La campagne électorale officielle pour les présidentielles en France ne commence que le 19 mars alors que depuis des mois tous les médias mettent le paquet et nous bourrent quotidiennement le crâne pour nous pousser vers les urnes, tentent de nous polariser sur de prétendus enjeux de société dont dépendrait ce "choix" pour l'avenir, à coups de shows télévisés, d'interviews, de débats, de commentaires, de sondages, de pronostics. La chaîne TF1 se félicite déjà de programmer huit fois plus de temps d'antenne pour ces élections qu'en 2002. Le dernier chic des candidats pour appâter le futur électeur, c'est de conclure un "pacte" avec les Français. La mode a été lancée par Nicolas Hulot avec son "pacte écologique", Sarkozy lui a emboîté le pas avec son "pacte républicain". Et voilà Ségolène Royal qui y va de son "pacte présidentiel". La montée en puissance de cette propagande s'est traduite ces dernières semaines par de spectaculaires "rebondissements" censés nous tenir en haleine : il y a eu "l'effet Ségolène", puis "l'effet Sarko", suivi de "l'effet Bayrou" dans les sondages. Sans oublier l'épouvantail Le Pen qui reste à l'affût… Et celui qui caracole en tête peut dégringoler du jour au lendemain, au gré des manipulations médiatiques de "l'opinion publique", maintenant intact cet "insoutenable suspense" à double détente : qui sera présent au second tour ? Qui sera le prochain président (ou la présidente) ? On voit ainsi Sarkozy se lancer dans des promesses sociales, Bayrou se présenter comme un "homme de gauche". Quant à l'ineffable Madame Royal, égérie de la "modernité", de l'écoute des aspirations populaires via ses "débats participatifs", qui ambitionne de devenir la première présidente de la République de l'histoire de France, après avoir martelé la nécessité de bousculer les conventions, elle finit par s'entourer de son pack d'éléphants du PS au grand complet, alors que la plupart d'entre eux, de DSK à Fabius en passant par Jospin, étaient naguère ses pires concurrents.
Et tous les candidats nous inondent de belles promesses. Alors qu'une flopée de "petits candidats" sont en chasse de parrainages, chacun des "grands", la main sur le cœur, se dit prêt à nous choyer (mais, attention, "sans tomber dans l'assistanat"), à nous sortir du marasme économique par le dynamisme de ses propositions, à nous donner un toit, à nous procurer du travail, à mieux nous payer, à mieux assurer notre protection et notre éducation. Le rêve ! Dans ce domaine, la candidate du PS n'hésite pas à faire de la surenchère, depuis son discours programme de Villepinte du 11 février, lançant les "100 propositions" de son pacte présidentiel, issu de ses 5000 débats de la "démocratie participative" jusqu'à sa prestation à l'émission de TF1 "J'ai une question à vous poser". Personne n'est oublié dans la distribution : du travail pour tous, hausse des salaires et du pouvoir d'achat, revalorisation des "petites retraites", des logements sociaux aux mal-logés, de l'insertion et de la formation pour "aider les jeunes", des crédits supplémentaires pour les éducateurs, les chercheurs, les enseignants, les fonctionnaires, les PME, les paysans, les artisans, les commerçants, les handicapés… Le tout ponctué par des envolées messianiques et patriotardes : "Je veux remettre la maison France debout (…). Je veux être la présidente de la France qui entreprend et qui gagne (…), il faut réconcilier les Français avec leurs entreprises (…). Je suis la mieux à même de relancer la machine économique." Poudre aux yeux ! Et quelle "modernité", vraiment… : le recours à la vieille recette de la gauche qui lui a maintes fois servi déjà de pur leurre électoral : la relance de l'économie du pays par le développement de la "consommation populaire". Comme l'a souligné malicieusement un concurrent, "l'ordre juste", ce sera juste l'ordre ! Quant au reste, l'emprunt de mesurettes qui "marchent" dans d'autre Etats européens présentés comme modèles, ce ne sont que des gadgets destinés à masquer la détérioration globale des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière partout dans le monde. Et comment croire qu'un pays comme la France deviendrait d'un coup de baguette magique la locomotive de la relance mondiale ?
Loin du miroir aux alouettes de la "Ségosphère", tous les prolétaires seront confrontés dès demain, quel que soit l'élu de la République, à la même politique anti-ouvrière que son gouvernement mettra inévitablement en œuvre. Il n'y aura qu'un seul programme, le même à gauche ou à droite pour la classe dominante : attaquer la classe ouvrière toujours davantage.
Il n'y a même plus de trêve électorale à l'heure où Airbus-EADS, Alcatel-Lucent, PSA, etc. annoncent de nouvelles charrettes de milliers de licenciements. Il n'y a aucune illusion possible : passé le cirque électoral, les coupes budgétaires prévues seront appliquées, les suppressions d'emploi déjà annoncées dans la fonction publique seront effectives, la suppression des régimes spéciaux des retraites, la réduction des pensions et l'allongement de la durée des cotisations sont déjà sur leurs rampes de lancement, tous les budgets sociaux seront de plus en plus amputés, comme ailleurs. Les lois du capitalisme sont inexorables, poussant chaque capital national, chaque gouvernement à accroître toujours davantage la flexibilité et la précarisation du travail, à prescrire la réduction du coût du travail, la diminution des salaires et l'intensification de l'exploitation pour faire face à la concurrence. Et ce système fait tout pour masquer sa faillite qui se révèle dans son incapacité croissante à nourrir, à loger, à soigner ceux qu'il exploite ou licencie.
La classe ouvrière ne peut se permettre d'entretenir la moindre illusion sur une possibilité de voir son sort s'améliorer ni par les urnes, ni en faisant confiance à ceux qui prétendent répartir autrement les richesses. C'est exactement le contraire. Elle ne peut que s'enfoncer dans une misère de plus en plus insupportable. La voie électorale est un piège, une impasse totale depuis bien longtemps (voir l'article [1] dans ce même numéro et dans Internationalisme no. 331). Seul le développement de ses luttes pour renverser ce système à l'échelle mondiale peut lui permettre de s'ouvrir une autre perspective.
Wim (24 février)
Il y a quelques semaines, aux Etats-Unis, la victoire des Démocrates aux dernières élections au Congrès et au Sénat avait répandu un vent d’optimisme dans les médias bourgeois. Cet optimisme avait été renforcé par les propositions du fameux plan Baker, conseiller de Bush Junior. L'opinion publique américaine désormais majoritairement anti-guerre pouvait rêver à un retrait des troupes dans un délai raisonnable. Peut-être même, à la fin de la guerre en Irak. Tout cela n’était que pure illusion ! Les Démocrates n’ont de fait aucune politique alternative à proposer. La réalité est venue immédiatement et dramatiquement confirmer qu’il ne peut plus y avoir de paix en régime capitaliste dans cette région du monde. Le projet de budget, présenté par l’administration américaine, prévoit au contraire une nouvelle augmentation des dépenses militaires. Il sera alloué 622 milliards au Pentagone, dont 142 milliards pour l’Irak. Englué dans le bourbier irakien, la fuite en avant de l’impérialisme américain ne peut que se poursuivre. 21 500 soldats supplémentaires devraient être rapidement envoyés sur le terrain des opérations. L’armée américaine, en coopération avec les bataillons de la police gouvernementale de Bagdad, s’apprête à lancer une offensive généralisée sur la capitale. Celle-ci a officiellement pour but de nettoyer les secteurs occupés par des milices armées anti-américaines. Cette nouvelle offensive, comme les précédentes depuis quatre ans, ne peut se solder que par des massacres supplémentaires et un chaos encore plus grand. Elle ne fera que pousser encore plus ces groupes armées et ceux qui les rejoindront dans une surenchère de plus en plus violente . Il y a une dizaine de jours, un hélicoptère des marines de type CH-46 s’est écrasé dans la province sunnite d’Al-Anbar, à l’Ouest de Bagdad, faisant sept morts parmi les membres de l’équipage. Cela fait maintenant officiellement six appareils de ce type qui sont abattus, en moins de trois semaines. Dans cette guerre infâme, les moyens de destruction utilisés sont ainsi de plus en plus meurtriers. L’armée américaine affirme que l’Iran fournit des armes aux insurgés en Irak. Et ceci est, sans aucun doute, tout à fait exact. C’est pour cela que les forces américaines viennent de boucler les frontières de l’Irak avec la Syrie et l’Iran. Mais comme le dit le Washington Post, daté du 12 février dernier et cité par Courrier International : "Ce même genre d’affirmation et de mise en scène, mais à propos d’armes de destruction massive, avait été le prélude à l’invasion américaine de l’Irak, avant que cela se révèle être une manipulation."
La perte de contrôle accélérée de la puissance américaine au Moyen-Orient aiguise férocement l’appétit de tous les impérialismes de la région. L’Iran s’affirme de plus en plus comme une puissance régionale aux dents longues. Au Liban, en Irak, partout où cela est possible, elle pousse en avant ses "pions chiites" , participant ainsi elle-même activement à la guerre et aux massacres en cours. Les Etats-Unis sont actuellement en train d’amener dans le Golfe persique la deuxième formation navale américaine, conduite par l’US-Stennis. La montée accélérée des tensions impérialistes dans tout le Moyen-Orient provoque une course nouvelle au nucléaire dans les pays de l’ensemble de la région. En décembre dernier, les pays membres du conseil de coopération du Golfe, Arabie saoudite, Koweït, Emirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn, Oman ont annoncé, à l’issue de leur sommet annuel, qu’ils envisageaient un programme nucléaire civil commun. Ces pays du Moyen-Orient étaient rejoints, au mois de janvier, par la Jordanie et le Yémen. Autant de pays qui possèdent des réserves importantes de pétrole et donc d’énergie civile. Mais à l’égal de l’Iran derrière l'alibi du nucléaire civil, ce sont inévitablement les programmes nucléaires militaires qui progressent partout. Pour ces pays arabes du Golfe, la montée en puissance de l’Iran chiite est intolérable. Tout le Moyen-Orient à l’image de l’Irak est en train de se scinder en deux. Communautés chiites et sunnites se retrouvent de plus en plus face à face et, à l'intérieur de chaque camp, des bandes rivales s'entre-déchirent déjà. Les risques non seulement d'éclatement de l'Irak mais aussi de propagation de la guerre civile dans toute la région comme il y a quinze ans dans l'ex-Yougoslavie sont désormais une menace concrète. Le capitalisme en pleine crise de sénilité n’est plus en mesure de freiner le développement de la barbarie et du chaos. Bien plus, il est en train de masser dans cette région du monde de quoi y anéantir la quasi-totalité de la population.
Tino (17 février)
Les annonces de restructurations se succèdent à un rythme infernal. Tous les secteurs sont touchés. Sur les chaînes de montages, dans les bureaux ou les laboratoires, dans les écoles… Face à ces attaques massives, les "spécialistes de la lutte" ne restent pas sans réaction ; au contraire, dans la plus pure tradition syndicale, ils s'activent, déployant toute leur énergie à organiser la lutte… une lutte corporatiste, cloisonnée, morcelée et donc fatalement impuissante.
Parmi les classiques syndicaux pour semer la division, l'opposition public-privé fait figure de best-seller. C’est ainsi que le jeudi 8 février, une journée de grève et de manifestation a été planifiée contre la baisse du salaire réel et les suppressions de postes à l’attention des seuls agents de la fonction publique. Pourtant, de tels mots d'ordre concernent incontestablement l’ensemble de la classe ouvrière, du public comme du privé !
Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, les syndicats ont poursuivi leur sale boulot de désunion au sein même du corps fonctionnaire. Lors de cette fameuse journée du 8 février, tout a été entrepris pour limiter la mobilisation et surtout isoler quelques branches. Les tracts syndicaux appelant à manifester ont été diffusés le plus discrètement possible. Seules trois corporations furent réellement encouragées à l'action : les cheminots, les agents des impôts et les enseignants. Et là encore, comme si cela ne suffisait pas, les organisations syndicales ont poussé au chacun pour soi. A Paris, trois lieux de rendez-vous, avec trois horaires bien distincts, furent fixés… tout un symbole ! Ainsi, pour focaliser les esprits sur la défense de "leur ministère", les agents des impôts durent se rassembler à 10 heures devant le ministère des Finances, à Bercy, alors que la manifestation "unitaire" se déroulait l'après-midi à la gare d'Austerlitz ! Mais le piège le plus sophistiqué, c'est aux enseignants qu'il fut tendu. L'Etat, les médias et les syndicats se sont en effet parfaitement coordonnés pour qu'il y ait le plus de professeurs possible dans cette journée d'action sans lendemain. Cette cible n'a pas été choisie par hasard. Parmi les 15 000 suppressions d'emplois programmés pour 2007, 8500 concernent l'Education Nationale. Les conditions de travail, déjà très difficiles dans les écoles, vont tout simplement devenir insupportables à la rentrée de septembre. Il était donc important pour la bourgeoisie de mobiliser les enseignants dès maintenant dans une lutte parfaitement contrôlée et démoralisatrice. Pour cela, la concertation Etat-syndicats accoucha d'une date de manifestation bien choisie : précisément la semaine durant laquelle tombait l'annonce des nouvelles dotations en moyens humains par établissement, moyens revus considérablement à la baisse. De plus, une étude universitaire mettant en avant une perte de 20% du pouvoir d'achat en 25 ans pour les professeurs a été judicieusement publiée en première page du Monde une quinzaine de jours plus tôt. Résultat : des enseignants dans la rue par milliers, mais finalement bien seuls, sans la plupart des salariés des autres secteurs pour discuter, débattre, se rendre compte que c'est partout la même histoire, les mêmes attaques, la même dégradation du niveau de vie.
Ces dernières semaines, les médias ont encore annoncé des restructurations de grande ampleur chez Renault et Peugeot-Citroën, 1500 suppressions d'emplois chez Alcatel (12 500 dans le monde), 350 chez Lagardère (990 dans le monde), 500 chez Reuters (10 000 dans le monde) et 10 000 chez Airbus (à "partager" entre les usines situées en Allemagne, en Angleterre et en France). Et ici aussi, les syndicats tentent d'endiguer toute possibilité d'unité et de solidarité dans la lutte en attachant les ouvriers à "leur usine". Chez Airbus, pour manifester le "mécontentement" et "l'inquiétude" des salariés tout en faisant preuve de "responsabilité" et "d'attachement à l'entreprise" (pour reprendre la terminologie syndicale), les centrales ont proposé le 6 février… un débrayage d'une heure. Belle "protestation" quand 10 000 ouvriers et leur famille vont tout perdre. Pire ! C'est bien le poison nationaliste que ces organisations syndicales répandent sur les travailleurs quand elles clament: "Nous savons aussi qu'Airbus ne pourra affronter l'avenir qu'avec ses personnels et des moyens industriels robustes, productifs et adaptés à nos produits. Et nous, organisations syndicales, affirmons qu'Airbus France (souligné par nous) répond déjà à ces exigences." Autrement dit, tant pis pour les ouvriers des autres pays, si leur site n'est pas compétitif, c'est normal que ce soit eux qui paient les pots cassés. Voici comment, à travers un tract diffusé par l'intersyndicale le 5 février sur le site de Toulouse, les ouvriers de France sont incités à défendre "leur" compétitivité et sont mis en concurrence avec leurs frères de classe exploités de l'autre côté des frontières !
Derrière les syndicats, il n'y a rien à gagner. Depuis longtemps déjà, ces organismes sont devenus les chiens de garde du capital. Prise entre l'Etat, ce chef d'orchestre des attaques, et les syndicats, ces saboteurs professionnels des luttes, la classe ouvrière doit desserrer l'étau. Pour cela, il faut s'inspirer du mouvement contre le CPE. Si le gouvernement a alors reculé, ce fut grâce à la dynamique d'unité qui se faisait jour dans les rangs ouvriers. Les étudiants, ces travailleurs de demain, en appelant les ouvriers à les rejoindre, avaient réussi à déclencher un véritable élan de solidarité et de combativité. C'est ce terrain de classe qui constitue notre force !
Pawel (20 février)
Participant à la grande kermesse électorale, Lutte Ouvrière (LO) inonde depuis quelques semaines les façades des quartiers populaires de ses affiches de campagne. A l'effigie d'Arlette Laguiller, en toute simplicité, celles-ci interpellent le passant par un slogan choc "Qui d'autre peut sincèrement se dire dans le camp des travailleurs ?" .
Il faut dire que LO est sans aucun doute la grande organisation d'extrême gauche à la façade la plus radicale, celle qui est peinte avec le rouge le plus vif. Cette officine trotskiste n'hésite pas, en effet, à faire flèche de tout bois envers les "socialistes", les "communistes", les altermondialistes… bref, les "réformistes" de tout poil. Sa presse ne manque pas de condamnations explicites et sans appel. Ainsi, Lutte Ouvrière peut constater "la complète intégration de la social-démocratie au pouvoir d'Etat de la bourgeoisie" , affirmer que "le stalinisme a déformé ou vidé de sens la plupart des objectifs du mouvement ouvrier" et que "le courant altermondialiste n'est que le dernier avatar de ce type de courant", pour conclure : "nous devons nous démarquer clairement et fermement de ces courants, lever les ambiguïtés de leur langage et dénoncer leur politique qui, derrière des aspects contestataires, est fort respectueuse de l'ordre social. " (Lutte de Classe, N°101, Décembre 2006-Janvier 2007). Même ses amis trotskistes telle la LCR en prennent pour leur grade. Celle-ci est jugée pas assez "révolutionnaire" et trop compromise par ses tentatives d'acoquinage et ses concessions opportunistes envers ces différents courants.
Mais LO est-elle vraiment la "douche froide" cinglante qui viendrait remettre en question le monde capitaliste, le gouvernement ou les partis de la gauche réformiste intégrés à l'Etat ?, Fait-elle, comme elle le prétend, trembler le "grand capital" et les "riches" en assénant "en toute sincérité" des "vérités" qui dérangent?
Lorsque les échéances électorales sont lointaines, LO se permet de critiquer sans détour le cirque démocratique, scandant la primauté de la lutte sur le vote. Ainsi, en décembre 2005, alors que toutes les stars du show-biz à la mode encourageaient, main dans la main avec les partis de gauche, les jeunes des banlieues à s'inscrire sur les listes électorales, LO se démarquait en rappelant qu' "aucun bulletin de vote ne changera jamais la vie de la jeunesse des banlieues (…). Pas plus qu'aucun bulletin de vote n'a jamais changé la vie des travailleurs, la vie des exploités." Pourquoi ? Parce que "les élections et toute leur organisation sont, comme tous les autres aspects de la société, sous la coupe du grand capital." Le message est clair : "ce sont les luttes collectives qui permettent de changer les choses." (Lutte Ouvrière n°1951 du 23 décembre 2005).
Mais derrière les beaux discours, il y a la réalité des actes. Arlette Laguiller est aujourd'hui la doyenne des candidats. Depuis les présidentielles de 1974, elle est de toutes les campagnes électorales. Et cette participation active au cirque électoral ne se limite pas aux présidentielles. LO n'a jamais manqué de répondre "présent" pour les législatives, les municipales ou les européennes.
Pour ceux qui se rendraient compte de cette flagrante contradiction, l'organisation trotskiste a préparé une argumentation en béton, toujours la même, servie inlassablement à chaque soupe électorale : "le bulletin de vote peut non seulement contribuer à dire ce que l'on pense, mais il peut servir à se compter. Et plus nombreux seront ceux qui diront qu'ils refusent de considérer le chômage et les licenciements comme des fatalités et l'exprimeront par leurs votes, plus cela pourra contribuer à renforcer le moral des classes populaires et à inverser le rapport de forces en leur faveur." (Lutte de classe n°64, février 2002). Voici donc l'argument massue : les travailleurs doivent se compter, non dans la lutte, dans les rues ou dans les assemblées générales… mais dans les isoloirs !
De deux choses l’une : soit "le bulletin de vote n'a jamais changé la vie des travailleurs", soit il peut contribuer "à renforcer le moral des classes populaires et à inverser le rapport de forces en leur faveur". Le double langage de LO est ici manifeste. Ses phrases grandiloquentes sur la lutte, entre les périodes électorales, ne servent qu'à mieux rabattre les travailleurs vers les urnes le moment venu au nom de cette dérisoire comptabilité des "voix révolutionnaires". D'ailleurs, "faire voter" n'est pas une activité annexe de LO. C'est un devoir inscrit dans le marbre de son programme: "il est du devoir des communistes révolutionnaires [de continuer] à nous présenter aux élections" (LO, Les Fondements programmatiques de notre politique, 20 octobre 2003) !
Pour LO, "seul, le premier tour permet d'exprimer un choix politique" (Lutte de Classe n°64). Et elle n'a pas de mots assez durs contre l'allégeance du parti socialiste au "grand patronat". Dans le journal hebdomadaire de LO, des articles entiers sont consacrés à la dénonciation de la politique et du programme Royal. Renvoyant "presque" dos à dos PS et UMP, les titres sont en eux mêmes explicites: "Celui [Sarkozy] qui est ouvertement au service du grand patronat et celle [Royal] qui n'ose pas y toucher." (Lutte Ouvrière n°2011 du 16 février 2007). Est-ce à dire que LO limite sa participation à la seule mystification électorale du premier tour ? Qu'au second tour, elle retourne de nouveau sa veste (jusqu'à ce qu'elle craque de tous côtés ?), pour condamner sans ambiguïté la politique anti-ouvrière de la gauche ?
Pas du tout ! LO a soigneusement pris la précaution de laisser la fenêtre ouverte pour y laisser de nouveau entrer ce qu'elle a fait sortir à grands fracas par la porte : "La bourgeoisie qui, elle, a une véritable conscience de classe, surtout la grande, préfère, tous comptes faits, la droite à la gauche". Le sous-entendu est à peine voilé, si la bourgeoisie préfère la droite, la classe ouvrière doit certainement avoir pour intérêt de lui préférer la gauche. Logique implacable ! Quand elle joue les rabatteurs pour la gauche, LO déploie en effet une incroyable ingéniosité pour glisser, au milieu d'une bouillie de phrases alambiquées son message ( quasi subliminal) : "Bien moins que les autres fois, nous ne savons ce que nous ferons ou dirons au deuxième tour. En effet, entre appeler à voter blanc, dire que nous ne donnerons pas de consignes de vote ou que nous nous abstiendrons mais que nous ne ferons rien pour empêcher le candidat de gauche d'être élu, ou encore que nous appellerons à voter pour lui (ou pour elle), il y a des nuances importantes » (Lutte de Classe n°101, Décembre 2006-Janvier 2007).
Incroyable mais vrai ! LO peut à la fois affirmer "la complète intégration de la social-démocratie au pouvoir d'Etat de la bourgeoisie " pour, après mille détours, mieux appeler à voter PS et rabattre vers les urnes les plus récalcitrants, ceux qui savent que la gauche au pouvoir pendant des années en France a attaqué à tour de bras les salaires et toutes les conditions de vie de la classe ouvrière. LO prépare ainsi déjà le terrain pour pousser son "électorat", ses "voix révolutionnaires" à se mobiliser pour rallier le chœur qui proclamera bientôt "tout sauf Sarkozy !"
Car LO se donne pour tâche non pas de rappeler au prolétariat les hauts faits d'armes anti-ouvriers du parti socialiste, mais au contraire de les faire oublier, en les passant sous silence. Elle affirme ainsi: "[dans cette campagne] nous devrons considérer que nos critiques principales devront être dirigées contre la droite parce que c'est elle qui dirige le pays actuellement... et qui représente politiquement les intérêts du grand patronat". Pire ! Elle fait l'apologie de l'amnésie : "Nous devons cependant éviter de nous appuyer trop sur le passé, même récent (sic!), du gouvernement de la gauche plurielle . Le passé s'oublie, de jeunes électeurs ne l'ont pas vécu et au rappel des gouvernements de gauche qui ont précédé Jospin, sous la présidence de Mitterrand, seuls les militants sont sensibles" (Lutte de classe n° 100, Octobre 2006). LO ne veut surtout pas "effrayer" les ouvriers et les jeunes avec le rappel du travail bourgeois des "éléphants" et des "mammouths" du PS et du PC : Mauroy, Fabius, Joxe, Hernu, Rocard, Cresson, Fiterman... etc. C'est vraiment prendre les ouvriers et les jeunes pour des imbéciles !
LO avait d'ailleurs usé du même stratagème en 1974 et en 1981, comme elle l'avoue elle-même: "la droite était au pouvoir depuis 16 ans, dont plus de dix ans de pouvoir de De Gaulle. Mitterrand avait, en 1974, frisé la victoire. En 1981, c’était pire, la droite était au pouvoir depuis sept ans de plus, c’est-à-dire 23 ans. Toutes les classes d’âge qui avaient 18 ou 20 ans en 1958, et celles d’après, n’avaient connu que la droite.". Les "jeunes électeurs" ne connaissaient donc pas la gauche au pouvoir et devait, pour LO, faire leur propre expérience et c'est pourquoi "au deuxième tour, nous (LO) avons quand même appelé à voter Mitterrand devant le sentiment populaire." Cette politique de "rabatteur radical" n'est pas une abstraction, elle est une réalité tangible, se matérialisant dans le type de manchettes reproduites ci-dessous.
Mitterrand avait promis de "changer la vie" , poussant nombre d'ouvriers à descendre dans la rue pour faire la fête place de la Bastille au soir de son élection, le 10 mai 1981. Nous connaissons la suite. Très rapidement, dès 1982, la gauche a montré son vrai visage menant pendant des années les attaques sur les salaires, la santé, les grands plans de licenciements (sidérurgie, métallurgie, textile…), la flexibilité et la précarisation de l'emploi à travers les lois Aubry sur les 35 heures, la sécurité sociale, les retraites, l'éducation et bien d'autres questions touchant les conditions de vie ouvrières. Ces attaques furent possibles en grande partie du fait des illusions de la classe ouvrière sur la nature du parti socialiste…, illusions que LO avait grandement contribué à propager.
26 ans après, LO persiste et signe... toujours en invoquant l'amnésie de la classe ouvrière, la nécessité pour les travailleurs de faire leur propre expérience… Avec LO, la classe ouvrière doit repartir sans cesse de zéro. Cela est révélateur du mépris avec lequel cette organisation considère toujours le prolétariat comme une espèce de "poisson rouge" qui, tournant en rond dans son bocal avec sa mémoire n’excédant pas les 20 secondes, dirait, à chaque tour (électoral) sourire aux lèvres à ses exploiteurs: "bonjour, enchanté, qui êtes-vous ? ".
Lutte Ouvrière peut toujours prétendre qu'elle est dans le camp des travailleurs, en tenant des discours radicaux sur le capitalisme ou en formulant des critiques sur les autres partis de gauche, sa véritable fonction, c'est de recrédibiliser le cirque électoral en ramenant chaque prolétaire tenté de s'en détourner dans les isoloirs. LO est un spécialiste du rabattage électoral, qui ne cesse de semer des illusions tant sur le pouvoir du vote que sur la nature des partis de gauche. Si elle refuse de signer un chèque en blanc au PS et au PC, c'est tout simplement parce qu'ils ont un compte commun.
Les plus grands ennemis de la classe ouvrière sont ceux qui avancent masqués. La classe ouvrière doit retrouver sa mémoire pour confondre de tels "faux amis" qui sont autant d'entraves pour le développement de sa conscience.
Ross (17 février)
Depuis le 10 janvier dernier, la Guinée connaît une situation sociale explosive marquée par un mouvement de grèves sans précédent dans un pays qui connaît pourtant depuis des années des grèves à répétition. La classe ouvrière de Conakry, suivie par celle de plusieurs grandes villes comme Kankan, soutenue activement par l'ensemble de la population, s'est lancée dans un mouvement de protestation qui exprime un gigantesque ras-le-bol. Dans ce pays soumis à la poigne de fer du président-général Lansana Conté, successeur du pro-stalinien Sekou Touré, la population vit une situation de misère phénoménale et irrémédiablement croissante. Les prix à la consommation augmentent de 30% par an depuis 1995. La politique d'inflation délibérée menée par le gouvernement a plongé les Guinéens dans une misère chaque jour plus insupportable. Entre 2001 et 2007, le franc guinéen a été divisé par trois : de 2000 FG pour un dollar en 2001 on est passé à 6000 FG pour un dollar en 2007. Un Guinéen sur deux vit avec moins d'un dollar par jour, le salaire annuel d'un ouvrier est de moins de 20 dollars (c'est-à-dire 120 000 FG) alors que le sac de riz, denrée de base de la population, était de 150 000 FG en janvier, pour passer à 250 000 FG depuis la grève du 10. Ecrasés d'un côté par une exploitation sans retenue, soumis de l'autre à la répression policière et militaire toute-puissante des hommes de main de Lansana Conté, les ouvriers de Guinée se sont lancés avec toutes leurs forces dans la lutte pour réclamer la baisse du prix du riz et des augmentations de salaire. L'an dernier déjà, lors d'un précédent mouvement de grève en juin, Conakry avait été le théâtre d’affrontements violents sporadiques entre étudiants en grève et forces de l'ordre qui avaient fait plus de trente morts. Cependant, la répression n'a pas fait baisser les bras des grévistes et a au contraire renforcé leur détermination. Comme disait un manifestant, "on est déjà mort alors on n'a plus rien à perdre". Quant à la reprise du travail, on pouvait entendre : "Quel travail ? Il n'y en a pas. Et ceux qui ont un salaire ne peuvent même pas acheter un sac de riz." (rapporté par Jeune Afrique) Devant cette détermination et devant le jusqu'au-boutisme exprimés par la population et les ouvriers, les syndicats se sont faits fort de se poser en leader du mouvement afin de le dénaturer. Ainsi, l'intersyndicale, principalement menée par l'Union générale des travailleurs de Guinée (USTG), ajoutait aux revendications sur les salaires et le prix du riz, lors de la déclaration de grève du 10 janvier, le retour en prison du "patron des patrons guinéens", Mamadou Sylla, en butte à des accusations de magouilles en tous genres mais soutenu par le général-président. Cette focalisation sur la corruption dans le gouvernement, même si elle est parfaitement réelle, permettait dans un deuxième temps aux syndicats de mettre en avant la nomination d'un nouveau premier ministre comme exigence à l'arrêt de la grève et non plus les revendications ouvrières initiales. Face à une montée en puissance du mouvement qui voyait l'arrêt de tout trafic de marchandises dans le port de Conakry, excepté le riz et le sucre, l'intersyndicale pouvait de cette façon faire cesser la grève le 28 janvier, tandis que la répression et ses 60 morts n'avaient fait que renforcer la détermination des grévistes.
Le 9 février, après 12 jours de trêve larvée, Lansana Conté, sans avoir respecté aucun engagement sur les revendications salariales ni sur le paiement de jours de grève, nommait Eugène Samara, un de ses proches, ouvrant la porte à une flambée de colère dans la population, au redémarrage de la grève et à une nouvelle vague de répression de l'Etat guinéen qui instaurait l'état de siège le 12. Dans une telle situation, les syndicats avaient beau jeu de focaliser encore plus sur la question du gouvernement et de la présidence, appelant alors au départ de Lansana Conté dont les forces de l'ordre, appuyées par des troupes libériennes et bissau-guinéennes, faisaient de nouveau plus de 50 morts à Conakry mais aussi dans d'autres villes gagnées par le mouvement et où les symboles du pouvoir sont systématiquement attaqués : Coyah, Maferinya, Boké, Dalaba, Labé, Pita, Siguiri, N'zérékoré, etc.
A l'heure actuelle, la Guinée est dans une situation de crise politique qui s'intensifie jour après jour. Signe des temps, le 24 février, le parlement, pourtant à la botte du président guinéen, a refusé de reconduire l'état de siège. La presse locale et internationale parle de plus en plus clairement de putsch militaire en préparation et, dans cet état de fin de règne quasiment annoncé, la France est assez inquiète d’avoir envoyé le "Sirocco", cargo militaire dans le golfe de Guinée pour évacuer ses ressortissants tandis que Chirac envisage l'intervention des troupes françaises stationnées dans la région. La Guinée a été, avec le Darfour, au centre des discussions du dernier sommet franco-africain à Cannes. La Cedeao, l'UA et l'ONU n'ont pas cessé d'adresser des messages appelant au calme et au règlement "pacifique" d'un conflit qui risque de déstabiliser toute la région.
Bien que cette préoccupation soit réelle de la part des bourgeoisies de la région et du monde, elles aimeraient surtout voir finir cette grève qui paralyse le transport de la bauxite dont la Guinée est le premier exportateur mondial.
Les ouvriers de Guinée doivent savoir que si les bonnes fées du capitalisme se penchent en ce moment avec attention sur leur sort, ce n'est nullement pour voir aboutir leurs revendications. Si Lansana Conté est éjecté, comme cela semble se dessiner, la situation de misère qui est la leur ne va pas s'améliorer, mais les syndicats font tout pour leur faire croire que cette perspective d'un "nouveau gouvernement" est la solution à leurs maux et faire passer ainsi la pilule de la reprise du travail, sans rien avoir obtenu… que des promesses pour demain.
Cependant, au-delà de la nécessité pour la classe ouvrière, en Guinée comme partout ailleurs dans le monde, de savoir s'opposer à ces faux amis que sont les syndicats et à lutter en dehors et contre eux, il est certain que l'isolement des ouvriers et le matraquage idéologique auxquels ils sont soumis rendent plus difficile le développement de la lutte sur son propre terrain. C'est pour cette raison qu'il appartient au prolétariat des pays développés du capitalisme, là où il est concentré et puissant, de catalyser la conscience et les expressions autonomes de la lutte ouvrière sur l'ensemble de la planète.
Mulan (24 février)
Il y a tout juste 80 ans, en mars 1927, les ouvriers de Shanghai se levèrent dans une insurrection triomphante et prirent le contrôle de la ville tandis que l'ensemble de la Chine était en effervescence. En avril, cette insurrection était totalement brisée par les forces du Kuomintang, parti nationaliste dirigé par Tchang Kai-Chek, que le Parti communiste chinois (PCC) avait élevé au rang de héros de la "révolution nationale" chinoise.
Derniers sursauts de la grande vague révolutionnaire qui avait débuté en 1917 en Russie, la défaite des luttes prolétariennes en Chine de 1925 à 1927 (comme celles du prolétariat allemand en 1921 et 1923) a accentué l’isolement international de la Russie révolutionnaire et ainsi accéléré le mouvement vers une longue période de contre-révolution.
Après 1924, la fraction stalinienne progressivement maîtresse de la Russie, devait peser de tout son poids dans cet écrasement de l’insurrection chinoise. Mais avant même cette date, la politique des bolcheviks en Chine avait déjà semé les graines des futures défaites. En 1922, le représentant du Comintern en Chine, H. Maring (alias Sneevliet) avait posé, après des discussions amicales avec Sun-Yat-Sen, les éléments d'une alliance entre le PCC et le Kuomintang. Le but était de faire une sorte de "front uni anti-impérialiste" pour la libération nationale de la Chine, dans laquelle le premier problème est de lutter contre les seigneurs de la guerre qui contrôlent de grandes parties de la Chine, spécialement au Nord. L'alliance incluait que les militants du PCC rejoignent le Kuomintang individuellement tout en maintenant une autonomie politique nominal en tant que parti. En pratique, cela signifiait la totale soumission du PCC aux objectifs du Kuomintang.
Le 30 mai 1925, les ouvriers et les étudiants manifestèrent à Shanghaï en solidarité avec une grève dans une usine de fabrication du coton appartenant au Japon. La police municipale dirigée par la Grande-Bretagne tira sur les manifestants, faisant 12 victimes. La réponse ouvrière fut immédiate. En deux semaines, Shanghai, Canton et Hong-Kong furent paralysées par une grève générale. A Shanghaï, la grève était conduite par l’Union General Labour dominé par le PC. Mais à Canton et Hong-Kong, l’organisation de la grève fut assumée par un soviet embryonnaire, la « Conférence des délégués des grévistes». Soutenue par 250 000 ouvriers, qui élirent un délégué pour 50 ouvriers, la Conférence mit sur pied 2000 piquets de grève et prit en charge les hôpitaux, les écoles et l’administration de la justice.
La réponse des puissances impérialistes fut, comme on pouvait s’y attendre, hystérique.
Mais cette puissante confirmation de la mobilisation du prolétariat eut aussi un effet significatif sur la «bourgeoisie nationaliste» organisée au sein du Kuomintang. Ce parti avait toujours été une alliance trouble d’industriels, de militaires, d’étudiants et de rêveurs petits-bourgeois –en fait toutes les couches de la bourgeoisie, sauf celles les plus liées aux propriétaires terriens et aux seigneurs de la guerre (la plupart de ces dernières devaient d’ailleurs rejoindre par la suite le Kuomintang lorsque le vent tourna contre elles)... Sous la conduite de Sun-Yat-Sen, le Kuomintang avait initialement le sentiment qu’il pouvait se servir d’une alliance avec le PCC, car ce dernier pouvait mobiliser le prolétariat urbain en faveur de la «révolution nationale». Tant que les luttes ouvrières étaient dirigées contre les compagnies étrangères et la domination impérialiste de l’étranger, la bourgeoisie du pays était toute prête à les soutenir. Mais quand les grèves commencèrent à s’étendre aux entreprises nationales, cette même bourgeoisie chinoise découvrit que les ouvriers s’engageaient dans des «excès stupides», que c’était «une chose d’utiliser les ouvriers… mais tout à fait une autre de les laisser mordre plus qu’ils ne pouvaient mâcher» (cité de la Revue chinoise hebdomadaire, mars et avril 1926, dans le livre de H. Isaacs, La Tragédie de la Révolution chinoise). Très rapidement, les capitalistes chinois apprirent qu’ils avaient beaucoup plus de choses en commun avec les «impérialistes étrangers» qu’avec «leurs» ouvriers.
Ces événements provoquèrent une rupture au sein du Kuomintang, entre une aile gauche et une aile droite. La droite représentait les intérêts de la grande bourgeoisie qui voulait mettre fin à la lutte ouvrière, se débarrasser des communistes, et arriver à un compromis avec les impérialismes établis. La gauche, principalement animée par des intellectuels et les rangs subalternes de l’armée, voulait garder l’alliance avec la Russie et le PCC. Ce ne fut pas par hasard si le principal boucher du prolétariat chinois, le général Tchang Kai-Chek, se posa lui-même en représentant de la gauche. En fait, Tchang, bien qu’il ait toujours agi pour assouvir son insatiable ambition personnelle, symbolisait l’ensemble du jeu mené par la bourgeoisie chinoise dans cette période. D’un côté, il flattait le régime soviétique et faisait des discours enflammés en faveur de la révolution mondiale. De l’autre, il multipliait secrètement les accords avec les forces réactionnaires. Comme les nouveaux dirigeants de Russie, il se préparait à utiliser la classe ouvrière chinoise comme d’un bélier contre ses ennemis immédiats, mais tout cela alors qu’il se préparait systématiquement à supprimer tout «excès» (c’est-à-dire tout signe de lutte autonome de la classe ouvrière).
En mars 1926, Tchang déclencha sa première offensive d’envergure contre le prolétariat de Canton. Les communistes et autres militants de la classe ouvrière furent arrêtés, et les quartiers généraux des comités de grève de Canton-Hong Kong attaqués. La grève durait depuis des mois mais fut rapidement brisée par la force soudaine de la répression. La réponse de l’IC à ce changement brutal dans la position de Tchang fut le silence, ou plutôt un déni de toute répression à l’encontre de la classe ouvrière chinoise.
Tchang avait organisé son coup militaire à Canton comme préliminaire à une expédition clé contre les seigneurs de guerre du Nord, mais aussi comme la première étape devant mener aux événements sanglants de Shanghaï. Les troupes de Tchang firent de spectaculaires avancées contre les militaires nordistes, largement grâce aux vagues de grèves ouvrières et de révoltes paysannes qui aidèrent à désintégrer par l’arrière les forces du Nord. Le prolétariat et les paysans pauvres se battaient contre leurs horribles conditions de vie avec l’illusion qu’un Kuomintang victorieux améliorerait matériellement leur sort. Le parti communiste, loin de lutter contre ces illusions, les renforçait au maximum, non seulement pour appeler les ouvriers à se battre pour la victoire du Kuomintang, mais aussi pour freiner les grèves ouvrières et les réquisitions de terre par les paysans quand elles menaçaient d’aller trop loin.
Alors que le PCC et l’IC travaillaient à empêcher les "excès" de la lutte de classe, Tchang s’efforçait de briser les mêmes forces prolétariennes et paysannes qui avaient assisté ses victoires. Ayant interdit toute revendication ouvrière durant la durée de la campagne du Nord, il réprima les mouvements ouvriers de Canton, Kiangsi, et d’autres villes au fur et à mesure de son avancée. Dans la province de Kwantung, le mouvement paysan contre les seigneurs de la guerre fut violemment écrasé. La tragédie de Shanghai ne fut que le point culminant de ce processus.
Shanghaï, avec ses ports et ses industries, abritait la fine fleur du prolétariat chinois. Elle était alors sous le contrôle des seigneurs de la guerre. Comme l’armée du Kuomintang avançait vers la ville, le General Labour Union (GLU-Syndicat Général du Travail) mené par le PCC publia un appel à la grève générale pour renverser la clique dirigeante et donc « soutenir l’armée de l’expédition du Nord» et «saluer Tchang Kaï-Chek» Cette première tentative fut brutalement battue en brèche après de durs combats de rue. Les autorités de la ville établirent un règne de terreur contre la population ouvrière, mais l’état d’esprit combatif de celle-ci restait intact. Le 21 mars, les ouvriers se soulevèrent à nouveau, mieux organisés cette fois, avec une milice forte de 5000 ouvriers et entre 500 000 et 800 000 ouvriers participèrent activement à la grève générale et à l’insurrection. Les postes de police et les garnisons furent pris d’assaut et les armes distribuées aux ouvriers. Le matin suivant, toute la ville était aux mains du prolétariat.
Une période menaçante s’ensuivit. Tchang arriva aux portes de Shanghaï et, confronté à une classe ouvrière armée en plein soulèvement, prit immédiatement contact avec les capitalistes locaux, les impérialistes et les gangs criminels afin de préparer la répression, tout comme il l’avait fait dans toutes les autres villes «libérées». Et de nouveau, alors que les intentions de Tchang étaient plus que claires, l’IC et le PCC continuaient à conseiller aux ouvriers de faire confiance à l’armée nationale et à souhaiter la bienvenue à Tchang en tant que «libérateur». Cependant, le souvenir de la répression exercée par celui-ci avait alerté une minorité de révolutionnaires sur la nécessité pour la classe ouvrière de se préparer à le combattre de même que les seigneurs de la guerre. En Russie, Trotsky exigeait la formation de soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats comme base pour une lutte armée contre Tchang et pour l’établissement de la dictature du prolétariat. En Chine, un groupe dissident de représentants de l’IC –Albrecht, Nassonov et Fokkine – prirent une position identique. Au sein du PCC lui-même, la pression montait pour une rupture avec le Kuomintang. Mais la direction du parti restait fidèle à la ligne de l’IC stalinisée. Au lieu d’appeler à la formation de soviets, le PCC organisa un "gouvernement municipal provisoire" dans lequel il s’installa en minorité aux côtés de la bourgeoisie locale. Au lieu d’avertir les ouvriers des intentions de Tchang, le PCC accueillit à bras ouverts ses forces dans la ville. Au lieu d’accentuer la lutte des classes, seul moyen valable de défense et d’attaque pour le prolétariat, le GLU s’opposa aux actions de grèves spontanées et se mit à restreindre le pouvoir des piquets ouvriers armés qui avaient le contrôle effectif des rues. Tchang put ainsi préparer soigneusement sa contre-attaque. Le 12 avril, quand il lança ses mercenaires et ses bandes criminelles (la plupart d’entre eux habillés en "ouvriers" en représentants des syndicats "modérés" nouvellement formés, l’Alliance Syndicale des Ouvriers), les ouvriers furent pris par surprise. Malgré la courageuse résistance des ouvriers, Tchang rétablit vigoureusement "l’ordre" dans un bain de sang où l’on vit les ouvriers se faire décapiter en pleine rue. La colonne vertébrale de la classe ouvrière chinoise avait été brisée.
Quelque temps après cette tragédie, Staline et ses hommes de main admirent que la révolution avait échoué devant "l’obstacle", tout en insistant sur le fait que la politique suivie par le PCC et l’IC avait été correcte !
Les défaites de 1927 ont pavé le chemin d’un nouvel épisode de la guerre impérialiste en Chine, de même que la défaite de la classe ouvrière a ouvert la voie vers un autre carnage impérialiste mondial. Dans tous ces conflits, le PCC s’est montré comme un serviteur fidèle du capital national, mobilisant les masses pour la guerre contre le Japon dans les années 1930 puis dans la guerre mondiale de 1939-45. Il gagnait ainsi sa légitimité à devenir le maître de l’Etat capitaliste après 1949 et le fossoyeur en chef de la classe ouvrière chinoise.
Le prolétariat chinois comme l’ensemble du prolétariat mondial payait son immaturité et ses illusions au prix fort. La politique criminelle et désastreuse du PCC fut en partie le reflet du fait que la classe ouvrière chinoise dans son ensemble n’avait pas pu gagner l’expérience nécessaire pour rompre avec l’étranglement idéologique du Kuomintang et du nationalisme. Elle n’a pas pu non plus s’affirmer comme classe autonome appelée à jouer un rôle historique particulier et déterminant avec ses propres buts révolutionnaires, ni se doter des organes politiques et unitaires nécessaires pour accomplir cette tâche : les conseils ouvriers et une avant-garde révolutionnaire. Mais, en dernière analyse, le sort de la Révolution chinoise s’était décidé dans les rues de Petrograd, de Berlin, de Budapest et de Turin. L’échec de la révolution mondiale ne pouvait que laisser les ouvriers chinois dans l’isolement et la confusion.
Leurs luttes massives et spontanées (ultimes sursauts du prolétariat mondial) purent ainsi être dévoyées sur un terrain bourgeois et finalement écrasées.
CDW
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