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Internationalisme no. 332

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Internationalisme no. 332

Après les élections fédérales, la nouvelle équipe continuera à imposer l'austérité

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Ces dernières semaines, les élections fédérales belges du 10 juin constituent le sujet central des médias. Ceux-ci consacrent de larges commentaires au "Waterloo des socialistes", aussi bien en Wallonie (-20% de sièges) qu'en Flandres (-30% de sièges) et spéculent largement sur la future coalition, pointant la victoire des sociaux-chrétiens dans le Nord et des libéraux dans le Sud du pays. Une thématique est toutefois soigneusement évitée, pendant la campagne tout comme dans les commentaires actuels à propos des résultats : la question sociale, celle des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.

Pour ce faire, la campagne électorale même avait essentiellement été présentée comme un combat entre personnalités : en Flandres, le ‘citoyen électeur' était appelé à choisir entre la continuité du premier ministre sortant, le libéral G. Verhofstadt et sa politique « éthique progressiste» (mariage homosexuel, loi sur l'euthanasie, ...) ou le changement proposé par son challenger, le chrétien démocrate Y. Leterme, actuel ministre président de la région flamande, qui met l'accent sur la «bonne gouvernance» et la «solidarité ... avec les plus faibles». En Wallonie, les projecteurs étaient pointés sur le combat de coqs entre le représentant de l'Etat-PS wallon corrompu, le ministre président wallon E. Di Rupo, et son challenger, le ministre de l'économie libéral, admirateur de Sarkosy, D. Reynders. Tout était donc fait pour ne pas polariser sur des «questions épineuses»: les rationalisations et les fermetures, l'accroissement des cadences et de la flexibilité, le recul systématique du niveau de vie, la politique d'austérité et le démantèlement progressif de « l'Etat social », etc. Sur toutes ces questions, les débats sont restés particulièrement discrets et pour cause : il y a une profonde unanimité parmi l'ensemble des partis sur cette politique et le futur gouvernement, quelle que soit sa composition, se situera, sur ce plan-là, dans la parfaite continuité du précédent.

Quel est alors le sens des bouleversements politiques pointés par les médias ? Pour mener cette politique dans un contexte mondial marqué par un pourrissement croissant des structures sociétales, la bourgeoisie tend à mettre aux commandes de l'Etat ses partis les plus stables. Or, les deux «familles» du gouvernement ‘pourpre' avaient montré ces dernières années une fragilité et une instabilité gênantes : du côté des libéraux, le parti flamand a été secoué par des dissidences internes et a même connu une scission à sa droite, la liste Dedecker qui obtient plus de 6,5%des votes. La famille socialiste, quant à elle, est secouée par des scandales de cor-ruption dans le PS wallon qui voit les clans s'affronter. Il n'est donc pas étonnant que la bourgeoisie fasse remonter aux affaires son vieux parti social-chrétien, représentant fidèle des intérêts de l'Etat belge depuis sa création et rajeuni au cours des 8 années de purgatoire. En outre, cela permettrait aux partis socialistes, durement éprouvés par 20 ans de participation gouvernementale ininterrompue, de se refaire une santé dans l'opposition.

La classe ouvrière ne doit pas se laisser mystifier par les illusions démocratiques

Il y a une autre raison, permettant de comprendre le battage médiatique autour du «changement politique» ; l'idée que le citoyen «peut faire entendre sa voix par les urnes » constitue en effet une illusion cruciale pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise. "Tous les hommes naissent libres et égaux en droit" comme cela est gravé dans le marbre de la déclaration universelle des droits de l'homme. Pour ce faire, chaque citoyen a un droit inaliénable, celui de voter. Cette idéologie peut se résumer en une simple équation : un individu = un vote. Cependant, cette belle déclaration de principe n'est que virtuelle. Dans le monde réel, les hommes sont tout sauf égaux. Dans le monde réel, la société est divisée en classes. Au-dessus et dominante, tenant les rênes, il y a la bourgeoisie; en dessous, il y a toutes les autres couches de la société et en particulier la classe ouvrière. Dans la pratique, cela signifie qu'une minorité détient l'Etat, les capitaux, les médias... La bourgeoisie peut ainsi imposer au quotidien ses idées, sa propagande : l'idéologie dominante est l'idéologie de la classe dominante. Et le rouleau com-presseur médiatique passe et repasse sur le corps électoral. Pas une seule minute la propagande ne cesse. Ce bourrage de crâne n'est pas nouveau, le premier congrès de l'Internationale communiste affirmait déjà en 1919: "[la liberté de la presse] est un mensonge, tant que les meilleures imprimeries et les plus gros stocks de papier sont accaparés par les capitalistes [...]. Les capitalistes appèlent liberté de la presse la faculté pour les riches de corrompre la presse, la faculté d'utiliser leurs richesses pour fabriquer et pour soutenir la soi-disant opinion publique" (Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne présentées par Lénine le 4 mars 1919).

 

Si l'invariabilité de la politique de défense des intérêts de la bourgeoisie nationale est le programme profond de tout gouvernement national, la propagande électorale est justement là pour cacher cette vérité toute crue en faisant croire à l'éventualité d'une alternative: "oui, une autre politique est possible... à la condition de bien voter". Mensonges et poudre aux yeux! Qu'il s'agisse d'un nouveau gouvernement ‘bleu-romain', comme lorsqu'il s'agissait du gouvernement ‘pourpre' de Verhofstadt ou du gouvernement ‘rouge-romain' de Dehaene à la fin des années '90, ces gens-là appartiennent bel et bien à la même famille... la bourgeoisie. Les différences qui séparent les partis bourgeois ne sont rien en comparaison de ce qu'ils ont en commun : la défense du capital national. Pour ce faire, ils sont capables de travailler très étroitement ensemble, surtout derrière les portes fermées des commissions parlementaires et aux plus hauts échelons de l'appareil d'Etat. Et s'ils débattent et gesticulent dans l'hémicycle devant les caméras pour feindre l'indignation face à telle ou telle mesure, tel ou tel mot "déplacé" d'un autre député, c'est uniquement pour faire croire à l'intensité de la vie démocratique, pour entretenir la crédibilité de la démocratie bourgeoise.

Que la réalité sociale est bien différente de la mystification électorale est illustrée d'une part par les restructurations (Opel Anvers, La Poste, Johnson Control, ...) et d'autre part par les luttes ouvrières (postiers, employés communaux, ouvriers d'entreprises de pièces détachées pour l'automobile, ...) qui se sont multipliées pendant la campagne électorale même. Ces mouvements contrastés, exprimant la combativité, parfois aussi encore le désarroi face à l'absence d'alternative, se situent sur le véritable terrain de la défense des intérêts ouvriers face aux attaques et expriment, encore souvent de façon hésitante, le développement d'une réflexion au sein de la classe sur la manière de mener la lutte et les perspectives à mettre en avant au sein de celle-ci. Ces combats, qui partent souvent spontanément, sont difficiles car, s'ils sont systématiquement reconnus par les syndicats, c'est dans le but de mieux les saboter, en les isolant et en les étouffant dans des actions ou des revendications sans perspectives. Plus que jamais, l'orientation des luttes doit donc être la recherche de la solidarité, la mise en oeuvre de mouvements massifs, la réflexion sur les perspectives à mettre en avant face à la faillite du système, et non pas le terrain électoral où la classe ouvrière n'a rien à gagner. La bourgeoisie y transforme les ouvriers en citoyen-électeur, elle les dilue dans la masse de la population, les isole les uns des autres. Seuls et donc impuissants, elle peut ainsi leur bourrer le crâne à sa guise.

Jos / 12.06.07

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [1]

Courrier de lecteur: Derrière la "révolution bolivarienne" de Chavez, l'aggravation de la misère au Venezuela

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Nous publions ci-dessous le courrier d'un lecteur du Brésil, qui sympathise avec les politiques entreprises par Chavez (et Lula) en faveur des couches les plus nécessiteuses. Ces manifestations de sympathie envers le chavisme sont chaque fois plus fréquentes, comme nous pouvons le voir dans nos réunions publiques et sur les forums où nous intervenons. Elles sont l'expression d'une véritable préoccupation  pour la situation de paupérisation que subissent les couches les plus nécessiteuses (parmi lesquelles des millions de prolétaires) et du rejet de l'horrible politique impérialiste des Etats-Unis.  Ainsi, beaucoup voient en Chavez et son « socialisme du 21e siècle » une  issue de secours pour dépasser la pauvreté et affaiblir l' « impérialisme yankee ».  Dans notre réponse, nous tenterons de montrer au camarade que les « phénomènes » Chavez, Lula, Evo Morales, Correa, etc., ne sont que l'expression  de la montée  au pouvoir de fractions de la bourgeoisie sud américaine  capables de surfer sur les thèmes de la « gauche sociale » et les aspirations au changement des populations pour accentuer la précarité et la paupérisation.

Courrier du lecteur

En tant que citoyen du continent sud- américain, je vois avec méfiance autant de critiques au chavisme, qu'elles soient de droite ou de gauche. Chavez (de même que Lula au Brésil) est un leader originaire des classes économiques les plus basses et le démontre dans son discours et sa pratique ; il désire une situation meilleure pour les couches les plus nécessiteuses et moyennes du Venezuela. Il a fait face à un coup d'État bourgeois et il est retourné, dans les bras du peuple, au gouvernement. Qu'il soit populiste ou non, qu'importe puisqu'il réalise les rêves de son peuple ?  Jusqu'ici, beaucoup de ses politiques ont été d'une extrême cohérence et courageuses. S'affronter au géant mondial est une lutte de David contre Goliath et, vous savez, ce n'est pas une chose facile. D'autres leaders récents du continent lui donnent la main : Evo Morales et Raphael Correa. La Chine augmente considérablement ses relations avec le Venezuela. Alors... tirez vos propres conclusions.

Salutations !

F.

Notre réponse

Cher F.

Il est  vrai que Chavez dans son discours affirme « désirer une situation meilleure pour les couches les plus nécessiteuses et moyennes du Venezuela » (il en va de même pour les autres chefs d'État comme Lula, Morales, Correa, et  même ce « diable » de Bush vis-à-vis de leurs populations respectives) ;  cependant dans la pratique nous constatons qu'il y a un écart chaque fois plus grand entre le discours et la réalité. Derrière la propagande insidieuse du chavisme (tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Venezuela) qui exalte les « succès » de la « révolution bolivarienne » en faveur des pauvres, ce qui existe en réalité c'est une paupérisation croissante des prolétaires et des couches les plus nécessiteuses, y compris des couches moyennes ; tandis que les nouvelles élites du chavisme perçoivent des   revenus faramineux (dans plusieurs cas supérieurs à dix mille dollars par mois, jusqu'à cinquante fois le salaire minimum perçu par un travailleur) et font des  affaires juteuses en jouissant des  bienfaits de la rente pétrolière désormais entre leurs mains.

Cet écart entre le discours et la réalité n'est pas propre au chavisme, mais  fonde le comportement hypocrite qui caractérise la classe dominante envers les masses exploitées , qu'elle doit contrôler en créant en leur sein l'espoir qu'il est possible de dépasser leur situation de pauvreté  tout en conservant les bases du système  capitaliste. C'est la raison pour laquelle le folklore  chaviste n'a pas fait disparaître mais a bien au contraire  réussi à réaffirmer  cette tendance  naturelle du capitalisme à concentrer la richesse dans  quelques  mains et à condamner une masse toujours plus grande de la population à vivre dans la pauvreté absolue.

Chavez, fils des classes pauvres 

Il est  nécessaire de clarifier le rôle que joue Chavez comme leader « originaire des classes économiques les plus basses ».  Le fait qu'un leader ou un gouvernement soit d'extraction  « populaire »,  voire prolétarienne, ne  signifie certainement pas que ce dernier est forcément un « protecteur des plus déshérités » et donc  non assimilable à la classe dominante et son Etat. L'histoire est  pleine  d'exemples  d'individus de cette sorte  qui ont été d'une   très grande utilité pour les classes dominantes, précisément dans des moments de crise aiguë : Lech Walesa en Pologne (dans les années 1980) et Lula au Brésil, par exemple. Ces deux  « leaders ouvriers » ont rendu et rendent encore un service  inestimable à la bourgeoisie de leur pays respectif. Chavez, fils d'instituteur,  est devenu  lui aussi  un auxiliaire de la bourgeoisie vénézuélienne. Le fait que le fils d'un ouvrier ou le fils d'une illustre famille bourgeoise soit à la tête de l'État  ne change rien à l'affaire ; l'un  ou l'autre, en assumant la responsabilité de chef d'État devient inévitablement le plus haut gestionnaire de l'organe de domination du capital national (étatique et privé) et, comme tel, lui et ses acolytes  s'intègrent à la  classe exploiteuse.

Le surgissement des « phénomènes » Chavez, Lula, Kirchner et plus récemment Morales en Bolivie et Correa en Equateur est dû à l'épuisement quasi-généralisé des partis sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens qui gouvernaient jusqu'à la décennie 1990 et qui, soumis à la décomposition et à la sclérose politique, ont rencontré de sérieuses difficultés pour contrôler les crises politiques et ont engendré de nouvelles formes idéologiques pour contrer le malaise social. Ces leaders, en s'appuyant sur leur charisme et leur origine populaire, ont capitalisé le malaise des prolétaires et des exclus, en développant des politiques populistes qui leur permettent de canaliser les « rêves de leur peuple » en faveur des intérêts du capital national. Ces nouveaux leaders sont les nouveaux administrateurs de la précarité.

Quand nous parlons de « politiques populistes », nous ne le faisons pas en termes péjoratifs, comme le font les secteurs de la bourgeoisie qui s'opposent à ces nouveaux leaders du capital ; mais nous nous référons aux gouvernements qui ont surgi en Amérique latine et dans d'autres pays de la périphérie, comme celui de Peron en Argentine (1946-1955), ou celui de Getulio Vargas au Brésil (1930-1954), entre autres, à ceux qui exacerbent les illusions des « déguenillés », précisément dans des périodes de crises aiguës du gouvernement de la bourgeoisie nationale.

Aucun de ces gouvernements n'a  pu résorber la  pauvreté des masses qui ont mis en eux leurs espoirs,  et leur remplacement par d'autres gouvernements tout aussi bourgeois n'a rien changé sauf plonger ces masses encore plus  dans l'attente d'un autre Messie qui fera revivre leurs « rêves ». C'est et ce sera le drame des couches  miséreuses tant que le prolétariat ne se placera pas à la tête des mouvements sociaux et, à travers sa lutte révolutionnaire, ne dépassera pas les causes de la paupérisation et de la précarité, lesquelles se trouvent dans le fonctionnement propre du mode d'exploitation capitaliste.

 David contre Goliath

 Il est indiscutable que Chavez s'affronte au « géant mondial » et nous savons que cette lutte de « David contre Goliath » n'est pas « chose facile ».  Mais cette lutte contre l'impérialisme  nord-américain n'est rien de plus que la lutte pour renforcer le « petit » impérialisme vénézuélien dans la région, qui utilise le pétrole (de la même manière que les Etats-Unis utilisent leur pouvoir économique et militaire) comme arme de chantage et de pression, pour se renforcer au niveau géopolitique. De même que la politique impérialiste des Etats-Unis se fait au détriment du prolétariat et de la population nord américaine, la politique impérialiste de la bourgeoisie vénézuélienne (avec à sa tête le secteur chaviste), se fait au détriment des conditions de vie des couches sociales que le chavisme prétend défendre. La part du budget national dédiée aux forces armées, à l'achat d'armements (qui tôt ou tard seront utilisés contre la population vénézuélienne ou d'un autre pays de la région)  est actuellement supérieure à celle destinée à la prétendue « dépense sociale ».

L' « anti-impérialisme yankee » a servi durant plus d'un siècle à cacher les  ambitions des bourgeoisies de la région qui s'opposent à la bourgeoisie nord-américaine, puisque ces  dirigeants sud-américains veulent être naturellement les uniques exploiteurs des forces productives de  leurs  pays  respectifs. En ce sens, les « conseils » de la bourgeoisie cubaine à Chavez ne sont pas  fortuits : l' « anti-impérialisme yankee » a servi  cette dernière  pour soumettre le prolétariat et la population cubaine à l'exploitation et  à justifier tous les sacrifices pendant plus de quarante ans. Il est pour le moins contradictoire que malgré la confrontation « radicale » de Chavez aux Etats-Unis, ces derniers restent le principal associé commercial du Venezuela. Le prolétariat doit combattre tout impérialisme, qu'il soit grand ou petit.

 Chavez « dans les bras du peuple »

 En ce qui concerne le retour de Chavez au pouvoir depuis le « coup d'État bourgeois », il faut clarifier que ce retour au pouvoir ne s'est pas fait précisément « dans les bras du peuple », mais dans les bras des militaires loyaux, après s'être libéré des militaires qui l'ont renversé. Ces derniers ont décidé de capituler lorsqu'ils ont constaté l'énorme faiblesse des secteurs de la bourgeoisie qui étaient à la tête du coup d'État contre Chavez, lequel est revenu au pouvoir deux jours après. Le chavisme a tiré le plus grand bénéfice de cet événement lorsqu'il s'est présenté non seulement comme une victime des secteurs favorables au coup d'Etat, mais aussi du gouvernement nord-américain qui d'une certaine manière a appuyé le coup d'État en ne le condamnant pas. S'il est certain qu'une partie du « peuple » a crié et même a pleuré pour le retour de Chavez, la décision des événements était dans les mains des forces armées, qui en dernière instance décident dans des moments comme ceux-là à quelle fraction de la bourgeoisie il faut laisser le pouvoir. Le retour de Chavez « dans les bras du peuple » fait partie de la mythologie  qu'il a lui-même créée pour se couvrir d'une auréole  afin de tromper les masses qui lui ont accordé leur confiance ; mythologie que les secteurs altermondialistes de la région et du monde, vénèrent et à laquelle il font  de la belle publicité.

Enfin, nous voulons mettre en évidence, et on peut le voir dans notre réponse, que notre critique ne se situe pas dans le spectre de celles qui sont faites du point de vue de la droite ou de la gauche, que nous considérons comme des forces politiques complémentaires qui défendent les intérêts de la bourgeoisie. Elle se situe sur un autre terrain, celui de la Gauche communiste.

Camarade F., nous t'invitons à débattre des questions posées ici puisque nous considérons que c'est un moyen de prendre confiance dans la perspective du socialisme révolutionnaire.

 

Fraternellement,

Le CCI

 

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [2]

Grèves en Egypte: La solidarité de classe, fer de lance de la lutte

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Une vague de grèves a touché de nombreux secteurs en Egypte au début de l'année : dans les usines de ciment, les élevages de volaille, les mines, les secteurs des bus et des chemins de fer, dans le secteur sanitaire, et surtout dans l'industrie textile, les ouvriers ont déclenché une série de grèves illégales contre la forte baisse des salaires réels et les réductions de primes. Le caractère combatif et spontané de ces luttes peut être saisi dans cette description de comment, en décembre de l'année dernière, la lutte surgit au grand complexe de tissage et de filage du nord du Caire Mahalla al-Kubra's Misr, qui a été l'épicentre du mouvement. Cet extrait est issu du texte de Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy, "Les ouvriers du textile égyptien s'affrontent au nouvel ordre économique", publié sur les sites "Middle East Report Online" et libcom.org, et basé sur des interviews de deux ouvriers de l'usine, Muhammed'Attar et Sayyid Habib.

"Les 24 000 ouvriers du complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra's Misr étaient en attente des nouvelles des promesses faites le 3 mars 2006 selon lesquelles le Premier ministre, Ahmad Nazif, aurait décrété une augmentation de la prime annuelle donnée à tous les ouvriers du secteur public industrialisé des 100 livres égyptiennes (17 $) habituelles à une prime de deux mois de salaires. Les dernières augmentations des primes annuelles dataient de 1984 - de 75 à 100 livres.

"Nous avons lu le décret et commencé à en parler dans l'usine" dit Attar. "Même les officiels du syndicat pro-gouvernemental publiait aussi la nouvelle comme une de ses réalisations". Il continue ensuite : "Décembre arriva (période où les primes annuelles sont payées) et chacun était anxieux. Nous nous aperçûmes alors que nous avions été roulés. On ne nous offrait que les même vieilles 100 livres. En réalité 89 livres, pour être plus précis, du fait des déductions (pour les taxes)."

Un esprit de lutte était dans l'air. Les deux jours suivants, des groupes d'ouvriers refusaient d'accepter leurs salaires en signe de protestation. Puis, le 7 décembre, des milliers d'ouvriers de l'équipe du matin commencèrent à s'assembler dans Mahalla's Tal‘at Harb Square, devant l'entrée de l'usine. Le rythme du travail à l'usine avait déjà ralenti mais la production tomba à l'arrêt lorsque 3000 ouvrières du vêtement quittèrent leur poste de travail, et se dirigèrent vers les sections du textile et du filage où leurs collègues masculins n'avaient pas encore arrêté les machines. Les ouvrières crièrent en chantant : "Où sont les hommes ? Voici les femmes !" Honteux, les hommes se joignirent à la grève.

Environ 10 000 ouvriers se rassemblèrent sur la place, criant "Deux mois ! Deux mois !" pour affirmer leur revendication sur les primes promises. La police anti-émeute était rapidement déployée autour de l'usine et dans la ville mais n'engagea pas d'action pour réprimer la manifestation. "Ils étaient impressionnés par notre nombre" dit Attar. " Ils espéraient que cela retomberait avec la nuit ou le lendemain." Avec l'encouragement de la sécurité d'Etat, la direction offrit une prime de salaire de 21 jours. Mais, comme le rappelle en riant Attar, "les ouvrières écharpaient presque tous les représentants de la direction venant négocier".

"Comme la nuit tombait, dit Sayyid Habib, les ouvriers eurent toutes les peines à convaincre les femmes de rentrer chez elles. Elles voulaient rester et dormir sur place. Cela nous prit des heures pour les convaincre de rentrer dans leurs familles et de revenir le lendemain." Souriant large-ment, Attar ajoute : "Les femmes étaient plus combatives que les hommes. Elles étaient sous le coup de l'intimidation de la police anti-émeute sécurité et de leurs menaces, mais elles tenaient bon."

Avant les prières du soir, la police anti-émeute se précipita sur les portes de l'usine. Soixante-dix ouvriers, avec Attar et Habib, y dormaient, où ils s'étaient enfermés. "Les officiers de la sécurité d'Etat nous dirent que nous étions peu nombreux et qu'il valait mieux sortir." dit Attar. « Mais ils ne savaient pas combien d'entre nous étaient restés à l'intérieur. Nous mentîmes en leur disant que nous étions des milliers ». Attar et Habib réveillèrent rapidement leurs camarades et, tous ensemble, les ouvriers commencèrent à frapper bruyamment sur les barreaux d'acier. "Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l'extérieur, leur demandant d'ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu'ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l'usine."

A ce moment, la police avait coupé l'eau et l'électricité de l'usine. Les agents de l'Etat fonçaient vers les gares pour dire aux ouvriers venant de l'extérieur de la ville que l'usine avait été fermée à cause d'un dysfonctionnement électrique. La ruse manqua son objectif.

"Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent", raconte Attar. "Nous avons organisé une manifestation massive et fait de fausses funérailles à nos patrons. Les femmes nous apportèrent de la nourriture et des cigarettes et rejoignirent la marche.

Les services de sécurité étaient paralysés. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prirent les rues en soutien aux grévistes. Le quatrième jour de l'occupation de l'usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrirent une prime de 45 jours de salaire et donnèrent l'assurance que la compagnie ne serait pas privatisée. La grève fut suspendue, avec l'humiliation d'une fédération syndicale contrôlée par le gouvernement grâce au succès de l'action non-autorisée des ouvriers du filage et du textile de Misr."

La victoire de Mahalla encourageait un certain nombre d'autres secteurs à entrer en lutte, et le mouvement était loin d'être terminé. En avril, le conflit entre les ouvriers de Mahalla et l'Etat est revenu à la surface. Les ouvriers décidaient d'envoyer une importante délégation au Caire pour négocier (!) avec la Fédération générale des syndicats des revendications d'augmentation des salaires et procéder à l'accusation du comité syndicale d'usine de Mahalla pour avoir soutenu les patrons pendant la grève de décembre. La réponse des forces de sécurité du gouvernement fut de mettre l'usine en état de siège. Les ouvriers se mirent alors en grève et deux autres grandes usines de textile déclarèrent leur solidarité avec Mahalla, Ghazl Shebeen et Kafr el-Dawwar. La prise de position de cette dernière était particulièrement lucide :

"Nous, ouvriers du textile de Kafr el-Dawwar déclarons notre pleine solidarité avec vous, pour réaliser vos justes revendications, qui sont les même que les nôtres. Nous dénonçons fortement l'assaut des services de sécurité qui empêchent la délégation d'ouvriers (de Mahalla) d'aller au quartier général de la Fédération générale des syndicats au Caire. Nous condamnons aussi la prise de position de Said el-Gohary (1 ) à Al-Masry Al-Youm dimanche dernier, dans laquelle il décrit votre mouvement comme un ‘non-sens'. Nous suivons avec attention ce qui vous arrive, et déclarons notre solidarité avec la grève des ouvriers de la confection d'avant-hier, et avec la grève partielle dans l'usine de soie.

Nous voulons vous faire savoir que nous les ouvriers de Kafr el-Dawwar et vous ceux de Mahalla marchons dans la même voie, et que nous avons un ennemi. Nous soutenons votre mouvement, parce que nous avons les mêmes revendications. Depuis la fin de notre grève la première semaine de février, notre Comité syndical d'usine n'a rien fait pour réaliser les revendications à l'origine de notre grève. Notre Comité syndical d'usine a blessé nos intérêts... Nous exprimons notre soutien à votre revendication de réformer les salaires. Nous, comme vous, attendons la fin d'avril pour voir si le ministre du travail accédera à nos revendications ou non. Nous ne mettons pas beaucoup d'espoir dans le ministre même si nous n'avons pas vu de mouvement de sa part ou de celle du Comité syndical d'usine. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour réaliser nos revendications.

Aussi, nous insistons sur le fait que :

1. Nous sommes dans le même bateau que vous, et embarquerons ensemble pour le même voyage.

2. Nous déclarons notre pleine solidarité avec vos revendications et affirmons que nous sommes prêts pour une action de solidarité, si vous décidez d'une action dans l'industrie.

3. Nous allons informer les ouvriers de la soie artificielle, El-Beida Dyes et Misr Chemicals, de votre lutte, et créer des ponts pour élargir le front de solidarité. Tous les ouvriers sont frères aux temps de la lutte.

4. Nous devons créer un large front pour asseoir notre combat contre les syndicats du gouvernement. Nous devons renverser ces syndicats maintenant, pas demain" (Traduit du site internet Arabawy).

Ceci est une prise de position exemplaire parce qu'elle montre la base fondamentale de toute l'authentique solidarité de classe à travers les divisions créées par les syndicats et les entreprises - la conscience d'appartenir à la même classe et de combattre un même ennemi. Elle est aussi extrêmement claire sur le besoin de lutter contre les syndicats.

Des luttes ont aussi surgi ailleurs pendant cette période : les éboueurs de Giza saccageaient les bureaux de la compagnie pour protester contre le non-paiement de leurs salaires ; 2700 ouvriers du textile à Monofiya occupaient une usine de textile ; 4000 ouvriers du textile à Alexandrie se mettaient en grève pour une deuxième fois après que la direction ait tenté de déduire la paie de la dernière grève. Il s'agissait aussi de grèves illégales, non-officielles.

Il y eut également d'autres tentatives de briser le mouvement par la force. La police fermait ou menaçait de fermer le "Centre de services pour les syndicats et les ouvriers" de Nagas Hammadi, Helwan and Mahalla. Ces centres étaient accusés de fomenter "une culture des grèves".

L'existence de ces centres indique qu'il existe clairement des tentatives de construire des syndicats nouveaux. Inévi-tablement, dans un pays comme l'Egypte, où les ouvriers n'ont fait que l'expérience de syndicats qui agissent ouvertement en tant que police de boîte, les ouvriers les plus combatifs sont sensibles à l'idée que la réponse à leur problème tient dans la création de syndicats vraiment "indépendants", de la même façon que les ouvriers polonais en 1980-81. Mais ce qui ressort très clairement de la façon dont la grève a été organisée à Mahalla (à travers les mani-festations spontanées, les délégations massives et les assemblées générales aux portes de l'usine), c'est le fait que les ouvriers sont plus forts lorsqu'ils prennent directement les choses dans leurs propres mains au lieu de remettre leur pouvoir à un nouvel appareil syndical.

En Egypte, les germes de la grève de masse peut déjà se voir - pas seulement dans la capacité des ouvriers à l'action de masse spontanée, mais aussi dans le haut niveau de conscience exprimée dans la prise de position de Kafr el-Dawwar.

Il n'y a pas de lien conscient entre ces évènements et d'autres luttes dans différentes parties du Moyen-Orient subissant les divisions impérialistes : en Israël chez les dockers, les employés du service public et, plus récemment, chez les maîtres d'école en grève pour des augmentations de salaire, et chez les étudiants qui se sont affrontés à la police contre des augmentations des prix de l'enseignement ; en Iran où le Premier Mai des milliers d'ouvriers ont mis en désordre la manifestation gouvernementale officielle en criant des slogans anti-gouvernementaux ou ont pris part à des manifestations non-autorisées et se sont affrontés à une sévère répression policière. Mais la simultanéité de ces mouvements jaillit de la même source : la voie prise par le capital pour réduire la classe ouvrière à la pauvreté partout dans le monde. En ce sens, ils contiennent les germes de la future unité internationale du prolétariat au-delà du nationalisme, de la religion et de la guerre impérialiste.

Amos / 1.5.2007

1) Leader du syndicat des filatures et du textile, Said El-Gohary, accusait entre autres les ouvriers "d'être des terroristes voulant saboter la compagnie".

Géographique: 

  • Moyen Orient [3]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [4]

Massacres au Darfour: Les grandes puissances cherchent à cacher leur responsabilité

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«A l'image de ces cavaliers de l'Apocalypse, qui fondent à l'aube sur les villages rebelles en ne laissant de leur passage qu'une trace des cases brûlées, tout, dans ce conflit, est en clair-obscur. Combien de morts depuis quatre ans ? Dix mille selon les autorités soudanaises, quatre cents mille selon les ONG. Comment qualifier la tragédie du Darfour ? Guerre de contre-insurrection, dit-on à Khartoum ; crime de guerre, estime l'ONU ; crime contre l'Humanité, assure l'Union européenne ; premier génocide du XXIe siècle, renchérissent les  intellectuels occidentaux, auteurs récemment d'un appel à leurs gouvernements respectifs. Quelle solution pour y mettre un terme ? Désarmer les forces rebelles, assène le général-président Omar el-Béchir ; armer les forces rebelles rétorquent les intellectuels et les lobbies ; négocier et sanctionner le régime soudanais, soutient l'ONU...De ce maelström de passions, d'arrière-pensées, de manipulations et parfois d'irresponsabilités émergent cependant quelques certitudes.» (Jeune Afrique du 1er au 14 avril 2007).

En effet, il y a certitude sur les responsables de ces crimes : il s'agit  des grandes puissances impérialistes et de leurs bras armés locaux, le gouvernement de Khartoum et les rebelles. Ce sont ces brigands capitalistes (en particulier les Chinois et, alliés objectifs et de circonstance quand ils s'étripent ailleurs, les Américains et les Français) et leurs valets locaux qui ont commis et commettent impunément encore ces odieux massacres, qui sont des  « crimes contre l'humanité».

Que fait réellement la bourgeoisie face au « génocide » ?

«Face à cette chronique d'un désastre annoncé, l'Organisation des Nations unies (ONU) et l'Union africaine adoptent essentiellement des mesures symboliques et dilatoires. Depuis deux ans, une force interafricaine de sept mille cinq cents hommes, la Mission de l'Union africaine au Soudan (MUAS, en anglais African Union in Sudan ou AMIS) est déployée au Darfour. (...) Cette force s'est révélée parfaitement inefficace. En effet, ses effectifs sont trop faibles : il faudrait au moins trente mille hommes  pour couvrir les cinq cents mille kilomètres carrés du Darfour. En outre, la MUAS, sous-équipée, ne dispose que d'un mandat ridiculement restrictif : les soldats n'ont pas le droit d'effectuer de patrouilles offensives, ils doivent se limiter à « négocier» et se contentent, en fait, de recenser les tueries.(...) Les soldats africains, désolés, déclarent eux-mêmes en privé: «Nous ne servons à rien » (Le Monde diplomatique de mars 2007).

S'il en était encore besoin, ce propos illustre l'ignoble hypocrisie des puissances impérialistes qui gouvernent le monde, qui étalent au grand jour au Darfour leur vrai visage de cyniques  barbares capitalistes. Ces dirigeants qui votent des « résolutions de paix » et envoient, sous les couleurs de l'ONU, des soldats au Darfour dont la mission consiste, en fait, à « recenser les tueries» et non celle de les empêcher comme annoncé en tamtam. Mais qu'attendre de plus de l'ONU, ce repaire où se retrouvent  tous ces brigands, ces vautours immoraux qui se battent pour les restes d'une Afrique en putréfaction?

 Défilés médiatiques et ballets macabres au milieu des cadavres

Là, le masque tombe, mais le comble du cynisme, c'est quand les bourgeoisies des grandes puissances s'efforcent de camoufler leurs vraies responsabilités dans la tragédie du Darfour à coups de «pèlerinages » médiatiques  incessants au milieu des victimes agonisantes.

Pour mieux  étouffer toute réflexion et toute prise de conscience par rapport aux buts réels de leurs agissements au Darfour, les «grandes démocraties» organisent régulièrement des «safaris humanitaires» au Darfour et des meetings dans les métropoles en «soutien aux victimes du  génocide soudanais». En effet, dans le sillage des stars hollywoodiennes (comme George Clooney et compagnie), le 20 mars dernier, un meeting a été organisé à Paris  à l'initiative d'un collectif d'associations baptisé «Urgence Darfour», composé principalement de célébrités médiatiques (Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, Romain Goupil et autres représentants de lobbies nationaux «humanitaires ») se fixant «l'objectif de mettre le Darfour sur l'agenda  des présidentiables». Et effectivement ces derniers (Ségolène Royal, François Bayrou en tête) ont répondu à l'appel  en signant un texte qui préconise (entre autres mesures) l'intervention  des troupes françaises (en action au Tchad et en Centrafrique), pour faciliter la mise en place «de corridors humanitaires» au Darfour. Et en grands démagogues, les présidentiables en question ont voulu aller plus loin dans le cynisme: «D'une fermeté inédite en France, le document n'a pas empêché certains prétendants à l'Elysée d'aller plus loin, à l'instar de Ségolène Royal (Parti socialiste) et de François Bayrou (UDF) qui ont proposé de boycotter les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 pour faire pression sur la Chine, présentée comme le principal soutien de Khartoum au Conseil de sécurité des Nations unies.» (Jeune Afrique)

Quels hypocrites, quels mystificateurs sans scrupule, cette classe bourgeoise française ou américaine ! Bref, ces défenseurs déguisés des intérêts de leur propre impérialisme, qui font comme si la France n'était pas déjà impliquée en tant qu'alliée puis aujourd'hui, par son soutien au régime tchadien, adversaire du régime soudanais «génocidaire». D'ailleurs, c'est bien le sens de l'appel des lobbies «politico-humanitaires» en préconisant ouvertement l'intervention de l'armée tricolore pour ouvrir prétendument «un corridor humanitaire» dans la zone des combats. Et ce n'est pas par hasard si la Chine est  nommément dénoncée comme le «principal soutien» de Khartoum, car: «Loin derrière les Etats -Unis et la Chine, la France se démène dans l'ombre pour aider ses clients locaux régionaux que le régime  soudanais menace. Paris a longtemps protégé Khartoum de l'hostilité « anglo-saxonne », mais cela ne lui a guère valu de gratitude de la part du régime islamique. Les permis pétroliers de Total dans le sud du Soudan demeurent toujours bloqués par des arguties juridiques, et les miliciens du régime s'emploient à déstabiliser, à partir du Darfour, les alliés de la France : le président tchadien Idriss Déby Itno et son homologue centrafricain François Bozizé» (Le Monde diplomatique de mars 2007).

Et pour finir, certains secteurs de la bourgeoisie française se demandent carrément si, en équipant les  milices à la solde de Khartoum  qui sont parvenues jusque dans les faubourgs de N'Djamena, Pékin ne chercherait pas à renverser les régimes pro-français en place dans la zone de l'Afrique centrale. Et, effectivement, Pékin est aujourd'hui le premier fournisseur d'armes et le premier acheteur du pétrole soudanais. On voit là pourquoi la Chine ne veut pas voir appliquer une telle résolution qui ne «respecte pas la souveraineté nationale soudanaise» dont elle se contrefiche.

Voilà un élément supplémentaire d'inquiétude pour l'impérialisme français, qui explique le but véritable des mobilisations « médiatiques et humanitaires » contre les autres impérialismes  concurrents, la Chine et les Etats-Unis. Il est vrai que ces derniers ne sont pas en reste et excellent aussi dans le cynisme outrancier. Ainsi, Bush a donné, le 18 avril dernier, «une dernière chance au gouvernement soudanais de tenir très vite ses engagements pour mettre fin  au ‘génocide' au Darfour».

Dans les faits, on sait que, tout en fermant les yeux sur les atrocités des cliques sanguinaires, Washington ménage Khartoum, son partenaire dévoué dans la  «lutte antiterroriste». En clair, ce ne sont là que des manœuvres pour tendre la main à une alliance renforcée avec le Soudan tout en ayant l'air de le menacer. Au bout du compte, ce qui se cache derrière les discours et les actions de «paix» et  autres «corridors humanitaires» pour  le Darfour, ce sont en réalité de sordides luttes de charognards capitalistes au milieu  des cadavres qui s'accumulent infiniment.

Amina/23.04.2007

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  • Afrique [5]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [6]

Massacres au LIban: Les populations toujours otages des affrontements impérialistes

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Depuis bientôt une quinzaine de jours, des combats d'une violence chaque jour plus exacerbée ont éclaté dans le nord du Liban. Officiellement, on dénombre plus de 90 morts, parmi les soldats libanais et les combattants du Fatah al-Islam, mais aussi dans la population civile palestinienne du camp de Nahr al-Bared, l'un des douze que compte le pays et dans lesquels survivent 400 000 Palestiniens, "réfugiés" de la guerre israélo-arabe de 1969 ! Sur les 31 000 personnes de ce camp, 26 000 ont fui les affrontements, certains pour s'entasser dans le camp voisin de Baddaoui, d'autres dans une errance incertaine, passant de la misère et de la soumission aux lois maffieuses opérés par les groupes palestiniens qui les "protègent" à l'état de bêtes parquées ici et là sous la surveillance de la Croix Rouge et de l'ONU. Pour les 5000 Palestiniens restants, c'est purement et simplement l'horreur. Pris sous le feu croisé des forces libanaises qui encerclent et mitraillent ou bombardent à coups de missiles le camp, et de celles du Fatah al-Islam qui s'en servent de boucliers humains, hommes, femmes, enfants sont étranglés dans une terrible souricière.

Ce sont la décision de l'ONU de constituer un tribunal "à caractère international" chargé de juger les assassins de Rafic Hariri et la perspective d'élections présidentielles au Liban qui ont été les éléments déclencheurs de cet engrenage dans une violence jamais vue depuis le début des années 1970, au plus fort de la Guerre froide. Evidemment, la Syrie est particulièrement visée. L'apparition récente du groupe Hamas al-Islam, scission apparentée à Al-Qaïda d'un groupe pro-syrien, le Hamas Intifada, lui-même issu du vieux FPLP de George Habache opposé à Yasser Arafat et basé à Damas, ne peut que jeter la suspicion sur le rôle de l'Etat syrien dans la situation actuelle. Et cela d'autant que ce groupuscule ne présente aucune revendication palestinienne. De plus, le refus radical de création de ce tribunal par la Syrie, qu'elle rejette d'autant plus violemment que des responsables syriens ont été officiellement mis en cause, vient montrer à nouveau du doigt son implication dans le meurtre d'Hariri. Souvenons-nous que l'assassinat du dirigeant libanais en 2005 avait eu pour conséquence le départ des forces syriennes du Golan que revendique historiquement la Syrie et qui est une pomme de discorde permanente dans les relations entre Damas et Beyrouth.

Bien sûr, la "communauté internationale" s'émeut d'une telle situation, dans un pays qui compte 4500 casques bleus, cette "armée internationale de la paix", c'est-à-dire la plus grande concentration des forces de l'ONU au monde. Et ce sont la France et les Etats-Unis, pour cette fois apparemment sur la même longueur d'onde, qui ont été les plus prompts à proposer leurs bons offices. "Le gouvernement libanais fait ce qu'il a besoin de faire pour combattre un groupe terroriste très dangereux et pour rétablir la loi et l'ordre dans le pays", entendait-on à Washington le 25 mai. Et dans la même foulée, six avions-cargos américains bourrés d'armes et de munitions arrivaient donc au Liban afin de "soutenir" l'action de l'armée de Beyrouth.

Dans sa visite de "solidarité" au Liban, l'indispensable "french doctor" Kouchner, intangible amoureux des caméras, déclarait quant à lui que "la politique française [était] inchangée" et proposait sans réserve la fourniture d'équipements et d'armements militaires, bien sûr "humanitaires", au gouvernement libanais.

C'est clair, ces deux requins impérialistes ne font qu'attiser les affrontements guerriers et y participent même directement. La France et les Etats-Unis sont en effet directement intéressés à intervenir dans la situation au Liban.

Pour les Etats-Unis, qui avaient laissé le Golan à la Syrie au début des années 1990 pour lui rétribuer sa collaboration avec Washington tout en coupant le pied aux velléités impérialistes françaises au Liban, il s'agit de faire payer à la Syrie son soutien aux forces sunnites pro-irakiennes et aux terroristes d'Al-Qaïda qui sont stationnés et soutenus par la Syrie depuis l'invasion américaine en Irak. Aussi, la Maison Blanche ne va pas lésiner sur les moyens offerts à Beyrouth pour taper fort contre l'incursion effectuée par la Syrie à travers le Fath al-Islam.

Pour la France, dont les intérêts au Moyen-Orient sont toujours principalement passés par le Liban, il s'agit de tenter par tous les moyens de faire un retour dans le pays. Après le départ forcé en 1992 du général pro-français Michel Aoun, que les Etats-Unis avaient contraint de partir pour mieux permettre à la Syrie de s'installer dans le Golan et aux rênes de l'Etat libanais via des hommes dévoués à sa cause, l'Etat français n'a cessé de faire des pieds et des mains pour rétablir son influence dans la région.

Aussi, il n'est nullement question de voir une alliance entre l'Amérique et la France en vue d'instaurer la paix au Liban comme dans l'ensemble de la région. Tout au contraire, c'est une véritable concurrence impérialiste qui anime leurs intentions, concurrence qui n'augure strictement rien d'autre que de nouveaux affrontements et une nouvelle accélération des conflits guerriers dans cette zone du monde.

Leurs discours mensongers voudraient nous faire croire qu'un objectif commun les pousserait à régler la question. Loin s'en faut. S'ils ont le même intérêt à voir la Syrie et les terroristes du Hamas al-Islam reprendre leurs billes du Liban et déguerpir, il n'en va pas de même pour le Liban qui restera un enjeu d'importance pour ces deux concurrents impérialistes au Moyen-Orient. Pour les Etats-Unis, la stabilisation du Liban leur permet de contrôler la Syrie et de maintenir la pression sur ce pays qui est une base arrière des forces anti-américaines en Irak. Pour la France, c'est à la fois la question de continuer à prétendre au statut de puissance impérialiste mondiale "qui compte" dans la question moyen-orientale et aussi de continuer à détenir un appui dans cette région pour saboter la politique militaire et stratégique des Etats-Unis, que ce soit en Irak comme dans l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient.

La poudrière que constitue le Proche et le Moyen-Orient n'est pas prête de s'éteindre. Les évènements au Liban ont leur pendant dans les territoires occupés de la Bande de Gaza que pilonne l'armée israélienne depuis des semaines. Et l'on retrouve les mêmes protagonistes des pays développés, bons samaritains toujours prêts comme le "Quartette pour la paix au Proche-Orient" (Union européenne, Etats-Unis, Nations unies et Russie) qui appelle en vain à l'arrêt des violences entre Israël et le Hamas dans la Bande de Gaza, comme celles entre le Hamas et le Fatah dans le Nord du Liban.

La véracité des déclarations de bonnes intentions de tous ceux qui gouvernent le monde est à mesurer à l'aune de ce qu'ils font subir partout aux populations et à la classe ouvrière : misère, sueur et sang. C'est le seul langage de la bourgeoisie, c'est le langage du capitalisme.

Mulan / 2.06.2007

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  • Moyen Orient [3]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [7]

Moderne ou rénovée, la social-démocratie reste tachée du sang de la classe ouvrière

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Pendant la campagne électorale tout comme aujourd'hui, prêts à passer dans l'opposition, les partis socialistes se prétendent en pleine "rénovation" pour se présenter plus que jamais comme les "défenseurs attitrés des salariés et des progressistes", comme ceux qui veulent "donner une voix aux prolétaires de ce pays". Et pour ceux qui auraient des doutes sur leur rôle et rappellent que depuis 1987, soit depuis 20 ans, ils sont de tous les gouvernements - de Dehaene à Verhofstadt - et de toutes les mesures d'austérité, les socialistes assènent l'argument ultime : le « lien historique », qui les lierait aux travailleurs et à leurs revendications.

S'il y a effectivement eu un rapport historique entre la social-démocratie et le mouvement ouvrier, ce rapport a cependant volé en éclats il y a près d'un siècle, dans une rupture définitive en forme d'aller sans retour, au cours de la Première Guerre mondiale. Et depuis, à la tête de l'Etat bourgeois comme dans son rôle "d'opposition démocratique", le curriculum vitae de la social-démocratie n'a cessé de se remplir de nouveaux faits d'armes, faisant ainsi la preuve de son attachement viscéral au camp bourgeois.

1914: la trahison comme premier pas sur le chemin bourgeois

La social-démocratie voit le jour en Allemagne avec la fondation en 1875 du SPD (Sozialistische Partei Deutschlands). Très rapidement, ce premier parti de masse de l'histoire va constituer le phare théorique et politique du mouvement ouvrier, même après la fondation de la deuxième Internationale, en 1889. Cependant, la gangrène opportuniste commence très tôt son funeste travail et l'Histoire place le SPD en 1914 devant le choix radical entre d'une part l'internationalisme prolétarien qu'il défendait encore un an avant le conflit, et le soutien à l'effort national en vue de la préparation à la guerre. Si le combat interne fut rude, il aboutira à la trahison de l'internationalisme par le vote de la majorité du SPD en faveur des crédits de guerre au parlement le 4 août 1914.

En Belgique, le Parti Ouvrier Belge de E. Vandervelde est très vite dominé par le réformisme (cf., nos articles sur l'histoire du POB dans Internationalisme 324 à 327). Il se rallie rapidement à la politique de défense nationale et engage les ouvriers belges à tirer sur les ouvriers allemands.

Laissant peu de répit à ses nouvelles recrues, la bourgeoisie ne tarde pas à placer des sociaux-démocrates dans les gouvernements, histoire de parfaire la trahison et de renforcer le profond désarroi que provoquent ces brutales volte-face des principaux partis européens. Plusieurs dirigeants social-démocrates accèdent à des maroquins ministériels, et pas n'importe lesquels : en Allemagne, G. Noske, futur boucher de la révolution allemande en 1919, est nommé... ministre de la guerre ; en Belgique, E. Vandervelde, le ténor du POB, est nommé ministre d'Etat dans le gouvernement de guerre et, avec E. Anseele, ministre à partir de 1916, montera au front pour exhorter le patriotisme quelque peu défaillant après de longues années de carnage sans fin, et pour faire la chasse aux déserteurs et aux ouvriers internationalistes. Ainsi, la social-démocratie n'aura pas mis longtemps à appliquer sur le terrain les principes ayant présidé à sa trahison en livrant le prolétariat à la première boucherie impérialiste.

Parallèlement à la guerre qui tire à sa fin, la bourgeoisie internationale doit gérer la première vague révolutionnaire mondiale dont un poste avancé campe en Allemagne. Face au soulèvement ouvrier, le social-démocrate, F. Ebert est promu à la présidence de la République, afin d'organiser la répression sanglante de la révolution allemande et est responsable de l'assassinat des révolutionnaires R. Luxemburg et K. Liebknecht, tâche abjecte perpétrée par les corps francs. En Belgique, E. Vandervelde condamne les ouvriers révolutionnaires de Russie et soutient ouvertement Kerenski et la contre-révolution. En 1918, le POB interdit aux ouvriers belges de se solidariser avec les conseils de soldats à Bruxelles et en 1919, il se solidarise avec la répression orchestrée par la social-démocratie contre les ouvriers insurgés à Berlin. Et, alors que les travailleurs se faisaient encore massacrer au front, les socialistes (tels J. Wauters) discutaient sous le couvert du Comité National de Secours Alimentaire à Bruxelles avec le banquier E. Francqui, l'industriel E. Solvay ou le libéral P. E. Janson de la préparation d'un gouvernement d'union nationale, chargé d'imposer aux travailleurs une exploitation féroce pour « relever l'économie nationale » tout en faisant quelques concessions (comme par exemple le suffrage universel) pour éviter la contagion des mouvements révolutionnaires en Russie et en Allemagne, sans toucher toutefois aux privilèges fondamentaux de la bourgeoisie.

Années 1930: mobiliser à travers le nationalisme pour la guerre

Sitôt la classe ouvrière vaincue, la bourgeoisie se confronte, dans les années 1930, à une crise économique telle que la perspective d'un second conflit impérialiste généralisé devient inévitable. En Allemagne, le délitement économique et social phénoménal et la situation d'écrasement physique et idéologique du prolétariat permettent la mise en place d'une solution dictatoriale. Mais en Belgique comme en France d'ailleurs, c'est de nouveau la social-démocratie qui est mise à contribution pour préparer le terrain d'une prochaine guerre mondiale.

Dans la mise en place d'une économie de guerre, la classe dominante cherche dès le début des années 1930 à soumettre le prolétariat aux conditions intensives de travail nécessitées par la préparation de cette guerre. Les socialistes jouent dans ce cadre un rôle central dans les pays ‘démocratiques'. Ainsi, à son congrès de 1933, le POB adopte le ‘Plan du Travail' de H. De Man, qui prétendait lutter contre les effets désastreux de la crise par une série de ‘réformes de structures' visant à restreindre la toute-puissance du capital financier, dont ‘l'égoïsme' est présenté comme seul responsable de la crise, et à permettre la prise en mains par l'Etat bourgeois de tous les organismes de crédit. Il appelle à une attitude plus dirigiste de l'Etat envers l'ensemble de l'économie et au renforcement du pouvoir exécutif afin de garantir la stabilité sociale. Ce plan faisait en fait passer les leviers de l'économie entre les mains de l'Etat, ce soi-disant représentant du bien collectif, au-dessus des classes et des intérêts particuliers. En fin de compte, ces mesures ne diffèrent que par leur vernis idéologique des mesures économiques mises en oeuvre dans les années 1930 par l'URSS stalinienne, l'Italie fasciste (dont De Man s'inspire d'ailleurs) ou par l'Allemagne nazie. Cette similitude n'est ni un hasard ni un accident : c'est la manifestation flagrante que toute la bourgeoisie, « totalitaire » comme « démocratique », confrontée à une crise généralisée de son système, s'engage dans la seule voie possible pour elle, la guerre.

A la veille de la seconde guerre mondiale, les partis socialistes sont au premier rang pour mobiliser les travailleurs en vue de la nouvelle boucherie qui se prépare. En France en mai 1936, le Front Populaire emporte les législatives et conduit L. Blum à la Présidence du Conseil. Composé des radicaux de gauche et des socialistes de la SFIO, avec le plein soutien significatif des staliniens du PCF, il va construire sa politique autour de l'anti-fascisme et, partant de là, de la préparation à la guerre. En enfermant progressivement la classe ouvrière dans l'idéologie démocratique et nationaliste, il va d'abord agiter devant les ouvriers en grève le "danger fasciste" qui n'attend qu'un "affaiblissement de la nation française" pour "déferler sur le pays". Même les augmentations de salaires, les congés payés et autres "avantages" accordés lors des grèves de 1936 n'étaient nullement concédés pour améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière mais pour masquer, accompagner et rendre possible l'intensification du travail nécessitée par le développement de l'économie de guerre. Léon Blum lui-même confirme les objectifs de cette ‘politique sociale' lors du procès de Riom, fantaisie vichyste destinée à faire porter la responsabilité de la défaite de 1940 sur le gouvernement social-démocrate : "Ne croyez-vous pas que cette condition morale et physique de l'ouvrier, toute notre législation sociale était de nature à l'améliorer : la journée plus courte, les loisirs, les congés payés, le sentiment d'une dignité, d'une égalité conquise, tout cela était, devait être, un des éléments qui peuvent porter au maximum le rendement horaire tiré de la machine par l'ouvrier".

Si c'est au nom de l'antifascisme que la social-démocratie appelle les ouvriers à massacrer leurs camarades d'autres pays, son discours n'est sur le fond pas toujours fort différent de celui des fascistes ou des staliniens. En témoigne l'interview que P. H . Spaak, la coqueluche de la gauche du POB à cette époque, accorde au quotidien l'Indépendance Belge et où il souligne le caractère national du socialisme belge qui ne peut se limiter aux intérêts de la classe ouvrière mais doit s'identifier à l'intérêt national. C'est dans cette logique que les socialistes avec Spaak participent au gouvernement en exil à Londres pendant la guerre, qu'ils seront au gouvernement après la guerre pour calmer l'agitation sociale et mobiliser les ouvriers ... pour la reconstruction, et enfin qu'ils seront parmi les plus ardents défenseurs de l'OTAN, l'organisation politico-militaire du bloc américain, dont Spaak deviendra d'ailleurs le secrétaire général.

La Social-Démocratie moderne, digne de ses prédécesseurs

Les deux premières expériences de la social-démocratie au pouvoir offrent donc un bilan sans appel : écrasement du prolétariat révolutionnaire dans le sang, et enrôlement dans la préparation de la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, de nombreux exemples montrent comment la social-démocratie "moderne", au pouvoir comme dans l'opposition, continue son sale boulot contre la classe ouvrière. Evoquons simplement les exemples français et belge.

Après la "grève générale" de 1968 en France, F. Mitterrand prend la tête d'un PS "d'union de la gauche" au congrès d'Epinay-sur-seine de 1971, avec un mandat : conclure un accord de gouvernement avec le PCF. Le ton est donné par Mitterrand dans son discours : il y parle de "révolution", de "rupture anti-capitaliste" et de "front de classe". Pendant toutes les années 1970, cette social-démocratie moderne incarnée par le PS de Mitterrand va fourbir ses armes dans l'opposition. Loin d'être passive, cette opposition va permettre au PS d'apporter une contribution fondamentale à la bour-geoisie, en encadrant la colère ouvrière provoquée par les attaques de la droite, en se présentant comme une alternative crédible pour accéder au pouvoir, entretenant ainsi l'illusion démocratique et parlementaire dans les rangs ouvriers.

En 1981, Mitterrand est élu président, et le moment semble venu de concrétiser cette "rupture anti-capitaliste" tant scandée au congrès d'Epinay. L'illusion ne durera pas longtemps. Après une petite année "de grâce", le programme d'austérité établi dès 1982 par le premier ministre P. Mauroy fait tomber les masques : fin de l'indexation des salaires sur les prix alors même que depuis 1981 l'inflation ne pouvait être contenue, restructurations dans les grandes entreprises entraînant la suppression de centaines de milliers d'emplois dans tous les grands secteurs d'activité, développement du travail précaire avec l'invention des premiers contrats précaires publics. Au final, le chômage se développera sans cesse pendant ces années, alors même que son indemnisation sera toujours plus réduite.

Le deuxième septennat de Mitterrand est du même tonneau : renforcement du flicage de la société, développement de la chasse aux immigrés clandestins, premières réflexions sur la réforme des retraites, réduction encore de l'indemnisation du chômage. Mais, le tableau de l'œuvre social-démocrate ne serait pas complet si nous n'évoquions l'une des plus grandes attaques portées contre la classe ouvrière depuis la fin de la deuxième guerre mondiale : les 35 heures. Cette loi portée par M. Aubry, ministre de l'emploi du premier ministre L. Jospin, a touché l'ensemble de la classe ouvrière en introduisant un maximum de flexibilité dans l'exploitation, tout en contribuant à bloquer les salaires.

Le rôle du parti socialiste en Belgique, rebaptisé PSB, puis scindé en un PS francophone et un SPa néerlandophone, n'est guère différent. Lors des grandes grèves de 1960-61 en Belgique, directions du parti et des syndicats affirment : « Nous avons par tous les moyens essayé de ... limiter la grève à un seul secteur » (L. Major), et ceci pour ensuite diviser et enfermer le mouvement dans le régionalisme. Lors de la grève dans les mines du Limbourg en 1966, le ministre socialiste de l'intérieur, A. Vranckx, fait tirer sur les grévistes. Et ils seront en pointe dans toutes les rationalisations, les programmes d'austérité : les noms de Claes, Mathot, Tobback, Spitaels, Di Rupo ou Vande Lanotte sont associés aux restructurations de la sidérurgie dans les années 1970, à la fermeture des mines du Limbourg en 1987, la rationalisation de la SNCB et de la poste dans les années 1990, l'austérité imposée aux employés communaux de Liège ou Anvers, au plans d'austérité pour rentrer dans l'Euro du gouvernement Dehaene dans les années 1990 tout comme au pacte des générations, imposé par le gouvernement Verhofstadt en 2005.

Voilà donc ce que représente cette social-démocratie qu'on nous dit "pleine d'avenir" ! Sa "nouvelle façon de faire de la politique" n'est tout au plus qu'une grossière mystification consistant à faire oublier ses actes passés. Dans ce sens, les menaces récentes de Vandenbroucke ou Onckelinx contre les chômeurs ne sont nullement des expressions malencontreuses ou des cas isolés. La social-démocratie, depuis sa trahison de l'internationalisme en 1914, n'a plus aucun lien avec le mouvement ouvrier. Systématiquement, depuis 90 ans, les partis socialistes sont les fossoyeurs des intérêts ouvriers. Au pouvoir comme dans l'opposition, ils n'auront fait que servir les intérêts de leur classe et de l'Etat, sans hésiter, quand il le faut, à y mettre eux-mêmes les mains, quitte à les enduire du sang de la classe ouvrière.

Jos / 01.06.07

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Les soi-disant partis "ouvriers" [8]

Réunion publique du CCI à Anvers: Quelle attitude par rapport à la guerre impérialiste?

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Quelle attitude par rapport à la guerre? Les nombreux articles, discussions sur Internet et dans les cercles de discussion, les explications divergentes et la foule hétérogène de manifestants anti-guerre témoignent que nombreux sont ceux aujourd'hui qui se posent cette question et sont à la recherche de réponses appropriées. Dans cette recherche, on veut trouver le lien entre les guerres et leurs causes afin d'en dénoncer les responsables et conjurer la guerre. Mais comment appeler à l'arrêt de l'hystérie guerrière, avec qui et contre qui?

Le CCI affirme, comme d'autres groupes de plus en plus nombreux, qu'il faut dénoncer ces guerres d'un point de vue internationaliste: il ne faut choisir aucun camp entre la peste et le choléra, entre les parties belligérantes. Toutes aujourd'hui, aussi petites soient-elles, défendent des intérêts impérialistes, toutes sont des pions sur l'échiquier du capitalisme moribond. Ce n'est qu'en détruisant le capitalisme qu'on pourra bannir une fois pour toutes la guerre impérialiste.

A l'occasion d'une discussion entre des jeunes autour de la manifestation anti-guerre d'il y a quelques semaines, dirigée contre l'invasion américaine de l'Irak, le CCI a tenu récemment une réunion publique à Anvers sur ce thème. Nous y avions invité les jeunes en question, et notre introduction est partie de leurs questionnements. Dans ce bref article, nous citons les principaux passages de l'appel d'un entre eux, suivi de la réaction d'un autre jeune. Ensuite, nous traitons des thèmes qui ont été abordés dans la large discussion au cours de cette réunion.

Appel:

Dimanche prochain, il y a la manifestation pacifiste classique (une sorte de commémoration de l'invasion illégale des USA en Irak. Déjà il faut se poser la question si une invasion peut être légale). On pourrait dire que cette manifestation ne sert à rien. Et on aurait probablement raison, mais c'est simplement un devoir démocratique de descendre dans la rue contre les malhonnêtetés dans le monde. Ce sont les luttes d'émancipation et les manifestations en leur faveur (...) qui ont changé positivement le monde (et aucunement les invasions en Irak, en Afghanistan ou en Somalie). Le Liban a été détruit, et même si Israël a perdu, c'est la population du Liban aussi bien que d'Israël qui paie les pots cassés des appétits impérialistes. Aussi

la situation en Afghanistan ne s'est en rien améliorée après l'invasion américaine. Les Talibans ont été simplement écartés pour le moment, même si Oussama Ben Laden n'a jamais été retrouvé (?). Aujourd'hui, les Talibans contrôlent à nouveau des parties entières de l'Afghanistan, et la culture de l'opium est la seule source de revenus pour un pays détruit par le monde. Rien d'étonnant à ce que la population se tourne vers l'extrémisme.

C'est notre tâche, en tant que jeunes, de ne pas hypocritement se limiter à une nostalgie pour mai 68, mais d'offrir une résistance mondiale contre les violences guerrières qui plongent le monde dans une crise sociale et écologique. Que tu sois écolo, social-démocrate, libéral, socialiste, communiste, anarchiste ou seulement toi-même, le monde a maintenant besoin de toi. (...). Un autre monde est possible!

Toute discussion sur le contenu du mail et la manifestation est la bienvenue.

Réaction:

Cet appel à protester ensemble contre la guerre au Moyen-Orient est sincère/honnête/sérieux! Je soutiens cet appel, et j'irai moi-même à la manifestation!

Deux remarques:

-Nous devons certes être très critiques envers les partis et organisations politiques qui vont participer à la manifestation, parce que ceux-ci ne sont pas forcément contre la guerre et la misère sociale dans la région, mais défendent souvent leurs propres intérêts économiques, impérialistes, militaires, politiques et stratégiques. Car qui soutient, finance, arme les organisations terroristes dans ces pays, organisations qui en fait sont relativement petites comparées à l'armée US? Car il est par exemple connu que les USA ont eux-mêmes entraîné les Talibans pour combattre le bloc russe pendant la période de Guerre Froide. Il est connu que la France et la Belgique ont joué un rôle important dans l'armement des milices au Rwanda. Alors, d'où les terroristes actuels tirent-ils leur force? Quelles puissances se tiennent derrière ces groupes? Celles qui défendent (à mots couverts) les organisations terroristes, parce que ce serait soi-disant des «combattants de la liberté», parce qu'elles sont les faibles face aux puissants Etats-Unis, participent de fait à la guerre. Les terroristes sont et restent des assassins à grande échelle, ils alimentent le chaos inhumain qui règne aujourd'hui au Moyen-Orient! Quel camp défendent ces avocats des terroristes?

- La guerre du Golfe en 1991avait été approuvée par l'ONU et était donc «légale», mais cela ne justifie nullement les centaines de milliers de morts. Même si cette guerre était «légale», même si l'Irak avait détenu des armes nucléaires (les USA, la France, Israël, l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, le Royaume-Uni...en possèdent d'ailleurs aussi, non!), je ne vois toujours pas ce qu'il y a à soutenir dans cette guerre.

Voilà matière à discussion.

Contre la guerre! Contre le terrorisme! Contre tout nationalisme!

Pour la Paix! Pour l'internationalisme!

 

Après une courte présentation des grandes lignes de ces contributions, une large discussion s'est développée, principalement autour des thèmes suivants:

- La guerre est-elle le produit d'une mauvaise nature des dirigeants? Le capitalisme est un système inhumain, et ne peut donc produire que des dirigeants inhumains qui le défendront aux dépens de tout le monde. Le système est en effet basé sur la recherche du profit et l'exploitation de la classe ouvrière. Les heurts impérialistes sanglants entre nations concurrentes pour des intérêts économiques et stratégiques sont la réponse inévitable de tous ceux qui ont le pouvoir;

- Quelles sont les véritables causes des guerres actuelles?

Cette question était directement liée à la précédente, puisque les guerres capitalistes se développent sur le terreau de la guerre commerciale sans merci dans un marché mondial sursaturé. Depuis le début de la période de décadence, tous les pays, grands ou petits, sont devenus impérialistes, car la planète entière est couverte par le capitalisme et qu'ils veulent s'arracher des marchés et matières premières. Du fait de cette crise économique, avec tous ses drames humains et sa misère, qui se prolonge en s'aggravant, les conflits continuent et de nouveaux éclatent sans cesse. Dans la période historique actuelle, ils dégénèrent de plus en plus dans des confrontations purement stratégiques entre états impérialistes;

- Pourquoi les USA ont-ils envahi l'Irak? Pour le pétrole ou par intérêt stratégique? L'invasion en Irak et la guerre dans les Balkans et en Afghanistan montrent concrètement et très clairement ce qui était discuté ci-dessus, et que dans la période actuelle, les guerres ont perdu toute rationalité. Où restent les profits pour les pays qui ont pris part à ces guerres? Dans l'actuelle période de décadence et de décomposition du capitalisme, il ne s'agit surtout que d'intérêts stratégiques, quitte à couper l'herbe sous les pieds des concurrents sans en retirer de profit immédiat;

- Pourquoi n'existe-t-il actuellement pas de blocs impérialistes, comme à l'époque de la première et la seconde guerre mondiale, et comme durant toute la période de la Guerre Froide? Il est vrai qu'il n'y a actuellement aucune menace directe de guerre mondiale, pour laquelle des blocs se seraient formés, mais c'est une conséquence du fait que nous vivons dans une période où ni la bourgeoisie (avec une guerre mondiale), ni la classe ouvrière (avec la révolution mondiale) ne réussit à imposer sa réponse aux problèmes. Nous sommes dans une espèce d'impasse que le CCI appelle la phase de décomposition du capitalisme, au cours de laquelle la société capitaliste pourrit sur pied. Dans cette période, la perspective de la révolution peut même s'enliser si la classe ouvrière n'engage pas consciemment la lutte pour sa propre perspective d'émancipation.

Dans une deuxième partie de la discussion sur les moyens de mettre un terme à la spirale guerrière, et par qui, ce sont surtout les thèmes suivants qui ont été à l'ordre du jour:

- Le pacifisme peut-il mettre fin à la guerre? L'histoire a clairement démontré qu'aucune action ou manifestation pacifiste n'a contribué à prévenir ou à arrêter la guerre. Ni les désertions, ni les actes de sabotage, ni les trois millions de manifestants en Grande-Bretagne n'ont empêché Blair et consorts d'attaquer l'Irak en compagnie des USA. Les exemples des manifestations sans résultat avant la première guerre mondiale, des tonnes de pétition avant la seconde ont été cités. Par contre, lorsque la classe ouvrière s'est mise en mouvement, la guerre s'est arrêtée, par exemple lors de la vague révolutionnaire de 1917-23. Si la classe ouvrière ne se pose pas comme une alternative, chaque guerre est menée jusqu'à la pire des fins, comme l'illustre la seconde guerre mondiale avec la destruction totale de l'Allemagne et du Japon, ou comme en Afghanistan et en Irak aujourd'hui;

- Pourquoi plus de gens ne se lèvent-ils pas alors que c'est aussi important pour la survie de l'humanité? La classe ouvrière et la bourgeoisie sont-elles tellement différentes par rapport à la guerre? C'est en effet la question-clé, liée à la compréhension qu'aucune partie de la bourgeoisie, aussi "humaine" ou bien intentionnée qu'elle soit, ne peut dépasser le niveau de la compassion vis-à-vis des victimes de guerres. Comme fraction de la classe capitaliste, elle doit défendre le profit et le maintien du capitalisme, et cela signifie inévitablement maintenir la pression sur la concurrence, engager la confrontation armée avec d'autres nations. La classe ouvrière, de son côté, n'est pas seulement victime de ces guerres; du fait de sa nature collective comme classe qui n'a aucun intérêt spécifique à la survie de ce système, sa résistance porte en elle l'alternative d'une autre société, basée sur les besoins humains. Seule la lutte de classe internationale peut mettre fin à la menace permanente de guerre de la part de toutes les puissances impérialistes qui plane sur l'humanité. La guerre ne peut être arrêtée que par la destruction du système capitaliste!

C'est sur cette perspective que la discussion, bien que loin d'être épuisée, a du être momentanément arrêtée.

Lac & K.Stof

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