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Internationalisme no.336

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Internationalisme no.336

Assassinat de Benazir Bhutto: Le Pakistan au coeur des rivalités impérialistes

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Le 27 décembre 2007, Benazir Bhutto était assassinée. Son retour de Dubaï en octobre dernier avait déjà été l'occasion d'un attentat qui la visait et avait fait 139 morts. Bien sûr, cette égérie défunte de la "démocratie" s'est vue offrir un panel circonstancié d'hommages venant de la presse bourgeoise internationale. Son "charisme" et son "courage extraordinaire", sa "résistance à l'hégémonie militaire" ont fleuri la une de la plupart des journaux occidentaux et des pays arabes modérés. Mais c'est aussi l'inquiétude qui a marqué les réactions tant des éditoriaux journalistiques que des hommes politiques : "ouverture vers l'abîme", "vers le chaos politique" et "l'implosion du Pakistan", etc. L'ONU s'est réunie en urgence, pour se replier dans l'impuissance tout aussi précipitamment. Et les Etats-Unis, par la voix du département d'Etat, condamnaient "des gens qui là-bas (...) essayent d'interrompre la construction d'une démocratie" et Bush exhortait " le Pakistan à honorer la mémoire de Benazir Bhutto en poursuivant le processus démocratique pour lequel elle a donné courageusement sa vie". Bref, selon la bourgeoisie, Benazir Bhutto incarnait à elle seule le salut d'un Pakistan qui fait face à une instabilité grandissante. Son retour avait soulevé toute une vague d'espérances sur la possibilité de mettre un frein à l'anarchie qui gangrène un État dont l'armée est de plus en plus infiltrée par les islamistes radicaux et qui est détenteur de l'arme nucléaire.

Ainsi, en 2007, on a dénombré 800 morts, principalement du fait d'attentats suicides. Les talibans font des percées régulières en territoire pakistanais, en particulier au nord-ouest où des soldats sont tués ou enlevés par centaines. Pas plus les 90 000 hommes de troupe massés à la frontière que les dix milliards de dollars alloués à l'Etat pakistanais n'ont permis un contrôle de la situation. Les conflits religieux entre Chiites et Sunnites, qui à eux seuls ont fait 4000 morts en 15 ans, sont une source chaque jour plus ouverte de violence, conflits auxquels les tensions toujours plus exacerbées entre ethnies viennent faire du Pakistan une nouvelle poudrière. L'assassinat de Benazir Bhutto est venu jeter une nouvelle dose de haine sur le feu des dissensions entre Sindis (ethnie de la famille Bhutto) et Pendjabis (dont le territoire a été le théâtre de l'attentat contre l'ex-premier ministre).

De plus, des millions d'Afghans se sont réfugiés au Pakistan, ce qui vient rajouter à l'instabilité du pays, et même si environ 2,3 millions d'entre eux ont été rapatriés en 2005, plus d'un million restent encore.

Le climat de suspicion et de guerre larvée est généralisé dans toute la classe politique, exprimant de façon aiguë les mœurs de gangsters de la bourgeoisie : par exemple, immédiatement après l'assassinat, c'est la main d'Al Qaïda qui était désignée mais, dans le même temps, les militaires proches du pouvoir étaient eux aussi considérés comme des organisateurs potentiels de l'attentat.

Un nouvel échec des Etats-Unis

En clair, le Pakistan est un pays à la limite d'une explosion politique, militaire et socio-ethnique. Le régime de Musharraf y a sa part de responsabilité : corruption généralisée, accoin-tances avec les talibans, double langage avec les Etats-Unis. Il ne plaît d'ailleurs à personne : de moins en moins aux islamistes depuis le massacre de la Mosquée rouge l'an dernier, comme à des secteurs de plus en plus larges d'une armée divisée entre les partisans islamistes et les clans anti-américains, aux occidentaux depuis la mise en place de l'état d'urgence à l'automne 2006, pour mieux préparer sa réélection à la présidence, jusqu'aux Etats-Unis eux-mêmes pour lesquels il manque totalement de fiabilité en tant "qu'allié". Et c'est pourtant à présent sur ce seul homme politique qu'ils vont être contraints de s'appuyer dans le conflit en Afghanistan.

Lorsque les Etats-Unis ont lancé leur invasion de l'Afghanistan en 2003, se servant de la destruction du World Trade Center et de la cause de la "guerre contre le terrorisme" comme prétexte, le soutien du Pakistan leur était nécessaire. L'Amérique lui avait promis qu'elle soutiendrait les tribus hostiles à l'Alliance du Nord, ennemie traditionnelle et barrière à l'influence pakistanaise en Afghanistan, mais cette promesse a fait long feu du fait de l'influence gagnée par l'Alliance du Nord dans la situation qui a prévalu après la défaite des talibans. Cependant, l'aide du Pakistan aux Etats-Unis n'avait été initialement obtenue que sous la menace de Bush de bombarder le pays à un tel point qu'il le renverrait "à l'âge de pierre" ! s'il ne lui donnait pas "volontairement" son soutien pour la guerre en Afghanistan. Cette menace a d'ailleurs été récemment plus ou moins rappelée par le démocrate Barack Obama dans la campagne présidentielle actuelle, sous-entendant que les Etats-Unis pouvaient toujours bombarder les bastions d'Al Qaïda au Pakistan sans permission ; ce à quoi le président Musharraf a répondu qu'il considérerait de telles attaques comme des attaques ennemies !

Aussi, c'était afin d'essayer de trouver un appui plus fiable au sein de l'Etat, tout en donnant un vernis plus "démocratique" à l'alliance avec le Pakistan, et pour tenter de ralentir les forces centrifuges qui font ravage, que l'Amérique avait fait appel à Benazir Bhutto. Issue d'une famille de politiciens pakistanais de longue date, vieille routarde de la politique puisque par deux fois premier ministre, bénéficiant d'une aura internationale de défenseur patenté de la "démocratie", la dirigeante du Parti du Peuple Pakistanais était de plus connue comme une "fidèle des Etats-Unis" 1 .

C'est donc en tant que telle que son retour au pays avait été organisé et arraché à Musharraf par l'Administration américaine dans l'objectif de constituer une coalition incluant des "modérés", mieux à même de soutenir la politique américaine en Afghanistan et au Pakistan.

Quels que soient les commanditaires de cet assassinat, la disparition de Benazir Bhutto est donc un échec cuisant pour la Maison Blanche dans sa croisade contre le terrorisme. Déjà englués dans le chaos irakien et loin de sortir du bourbier afghan, les Etats-Unis se trouvent une nouvelle fois devant une aggravation de leur affaiblissement sur la scène internationale.

Le Pakistan, pièce maîtresse de l'impérialisme américain

Que l'Amérique se trouve en butte à une difficulté supplémentaire par rapport au Pakistan ne signifie pas pour autant que ce dernier puisse profiter en quoi que ce soit d'une telle situation. Celle-ci ne peut que s'aggraver et s'accélérer. Le problème de fond n'est d'ailleurs pas en soi Musharraf. Il s'agit d'une question plus large qui touche aux origines mêmes de la fondation en 1947 de l'État pakistanais, tiraillé en tous sens, proie de multiples tensions guerrières ainsi que de nombreuses pressions internes et externes.

Le conflit congénital entre le Pakistan et l'Inde vient au premier plan. C'est ce conflit qui a poussé l'État pakistanais à se doter (sous l'impulsion de Bhutto père) de l'arme nucléaire. Rappelons que les dissensions indo-pakistanaises sur le Cachemire et la course aux armements nucléaires entre ces deux pays ont conduit à la menace de guerre en 2002, et le risque réel d'utilisation de l'arme atomique. Ce n'est que sous une puissante pression des Etats-Unis que le danger de guerre a été enrayé, ces derniers craignant que ce conflit ne vienne entraver leur propre perspective militaire. Mais aucun des problèmes entre Islamabad et New-Delhi n'a été résolu. La course aux armements entre les deux États a pris de telles proportions qu'ils sont devenus les deux principaux canaux de transfert d'armes vers le tiers-monde en 2006, tandis qu'ils alimentent chacun de leur côté attaques terroristes et attentats aveugles, excitant le nationalisme le plus répugnant, au plus grand mépris des populations qu'ils prétendent "libérer" du joug de l'adversaire.

Mais c'est aussi dans le cadre de l'affrontement entre les blocs de l'Est et de l'Ouest, aux temps de la Guerre froide, que le Pakistan a joué un rôle important dans la guerre impérialiste. Ainsi, durant les années 1980, le Pakistan était stratégiquement important pour l'aide accordée par le bloc de l'Ouest aux Moudjahidines, qui combattaient l'URSS en Afghanistan. A l'époque, ces islamistes n'avaient pas que Dieu mais aussi des missiles Stinger américains de la CIA de leur côté.

Globalement, la situation stratégique du Pakistan n'est pas à son avantage et rend ses positions très complexes. Ce pays détient en effet des frontières importantes avec l'Afghanistan, tout comme avec l'Iran, la Chine et l'Inde.

Contraint par la force de soutenir les Etats-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme", il ne peut en même temps rien gagner de cette loyauté, car il est pris dans une convergence d'intérêts entre l'Inde, son ennemie intime, et les Etats-Unis, le Big Boss qui lui impose son diktat. D'autre part, son autre "protecteur", la Chine, a de son côté des appétits impérialistes qui la poussent au conflit avec l'Inde mais aussi avec l'Amérique, ce qui le met donc en porte à faux vis-à-vis de Washington. Le tout sur fond d'une guerre avec l'Afghanistan qui ronge littéralement le pays par tous les bouts et d'une guerre larvée mais permanente avec l'Inde.

Quel que soit le résultat des élections de février, le Pakistan ne peut échapper à une instabilité et à un chaos croissants qui font planer une menace supplémentaire sur l'équilibre de toute cette région du monde.

Wilma / 21.01.2008

  1) Démise par deux fois de ses fonctions pour corruption, impliquée dans l'assassinat de son propre frère devenu en 1992 un rival potentiel, pour ne citer que ces deux exemples, il va sans dire que sa carrière politique a montré qu'elle n'avait rien à envier en matière de coups tordus à des Nawaz Sharif et Pervez Musharraf.

Géographique: 

  • Pakistan [1]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [2]

Discussion: entre le rêve et les faits, sur l'identité et l'Etat

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A l'échelle internationale, une nouvelle génération commence à mettre en œuvre une politique prolétarienne. D'abord et avant tout, c'est le débat qui est nécessaire pour clarifier les positions. C'est dans ce sens qu'il y a peu s'est formé un cercle de discussion à Anvers. A la Vrije Universiteit de Bruxelles aussi a maintenant surgi un groupe de discussion politique. Lié à aucune tendance politique, ses participants préparent eux-mêmes des introductions et apportent des thèmes. Ont notamment été traités Ecologie et capitalisme, la Révolution d'octobre en Russie en 1917, et les récentes manifestations étudiantes. Nous publions ci-dessous la majeure partie d'une de ces introductions, sur l'identité et l'Etat. Le résumé de la discussion sur les manifestations étudiantes se trouve sur notre site Web.

Entre le rêve et les faits - Sur l'identité et l'Etat

Les rêves humains n'ont aucune chance dans la société actuelle. Et il n'y a pas non plus de perspective très enthousiasmante pour nous, les jeunes : travailler de 9 à 17h jusqu'à ses soixante ans et espérer ne pas être licencié. De plus, la plupart des emplois n'ont que peu d'utilité sociale, comme par exemple le secteur bancaire ou l'administration. Et quand on trouve un bon job, c'est le train-train quotidien qui fait peur.

Avec la crise d'identité, la crise économique et sociale devient de plus en plus cuisante : les travailleurs doivent travailler toujours plus dur, alors que les revenus des chômeurs et retraités diminuent sans cesse. L'enseignement se dégrade, les parents ont de moins en moins de temps à consacrer à leurs enfants, et le stress est en augmentation. Les frictions entre voisins empirent : allochtones et autochtones, Flamands et Wallons, Européens et Américains, musulmans et chrétiens. Il y a des guerres partout dans le monde, et le saccage de la nature s'accélère.

Qui croit encore en ce système ? Peut-on s'épanouir dans le capitalisme ? Pourquoi le monde est-il divisé en nationalités et en Etats ? Les intérêts de l'humanité correspondent-ils à ceux du capitalisme ? Ne peut-on pas faire autrement, ne peut-on pas faire mieux ? Grâce au capitalisme, nous avons développé les forces productives à un point tel que toute la population mondiale devrait pouvoir satisfaire ses besoins vitaux. Malgré la possibilité technique, cela semble impossible dans la capitalisme : seule une petite partie de la population mondiale dispose de cette abondance, tandis que la majorité du monde -ravagée par des catastrophes naturelles- subit la famine et ne connaît ni logement ni enseignement.

Il s'agit d'un énorme gaspillage de matières et de vies humaines. Cette absurdité ne tient pas à la « nature humaine », mais au mode de production capitaliste : une maximalisation inhumaine du profit. Les forces productives et créatives de l'humanité ne sont utilisées que lorsque la société le permet. La bourgeoisie -la classe dominante dans le capitalisme- n'investit que dans des activités rentables. La bourgeoisie et la concurrence empêche l'humanité de mettre en œuvre une société pacifique et internationale, qui satisfasse les besoins de l'humanité.

Dans l'article précédent (Ecologie et capitalisme, 'de Moeial' octobre 2007) et durant la discussion du 17 octobre, il y a eu un débat sur la façon dont le capitalisme provoque les problèmes écologiques. Dans cet article, l'attention se porte plutôt sur l'influence qu'exerce le capitalisme sur la créativité et l'identité de l'humanité que sur la mauvaise utilisation des forces productives.

Pourtant, il y a un lien fondamental entre la satisfaction des besoins vitaux et l'identité et la créativité : sans cette satisfaction, l'humanité ne développe pas son identité ni sa créativité, ses pensées sont dominées par le besoin de nourriture, de logement, de sécurité. Aussi longtemps que dure la pénurie, les besoins vitaux empêchent le développement d'autres besoins. Ces autres besoins ne sont ni artificiels ni inventés, l'humanité est un être créatif et social qui a toujours besoin de se développer, d'interaction et de culture.

L'heure de la liberté a sonné. Le capitalisme dispose en suffisance d'ouvriers qualifiés, et il devra continuer à entretenir des ouvriers. La bourgeoisie n'a jamais concédé la moindre amélioration des conditions de vie par charité, mais seulement pour augmenter son profit ou maintenir son système en vie. C'est ainsi qu'elle a accordé l'enseignement et les soins de santé pour pouvoir disposer d'ouvriers plus intelligents et en meilleure santé. Elle a concédé aux ouvriers le droit de vote et la diminution du temps de travail pour entretenir l'illusion que le capitalisme peut encore apporter des améliorations. Nous sommes ces futurs ouvriers, et la bourgeoisie réduit de plus en plus ses concessions, parce que la crise économique et politique s'aggrave (la retraite commence de plus en plus tard, les ouvriers travaillent de plus en plus longtemps et la sécurité d'emploi est en chute libre). Nos loisirs également -le temps qui reste après le travail et toutesles autres tâches indispensables, comme faire les courses, cuisiner, se déplacer- sont sous pression.

L'augmentation de liberté de l'individu dans le capitalisme est apparue parce qu'une plus grande partie de la population ne devait plus travailler constamment pour la satisfaction de ses besoins vitaux, mais disposait de temps (libre) et de moyens pour satisfaire ces besoins supplémentaires. Cela n'était pas possible pour les paysans de la féodalité ou les esclaves qui les ont précédés. Le capitalisme a représenté un progrès, mais les circonstances ont changé, et actuellement, le capitalisme limite le temps libre et donc la liberté de l'individu. La liberté que nous connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire le temps et les moyens que la société met à la disposition de l'individu, est relativement réduite. Non seulement le capitalisme exige des ouvriers qu'ils travaillent beaucoup au nom du profit, mais il n'organise pas la société de sorte que chacun puisse jouir de l'abondance. Seuls ceux qui ont de l'argent, qui travaillent donc, ont accès à cette abondance. Le communisme propose un système où chacun travaille selon ses capacités, pour la satisfaction de chacun. Le communisme, ce n'est pas la maximalisation du profit, mais la satisfaction des besoins humains (et donc aussi de tous les besoins qui viennent après les besoins vitaux). Alors ont peut vraiment parler d'individualité. L'idée que le communisme imposerait à tous les humains une idéologie et les mêmes standards de vie (des bâtiments gris, la même alimentation et les mêmes vêtements pour tout le monde) est en opposition avec son objectif : une société qui s'organise dans le but d'épanouir le développement de l'individu. C'est pourquoi, il faut remplacer le capitalisme, car c'est le capitalisme qui peint l'humanité en gris, la précipite dans la guerre et saccage notre monde...

Intro cercle de discussion VUB

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Conscience de classe [3]

Groupe de discussion dans les Midlands en Grande-Bretagne: Un lieu de clarification de la conscience de classe

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Nous publions ci-dessous de larges extraits d'un article de World Revolution n°258 d'octobre 2002 (organe du CCI en Grande-Bretagne) traitant de la dynamique d'un groupe de discussion qui s'est constitué aux Midlands en 2000. Cet article rappelle la nécessité de ce type de formation pour la clarification de la conscience au sein de la classe ouvrière. Le Groupe de discussion des Midlands (GDM) implique depuis 8 ans des personnes de Leicester et Birmingham provenant de milieux politiques divers (de la Gauche communiste, du conseillisme, de l'anarchisme, du mouvement écologiste et du gauchisme). Le but de ce groupe était de discuter de l'alternative prolétarienne au capitalisme à l'instar d'autres groupes de discussion qui existent ou ont existé au Mexique, en Inde, en France, en Espagne, en Suisse et en Australie.

Les cercles de discussion ne peuvent s'appréhender que dans le contexte du développement historique de la conscience de classe. Ils sont partie prenante de l'effort du prolétariat pour développer sa conscience de classe en essayant de comprendre la signification et les implications des crises du capitalisme dans le cadre des positions politiques du prolétariat.

Dans le contexte historique actuel, c'est-à-dire celui d'un chaos impérialiste et économique grandissant, il est important de souligner que le processus de développement de la conscience de classe se révèle de plus en plus difficile, en particulier depuis l'effondrement du bloc de l'Est. Le travail des cercles de discussion est de ce fait d'une grande importance pour le développement futur de la compréhension par le prolétariat de son propre rôle historique.

Une tribune pour la discussion et la clarification

Le GDM est apparu au départ comme Groupe de Discussion de Leicester (GDL) avec des éléments qui avaient discuté dans la région tout en ayant un contact de longue date avec le Courant Communiste International. Ces discussions avaient été favorisées par des questionnements sur la guerre au Kosovo. Afin de donner à ces discussions une forme plus systématique et fructueuse, le CCI suggéra qu'il devienne un cercle de discussion. Les premières discussions du GDL portèrent sur un article du CCI qui tirait les leçons politiques d'un groupe de discussion qui avait existé à Zurich, en Suisse, dans les années 1990. Cet article mettait en avant qu'un cercle est un rassemblement ouvert mais non permanent d'ouvriers qui se rencontrent pour discuter et clarifier des questions politiques. Ces cercles sont des lieux que le prolétariat crée afin de pousser en avant sa conscience, surtout dans les moments où il n'existe aucun parti et aucun Conseil Ouvrier... Nous les considérons comme une expression concrète de la classe. Ils expriment la conscience de la classe, démontrant qu'ils ne sont pas prêts à subir la crise et la banqueroute du capitalisme sans faire preuve de résistance ; ils montrent la volonté de se défendre contre les attaques du système capitaliste. En même temps, ils sont l'expression d'une tentative de recherche de moyens de lutte et de développement d'une perspective révolutionnaire..." (World Revolution n° 207, "Les cercles de discussion dans la classe ouvrière : un phénomène mondial"). Puisqu'un cercle n'est pas une organisation se regroupant autour d'une plate-forme politique, il ne peut être une entité permanente ou stable. C'est un moment de clarification politique, permettant aux militants, à travers la participation à un processus de discussion collective, de rechercher où ils en sont politiquement en se situant du point de vue de la classe exploitée et par rapport aux courants historiques existant déjà au sein du milieu prolétarien marxiste internationaliste.

Un processus positifde clarification et d'ouverture

Un élément central des discussions du GDM fut la détermination à mieux comprendre les principales questions théoriques et historiques du mouvement ouvrier et de combiner cet aspect avec le souci de se référer et de discuter des événements nationaux et internationaux au fur et à mesure qu'ils se déroulaient. C'est ainsi qu'après le 11 septembre 2001, le cercle a également discuté les tracts et communiqués publiés par le CCI et d'autres groupes de la Gauche communiste. Lors d'une réunion particulière, le groupe a considéré ces attaques comme une expression de l'aggravation des tensions impérialistes. Cette préoccupation de dénoncer la guerre impérialiste d'un point de vue prolétarien a été une grande force du groupe. Tous les participants ont clairement manifesté leur opposition à la guerre au Kosovo et en Afghanistan ainsi qu'à toutes les guerres impérialistes.

La publication dans le journal World Revolution (WR) n° 257 de la présentation d'une discussion sur la Commune de Paris, montre la profondeur et la qualité de ces discussions. Entre autres choses, le GDM a discuté du mouvement anti-capitaliste, de la Révolution russe (que le groupe considère comme prolétarienne, bien qu'il y ait des désaccords sur le rôle des bolcheviks et sur les raisons de sa dégénérescence), de la conscience de la bourgeoisie en se centrant sur le rôle des partis de gauche contre la classe ouvrière.

Dès le début, le GDM a fait de la Gauche communiste un point de référence. Il a invité les groupes de la Gauche communiste à participer à ses réunions. Cela a permis aux participants de profiter non seulement d'une meilleure compréhension des positions des différents groupes mais aussi de gagner en expérience dans la discussion avec des organisations politiques du prolétariat. Le CCI est intervenu dans les réunions du groupe depuis sa fondation et la Communist Workers Organisation (CWO) est aussi intervenue plus récemment.

Les progrès réalisés à travers une lutte politique déterminée

Le GDM a pleinement rempli son rôle central, celui de la clarification. Mais il a dû mener un grand débat politique pour y arriver. En particulier il a dû se confronter à des confusions sur sa propre nature et sur le rôle qu'il devait jouer.

Le GDM a basé initialement son travail sur les leçons de l'expérience plus large de la classe ouvrière, notamment celle du cercle de discussion de Zurich. Cependant, la pleine assimilation de ces leçons a été entravée par des confusions au sein du groupe sur ses relations avec le CCI. Certains éléments, alors qu'ils voyaient, au début, la nécessité d'un débat ouvert, ont commencé à voir la fonction du GDM comme étant un lieu pour la discussion des positions du CCI. Cette vision tendait à considérer le groupe comme une sorte d'antichambre du CCI. Le CCI a fermement rejeté cette vision et a souvent insisté sur la nécessité pour le groupe de discuter l'histoire plus globale du mouvement ouvrier et des positions des autres organisations communistes.

Le CCI a toujours défendu la vision suivant laquelle les cercles de discussion sont des lieux de clarification et non des appendices, la "propriété privée" ou la "chasse gardée" des organisations politiques prolétariennes. Ces cercles de discussion doivent agréger quiconque recherche la clarification. Les seules raisons justifiant l'exclusion du débat de tel ou tel individu (ou groupuscule d'individus) doivent être basée sur certains principes élémentaires de comportement prolétarien : les manœuvres de sabotage ou les tentatives de prise de contrôle de ces cercles de discussion (de même que le mouchardage)..

Des éléments issus du milieu gauchiste ont participé aux réunions du GDM, ce qui a permis une confrontation politique avec les positions de l'idéologie bourgeoise. Loin d'être une diversion, de telles discussions ont amené à une clarification sur la nature et le rôle du gauchisme.

Ainsi, comme ce fut le cas avec le GDM, les cercles de discussion peuvent être très hétérogènes. Mais il n'y a rien de dommageable à cela. Chercher à imposer des critères (autres que ceux du comportement politique cités ci-dessus) pour la participation aux cercles de discussion signifierait affaiblir leur force fondamentale : leur nature ouverte permettant un débat contradictoire. De tels critères impliqueraient, en effet, un accord préalable sur des positions politiques - (c'est-à-dire un certain niveau de clarification), ce qui reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs. Toute tentative d'imposer de tels critères amènerait à geler le processus de clarification. L'évolution politique de ceux qui participent à la discussion ne peut être que le résultat de la confrontation entre différentes positions. Le CCI, pour sa part a toujours fait confiance à la capacité de jugement et au "bon sens" de tous ceux qui ont accepté de discuter loyalement avec lui, sans ostracisme et sans préjugés (y compris ceux qui ont milité dans des partis bourgeois).

Cependant, si un cercle de discussion ne peut être la "propriété" d'une organisation, il n'est pas non plus un groupe politique ou une organisation en tant que telle1 .

Cela ne veut pas dire que les organisations politiques prolétariennes ne doivent pas stimuler l'émergence de tels groupes et intervenir en leur sein afin de contribuer à la clarification la plus efficace. Les principes animant l'intervention du CCI sont "l'intervention organisée, unie et centralisée au niveau international, pour contribuer au processus qui mène à l'action révolutionnaire de la classe ouvrière". (Positions de base du CCI). Il est du devoir du CCI et des autres organisations politiques prolétariennes de prendre la parole au sein des cercles de discussion afin de permettre aux participants de mieux connaître les groupes historiques de la Gauche communiste et de prendre position, en développant la culture du débat.

Le GDM a dû aussi faire face à un certain nombre de tensions personnelles dans ses rangs. Cependant, suite à une discussion franche, tous les participants sont tombés d'accord sur le fait que les intérêts du groupe étaient prioritaires et que la personnalisation de la discussion était à rejeter.

Une fois ces difficultés résorbées, le groupe a pu s'épanouir et les débats s'enrichir. Au début de 2002, le GDM a tenu une réunion sur l'opposition prolétarienne à la guerre impérialiste. Cette réunion a attiré des individus qui n'étaient jamais venus auparavant, accompagnés de la CWO et du Socialist Party of Great Britain (SPGB) (voir WR n° 252). La plupart de ces éléments ont par la suite participé aux discussions du GDM.

Le Groupe de discussion des Midlands a exprimé, en Grande-Bretagne, l'effort le plus large possible du prolétariat pour développer sa conscience. La dynamique que les participants ont été capables de maintenir a révélé toute la vitalité politique de ce groupe. Tous les éléments qui l'ont animé ont entrepris un réel processus de clarification politique. Cela ne veut pas dire que chacun a déjà une conscience parfaitement claire des enjeux de la situation historique. Mais cela veut dire que les participants sont plus clairs sur ce qu'ils défendent, sur la façon dont ils envisagent leur avenir politique.

Certains éléments du GDM (une toute petite minorité) ont fini par demander leur adhésion au CCI, tandis que le groupe de discussion continue à se rencontrer régulièrement en menant une politique d'ouverture vers d'autres éléments à travers des informations sur le site libcom.org et la participation à des réunions de groupes anarchistes. Les éléments du groupe viennent également régulièrement à nos réunions de Birmimgham. Pour notre part, nous continuons de participer aux réunions du groupe de discussion.

D'après World Révolution n° 258 (octobre 2002),

1) Voir l'article sur notre site Internet "L'organisation du prolétariat en dehors des périodes de lutte ouverte"

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Conscience de classe [3]

Perte de pouvoir d'achat, précarité: Seules la solidarité et l'unification de la lutte peuvent y faire face

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Les prix s'envolent! Au 1er mars, l'inflation atteignait 3,64 %, le niveau le plus élevé depuis seize ans. Pendant trois mois d'affilée, la consommation privée par les ventes au détail chute plus que n'importe où en Europe. Cette perte de pouvoir d'achat touche toute la classe ouvrière. Les salaires, les allocations et les retraites diminuent. La conséquence la plus importante en est que des couches toujours plus larges de la population sombrent dans la pauvreté (1). Seule la lutte en tant que classe peut y faire barrage. "Une large mobilisation des travailleurs et un développement de la solidarité s'imposent", écrivions-nous à la veille de la manifestation nationale du 15 décembre appelée par les syndicats, en défense du pouvoir d'achat. " Ils s'imposent d'autant plus que les infos sur la hausse du coût de la vie et sur la baisse du niveau de vie, combinées avec une impression croissante de chaos et d'irresponsabilité de la classe politique, ont alimenté ces dernières semaines un sentiment grandissant de ras-le-bol parmi les travailleurs. En même temps, des grèves isolées contre les rationalisations, les licenciements, les réductions de salaires se multiplient [...]Cette tendance vers une montée de la colère et de la combativité était nettement perceptible lors de la manif du 15 décembre"(2). Pour endormir ce mécontentement naissant, les syndicats ont sauté dans la brèche et organisé cette manifestation derrière le mot d'ordre: "Sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité", juste avant le congé de Noël. Une édition unique et sans suite où les ouvriers ont été appelés à défendre une fausse solidarité nationale " pour une sécurité sociale forte et fédérale" et à soutenir l'Etat national, celui-là même qui est à la base des vagues d'austérité. "Derrière les grands discours sur la nécessité de faire barrage au recul du pouvoir d'achat, l'objectif des syndicats n'était pas clairement de stimuler la lutte mais, au contraire, d'en prendre les devants, d'en occuper le terrain social afin de l'encadrer et de décourager toute velléité de développement ou d'extension"(2).

Cela n'a pas duré longtemps avant que la classe ouvrière montre qu'elle n'avait pas enterré sa combativité comme les syndicats et l'ensemble de la bourgeoisie l'avaient espéré.

La pression est trop forte

Ce qui avait commencé à la mi-janvier spontanément comme un conflit social local chez un fournisseur de Ford Genk pour "1 euro de plus" a très vite tourné en une réelle vague de grèves pour une augmentation du pouvoir d'achat, vague toujours pas calmée à l'heure actuelle. Ces mêmes ouvriers qui étaient sous pression à l'occasion des restructurations chez Ford, Opel ou VW ont mis le feu aux poudres. D'abord, le mouvement revendicatif spontané a réussi à déborder vers Ford Genk et vers pratiquement toutes les entreprises des environs immédiats pour ensuite atteindre toute la province du Limbourg et le secteur métallurgique. La vague de grèves sauvages s'est étendue lentement vers d'autres branches industrielles et d'autres provinces, surtout dans la partie néerlandophone et à Bruxelles. Début mars, on compte déjà "des centaines d'autres entreprises, et depuis quelques jours aussi les fonctionnaires de la communauté flamande" (De Standaard (DS)7.3.08), confrontés à des cahiers de revendications en plus des conventions en cours. Syndicats et employeurs, pour étouffer les foyers, canalisent les revendications dans le sens de primes uniques et de boni liés aux résultats. Dans la plupart des cas, les patrons essaient même d'acheter la paix sociale pour mettre fin à la vague de grèves avant même que les ouvriers engagent effectivement l'action. "Parce qu'ils ont eux-mêmes à tenir compte de protestations subites, mais plus encore parce qu'ils veulent à tout prix éviter une grève sauvage et sont donc prêts à racheter à l'avance un éventuel désordre"(interview de H. Jorissen, président du syndicat flamand de la métallurgie de la FGTB dans De Morgen (DM), 2.2.08)(). Car comme un fil rouge à travers tout le mouvement, "il ne s'agit pas de grèves organisées par les syndicats, mais de grèves sauvages. C'est la base qui se révolte, et ce sont les syndicats qui tentent de négocier" (un des témoins au forum de discussion de DS sur la vague de grèves).

Chaque jour, de nouvelles revendications salariales émergent. Mais déjà depuis le début, à côté des exigences salariales, les grévistes avancent également d'autres revendications comme les plaintes à propos des pressions trop élevées au travail, et l'exigence de transformer en emplois fixes les contrats temporaires. Cet élargissement du cahier de revendications favorisait nettement l'extension potentielle du mouvement. C'était surtout le cas les premières semaines, à cause de la surprise créée par l'explosion spontanée et du fait que les appareils syndicaux ne contrôlaient pas encore suffisamment les revendications.

En outre, cette vague de grèves spontanée a renforcé la confiance des ouvriers en eux-mêmes, a suscité l'action pour d'autres revendications directes, encore plus explicitement que dans la période avant la manifestation syndicale du 15 décembre. Nous avons vu ainsi, à côté d'une série de mouvements de grèves importants dans le cadre syndical (comme à Electrabel, SONACA et les sapeurs pompiers) des actions sauvages comme chez le géant pétrochimique BP autour d'une restructuration et des conditions de travail où le patronat a appelé "à cesser les actions incontrôlées et à suivre le modèle de concertation sociale", parmi les 240 travailleurs de l'entreprise logistique Ceva contre les licenciements et à La Poste à Mortsel contre la sous-occupation et les contrats temporaires, "si on en vient à des actions dures à Mortsel, je crains que(...) Les autres bureaux pourraient alors suivre. Nous voulons éviter cela" (Ludo Gauwloos, délégué sectoriel du syndicat de fonctionnaires CGSP d'Anvers dans DS ). De plus, il y a encore des interruptions de travail imprévues chez les conducteurs de tram et de bus de De Lijn à propos des conditions de travail et des pauses, à la SNCB...

Finalement, la grève à l'abattoir de volailles Lintor est un autre exemple de la solidarité croissante dans la classe ouvrière, incontestablement stimulée par la combativité, la détermination et la confiance grandissante des ouvriers dans leurs propres forces. Cette entreprise, qui ne travaille qu'avec des ouvriers d'origine étrangère et beaucoup d'intérimaires en provenance de Chine ou de Pologne, entre en grève comme un seul bloc et démontre par là dans la pratique que les divisions contractuelles, de langue, d'origine ou de race ne constituent pas des barrières infranchissables pour la classe ouvrière. Ils exigeaient une application correcte des rémunérations et des bonifications pour tous exactement comme pour tout autre ouvrier.

Pouvoir d'achat en baisse: mythe, impression ou réalité?

"Le consommateur belge doit s'attendre dans les mois à venir à la plus forte hausse de prix généralisée depuis le début des années 1990. Dixit le bureau fédéral du Plan" (DS, 1.3.08). Pourtant, une partie de la bourgeoisie ose prétendre que la perte du pouvoir d'achat "n'est qu'un mythe, ou plutôt une impression, mais pas une réalité". Elle souligne que "le pouvoir d'achat réel de l'ensemble des Belges s'est encore accru". L'organisation patronale Unizo parle d'une "hystérie du pouvoir d'achat". Le gouverneur de la Banque Nationale Guy Quaden, rejoint par beaucoup d'autres directions d'entreprise, met en garde contre des augmentations de salaires incontrôlées qui réveilleraient l'inflation et coûteraient des emplois. L'organisation patronale flamande Voka, également, appelle les actions de grève une aventure mettant l'économie en danger. "Les grèves pour plus de salaire ne sont pas une bonne idée" titrent plusieurs éditoriaux. La direction de Ford a envoyé à tous ses ouvriers une lettre au ton menaçant dont le message était clair. Ces réactions datent surtout des premières semaines de janvier.

La réalité quotidienne montre la pression sous laquelle vive la plupart des familles ouvrières: "Le Belge moyen s'enfonce toujours plus dans les dettes" ( rapport annuel de la centrale de crédit de la Banque Nationale), 4,7 millions de Belges empruntent ou achètent à crédit, les achats à échéances ont augmenté de 75 % ces cinq dernières années. "Le Belge est au bout du rouleau quand arrivent les factures" affirme le directeur de Datassur (banque de données centrale pour les assureurs). Car le nombre de Belges dénoncés pour défaut de paiement de leur assurance voiture ou incendie a une nouvelle fois progressé jusqu'aux environs de 40.000.

Après les produits énergétiques, ce sont surtout les prix alimentaires, le gaz et l'électricité qui tirent le niveau des prix vers le haut. Le courant et le gaz en 2008 coûteront en moyenne 300 euros de plus par famille. L'appel dans le mouvement de grève à une hausse supplémentaire des salaires nets en plus de l'indexation automatique, indique clairement que l'indexation des salaires ne suffit pas à compenser cette chute du pouvoir d'achat. Beaucoup de prix alimentaires, de produits de base et de produits pétroliers ne sont même plus repris dans l'index des prix, alors que le prix des Porsche et d'autres produits de luxe qui ont légèrement diminué, le sont. Ils font pression à la baisse sur l'index et ainsi faussent l'image de la réalité . Il est significatif d'entendre que "les CPAS nous font part que des gens achètent de plus en plus à crédit des biens quotidiens comme l'alimentation ou les habits" (Koen Steel, président du KWB (Mouvement Ouvrier Chrétiens), DM, 18.1.08). D'ailleurs, "Chaque Epargne pension a déjà perdu 600 euros ", "Pertes historiques en Bourse", n'étaient pas par hasard les titres des journaux de première page dans cette même période de mécontentement social où ils soulignaient, en plus de la perte de pouvoir d'achat, la diminution des économies pourtant rudement épargnées.(3)

"C'est une impression, Monsieur" répète la presse. Et entretemps, la pression sur les travailleurs et le climat social se poursuit: l'insécurité et la précarité de beaucoup de contrats temporaires et d'intérim, l'arbitraire croissant, le stress et la fatigue consécutifs au caractère destructeur de la pression pour plus de productivité et d'efficacité, traduite dans d'ingénieux tableaux de procédures et minutée par tâche, ou même en fractions de secondes, la lutte contre le soi-disant absentéisme, la misère grandissante dans des couches toujours plus larges de la population et par-dessus tout cela, les augmentations de prix des produits de base. On comprend très bien pourquoi le manque de perspective d'avenir se renforce. C'est la réalité oppressante! Et on ne dit encore rien des conséquences qu'auront les 3,5 milliards d'économies supplémentaires que le nouveau gouvernement Leterme devra trouver pour sortir du rouge son budget fédéral 2007 et 2008.

En plus des reproches, avertissements et intimidations, la bourgeoisie tente aussi de nous jeter de la poussière aux yeux: le champ d'application des chèques-service devrait s'élargir, l'allocation de 400.000 chômeurs devrait augmenter d'environ 7 % (2 % d'index et 5 % de rattrapage de perte de prospérité, ce qui en fin de compte revient à une allocation encore plus basse que celle des années 1990), et les retraites les moins élevées, en deçà du seuil de pauvreté, seront un peu augmentées, et quelques subsides seront versés à ceux qui ne parviennent pas à payer leur facture de chauffage. Des miettes!

Donc, Messieurs, vous avez bien raison de dire que l'augmentation du prix des produits de base quotidiens est la goutte qui fait déborder le vase, si c'est ce que vous entendez par impression, alors la réponse est certainement oui! C'est la frontière entre l'acceptable et ce qui ne l'est plus.

Le sale rôle des syndicats

Lorsque la bourgeoisie a été contrainte de faire des concessions dans des centaines d'entreprises, c'est finalement parce que dans des dizaines d'entreprises, les travailleurs ne se sont pas laissés intimider ou endormir et ont engagé la lutte. Toutes les tactiques de division et de domination classiques, par entreprise, par métier, par secteur, par statut, privé ou public, chômeurs ou actifs ou retraités, jeune ou vieux, région et tout le reste, tout cet arsenal semblait avoir moins d'emprise. Tous les ouvriers, actifs, chômeurs, retraités, étudiants peuvent en fait se retrouver dans ces mouvements contre la perte du pouvoir d'achat, les cadences de travail et l'instabilité des contrats.

Afin d'éviter une extension plus importante et surtout une unification, la bourgeoisie a très vite mis en avant ses syndicats. Il fallait arrêter les dégâts et en particulier éviter l'extension vers les très combatifs bassins industriels wallons grâce au silence des médias surtout dans la presse francophone. Il fallait racheter la combativité là où c'était nécessaire en utilisant l'encadrement syndical pour canaliser les revendications et en reprenant le contrôle des mouvements.

Quelques échantillons, qui se passent de commentaire, du sale rôle que jouent les syndicats: lorsqu'a éclaté spontanément la lutte chez le fournisseur de Ford: "Notre homme sur place s'est dépêché de négocier, car chacun veut toujours éviter que la grande usine, Ford donc, s'arrête aussi. Après une heure, je recevais un coup de fil: Herwig, ça se passe mal" (H. Jorissen, président de la centrale métallurgique FGTB, dans DM, 2.2.08). La direction de Ford appelle le syndicat à réagir rapidement pour reprendre le contrôle, quitte à devoir payer. "Derrière les coulisses, les délégués de Ford Genk 'comprennent' l'appel spontané à une augmentation de salaire, mais en même temps comprennent aussi que ce n'est pas favorable à l'entreprise" (DS , 22.1). "Croyez-moi, nous avons tout fait pour limiter les dégâts. Nos délégués à Genk savent quels efforts ont été faits pour sauver Ford il y a cinq ans. Et l'an dernier, en avril, j'ai eu tout le monde sur le dos quand j'ai été le seul, je dis bien le seul, à tenir tête à une grève semblable sur les salaires et les cadences chez les fournisseurs de Ford. A l'époque, j'avais dit aux grévistes qu'ils faisaient le mauvais choix. Aujourd'hui encore, en tant que syndicat, nous ne sommes pas à l'avant et nous n'organisons aucune grève" (H. Jorissen, dans DS 2.2). "Lors de la grève chez les fournisseurs de Ford, Tony Castermans (FGTB) a été le seul à dire à haute voix: 'je ne suis pas heureux'. Lors de la grève à Sabca, Johnny Fransen (FGTB) a lui-même accepté la proposition du médiateur social, sans la mettre au vote des travailleurs. Juste pour conserver le contrôle de la situation" (H. Jorissen, dans DM, 2.2).

C'est enfin grâce à l'encadrement syndical que la revendication "un euro de plus par heure" a pu être contournée. Agoria, la fédération patronale de la métallurgie, a immédiatement conseillé à ses entreprises membres de couper court aux revendications en accordant une prime unique, comme application du bonus salarial. Ce bonus, récemment introduit en compensation d'une augmentation de production obtenue ou encore à venir(sic!) est fiscalement plus intéressant et devrait plus tard être compensé dans les négociations centrales sur les salaires. Même les clausules de norme salariale restent d'application pour affaiblir les mesures supplémentaires, comme le confirment cette déclaration du syndicaliste Jorissen: "Pour prouver que les syndicats sont très raisonnables: dans le secteur de la métallurgie il existe un mécanisme de solde. Concrètement: si cette année devait arriver une indexation de salaires non planifiée, la dernière partie de l'augmentation nette de salaires disparaît de la convention collective. On peut dépasser la norme salariale par l'index, mais pas par d'autres formes d'augmentations salariales. Nous ne plaidons donc pas gratuitement pour un cumul de toutes les augmentations salariales possibles" (H. Jorissen dans DS, 2.2).

Conserver le contrôle de la lutte

"Pour développer un combat massif et uni de l'ensemble des travailleurs, indispensable face à la poursuite inévitable des attaques, il faut tirer les leçons du sabotage syndical. Et une des leçons centrales, c'est que, pour pouvoir se battre efficacement, opposer une riposte unie et solidaire en recherchant toujours plus l'extension de leur lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Ils n'auront pas d'autre choix que de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains et de déjouer tous les pièges, toutes les manœuvres de division et de sabotage des syndicats" (2).

Le mouvement de grève démontre que les travailleurs ne peuvent plus faire confiance aux spécialistes syndicaux des "négociations" secrètes pour diriger leur lutte. Tous ensemble, les ouvriers qui sont dans le mouvement doivent prendre les décisions sur la façon de mener la lutte. Les Assemblées Générales appelées par les syndicats ne peuvent plus se satisfaire de voter pour ou contre la poursuite de la grève sans qu'un réel débat soit mené, d'être une simple chambre d'enregistrement.

- L'AG est l'organe souverain de la lutte. Dans ce sens, les comités de grève qui ont pour tâche de mettre en œuvre les décisions de l'AG doivent être nommés par l'assemblée sur base d'un mandat et rester sous son contrôle. Ils doivent être les garants contre toute magouille de la part des syndicats.

- Les AG doivent discuter de l'envoi de délégations massives vers d'autres entreprises pour expliquer la signification du mouvement et appeler les travailleurs d'autres secteurs à la solidarité active et ne pas seulement compter sur une extension de leur lutte "spontanée", automatique, passive.

- L'extension de la lutte doit immédiatement être un objectif, dès les premiers jours du mouvement, pour éviter que les syndicats et leurs manœuvres enferment le mouvement dans un secteur ou une région, dans un mécanisme de négociation séparé, dans des revendications spécifiques. Pour étendre la lutte, les travailleurs doivent poser en priorité des revendications unifiantes, qui soient communes à tout le monde, c'est justement de ça que la bourgeoisie a eu si peur aujourd'hui. L'assemblée générale doit donc immédiatement produire une plateforme de revendications qui mène à l'unité la plus large possible, à la plus grande solidarité.

La perspective est dans le développement de la lutte ouvrière

Les miettes que la bourgeoisie distribue aujourd'hui seront reprises demain. Mais la pire défaite serait de ne pas avoir engagé la lutte. Plus la classe ouvrière courbe l'échine et cède à l'intimidation, et plus la bourgeoisie aura les mains libres pour attaquer et opprimer. "Près de quatre décennies de crise ouverte et d'attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, notamment la montée du chômage et de la précarité, ont balayé les illusions que "ça pourrait aller mieux demain" : les vieilles générations de prolétaires aussi bien que les nouvelles sont de plus en plus conscientes du fait que "demain sera encore pire qu'aujourd'hui" (4).

Quelles que soient les limitations de cette vague de grèves, les leçons qu'on peut en tirer sont de la première importance pour l'avenir. Pour pouvoir mener avec succès la lutte contre les attaques de plus en plus drastiques du patronat et du gouvernement, la classe ouvrière doit continuer à reprendre confiance en elle, à reconstruire sa solidarité de classe, à mener ses luttes non seulement de façon simultanée, comme elle le fait aujourd'hui, mais surtout de façon à unifier ce combat, à se considérer comme un tout, à regagner confiance en ses propres forces, en ses capacités bien réelles (si souvent démontrées par le passé) pour prendre en mains sa lutte et son sort.

La véritable force des travailleurs se trouve dans la solidarité contre toutes les tentatives de les diviser et dans le développement de leur lutte et le refus d'accepter la loi du capital. Les événements en Belgique sont encourageants et cadrent parfaitement dans la remontée internationale de la lutte ouvrière. De l'Egypte à Dubaï, du Pérou au Venezuela, de la Turquie à la Russie, de l'Espagne à la Finlande et surtout de l'Allemagne à la France, la classe ouvrière développe sa résistance contre les mêmes attaques incessantes du capital sur ses conditions de vie et de travail.

Lac / 10.3.08

(1) voir Internationalisme n° 334 article sur la pauvreté

(2) Internationalisme n° 335, 14.12.07

(3) voir les articles sur la crise dans ce numéro

(4) Résolution sur la situation internationale du 17ème Congrès du CCI, mai 2007, Revue Internationale n° 130, 3ème trimestre 2007

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [4]

Récession mondiale: Derrière la prétendue "purge salutaire" de l'économie, la généralisation de la misère

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Avec la "crise des subprimes", la récession économique mondiale se profile nettement. De façon simultanée, sur l'ensemble du globe, des centaines de milliers de prolétaires sont brutalement frappés par la crise économique. Parmi les premières victimes, les familles expulsées de leurs maisons qui ne peuvent plus rembourser leurs prêts ou qui perdent leur emploi. En un an, aux Etats-Unis, le taux de saisies/expulsions a doublé : 200 000 procédures de saisies par mois au deuxième semestre 2007 accentuant le phénomène des "villes fantômes". Ainsi, la paupérisation galopante sollicite beaucoup plus fortement les programmes d'aide alimentaire existants (1 ). En plus, 27 000 licenciements sont programmés dans le secteur du bâtiment, 28 000 dans le secteur de l'agro-alimentaire. Dans le secteur automobile, 12 000 suppressions d'emploi sont envisagés pour les usines Ford ! 74 000 "départs volontaires" sont demandés pour General Motors. En 2006 déjà, le licenciement de 30 000 ouvriers payés à l'heure avait montré la détermination de la direction pour "rattraper la productivité des constructeurs asiatiques". Le plan aujourd'hui met à exécution cette même volonté afin "d'embaucher de nouveaux venus, payés trois fois moins : 25 dollars de l'heure au lieu de 75 dollars actuellement, prestations sociales comprises" (2 ). Il faut ajouter "la grande différence avec les plans précédents" : les ouvriers doivent "accepter de perdre leur assurance santé et leurs pensions retraite en passant les portes de l'usine".3  Les licenciements se multiplient dans l'industrie manufacturière, le commerce de détail, etc. Il est clair que l'hécatombe va suivre dans le secteur des services. Dans la finance mondiale, 26 000 licenciements sont déjà prévus, touchant des temples comme HSBC, UBS. Citigroup prévoit entre 17 000 et 24 000 licenciements !

Aujourd'hui, ce choc frontal lié à la crise ne peut plus être uniquement reporté à la périphérie du capitalisme, dans les pays pauvres. C'est maintenant le cœur du système capitaliste et son prolétariat le plus concentré au monde qui est touché. En Europe, dans un pays comme l'Allemagne, dont on vante pourtant la performance des exportations et le dynamisme des entreprises, les charrettes de licenciements se multiplient : à la Deutsche Telekom, 35 000 licenciements sont prévus d'ici fin 2008. Chez BMW, 8000 emplois doivent être supprimés pour des questions de "rentabilité". Idem chez Siemens qui prévoit de jeter à la rue 3000 employés de sa division Enterprise Network (SEN). L'opérateur Nokia s'apprête à déménager en Roumanie avec une main d'œuvre bien meilleur marché. Ailleurs aussi, dans le secteur des télécommunications, l'entreprise néerlandaise KPN prévoit de supprimer 2000 postes qui s'ajouteront aux 8000 prévus par un plan divulgué en 2005. En France, outre les 23 000 suppressions de postes programmées dans la fonction publique et les collectivités locales, 18 000 licenciements chez Peugeot seront étalés jusqu'en 2010. Une myriade de faillites d'entreprises entraîne d'ores et déjà des licenciements secs, en particulier pour les ouvriers les plus vulnérables que sont les travailleurs immigrés en situation irrégulière, sans papiers, mais "légalement" employés dans les secteurs du BTP, la restauration, l'électronique... Ce désastre, qui n'en est qu'à ses débuts, touche tous les autres pays en Europe et le reste du monde. Même dans ce qu'on nous présente comme le nouvel El Dorado, la Chine, la contraction du marché mondial entraîne de nombreuses faillites et licenciements (4 ).

Il n'y a pas d'illusions à se faire, la paupérisation s'accélère partout ! Ce qui nous est présenté par la bourgeoisie comme des "dégraissages" et selon certains économistes une "purge salutaire" n'est en réalité qu'une des expressions les plus significatives de la faillite du système capitaliste.

WH  / 23.02.2008

1)  Pour les enfants, « Kids Café » distribue davantage de repas dans 18 comtés. Dans l'Etat de New York, les soupes populaires connaissent une hausse de 24 % en un an.

2)  Libération du 23 février 2008.

3)  Idem.

4)  Pour s'adapter, "depuis le premier janvier 2008, la Chine applique un nouveau droit du travail dont l'arrivée provoque depuis des mois des licenciements massifs". Dans le sud de la Chine (Shenzhen), une entreprise sur 10 est amenée à fermer dans cette mégalopole industrielle. Voir le site Internet WWW.lagrandeepoque.com

Questions théoriques: 

  • L'économie [5]

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