Je veux rétablir la justice”, “Je veux redonner espoir aux jeunes générations”, “Je veux une République exemplaire et une France qui fasse entendre sa voix”. Et ce ne sont que quelques titres de son programme en soixante points qui nous promet monts et merveilles  !

A part quelques nuances “culturelles” et “politiques”, on a entendu la même chose il y a cinq ans avec le programme de Sarkozy, et en particulier son “travailler plus pour gagner plus”, et qui s’est traduit par “travailler plus et gagner moins”. Qu’est-ce que Hollande  va faire de mieux  ? Rien. C’est plutôt à pire qu’il faut s’attendre.

A l’époque de Mitterrand, la bourgeoisie disposait encore d’une marge de manœuvre économique qui avait permis à la gauche au gouvernement de bénéficier d’un “état de grâce”. L’illusion qu’avec le PS allié au PC, tout irait mieux, avait constitué un frein au développement des luttes ouvrières. Dès 1983, deux ans après l’élection de Mitterrand, les attaques ont commencé à tomber brutalement dans tous les secteurs. Les baisses de salaires, le non remplacement de fonctionnaires, les licenciements massifs dans la sidérurgie, la déréglementation des lois de licenciement comme l’amendement Lamassoure, qui a ouvert la porte toute grande à la “flexibilité du travail” et donc à la possibilité, dans le public comme dans le privé, de rendre toujours plus corvéables les salariés. Telles ont été les “valeurs” de la gauche entre 1981 et 1998. Pas différentes, en définitive, de celles de la droite. Ce sont les valeurs de la bourgeoisie avec l’exploitation et le mépris de la classe ouvrière comme maîtres mots.

Le Père Noël Hollande peut sortir toute une kyrielle de joujoux de sa hotte, il n’est et ne sera jamais qu’un défenseur de l’intérêt du capital national. Qu’il fasse le beau à Berlin, à Washington, ou au Japon, et qu’il trinque avec Poutine, ne changera rien à la condition des prolétaires. Il n’en peut plus de parler de relance éco­ nomique ici et là, mais une fois encore, il s’agit d’un thème qui ne tiendra guère plus que le temps d’un été. Politique de relance –  comme aux Etats-Unis  – ou pas, ce qui va continuer de s’imposer c’est la dure et cruelle réalité de la situation économique mondiale, marquée par l’aggravation de la crise. Aucun pays n’y échappera. Alors, que va faire notre nouvellement nominé Président de la République française, face à un déferlement prévisible de catastrophes économiques, avec des épisodes à la grecque affectant cette fois le Portugal, l’Espagne, l’Italie… et les suivants, dont la France, qui ne sont pas loin derrière.

Il fera non seulement la même chose que son prédécesseur, mais encore pire et bien plus fort. Déjà, les licenciements à Arcelor-Mittal donnent le ton.

Les jeunes générations de la classe ouvrière, qui n’ont pas vécu les attaques anti-ouvrières de la gauche au gouvernement, doivent apprendre qu’elles ne doivent compter que sur la lutte de leur classe et rejeter en toute conscience cette mystification selon laquelle la gauche serait moins pire que la droite. Il n’y a pas de choix à faire entre les différentes fractions de la bourgeoisie.

Wilma (3 juin)

Géographique: 

  • France [2]

Rubrique: 

Editorial

Avec la crise dans la zone euro, la bourgeoisie n'a pas d'alternative à sa politique d'austérité

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Depuis l’année 2008 et le début de la phase actuelle de la crise, partout s’est développée une austérité croissante. Cette politique était censée réduire les dettes et relancer la croissance. Et puis, tel un lapin sorti tout droit du chapeau d’un magicien, est brandie maintenant une nouvelle alternative qui doit remédier à tous les problèmes. Celle-ci a pour nom relance. Elle s’est invitée partout dans les journaux, à la télévision, sur les radios. Véritable magie du discours, la croissance pourrait être de retour et l’endettement généralisé diminué. La dette pourrait être monétisée. Que veut dire ce jargon de spécialistes bourgeois ? En réalité, des questions toutes simples se posent. Pourquoi ce revirement soudain de la plus grande majorité des dirigeants de la zone euro ? Quelle peut être la réalité de cette politique ? L’austérité généralisée va-t-elle prendre fin ? Dans l’avenir tout proche, la crise va-t-elle continuer oui ou non à s’approfondir ?

L'austérité n'a engendré que la récession

En Grèce, Irlande, Italie, Espagne notamment, la population, au cours des dernières années, a été attaquée de toutes parts. La classe ouvrière au travail, les chômeurs, les jeunes, les retraités, chacun et tous à la fois ont vu leur niveau de vie s’effondrer. Les hôpitaux, l’école et tous les services publics ont été massacrés. La justification politique de cette guerre économique contre tous les exploités était claire. A écouter tous les gouvernements en place, accepter ces sacrifices aujourd’hui voulait dire : réduire l’endettement des Etats, l’endettement public, tout en abaissant le coût du travail pour mieux vendre les marchandises produites et ainsi relancer la croissance. Malgré les luttes qui se sont développées, en réaction à cette politique qui considère la classe ouvrière comme du bétail que l’on peut tondre à merci, l’austérité a continué à s’accélérer mais, au plus grand désarroi de la classe capitaliste, sa crise également.

Depuis l’année 2008, le PIB de la zone euro est resté à peu près le même et avoisine les 8900 milliards d’euros. Par contre, la dette globale publique et privée a continué à s’accélérer pour atteindre maintenant 8000 milliards d’euros. Il est incroyable de constater que toute la richesse créée par une année de travail correspond pratiquement à la dette existante et nous ne parlons là que de la partie officielle et reconnue de celle-ci. Pire que cela pour la bourgeoisie, voilà maintenant que l’économie s’installe de nouveau dans la récession. Seule l’Allemagne en 2012 peut afficher un petit 0,5% de croissance. Pour les autres pays de la zone la dégringolade est là. En Grèce et en Espagne, l’activité recule à toute vitesse et le chômage de masse s’est installé. La dette explose et est pratiquement hors de contrôle dans ces pays, au moment même où leur PIB s’effondre. Quant à la France qui est parvenue jusque-là à éviter le pire, elle paye maintenant ses fonctionnaires en empruntant l’argent sur ce que l’on appelle les marchés financiers.

Dans sa grande majorité, la bourgeoisie est alors amenée à faire un constat qui était pourtant depuis bien longtemps évident : l’austérité généralisée et la crise du crédit amènent à la récession et au creusement de sa dette. Alors que faire ?

Une idée apparemment géniale : la relance

Les débats en cours au sein de la bourgeoisie sont au fond toujours les mêmes depuis l’année 2008 : qui va bien pouvoir rembourser la dette, comment et quand ? C’est alors qu’une idée présentée comme nouvelle apparaît. Pour rembourser la dette, il faut créer de la richesse. C’est simple, il suffisait d’y penser. Cette idée qui existe depuis au moins la crise économique des années 1930 refait tout à coup surface. On se demande d’ailleurs pourquoi ils n’y ont pas pensé plutôt, par exemple depuis 2008 et l’apparition du puits sans fond de l’endettement.

Comment relancer la croissance ? Voilà une question qui hante toute la classe bourgeoise. Pour certains, il faut rendre la production de la zone euro compétitive et donc baisser les prix de revient des marchandises produites. En termes clairs, il est nécessaire de poursuivre la baisse des salaires pour concurrencer la production effectuée en Chine, en Inde, au Brésil, ou dans les pays d’Europe centrale par exemple, et empêcher ainsi les délocalisations. Prétendre relancer l’activité par une compétitivité supplémentaire ainsi acquise prêterait à rire tellement elle est absurde, si elle ne se traduisait pas par de nouvelles souffrances pour la classe ouvrière.

Pour d’autres, il faut maintenant que les Etats de la zone euro prennent en main directement la relance de la croissance. Ici, l’idée est la suivante : puisque les banques en situation potentielle de faillite ne peuvent plus prêter suffisamment ni aux entreprises, ni aux particuliers, c’est l’Etat qui va passer directement commande. On va donc construire ici des autoroutes et là des lignes de TGV. Les entreprises concernées vont travailler, embaucher des salariés et participer ainsi à relancer la croissance. Le problème est alors le suivant : d’où va venir l’argent supplémentaire, quel montant faudrait-il investir et pour quel résultat ? Une fois raclés les fonds de tiroirs existants qui représenteraient environ 450 milliards d’euros, il faudrait avoir recours à un endettement supplémentaire effectué par des Etats déjà en situation de risques de faillites. Actuellement, dans les pays occidentaux, pour produire un euro en plus de richesse, il est nécessaire de s’endetter pour 8 euros supplémentaires. Autrement dit, un plan de relance implique ceci : une dette qui augmente huit fois plus vite que le PIB. Mais une marchandise produite n’est pas une marchandise vendue. Combien de crédits supplémentaires faudrait-il encore distribuer à des “consommateurs” exsangues afin qu’ils puissent les acheter. Tout cela est absurde et irréalisable. Le capital engagé est devenu trop important pour le profit réalisé. Alors que le capitalisme ne peut déjà plus faire face actuellement à sa dette, comment pourrait-il alors le faire ? Comment empêcher les déficits publics d’exploser et les marchés financiers d’exiger des intérêts exorbitants pour continuer à prêter éventuellement aux Etats ? Derrière toute la campagne idéologique et médiatique actuelle, cette prétendue relance devra se contenter de fonds actuellement disponibles et non encore utilisés qui ne pourront avoir qu’un effet marginal sur l’activité.

Monétisation et mutualisation de la dette indispensable, mais finalement ingérable

Monsieur Hollande, nouveau président de la France, rejoint en ceci par de très nombreux dirigeants de la zone euro, sauf bien entendu l’Allemagne, entonne un nouveau chant qui devrait nous remplir d’espoir. Le titre de cette chanson qu’il espère devenir populaire s’intitule : monétisation et mutualisation de la dette. Ce qui n’a rien de très poétique. La monétisation revient tout simplement à fabriquer de l’argent. La Banque centrale s’en charge et prend en échange des reconnaissances de dettes de l’Etat ou des banques, et en général cela s’appelle des obligations. La mutualisation veut dire que tous les Etats de la zone euro prennent en charge collectivement la dette. Les Etats les moins en difficultés payent pour les Etats les plus en difficultés.

Lorsque l’on ne crée plus et que l’on ne vend plus assez de richesses pour empêcher la dette d’entraîner tout le système dans l’abîme, les marchés financiers se détournent progressivement de celle-ci. Une relance sans effet réel et une dette toujours plus grande rend les prêteurs de plus en plus rares et les prêts de plus en plus chers. Alors vient le temps de ponctionner l’épargne, première étape de la monétisation de la dette à venir. L’Etat se fait voleur à grande échelle. L’augmentation des impôts de toutes sortes et les emprunts obligatoires pointent leur nez. Cet emprunt est évalué en pourcentage des impôts payés par chacun. Il est susceptible d’être remboursé au bout d’une certaine période et cela doit donner lieu à des intérêts. Celui-ci est actuellement à l’étude en France comme pour toute la zone euro. A charge pour l’Etat de nous rembourser demain avec de l’argent qu’il ne possède déjà plus aujourd’hui ! Il est bien évident que devant le puits sans fond de la dette tout cela n’est que gouttes d’eau dans la mer. De celles qui alimentent pourtant une austérité déjà bien présente.

Mais de nouveau l’alerte générale est là. La Grèce et l’Espagne sonnent le tocsin. Seulement quelques mois après que la Banque centrale européenne ait injecté 1000 milliards auprès des banques, tout le système financier public privé vacille.

Pour la seule année 2012 dans la zone euro, et afin de faire face à la seule partie de la dette arrivant à échéance, il faudrait trouver entre 1500 et 4000  milliards. Chiffres qui bien entendu n’ont rien à voir avec la réalité puisque, à elle seule, la banque Bankia en Espagne réclame officiellement plus de 23  milliards. Les sommes sont énormes et hors de portée du capitalisme. Il ne reste plus donc alors qu’un chemin rempli d’embûches pour le capital afin d’éviter la faillite immédiate. Sur le panneau est écrit : création monétaire massive. La distance à parcourir pour en arriver là se chiffre en quelques semaines. A la mi-juin, la Grèce va tenir de nouvelles élections. Si un parti refusant les plans d’austérité de la zone euro arrive au pouvoir dans ce pays, la sortie de la Grèce de celle-ci est envisageable. Pour la population grecque, cela veut dire un retour à leur monnaie d’origine et une dévaluation du drachme d’environ 50  %. Ce pays s’enfoncerait dans l’autarcie et la misère. Ce qui ne changerait pas grand-chose à ce qui l’attend. Par contre, pour les banques et la Banque centrale de la zone euro, l’addition serait salée. Dans les comptes de ces banques restent encore beaucoup de reconnaissances de dettes grecques, sans doute pour près de 300  milliards d’euros. Mais la question fondamentale n’est pas là. Si la zone euro laisse sortir la Grèce de celle-ci par impuissance à la garder, que va-t-il se passer avec l’Espagne, l’Italie, etc.

La monétisation de la dette ou le moment de l'addition

Et voici venu le temps de l’Espagne, de ses banques toutes en faillites réelles et de ses régions totalement ingérables financièrement. Le morceau est énorme, trop gros pour être avalé. Les marchés financiers et toutes ces institutions qui rassemblent l’argent privé disponible dans le monde ne se trompent pas lorsqu’ils réclament toujours plus d’intérêts pour prêter à ce pays. Actuellement, les taux à 10 ans pour la dette de l’Etat approchent les 7  %. Ce taux est le maximum qu’un Etat peut supporter ; au-dessus, il ne peut plus emprunter. Le président du gouvernement espagnol, Mario Rajoy, a de manière détournée appelé au secours la Banque centrale européenne. Celle-ci en retour a fait la sourde oreille. Le gouvernement espagnol a alors annoncé qu’il allait tenter de financer ses banques en allant sur le marché. Tout ceci n’est qu’un serpent de mer. Des banques dans le monde doivent prêter de l’argent à l’Etat espagnol insolvable pour que celui-ci prête à ses banques insolvables qui, en échange, lui remettra des reconnaissances de dettes insolvables. L’absurdité est totale, l’impasse manifeste.

Alors, il faudra bien qu’à un moment ou à un autre, au moins une partie de la dette soit monétisée et mutualisée. Il faudra créer du papier monnaie que l’Allemagne garantira en partie avec la richesse qu’elle produit. C’est le produit national brut allemand qui autoriserait une certaine création monétaire. L’Allemagne s’appauvrirait et ralentirait l’appauvrissement général en Europe. Pourquoi le ferait-elle ? Tout simplement parce qu’elle vend une grande partie de ses marchandises dans cette zone.

La monétisation de la dette, un aveu d'impuissance

Monétiser la dette en partie revient à démontrer dans la réalité que le capitalisme ne peut plus se développer, même à crédit. C’est le moment officiel où le capitalisme nous dit : “Je vais créer de la monnaie en perdant progressivement de sa valeur pour empêcher ma dette d’exploser tout de suite. J’aimerais mieux investir, créer de la richesse et vendre, mais je n’y parviens plus. La dette est trop immense. Elle me tient à la gorge : vite du papier monnaie, encore du papier monnaie et voici du temps de gagné.”

L’argent, y inclus le crédit, doit représenter la richesse produite et à produire qui sera vendue avec profit. Pendant des décennies, on a maintenu la croissance avec des crédits que l’on a affirmé pouvoir rembourser un jour. Quand ? On ne sait plus. Cette échéance est toujours repoussée dans le temps. La richesse produite dans 10  ans est déjà détruite dans la production et la vente d’aujourd’hui. Que nous reste t-il alors sinon des dettes et encore de nouvelles dettes ?

La monétisation, c’est le triomphe du capital fictif au détriment du vrai capital, celui qui contient en lui de la vraie richesse. Créer ainsi de la monnaie massivement pour s’acheter à soi-même sa propre dette revient à détruire de l’argent. Cela revient à provoquer une inflation galopante des prix, malgré la récession. De ce côté aussi, il y a de l’austérité, car comment survivre avec des prix à la consommation qui s’élèveraient tous les jours ?

Et si la monétisation et la mutualisation n'avaient pas lieu ?

Le capitalisme peut-il accélérer sa propre descente aux enfers ? Et si l’Allemagne refusait la monétisation, paralysant ainsi la Banque centrale européenne ? Personne ne peut totalement écarter cette éventualité, même si elle s’apparenterait à un suicide collectif. La bourgeoisie allemande fait depuis des mois des calculs savants pour évaluer ce que lui coûterait l’éclatement ou son financement de la zone euro. Dans les deux cas, à terme, l’addition est trop lourde et insupportable, mais à court terme, quelle est la perspective la plus terrifiante ?

Dans tous les cas, l’Allemagne exigera l’austérité. L’austérité pour elle est l’espérance que la dette, à travers les déficits publics, se creusera moins rapidement, que l’ardoise sera moins salée. Dans la réalité, tout cela n’est qu’illusions tragiques qui se soldent de toutes façons partout pour les prolétaires par une précarisation encore plus forte de leurs conditions de vie.

L’impasse est à ce point tel pour le capitalisme qu’il en arrive à vouloir mener en même temps relance de l’économie et austérité accrue, création monétaire massive et réduction de la dette. Le capitalisme devient fou. Il perd la boussole. Il ne sait plus où se diriger ni comment manœuvrer pour éviter les récifs qui l’entourent de tous côtes. La zone euro n’a jamais été dans une crise aussi aiguë. Les mois à venir sont des mois de grandes tempêtes économiques, qui vont déboucher sur des naufrages encore plus dévastateurs et révélateurs de la faillite généralisée du capitalisme mondial.

Rossi (30 mai)

Récent et en cours: 

  • Crise économique [3]

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Crise économique

L'islamophobie, le djihadisme et le capitalisme sont les multiples facettes d'un même ennemi

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La lecture des minutes du procès d’Anders Breivik relatant comment il a massacré des douzaines d’adolescents l’année dernière, dans le camp d’été du Parti travailliste norvégien, donne la nausée. Le procès de Breivik a donné lieu à beaucoup de débats sur sa santé mentale, sur le fait qu’il ait agi seul ou comme membre d’un réseau fasciste organisé, ou s’il devait être autorisé à utiliser la cour d’Oslo comme tribune pour défendre sa philosophie politique 1.

Les meurtres commis par Mohamed Merah à Toulouse n’étaient pas à aussi grande échelle mais n’en font pas moins froid dans le dos. Mais les tireurs d’élite de la police française n’ont pas offert de scène à Merah pour exposer sa philosophie : il a été abattu après un siège en règle 2.

Il y a des différences évidentes dans la façon dont ces deux cas ont été traités. Dans The Guardian du 21avril, Jonathan Friedland 3 souligne qu’en règle générale, habituellement, on ne donne pas une chance aux terroristes islamiques, même s’ils sont capturés vivants, d’expliquer leurs motivations comme on l’a fait avec Breivik. Idéologiquement, des gens d’extrême droite comme Breivik et des djihadistes comme Merah semblent se situer à deux pôles opposés. L’obsession de Breivik, c’est la menace “d’islamisation” de l’Europe, alors que les djihadistes déclarent qu’ils agissent non seulement pour venger les attaques contre les musulmans en Irak, en Palestine ou en Afghanistan, mais pour la création d’un califat mondial gouverné par la loi de la Charia.

Mais ce qui est le plus frappant en réalité, qu’il s’agisse des islamophobes et des djihadistes, c’est la similarité de leur idéologie et leur pratique.

Pour commencer, Breivik a exprimé devant la cour son admiration pour la méthode d’al Qaida, son organisation en petites cellules décentralisées. On a suggéré que c’était un modèle dont les groupes d’extrême droite s’inspirent de plus en plus. Breivik a aussi vanté le caractère impitoyable d’al Qaida et son esprit de sacrifice personnel au service d’un idéal plus élevé. Mais quand on regarde de plus près ces idéologies respectives, on voit qu’elles ont beaucoup de choses en commun.

Un racisme partagé

Toutes les deux sont profondément racistes : l’hystérie de droite sur l’islamisation de l’Europe n’est que la dernière version de l’idéologie de la civilisation chrétienne blanche menacée par des hordes d’envahisseurs à peau sombre. Au début du xx siècle, la grande menace était présentée comme étant celle des Juifs fuyant les pogroms en Russie ; il y a quelques décennies, c’était les émigrés asiatiques et noirs importés pour travailler pour des salaires inférieurs à ceux des ouvriers “du pays” ; aujourd’hui, le racisme a dû se déguiser sous les habits de l’anti-islam parce qu’être ouvertement antisémitisme, ou raciste anti-noir est beaucoup plus difficile à faire avaler à une population qui est déjà habituée à un environnement social beaucoup plus diversifié. La English Defence League (EDL) 4 a même des membres juifs et sikhs, unis (pour le moment) par leur haine de l’islam, “religion du mal”, à des troupes d’assaut blanches. Mais derrière tout cela, c’est la même vision d’un monde “aryen”, née comme justification de l’extension impérialiste du capitalisme européen et américain depuis la fin du xix siècle.

Mais les djihadistes ne sont pas moins racistes. Quand l’Islam est apparu, comme les autres religions monothéistes, il était l’expression, en termes idéologiques, d’une réelle tendance à l’unification de l’humanité, au delà du tribalisme. Il était donc ouvert à tous les groupes ethniques et avait une attitude pleine de respect vis-à-vis des religions juives et chrétiennes qu’il considérait comme porteuses d’une révélation précédente. Mais aujourd’hui, le djihadisme est l’expression d’une autre réalité historique : la religion, sous toutes ses formes, est devenue une force au service de la division et du maintien d’un système en déclin. Dans l’esprit des groupes djihadistes, ou de type taliban, les “kaffirs” (incroyants) ne se distinguent pas des “étrangers”, les Juifs ne sont plus le peuple élu de la Bible, mais les diaboliques conspirateurs de la paranoïa nazi, les églises chrétiennes sont des cibles légitimes pour les attentats à la bombe ou les massacres. Cette doctrine de la division s’est même étendue aux disciples de l’islam – al Qaida a probablement tué plus de musulmans chiites en Irak ou au Pakistan que de membres de n’importe quelle autre confession.

Leur haine peut s’adresser à des groupes différents, mais l’extrême droite et les djihadistes s’opposent tous implacablement à tout mouvement réel vers l’unification de l’humanité.

Une morale partagée

Breivik et al Qaida partagent aussi la même conception de la morale : la fin justifie les moyens. Pour Breivik, les ados qu’il a tués n’étaient pas innocents parce qu’ils soutenaient un parti qui incarne “le mal” que représente le “multiculturalisme”. Mais ils ont été tués, avant tout, dans l’intention de déclencher une guerre raciale qui conduirait au nettoyage ethnique de l’Europe et à un nouveau millénaire aryen-chrétien. Pour Merah, les petits enfants juifs peuvent être descendus d’une balle dans la tête parce que les avions israéliens ont tué beaucoup plus d’enfants palestiniens. Pour Ben Laden et ceux de son acabit, tuer des milliers de civils dans les Twin Towers est une réponse justifiée à ce que les Américains ont fait en Afghanistan et servira le but de rallier tous les Musulmans du monde sous le même étendard de la Guerre Sainte et du nouveau califat.

Beaucoup de libéraux peuvent bien sur tenir le même discours – cela fait partie de leur argumentation selon laquelle tous les extrêmes se rejoignent. Mais les extrémistes les plus visibles ne sont que la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus grand.

Derrière Breivik, il y a tous les variantes d’EDL (English Defense League) et de politiciens “populistes” comme Le Pen en France et Wilders aux Pays-Bas, qui adoptent la ligne “je ne suis pas d’accord avec sa méthode mais la menace de l’islamisation pose vraiment question…”. Et derrière eux, il y a le flot des journaux dont les titres n’arrêtent pas d’être des plaintes sur les terroristes musulmans parmi nous, l’arrivée croissante de demandeurs d’asile, pendant que les politiciens “responsables” se font concurrence pour montrer qui est le plus ferme contre l’immigration, et sont en tout cas en charge de l’Etat qui expulse à tour de bras dans leur pays d’origine les demandeurs d’asile qui fuient la pire misère que leur offre le système actuel, ou les enferme dans des camps de rétention.

De la même façon, l’idéologie djihadiste n’est que la fille de l’idéologie officielle des Etats arabes qui sont depuis longtemps anti-sionistes et en perpétuel état de guerre avec Israël, une façon de tenter de détourner la colère des masses de leurs propre pratiques dictatoriales et corrompues. “L’Islam radical” a aussi ses apologistes “révolutionnaires” : Galloway 5, le SWP 6 et d’autres fractions gauchistes, dont la réponse à la dernière atrocité du Djihad est aussi : “je ne suis pas d’accord avec leurs méthodes, mais….” parce qu’ils partagent la même conception que les Etats-Unis et le sionisme sont l’ennemi impérialiste numéro 1 et voient le Hezbollah, le Hamas et les djihadistes irakiens ou afghans comme des expressions de “l’anti-impérialisme”.

Tout cela représente la sécrétion idéologique du processus de pourrissement sur pied réel en cours dans la société capitaliste contemporaine : le cours sans fin à la guerre impérialiste qui est devenu de plus en plus chaotique et irrationnel au fur et à mesure que le système se décomposait. La guerre de tous contre tous, qui divise et dresse les populations les unes contre les autres , que ce soit au nom de la race, de la religion ou de la défense de l’Etat, est un maelström qui constitue la menace la plus réelle et la plus dévastatrice à laquelle fait face l’humanité aujourd’hui – la menace d’un enfoncement sans limite dans la barbarie et l’autodestruction. Les “libéraux” ou “bons démocrates” qui incriminent l’extrémisme et nous inondent de leurs discours humanistes ne représentent pas davantage une alternative. Ce sont bien ces derniers qui ont entretenu la guerre en justifiant l’usage de la terreur, de l’envoi de la bombe atomique sur Japon et sur les villes allemandes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et donc poursuivi la catastrophe et le cauchemar subi par les populations dans cette guerre, parce que c’était un moyen d’assurer la domination du capitalisme dans l’après-guerre.

La seule vision mondiale en opposition à ces divisions idéologiques, c’est l’internationalisme de la classe ouvrière : la simple idée que les exploités sous le joug de toutes les nations, de toutes les religions, ont là défendre les mêmes intérêts de lutter contre leur exploitation et leurs exploiteurs. C’est un combat dont le but est l’unification réelle de l’humanité, dans une communauté mondiale sans Etats. C’est un combat dont les moyens ne peuvent qu’être en adéquation avec ses buts. Ce combat-là cherche à gagner à sa cause ceux qui sont tombés dans l’idéologie des exploiteurs en montrant le besoin réel d’une solidarité humaine, au lieu de prôner le massacre des incroyants ou des infidèles Ce combat rejette la pratique de la vengeance sans discrimination et le meurtre de masse parce qu’il sait que ces méthodes ne pourront jamais aboutir à l’établissement d’une société humaine. Oui, la lutte de la classe ouvrière est une sorte de guerre. Mais elle est vraiment la guerre pour en finir avec toute guerre, parce que ses buts et ses méthodes sont radicalement opposés aux buts et aux méthodes du capitalisme et de la société de classe dont ne peuvent surgir que toujours plus de massacres sanglants.

Amos (3 mai 2012)

 

1) Voir l’article que nous avons écrit à l’époque de la tuerie : http ://en.internationalism.org/icconline/2011/august/norway [4]

2) www.ilfoglio.it/soloqui/12779 [5]

3) www.theguardian.com/commentisfree/2012/apr/20/breivik-terrorist-like-al-qaida [6]

4) Mouvement fondé en 2009 dont le but affiché est “de combattre l’islamisation de l’Angleterre” et qui organise depuis régulièrement des manifestations dans plusieurs villes du pays dans ce sens.

5) George Galloway d’origine écossaise est un ancien député du Parti travailliste, fervent admirateur de Fidel Castro, qui est surtout connu pour ses prises de postions d’extrême gauche et pro-palestiniennes. En novembre 2007, il a fondé RESPECT Renewal , devenu ensuite le Parti de Respect, qui soutient notamment la Palestine dans le conflit israélo-palestinien. Il a notamment organisé entre 2008 et 2010 des convois d’aide humanitaire à la population de Gaza contre le blocus du territoire baptisés “Viva Palestina !” . Battu aux législatives en 2010, il est élu membre de la Chambre des Communes depuis mars 2012.

6) A l’origine Groupe Socialist Review (GSR) , ce groupe fondé autour de Tony Cliff en 1950 analysait la Russie stalinienne comme un régime particulier où la “bureaucratie” s’était emparée du pouvoir. Partisan d’une politique d’entrisme dans le Parti Travailliste et les syndicats. Rebaptisé SWP début 1977 où il se présente aux élections sous sa propre bannière, il sert encore aujourd’hui de rabatteur au Parti Travailliste lors des consultations électorales. Devenu l’organisation gauchiste la plus importante au Royaume-Uni, le SWP recrute parmi les jeunes ouvriers et surtout les étudiants sur une base de campagnes activistes (conte le désarmement nucléaire pendant la Guerre froide, puis contre la guerre au Vietnam), elle anime toujours les grandes manifestations sur ses thèmes favoris : l’anti-­fascisme et l’anti-racisme. Son organe de presse est Socialist Worker.

 

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Société

Les élections sont un piège pour la classe ouvrière (2012)

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Les législatives après les présidentielles en France... : tout le battage médiatique comme chaque nouvelle campagne électorale témoigne de la préoccupation, présente de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, que le plus grand nombre possible d’électeurs accomplissent leur “devoir de citoyen”.

Quelle en est la raison ?

Mobilisation électorale = démobilisation de la classe ouvrière

Les arguments avancés par les formations politiques ou candidats en lice pour convaincre les électeurs de leur accorder leur suffrage se ramènent en général à ceci : les élections constituent un moment pendant lequel les “citoyens” seraient confrontés à un choix dont dépendrait l’évolution de la société et, par conséquent, leurs conditions de vie future. Grâce à la démocratie, chaque citoyen disposerait ainsi de la possibilité de participer aux grands choix sociaux.

Or, dans la réalité, il n’en est rien puisque la société est divisée en classes sociales aux intérêts parfaitement antagoniques ! L’une d’elles, la bourgeoisie, exerce sa domination sur l’ensemble de la société à travers la possession des richesses et, grâce à son Etat, sur toute l’institution démocratique, sur les médias, etc. Elle peut ainsi imposer au quotidien son ordre, ses idées, sa propagande aux exploités en général et à la classe ouvrière en particulier. Cette dernière est la seule classe qui, par ses luttes, est capable de remettre en question l’hégémonie de la bourgeoisie et de son système d’exploitation.

Dans ces conditions, il est parfaitement illusoire de penser qu’il soit possible de transformer l’Etat, l’institution démocratique, etc., pour les mettre au service de la grande majorité dans une société sans exploitation. C’est pourquoi tous les partis qui briguent les suffrages des exploités en prétendant défendre leurs intérêts ou améliorer leur sort participent d’entretenir cette illusion. De même l’alternative “gauche-droite” n’est en réalité qu’un faux choix destiné à masquer que, derrière les bavardages électoraux ou parlementaires, seule la bourgeoisie a réellement le pouvoir.

Le suffrage universel représente un pilier de la domination bourgeoise sur la société. Tout comme l’ensemble des institutions démocratiques, il représente en effet la principale légitimité de l’exercice du pouvoir par la classe dominante. Même si la crise économique sape continuellement les bases de la domination bourgeoise et mine son emprise idéologique sur les exploités, met à nu les mensonges continuellement martelés, la classe dominante n’en devient que plus déterminée, plus acharnée à utiliser tous les moyens à sa disposition pour conserver son pouvoir. Pour éviter que son système ne soit directement mis en cause et pour masquer la faillite de son mode de production, celle-ci n’a de cesse, entre autres, de développer des campagnes de mystification électorales. Face à l’angoisse de l’avenir, à la peur du chômage, au ras-le-bol de l’austérité et de la précarité qui sont au cœur des préoccupations ouvrières actuelles, notamment parmi les nouvelles générations, la bourgeoisie utilise et exploite au maximum ses échéances électorales afin de pourrir la réflexion des ouvriers sur ces questions, en exploitant les illusions, encore très fortes au sein du prolétariat, envers la démocratie et le jeu électoral.

L’avenir de l’humanité ne passe pas par le bulletin de vote mais par la lutte de classe. Cependant, le refus de participer au cirque électoral ne s’impose pas de manière évidente au prolétariat du fait que cette mystification est étroitement liée à ce qui constitue le cœur de l’idéologie de la classe dominante, la démocratie. Toute la vie sociale dans le capitalisme est organisée par la bourgeoisie autour du mythe de l’Etat “démocratique”. Ce mythe est fondé sur l’idée mensongère suivant laquelle tous les citoyens sont “égaux” et “libres” de “choisir” par leur vote, les représentants politiques qu’ils désirent et le parlement est présenté comme le reflet de la “volonté populaire”. Le piège de la démocratie parlementaire est d’instiller chez chacun le principe soi-disant égalitaire, un individu = un vote, niant par là même, la division de la société en classes.

Et un constat que chaque prolétaire peut faire de sa propre expérience de participation à la mascarade électorale, c’est que, quel que soit le résultat des élections, que la gauche ou la droite l’emporte, c’est finalement toujours la même politique anti-ouvrière qui est menée.

Finalement cela veut dire que l’Etat “démocratique” parvient à conduire sa politique indépendamment des élections qui sont organisées.

En fin de compte, ce que cherche à faire la bourgeoisie, c’est à remplacer la lutte de classe, l’éliminer au profit du vote, et remplacer la classe ouvrière par une notion fourre-tout de “peuple” qui choisit “librement” ce que la classe dominante a déjà choisi pour lui.

Lors des consultations électorales, la propagande essentielle de la classe dominante se résume à : “Votez ce que vous voulez, mais surtout votez”.

Loin de constituer une arme pour le prolétariat, la “liberté électorale” constitue le fondement même du désarmement de la classe ouvrière.

D’après l’introduction
à notre brochure Les élections : un piège pour la classe ouvrière

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Face à la crise du capitalisme, quelle réaction: nationalisme ou internationalisme?

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Avec l’approfondissement de la crise du capitalisme, le nationalisme le plus exacerbé s’étale dans les colonnes des journaux et devant les caméras de télévision. Les prétendues digues idéologiques qui séparaient, paraît-il, l’extrême-droite du “camp républicain” ont depuis bien longtemps volé en éclats. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer la xénophobie ouvertement affichée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, la traque infâme des Roms ou le populisme décomplexé du Front national. Mais le nationalisme sait adopter de nombreuses formes, beaucoup plus subtiles et pernicieuses. Ainsi, l’ensemble de l’appareil politique bourgeois, y compris l’extrême-gauche, participe à diffuser le poison de la division nationale, fondement de la concurrence capitaliste qui est diamétralement et irréductiblement opposé au terrain, au point de vue internationaliste, aux intérêts et à la conscience que notre classe, le prolétariat, doit affirmer pour développer ses luttes et renverser ce système d’exploitation.

Faut-il “protéger” les frontières contre l’immigration pour sauver les emplois ?

Point de vue nationaliste

La lutte contre l’immigration économique est un thème central du discours de la bourgeoisie et pas seulement de l’extrême-droite, toutes les fractions politiques au gouvernement, de gauche comme de droite, reprennent cette rhétorique à leur compte. C’est le sens des mesures anti-immigrées adoptées par les gouvernements, de gauche comme de droite, dans tous les pays à commencer par les plus développés qui dressent un rideau administratif, policier, judiciaire allant de l’espace Schengen en Europe à la construction de murs aux frontières des Etats-Unis : limitation de la durée des séjours, expulsions par charters ou reconductions massives, harcèlements juridiques, traque policière, patrouilles navales et aériennes aux frontières, camps de rétention face à l’exode de populations fuyant la misère ou la guerre, etc. L’argument peut se résumer dans la célèbre formule du Front national en France : “3 millions de chômeurs, ce sont 3 millions d’immigrés de trop.” Ainsi, si ça va mal, s’il y a trop de licenciements, s’il y a trop de chômeurs dans le pays, “expulsons les immigrés, interdisons leur l’accès au territoire” pour que les travailleurs nationaux puissent occuper les emplois vacants. Si la protection sociale baisse, s’il y a trop de déficits, c’est à cause de ces “étrangers”, qui “profitent” des largesses du système social !

Point de vue internationaliste

Historiquement, la classe ouvrière est une classe d’immigrés, contraints de vendre n’importe où leur force de travail et l’immigration est un élément essentiel du développement du mouvement ouvrier sous le capitalisme 1. Dès le xiv siècle, la bourgeoisie britannique a déplacé des masses de paysans, souvent irlandais, pour les enrôler comme main-d’œuvre dans les premières manufactures. A partir du xviiiee siècle, lorsque le problème de la surproduction apparaît, l’immigration s’étend par-delà les frontières nationales et se massifie progressivement. “Les crises cycliques de surproduction qui frappent l’Europe capitaliste dès le milieu du xixe siècle vont contraindre des millions de prolétaires à fuir le chômage et la famine en s’exilant vers les “nouveaux mondes”. Entre 1848 et 1914, ce sont 50 millions de travailleurs européens qui vont quitter le vieux continent pour aller vendre leur force de travail dans ces régions, notamment en Amérique.

De la même façon que l’Angleterre du xvie siècle a pu permettre le développement du capitalisme grâce à l’immigration intérieure, la première puissance capitaliste mondiale, les Etats-Unis, se constituera grâce à l’afflux de dizaines de millions d’immigrés venus d’Europe (notamment d’Irlande, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, des pays d’Europe du Nord).” 2

C’est au xx siècle, avec le déclin du capitalisme, que les flux migratoires ralentissent et que les Etats se dotent d’outils pour lutter contre l’immigration. La bourgeoisie s’appuie sur le fatras idéologique des thèmes anti-immigrés pour désigner des boucs émissaires alors qu’en réalité, s’il y a du chômage, c’est précisément parce que les pays développés ne sont plus en mesure d’intégrer économiquement de nouveaux prolétaires sur le marché du travail, en particulier les jeunes. En fait, le capitalisme, parce qu’il est en crise, n’est pas capable de fournir du travail non seulement à la main-d’œuvre immigrée mais à tous les prolétaires.

Faut-il “produire et acheter français” pour échapper à la crise ?

Point de vue nationaliste

L’idée de consommer préférentiellement la production nationale est le cheval de bataille idéologique des partis politiques bourgeois. Lors de la précédente campagne électorale, pas moins de trois des principaux candidats, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ont ouvertement prôné de repousser ou de surtaxer les marchandises étrangères qui viendraient étrangler la compétitivité nationale ou exercer une pression déloyale car produites par une main d’œuvre payée à coups de lance-pierre. L’objectif est de favoriser les entreprises nationales contre la concurrence étrangère afin de “protéger les emplois”.

Point de vue internationaliste

Si le protectionnisme ne fonctionne pas, c’est parce que le marché capitaliste est mondial. Des mesures protectionnistes qu’ont pu prendre certains Etats, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, n’ont eu de validité qu’à une époque où elles pouvaient s’appuyer sur un marché extra-capitaliste paysan ou artisanal suffisamment conséquent et n’avaient jamais qu’une durée limitée. Après le début du xxee siècle, ces mesures se sont avérées souvent désastreuses pour les économies nationales. Les mesures prises par l’Allemagne, censées lui permettre de vivre en autarcie, n’ont fait qu’aggraver démesurément la crise mondiale. Leur principal résultat a été la contraction ou la fermeture des marchés internationaux et l’augmentation du coût des marchandises dans les pays où était pratiquée la fermeture économique des frontières. C’est pour cette raison que la bourgeoisie a essayé de freiner les tentations protectionnistes qui n’ont cessé de se manifester depuis les premiers signes de la crise actuelle dont l’origine remonte à la fin des années 1960.

Accepter de “se serrer la ceinture” pour favoriser la compétitivité nationale ?

Point de vue nationaliste

La défense de la compétitivité est également un grand classique pour l’argumentation nationaliste. Le message est revenu en force avec la crise économique qui est expliquée d’un point de vue national : si le pays est en crise, c’est à cause de la faiblesse de la compétitivité française par exemple, c’est-à-dire à cause du coût trop élevé des marchandises produites en France par rapport à celui des autres pays, comme l’Allemagne, la Chine ou les Etats-Unis. Ainsi, les travailleurs devraient patriotiquement accepter de diminuer leur salaire et baisser toujours plus leur niveau de vie pour faciliter la vente des marchandises nationales à l’étranger. C’est une logique assez voisine qui s’est exprimée récemment par la mise en avant de différents “coupables” à l’ampleur de la dette souveraine des Etats ainsi menacés de faillite : “C’est la faute aux Grecs” qui ont profité des largesses de l’Europe pour vivre au-dessus de leurs moyens et n’ont pas “payé leurs impôts”, dont les fonctionnaires “sont payés à ne rien faire”, etc. Ou encore, les autres nations n’ont pas à payer les “erreurs de gestion ou le gaspillage des Grecs...”. A l’inverse, côté Grec, la source des maux qui accablent ce pays serait “la pression de l’Europe” ou des banques centrales (FMI, Banque mondiale)...

Point de vue internationaliste

En fait, les explications avancées par la bourgeoisie pour justifier les plans de rigueur ou d’austérité au nom de la compétitivité sont grossièrement mensongères : plus les exploités acceptent de “se serrer la ceinture”, plus on leur demande et on leur demandera des “sacrifices”. Cette course sans fin à la productivité a déjà fait ses preuves. Hier, l’Irlande, le “tigre celtique”, était porté aux nues pour l’exemplarité des ouvriers gaéliques qui avaient courageusement accepté les sacrifices… jusqu’à ce que l’Irlande soit ébranlée par la récession et le chômage. De même avec l’Espagne ou le Portugal. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui fait figure de parangon mais, déjà, le “modèle allemand” se fissure de toute part, comme le Royaume-Uni et il y a quelques années etc. En fait, la racine de la crise réside dans la surproduction généralisée de marchandises face à laquelle la restriction des coûts salariaux ne peut être que totalement impuissante au niveau du capital global.  

Les solutions nationalistes avancées par la bourgeoisie de tous les pays sont des leurres lancés à la face du prolétariat pour le diviser et le détourner de la claire compréhension que le capitalisme est un système en faillite. L’identification “du peuple”, des “citoyens” à leur Etat, à leur gouvernement, à leur entreprise ne sert qu’à faire écran à une véritable compréhension des enjeux de la situation historique mondiale, empoisonne la conscience des prolétaires de leur responsabilité historique pour abattre le système.

Les prolétaires n’ont pas à faire cause commune avec leurs exploiteurs mais, au contraire, ils doivent mener la lutte contre eux en s’unissant, se solidarisant par delà les frontières.

Rien ne peut sauver le capitalisme. Cette guerre de tous contre tous et cette concurrence permanente à travers lesquelles toutes les bourgeoisies, tous les Etats tentent de nous dresser le uns contre les autres est à l’opposé de notre perspective. La bourgeoisie distille partout le poison du nationalisme économique afin de démolir la conscience d’appartenir à une même classe internationale qui n’a rien à gagner à soutenir les vieilles recettes chauvines, fondement de ce système et de ses contradictions. Alors que la solidarité internationale à l’œuvre dans la lutte des travailleurs, dans nos combats de classe, nous grandit, élève notre conscience en mettant en avant la perspective d’une société édifiée collectivement à partir des besoins réels de l’humanité, sur d’autres rapports humains, capables d’offrir la seule issue possible à l’humanité face au gouffre de misère et de barbarie dans lequel l’entraîne l’impasse avérée du capitalisme. Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissons-nous !

V. (25 mai)

1 Voir RI no 206 [7]

2 Voir RI no 206 [7]

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [3]

Rubrique: 

Crise économique

Au Québec, pour les ouvriers, les chômeurs, les précaires ou les étudiants, la lutte unifiée est la seule perspective

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Voici déjà près de quatre mois que les étudiants québécois sont mobilisés contre la hausse des frais de scolarité, mais pendant près de 3 mois au milieu d’un black-out quasi-unanime hors du pays. Cette augmentation de près de 80  % vient s’ajouter aux augmentations précédentes et, avec l’attitude répressive et provocatrice du gouvernement Charest, les étudiants en lutte, aux cris de “Manif chaque soir jusqu’à la victoire”, ne sont pas prêts d’accepter passivement une telle mesure. Alors que d’emblée, la plupart des médias traitait de la question sous l’angle très idéologique de “la popularité ou l’impopularité” de la grève au Québec  1, le mouvement quant à lui, a exprimé une tendance à se généraliser et à dépasser le secteur de l’enseignement.

Afin de mieux comprendre le contexte de ce mouvement rappelons les mesures similaires prises par le gouvernement ces dernières années et les conditions actuelles des étudiants.

Une austérité qui ne date pas d’hier…

Dans ces temps d’austérité imposés par la faillite historique du système capitaliste 2, l’augmentation des frais de scolarité, au même titre que toutes les mesures de réduction du déficit, n’a rien de bien nouveau ni de spécifique au Québec. En 1990, le deuxième gouvernement de Robert Bourassa brise le gel des frais de scolarité, établis depuis 1968 à 540 $ CAN par an, pour les élever à 1668 $ CAN par an (soit trois fois plus). Puis en 2007, c’est au tour du gouvernement de Jean Charest (centre-droit) de poursuivre dans ce sens avec une augmentation de 500 $ CAN sur 5 ans, amenant ainsi l’addition à 2168 $ CAN pour l’année scolaire 2011-2012. Avec de tels frais de scolarité (pourtant en deçà de la moyenne de scolarité aux Etats-Unis), bon nombre d’étudiants n’ont plus accès aux études supérieures. Dans ce pays, 80  % des étudiants travaillent et étudient à temps plein, alors même que la moitié de ces étudiants vit avec 12  200 $ par an (avec un seuil de pauvreté pour une personne seule de 16  320 $ en 2010 !).

… mais qui devient insupportable !

Dans le budget du Québec déposé le 18 mars 2011, le gouvernement Charest confirme donc son intention d’augmenter les droits de scolarité de 1625 $ sur 5 ans, les faisant passer à près de 4500 $ par année en 2016, si l’on ajoute les frais afférents exigibles par les universités. Suite à cette annonce, la réaction ne se fit pas attendre. Le 31 mars 2011, une manifestation rassemble quelques milliers d’étudiants à Montréal et, sur l’initiative de la FEUQ 3, un campement est érigé chaque fin de semaine devant les bureaux du ministère de l’Education.

Etait-ce une méthode de lutte adaptée, qui permette au mouvement de s’étendre en allant chercher la solidarité ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que ce dernier ne connaîtra pas d’événement marquant pendant un an. Il faudra attendre le 22 mars 2012 pour qu’une manifestation étudiante surprenne par son ampleur. Entre 200 000 et 300 000 personnes y participent, rassemblant étudiants et travailleurs dans le centre de Montréal. Les revendications avancées s’inscrivent alors dans un mouvement historique bien plus large. Certains parlent alors de “Printemps érable” en référence aux révoltes dans les pays arabes. La base de la colère qui s’exprime est bien plus vaste que la seule augmentation des frais universitaire, et la solidarité avec le mouvement “Occupy” est clairement affichée. Ce mouvement montre que même dans un pays qui n’est pas réputé pour être le siège de mouvements sociaux d’ampleur, la mobilisation, poussée par des conditions de vie de plus en plus difficiles, gagne une partie croissante de la population. Le 7 avril, lors d’un cycle de conférences à Montréal, Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Coalition large de l’association pour la solidarité syndicale étudiante (CLASSE) devait reconnaître l’ampleur du mouvement : “Notre grève, c’est pas l’affaire d’une génération, c’est pas l’affaire d’un printemps, c’est l’affaire d’un peuple, c’est l’affaire d’un monde. Notre grève, ce n’est pas un événement isolé, notre grève c’est juste un pont, c’est juste une halte le long d’une route beaucoup plus longue.” Pour le gouvernement de Charest, il est clair qu’il ne faut pas laisser les étudiants occuper la rue, au risque qu’ils parviennent à trouver la solidarité d’autres secteurs et que le mouvement prenne encore plus d’ampleur 4. C’est donc avec brutalité que ce gouvernement a fait passer une loi le 18 mai dernier, dite “loi 78” qui rend illégale toute manifestation non annoncée. Voici les grandes lignes de cette loi “spéciale”  5 : “Elle interdit tout rassemblement à moins de 50 mètres des établissements scolaires (c’est-à-dire, interdiction des piquets de grève devant les universités) ;

– elle restreint le droit de manifester sans accord préalable avec la police : il faudra fournir huit heures avant, la durée, l’heure, le lieu ,le parcours et les moyens de transports (cette restriction est valable pour tous les regroupements de plus de 50 personnes) ;

– elle prévoit de très lourdes amendes pour les organisateurs de piquets de grève : de 1000 à 5000 dollars (de 770 à 3860 euros) pour un individu seul et de 25 000 à 125 000 dollars (de 19 320 à 96 600 euros) pour une association d’étudiants, le double en cas de récidive.”

Pour le gouvernement en place, il s’agit de taper fort pour casser la mobilisation et pour rappeler aux manifestants qui fait la loi. Ces méthodes répressives ne sont pas sans rappeler la violence à laquelle se sont confrontés les manifestants espagnols ou grecs lors des grands mouvements ces derniers mois. En France, cela rappelle la violence dont la police avait fait preuve pour intimider les étudiants et lycéens qui manifestaient à Lyon en 2010. Elle n’avait pas hésité à les isoler pendant de longues heures sur la place Bellecourt pour finalement les relâcher un à un après identification 6. Cela ressemblait bien à une expérimentation de manœuvre d’intimidation, pour faire peur aux manifestants et casser leur combativité. Il est vraisemblable que ce soit ce même résultat que visait le gouvernement Charest avec sa loi 78.

Visiblement, les événements ne se sont pas tout à fait déroulés comme l’espérait la classe politique québécoise. Bien loin de “casser” le mouvement et de remettre les étudiants dans le rang, cette “mesure spéciale” a été reçue comme une provocation pour les manifestants, ce qui a eu pour effet d’amplifier et de radicaliser le mouvement. L’heure est donc à la contestation et aux “casserolades”.

Pour les manifestants québécois, il s’agit aujourd’hui de répondre spontanément à la provocation du gouvernement par… des manifestations provocatrices ! Et à ce jeu-là, l’Etat est très fort : “Près de 700 personnes ont été arrêtées dans la nuit de mercredi à jeudi à Montréal et à Québec au terme de manifestations jugées illégales par les services policiers. Parmi les 518 arrestations effectuées dans le cadre de la 30 manifestation nocturne consécutive dans la métropole, on compte 506 arrestations de groupe et 12 arrestations isolées, dont 14 en vertu du Code criminel et une en vertu du règlement municipal proscrivant le port d’un masque ‘sans motif raisonnable’.” (le Devoir, 25 mai 2012)

Quelles perspectives pour le mouvement ?

Il est clair que ce qui fait la force de ce mouvement c’est la combativité et la détermination dont fait preuve la jeune génération. Nous ne pouvons que soutenir cette combativité, tout comme l’extension qu’a connue le mouvement avec la présence en son sein des travailleurs d’autres secteurs. Dans un sens, le manque d’habileté et la brutalité de l’équipe Charest peuvent être un facteur de généralisation du mouvement et jouer en faveur des ouvriers en lutte. Toutefois, ce mouvement comporte de nombreuses faiblesses, et il devra éviter bien des pièges pour ne pas se scléroser derrière des revendications trop stériles.

Parmi ces pièges, il en est un de taille : l’illusion que l’on pourrait vivre dans un monde meilleur au sein du capitalisme ; l’illusion que l’on pourrait changer ce système d’exploitation à coups de réformes et par la voie “démocratique” 7. Cette illusion est clairement insufflée par les syndicats, dont la Classe en première ligne avec tout son discours sur la “désobéissance civile” 8. La loi 78 prévoit également une suspension des cours jusqu’au mois d’août dans les établissements en grève, sans annulation de la session, si bien qu’aujourd’hui il est difficile d’affirmer que le mouvement va continuer à se développer. Ce qu’en revanche on peut affirmer, à la lumière des différents mouvements ouvriers qui marquent l’histoire du capitalisme, c’est qu’il n’y a que la recherche de solidarité et l’extension la plus large possible vers toute la classe ouvrière qui puisse offrir un réelle perspective au mouvement. La solidarité avec le mouvement des indignés et “Occupy”, la tenue d’assemblées générales ouvertes à tous où les questions politiques sont débattues collectivement et sans s’en remettre à de soi-disant “professionnels de la lutte”, sont des étapes incontournables pour lutter efficacement contre ce système en pleine décomposition généralisée et pour offrir à l’humanité ce à quoi elle aspire : “un monde meilleur” !

Enkidu (26 mai)

 

1 Le 19 mai, le Parisien titrait : “Québec : les étudiants en grève sont déterminés mais l’opinion reste divisée”.

2 Pour bien comprendre cette notion de “faillite historique”, nous incitons nos lecteurs à consulter notre dossier spécial “crise économique”, disponible sur notre site web.

3 Fédération étudiante universitaire du Québec.

4 “Devant l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement québécois tente de restreindre le droit de manifester.” Le Point, 18/05/12

5 D’après le site Rue89.

6 Voir nos articles : “Face à l’escalade répressive à Valence (Espagne)” de mars 2012 et le témoignage sur la manifestation du 19 octobre à Lyon, disponibles sur notre site internet.

7 Ce à quoi des indignés espagnols répondaient par : “Ils l’appellent démocratie mais ce n’est pas le cas !”, “C’est une dictature mais on ne la voit pas !”

8 “De son côté, Gabriel Nadeau-Dubois, président de la CLASSE, le syndicat le plus radical, a affirmé que le texte était tout simplement “anticonstitutionnel” et a appelé à la “désobéissance civile”” (le Point, 18/05/12).

 

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Lutte de classe

Après l'escroquerie de la "grève générale" du 29 mars en Espagne, comment pouvons-nous impulser une véritable lutte?

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Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de la publication du CCI en Espagne, Acción Proletaria, qui tire le bilan de la journée d’action du 29 mars (voir notre site Web sur ce sujet) en s’appuyant en particulier sur les différents tracts diffusés dans les cortèges de manifestants et sur les débats qui ont suivi sur différents forums sur la question de “comment lutter ?”.

Sii aujourd’hui les syndicats nous appellent à un arrêt de travail général, qu’ils osent appeler grève, et parlent “d’aller dans la rue”, c’est justement pour saboter notre lutte ; pour nous encadrer, pour nous contrôler, pour maintenir la paix sociale avec des simulacres d’opposition ; pour que les réponses aux attaques contre nos conditions de vie empruntent les voies légales de la démocratie, ce qui signifie que tout continue à l’identique ou bien pire.”

Face à la convocation de grève pour le 29 mars, le CCI a ouvert une rubrique de débat dans notre site Web où l’on a recueilli des réflexions des camarades, des tracts distribués par des collectifs divers, des débats qui ont eu lieu ici ou là, etc. 1. Il s’agit de laisser la parole aux minorités les plus actives et conscientes qui expriment l’effort en train d’émerger au sein de la classe ouvrière pour se libérer des chaînes syndicales et pour mettre en avant une alternative de lutte qui réunisse la défense contre les coupes budgétaires et la perspective de destruction du capitalisme, la construction d’une nouvelle société.

La citation avec laquelle commence cet article est prise d’un des tracts que nous avons inclus dans cette rubrique 2 et qui dénonce clairement ce qu’a représenté le 29 mars : une escroquerie pour nous démobiliser.

Les méthodes syndicales de lutte

Les syndicats créent de plus en plus de méfiance dans les rangs ouvriers, mais il faudrait aller au fond des choses : le problème n’est pas seulement le fait des syndicats en tant qu’organes participant des réseaux de l’Etat capitaliste, le problème est aussi le syndicalisme, c’est-à-dire une manière de concevoir la lutte, une manière de s’organiser et des méthodes d’action qui, malgré les meilleures intentions, nous amènent toujours à la défaite.

Comme le dit un camarade dans le débat sur le site Libcom 3, le syndicalisme limite “les conflits du travail à une entreprise ou à un secteur particulier, en empêchant, avec des entraves diverses, que la lutte ne s’étende au reste des prolétaires”, il répand “une mentalité individualiste et purement économique chez les “citoyens travailleurs”, “en oubliant” et en affaiblissant la réflexion sur la dimension politique et collective des problèmes du prolétariat” et prônant “l’action déléguée et individuelle, en minant la possibilité d’auto-organisation et de solidarité”. Donc, la façon avec laquelle les grèves syndicales sont envisagées “est négative : obéir aux syndicats sans la moindre réflexion ou discussion collective ; mener les actions absurdes des piquets qui, au lieu de renforcer la solidarité, l’union et la confiance en soi au sein de la classe ouvrière, restent fixés sur le fait “que personne ne travaille”, avec le seul objectif d’entasser des chiffres pour les évaluations sur l’emprise syndicale ; cela n’offre aucun espace pour que les millions de chômeurs, les étudiants et les retraités renouent le contact et mènent des luttes communes avec ceux qui ont encore un travail” 4.

La grève est une arme de la classe ouvrière qui sert à développer son unité, à affirmer sa conscience, à créer sa propre organisation ; la grève syndicale sert à tout le contraire, c’est pour cela que les syndicats “alternatifs” (CGT, CNT, etc.), “quelles que soient leurs couleurs, au-delà de leurs propositions ou de leurs dénonciations des syndicats majoritaires, ne sont au fond que l’appendice “radical” des “syndicats responsables”. Ils ont totalement participé à cette “grève” sans dire un mot sur le piège que ces soi-disant luttes représentent. Au contraire, le seul problème qu’ils dénoncent, c’est que les grands syndicats ne fassent pas ce type d’appel plus souvent...” 5.

Dans le débat sur Libcom, un des interlocuteurs dit : “Je pense que ce serait très difficile de faire participer beaucoup de monde dans une grève faite sous le slogan “À bas le capitalisme, révolution de suite !”.” Tout syndicat s’oppose, bien entendu, à une lutte révolutionnaire puisque son existence même en tant que syndicat est liée à la conservation du capitalisme, mais, en plus, il s’oppose aussi à n’importe quelle lutte revendicative véritable, parce que, comme répond le camarade cité : “L’équation “lutte pour améliorer ou défendre les conditions de vie et de travail = syndicalisme” est erronée.”

Sous le capitalisme on ne peut pas vivre

La dynamique des attaques, du chômage déchaîné, de la crise généralisée, pose une question simple : est-ce qu’on peut continuer à vivre sous le capitalisme ?

Depuis qu’on est enfant, on nous éduque avec les idées : “tout dépend de nous”, “si tu fais bien les choses”, tu auras “une vie stable et confortable”, “tu auras comme récompense des enfants, une maison, une voiture, une deuxième résidence, des croisières de vacances” et encore d’autres merveilles consuméristes. “... Nous pensons que si ça va bien pour nous, pour un autre, ce devrait être pareil, et si ce n’est pas le cas, c’est parce que celui-là a dû faire quelque chose de mal ou alors, c’est un fainéant, un inutile ou un incompétent” 6.

Après tant d’années de crise et surtout avec l’accélération des cinq dernières années, ces contes de fées s’écroulent : “On entend la même rengaine : étudie, travaille, fais encore des efforts, ne proteste pas, achète-toi une voiture et un appartement, sois quelqu’un... Et maintenant ? Tout ce pour quoi on nous a éduqués apparaît comme un mensonge” 7. On a beau avoir plein de titres universitaires, on a beau accumuler de l’expérience professionnelle, être consciencieux au travail, le futur se présente comme un tunnel sans fin rempli de précarité, de chômage et de misère.

Nous assistons au lent effondrement d’un système social qui a derrière lui un siècle de décadence. Ce n’est pas seulement la crise économique et sociale si grave déjà en elle-même ! C’est aussi la destruction environnementale, les guerres impérialistes, la barbarie morale la plus dégradée ! C’est pour cela que face à la sous-estimation éhontée de la crise que les syndicats nous dépeignent pour nous faire croire “qu’un autre capitalisme est possible” dûment “reformé”, nous souscrivons à ce que des camarades de la ville de Palencia affirment dans leur dénonciation :

“Pour eux, autant la crise que les coupes faites dans les droits des travailleurs sont la conséquence des actes de certains gouvernements et “de spéculateurs avides”. Ceci est faux, la crise et ses effets sont inhérents au système capitaliste, et non pas la conséquence directe des actions de “quelques individus sans scrupules”. Les crises se succèdent les unes après les autres depuis les débuts du système capitaliste lui-même, et elles ne peuvent être que de plus en plus graves. Si l’on sort de cette crise, on retombera dans une autre bien pire. Le capitalisme est un système économique en décadence.”

Toutes les voix du monde politique, patronal et syndical, en y incluant les “nouveaux radicaux” de DRY, nous prêchent que “tout cela peut s’arranger”. La droite et le patronat proposent comme remède d’autres coupes, plus de flexibilité, des sacrifices… La gauche et les syndicats proposent d’autres mesures : des nationalisations, des impôts supplémentaires pour les riches, des audits sur les dettes et encore d’autres rapiéçages. Des deux cotés, on veut surtout nous écarter de la voie de la lutte massive contre ce système d’exploitation et nous dévoyer vers l’impasse du sacrifice pour faire tenir debout ce système pourri. C’est pour cela que nous soutenons cette analyse de camarades de Barcelone :

“Les réformes, les différentes alternatives qu’on nous offre : un capitalisme à visage humain, avec des formes différentes de production et de distribution, une “bonne gestion citoyenne”, la décroissance, l’anti-globalisation, des changements dans le gouvernement, des négociations syndicales et toutes les autres variantes qui prétendent changer le monde sans révolution ; ce ne sont que des manœuvres pour nous emberlificoter et détruire toute tentative de lutte. Ce sont des mécanismes et des appareils fabriqués dans le but de nous faire gober tout ce qu’ils veulent nous faire gober” 8.

Ce système ne peut pas être reformé et ses bénéficiaires – la classe dominante – fera tout ce qu’elle pourra, quels que soient les dégâts, pour garder ses privilèges : “La vie de l’immense majorité de l’humanité doit être poussée au-delà de toute limite pourvu que les coffres du capital soient sauvegardés, pourvu que la banqueroute de ce système moribond soit évitée. Les gouvernements du monde entier et de toute couleur politique, en tant que représentants du monde de l’argent, appliquent les mêmes mesures terroristes que le capital exige partout” 9.

Comment développer une lutte contre les attaques du capitalisme qui prépare simultanément les conditions pour un changement révolutionnaire ?

Si le capitalisme nous condamne à une éternelle non-vie, si son Etat, ses politiciens, ses syndicalistes, ne font pas autre chose que nous conduire vers l’abîme, alors le fait de nous unir, de nous organiser, de lutter, tous ensemble, à partir de la base, ce n’est pas un bel idéal, mais un besoin vital. “Ensemble, nous pouvons tout changer”, voilà le slogan simple et percutant avec lequel les camarades d’Alicante concluent leur appel : “Il faut en finir avec les têtes qui se baissent, les gosiers qui avalent tout, les yeux qui regardent ailleurs devant les humiliations quotidiennes, parce que lorsqu’on accepte le mauvais avec résignation, on s’enfonce encore pire” 10.

Il est évident que ce combat est difficile parce que “se débarrasser totalement des mensonges dans un monde construit sur la falsification est une tache titanesque (…) Il est difficile de combattre un système dont les tentacules s’étendent aux moindres recoins de notre vie” 11. Mais, pour avancer, le plus important, c’est le développement de l’unité, de la solidarité, de la conscience et de l’auto-organisation dans nos propres rangs.

Face à la “grève syndicale” qui est conçue pour nous broyer et nous réduire à un tas de poussière, d’individus enfermés sur eux-mêmes, “une grève c’est bien plus que ne pas aller travailler un jour. Ce qui est important, c’est ce que l’on vit et ce que l’on crée, c’est la rencontre et les expériences qui en surgissent. C’est là la base du succès ou de l’échec d’une grève et non pas dans les chiffres du suivi ou dans la manif-procession de l’après-midi” 12.

Il s’agit de “devenir conscients de la réalité d’un monde en faillite. Occuper les rues, les libérer de la marchandise et les ouvrir à la communication et à l’action collectives” 13.

Il ne s’agit pas de “se foutre” des appels comme celui pour la grève du 29 mars, en même temps qu’on les dénonce, il faut tout faire pour y porter la lutte en vue du développement des forces du prolétariat ; comme le dit un camarade : ““Sortir de la normalité” du chacun pour soi et de l’acceptation résignée et sans critique de tout ce qui nous tombe dessus, voilà des pas importants” 14.

C’est pour cela que l’initiative des camarades d’Alicante est très importante :

“Nous proposons de créer un espace de participation, critique, unitaire et de lutte pour l’annulation de la réforme du travail et contre toute forme d’exploitation, ayant comme fondement l’auto-organisation en assemblées.”

Dans cet espace, “on pourrait essayer de récupérer sa propre vie : retrouver des gens qui ressentent des choses semblables à celles qui nous remuent les tripes ces derniers temps, partager la rage, les expériences, les émotions et la recherche d’alternatives, s’organiser et lutter pour avoir une vie qu’on puisse considérer comme libre” 15.

Cependant, le chemin est long et plein d’obstacles et, comme le dit un camarade, même s’il commence à se faire jour “une plus grande prédisposition et acceptation des critiques dirigées contre le système capitaliste, et des idées qui parlent de la nécessité d’une protestation massive. Les quatre dernières années de crise (ou de la dernière éruption de la maladie chronique du capitalisme), et tout ce que nous attend, sont en train de faire apparaître un changement d’état d’esprit lent, souterrain mais certain. Ceci dit, une alternative claire au niveau social et politique n’est toujours pas apparue” (16.

Acción Proletaria (20 mai 2012)

1 Voir, en espagnol, “Debate sobre la huelga general” (Débat sur la grève générale) :

https://es.internationalism.org/node/3365 [10]

2 Voir (en esp.) https://es.internationalism.org/node/3374 [11]

3 Voir https://es.internationalism.org/node/3381 [12]

4 Idem.

5 Idem.

6 Voir (esp) https://es.internationalism.org/node/3376 [13]

7 Voir (esp) https://es.internationalism.org/node/3379 [14]

8 Idem, note 2.

9 Idem.

10 Idem, note 6.

11 Idem, note 7.

12 Idem.

13 Idem.

14 Voir https://es.internationalism.org/node/3369 [15]

15 Idem, note 6.

16 Idem, note 14.

 

Géographique: 

  • Espagne [16]

Rubrique: 

Débat

La menace d'un cataclysme impérialiste au Moyen-Orient

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En Syrie, chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de massacres. La récente horreur frappant la ville d’Houla est particulièrement atroce et révoltante Ce pays a rejoint les terrains des guerres impérialistes au Moyen-Orient. Après la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan et la Libye, voici maintenant venu le temps de la Syrie.

Malheureusement, cette situation pose immédiatement une question particulièrement inquiétante. Que va-t-il se passer dans la période à venir ? En effet, le Proche et le Moyen-Orient dans leur ensemble paraissent au bord d’un embrasement dont on voit difficilement l’aboutissement. Derrière la guerre en Syrie, c’est l’Iran qui attise aujourd’hui toutes les peurs et les appétits impérialistes, mais tous les principaux brigands impérialistes sont également préparés à défendre leurs intérêts dans la région. Celle-ci est sous la menace permanente de la guerre, d’une guerre dont les conséquences dramatiques seraient irrationnelles et destructrices pour le système capitaliste lui-même.

Destruction de masse et chaos en Syrie : qui est responsable ?

Pour le mouvement ouvrier international, comme pour tous les exploités de la terre, la réponse à cette question ne peut être que la suivante : le responsable et le seul, c’est le capital. C’était déjà le cas pour les boucheries des Première et Seconde Guerres mondiales. Mais aussi des guerres incessantes qui, depuis celles-ci, ont fait à elles seules plus de morts que ces deux guerres mondiales réunies. Il y a un peu plus de 20 ans, George Bush, alors président des Etats-Unis, et ceci bien avant que son propre fils n’accède à la Maison Blanche, déclarait d’un air triomphant “que le monde entrait dans un nouvel ordre mondial”. Le bloc soviétique s’était littéralement écroulé. L’URSS disparaissait et, avec elle, devaient disparaître également toutes les guerres et les massacres. Grâce au capitalisme enfin triomphant et sous le regard bienveillant et protecteur des États-Unis, la paix allait désormais régner dans le monde. Que de mensonges encore une fois démentis immédiatement par la réalité. N’est-ce pas ce même président qui allait, peu après ce discours cynique et hypocrite, déclencher la première guerre d’Irak ?

En 1982 l’armée syrienne avait réprimé dans le sang la population révoltée de la ville de Hama. Le nombre de victimes n’a jamais pu être déterminé avec certitude : les estimations varient entre 10 000 et 40 000. Personne à l’époque n’avait parlé d’intervention pour secourir la population, personne n’avait exigé le départ de Hafez El-Assad, père de l’actuel président syrien. Le contraste avec la situation actuelle n’est pas mince ! La raison en est qu’en 1982, la scène mondiale était encore dominée par la rivalité entre les deux grands blocs impérialistes. Malgré le renversement du Shah d’Iran par le régime des Ayatollahs au début 1979 et l’invasion russe de l’Afghanistan un an après, la domination américaine sur la région n’avait pas été contestée par les autres grandes puissances impérialistes et elle était à même de garantir une relative stabilité.

Depuis lors les choses ont bien changé : l’effondrement du système des blocs et l’affaiblissement du “leadership” américain donnent libre cours aux appétits impérialistes des puissances régionales que sont l’Iran, la Turquie, l’Égypte, la Syrie, Israël... L’approfondissement de la crise réduit les populations à la misère et attise leur sentiment d’exaspération et de révolte face aux régimes en place.

Si aujourd’hui aucun continent n’échappe à la montée des tensions inter-impérialistes, c’est au Moyen-Orient que se concentrent tous les dangers. Et, au centre de ceux-ci, nous trouvons en premier lieu la Syrie, après plusieurs mois de manifestations contre le chômage et la misère et qui impliquaient des exploités de toutes origines : Druzes, Sunnites, Chrétiens, Kurdes, hommes, femmes et enfants tous unis dans leurs protestations pour une vie meilleure. Mais la situation dans ce pays a pris une sinistre tournure. La contestation sociale y a été entraînée, récupérée, sur un terrain qui n’a plus rien à voir avec ses raisons d’origine. Dans ce pays, où la classe ouvrière est très faible et les appétits impérialistes très forts, cette triste perspective était, en l’état actuel des luttes ouvrières dans le monde, pratiquement inévitable.

Au sein de la bourgeoisie syrienne, tous se sont jetés tels des charognards sur le dos de cette population révoltée et en détresse. Pour le gouvernement en place et les forces armées pro Bachar Al-Assad, l’enjeu est clair. Il s’agit de garder le pouvoir à tout prix. Pour l’opposition, dont les différents secteurs sont prêts à s’entre-tuer et que rien ne réunit si ce n’est la nécessité de renverser Bachar el-Assad, il s’agit de prendre ce même pouvoir. Lors des réunions de ces forces d’opposition à Londres et à Paris, il y a peu de temps, aucun ministre ou service diplomatique n’a voulu préciser leur composition. Que représente le Conseil national syrien ou le Comité national de coordination ou encore l’Armée syrienne libre ? Quel pouvoir ont en leur sein les Kurdes, les Frères musulmans ou les djihadistes salafistes ? Ce n’est qu’un ramassis de cliques bourgeoises, chacune rivalisant avec les autres. Une des raisons pour lesquelles le régime d’Assad n’a pas encore été renversé, c’est qu’il a pu jouer sur les rivalités internes à la société syrienne. Ainsi, les chrétiens voient d’un mauvais œil la montée des islamistes et craignent de subir le même sort que les coptes en Égypte ; une partie des Kurdes essaie de négocier avec le régime ; et ce dernier garde le soutien de la minorité religieuse alaouite dont fait partie la clique présidentielle.

De toute façon, le Conseil national n’existerait pas militairement et politiquement de manière significative s’il n’était pas soutenu par des forces extérieures, chacune essayant de tirer ses marrons du feu. Au nombre d’entre elles, il faut citer les pays de la Ligue arabe, Arabie Saoudite en tête, la Turquie, mais également la France, la Grande-Bretagne, Israël et les États-Unis.

Tous ces requins impérialistes prennent le prétexte de l’inhumanité du régime syrien pour préparer la guerre totale dans ce pays. Par l’intermédiaire du média russe la Voix de Russie, relayant la chaîne de télévision publique iranienne Press TV, des informations ont été avancées selon lesquelles la Turquie s’apprêterait, avec le soutien américain, à attaquer la Syrie. A cet effet, l’État turc masserait troupes et matériels à sa frontière syrienne. Depuis lors, cette information a été reprise par l’ensemble des médias occidentaux. En face, en Syrie, des missiles balistiques sol-sol de fabrication russe ont été déployés dans les régions de Kamechi et de Deir ez-Zor, à la frontière de l’Irak. Car le régime de Bachar Al-Assad est lui-même soutenu par des puissances étrangères, notamment la Chine, la Russie et l’Iran.

Cette bataille féroce des plus puissants vautours impérialistes de la planète à propos de la Syrie se mène également au sein de cette assemblée de brigands qui est dénommée ONU. En son sein, la Russie et la Chine avaient à deux reprises mis leur veto à des projets de résolution sur la Syrie, dont le dernier appuyait le plan de sortie de crise de la Ligue arabe prévoyant ni plus ni moins que la mise à l’écart de Bachar Al-Assad. Après plusieurs jours de tractations sordides, l’hypocrisie de tous s’est encore étalée au grand jour. Le Conseil de sécurité des Nations unies, avec l’accord de la Russie et de la Chine, a adopté le 21 mars dernier une déclaration qui vise à obtenir un arrêt des violences, grâce à l’arrivée dans ce pays d’un envoyé spécial de renom, monsieur Kofi Annan, tout cela n’ayant par ailleurs bien entendu aucune valeur contraignante. Ce qui veut dire en clair que cela n’engage en réalité que ceux qui y croient. Tout cela est sordide.

La question que nous pouvons nous poser est alors bien différente. Comment se fait-il que, pour le moment, aucune puissance impérialiste étrangère impliquée dans cet affrontement n’ait encore frappé directement – évidemment en défense de ses intérêts nationaux – comme ce fut par exemple le cas en Libye, il y a seulement quelques mois ? Principalement parce les fractions de la bourgeoisie syrienne s’opposant à Bachar Al-Assad le refusent officiellement. Elles ne veulent pas d’une intervention militaire massive étrangère et elles le font savoir. Chacune de ces fractions a très certainement la crainte légitime de perdre dans ce cas-là toute possibilité de diriger elle-même le pouvoir. Mais ce fait ne constitue pas une garantie que la menace de la guerre impérialiste totale, qui est aux portes de la Syrie, ne fasse pas irruption dans ce pays dans la période qui vient. En fait, la clé de la situation réside certainement ailleurs.

On ne peut que se demander pourquoi ce pays attise aujourd’hui autant d’appétits impérialistes de par le monde. La réponse à cette question se trouve à quelques kilomètres de là. Il faut tourner les yeux vers la frontière orientale de la Syrie pour découvrir l’enjeu fondamental de cette empoignade impérialiste et du drame humain qui en découle. Celui-ci a pour nom Iran.

L’Iran au cœur de la tourmente impérialiste mondiale

Le 7 février dernier le New York Times déclarait : “La Syrie c’est déjà le début de la guerre avec l’Iran”. Une guerre qui n’est pas encore déclenchée directement, mais qui est là, tapie dans l’ombre du conflit syrien.

En effet le régime de Bachar Al-Assad est le principal allié régional de Téhéran et la Syrie constitue une zone stratégique essentielle à l’Iran. L’alliance avec ce pays permet en effet à Téhéran de disposer d’une ouverture directe sur l’espace stratégique méditerranéen et israélien, avec des moyens militaires directement au contact de l’État hébreu. Mais cette guerre potentielle, qui avance cachée, trouve ses racines profondes dans l’enjeu vital que représente le Moyen-Orient au moment où se déchaînent de nouveau toutes les tensions guerrières contenues dans ce système pourrissant.

Cette région du monde est un grand carrefour qui se situe à la croisée de l’Orient et de l’Occident. L’Europe et l’Asie s’y rencontrent à Istanbul. La Russie et les pays du Nord regardent par-dessus la Méditerranée le continent africain et les vastes océans. Mais, plus encore, alors que l’économie mondiale a commencé à vaciller sur ses bases, l’or noir devient une arme économique et militaire vitale. Chacun doit tenter de contrôler son écoulement. Sans pétrole n’importe qu’elle usine se retrouve à l’arrêt, tout avion de chasse reste cloué au sol. Cette réalité fait partie intégrante des raisons pour lesquelles tous ces impérialismes s’impliquent dans cette région du monde. Pourtant, toutes ces considérations ne constituent pas les motifs les plus opérants et pernicieux qui poussent cette région dans la guerre.

Depuis maintenant plusieurs années, les États-Unis, la Grande-Bretagne, Israël et l’Arabie Saoudite ont été les chefs d’orchestre d’une campagne idéologique anti-iranienne. Cette campagne vient de connaître un violent coup d’accélérateur. En effet, le tout récent rapport de l’Agence Internationale de l’Energie atomique (AIEA) laisse entendre une possible dimension militaire aux ambitions nucléaires de l’Iran. Et un Iran possédant l’arme atomique est insupportable pour bon nombre de pays impérialistes de par le monde. La montée en puissance d’un Iran nucléarisé, s’imposant dans toute la région, est totalement insupportable pour tous ces requins impérialistes, d’autant plus que le conflit israélo-palestinien y maintient une instabilité permanente. L’Iran est totalement encerclé militairement. L’armée américaine est installée à proximité de toutes ses frontières. Quant au Golfe Persique, il regorge d’une telle quantité de bâtiments de guerre de tous ordres que l’on pourrait le traverser sans se mouiller les pieds ! L’État israélien ne cesse de proclamer qu’il ne laissera jamais l’Iran posséder la bombe atomique et, selon ses dires, l’Iran devrait en être doté dans un délai maximum d’un an. L’affirmation proclamée haut et fort à la figure du monde est effrayante car ce bras de fer est très dangereux : l’Iran n’est pas l’Irak, ni même l’Afghanistan. C’est un pays de plus de 70 millions d’habitants avec une armée “respectable”.

Des conséquences catastrophiques majeures

Économiques

Mais l’utilisation de l’arme atomique par l’Iran n’est pas le seul danger, ni le plus important : ces derniers temps, les dirigeants politiques et religieux iraniens ont affirmé qu’ils riposteraient par tous les moyens à leur disposition si leur pays était attaqué. Celui-ci dispose d’un moyen de nuisance dont personne n’est en mesure d’évaluer la portée. En effet, si l’Iran était conduit à empêcher, y compris en coulant ses propres bateaux, toute navigation dans le détroit d’Ormuz, la catastrophe serait mondiale.

Une partie considérable de la production mondiale de pétrole ne pourrait plus parvenir à ses destinataires. L’économie capitaliste en pleine crise de sénilité serait alors automatiquement entraînée dans une tempête de force maximale. Les dégâts seraient incommensurables sur une économie déjà particulièrement malade.

Écologiques

Les conséquences écologiques peuvent être irréversibles. Attaquer des sites atomiques iraniens, qui sont enterrés sous des milliers de tonnes de béton et de mètres cubes de terre, nécessiterait une attaque aérienne tactique aux moyens de frappes atomiques ciblées. C’est ce qu’expliquent les experts militaires de toutes ces puissances impérialistes. Si tel était le cas, que deviendrait l’ensemble de la région du Moyen-Orient ? Quelles seraient les retombées sur les populations et l’écosystème, y compris à l’échelle planétaire ? Tout ceci n’est pas le produit d’une imagination morbide sortie du cerveau d’un Docteur Folamour totalement fou. Ce n’est pas non plus un scénario pour un nouveau film catastrophe. Ce plan d’attaque fait partie intégrante de la stratégie étudiée et mise en place par l’État israélien et, avec plus de recul pour le moment, par les États-Unis. L’État-major de l’armée israélienne étudie, dans ses préparatifs, la possibilité, en cas d’échec d’une attaque aérienne plus classique, de passer à ce stade de destruction. La folie gagne un capital en pleine décadence.

Humanitaires

Depuis le déclenchement des guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye au cours des années précédentes, le chaos le plus total règne dans ces pays. La guerre s’y poursuit interminablement. Les attentats sont quotidiens et meurtriers. Les populations tentent désespérément de survivre au jour le jour. La presse bourgeoise l’affirme : “L’Afghanistan est sujet à une lassitude générale. A la fatigue des Afghans répond la fatigue des occidentaux”. (le Monde du 21-03-2012) Si, pour la presse bourgeoise, tout le monde semble fatigué de la poursuite sans fin de la guerre en Afghanistan, pour la population ce n’est pas de fatigue qu’il s’agit mais d’exaspération et d’abattement. Comment survivre dans une telle situation de guerre et de décomposition permanente ? Et en cas de déclenchement de la guerre en Iran, la catastrophe humaine serait d’une ampleur encore plus considérable. La concentration de la population, les moyens de destruction qui seraient employés laissent entrevoir le pire. Le pire, c’est un Iran à feu et à sang, un Moyen-Orient plongé dans un chaos total. Aucun de ces assassins de masse à la tête des instances dirigeantes civiles et militaires n’est capable de dire où la guerre en Iran s’arrêterait. Que se passerait-il dans les populations arabes de toutes ces régions ? Que feraient les populations chiites ? Cette perspective est tout simplement humainement effroyable.

Des bourgeoisies nationales divisées, des alliances impérialistes au bord d’une crise majeure

Le fait même d’entrevoir seulement une petite partie de ces conséquences effraie les secteurs de la bourgeoisie qui tentent de garder un minimum de lucidité. Le journal koweïtien Al-Jarida vient de laisser filtrer une information, relayant ainsi comme à son habitude les messages que les services secrets israéliens veulent faire connaître publiquement. Son dernier directeur Meir Dagan vient en effet d’affirmer “que la perspective d’une attaque contre l’Iran est la plus stupide idée dont il ait jamais entendu parler.” Tel est l’avis qui semble également exister au sein de l’autre officine des forces secrètes de sécurité externe israélienne : le Shin Bet.

Il est de notoriété publique que toute une partie de l’état-major israélien ne souhaite pas cette guerre. Mais il est également connu qu’une partie de la classe politique israélienne, rassemblée derrière Netanyahou, veut son déclenchement au moment jugé le plus propice pour l’État hébreu. En Israël, pour des raisons de choix de politique impérialiste, la crise politique couve sous les braises d’une guerre possible. En Iran, le chef religieux Ali Khamenei s’affronte également sur cette question avec le président de ce pays, Mahmoud Ahmadinejad. Mais ce qui est le plus spectaculaire, c’est le bras de fer que se livrent les États-Unis et Israël sur cette question. L’administration américaine ne veut pas, pour le moment, d’une guerre ouverte avec l’Iran. Il faut dire que l’expérience américaine en Irak et en Afghanistan n’est guère probante, et que l’administration Obama a préféré jusqu’ici se fier aux sanctions de plus en plus lourdes. La pression des États-Unis sur Israël, pour que cet État patiente, est énorme. Mais l’affaiblissement historique du leadership américain se fait même sentir sur son allié traditionnel au Moyen-Orient. Israël affirme haut et fort que, de toute manière, il ne laissera pas l’Iran posséder l’arme atomique, quel que soit l’avis de ses plus proches alliés. La main de fer de la surpuissance américaine continue à s’affaiblir et même Israël conteste maintenant ouvertement son autorité. Pour certains commentateurs bourgeois, il pourrait s’agir là potentiellement d’une première rupture du lien États-Unis-Israël, jusqu’ici indéfectible.

Le joueur majeur de la région immédiate est la Turquie, avec les forces armées les plus importantes du Moyen-Orient (plus de 600 000 en service actif). Alors que ce pays était autrefois un allié indéfectible des États-Unis et un des rares amis d’Israël, avec la montée du régime Erdogan la fraction plus “islamiste” de la bourgeoisie turque est tentée de jouer sa propre carte d’islamisme “démocratique” et “modéré”. De ce fait, elle essaie de profiter des soulèvements en Égypte et en Tunisie. Et cela explique aussi le revirement de ses relations avec la Syrie. Il fut un temps où Erdogan prenait ses vacances avec Assad mais, à partir du moment où le leader syrien a refusé d’obtempérer aux exigences d’Ankara et de traiter avec l’opposition, l’alliance a été rompue. Les efforts de la Turquie d’exporter son propre “modèle” d’islam “modéré” sont d’ailleurs en opposition directe avec les tentatives de l’Arabie Saoudite d’accroître sa propre influence dans la région en s’appuyant sur le wahhabisme ultra-conservateur.

La possibilité du déclenchement d’une guerre en Syrie, et peut être ensuite en Iran, est à ce point présente que les alliés de ces deux pays que sont la Chine et la Russie réagissent de plus en plus fortement. Pour la Chine, l’Iran est d’une grande importance puisqu’elle lui fournit 11% de ses besoins énergétiques. Depuis sa percée industrielle, la Chine est devenue un nouveau joueur de taille dans la région. Au mois de décembre dernier, elle mettait en garde contre le danger de conflit mondial autour de la Syrie et de l’Iran. Ainsi elle déclarait par la voix du Global Times : “L’Occident souffre de récession économique, mais ses efforts pour renverser des gouvernements non occidentaux en raisons d’intérêts politiques et militaires est à son point culminant. La Chine, tout comme son voisin géant la Russie, doit rester en alerte au plus haut niveau et adopter les contre-mesures qui s’imposent.” Même si une confrontation directe entre les grandes puissances impérialistes du monde n’est pas envisageable dans le contexte mondial actuel, de telles déclarations mettent en évidence le sérieux de la situation.

Le capitalisme marche tout droit vers l’abîme

Le Moyen-Orient est une poudrière et certains sont tout près d’y mettre le feu. Certaines puissances impérialistes envisagent et organisent froidement l’utilisation de certaines catégories d’armes atomiques dans une prochaine guerre éventuelle contre l’Iran.

Des moyens militaires sont déjà prêts et disposés stratégiquement à cet effet. Comme, dans le capitalisme agonisant, le pire est toujours le plus probable, nous ne pouvons pas écarter totalement cette éventualité. Dans tous les cas, la fuite en avant du capitalisme devenu entièrement sénile et obsolète conduit l’irrationalité de ce système toujours plus loin. La guerre impérialiste, portée à un tel niveau, s’apparente à une réelle autodestruction du capitalisme. Que le capitalisme, maintenant condamné par l’histoire, disparaisse n’est pas un problème pour le prolétariat et pour l’humanité. Malheureusement cette destruction du système par lui-même va de pair avec la menace d’une destruction totale de l’humanité. Cette constatation de l’enfoncement du capitalisme dans un processus de destruction de la civilisation ne doit pas nous conduire à l’abattement, au désespoir ou à la passivité. Dans cette même revue, au premier trimestre de cette année, nous écrivions ceci : “La crise économique n’est pas une histoire sans fin. Elle annonce la fin d’un système et la lutte pour un autre monde.” Cette affirmation s’appuie sur l’évolution de la réalité de la lutte de classe internationale. Cette lutte mondiale pour un autre monde vient de commencer. Certes difficilement et à un rythme encore lent, mais elle est maintenant bien présente et en marche vers son développement. C’est cette force à nouveau en mouvement, dont la lutte des Indignés en Espagne au printemps dernier en est, pour le moment, l’expression la plus marquante, qui nous permet d’affirmer qu’existent potentiellement les capacités de faire disparaître toute cette barbarie capitaliste de la surface de notre planète.

Tino (mai 2012)

Géographique: 

  • Moyen Orient [17]

Rubrique: 

International

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