Le 24 septembre 2008, le président des États-Unis, George W. Bush, a tenu, d'après les commentateurs et journalistes du monde entier, un discours "inhabituel". Son allocution télévisée a en effet annoncé sans détour quels tourments allaient s'abattre sur "le peuple américain" : "Il s'agit d'une période extraordinaire pour l'économie des États-Unis. Depuis quelques semaines, de nombreux Américains éprouvent de l'anxiété au sujet de leur situation financière et de leur avenir. [...] Nous avons observé de grandes fluctuations à la Bourse. De grands établissements financiers sont au bord de l'effondrement, et certains ont fait faillite. Alors que l'incertitude s'accroît, de nombreuses banques ont procédé à un resserrement du crédit. Le marché du crédit est bloqué. Les familles et les entreprises ont plus de difficulté à emprunter de l'argent. Nous sommes au milieu d'une crise financière grave [...] toute notre économie est en danger. [...] Des secteurs clés du système financier des États-Unis risquent de s'effondrer. [...] l'Amérique pourrait sombrer dans la panique financière, et nous assisterions à un scénario désolant. De nouvelles banques feraient faillite, dont certaines dans votre communauté. Le marché boursier s'effondrerait encore plus, ce qui réduirait la valeur de votre compte de retraite. La valeur de votre maison chuterait. Les saisies se multiplieraient. [...] De nombreuses entreprises devraient mettre la clé sous la porte, et des millions d'Américains perdraient leur emploi. Même avec un bon bilan créancier, il vous serait plus difficile d'obtenir les prêts dont vous auriez besoin pour acheter une voiture ou envoyer vos enfants à l'université. Au bout du compte, notre pays pourrait sombrer dans une longue et douloureuse récession".
En réalité, ce n'est pas seulement l'économie américaine qui menace de "sombrer dans une longue et douloureuse récession" mais l'ensemble de l'économie mondiale. Les États-Unis, locomotive de la croissance depuis soixante ans, entraînent cette fois-ci l'économie mondiale vers l'abîme !
La liste des organismes financiers en très grande difficulté s'allonge ainsi chaque jour :
- En février, la huitième banque anglaise, Northern Rock, a dû être nationalisée sous peine de disparition.
- En mars, Bear Stearns, la cinquième banque de Wall Street, est "sauvée" en étant rachetée par JP Mogan, la troisième banque américaine, via des fonds de la Banque fédérale américaine (la FED).
- En juillet, Indymac, l'un des plus gros prêteurs hypothécaires américains, est mis sous tutelle des autorités fédérales. Il est alors le plus important établissement bancaire à faire faillite aux États-Unis depuis vingt-quatre ans ! Mais son record ne tiendra pas longtemps.
- Début septembre, le jeu de massacre se poursuit. Freddie Mac et Fannie Mae, deux organismes de refinancement hypothécaire pesant près de 850 milliards de dollars à eux deux, évitent la faillite de justesse par un nouveau renflouement de la FED.
- Quelques jours plus tard seulement, Lehman Brothers, la quatrième banque américaine, se déclare en faillite et cette fois-ci la FED ne la sauvera pas. Le total des dettes de Lehman Brothers s'élevait à 613 milliards de dollars au 31 mai. Record battu ! La plus grosse faillite d'une banque américaine à ce jour, celle de Continental Illinois en 1984, mettait en jeu une somme seize fois plus modeste (soit 40 milliards de dollars) ! C'est dire la gravité de la situation.
- Pour éviter d'être frappée du même sort, Merrill Lynch, autre fleuron américain, a dû accepter son rachat en urgence par Bank of America.
- Il en a été de même pour HBOS rachetée par sa compatriote et rivale Lloyds TSB (réciproquement deuxième et première banques d'Écosse).
- AIG (American International Group, l'un des plus grands assureurs mondiaux) a été renfloué de justesse par la Banque centrale américaine. En fait, les finances de l'État américain sont, elles aussi, au plus mal ; c'est pourquoi la FED avait décidé de ne pas porter secours à Lehman Brothers. Si elle l'a tout de même fait pour AIG, c'est qu'en cas de faillite de cet organisme, la situation devenait totalement incontrôlable.
- Nouveau record ! Deux semaines seulement après Lehman Brothers, c'est au tour de Washington Mutual (WaMu), la plus importante caisse d'épargne aux États-Unis, de mettre la clef sous la porte ! 1
Inévitablement, les Bourses sont aussi dans la tourmente. Régulièrement, elles s'effondrent de 3, 4 ou 5 %, au fil des faillites. La Bourse de Moscou a même dû fermer ses portes pendant plusieurs jours, mi-septembre, suite à des chutes successives dépassant les 10 % !
Face à cette cascade de mauvaises nouvelles, même les plus grands spécialistes de l'économie s'affolent. Alan Greenspan, l'ancien président de la FED (considéré comme un président "mythique" par ses pairs) a ainsi déclaré sur la chaîne de télévision ABC, le 15 septembre 2008 : "On doit reconnaître qu'il s'agit d'un événement qui se produit une fois tous les cinquante ans, probablement une fois par siècle [...] Il n'y a aucun doute, je n'ai rien vu de pareil et ce n'est pas encore fini et cela prendra encore du temps." Plus significative encore fut la déclaration du prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz qui, voulant "calmer les esprits", a affirmé très maladroitement que la crise financière actuelle devrait être moins grave que celle de 1929, même s'il fallait se garder d'un "excès de confiance" : "On peut bien sûr se tromper mais le point de vue général est que nous disposons aujourd'hui d'outils [...] pour éviter une autre Grande dépression 2" ! Loin de rassurer, cet éminent spécialiste de l'économie, mais pas fin psychologue, a évidemment provoqué l'affolement général. En fait, involontairement, il a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : allons-nous vers un nouveau 29, vers une nouvelle "dépression" ?
Depuis lors, pour nous rassurer, les économistes se succèdent sur les plateaux télé pour expliquer que si, oui, la crise actuelle et très grave, elle n'a rien à voir avec le krach de 1929 et que, de toute façon, ça finira par repartir. Tous ceux-là n'ont qu'à moitié raison. Lors de la Grande dépression, aux États-Unis, des milliers de banques ont fait faillite, des millions de gens ont perdu leurs économies, le taux de chômage a atteint 25 % et la production industrielle a chuté de près de 60 %. Bref, l'économie s'est comme arrêtée. En fait, à l'époque, les dirigeants des États n'avaient réagit que très tardivement. Pendant de longs mois, ils avaient laissé les marchés livrés à eux-mêmes. Pire, leur seule mesure fut de fermer les frontières aux marchandises étrangères (par le protectionnisme) ce qui avait fini de bloquer le système. Aujourd'hui, le contexte est très différent. La bourgeoisie a appris de ce désastre économique, elle s'est dotée d'organismes internationaux et surveille la crise comme le lait sur le feu. Depuis l'été 2007, les différentes banques centrales (principalement la FED et la Banque centrale européenne - la BCE) ont injecté près de 2000 milliards de dollars pour sauver les établissements en difficulté. Elles sont ainsi parvenues à éviter l'effondrement net et brutal du système financier. L'économie est en train de décélérer très très vite mais ne se bloque pas. Par exemple, en Allemagne, la croissance pour 2009 ne devrait être que de 0,5 % (d'après l'hebdomadaire allemand Der Spiegel du 20 septembre). Mais contrairement à ce que disent tous ces spécialistes et autres docteurs ès-science, la crise actuelle est beaucoup plus grave qu'en 1929. Le marché mondial est totalement saturé. La croissance de ces dernières décennies n'a été possible que par un endettement massif. Le capitalisme croule aujourd'hui sous cette montagne de dettes ! 3
Certains politiciens ou hauts responsables de l'économie mondiale nous racontent aujourd'hui qu'il faut "moraliser" le monde de la finance afin de l'empêcher de commettre les excès qui ont provoqué la crise actuelle et de permettre le retour à un "capitalisme sain". Mais ils se gardent de dire (ou ils n'ont pas envie de le voir) que la "croissance" des années passées a justement été permise par ces "excès", c'est-à-dire la fuite en avant du capitalisme dans l'endettement généralisé 4. Ce ne sont pas les "excès des financiers" qui sont les véritables responsables de la crise actuelle ; ces excès et cette crise de la finance ne font qu'exprimer la crise sans issue, l'impasse historique dans lesquelles se trouve le système capitaliste comme un tout. C'est pour cela qu'il n'y aura pas de véritable "sortie du tunnel". Le capitalisme va continuer de s'enfoncer inexorablement. Le Plan Bush de 700 milliards de dollars, censé "assainir le système financier", sera forcément un échec. Si ce plan est accepté 5, le gouvernement américain va récupérer les créances douteuses pour apurer les comptes des banques et relancer le crédit. A l'annonce de ce plan, soulagées, les Bourses ont battu des records de hausse en une seule journée (9,5 % pour la Bourse de Paris, par exemple). Mais depuis, elles font du yo-yo car, au fond, rien n'est vraiment réglé. Les causes profondes de la crise sont toujours là : le marché est toujours saturé de marchandises invendables et les établissements financiers, les entreprises, les États, les particuliers... croulent toujours sous le poids de leurs dettes.
Les milliers de milliards de dollars jetés sur les marchés financiers par les différentes banques centrales de la planète n'y changeront rien. Pire, ces injections massives de liquidités signifient un nouvel accroissement des dettes publiques et bancaires. La bourgeoisie est dans l'impasse, elle n'a que des mauvaises solutions à offrir. C'est pourquoi la bourgeoisie américaine hésite tellement à lancer le "plan Bush" ; elle sait que si dans l'immédiat cela évite la panique, cela revient surtout à préparer de nouveaux soubresauts d'une extrême violence pour demain. Pour George Soros (l'un des financiers les plus célèbres et respectés de la planète), la "possibilité d'un éclatement du système financier existe".
Les conditions de vie de la classe ouvrière et de la majorité de la population mondiale vont se dégrader brutalement. Une vague de licenciements va frapper simultanément tous les coins de la planète. Des milliers d'usines vont fermer. D'ici la fin 2008, pour le seul secteur de la finance, 260 000 emplois devraient être supprimés aux États-Unis et en Grande-Bretagne (d'après le quotidien français les Échos, du 26 septembre). Or, un emploi dans la finance génère en moyenne quatre emplois directs ! L'effondrement des organismes financiers signifie donc le chômage pour des centaines de milliers de familles ouvrières. Les saisies immobilières vont encore augmenter. 2,2 millions d'Américains ont déjà été expulsés de chez eux depuis l'été 2007, 1 million encore devraient se retrouver à la rue d'ici Noël. Et ce phénomène commence à toucher l'Europe, en particulier l'Espagne et la Grande-Bretagne.
En Angleterre, le nombre de saisies immobilières a augmenté de 48 % au 1er semestre 2008. Depuis un peu plus d'un an, l'inflation a fait son grand retour sur le devant de la scène. Le prix des matières premières et des denrées alimentaires a explosé, ce qui a provoqué des famines et des émeutes dans de très nombreux pays 6. Les centaines de milliards de dollars injectés par la FED et la BCE vont encore accroître ce phénomène. Cela signifie une paupérisation de toute la classe ouvrière : se loger, se nourrir, se déplacer va devenir de plus en plus difficile pour des millions de prolétaires !
La bourgeoisie ne manquera pas de présenter la note de sa crise à la classe ouvrière. Au programme : diminution des salaires réels, des aides et des allocations (pour le chômage, la santé...), allongement de l'âge de la retraite, hausse des impôts et multiplication des taxes. D'ailleurs, Georges W. Bush a déjà prévenu : son plan de 700 milliards de dollars sera financé par les "contribuables". Les familles ouvrières devront débourser plusieurs milliers de dollars chacune pour renflouer les banques au moment même où une grande partie d'entre elles n'arrive même plus à se loger !
Si la crise actuelle n'a pas l'aspect soudain du krach de 1929, elle va faire subir les mêmes tourments aux exploités du monde entier. La vraie différence avec 1929 ne se situe pas du côté de l'économie capitaliste mais du côté de la combativité et de la conscience de la classe ouvrière. A l'époque, alors qu'il venait de subir l'échec de la Révolution russe de 1917, l'écrasement des révolutions en Allemagne entre 1919 et 1923 et les affres de la contre-révolution stalinienne, le prolétariat mondial était totalement abattu et résigné. Les coups de boutoirs de la crise avaient bien déclenché des mouvements de chômeurs importants aux États-Unis, mais cela n'avait pas été plus loin et le capitalisme avait entraîné l'humanité vers la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, c'est totalement différent. Depuis 1968, la classe ouvrière a soulevé la chape de plomb de la contre-révolution et si les campagnes de 1989 sur la "fin du communisme" lui avaient porté un coup violent, depuis 2003, elle développe sa lutte et sa conscience. La crise économique peut être le terreau fertile sur lequel vont germer la solidarité et la combativité ouvrières !
Françoise (27 septembre)
1) A l'annonce de toutes ces faillites en chaîne, on ne peut qu'être indigné en pensant aux sommes faramineuses empochées ces dernières années par les responsables de ces différents organismes. Par exemple, les dirigeants des cinq premières banques de Wall Street ont touché 3,1 milliards de dollars en 5 ans (Bloomberg). Et aujourd'hui, c'est la classe ouvrière qui subit les conséquences de leur politique. Même si la démesure de leur salaire n'explique pas la crise, elle révèle ce qu'est la bourgeoisie : une classe de gangsters qui a le plus grand mépris pour les ouvriers, les "petites gens" !
22) La "Grande dépression" correspond à la crise des années 1930.
3) Les "créances douteuses" (c'est-à-dire risquant fortement de ne pas être remboursées) se situent aujourd'hui, au niveau mondial, entre 3000 et 40 000 milliards de dollars, suivant les évaluations. L'imprécision de cette fourchette provient du fait que les banques se sont vendus mutuellement ces prêts à risques, à ce point qu'elles ne parviennent plus aujourd'hui à les évaluer réellement !
4) Comme l'a dit un journaliste sur le plateau d'une émission de "C dans l'air" sur France 5 : "Les États-Unis ont joué les prolongations grâce au crédit" .
5) A l'heure où nous mettons sous presse, les discussions entre le gouvernement et le congrès sont toujours en cours.
6) Lire "Crise alimentaire : les émeutes de la faim montrent la nécessité de renverser le capitalisme [1]".
Sarkozy n'a pas d'un jockey que la taille mais il en a aussi l'ambition, celle d'être dans chaque course le premier arrivé au poteau. Cette caractéristique de celui que le Canard enchaîné nomme "l'omniprésident" concerne tous les aspects de son activité présidentielle, confinant fréquemment au ridicule le plus achevé. De l'Afrique au conflit en Géorgie avec la Russie, en passant par l'Europe, on voit donc s'enchaîner de sa part les promesses non tenues et les grands effets d'annonce suivis des conséquences les plus nulles, voire contraires à ce qui était attendu. Mais au-delà de la caricature et des nombreux commentaires satiriques qu'il inspire, parfois autant sinon plus dans ses propres rangs que dans ceux de l'opposition, Nicolas Sarkozy est le véritable reflet de la décomposition capitaliste et son incarnation au sein d'une bourgeoisie française déliquescente. La politique impérialiste que le chef de l'État français mène depuis son accession à l'investiture suprême en est une des expressions les plus évidentes en terme d'aventurisme, d'inconsistance et de manque total de vision à long ou moyen terme. La politique internationale française est la copie conforme, made in France, de la politique que Bush et son équipe mènent, à la tête de l'appareil d'État américain, depuis bientôt huit ans.
Comme nous le disions dans notre Revue internationale no 108 [3] : "Le trait le plus caractéristique de cette phase ultime du capitalisme se manifeste par le gigantesque désordre régnant tant dans les rapports entre États que dans la forme que prennent leurs affrontements impérialistes. Chaque État national tire la couverture à lui sans accepter la moindre discipline. C'est ce que nous avons caractérisé comme ‘le chacun pour soi', qui exprime et à son tour aggrave un état général de chaos impérialiste mondial, tel que nous l'avions prévu il y a plus de dix ans lors de l'effondrement de l'ancien bloc soviétique : "... le monde se présente comme une immense foire d'empoigne où jouera à fond la tendance au ‘chacun pour soi', où les alliances entre États n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant..." (Revue internationale no 108, 2e trimestre 2002, "La guerre anti-terroriste sème terreur et barbarie [3]").
Après avoir affirmé la fin de la "Françafrique" et d'une "politique clientéliste", "des réseaux d'un autre temps et des émissaires officieux" pendant la campagne électorale ainsi que le début d'une "nouvelle politique africaine" dès le début de son mandat, après avoir réaffirmé au printemps dernier "Nous voulons soutenir les régimes démocratiques" sur le continent noir, qu'en est-il vraiment de la politique menée par Sarkozy et la bourgeoisie française en Afrique ? Ni plus ni moins que la continuation de la même politique impérialiste soutenant des régimes aux ordres de potentats sanguinaires répondant aux nécessités économiques et militaires de la France. C'est d'ailleurs une vieille antienne de l'impérialisme français en Afrique, de droite comme de gauche, pour faire passer la pilule de sa présence et de ses multiples coups de force militaires en les justifiant par des discours lénifiants. Ainsi, en 1990, au fameux discours de La Baule, Mitterrand, chantre de la démocratie africaine, avait lancé : "Notre rôle à nous, pays étranger, fut-il ami, n'est pas d'intervenir dans les conflits intérieurs. La France n'entend pas arbitrer les conflits." Belle hypocrisie dont le massacre de près d'un million de Tutsis au Rwanda en 1994, organisé à l'instigation des forces françaises, fut une concrétisation des plus éclatantes. Aujourd'hui, rien n'a changé, au contraire. La France est le seul pays au monde, outre la présence américaine récente et discrète à Djibouti, à maintenir une présence militaire, de 10 000 soldats en Afrique. Aussi, le départ des troupes françaises est loin d'être à l'ordre du jour, et la "Françafrique", avec ses magouilles immondes et son clientélisme sordide, a de beaux jours devant elle, car il en va de la défense des intérêts et du statut impérialiste mondial de la France. C'est bien pour cela que Sarkozy, après avoir déclaré en Afrique du Sud en mars 2008 que "La France n'a pas vocation à maintenir ses forces armées en Afrique", rappelait la seconde suivante aux chefs d'Etat africains dont la survie dépend de la présence française : "Si vous y tenez vraiment, on restera" ! En attendant, Sarkozy ne peut s'empêcher d'émailler ces belles déclarations pro-démocratiques et humanistes de discours comme celui de Dakar fin juillet 2007 où transpire à grosses gouttes le plus grand mépris pour "l'homme africain" "sans histoire" et pour les populations africaines et arabes.
La politique que mène Sarkozy en Europe au nom de l'État français est aussi peu lisible et tout aussi désastreuse. Ainsi, après le "non" irlandais à l'Europe, le président français, président de l'Europe, a affirmé, sans autre forme diplomatique et sans demander son avis au Conseil européen, la nécessité de refaire voter les Irlandais, afin que son projet de Traité constitutionnel européen de Lisbonne puisse voir le jour, pour se rétracter immédiatement après devant le tollé général que son intervention avait fait naître au sein de l'Europe. Ceci n'a eu pour conséquence que d'irriter un peu plus à la fois la Grande-Bretagne et une Allemagne déjà peu encline à soutenir l'action désordonnée de la France. Une action que le projet d'Union pour la Méditerranée (UPM) est venu décrédibiliser un peu plus encore. Cet avatar des prétentions françaises à mettre sur pied cette resucée d'un vieux projet européen (Processus de Barcelone ou Euromed), datant de 1995 et abandonné de tous, prétend avoir pour objectif de "combler le fossé entre un Nord plutôt riche et un bassin méditerranéen beaucoup plus pauvre", "d'améliorer le dialogue entre les deux rives", mais aussi et surtout de servir de tremplin à une réintroduction de la France dans le jeu des grandes puissances, en particulier au Moyen-Orient. Las, cette UPM est destinée à une vie aussi éphémère que la présidence française européenne et n'aura servi qu'à attiser les dissensions entre la France et les autres pays européens, totalement laissés pour compte dans l'affaire. D'ailleurs, la politique consistant à caresser dans le sens du poil et de façon précipitée les pays arabes "durs en affaires" a montré cet hiver ce qu'elle pouvait donner comme brillants résultats avec Khadafi, "grand ami" de la France au point que son bivouac de bédouin a occupé les jardins de l'Elysée une semaine durant... pour mieux claquer la porte au nez de son hôte en qualifiant de "scandale" la création de l'UPM.
Evidemment, tout ce cirque fait bien rire les médias. Mais derrière la stupidité de la politique française actuelle, il y a des êtres humains qui en souffrent et en meurent. Qu'a fait la France en Géorgie ? Rien, ou plutôt défendre la chèvre et le chou pour préserver à la fois son rôle de pays de l'Union européenne et ayant des intérêts comme tels à défendre, mais aussi ses relations privilégiées avec la Russie de Poutine. Car, au-delà des rodomontades dont a parlé la presse pour redorer le blason du caractériel de l'Élysée et faire croire à sa dimension internationale, dans un premier temps, Sarkozy a obtenu un cessez-le-feu de Moscou... aux conditions décidées par la Russie, puis, malgré ses menaces inconditionnelles médiatiques, n'a même pas pu gagner la reconnaissance de la souveraineté géorgienne par Medvedev, pour enfin, avec l'Union européenne, s'écraser mollement sans maintenir aucune "sanction" contre la Russie, et sans même souffler mot contre la reconnaissance de l'indépendance de l'Abkazie et de l'Ossétie du Sud par la même bourgeoisie russe.
Pour ce qui concerne l'engagement français en Afghanistan, on se trouve devant la même inconséquence. Alors que le président français s'était très formellement engagé à sortir la France du bourbier afghan avant son élection, il s'engage plus que jamais dans ce qui est une défaite annoncée. Cette guerre, dite de quatrième génération (G4G) par les spécialistes militaires, est considérée comme un conflit où la puissance attaquante, bien que supérieure, est "fixée" par l'ennemi et destinée à une guérilla sans fin. Ce qui veut dire que le marasme est bien pire chaque jour. Alors pourquoi un tel engagement de la France, avec les morts et le discrédit grandissant et justifié dans la population ? Une fois encore la logique est difficile à cerner. Car cette intégration à l'OTAN que développe Sarkozy ne correspond à aucune nécessité de l'impérialisme français 1, sinon de montrer ses petits muscles jusqu'en Asie, sans espérer ni gagner quoi que ce soit de l'alliance avec les États-Unis, qui exigent de plus en plus de forces de l'État français, ni espérer leur faire la pige au Pakistan et y gagner une quelconque zone d'influence consistante. Le retour prôné par Sarkozy de la France au sein de l'OTAN est d'autant plus catastrophique que l'OTAN elle-même connaît un effondrement aggravé et une décomposition accélérée du fait de la perte de sa première justification avec la fin de la guerre froide. Dès lors, l'OTAN ne sert plus qu'aux desseins propres de l'impérialisme américain.
Ce n'est pas un hasard si des hommes politiques bourgeois aussi rétrogrades que Bush aux États-Unis, Berlusconi en Italie ou encore Sarkozy en France se retrouvent au pouvoir dans de grandes puissances impérialistes. C'est même cette tendance qui va se développer dans l'avenir. La faillite économique du capitalisme, son enfoncement dans la décomposition et la barbarie, ne contient plus une once de rationalité et de perspective pour la société. Un système de plus en plus condamné à l'incohérence ne peut ainsi que produire des hommes politiques de plus en plus incohérents eux mêmes. Sarkozy comme toute sa classe sont condamnés à être les chefs d'orchestre d'une barbarie et d'un chaos croissant.
Wilma (25 septembre)
1) Après avoir affirmé l'évidence, à savoir que cette guerre ne pouvait que s'enliser toujours plus, voilà ce que déclaraient eux-mêmes certains membres du gouvernement : "Nous nous opposons, en second lieu, à cette décision présidentielle parce qu'elle a peu à voir avec l'Afghanistan et beaucoup avec l'obsession atlantiste du Président de la République et son projet de réintégrer la France dans le commandement de l'OTAN. En abdiquant son autonomie de décision militaire et stratégique dont tous les présidents de la Ve République ont été les gardiens, en abandonnant son combat pour le multilatéralisme, en oubliant ses ambitions d'un pilier européen de la défense, la France perdrait sa liberté de choix dans le monde." On ne peut pas être plus explicite.
Depuis le début de l'année, la crise économique mondiale, qui révèle l'impasse dans laquelle se trouve le système capitaliste, a provoqué dans de nombreux pays des émeutes de la faim, en même temps que se déroulaient des luttes ouvrières pour des augmentations de salaires, notamment face à la flambée des prix. Le dénominateur commun des émeutes de la faim qui ont explosé depuis ce début d'année un peu partout, en Haïti, au Mexique, aux Philippines, en Égypte, est la flambée du prix des denrées alimentaires ou leur pénurie criante qui ont frappé brutalement les populations pauvres et ouvrières de ces pays.
Les pillages de magasins sont une réaction tout à fait compréhensible face à une situation insupportable, de survie, pour les acteurs de tels actes et leur famille. En ce sens, les émeutes de la faim, même lorsqu'elles provoquent des destructions et des violences, ne sont pas à mettre sur le même plan et n'ont pas la même signification que les émeutes urbaines (comme celles de Brixton en Grande-Bretagne en 1981 et celles des banlieues françaises en 2005) ou les émeutes raciales (comme celles de Los Angeles en 1992) 1.
Bien qu'elles troublent "l'ordre public" et provoquent des dégâts matériels, ces dernières ne servent en fin de compte que les intérêts de la bourgeoisie qui est tout à fait capable de les retourner non seulement contre les émeutiers eux-mêmes, mais aussi contre l'ensemble de la classe ouvrière. En particulier, ces manifestations de violence désespérées (et dans lesquelles sont souvent impliqués des éléments du lumpenproletariat) offrent toujours une occasion à la classe dominante de renforcer son appareil de répression. Ce type d'émeutes est un pur produit de la décomposition du système capitaliste. Elles sont une expression du désespoir et du "no future" qu'il engendre et qui se manifeste par leur caractère totalement absurde. Il en est ainsi par exemple des émeutes qui ont embrasé les banlieues en France en novembre 2005 où ce ne sont nullement dans les quartiers riches habités par les exploiteurs que les jeunes ont déchaîné leurs actions violentes mais dans leurs propres quartiers qui sont devenus encore plus sinistrés et invivables qu'auparavant. De plus, le fait que ce soit leur propre famille, leurs voisins ou leurs proches qui aient été les principales victimes des déprédations révèle le caractère totalement aveugle, désespéré et suicidaire de ce type d'émeutes. Ce sont en effet les voitures des ouvriers vivant dans ces quartiers qui ont été incendiées, des écoles ou des gymnases fréquentés par leurs frères, leurs sœurs ou les enfants de leurs voisins qui ont été détruits. Et c'est justement du fait de l'absurdité de ces émeutes que la bourgeoisie a pu les utiliser et les retourner contre la classe ouvrière. C'est ainsi que leur médiatisation à outrance a permis à la classe dominante de pousser un maximum d'ouvriers des quartiers populaires à considérer les jeunes émeutiers non pas comme des victimes du capitalisme en crise, mais comme des "voyous". Elles ne pouvaient que venir saper toute réaction de solidarité de la classe ouvrière envers ces jeunes.
Pour leur part, les émeutes de la faim sont d'abord et avant tout une expression de la faillite de l'économie capitaliste et de l'irrationalité de sa production. Celle-ci se traduit aujourd'hui par une crise alimentaire qui frappe non seulement les couches les plus défavorisées des pays "pauvres" mais de plus en plus d'ouvriers salariés, y compris dans les pays dits "développés". Ce n'est pas un hasard si la grande majorité des luttes ouvrières qui se développent aujourd'hui aux quatre coins de la planète ont comme revendication essentielle des augmentations de salaires. L'inflation galopante, la flambée des prix des produits de première nécessité conjuguées à la baisse des salaires réels et des pensions de retraite rognés par l'inflation, à la précarité de l'emploi et aux vagues de licenciements sont des manifestations de la crise qui contiennent tous les ingrédients pour que la question de la faim, de la lutte pour la survie, commence à se poser au sein de la classe ouvrière. Et c'est justement parce que la question de la crise alimentaire frappe déjà les ouvriers des pays "pauvres" (et va toucher de plus en plus ceux des pays centraux du capitalisme) que la bourgeoisie aura les plus grandes difficultés à exploiter les émeutes de la faim contre la lutte de classe du prolétariat.
Évidemment, ces émeutes sont, elles aussi, des réactions de désespoir des masses les plus paupérisées des pays "pauvres" et ne portent en elles-mêmes aucune perspective de renversement du capitalisme. Mais, contrairement aux émeutes urbaines ou raciales, les émeutes de la faim constituent un concentré de la misère absolue dans laquelle le capitalisme plonge des pans toujours plus grands de l'humanité.
En ce sens, elles contribuent à la prise de conscience du prolétariat de la faillite irrémédiable de l'économie capitaliste. Enfin, elles montrent avec quel cynisme et quelle férocité la classe dominante répond aux explosions de colère de ceux qui se livrent aux pillages de magasins pour ne pas crever de faim : la répression, les gaz lacrymogènes, les matraques et la mitraille.
Par ailleurs, contrairement aux émeutes des banlieues, ces émeutes de la faim ne sont pas un facteur de division de la classe ouvrière. Au contraire, malgré les violences et les destructions qu'elles peuvent occasionner, les émeutes de la faim tendent spontanément à susciter un sentiment de solidarité de la part des ouvriers dans la mesure où ces derniers sont aussi parmi les principales victimes de la crise alimentaire et ont de plus en plus de difficulté à nourrir leur famille. En ce sens, les émeutes de la faim sont beaucoup plus difficiles à exploiter par la bourgeoisie pour monter les ouvriers les uns contre les autres ou pour créer des clivages dans les quartiers populaires.
Avec l'aggravation de la crise, les émeutes de la faim et les luttes ouvrières vont sans doute se multiplier de façon de plus en plus généralisée et simultanée. Elles ne contiennent cependant pas le même potentiel. En effet, seul le combat du prolétariat, sur son propre terrain de classe, peut mettre un terme à la misère, à la famine généralisée en renversant le capitalisme et en créant une nouvelle société sans misère, sans famine et sans guerres.
LE
1) Concernant les émeutes raciales de Los Angeles, voir notre article "Face au chaos et aux massacres, seule la classe ouvrière peut apporter une réponse [6]" dans la Revue internationale no 70. Sur les émeutes dans les banlieues françaises de l'automne 2005, lire "Emeutes sociales : Argentine 2001, France 2005... Seule la lutte de classe du prolétariat est porteuse d'avenir [7]" (Revue internationale no 124) et "Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France [8]" (Revue internationale no 125).
Même Sarkozy a été obligé de le reconnaître dans sa conférence du 25 septembre : "Une crise de confiance sans précédent ébranle l'économie mondiale. Des millions de petits épargnants dans le monde voient fondre leur patrimoine, des millions de retraités craignent pour leur retraite, ces millions de foyers modestes sont mis en difficulté. Les Français ont peur, pour leurs économies, pour leur emploi, pour leur pouvoir d'achat (...) Dire la vérité aux Français, c'est leur dire que la crise n'est pas finie, que ses conséquences seront durables, que la France est trop engagée dans l'économie mondiale pour être abritée. La crise actuelle aura des conséquences sur la croissance, sur le chômage, sur le pouvoir d'achat." En effet, ce sont de nouvelles dizaines de milliers de suppressions d'emplois qui vont déferler dans les prochains mois, en particulier dans les banques, les assurances, l'immobilier et la construction. Dans le secteur financier, les plans de licenciements ont déjà commencé au Crédit agricole, chez Natixis, Calyon, Kaufman & Broad, etc.
Pour le seul mois d'août, il y a eu en France entre 30 000 et 40 000 chômeurs de plus 1 ! C'est le plus mauvais chiffre pour l'emploi depuis 1993 alors même que l'Etat déploie toute son énergie à rayer des listes de l'ANPE un nombre toujours croissant d'ouvriers sans travail. La situation se dégrade chaque jour un peu plus. Et dans les mois qui viennent, les coups sur le prolétariat vont redoubler et le chômage exploser. Des attaques en tous genres sont en effet déjà programmées et annoncées à commencer par les licenciements dans les secteurs productifs "de pointe" comme l'automobile ou la micro-informatique. Ainsi, la suppression de 6000 emplois sur la base d'un prétendu "départ volontaire" (le Monde du 9 septembre) chez Renault dont un millier à Sandouville dans la région du Havre (visant en particulier la moitié des ouvriers dans les ateliers de production de la Laguna) est suivie 15 jours plus tard de l'annonce de 2000 pertes d'emplois supplémentaires, dont 900 en France, avec notamment la fermeture probable à terme des usines de Maubeuge dans le Nord et de Batilly en Lorraine. General Motors se prépare à liquider son usine strasbourgeoise qui représente 1260 emplois. Hewlett-Packard a annoncé le sacrifice de 24 600 emplois dans le monde (dont 9300 en Europe). Ce sont en même temps des centaines d'entreprises sous-traitantes qui vont devoir fermer leurs portes. Il faut y ajouter encore la suppression de 509 postes de travail à la CAMIF (plus d'un tiers des effectifs), la liquidation des salariés chez le volailler Doux, les licenciements annoncés chez l'équipementier Continental, la menace de fermeture de l'usine Sony de Dax...
De même, les "reformes" dans la Fonction publique vont se traduire par 30 600 suppressions de postes en 2009. Officiellement, un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne sera pas remplacé, ce qui est encore bien loin de la réalité puisque tous les non-remplacements des contractuels, emplois-aidés et autres emplois précaires et sous-payés dont l'État s'est fait une spécialité, ne rentrent pas dans ces "statistiques". L'Éducation nationale sera une nouvelle fois particulièrement touchée avec 13 500 suppressions de postes programmées. En même temps, le gouvernement se prépare à lancer un nouveau programme pour réduire le déficit du système de santé avec un renforcement des contrôles sur les actes médicaux, les ordonnances et les arrêts maladie contre les "abus et les fraudes" à la Sécurité sociale, une possible hausse de 1 euro des honoraires médicaux et la poursuite de la saignée dans les hôpitaux (250 établissements supprimés d'ici 2010). Le projet de privatisation prochaine de La Poste va entraîner la fermeture de centaines de bureaux, notamment dans les villages et les zones rurales. La durée de cotisation pour avoir le "droit" de partir en retraite avec une pension de misère est en passe de s'allonger démesurément pour les nouvelles générations de prolétaires tandis que la dégradation accélérée des conditions de vie et de travail contribue à la paupérisation croissante de toute la classe ouvrière (perte du pouvoir d'achat avec la hausse des prix de tous les produits alimentaires de base, des loyers, du gaz, des transports publics, de l'essence - en six mois la consommation de carburant a baissé de 15 %, ce qui n'était jamais arrivé). La loi sur la mobilité des fonctionnaires dans le cadre de la restructuration de l'administration va prochainement autoriser la mise en disponibilité sans salaire d'un fonctionnaire (ce qui est un licenciement déguisé pur et simple !) en cas de refus de 3 propositions de mutation d'office suite à une suppression de poste.
Le fameux Revenu de solidarité active (RSA) présenté et salué comme "un zeste de mesure enfin sociale du gouvernement" constitue en fait une attaque supplémentaire. Ce nouveau dispositif va entraîner une nouvelle multiplication des "petits boulots" à temps partiel et sous-payés puisque "subventionnés" par cette "aide sociale". Elle ouvre tout grand la voie à la généralisation de la précarité des contrats de travail. Non seulement cette allocation demeure trop faible pour pouvoir sortir les "bénéficiaires" du RSA de la grande pauvreté mais ils vont perdre une série de "droits" liés à la perception du RMI ("prime de Noël", droit aux transports gratuits, perte d'accès automatique à une couverture sociale complémentaire, ainsi que la prime du retour à l'emploi et diverses exonérations comme de la taxe d'habitation ou de la taxe de redevance audiovisuelle). Ils vont en outre subir des contrôles renforcés et plus fréquents de la Caisse d'allocations familiales ou de l'Assurance maladie. Cela signifie surtout pour l'avenir, comme le reconnaissent des experts comme ceux d'Alternatives économiques, "une accentuation énorme des pressions sur les demandeurs d'emploi pour qu'ils acceptent ces ‘emplois indignes'." Pour les chômeurs, la perte des allocations est désormais subordonnée au refus de toute offre d'emploi à moins d'une heure de transport et dans un rayon de 30 km à partir du domicile, tandis que la fusion imminente de l'ANPE et de l'Unedic est destinée à augmenter l'efficacité des contrôles et les radiations.
Dans cette situation de plus en plus dramatique, les syndicats font tout pour ne pas faire de vagues face à un ras-le-bol grandissant. Ils cherchent avant tout à éviter une mobilisation massive en éparpillant et en diluant ce sentiment de colère. Le décalage entre l'ampleur, la dureté, la simultanéité des attaques et la faiblesse de la "riposte" syndicale est flagrant.
• Durant tout l'été, les syndicats ont agité la promesse d'une large riposte des enseignants. Résultat : les syndicats de l'Éducation nationale ont appelé le 11 septembre à des rassemblements locaux devant les inspections d'académie sans proposer la moindre heure de grève.
• Le 23 septembre, ils ont lancé une journée de grève et de mobilisation contre "la privatisation de La Poste" totalement cloisonnée à ce secteur et qui a été seulement suivie par 30 à 40 % des effectifs. De plus, la CGT a soutenu la proposition de la gauche (du PS au NPA de Besancenot en passant par le PCF) de lancer un grand battage pour l'organisation d'un "référendum populaire sur l'avenir de La Poste", en faisant circuler une pétition dans ce sens auprès des usagers. Il s'agit de faire croire qu'il suffit qu'une entreprise reste aux mains de l'État pour garantir "un service public de qualité" au moment où ce même État promulgue toutes sortes de lois et d'attaques anti-ouvrières !
• Quant à la "grande journée d'action" lancée par la CGT pour le 7 octobre sur le vague thème "contre la politique patronale et gouvernementale" (et à laquelle FO a d'emblée refusé de s'associer... histoire de diviser encore un peu plus), elle s'est rapidement transformée en une évasive "journée internationale de mobilisation des syndicats pour un travail décent".
• Après une semaine de mise au chômage technique et l'annonce du plan de licenciements, les syndicats de Renault à Sandouville ont organisé à plusieurs reprises des "barrages filtrants" et des occupations dans la zone industrielle du Havre pour défouler une grogne très forte. Cependant, lors de manifestations au Havre, des délégations de Flins sont venues soutenir leurs camarades et un syndicaliste déclarait en substance devant les caméras de télévision le 23 janvier : "Il y a une grosse colère contre le mépris du patron. Mais si ça continue, on ne pourra plus les canaliser...". Les syndicats doivent aujourd'hui marcher sur des œufs...
• De même, lors de la grève des conducteurs dans le RER B, ils sont parvenus à isoler les agents de la SNCF et de la RATP, non seulement vis-à-vis des "usagers", c'est-à-dire la masse de prolétaires utilisant cette ligne pour se rendre à leur travail, mais aussi entre eux, les convoquant à des AG séparément ou les appelant à des actions différentes, alors même qu'ils sont confrontés à la même attaque. En effet, alors que jusqu'ici la ligne était gérée par la RATP au sud et par la SNCF au nord, d'ici l'été 2009, chaque agent du RER B conduira un train d'un bout à l'autre de la ligne et devra avoir été formé à la réglementation du tronçon sur lequel il n'opérait pas jusque-là. Ce qui va entraîner bien entendu des suppressions de postes au sein des deux sociétés et une augmentation considérable de la charge de travail. Mais au lieu de cibler sur cette attaque, les syndicats ont cherché à polariser la lutte contre le "projet de fusion" en proclamant que les employés de la SNCF et ceux de la RATP n'avaient pas le même statut ni les mêmes conditions de salaire et de travail ! Ainsi, sur la partie SNCF, la grève reconductible a débuté dès lundi 22 septembre, à l'appel de quatre syndicats (Sud Rail, FO, Unsa, Fgaac) tandis que sur la partie RATP, seuls la CGT et Sud ont appelé à la grève et seulement pour 24 heures. Malgré ces manœuvres de division, le trafic a tout de même été quasiment paralysé le 23 septembre sur toute la ligne B du RER, preuve de l'ampleur de la colère dans les rangs ouvriers des deux entreprises ! Par ailleurs, un autre mouvement isolé, visant à protester contre une "augmentation" des charges de travail, à l'appel de la CGT, de la CFDT, de la Fgaac, a touché également, depuis le 22, le TER Picardie (Paris-Beauvais-Le Tréport et Creil-Beauvais), déjà théâtre d'une grève du 2 au 6 septembre.
Abandonner la conduite de la lutte aux mains des syndicats ou subir leur influence pernicieuse revient à s'exposer à coup sûr, pieds et poings liés, aux pires attaques, à se laisser atomiser, démoraliser. La seule possibilité pour la classe ouvrière de résister aux coups de la bourgeoisie et de prendre confiance en ses propres capacités d'ouvrir une perspective vers l'avenir, c'est de prendre en mains ses luttes, en exprimant son unité et sa solidarité de classe.
Wim (27 septembre)
1) A l'heure où nous mettons sous presse, les chiffres définitifs ne sont pas encore connus.
Depuis le décret publié en juillet destiné à officialiser le fichier de police Edvige, on a assisté à une sorte de fièvre médiatique propulsant les cris d'orfraie à gauche. A coup de déclarations et de pétitions, les leaders de gauche, PS en tête, sont en effet montés au créneau pour s'offusquer publiquement et s'indigner de l'existence d'un tel fichier : Bertrand Delanoé a vu une "faute contre les libertés", François Hollande "des raisons très sérieuses de s'inquiéter"... Bref, tous à la parade !
En réalité, derrière ces envolées lyriques d'opérette se cache, outre la volonté de se refaire une virginité à bon compte après des années de politique répressive et de flicage lorsque la gauche était au pouvoir, une hypocrisie des plus crasses. Une personnalité comme Emmanuel Walls, par exemple, accepte volontiers de "recenser les activités" qui "portent atteinte à l'ordre public". Cela revient à dire que, sur l'essentiel, c'est-à-dire "la défense de l'ordre public", il y a "union sacrée" ! La jeunesse révoltée par la misère capitaliste et toute la classe ouvrière sont visées ici, assimilées facilement à des "terroristes" lorsque, pour défendre leurs conditions de vie, ils "troublent l'ordre public" par la lutte de classe.
Profitant de l'inquiétude que le fichier Edvige suscite dans la population, ces "grands humanistes" de gauche voudraient nous faire oublier qu'ils sont eux-mêmes à l'origine du fichier incriminé. C'est d'ailleurs avec cet argument que des dirigeants de l'UMP ont parfois renvoyé leurs interlocuteurs du PS dans les cordes. Le fichier Edvige, en effet, ne fait qu'exposer des règles jusqu'ici en vigueur au sein des RG (Renseignements généraux) fixées depuis 1991 par Philippe Marchand, ministre de l'intérieur de la socialiste Edith Cresson. C'est grâce à ce fichier, complété sur le terrain par des équipes de flics "ilotiers" sillonnant tous azimuts les banlieues, que les socialistes et staliniens, à l'époque, ont pu traquer les immigrés afin de les reconduire massivement aux frontières, par charters entiers. "Faire du chiffre", au parti socialiste comme chez Hortefeux, on s'y connaît !
D'après les propos d'un ancien officier des RG réaffecté à la SDIG (nouvelle Sous-direction de l'Information générale) qui s'exprime sur le fichier Edvige : "Tout cela existait depuis longtemps, seulement, comme le décret de 1991 était rédigé de façon volontairement floue, les naïfs l'ignoraient totalement" 1. Les responsables de l'époque étaient justes "plus malins que l'équipe Sarkozy".
N'oublions pas que sous Rocard, alors que Pierre Joxe était ministre de l'intérieur, des bases de données sur les personnalités étaient recueillies sans la moindre gêne. Pierre Joxe, ex-spécialiste de l'information militaire en Afrique du Nord, avait au passage mis en place un autre fichier qui existe toujours : le fichier STIC (Système des infractions constatées) qui incorpore des données sur les victimes elles-mêmes. Il a été légalisé en 2001, sous Jospin ! Sans développer sur les célèbres "écoutes téléphoniques de l'Elysée" ou encore la restauration d'un "cabinet noir" sous l'ère Mitterrand, soulignons juste au passage une déclaration à ne pas oublier et à méditer : "On ne peut pas concilier efficacité policière et respect des droits de l'homme." Ce n'est pas là un aphorisme de Sarkozy mais une bonne vérité du socialiste Pierre Joxe lors du procès des écoutes en décembre 2004 !
On sait encore que Jospin avait signé les "accords de Schengen" renforçant la surveillance et le flicage, qu'il avait aussi signé "le bouclier européen contre l'immigration clandestine" qui fait le lit de la répression anti-immigrés actuelle et des lois Hortefeux. Aussi, quand Martine Aubry nous affirme, offusquée et la main sur le cœur, qu'elle "voit les dérives possibles" du fichier Edvige, sans doute faut-il comprendre qu'elle a des idées "géniales" à proposer pour la police du futur !
Ne nous laissons pas duper par tous ces politiciens qui prétendent nous protéger et "défendre les ouvriers". Ceux-là n'hésiteront jamais à réprimer brutalement pour défendre leur sacro-saint "ordre public" : "l'ordre" capitaliste !
WH (17 septembre)
1 backchich.info.
Après les affrontements meurtriers du mois d'août en Géorgie 1, la propagande bourgeoise, notamment en Europe, nous assure que nos gouvernements font tout leur possible pour qu'une solution de paix soit trouvée dans le Caucase. Pour preuve de leur bonne foi, les opérations humanitaires en cours, où des navires de guerre américains et de l'OTAN livrent des vivres et des médicaments à la population géorgienne. Face au questionnement que suscite cette "aide humanitaire" transportée par des militaires au lieu de navires marchands, nos démocrates, pétris de bons sentiments, invoquent la présence maléfique de la marine russe qui occupe le littoral géorgien. Certes, les Russes sont prêts à défendre les territoires conquis, mais on peut avoir beaucoup de doutes sur la sincérité de nos "humanistes de service" quand on voit que c'est une véritable armada que l'État américain et ses alliés de l'OTAN ont envoyé dans les eaux de la mer Noire.
Ce n'est pas moins de sept navires de l'Alliance (trois américains, un espagnol, un allemand, un polonais et un navire battant pavillon de l'OTAN) qui sont déployés dans tous les points clés de la mer Noire, dont le navire hydrographique américain USNS Pathfinder capable de détecter les sous-marins à une distance de plus de 100 km, le contre-torpilleur lance-missiles McFaul équipé de missiles de croisière Tomahawk qui peuvent transporter des missiles conventionnels ou nucléaires (dont la puissance de feu avait fait des tueries épouvantables lors de la première guerre du Golfe en 1991) et le vaisseau-amiral Mount Whitney de la 6e flotte américaine, le bateau de guerre doté du système de communication et surveillance le plus sophistiqué au monde, véritable chef d'orchestre de cette opération soi-disant pacifique et humanitaire ! Un tel déploiement de forces militaires n'a évidemment rien de philanthropique, ni d'altruiste. Son véritable objectif est de "faire une évaluation de l'état des forces armées géorgiennes" et, comme le souligne la mission sénatoriale américaine présente en Géorgie, "les Etats-Unis doivent fournir une assistance aux forces armées géorgiennes, en les dotant des plus modernes armes anti-aériennes et anti-chars, et en continuant l'entraînement des troupes" 2.
En clair, "l'aide humanitaire" sert de paravent à la livraison d'armes meurtrières et au renforcement de l'armée géorgienne. Tout ceci préfigure la réponse américaine au revers qu'elle vient de subir suite à l'invasion de son allié géorgien par l'armée russe en août dernier et à la reconnaissance par cette dernière de l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. Cette soi-disant opération humanitaire concentre en fait tous les ingrédients d'une nouvelle et dangereuse escalade guerrière pour l'avenir dont l'enjeu est toujours l'Asie centrale ex-soviétique, zone d'immense importance, que ce soit pour ses réserves énergétiques de la Caspienne comme pour sa position géostratégique par rapport à la Russie, la Chine et l'Inde.
Les populations, victimes des exactions militaires, n'ont donc rien à attendre de la prétendue aide humanitaire militarisée en cours. Comme dans les "interventions pour la paix" précédentes (Somalie en 1992, Bosnie en 1993, Rwanda en 1994, et tant d'autres, Kosovo, Darfour, Congo, Palestine...) les aides humanitaires sont des alibis cyniques au service de la guerre, compléments indispensables aux "discours de paix" que nous servent tous les États impérialistes, petits ou grands, pour défendre leurs intérêts.
Daniel (26 septembre)
1)
Lire notre article "Guerre
en Géorgie, toutes les puissances sont des fauteurs de
guerre ! [12]"
dans RI
no
393, septembre 2008.
2) http ://www.ilmanifesto.it/quotidian [13].
Nous
publions ci-dessous la prise de position d'un de nos contacts en
République dominicaine après les ouragans qui ont
dévasté l'État d'Haïti voisin, faisant
plusieurs milliers de victimes. Il y dénonce très
justement la responsabilité première du capitalisme
dans le lourd bilan de ces catastrophes qui n'ont aujourd'hui
plus rien de "naturelles".
Fin août début septembre, Haïti, le pays le plus appauvri des Amériques, et non pas le plus pauvre comme on a voulu trop souvent nous le faire croire, a été affecté par les ouragans Gustav et Hanna, provoquant plus de mille morts et des milliers de disparus, de blessés et de sans-abris. Cette tragédie est, comme d'habitude, utilisée par les classes dominantes pour appeler à la conciliation des classes et à l'aide "humanitaire".
On a beau dire tout ce qu'on veut, mais le seul coupable de ces morts, c'est le capitalisme, en premier lieu en tant qu'auteur matériel et intellectuel parce qu'il est responsable de la crise environnementale (cf. "Crise écologique : vraie menace ou mythe ? [15]" 1) et, dans le cas concret de Haïti, parce que ce pays a été victime de la mise à sac par les grandes puissances capitalistes. Ils ont provoqué la déforestation de cette partie de l'île Hispaniola 2, séchant les rivières et transformant leurs anciens lits en terrains vagues, où une population désemparée d'ouvriers, de chômeurs et de paysans pauvres, a construit des cabanes et des baraques qui sont entraînées, avec tout le reste, lorsque ces vieux lits redeviennent des rivières gonflées par les pluies torrentielles.
Le capitalisme décadent en Haïti s'y est concrétisé d'une façon si grave que les autres nations ont dû définir ce pays comme un État en faillite, un pays où les masses de gens n'ont pas eu d'autre choix que de se jeter à la mer vers l'Amérique du Nord ou vers ce coté-ci de l'île [c'est-à-dire la République dominicaine, ndt] pour vendre leur force de travail. Il arrive même que ce prolétariat soit utilisé par la bourgeoisie comme un esclave victime de la xénophobie nationaliste et chauvine, et que les bourgeois ne se contentent pas de lui voler une grande partie de son travail, mais qu'il lui vole le tout, en appelant les autorités pour qu'il devienne une victime des lois de l'immigration et soit jeté hors du pays.
Comment est-il possible qu'on investisse autant de ressources pour favoriser des coups d'État, des guérillas, des invasions armées comme celle de la minustab 3, où il y a des troupes de différents pays (Pérou, Chili, Nicaragua, Brésil, certains d'entre eux se disant même "socialistes"), et qu'on n'utilise pas ces ressources financières, ces millions, pour éviter des tragédies comme celles provoquées par les tempêtes Gustav et Hanna ? Seule une action collective du prolétariat de tous les pays et, dans le cas présent et pour commencer, celui de l'île Hispaniola toute entière, pourra faire face au capitalisme qui, depuis des années, n'offre que des crises et des guerres auxquelles s'ajoute maintenant la catastrophe climatique.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Vl
(Noyau
de discussion internationaliste en République dominicaine)
1)
Ndlr : cet article est également disponible en espagnol.
2)
Ndlr : "Hispaniola" est le nom ancien de l'époque
coloniale espagnole, de l'île entière, aujourd'hui
partagée entre Haïti, ancienne colonie française
et la République dominicaine, ancienne colonie espagnole
(note du traducteur).
3) C'est le nom de la mission "stabilisatrice" des troupes de l'ONU en Haïti.
Voici un article repris d'Acción proletaria (organe du CCI en Espagne) qui montre, à travers un "accident" meurtrier sur un chantier en Espagne, que la vie des ouvriers ne vaut pas grand chose aux yeux de nos exploiteurs.
Le 26 mai dernier, un échafaudage du chantier du nouveau stade de football de Valence se décrochait, entraînant deux ouvriers dans la mort. L'horreur ne s'est pas arrêtée là : la chute de l'échafaudage a entraîné celle d'un énorme coffrage de 3 tonnes qui est tombé sur deux autres ouvriers. Et leurs camarades, en plus de l'horreur de ce qu'ils voyaient, ont été submergés par un terrible sentiment d'impuissance à cause de l'impossibilité de secourir ces deux camarades gravement blessés qui, après avoir été dégagés par les pompiers, sont décédés quelques heures plus tard.
Très vite, les différentes instances de la classe exploiteuse se sont succédées sur les lieux du drame pour exprimer, avec le plus répugnant des cynismes, le couplet bien connu de la "solidarité avec les victimes". D'abord, le patron du chantier est arrivé, lui qui ne cesse de faire pression pour que s'accélère le rythme des travaux, voulant être le premier à présenter ses "condoléances" aux familles des victimes. Ensuite, c'est le maître d'œuvre qui s'est pointé, lui qui n'hésitait pas à réduire les coûts en sous-traitant (80 % de la main d'œuvre dans le cas présent) en se vantant de respecter les lois et d'avoir pas moins de... 22 techniciens de sécurité ! Les autorités municipales se sont présentées à leur tour, n'hésitant pas à promettre des "enquêtes" et des "sanctions" exemplaires, alors qu'en réalité les gens du quartier n'ont cessé de dénoncer, par exemple, le prolongement "illégal" du travail jusqu'à l'aube, sans que personne ne vienne l'empêcher. Pour couronner ce défilé d'hypocrites, les syndicats se sont eux aussi déplacés, eux qui prétendent défendre les ouvriers face au patron et face à l'État, alors que leur véritable fonction est de leur servir de larbins. On ne sait pas ce qui est le plus à vomir, de leurs pathétiques justifications hypocrites et pleurnichardes du genre : "Nous étions au courant en ce qui concerne les abus de la sous-traitance et des journées de travail de plus de 16 heures, mais nous ne pouvions rien faire parce qu'il ne s'agit pas d'un chantier public et nous ne sommes donc pas représentés au sein du Comité de sécurité du travail", ou de leurs répugnantes "mobilisations" : cinq minutes de silence au lendemain de l'accident et une concentration de délégués devant le chantier sept jours après la mort des ouvriers ( !), pseudo-actions destinées à semer un sentiment d'impuissance et de résignation.
Quelles que soient les causes ou les circonstances particulières de cet accident de travail, ce qui est sûr c'est qu'année après année, les conditions de travail de la grande majorité des travailleurs sont régies de plus en plus explicitement par le chantage criminel décrit dans le poème de Nicolas Guillén chanté par Daniel Viglietti et que nous avons pris pour titre de cet article : "On me fait crever si je ne travaille pas et si je travaille, on me crève" ("Me matan si no trabajo... y si trabajo me matan"). Cet accident de Valence n'est, en effet, qu'un maillon supplémentaire de cette chaîne qui devient de plus en plus insupportable, celle de la dégradation violente des conditions de vie et de travail des prolétaires. Concernant les accidents de travail, il faut dire que le capitalisme espagnol gagne haut la main la médaille d'or sur ses concurrents européens dans cette sinistre compétition des "crimes de travail", pour les appeler par leur vrai nom. Tout au long de ces dernières années, il y a eu en Espagne entre 1000 et 1200 morts par accident de travail, 20 % du total de toute l'Union européenne. Au cours des deux premiers mois de cette année 2008, il y a déjà eu 178 accidents mortels. Dans les chantiers de construction, les facteurs de risque, journées de travail exténuantes ou temps de repos insuffisants, ne font qu'augmenter. Et ces pratiques habituelles dans le bâtiment (sous-traitance du personnel sans qualification aucune) se sont étendues à d'autres secteurs y compris les services (le transport en particulier). Les gouvernements ont beau occulter par des tours de passe-passe l'escalade des accidents et les maladies de travail, en excluant des statistiques, par exemple, les accidents in itinere (ceux qui se produisent lors des trajets entre le domicile et le travail) ou ceux attribués à "l'imprudence" de l'ouvrier, le fait est que le travail est de plus en plus mortifère. Une étude récente de l'Observatoire de risques psychosociaux du syndicat UGT (citée dans l'édition informatique d'El País du 2 juin 2008) a mis en avant que près de 75 % des travailleurs souffrent de stress du travail et que les trois-quarts d'entre eux en subissent les conséquences par rapport à leur santé (fatigue, douleurs au cou et à la tête, irritabilité, sensation d'oppression, insomnies, problèmes oculaires, etc.). On ne peut manquer de citer la conclusion, une lapalissade cynique, de cette si "profonde" étude du syndicat "socialiste" : "Le problème de fond, c'est que les entreprises continuent à privilégier leurs intérêts économiques au détriment de la satisfaction ou du bien-être des travailleurs". Bon sang, mais c'est bien sûr !
Marx et Engels dénonçaient déjà dans le Manifeste communiste le caractère hypocrite, réactionnaire et mystificateur de ceux qui prétendent qu'il pourrait exister un capitalisme à l'avantage des ouvriers ! Parce que, pour tous les prolétaires, travail salarié est synonyme de sacrifice de sa propre existence. Ce qui définit le prolétariat, c'est justement qu'il est obligé de vendre sa force de travail, devenue une marchandise dont le "prix" est le salaire, seul moyen de survivre pour lui et les siens. Le prolétariat est la première classe exploitée de l'histoire qui est "libre". Elle est "libre" parce que rien ne "l'oblige" à rester attachée au maître esclavagiste ou à la terre du seigneur féodal. En principe, en effet, les capitalistes ne viennent pas coller un fusil sur la poitrine ou dans le dos du prolétaire pour qu'il travaille. Il est "libre" de le faire ou de ne pas le faire. Mais s'il renonce "librement" à travailler, les conséquences sur son existence seront la pénurie et la faim. Le capitalisme est le premier et seul système dans l'histoire où l'exploité doit aller à la recherche de son exploiteur et en subir "librement" la loi. Voilà pourquoi il est aussi exact d'ajouter "... et si je travaille on me crève" que de dire "On me fait crever si je ne travaille pas...".
Contre les horreurs de l'esclavagisme salarié, il n'y a qu'une seule voie : éradiquer le capitalisme de la surface de la terre, parvenir à affranchir l'humanité des lois inhumaines de l'accumulation et de l'appropriation privée de ce qui est produit socialement. Pour que l'humanité puisse non seulement survivre, mais aussi donner son sens au mot "vivre", ce système d'exploitation de l'homme par l'homme doit être détruit.
Etsoem (2 juin)
L'été dernier, Courrier international a publié une série de recueil d'articles de presse consacrés à Karl Marx (nos 924, 925, 926 du 17 juillet au 20 août) sur le thème "Marx : le retour" à l'occasion du 190e anniversaire de sa naissance et du 125e de sa mort et aussi du 160e anniversaire du Manifeste communiste. Déjà, en octobre 2003, le Nouvel observateur avait publié un numéro spécial intitulé "Marx, le penseur du troisième millénaire ?" et Jacques Attali, fidèle conseiller de la bourgeoisie depuis l'ère Mitterrand, avait publié en 2005 une biographie de Marx dans laquelle, à coups de citations tronquées, il s'efforçait de présenter Marx comme un grand défenseur et un profond admirateur de la "démocratie bourgeoise" 1.
La bourgeoisie et sa presse aux ordres s'inquiètent "du retour de la pensée marxiste" ou de "l'actualité de Marx et du marxisme" moins de vingt ans après avoir proclamé triomphalement "la mort du marxisme et du communisme" et avoir cherché à les enterrer en grandes pompes après l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens. Qu'ils tremblent à nouveau n'a rien d'étonnant à l'heure où, face au déchaînement de la crise et aux horreurs monstrueuses perpétrées par ce système pourrissant, la remontée internationale des luttes ouvrières pousse les prolétaires vers la prise de conscience qu'il existe une perspective pour sortir l'humanité de l'impasse où la plonge le capitalisme.
Certains crachent leur venin en proclamant ouvertement leur terreur ancestrale et leur aversion phobique envers Marx et les révolutionnaires et en continuant à les recouvrir de boue et des pires calomnies. Ils remettent au goût du jour le plus grand mensonge de l'histoire propagé tout au long du xxe siècle : l'identification de Marx, du marxisme, du communisme et de la classe ouvrière, à une des pires formes de la contre-révolution, la terreur stalinienne. Tels des serpents à sonnette, ils continuent à agiter frénétiquement leurs appendices idéologiques et s'émeuvent du "retour dangereux de l'idéologie totalitaire", corollaire, selon eux, des "excès du libéralisme" et de l'accroissement manifeste des inégalités sociales. Et c'est au fond la même peur de la révolution prolétarienne qui anime aujourd'hui tous ceux qui se mettent à encenser Marx pour l'exorciser en tentant de le récupérer. Ainsi, on voit de plus en plus de journalistes ou d'universitaires qui n'hésitent pas à l'encenser pour en faire l'ancêtre et le père prophétique tutélaire des "altermondialistes", ou encore le précurseur de l'écologie. Ceux-là viennent illustrer une fois de plus la mise en garde que Lénine énonçait avec lucidité :
"Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de "consoler" les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l'avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire" (L'État et la révolution, chap. 1).
Cette citation quasi-prophétique s'est révélée avec toute sa pertinence dans le mensonge permanent que tous les régimes staliniens de la planète qui ont sévi pendant cinquante ans ont utilisé pour justifier l'exploitation féroce des prolétaires en tressant des louanges aux grands révolutionnaires. En se servant de Marx et d'Engels, en les momifiant comme Staline le fit de Lénine, en leur édifiant des statues, ils s'attachèrent systématiquement à émousser, à vider ou à déformer le contenu révolutionnaire de leurs idées et de leurs actions, avec l'aide active des bourgeoisies "démocratiques" venant en renfort pour faire une publicité ouverte et maximum de l'absolutisme et de la répression "marxistes" des pays stalinisés.
Et si la bourgeoisie cherche encore aujourd'hui à faire de Marx une "icône inoffensive", c'est parce que celui-ci était bien un authentique révolutionnaire qui a livré tout au long de sa vie le combat le plus acharné contre le capitalisme au point que son œuvre, et sa méthode, s'avèrent d'une telle puissance révolutionnaire qu'elles s'affirment encore aujourd'hui comme l'arme la plus essentielle pour le combat des prolétaires en vue du renversement du capitalisme. Pour toute la bourgeoisie, plus que jamais, comme le proclamait déjà la première phrase du Manifeste, "Un spectre hante l'Europe (et aujourd'hui le monde entier) : c'est le spectre du communisme."
W (20 septembre)
1) Voir RI n° 366, mars 2006 : "A propos du livre d'Attali : Karl Marx était-il un démocrate ou un révolutionnaire ? [19]".
Nous publions ci-dessous le courrier d'une lectrice qui, en tant qu'institutrice, témoigne des attaques qui ont frappé les professeurs du primaire lors de cette nouvelle rentrée scolaire. Comme pour tous les ouvriers, l'exploitation s'intensifie, les charges de travail augmentent. En décrivant tout simplement ce qu'elle a vu, la camarade dénonce aussi le travail de sape des syndicats : assemblées générales (AG) bidon, culpabilisation des enseignants pour leur prétendu "manque de combativité" et donc démoralisation et fatalisme, propositions d'actions stériles..., toute la panoplie syndicale est passée en revue à travers ces quelques lignes.
Le gouvernement a pris une série de mesures visant à réorganiser l'école. Ainsi, nous sommes désormais tenus de faire 24 heures par semaine d'enseignement contre 26 heures les années passées. Les deux heures d'enseignement hebdomadaires en moins (soit 60 heures annuelles) sont destinées aux élèves en difficulté à qui l'on doit deux heures de soutien par semaine sur 25 semaines (soit 50 heures). Les 10 heures restantes sont destinées à la préparation de ce soutien. Mais en plus, nous sommes tenus de faire chaque année : 24 heures de concertations plus 18 heures "d'animation pédagogique" plus 6 heures de conseil d'école. Nous accomplissions déjà une partie de ces tâches évidemment, mais aujourd'hui elles nous sont imposées dans un cadre horaire strict et surveillé. Surtout, elles sont concentrées non-plus sur 6 mais 5 jours, ce qui signifie un rythme de travail beaucoup plus intense et usant. Tout comme nos élèves, nous faisons des journées beaucoup plus longues. Concrètement, nous allons travailler le midi (probablement... ce qui signifie une journée non-stop de travail !), une dizaine de samedis (quand même) et souvent les mercredis et les soirs (pour les conseils et les réunions) ! De plus, certains enseignants (de plus en plus nombreux) doivent faire des heures supplémentaires. Eux travailleront tous les midis et tous les soirs ! Bref, nous allons "travailler plus" 1.
Le plus cynique dans l'histoire c'est que c'est à nous, en plus, de tout ré-organiser en fonction de ces directives ministérielles ! Je tiens par exemple à préciser que pour organiser tout cela, nous avons eu six réunions en deux semaines en plus de nos préparations, des rencontres avec les parents, etc. En fait, l'État nous oblige ni plus ni moins à organiser et gérer nos propres conditions d'exploitation et la dégradation de nos conditions de travail !
Face à cette augmentation de la charge de travail, quelle a été la réaction syndicale ?
Lors d'une AG organisée par une intersyndicale (SNUIPP, FO et SUD) le 15 septembre, le discours des syndicats s'est résumé :
- à dénoncer... les écoles qui ont déjà rendu tous les documents nécessaires pour la mise en place du soutien alors qu'il fallait d'après eux boycotter cette tache ;
- critiquer... les enseignants pour leur manque de combativité ;
- et affirmer haut et fort que les moyens d'action et de riposte étaient... limités !
Au final, leur seule proposition fut d'appeler à une réunion publique pour informer les parents. Je suis alors intervenue en disant (en gros) : "Nous sommes bien contents de savoir que nous pouvons boycotter le remplissage des formulaires, mais nous n'avons toujours pas parlé de ce que nous pouvons faire pour faire reculer le gouvernement sur ces mesures qui sont des véritables attaques contre nos conditions de travail, et qui vont à l'encontre du bien-être des enfants. Je pense donc qu'il faut discuter sur ce qu'on peut faire pour que le gouvernement retire ces mesures."
Certains de mes collègues ont alors scandé "révolution", ce qui n'est absolument pas habituel chez eux. Les délégués ont alors acquiescé d'un "on est d'accord", sans manquer d'ajouter aussitôt "mais là il faudrait un gros réveil des consciences". Alors qu'on a passé une heure et demie sur les histoires de statuts et de législation administrative pour savoir ce que l'on risquait si on ne remplissait pas les formulaires, ils ont évincé très vite la réponse à ma question. Finalement, mes collègues sont revenus sur le sujet en exprimant le fait que, eux, ils sentaient un fort mécontentement chez les enseignants et qu'en face les syndicats étaient peu réactifs, notamment concernant la manifestation prévue le 19 octobre qu'ils jugent trop tardive. Le présidium a alors déclaré : "On sait bien mais si les syndicats majoritaires ne veulent rien lancer, nous on ne peut rien faire."
Et quand nous nous sommes prononcés contre la date de la réunion publique prévue le 18 octobre car nous la jugions, elle-aussi, trop tardive, ils ont tout simplement fait mine de ne pas entendre ! A la sortie, les collègues qui assistaient pour la première fois à une AG syndicale, trouvaient cela trop "plan-plan", jugeant même les militants syndicaux "anéantis". L'une d'elles m'a d'ailleurs dit : "Il ne faut plus rien attendre des syndicats. S'ils ne veulent pas appeler à la grève, il faut trouver un autre moyen de se battre : il faut les dépasser !" Évidemment, ces propos ne concernent que ma localité, mais je tenais à vous informer de ce qu'il en était.
N (22 septembre)
1) Ndlr : la camarade fait ici allusion au "travailler plus pour gagner plus" du candidat Sarkozy. Il a tenu, en tant que président, la première moitié de sa promesse !
Sous les coups de boutoirs de la crise économique, les conditions de vie de la classe ouvrière sont en train de se dégrader à toute vitesse. Nous sommes tous touchés de plein fouet, travailleurs du privé et du public, chômeurs et RMIstes, retraités et futurs travailleurs. Pour faire face à ces attaques de plus en plus violentes, il n'y a qu'une seule solution : lutter en développant notre unité et notre solidarité. Cela apparaît aujourd'hui comme une évidence. Si nous nous battons chacun dans notre coin, inévitablement, nous perdrons tous, les uns après les autres.
Légalement, c'est aux syndicats qu'incombe la tâche officielle d'organiser ces luttes et la riposte à toutes ces attaques. Ils devraient donc être actuellement à pied d'œuvre pour tisser des liens dans les rangs ouvriers. Or, que font-ils depuis des mois ? Tout le contraire ! Ces "spécialistes de la lutte" n'ont de cesse d'organiser... la dispersion et la division ! Une journée de grève pour telle usine par-ci, une journée d'action pour tel secteur du public par-là... La riposte orchestrée par les syndicats n'est pas simplement "molle", elle est surtout morcelée, saucissonnée, imprégnée du poison corporatiste. Il n'y a pas meilleur moyen pour emmener la classe ouvrière à la défaite.
Alors, pourquoi cette politique syndicale ? S'agit-il simplement d'une erreur de tactique de leur part ou, au contraire, les syndicats poignardent-ils volontairement la classe ouvrière dans le dos ? Dans quel camp les syndicats sont-ils vraiment ?
Pour comprendre ce qu'est devenu le syndicalisme aujourd'hui, il nous faut inévitablement nous pencher sur son passé. Le syndicalisme s'est en effet développé dans une situation historique particulière, à l'époque la plus dynamique et florissante du capitalisme : le xixe siècle. Ce système est alors en pleine expansion. Les marchandises anglaises, allemandes, françaises envahissent irrésistiblement tous les continents. Compte-tenu de cette très bonne santé économique, le capitalisme est en mesure d'apporter d'importantes améliorations aux conditions de vie de nombreuses catégories de la classe ouvrière. Ainsi, quand il lutte, le prolétariat parvient à arracher des réformes réelles et durables à la bourgeoisie. En 1848, par exemple, la classe ouvrière obtient en Angleterre une réduction du temps de travail de douze à dix heures par jour 1. C'est pour mener à bien ces luttes que les ouvriers s'organisent en syndicats.
Au xixe siècle, chaque patron affronte directement et isolément les ouvriers qu'il exploite. Il n'y a pas d'unité patronale organisée (ce n'est que dans le troisième tiers du siècle que se développent des syndicats patronaux). Mieux encore, dans ces conflits, il n'est pas rare de voir des capitalistes profiter des difficultés d'une usine concurrente en grève pour s'approprier sa clientèle. Quant à l'État, en général, il se tient en dehors de ces conflits, n'intervenant en dernier ressort que lorsque cela risque de troubler "l'ordre public". La forme de la lutte ouvrière correspond évidemment à ces caractéristiques du capital. Les grèves sont en général de longue durée. C'est là une des conditions de leur efficacité pour faire plier, par la pression économique, le patron menacé de banqueroute. Ces luttes mettant les ouvriers à l'épreuve de la famine, il est nécessaire de préparer à l'avance des fonds de soutien (des "caisses de résistance") et d'avoir recours à la solidarité financière des autres ouvriers, d'une corporation à l'autre et même d'un pays à l'autre.
La forme que prend le syndicalisme est évidemment adaptée à ces types de luttes. Les syndicats sont des organisations unitaires (capables de regrouper l'ensemble des travailleurs, généralement d'une même corporation) et permanentes (existant aussi en-dehors des périodes de grève afin de les préparer). Autrement dit, la lutte systématique pour des réformes est une tâche permanente qui unit les ouvriers. Concrètement, les ouvriers vivent au sein du syndicat. Jour après jour, ils s'y regroupent, y discutent, s'y organisent et y préparent les luttes futures. Les syndicats sont alors de véritables foyers de vie de la classe ; ils constituent des écoles de la solidarité où les ouvriers comprennent leur appartenance à une même classe.
Marx et Engels soulignent ainsi ce rôle inestimable des syndicats : "Les syndicats et les grèves qu'ils entreprennent ont une importance fondamentale parce qu'ils sont la première tentative faite par leurs ouvriers pour supprimer la concurrence. Ils impliquent en effet la conscience que la domination de la bourgeoisie repose nécessairement sur la concurrence des ouvriers entre eux, c'est-à-dire sur la division du prolétariat et sur l'opposition entre groupes individualisés d'ouvriers" (Recueil de textes sur "Le syndicalisme" aux Editions Maspéro) ou encore : "La grande industrie agglomère dans un endroit une foule de gens inconnus les uns aux autres. La concurrence les divise d'intérêts. Mais le maintien du salaire, cet intérêt commun qu'ils ont contre leur maître, les réunit dans une même pensée de résistance coalition. Ainsi la coalition a toujours un double but, celui de faire cesser entre eux la concurrence pour pouvoir faire une concurrence générale au capitaliste. Si le premier but de la résistance n'a été que le maintien des salaires, à mesure que les capitalistes à leur tour se réunissent dans une pensée de répression, les coalitions, d'abord isolées, se forment en groupes, et en face du capital toujours réuni, le maintien de l'association devient plus important pour eux que celui du salaire. Cela est tellement vrai, que les économistes anglais sont tout étonnés de voir les ouvriers sacrifier une bonne partie de leur salaire en faveur des associations qui, aux yeux de ces économistes, ne sont établies qu'en faveur du salaire" (Marx, Misère de la Philosophie).
Au début du xxe siècle, les conditions qui avaient permis l'extraordinaire épanouissement du capitalisme commencent à disparaître. La constitution du marché mondial s'achève et, avec elle, s'exacerbent les antagonismes entre puissances capitalistes pour la domination des marchés. Le déchaînement de la première boucherie mondiale en 1914 signe l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence 2. La vie économique et sociale de chaque nation, mais surtout la vie et la lutte du prolétariat, s'en trouvent profondément bouleversées. Le système capitaliste a cessé d'être progressiste. Dès lors, la guerre économique impitoyable à laquelle se livrent toutes les nations pour le repartage des marchés se traduit par une lutte acharnée de chaque capital national contre toute amélioration durable des conditions d'existence de "sa" classe ouvrière. Aucun capital national ne peut plus accorder de concessions à "son" prolétariat sans prendre le risque de reculer sur l'arène internationale vis-à-vis de ses rivaux. C'est pourquoi les bases de l'activité prolétarienne autour de la conquête de réformes deviennent caduques. Dorénavant, face à la classe ouvrière, il existe une unité et une solidarité bien plus grandes entre les capitalistes d'une même nation. Ceux-ci créent des organisations spécifiques afin de ne plus affronter individuellement la classe ouvrière. Et surtout, l'État, qui exerce un contrôle de plus en plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale, intervient lui-même directement dans les conflits sociaux en se dressant tout entier, en tant que représentant des intérêts de la bourgeoisie dans son ensemble, contre le prolétariat. Par conséquent, la grève longue dans une seule usine n'est plus une arme efficace. Au contraire, ce sont les ouvriers qui finissent par s'épuiser et reprendre le travail, démoralisés. Le succès des grèves ne dépend plus des fonds financiers recueillis par les ouvriers mais bien fondamentalement de leur capacité à entraîner une partie croissante de leurs frères de classe face à l'ensemble du capital national dont l'État est l'incarnation. Autrement dit, la solidarité à l'égard des travailleurs en lutte ne réside plus dans le seul soutien financier mais dans l'action de se joindre à la lutte. Une telle dynamique d'extension de la lutte, propre à la période de décadence, ne peut se planifier d'avance. Au contraire, les grèves explosent spontanément. Le syndicat, cet organe spécialiste au xixe siècle de la planification et du financement des luttes par corporation, de ces bras de fer entre un patron et "ses" ouvriers, devient de ce fait non seulement inadapté mais un frein au développement de la lutte. Aussi, si les syndicats ouvriers pouvaient être au xixe siècle des organisations permanentes et unitaires de la classe ouvrière car la lutte systématique pour des réformes pouvait se traduire par des réformes durables et des résultats concrets, avec l'entrée en décadence du capitalisme, il ne peut plus y avoir de regroupement général et permanent du prolétariat. Celui-ci ne peut pas s'organiser longtemps et massivement autour d'une activité sans avoir une efficacité immédiate. L'expérience des luttes ouvrières depuis le début du xxe siècle a largement prouvé qu'il n'est pas possible de maintenir un rapport de forces contre la bourgeoisie et son État en-dehors des phases de luttes ouvertes. Car en particulier, immédiatement après la lutte, l'État fait à nouveau peser de tout son poids les nécessités du capitalisme en crise sur la classe ouvrière et redouble d'ardeur pour imposer de nouvelles attaques. Sous la plume de Rosa Luxemburg, quelques lignes suffisent à faire vivre tout ce profond bouleversement pour la lutte du prolétariat. En décrivant la grande grève qui anima les ouvriers en Belgique en 1912, une grève qui avait "le caractère méthodique, strictement limité, d'une grève syndicale ordinaire" 3, Rosa Luxemburg démontre magistralement que les méthodes syndicales sont devenues obsolètes et nocives, et affirme avec force l'importance accrue de la spontanéité et de la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes : "Spontanément, comme un ouragan, le prolétariat belge se dressa à nouveau après les élections de juin 1912, [...]. Comme il était impossible de dompter autrement la volonté populaire impétueuse, on proposa aux ouvriers de désarmer la grève de masse déjà commencée et de préparer de façon tout à fait systématique une grève de masse. [...] La préparation de longue main de la grève de masse apparaissait cette fois comme un moyen de calmer les masses ouvrières, d'éteindre leur enthousiasme combatif et de leur faire abandonner provisoirement l'arène. [...] C'est ainsi que se réalisa finalement la grève d'avril, après neuf mois de préparation et des tentatives répétées pour l'empêcher et l'ajourner. Du point de vue matériel, elle fut certes préparée comme ne l'avait encore jamais été aucune grève de masse au monde. Si des caisses de secours bien garnies et la répartition bien organisée des vivres décidaient de l'issue d'un mouvement de masses, la grève générale belge d'avril aurait dû faire des miracles. Mais le mouvement révolutionnaire de masse n'est malheureusement pas un simple calcul que l'on peut résoudre avec les livres de caisse ou les dépôts de vivres des coopératives. Le facteur décisif dans tout mouvement de masse, c'est l'énergie révolutionnaire des masses, l'esprit de résolution des chefs et leur vue nette du but à atteindre. Ces deux facteurs réunis peuvent, le cas échéant, rendre la classe ouvrière insensible aux privations matérielles les plus dures et lui faire accomplir, en dépit de ces privations, les plus grands exploits. Ils ne sauraient par contre être remplacés par des caisses de secours bien garnies" 4. Déjà, Rosa Luxemburg percevait le rôle grandissant de l'État contre la classe ouvrière et ses répercussions sur la lutte : "Il est clair, en tout cas - et c'est ce que confirme l'histoire des grèves de masses dans les différents pays - que plus tôt une grève politique tombe rapidement et inopinément sur la tête des classes dirigeantes, plus l'effet en est grand et les chances de victoire considérables. Lorsque le Parti ouvrier annonce, trois trimestres à l'avance, son intention de déclencher une grève politique, ce n'est pas seulement lui, mais aussi la bourgeoisie et l'État qui gagnent tout le temps nécessaire pour se préparer matériellement et psychologiquement à cet événement" 5.
Si les syndicats sont le produit de la possibilité de la lutte pour des réformes dans le capitalisme ascendant du xixe siècle, cela signifie aussi qu'ils sont marqués du sceau de cette période historique particulière. L'arme syndicale fut forgée et aiguisée par le prolétariat pour mener à bien les batailles pour les réformes, pas pour détruire le capitalisme et le salariat. Ainsi, quand le capitalisme cessa d'être progressiste, qu'il devint un système décadent et que "l'ère des réformes" laissa sa place à "l'ère des guerres et des révolutions", les syndicats ont cessé d'être un instrument de la classe ouvrière pour devenir au contraire le bras armé de la bourgeoisie contre les intérêts de la classe ouvrière. Au cours de la Première Guerre mondiale, on put ainsi voir les syndicats s'intégrer définitivement à l'État totalitaire et participer activement à la mobilisation des ouvriers dans la boucherie impérialiste, aux côtés des partis sociaux-démocrates. Dans la vague révolutionnaire internationale qui suivit, ils feront tout pour entraver les élans du prolétariat. Depuis lors, les syndicats appartiennent à la bourgeoisie et ont intégré définitivement l'État. Ils se dressent à ses côtés face à la classe ouvrière. D'ailleurs, même financièrement, les syndicats sont maintenus en vie, non par les ouvriers, mais bel et bien par l'État 6. Ils constituent un des rouages essentiels de l'appareil d'État. Toute leur activité est tournée vers le soutien de la bourgeoisie et le sabotage de "l'intérieur" des luttes ouvrières. Ils participent activement à la réglementation du travail permettant l'intensification de l'exploitation. Ils déploient un grand zèle à faire respecter "le droit du travail", c'est-à-dire le droit bourgeois qui codifie l'exploitation. Ils font de la négociation un but en soi, dans le secret des bureaux patronaux ou ministériels, en demandant aux ouvriers de s'en remettre à eux, de leur déléguer le pouvoir, afin de mieux contrôler leurs luttes. Leur fonction est non seulement d'encadrer la classe ouvrière et ses luttes, mais d'assurer en permanence la police dans les usines, les bureaux, les entreprises. Ils divisent et isolent les ouvriers en se servant du corporatisme dans le but d'empêcher l'unification des luttes et leur nécessaire généralisation. Bref, depuis plus d'un siècle maintenant, les syndicats sont les chiens de garde du capital !
Comment se battre sans les syndicats ? 7 Comment se passer de ces "spécialistes officiels de la lutte" ? La principale faiblesse de toute classe exploitée est le manque de confiance en elle-même. Tout est bâti dans les sociétés de classe pour inculquer dans l'esprit des exploités l'idée du caractère inévitable de leur situation et de leur impuissance à bouleverser l'ordre des choses, sentiment que "les professionnels de la grève", ces permanents syndicaux payés par l'État, entretiennent allègrement. Or, la classe ouvrière est capable de se battre massivement et de prendre entre ses propres mains, directement, l'organisation de la lutte.
Depuis plus de 100 ans, les seules grandes luttes ont été des grèves sauvages, spontanées et de masse. Et toutes ces luttes se sont données comme base d'organisation, non pas la forme syndicale, mais celle des assemblées générales, où tous les ouvriers débattent de leur propre lutte et des problèmes à résoudre, avec des comités élus et révocables pour centraliser la lutte. La grande grève de Mai 1968 en France est déclenchée malgré les syndicats. En Italie, au cours des grèves de l'Automne chaud de 1969, les travailleurs chassent les représentants syndicaux des assemblées de grévistes. En 1973, les dockers d'Anvers en grève s'attaquent au local des syndicats. Dans les années 1970, en Angleterre, les ouvriers malmènent souvent les syndicats tout comme ceux de Longwy, Denain, Dunkerque en France, lors de la grève de 1979. En août 1980, en Pologne, les ouvriers rejettent les syndicats qui sont ouvertement des rouages de l'État et organisent la grève de masse sur la base des assemblées générales et des comités élus et révocables (les MKS). Les micros sont utilisés pendant les négociations, pour que tous les ouvriers puissent suivre, intervenir et contrôler les délégués. Et il faut se souvenir en particulier de comment cette lutte s'est terminée : par l'illusion d'un nouveau syndicat, libre, autonome et combatif, à qui la classe ouvrière pouvait confier les rênes de la lutte. Le résultat fut immédiat. Ce nouveau syndicat, "tout beau, tout neuf", nommé Solidarnosc, coupa les micros pour tracter en secret et orchestra, de concert avec l'État polonais, la dispersion, la division et, finalement, la défaite violente de la classe ouvrière ! 8 Les exemples sont légion de ces manœuvres de sabotage permanent des luttes ouvrières et de cette nécessité de ne compter que sur nous-mêmes. Plus récemment, en 2006, en France, lors de la lutte contre le CPE, des dizaines de milliers d'étudiants ont eux aussi montré la capacité de la classe ouvrière à prendre en main ses luttes, à s'organiser et à débattre collectivement au sein d'assemblées générales souveraines et ouvertes à tous les travailleurs, chômeurs et retraités.
De tous ces moments de lutte, deux leçons essentielles peuvent être tirées :
1) C'est aux assemblées générales de décider et d'organiser l'extension et la coordination de la lutte. Ce sont elles qui se déplacent, qui envoient des délégations massives ou des délégués, pour appeler à la grève dans les autres usines. Ce sont elles qui nomment et révoquent à tout moment, si besoin est, les délégués. Ces assemblées générales doivent être coordonnées entre elles par des comités constitués eux-aussi par des délégués élus, responsables en permanence devant elles et donc révocables. Telle est la première condition d'une réelle extension des luttes et d'un réel contrôle de celles-ci par les travailleurs et leurs assemblées.
2) Lorsque les travailleurs d'une usine partent en lutte, ils doivent rechercher la solidarité et l'extension du mouvement vers les centres ouvriers (usines, administrations, hôpitaux...) les plus proches géographiquement et les plus combatifs.
Voici, pour les prolétaires de tous les pays, la seule route à suivre pour endiguer le développement des attaques et de la misère. La perspective de la lutte ouvrière est d'assumer de plus en plus son véritable contenu anti-capitaliste, en affirmant son caractère de classe et donc son unité, en brisant toutes les barrières corporatistes, sectorielles, raciales, nationales... syndicales ! Comme l'affirmait Marx dans le Manifeste de 1848 : "De temps à autre, les travailleurs sont victorieux mais leur triomphe est éphémère. Le vrai résultat de leurs luttes, ce n'est pas le succès immédiat, mais l'union de plus en plus étendue des travailleurs."
Pawel (24 septembre)
1) Ces réformes étaient "réelles et durables" dans ce sens où elles n'étaient pas annulées dès le lendemain de leur promulgation par une obligation de faire des heures supplémentaires ou une augmentation immédiate des cadences contrairement, par exemple, à la loi socialiste sur les "35 heures" (par semaine) qui a permis d'imposer flexibilité, annualisation, augmentation des charges de travail et gel des salaires !
2) Lire "La décadence du capitalisme [22]".
3) Leipziger Volkszeitung (quotidien de la social-démocratie allemande de 1894 à 1933), 19 mai 1913.
4) Leipziger Volkszeitung, 16 mai 1913.
5) Leipziger Volkszeitung, 19 mai 1913.
6) L'affaire récente, en France, des financements occultes des syndicats par l'UIMM en est une énième preuve éclatante.
7) Un article récent consacré entièrement a cette question est disponible sur notre site Internet sous le titre "Comment peut-on lutter ? [23]".
8) Pour mieux connaître cet évènement, lire notre brochure Pologne 1980.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/content/crise-alimentaire-emeutes-faim-montrent-necessite-renverser-capitalisme
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[3] https://fr.internationalism.org/french/rint/108_edito.htm
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre
[6] https://fr.internationalism.org/rinte70/edito.htm
[7] https://fr.internationalism.org/rint124/edito_emeutes_banlieues.htm
[8] https://fr.internationalism.org/rint125/france-etudiants
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/banlieues
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[12] https://fr.internationalism.org/ri393/guerre_en_georgie_toutes_les_puissances_sont_des_fauteurs_de_guerre.html
[13] http://www.ilmanifesto.it/quotidian
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-georgie
[15] https://fr.internationalism.org/ri392/crise_ecologique_vraie_menace_ou_mythe.html
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/catastrophes
[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste
[18] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[19] https://fr.internationalism.org/ri366/attali.htm
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[22] https://fr.internationalism.org/brochures/decadence
[23] https://fr.internationalism.org/ri385/face_aux_attaques_du_capital_comment_peut_on_lutter.html
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale