Expression de la tendance générale au développement du capitalisme d'Etat résultant de l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, le fascisme est aussi le produit de conditions particulières : le cours général des années trente à la guerre et, suite à la défaite de la vague révolutionnaire de 17-23, la profondeur prise par la contre-révolution dans des pays comme l'Allemagne où le prolétariat s'était justement trouvé à l'avant-garde du combat révolutionnaire. Le fascisme a donc constitué l'instrument par lequel la classe ouvrière en Allemagne, cette fraction du prolétariat mondial décisive pour le rapport de force entre les classes au niveau international, après avoir été laminée par les défaites successives infligées par la gauche et la démocratie, se trouvait soumis sous un talon de fer pour endurer les sacrifices de la guerre. En faire l'analyse la plus claire est de la plus haute importance, en particulier pour comprendre la nature même de l'antifascisme qui n'est autre que l'idéologie au moyen de laquelle les pays impérialistes rivaux de l'Allemagne enchaînèrent le prolétariat des pays démocratiques à la défense de l'Etat capitaliste en vue de la guerre impérialiste.
Depuis le début de ce siècle, c'est aux fractions de gauche issues des anciens partis ouvriers (les PS d'abord et ensuite les PC) passés à l'ennemi de classe qu'est revenue la tâche d'assurer la continuité politique, théorique et organisationnelle du mouvement révolutionnaire. Ce sont elles qui ont enrichi la théorie du prolétariat des expériences nouvelles qu'il avait effectuées ainsi que de l'analyse des conditions nouvelles de la lutte de classe. L'analyse du fascisme fait partie du leg des fractions de gauche à l'actuel milieu révolutionnaire. Nous rendons compte, dans ce chapitre, de l'effort et des contributions théoriques réalisées sur cette question par les différentes composantes de la Gauche communiste. Dans ce cadre et pour illustrer la clarté particulière de la Gauche communiste d'Italie, nous republions un article des années trente de Bilan.
A l'aube du 20e siècle, la plupart des instruments de lutte forgés précédemment par le prolétariat durant des décennies ne lui servent plus à rien. Pire, ils se retournent contre lui et deviennent des armes du capital. Il en est ainsi des syndicats, des grands partis de masse, de la participation aux élections et de l'utilisation du parlement bourgeois pour la défense de ses intérêts. Et cela parce que le capitalisme est entré dans une phase complètement différente de son évolution : celle de sa décadence. C'est la première guerre mondiale qui signe cette coupure entre les deux périodes de la vie du capitalisme. "Une nouvelle époque est née. L'époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement interne. L'époque de la révolution communiste du prolétariat" proclame en 1919 l'Internationale communiste dans sa plate-forme.
"La période de décadence du capitalisme se caractérise par une absorption de la société civile par l'Etat. De ce fait, le législatif, dont la fonction initiale est de représenter la société, perd tout son poids devant l'exécutif qui est le sommet de la pyramide étatique. Cette période connaît une unification du politique et de l'économique, l'Etat devenant la principale force dans l'économie nationale et sa véritable direction. Que ce soit par une intégration graduelle (économie mixte) ou par un bouleversement brusque (économie entièrement étatisée) l'Etat cesse d'être un organe de délégation des capitalistes et groupes d'intérêts, pour devenir le capitaliste collectif, soumettant à sa férule tous les groupes d'intérêts particuliers. L'Etat en tant qu'unité réalisée du capital national, défend les intérêts de celui-ci sur l'arène impérialiste mondiale et sur le marché mondial. De même il prend directement à sa charge d'assurer la soumission et l'exploitation de la classe ouvrière". (Revue Internationale n°23 [1], Le prolétariat dans le capitalisme décadent). L'Etat capitaliste démocratique, stalinien ou fasciste, concrétise, sous différentes formes produites par des circonstances différentes, cette évolution de l'Etat de la période de décadence. Lorsque des institutions démocratiques sont maintenues, elles ont en fait perdu leur substance antérieure et n'existent plus uniquement qu'avec la fonction de mystifier la classe ouvrière.
La fondation de l'Internationale Communiste correspondait à cette capacité du prolétariat, se soulevant dans les principaux pays du monde contre la barbarie du capitalisme, à se hisser à la hauteur des nécessités politiques de la révolution. Elle traduisait des avancées du mouvement révolutionnaire dans la compréhension des conditions de la nouvelle période, comme le montrent les travaux des premier et deuxième congrès. Le premier congrès en particulier est celui de la rupture avec la social-démocratie, dont la trahison avait été responsable de l’embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste, qui avait constitué le fer de lance de l'offensive de la bourgeoisie contre la révolution en Russie et en Allemagne. Cependant, dans leur majorité, les révolutionnaires restent marqués par le poids du passé. L'IC, constatant que "les réformes parlementaires ont perdu toute importance pratique pour les classes laborieuses", n'en continue pas moins de prôner la participation à cette institution. Pire encore, le recul de la vague révolutionnaire à l'échelle internationale s'accompagne de la dégénérescence opportuniste de l'IC et des partis qui la constituent, partis qui, quelques années auparavant, s'étaient trouvés à l'avant garde du combat de la classe ouvrière. Déjà les troisième et quatrième congrès expriment une régression sur un certain nombre de questions et adoptent des positions opportunistes directement responsables de l'affaiblissement de la conscience dans les rangs de la classe ouvrière internationale. En effet, en contradiction avec le premier congrès, le troisième congrès propose, à travers la politique de Front Unique, l’alliance avec la social-démocratie, permettant ainsi la réhabilitation de cette organisation aux yeux du prolétariat, alors qu'elle fait pourtant déjà partie des rouages de l'Etat bourgeois. L'aboutissement d'une telle trajectoire de dégénérescence sera la mort de l'Internationale pour le prolétariat. En effet, en 1927, elle adopte des thèses défendant la possibilité du socialisme en un seul pays. Dans les années 30, ce sera le passage dans le camp de la contre-révolution des PC qui deviendront à leur tour le fer de lance de la bourgeoisie pour l'embrigadement du prolétariat dans la seconde guerre mondiale.
Ce n'est donc pas un hasard si, dans les années 20, la majorité de l'IC développe une analyse erronée du fascisme lors des premières manifestations significatives de son essor en Italie. De telles erreurs résultent d'incompréhensions concernant le mode de vie du capitalisme décadent. De plus, elles sont favorisées par le cours opportuniste pris par l'Internationale, résultant du recul général de la vague révolutionnaire. Cela s'exprime en particulier par une clarté et une fermeté insuffisantes sur la méthode d'analyse marxiste de la réalité, laissant la part belle aux illusions démocratiques.
En réaction à la dégénérescence de l'IC et pour la combattre, se crée en son sein, au début des années 20, une nouvelle Gauche résultant de l'activité des courants marxistes de gauche actifs en Italie, en Allemagne et en Hollande. Ces fractions, qui vont être exclues tout au long des années 20, poursuivront le combat politique pour assurer la continuité entre l’IC et le "parti de demain" en tirant un bilan de la vague révolutionnaire et de sa défaite. Bilan était précisément le nom de la revue de la Fraction italienne de la Gauche communiste dans les années 1930. Le travail de clarification de ces fractions inclue bien sûr l'analyse du fascisme et de l'antifascisme sur laquelle elles s'opposent radicalement non seulement aux partis staliniens dégénérescents mais également, dans les années trente, à Trotsky.
De notre point de vue, c'est la Gauche communiste d'Italie qui fit la contribution la plus importante sur ces questions et c'est à dessein que nous rapportons de nombreux témoignages de son effort d'analyse à travers la publication d'extraits de textes de sa revue Bilan. Nous nous réfèrerons également à des contributions ou analyses d'autres composantes du mouvement ouvrier, des courants ou éléments apparentés à la gauche allemande ou hollandaise.
Des approfondissements de l'analyse du fascisme seront encore effectués par la suite, par les organisations ou courants présentant une filiation politique ou organisationnelle avec ces fractions. Nous évoquerons en particulier Internationalisme (Revue de la Gauche communiste de France - GCF - publiée dans la seconde moitié des années quarante et au début des années cinquante), l'ancêtre du CCI. Internationalisme, tout en s'appuyant essentiellement sur les acquis de Bilan, a su également mettre à profit certains apports de la Gauche germano-hollandaise sur le capitalisme d'Etat. Nous parlerons également du PCI-Programme communiste, une des deux organisations auxquelles donna naissance en 53 la scission du PCI fondé en 1947 (l'autre organisation étant le PCInt-Battaglia comunista) en particulier à propos de son article important Auschwitz ou le grand alibi.
Pour fondamentaux que soient les apports des Gauches (sans eux le CCI et les autres groupes révolutionnaires n'existeraient pas aujourd'hui), ceux-ci se situent sur différents plans et sont de valeurs inégales. Quelles que soient les forces et les faiblesses des contributions des Gauches, il est néanmoins essentiel de les considérer toutes comme des efforts du prolétariat pour développer, à l'échelle de l'histoire, la conscience des conditions de son combat révolutionnaire pour le renversement du capitalisme. De plus, elles ont toutes en commun la caractéristique de s'inscrire dans la défense intransigeante du terrain de classe du prolétariat. De façon théorique mais aussi pratique et militante puisque c'est à elles qu'il est revenu, dans les années 30/40, dans des conditions extrêmement difficiles, de maintenir haut et fort le drapeau de l'internationalisme prolétarien face à l'hystérie chauvine des anciens partis ouvriers.
Tout autre est la "contribution" du courant trotskiste. Dans les années 30 et jusqu’à l'éclatement de la seconde guerre mondiale, il fait partie du camp prolétarien qu'il n'a pas encore trahi. Mais la guerre venue, en abandonnant l'internationalisme prolétarien, il empruntera à son tour le chemin pris avant lui par la social-démocratie et le stalinisme, qui mène dans le camp de la bourgeoisie contre le prolétariat, en appelant les prolétaires à choisir un camp impérialiste, celui de la défense de l'Etat russe. Jusqu'à ce moment tragique, sa contribution à la compréhension du fascisme et de l'antifascisme est directement en lien avec sa trajectoire opportuniste : elle est un facteur de désorientation de la classe ouvrière la poussant à adhérer aux mots d'ordre antifascistes des partis staliniens et démocrates.
Dès que la vague révolutionnaire marque le pas et s'engage dans une dynamique de reflux, au début des années 20, on assiste alors à la montée en puissance de mouvements fascistes, en Italie en particulier.
C'est à cette partie de la gauche de l'Internationale, majoritaire au sein du parti italien et dont le chef de file est Bordiga, qu'il revient de faire une contribution fondamentale quant à l'analyse de ce phénomène nouveau et à ses implications pour le prolétariat et pour les orientations politiques de l'avant garde révolutionnaire.
L'analyse de Bordiga s'inscrit dans la caractérisation générale faite par l'Internationale communiste de la période ouverte par la guerre de 14, celle de la décadence du capitalisme, et de l'irruption de la première vague révolutionnaire. C'est dans ce cadre qu'il dénonce les idéologies "nouvelles", dont le fascisme, que secrète la société : "A l’époque de sa décadence, la bourgeoisie est devenue incapable de se tracer une voie (c’est-à-dire non seulement un schéma de l’histoire, mais aussi un ensemble de formules d’actions) ; c’est pourquoi pour fermer la voie que d’autres classes se proposent d’emprunter dans leur agressivité révolutionnaire, elle ne trouve rien de mieux que de recourir au scepticisme universel, philosophie caractéristique des époques de décadence" (Communisme et fascisme ; Editions Programme communiste ; Rapport de A. Bordiga sur le fascisme au IVe congrès de l'Internationale communiste 2e séance - 16 novembre 1922 ; p 58)[1].
Bordiga montre que le fascisme est la forme nécessaire de domination de la société dont se dote la bourgeoisie pour faire face aux tendances à l'éclatement qui la traversent : "Le fascisme, qui ne pourra jamais surmonter l'anarchie économique du système capitaliste, a une autre tâche historique que nous pourrions définir comme la lutte contre l'anarchie politique, c'est-à-dire l'anarchie de l'organisation de la classe bourgeoise en parti politique. Les différentes couches de la bourgeoisie italienne ont traditionnellement formé des groupes solidement organisés qui se combattaient à tour de rôle du fait que leurs intérêts particuliers et locaux étaient concurrents, et qui, sous la direction de politiciens professionnels se livraient à toutes sortes de manœuvres dans les couloirs du parlement. L'offensive contre-révolutionnaire obligea les membres de la classe dominante à s'unir dans la lutte sociale et dans la politique gouvernementale. Le fascisme n'est que la réalisation de cette nécessité de classe. En se plaçant au-dessus de tous les partis bourgeois traditionnels, le fascisme les prive peu à peu de leur contenu, les remplace dans leurs activités et, grâce aux erreurs et aux insuccès du mouvement prolétarien, réussit à exploiter à ses propres fins le pouvoir politique et le matériel humain des classes moyennes." (Ibid p 92).
Comme on le voit, Bordiga se sépare nettement des interprétations qui vont devenir majoritaires au sein de l'IC selon lesquelles le fascisme est une réaction des couches féodales. Il s'y oppose même nettement : "La genèse du fascisme doit, selon nous, être attribuée à trois principaux facteurs : l'Etat, la grande bourgeoisie et les classes moyennes. Le premier de ces facteurs est l'Etat. En Italie l'appareil d'Etat a joué un rôle important dans la fondation du fascisme. Certes, les crises successives du gouvernement bourgeois ont fait naître l'idée que la bourgeoisie avait un appareil d'Etat tellement instable qu'il suffirait d'un coup de main pour l'abattre, mais il n'en est rien. Au contraire, c'est précisément dans la mesure où son appareil d'Etat se renforçait que la bourgeoisie a pu construire son organisation fasciste" (Ibid. p. 88). Il poursuit ainsi : "Le premier facteur est donc l'Etat. Le second est, comme nous l'avons déjà noté plus haut, la grande bourgeoisie. Les capitalistes de l'industrie, des banques, du commerce et les grands propriétaires terriens avaient un intérêt naturel à la fondation d'une organisation de combat capable d'appuyer leur offensive contre les travailleurs. Mais le troisième facteur ne joue pas un rôle moins important dans la genèse du pouvoir fasciste. Pour créer à côté de l'Etat une organisation réactionnaire illégale, il fallait enrôler encore d'autres éléments que ceux des couches supérieures de la classe dominante" (Ibid. p. 91)[2].
Une telle analyse, parfaitement lucide quant au rôle historique du fascisme, est inséparable de la compréhension, d'une part, du rôle que les partis de gauche définitivement passés au service de la bourgeoisie sont spécifiquement amenés à jouer contre le développement de la lutte de classe et, d'autre part, de la fonction de la démocratie au service de la conservation de l'ordre capitaliste. Sur ces deux questions également, Bordiga est à contre courant d'une tendance dominante au sein de l'IC. Pour lui, ce sont les partis de gauche traîtres à la classe ouvrière, et non le fascisme, qui sont utilisés comme fer de lance de l'offensive anti-ouvrière. Bordiga montre clairement, en deux circonstances, comment la bourgeoisie fait en premier lieu appel à ceux-ci, et non pas essentiellement au fascisme.
Au sortir de la première guerre mondiale : "Il est exact qu'immédiatement après la guerre, l'appareil d'Etat a traversé une crise dont la cause fut manifestement la démobilisation. Tous les éléments qui avaient jusque là participé à la guerre furent brusquement jetés sur le marché du travail ; à ce moment critique, l'appareil d'Etat qui, jusque là, avait tout mis en œuvre pour remporter la victoire sur l'ennemi extérieur dut se transformer en un organe de la défense contre la révolution. Cela posait à la bourgeoisie un problème gigantesque. Elle ne pouvait pas le résoudre militairement par une lutte ouverte contre le prolétariat. Elle devait donc le résoudre par des moyens politiques. C'est à cette époque que se forment les premiers gouvernements de gauche de l'après guerre, à cette époque que le courant politique de Nitti et Giolitti accède au pouvoir. (...) Ce fut Nitti qui créa la Garde Royale, qui n'était pas à proprement parler une police, mais bien une organisation militaire de type nouveau". (Ibid. p. 88) ;
Lors du mouvement d'occupation des usines en 1921 : "L'Etat comprit qu'une attaque frontale de sa part aurait été maladroite, que la manœuvre réformiste était une fois de plus tout indiquée et qu'on pouvait encore faire un semblant de concession. Avec le projet de loi sur le contrôle ouvrier, Giolitti obtint des chefs ouvriers qu'ils fassent évacuer les usines" (p. 79). Bordiga explicite alors en quoi le fascisme ne peut être utilisé frontalement pour battre la classe ouvrière : "Dans les grandes villes, il ne fut pas tout de suite possible de recourir à des méthodes violentes contre la classe ouvrière. Les ouvriers urbains constituaient une masse trop considérable pour cela. Il était relativement facile de les assembler et ils pouvaient donc opposer à l'attaque une résistance sérieuse. La bourgeoisie préféra donc imposer au prolétariat des luttes à caractère essentiellement syndical, dont les résultats lui furent généralement défavorables du fait de l'acuité de la crise et de l'augmentation continue du chômage." (Ibid. p. 84).
Le mouvement des occupations de 1921 ayant été défait, il s'ensuit dans la classe ouvrière en Italie une désorientation facilitant le travail de répression de l'Etat à son encontre. C'est alors, mais dans un deuxième temps, que les bandes fascistes coordonnées par l'Etat, entrent en lice en participant de plus en plus activement et massivement à la répression.
Contrairement à une interprétation, développée par la gauche du capital dans les années 30 et encore véhiculée aujourd'hui, attribuant au fascisme le rôle spécifique d'affaiblir et museler le mouvement ouvrier en s'attaquant à ses prétendus acquis démocratiques au sein de la société, Bordiga est parfaitement clair sur le fait que le fascisme s'impose comme nécessité de la bourgeoisie face à l'ensemble de la société : "Les mesures gouvernementales du fascisme montrent qu'il est au service de la grande bourgeoisie, du capital industriel, financier et commercial et que son pouvoir est dirigé contre les intérêts de toutes les autres classes" (Ibid p. 121). Lorsqu'il accède au pouvoir en Italie en 1922, le fascisme doit aussi faire face à toutes les tendances centrifuges au sein de la société, mais aussi à la classe ouvrière qui, à ce moment, bien que très affaiblie, n'est pas encore totalement battue, ni écrasée comme elle le sera dans les années 30. C'est pour cela qu'il doit maintenir les mystifications démocratiques : "Le fascisme n'est pas une tendance de la droite bourgeoise s'appuyant sur l'aristocratie, le clergé, les hauts fonctionnaires civils et militaires et visant à remplacer la démocratie du gouvernement bourgeois et de la monarchie constitutionnelle par une monarchie autoritaire. Le fascisme incarne la lutte contre-révolutionnaire de tous les éléments bourgeois unis ; c'est pourquoi il ne lui est nullement nécessaire et indispensable de remplacer les institutions démocratiques par d'autres. Pour nous, marxistes, cette circonstance n'a rien de paradoxal, parce que nous savons que le système démocratique ne représente rien de plus qu'une somme de garanties mensongères derrière laquelle se dissimule la lutte réelle de la classe dominante contre le prolétariat." (Ibid. p. 93). De ce fait, rien n'indique, dans les circonstances de l'époque, que le fascisme sera amené ultérieurement à se débarrasser de la démocratie : "Les premières mesures du gouvernement montrent qu'il n'entend pas modifier la base des institutions traditionnelles. Naturellement je ne prétends pas que la situation soit favorable au mouvement prolétarien et communiste bien que je prévoie que le fascisme sera libéral et démocratique." (Ibid. p. 99). En fait le fascisme du début des années 20 n'est que l'embryon d'une tendance qui ne pourra être achevée, sous sa forme dictatoriale, que dans les années 30 en Allemagne et en Italie, après que le prolétariat ait été laminé.
[1] Il faut noter que ce passage tend à montrer que, au contraire de ses théorisations ultérieures et des positions programmatiques de ses épigones bordiguistes, Bordiga ne rejette pas, au moment de la vague révolutionnaire, l'idée que le capitalisme soit entré dans sa phase de décadence.
[2] Parmi tous ceux qui défendaient une analyse du fascisme comme expression d'un mouvement réactionnaire, il y avait aussi Gramcsi pour qui le fascisme était une émanation des couches paysannes arriérées du sud de l'Italie. La réalité confirmera la validité de l'analyse de Bordiga en particulier à travers ceci que, le fascisme, autant que la démocratie, sera capable de développer les forces productives.
Ce courant a été capable d'une grande clarté théorique, parfois plus que la gauche italienne, sur des questions clés liées à l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence. C'est le cas en particulier sur le rôle du parlementarisme et des élections que la classe ouvrière ne peut plus utiliser à son profit mais qui sont des armes de la bourgeoisie. De plus, et contrairement à la gauche italienne, il a été capable de caractériser les syndicats comme des organes intégrés à l'Etat bourgeois ayant la fonction d'encadrer la classe ouvrière. Sur toutes ces questions il s'est opposé ouvertement aux erreurs de l’IC et de Lénine. Cependant, il est caractérisé aussi, à la fin des années vingt et dans les années trente, par une analyse profondément erronée de l’échec de la révolution russe. Celle-ci était même considérée comme une révolution bourgeoise par certaines de ses composantes qui attribuaient ainsi son échec, non pas au reflux de la vague révolutionnaire mondiale, mais à des conceptions "bourgeoises" défendues par le parti bolchevik et Lénine, comme celle de la nécessité du parti révolutionnaire.
La gauche allemande
Une contribution de A. Lehmann, membre des "groupes communistes ouvriers" allemands héritiers du KAPD permet de se rendre compte du degré de clarification théorique à laquelle était parvenue la Gauche allemande sur la question du fascisme qu’elle fait résulter de la décadence du capitalisme et de la crise économique aiguë : "Les possibilités d’une accumulation du capital toujours de plus en plus importantes, qui s’étaient manifestées dans cette première phase, trouvèrent leur fin dans la concurrence de plus en plus acharnée des capitalismes nationaux qui se heurtaient dans les dernières tentatives possibles de conquête de nouveaux terrains d’expansion capitaliste. Ces rivalités causées par la restriction des débouchés aboutirent à la guerre mondiale (…) Les différentes couches du capitalisme perdirent leur caractère spécial (financier, industriel, etc.) pour se fondre dans une masse d’intérêts de plus en plus uniformisés. (…) Avec une telle structure, le capitalisme n’a plus besoin du parlementarisme qui ne subsiste dans une première période que comme une façade derrière laquelle s’accomplit la dictature de ce capital monopoliste" (extrait d'un article publié dans le N° 11 de Masses, en novembre 1933, qui était un mensuel éclectique situé à gauche de la social-démocratie française ; reproduit dans la Revue Internationale du CCI n°3 [3], 1975)
Cependant cette analyse comporte un certain nombre de faiblesses, ayant cours dans une partie de la Gauche allemande, qui la conduisent à considérer que le fascisme allait s’étendre rapidement : "Mais l’aggravation de la crise mondiale, l’impossibilité d’ouvrir de nouveaux débouchés enlèvent peu à peu tout intérêt pour la bourgeoisie dans le maintien de cette façade parlementaire. La dictature directe et avouée du capital monopoliste devient une nécessité pour la bourgeoisie elle-même. Il montre que le système fasciste est la forme du gouvernement la mieux appropriée aux besoins du capital monopoliste. Son organisation économique est la plus favorable pour la solution des contradictions internes de la bourgeoisie, tandis que son contenu politique permet à la bourgeoisie de s’appuyer sur une nouvelle base qui remplace ainsi le réformisme devenu de plus en plus incapable de maintenir les illusions des masses" (ibid.). Ainsi elle ne comprenait pas les conditions particulières qui ont fait apparaître le fascisme en Italie et en Allemagne et pas dans d'autres pays industrialisés. Celles-ci sont de deux ordres : d'une part la défaite particulièrement brutale qu’y a subie la classe ouvrière après un mouvement de lutte puissant et, d'autre part, la nécessité pour la bourgeoisie de ces pays, battus lors de la première guerre mondiale, de prendre l'initiative de préparatifs pour un nouveau repartage, par les armes, du gâteau impérialiste.
Enfin, cette analyse a été capable de mettre en relief ce qui distingue justement les courants de la Gauche communiste du trotskisme ou des courants de la gauche de la bourgeoisie, c'est-à-dire que l’antagonisme au sein de la société ne se situe pas entre fascisme et démocratie mais bien entre prolétariat et capitalisme : "Mais si la classe ouvrière ne se laissa pas, ou presque pas, contaminer par la démagogie fasciste, elle n’en fut pas moins incapable de s’opposer au développement du parti national-socialiste.(...) Surtout le prolétariat ne comprit pas que la partie se jouait non entre la démocratie et le fascisme, mais en réalité entre la révolution prolétarienne et le fascisme. C’est donc l’incapacité révolutionnaire du prolétariat qui permit le développement politique du fascisme et l’avènement d’Hitler. (...)." Néanmoins, une faiblesse importante de cette contribution consiste dans l'absence d'une dénonciation du danger antifasciste. Sur cette dernière question en particulier, le courant de la Gauche italienne sera beaucoup plus clair et conséquent pour mettre en évidence la démarcation entre le camp prolétarien et celui de toutes les fractions de la bourgeoisie.
Anton Pannekoek, une grande figure du mouvement ouvrier et un des chefs de file de la gauche de la social-démocratie, fut de tous les combats contre les manifestations de l'opportunisme au sein de la seconde Internationale. Lors de la première boucherie mondiale, il compte parmi les internationalistes de la première heure, à côté de Lénine et Rosa Luxemburg notamment, au moment où les partis sociaux-démocrates trahissaient le prolétariat en l’appelant à l’union sacrée avec ses exploiteurs. S'il est encore internationaliste pendant la seconde guerre mondiale, il ne sera néanmoins pas capable des mêmes apports qu'au moment de l'épreuve de la première guerre.
Avant que ne prenne fin le second conflit mondial, il est capable d'une clairvoyance remarquable quant aux moyens que la bourgeoisie va mettre en œuvre pour éviter que ne se reproduise un soulèvement révolutionnaire (même si ses formulations démontrent une très grande surestimation de sa part de la facilité avec laquelle s'était opéré le soulèvement prolétarien en Allemagne à partir de 1918) : "L’objectif de la dictature national-socialiste, la conquête et la domination du monde, rend probable le fait qu’elle sera détruite au cours de la guerre même qu’elle a déclenchée dans ce but. Elle laissera alors l’Europe dévastée, en proie au chaos et à la misère, son appareil productif, adapté aux fournitures de guerre, complètement usé, son sol et ses habitants épuisés, ses matières premières ayant disparu, ses villes et usines en ruine, ses ressources économiques pillées et anéanties. Mais contrairement au précédent historique de l’Allemagne de 1918, le pouvoir politique ne tombera pas automatiquement aux mains de la classe ouvrière. Les puissances victorieuses ne le permettront pas : toutes leurs forces serviront à la répression, si besoin est." (Les Conseils ouvriers II p. 97 Edition Spartacus). En fait, l'Allemagne nazie vaincue participera aussi à l'entreprise puisque lui sera délégué le travail d'anéantissement du prolétariat dans les zones qui reviendront au bloc russe après le partage de Yalta.
Tout comme Bordiga avant lui, Pannekoek fait clairement résulter le fascisme, non pas de la montée des classes réactionnaires de la société, mais bien des besoins du capital : "Le nouveau despotisme, au contraire, est un produit du capitalisme hautement développé ; il dispose de toute la puissance de la bourgeoisie et de toutes les méthodes raffinées qui lui fournissent les techniques et les méthodes d'organisation modernes. Il représente un progrès, non une régression, non un retour à une vieille barbarie brutale mais l'annonce d'une barbarie bien plus raffinée" (ibid. p. 68)
Pannekoek, contrairement à Lehmann, ne commet pas non plus l’erreur de penser que le fascisme sera la forme universelle de domination du capitalisme : "aujourd’hui, de manière analogue, il se pourrait que, tandis que dans certains pays s’établissent des dictatures fascistes, dans d’autres les conditions de cette installation fassent défaut". Il entrevoit donc que ce sont des conditions particulières qui permettent son avènement : "On dit souvent que le fascisme est la véritable doctrine du grand capital. Il n'en est rien. L'exemple de l'Amérique est là pour prouver qu'une domination paisible peut être plus facilement assurée par le biais de la démocratie politique. Mais si, dans sa lutte pour s'élever, un capitalisme donné échoue face à une ennemi plus puissant, ou s'il est menacé par une classe ouvrière révoltée, il doit avoir recours à de modes plus violents de domination. Le fascisme est le système politique auquel a recours le grand Capital lorsqu'il se trouve en situation critique". (ibid. p. 66)
Il sait mettre en évidence la tendance au capitalisme d’Etat agissant en tant que garant de la cohésion économique et sociale face aux contradictions qui assaillent la société. Pour lui, tous les régimes, qu'ils soient fascistes ou démocrates, portent le sceau de telles caractéristiques : "Les gouvernements, même ceux qui s’intitulent démocratiques, seront obligés d’intervenir toujours davantage dans la production. Tant que le capital détiendra le pouvoir et aura peur, les méthodes despotiques de gouvernement seront utilisées et se dresseront comme des ennemis formidables face à la classe ouvrière."(ibid. p. 95)
Pannekoek est aussi capable de saisir l'unité du capitalisme d'Etat qui englobe également l'Etat stalinien surgi de la contre-révolution en Russie : "Un examen plus poussé des relations profondes entre les choses montre que non seulement le communisme qui avait donné l'exemple de la dictature d'Etat, mais aussi la social-démocratie avaient préparé la voie du national-socialisme (...) Et, au premier chef l'idée même de socialisme étatique ; d'une organisation de toute la production consciemment planifiée par le pouvoir centralisé de l'Etat. Sans doute entendait-on alors par Etat démocratique l'organe du peuple du travail. Mais les intentions ne pèsent pas lourd face à la réalité. Une organisation qui est maître de la production est maître de la société ; il est maître des producteurs en dépit de tous les textes qui essaient d'en faire un organe subordonné, et il ne peut éviter, et a besoin, de se développer en classe ou groupe dominants" (ibid. p. 51). Pour parvenir à cette caractérisation, Pannekoek s'appuie sur une analyse parfaitement juste selon laquelle la Russie, à ce moment là, n'a effectivement rien de communiste, pas plus que son Etat n'est prolétarien mais correspond à la forme particulière prise par la tendance au capitalisme d'Etat dans ce pays[1]. Ce passage et le reste des travaux de Pannekoek expriment une intuition juste d'un problème réel. L'analyse qui en est donnée par Bilan, qui traitera le problème beaucoup plus en profondeur, est que l'Etat qui surgit au lendemain de la prise du pouvoir par la classe ouvrière n'est pas prolétarien mais exprime les antagonismes de classe qui existent encore dans la société tant que les rapports capitalistes demeurent dominants à l'échelle mondiale. Au moment de la vague révolutionnaire mondiale, l'ensemble du mouvement ouvrier, encore influencé par les vieilles conceptions social-démocrates sur la prise du pouvoir, défend l'analyse erronée identifiant la dictature du prolétariat à l'Etat de la période de transition[2]. Mais, contrairement à ce que pense Pannekoek, cette erreur du mouvement ouvrier - qui aurait été corrigée si la révolution s'était étendue internationalement - n'est pas la cause profonde de l'échec de la vague révolutionnaire. Si cette question n'a pu être clarifiée dans le feu de l'action, à l'épreuve de la réalité, c'est justement parce que le rapport de force international entre les classes est devenu très tôt défavorable au prolétariat, condamnant à la dégénérescence le bastion prolétarien en Russie complètement isolé.
Tournant complètement le dos à cette méthode d'analyse, Pannekoek va chercher une origine de la tendance au capitalisme d'Etat, et donc du fascisme, dans des "tares" du mouvement ouvrier lui-même : "Les mots d'ordre, les buts, les méthodes, inventés pour les travailleurs par la social-démocratie, furent repris par le national-socialisme et mis en pratique pour le profit du capital (...) le "principe du chef" n'a pas été inventé par le national-socialisme. Il s'est développé avec la social-démocratie, mais dissimulé sous des apparences démocratiques. Le national-socialisme le fit sortir au grand jour ; il en fit la nouvelle base des rapports sociaux avec toutes les conséquences que cela comportait." On mesure ici toute la régression du grand révolutionnaire qui, face au fascisme n'est pas capable de revenir à la méthode qui avait été celle des révolutionnaires conséquents, et donc la sienne, face à la trahison de la social-démocratie et ensuite face à la victoire de l'insurrection d'octobre. Pannekoek, comme le fait à plus grande échelle la propagande bourgeoise aujourd'hui, assimile le communisme au stalinisme, identifie le parti de la révolution prolétarienne, le parti bolchevik de Lénine, à celui de Staline et de la contre-révolution. Il va même jusqu'à suggérer une assimilation du même ordre entre le parti de Marx et Engels et celui de Noske et Scheideman. A l'inverse de cette méthode qui mettait au cœur de la démarcation entre camp bourgeois et camp prolétarien des questions essentielles telles que l'internationalisme et la défense de la révolution face à toutes les fractions de la bourgeoisie, Pannekoek se polarise sur des faiblesses réelles, mais secondaires au regard du problème posé, comme le culte des chefs dans la social-démocratie, sous l'effet de l'idéologie dominante. Dans son esprit, la problème n'est plus celui de la nécessaire démarcation entre organisations du prolétariat passées à l'ennemi de classe, et les nouvelles à reconstruire, mais celui du rejet de tout parti politique, qui par essence serait nécessairement bourgeois. C'est une des raisons pour lesquelles, à l'instar de Lehman, non seulement il ne fut pas capable de mettre clairement en évidence les contours de l'ensemble du camp ennemi, quels que soient ses habits, staliniens, démocrates ou fascistes, mais surtout sa dénonciation bien pâle de la démocratie ne lui permit pas non plus de pointer l'importance de la force de mystification que constitue l'antifascisme contre la classe ouvrière.
S'il est avéré qu'effectivement les partis staliniens et sociaux-démocrates ont été, depuis leur passage à la contre révolution, les plus fervents défenseurs des mesures capitalistes d'Etat, la relation que suggère Pannekoek entre le fascisme et ceux-ci est erronée. En premier lieu, le fascisme n'est pas le produit du stalinisme ou du capitalisme démocratique étatique, mais tous trois sont des expressions de la tendance au capitalisme d'Etat. En outre, le problème essentiel consiste dans la grave erreur d'une analyse qui gomme l'essentiel de la véritable relation de cause à effet entre fascisme et ex-partis de la classe ouvrière passés à l'ennemi : c'est l'écrasement de la classe ouvrière par cette gauche du capital qui ouvre la voie au fascisme.
Voilà pourquoi, malheureusement, Pannekoek ne contribue pas à armer le prolétariat même lorsqu'il dit justement que la social-démocratie a fait le lit du fascisme : "Comment a-t-il pu être possible qu’une classe ouvrière, en apparence aussi puissante que la classe ouvrière allemande, à l’époque de la splendeur de la social démocratie, presque prête à conquérir le monde, ait pu tomber dans une telle impuissance ? Même aux yeux de ceux qui s’étaient rendu compte de la dégénérescence interne du mouvement socialiste, cette reddition obtenue facilement en 1933, sans combat, et la destruction complète de son imposante structure furent une véritable surprise. D’une certaine façon, pourtant, le national-socialisme put être considéré comme le rejeton naturel de la social-démocratie." (ibid. p. 93). Dans ces écrits, non seulement Pannekoek demeure à côté de la dénonciation essentielle de la gauche du capital et attribue finalement, indirectement, à la révolution en Russie un rôle d'impulsion du fascisme. Par ses analyses erronées, il a même participé à développer la confusion dans la classe ouvrière qui, à ce moment-là, en avait moins que jamais besoin.[1] La forme totalitaire et caricaturale prise par le capitalisme d'Etat en URSS s'explique par les conditions historiques particulières dans lesquelles il s'est constitué. La bourgeoisie en Russie, avec la dégénérescence interne de la révolution, s'est constituée, non pas à partir de l'ancienne bourgeoisie tsariste éliminée par le prolétariat en 1917, mais à partir de la bureaucratie parasitaire de l'appareil d'Etat avec lequel s'est confondu de plus en plus, sous la direction de Staline, le Parti Bolchevik. C'est la bureaucratie du Parti-Etat qui, en éliminant à la fin des années 20 tous les secteurs susceptibles de reconstituer une bourgeoisie privée, et auxquels elle s'était alliée pour assurer la gestion de l'économie nationale (propriétaires terriens et spéculateurs de la NEP) a pris le contrôle de cette économie.
[2] En fait, la position du CCI est que la classe ouvrière doit préserver son indépendance de classe vis-à-vis de ce semi-Etat appelé à dépérir avec le développement de la révolution mondiale mais qui, comme tout Etat, est par essence conservateur. Organisée dans ses conseils, elle doit assumer son œuvre de transformation de la société, par l'exercice de sa dictature sur toute la société et sur l'Etat lui-même.
Le travail de Bilan se situe en continuité directe avec celui réalisé avant lui par la Gauche en Italie dans les années vingt et dont l'essentiel de ses membres sont issus. C'est donc d'un solide cadre programmatique que la GCI hérite pour développer ses analyses et orientations politiques. Elle saura l'enrichir au feu des situations et à force d'efforts d'approfondissement politique en son sein[1]. C'est ce qui lui permettra de "maintenir le cap" dans un contexte où les minorités révolutionnaires sont de plus en plus à contre-courant et où les bataillons décisifs de la classe ouvrière, après la défaite de la vague révolutionnaire, se trouvent embrigadés dans la défense du capital national.
Au début des années trente, Bilan perçoit le changement intervenu dans le rapport de force entre les classes et se montre capable de comprendre que la perspective, à court et moyen terme, n'est plus la prise du pouvoir par la classe ouvrière mais la guerre impérialiste. Cette démarche lui permet de ne pas reproduire les erreurs opportunistes de l'Internationale Communiste préconisant notamment une politique de Front unique avec les partis sociaux-démocrates afin de retrouver une influence sur les masses qui tendaient à se détourner du drapeau de la révolution. C'est ainsi que Bilan poursuivra le combat de Bordiga contre cette politique catastrophique que soutient le trotskisme et ceux qui le suivent. En effet, pour la vision trotskiste, tout au long des années 30, il demeure des potentialités révolutionnaires importantes qu'une direction révolutionnaire appropriée doit pouvoir faire fructifier. A cette époque, Bilan est seul à mener le combat de façon systématique et militante contre une telle orientation : "Ce qui changeait, après les premières défaites, c’était seulement les objectifs immédiats pour cette lutte : en 1917-20, c’était la revendication de la lutte immédiate pour le pouvoir. En 1921, cette revendication devait se concrétiser autour des revendications immédiates tout en mettant très nettement en évidence l’inévitabilité de leur évolution vers la lutte pour la prise du pouvoir.
On sait que l’Internationale Communiste, en 1921-22, s’est posée tout autrement ce problème central : elle s’est assigné pour but celui de garder, à tout prix, les masses autour des partis communistes et, ne pouvant y arriver sur la base des mêmes méthodes politiques, des mêmes positions qu’en 1918-20, car la situation avait changé, s’est vue obligée de modifier substantiellement les positions et les méthodes, entraînant ainsi de nouvelles défaites. Le problème du front unique, dans les différentes formulations qui virent le jour à cette époque et qui altérèrent même le problème de la prise du pouvoir (Saxe, Thuringe) fut donc un produit des circonstances historiques profondément défavorables, un élément qui, mal résolu, troubla profondément la substance de la politique révolutionnaire sur laquelle s’était bâtie l’I.C.
On pose généralement le problème du front unique ainsi : dans la conjoncture défavorable, le programme affiché par les socialistes acquiert une portée révolutionnaire. Le socialiste le proclame dans le but unique de tromper les masses et dans la perspective de ne jamais réaliser de mouvements autour de son programme. Le devoir des communistes consiste à attirer les social-démocrates dans un guet-apens, c’est-à-dire d’établir un accord sur la base des formulations revendiquées par les réformistes, car de leur démasquement ne peut résulter que le déplacement des masses vers le communisme." (Bilan n°6, avril 1943 ; Les problèmes de Front unique).
Même si les circonstances défavorables interdisent provisoirement que la lutte pour le pouvoir soit à l'ordre du jour, ce n'est pas une raison pour brader les principes et composer avec l'ennemi : "Il faut d’abord indiquer que la contingence défavorable signifie que, provisoirement, le problème du pouvoir ne se pose pas comme un objectif réel pour la lutte des ouvriers. Cette contingence n’infirme néanmoins en rien les positions précédemment proclamées par le parti communiste, que le problème du pouvoir ne peut se résoudre que par la voie de l’insurrection, que la seule position du prolétariat envers l’Etat est celle de sa destruction, et qu’enfin pour réaliser ces revendications, il n’y a que le parti communiste, lequel trouvera contre lui et contre les masses, le bloc uni du capitalisme depuis ses formations d’extrême droite jusqu’à celles de l’extrême gauche (austro-marxistes)". (Bilan n°6 ; Les problèmes de Front unique)
La lutte pour la révolution n'étant alors plus à l'ordre du jour, ni à court ni à moyen terme, cela ne signifie pas que la classe ne doit pas lutter. Mais l'échelle de sa lutte se restreint nécessairement à la défense contre les attaques économiques du capital. Tout raccourci artificiel vers la lutte révolutionnaire (le programme minimum des trotskistes) conduit nécessairement à l'opportunisme et à faire le jeu de l'ennemi de classe. C'est cette voie qu'emprunteront les trotskistes à travers leur politique "d'entrisme" dans la social-démocratie et, durant la guerre d'Espagne, leur soutien "critique" au POUM qui participait au gouvernement bourgeois de la Généralité de Catalogne.
Le trotskisme, à l'instar des partis staliniens, estompe aux yeux de la classe ouvrière, non seulement la nature anti-prolétarienne des partis socialistes, mais surtout le rôle spécifique qu'ils jouent contre la classe ouvrière au service de l'Etat capitaliste. Tirant systématiquement toutes les leçons de l'épreuve de la période ouverte avec la Première Guerre mondiale, Bilan développe une dénonciation systématique et approfondie de la trahison de ces partis et de leur intégration au sein de l'Etat capitaliste, en mettant en évidence les éléments suivants :
Les conditions historiques, à ce moment là, sont complexes car elles résultent de différents facteurs, l'entrée en décadence du capitalisme, la vague révolutionnaire mondiale et son échec ainsi que l'ouverture d'un cours vers la guerre. En vue de celle-ci, la bourgeoisie développe une offensive politique contre le prolétariat prise en charge par l'Etat. L'Etat démocratique alterne mystification et répression, alors que l'Etat fasciste et l'Etat stalinien font essentiellement régner la terreur. Aucun effort ne doit être ménagé pour assimiler ces nouvelles conditions car en dépendent la validité de l'intervention dans la classe et les enseignements à transmettre aux générations futures de révolutionnaires. Tournant le dos à l'immédiatisme et à l'apolitisme ambiants qui dissolvent toute réflexion politique et constituent le creuset au développement de théories et orientations politiques opposées aux intérêts de classe du prolétariat, la Gauche italienne comprend qu'il est nécessaire de s'investir dans un travail théorique d'analyse des conditions historiques présentes : " (...)Il est élémentaire - ou plutôt il l’était auparavant - d’affirmer qu’avant d’entamer une bataille de classe, il est nécessaire d’établir les objectifs que l’on s’assigne, les moyens à employer, les forces de classe qui peuvent intervenir favorablement. Il n’y a rien de "théorique" dans ces considérations, et par-là nous entendons qu’elles ne s’exposent pas à la critique facile de tous ces éléments blasés de "théories", dont la règle consiste, au-delà de toute clarté théorique, à tripatouiller dans des mouvements avec n’importe qui, sur la base de n’importe quel programme, pourvu que subsiste "l’action". Nous sommes évidemment de ceux qui pensent que l’action ne découle pas des "coups de gueule" ou de bonnes volontés individuelles, mais des situations elles-mêmes. En outre, pour l’action, le travail théorique est indispensable afin de préserver la classe ouvrière de nouvelles défaites. Et on doit bien saisir la signification du mépris affecté par tant de militants pour le travail théorique, car il s’agit toujours, en réalité, d’introduire, en catimini, à la place des positions prolétariennes, les conceptions principielles de l’ennemi : de la social-démocratie au sein des milieux révolutionnaires, tout en proclamant l’action à tout prix pour une "course de vitesse" avec le fascisme". (Bilan n°7, L'antifascisme, formule de confusion)." Cette démarche préconisée par Bilan est à l'opposé de celle de l'antifascisme pour qui "les considérations politiques n'entrent pas en jeu. Ce dernier se donne pour but de regrouper tous ceux qui sont menacés par l'attaque du fascisme en constituant un "syndicat des menacés"" (Bilan n°7, L'antifascisme, formule de confusion).
Pour Bilan, comme pour le PC d'Italie avant l'élimination de Bordiga de la direction du parti, il ne peut être question de voir dans le fascisme autre chose que le capitalisme, sous une forme adaptée aux nécessités économiques et politiques d'une situation requérant une intervention énergique de l'Etat pour assurer la cohésion de la société : "L’expérience démontre, et cela anéantit la possibilité de distinction entre fascisme et capitalisme, que la conversion du capitalisme en fascisme ne dépend pas de la volonté de certains groupes de la classe bourgeoise, mais répond à des nécessités qui se rattachent à toute une période historique et aux particularités propres à la situation d’Etats se trouvant dans une situation de moindre résistance aux phénomènes de la crise et de l’agonie du régime bourgeois. La social-démocratie, qui agit dans le même sillon que les forces libérales et démocratiques, appelle également le prolétariat à poser comme revendication centrale le recours à l’Etat pour obliger les formations fascistes à respecter la légalité pour les désarmer ou même pour les dissoudre. Ces trois courants politiques agissent sur une ligne parfaitement solidaire : leur source se retrouve dans la nécessité pour le capitalisme d’aboutir au triomphe du fascisme, là où l’Etat capitaliste a pour but d’élever le fascisme jusqu’à en faire la forme nouvelle d’organisation de la société capitaliste" (Bilan n°7, L'antifascisme, formule de confusion).
L'exemple allemand le démontre clairement. Flouée par le traité de Versailles, et manquant de débouchés coloniaux, l'Allemagne est contrainte de se lancer dans une nouvelle lutte impérialiste pour le repartage du monde. Dans ce pays, la défaite physique profonde qu'a subie le prolétariat, rend superflu le maintien du masque démocratique et permet l'instauration de régimes totalitaires.
Ainsi, la maturation des conditions par rapport à la situation analysée par Bordiga au début des années 20, lors de l'arrivée de Mussolini au pouvoir, permet à Bilan de caractériser plus précisément les conditions de l'avènement du fascisme qui "s'est édifié sur la double base des défaites prolétariennes et des nécessités impérieuses d'une économie acculée par une crise économique profonde." (Bilan n°16, mars 1935 ; L'écrasement du prolétariat allemand et l'avènement du fascisme).
Fer de lance de la défense du capitalisme, c'est la social-démocratie qui, en infligeant une série de défaites physiques au prolétariat, a rendu possible une telle forme de domination qui correspond pleinement aux nécessités du capital national : "Ce qui appelait surtout la domination du fascisme c'était la menace qu'avait représenté dans l'après-guerre - et que représentait - le prolétariat, menace dont le capitalisme put se sauver grâce à la social-démocratie mais qui demandait une structure politique correspondante à la concentration disciplinaire effectuée sur le terrain économique (…)Faire appel au fascisme après 1919, le capitalisme allemand se décomposant lamentablement ne le pouvait pas, d'autant plus que le prolétariat était là, menaçant. C'est pourquoi le putsch de Kapp est combattu par les fractions du capitalisme comme d'ailleurs par les Alliés qui comprennent l'aide inappréciable des social-traîtres." (Bilan N° 10, août 34, Les événements du 30 juin en Allemagne).
Dans la même logique Bilan souligne la complémentarité et la différence entre le deux formes de domination du capital, démocratie et fascisme, quant à la nature du contrôle qu'elles permettent sur la classe ouvrière, dans tous les cas pour obtenir sa soumission totale aux intérêts du capital national :
[1] Ainsi que nous l'avons dit en introduction de cette brochure, Bilan se donne comme objectif de tirer les leçons de la première vague révolutionnaire et de son échec, comme condition de la victoire du prochain surgissement prolétarien. Néanmoins, ce n'est pas d'emblée et spontanément que la clarté s'imposa sur les questions essentielles de la période, mais à force de travail de réflexion collective et de confrontation de ces analyses à la réalité. Ainsi, dans ses formulations, Bilan parle encore de l’URSS comme d’un "Etat ouvrier" et des Partis Communistes comme des partis "centristes". Il faudra en effet attendre la seconde guerre mondiale pour que la Gauche italienne assume entièrement l’analyse de la nature capitaliste de l’URSS et des partis staliniens. Cependant, cela n’empêcha pas ces révolutionnaires, dès les années 1930, de dénoncer vigoureusement et sans hésitation les staliniens comme des forces "travaillant à la consolidation du monde capitaliste dans son ensemble", "un élément de la victoire fasciste". Ce retard de Bilan par rapport à la situation s'explique par le fait que lui aussi était encore imprégné de confusions liées à l’énorme attachement des révolutionnaires à cette expérience unique.
Néanmoins, pour Bilan, c'est la Russie qui, plus que l'action du capital dans les autres parties du monde, a joué le rôle décisif dans le triomphe de la contre-révolution : "le rôle de la Russie aura plus fait pour tuer l'idée de révolution prolétarienne, de l'Etat prolétarien, qu'une répression féroce du capitalisme". (Bilan N°17, avril 1935, De la commune de Paris à la Commune russe).
Dans cette partie nous nous limiterons aux organisations qui puisent leurs origines dans la Gauche italienne, en laissant volontairement de côté la composante conseilliste de la gauche communiste dans la mesure où son existence militante et ses publications sur le sujet qui nous préoccupe demeurent malgré tout marginales.
Ces organisations appartiennent à deux branches de la Gauche communiste d'Italie : celle issue du PCI qui se forme en Italie en 1943, et celle issue de la Gauche Communiste de France qui n'a pas accepté les bases opportunistes de la formation du PCI. La première branche, qui ne se revendique pas explicitement de Bilan, voire rejette certains de ses apports, donnera naissance, suite à une scission en 1952, d'une part aux différentes organisations bordiguistes et, d'autre part, au PCInt Battaglia Comunista. La seconde branche, la Gauche communiste de France, connue d'avantage sous le nom de sa publication Internationalisme, à partir de la deuxième moitié des années 40 jusqu'au début des années 50, est l'ancêtre du CCI.
Ces deux composantes reprennent à leur compte l'héritage de Bordiga et de Bilan quant à l'analyse du fascisme et de la fausse alternative fascisme / antifascisme. Néanmoins, elles ne feront pas preuve de la même intransigeance politique vis-à-vis de groupements ou éléments qui, tout en ayant participé, à un niveau ou un autre, au "combat antifasciste" durant la seconde guerre mondiale, continueront néanmoins de se revendiquer de la Gauche communiste au sortir de la guerre et participeront même pour certains (Vercesi) à la formation du PCI d'Italie. De plus, ces deux composantes ne parviendront pas, de la même manière, à adapter leur cadre d'analyse à la situation ouverte par 1968. En effet, la perspective étant depuis lors au développement de la lutte de classe, l'arrivée au pouvoir du fascisme n'est plus à l'ordre du jour tant qu'un tel cours aux affrontements de classe se maintient. C'est donc en ayant en vue une telle perspective et non plus celle de la répétition des années trente que doit s'effectuer la dénonciation du danger fasciste que brandit la bourgeoisie. Mais si, contrairement aux années trente, la bourgeoisie ne peut pas embrigader le prolétariat en vue de la guerre impérialiste, de telles campagnes idéologiques actuelles contre le "danger fasciste" ont néanmoins une fonction antiouvrière destinée à renforcer les mystifications démocratiques.
La vigilance d'Internationalisme dans la défense du patrimoine politique légué par Bilan s'illustre à propos du "cas Vercesi". Malgré des théorisations erronées sur la nature de la guerre impérialistes[1] ce militant avait jusqu'alors dénoncé avec fermeté l'antifascisme comme instrument de l'embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste. Or, pendant la guerre elle-même, il participe au Comité Antifasciste de Bruxelles, sans en référer le moins du monde à la Fraction italienne à laquelle il continue d'adhérer. Après en avoir été avertie, celle-ci l'exclut de ses rangs, le 20 janvier 1945. L'affaire ne vaudrait pas qu'on aille au-delà de déplorer la trahison si Vercesi n'avait participé après la guerre à la formation du PCI et tenté de justifier politiquement son engagement simultané dans le camp du prolétariat et dans celui de la bourgeoisie. La justification en question est en fait une remise en cause des fondements de la position internationaliste de Bilan. A celle-ci le numéro quatre d'Internationalisme, de juin 1945, oppose une cinglante dénonciation dont nous rapportons le passage suivant : "Le trotskisme se réclamera de la IIIe internationale dans le passé, pour adhérer dans le présent au parti socialiste et à la IIè internationale. Le stalinien se réclamera de la position de Lénine contre la guerre dans le passé, pour faire joyeusement la guerre aujourd'hui. L'anarchiste fera appel à Bakounine dénonçant l'oppression de l'Etat, tout en justifiant la participation dans l'Etat capitaliste espagnol et dans la répression antiouvrière en 1936. Vercesi, lui, ne manquera pas à la règle et il "confirmera" la position contre l'antifascisme d'hier pour justifier l'antifascisme d'aujourd'hui. Ecoutons-le : "je confirme donc que nous avons eu raison d'afficher que la tactique indirecte s'exprimant au travers de la formule antifasciste conduisait à la rupture principielle : c'est ce qui est arrivé avec la guerre. Aujourd'hui nous avons encore une fois raison quand en face de l'Etat capitaliste qui est dans l'incapacité de liquider le fascisme et les fascistes, nous exaltons l'opposition violente du prolétariat au fascisme et aux fascistes, et favorisons le heurt entre le prolétariat et l'Etat capitaliste". Pour que la somme de ces mots ne fasse pas oublier au lecteur le fond du débat soulignons qu'il ne s'agit pas d'exalter ou non l'opposition violente du prolétariat au fascisme. Hier comme aujourd'hui, toujours, nous devons et avons exalté l'opposition du prolétariat au fascisme. Le problème est de quelle façon, par quelle méthode, sur quelle base se fait cette exaltation. Est-ce par la lutte de classe, du point de vue de classe, et sur le terrain indépendant de classe, indépendamment de toutes les formations et organisations politiques du capitalisme, ou est-ce en collaboration avec des groupements qui se sont liés au fascisme par le lien de classe. C'est-à-dire au travers des comités antifascistes groupant ceux-là même qui ont fait le lit au fascisme ? C'est là et uniquement là-dessus que porte le débat, et les mots sur l'exaltation... ne font qu'embrouiller la question " (Internationalisme n° 4, Le néo-antifascisme ; juin 1945)
Si Internationalisme ne participe pas spécifiquement à enrichir les analyses de Bilan sur la question du fascisme et de l'antifascisme, il contribue cependant grandement à renforcer les fondements de ces analyses grâce à des apports théoriques qu'il effectue sur la question du capitalisme d'Etat. Ces apports, qui permettent un renforcement des fondements de l'analyse de la nature capitaliste de la Russie, mettent en particulier en lumière que "Il est un fait indéniable, c'est qu'il existe une tendance qui va vers la limitation de la propriété privée des moyens de production, et qu'elle s'accentue chaque jour dans tous les pays. Cette tendance se concrétise dans la formation d'un capitalisme étatique, gérant les branches principales de la production et la vie économique du pays. Le capitalisme d'Etat n'est pas l'apanage d'une fraction de la bourgeoisie ou bien d'une école particulière. Nous le voyons s'instaurer aussi bien en Amérique démocratique que dans l'Allemagne hitlérienne, dans l'Angleterre "travailliste" que dans la Russie "soviétique"." (Internationalisme n° 10, l'Expérience russe).
L'analyse du capitalisme d'Etat est inséparable de celle de la décadence du capitalisme qui en constitue le cadre historique. En ce sens, Internationalisme et après lui le CCI, par leurs approfondissements sur la question, ont également contribué à renforcer les fondements de l'analyse du fascisme développée par la Gauche italienne.
Grâce au cadre programmatique hérité de la gauche italienne, le PCI pourra produire en 1960 dans le n° 11 de la revue Programme Communiste l'important article Auschwitz ou le grand alibi, republié depuis lors sous forme de brochure. Cet article constitue une brillante application du Marxisme à l'analyse de l'holocauste durant la seconde guerre mondiale et une dénonciation de l'exploitation idéologique des camps de la mort par la démocratie et les vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Ce n'est pas par hasard si, au plus fort moment des récentes campagnes démocratiques et antifascistes[2], cet article a cristallisé les attaques de la part de la bourgeoisie, confiant à ses fractions démocrates et d'extrême gauche le soin de la déconsidérer au moyen de la calomnie et du mensonge. En effet, il dénonce "l'hypocrisie de la bourgeoisie qui voudrait faire croire que ce sont le racisme et l'antisémitisme qui sont en eux-mêmes responsables des souffrances et des massacres et en particulier qui ont provoqué la mort de six millions de juifs lors de la deuxième guerre mondiale" ; il "met à nu les racines réelles de l'extermination des juifs, racines qu'il ne faut pas chercher dans le domaine des "idées", mais dans le fonctionnement de l'économie capitaliste et les antagonismes sociaux qu'il engendre" ; il "montre aussi que si l'Etat allemand a été le bourreau des juifs, tous les Etats bourgeois sont co-responsables de leur mort, sur laquelle ils versent maintenant des larmes de crocodile"[3].
Pour éclairant que soit cet article et bien qu'en général les analyses du PCI sur la question du fascisme et de l'antifascisme soient justes, ces dernières présentent néanmoins certaines faiblesses que nous voulons ici signaler. Les passages suivants extraits d'un tract du PCI (intitulé Auschwitz ou le grand alibi : ce que nous nions et ce que nous affirmons), en défense de sa brochure contre les attaques de la bourgeoisie, l'illustrent clairement :
Malgré toutes les restrictions qu'ils donnent à une lutte contre le fascisme, d'un point de vue de classe, ces passages laissent la porte ouverte à la possibilité et la nécessité d'une telle lutte, ce qui va de pair avec l'idée que le fascisme aujourd'hui pourrait représenter un danger contre la classe ouvrière. Ainsi, et tout à fait sans s'en rendre compte, le PCI participe à donner une certaines crédibilité aux campagnes de la bourgeoisie qui agitent la menace fasciste. Comme nous l'avons montré, non seulement il n'y a pas aujourd'hui de danger fasciste, mais surtout la principale menace contre la classe ouvrière c'est qu'elle se laisse prendre aux campagnes démocratiques. Lorsque celles-ci, animées par la gauche et l'extrême-gauche du capital, désignent l'extrême-droite comme un danger mortel pour la classe ouvrière, c'est justement pour dissimuler la vraie nature de la démocratie. C'est ouvertement que la droite et l'extrême-droite sont anti-ouvrières. C'est de façon beaucoup plus masquée et donc efficace que le sont la gauche et l'extrême-gauche. Ce qui les rend particulièrement dangereuses pour la classe ouvrière. Les PS et PC ont déjà été les bourreaux du prolétariat, ils le seront à nouveau, de même que l'extrême-gauche, si les circonstances le permettent.
Ces faiblesses de l'intervention du PCI ne résultent pas d'une analyse théorique imparfaite mais bien d'une tendance à calquer des mots d'ordre utilisés par la gauche en Italie lorsqu'elle était confrontée au fascisme au pouvoir au début des années 20. Dans ce contexte, différent de celui d'aujourd'hui, ces mots d'ordre de lutte contre le fascisme avaient une autre signification puisqu'ils étaient destinés à mobiliser contre le parti au pouvoir, en charge de la gestion de l'Etat capitaliste, et donc par extension contre le pouvoir lui-même et l'ordre capitaliste comme un tout.
[1] A la veille de la guerre, en 1937, il participe de désarmer politiquement la fraction par sa théorie selon laquelle la guerre mondiale n'était plus à l'ordre du jour de l'histoire, les guerres localisées remplissant la fonction d'en différer l'échéance. De plus, selon cette même théorie, la fonction des guerres n'est plus le repartage du marché mondial, mais le massacre du prolétariat.
[2] Extraits de la présentation de la republication de l'article en question sous forme de brochure, supplément au journal Le Prolétaire du Parti Communiste International (Programme communiste)
[3] Cf. intra notre article Campagnes anti-négationnistes : une attaque contre la Gauche communiste.
La question centrale qui se pose à l’heure actuelle, devant le mouvement ouvrier, est celle de son attitude envers la démocratie ou, pour préciser, la nécessité de prendre ou non la défense des institutions démocratiques que le fascisme menace en même temps qu’il procède à la destruction des organisations prolétariennes. Pour cette question — comme pour d’autres d’ailleurs — la solution la plus simple n’est pas la plus claire, celle-ci ne correspondant nullement à la réalité de la lutte des classes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, à première vue, le mouvement ouvrier ne parviendra à préserver réellement ses organismes de l’assaut de la réaction, qu’à la seule condition de maintenir intactes ses positions de lutte, de ne pas les relier au sort de la démocratie et de livrer la bataille contre l’attaque fasciste en même temps qu’il poursuit sa lutte contre l’Etat démocratique. En effet, une fois établie la jonction entre le mouvement ouvrier et les institutions démocratiques, la condition politique se trouve être réalisée pour le désastre certain de la classe ouvrière, car l’Etat démocratique trouve, dans l’apport des masses ouvrières, non pas une possibilité de vie ou de persistance, mais la condition nécessaire pour se transformer en un régime d’autorité, ou le signal de sa disparition afin de céder sa place à la nouvelle organisation fasciste.
Si l’on considère la situation actuelle, en dehors de sa connexion avec les situations qui l’ont précédée et qui lui succéderont, si l’on considère la position actuelle des partis politiques sans les relier au rôle qu’ils ont eu dans le passé et à celui qu’ils tiendront dans l’avenir, on déplace les circonstances immédiates et les forces politiques actuelles du milieu historique général, ce qui permet facilement de présenter ainsi la réalité : le fascisme passe à l’attaque, le prolétariat a tout intérêt à défendre ses libertés, et de cela résulte la nécessité pour lui d’établir un front de défense des institutions démocratiques menacées. Maquillée d’une teinte révolutionnaire cette position est présentée sous le vernis d’une prétendue stratégie révolutionnaire se piquant au surplus d’être essentiellement "marxiste". Le problème sera, dès lors, introduit de cette manière : une incompatibilité se manifeste entre la bourgeoisie et la démocratie, par conséquent l’intérêt du prolétariat à défendre les libertés que lui accorde cette dernière se greffe naturellement sur ses intérêts spécifiquement révolutionnaires et la lutte pour la défense des institutions démocratiques devient ainsi une lutte anticapitaliste !
A la base de ces propositions il existe une confusion évidente entre démocratie, institutions démocratiques, libertés démocratiques et positions ouvrières que l’on nomme erronément "libertés ouvrières". Au point de vue théorique, aussi bien qu’au point de vue historique nous constaterons qu’entre démocratie et positions ouvrières il existe une opposition irréductible et inconciliable. Le mouvement idéologique qui a accompagné l’ascension et la victoire du capitalisme se place et s’exprime, au point de vue économique et politique, sur une base de dissolution des intérêts et des revendications particulières des individualités, des groupements et surtout des classes, au sein de la société. Ici l’égalité des composants deviendrait possible justement parce que les individus confient leur sort et le soin de le défendre, aux organismes étatiques représentant les intérêts de la collectivité. Il n’est pas inutile de noter que la théorie libérale et démocratique suppose la dissolution de groupements, de catégories données de "citoyens" lesquels auraient tout intérêt à faire spontanément cession d’une partie de leur liberté pour recevoir en compensation la sauvegarde de leur position économique et sociale. Cette cession se ferait à l’avantage d’un organisme capable de régulariser et de diriger l’ensemble de la collectivité. Et si les Constitutions bourgeoises proclament le "droit de l’homme" et contiennent également l’affirmation de la "liberté de réunion et de presse", elles ne reconnaissent nullement les groupements de catégorie ou de classe. Ces "droits" sont exclusivement considérés comme des attributions accordées à "l’homme", au "citoyen" ou au "peuple" qui devront s’en servir pour permettre l’accès des individualités aux organes de l’Etat ou du gouvernement. La condition nécessaire pour le fonctionnement du régime démocratique réside donc, non dans la reconnaissance des groupes, des intérêts ou des droits de ces derniers, mais dans la fondation de l’organe indispensable pour guider la collectivité qui doit transmettre à l’Etat la défense des intérêts de chaque unité qui la constitue.
La démocratie n’est donc possible qu’à la condition de pouvoir interdire aux "citoyens" le recours à d’autres organismes en dehors de ceux régis et sous le contrôle de l’Etat. On pourrait objecter que les libertés de réunion, de presse et d’organisation perdent toute leur signification du moment qu’il devient impossible de faire triompher, au travers d’elles, une revendication donnée. Mais nous entrons ici dans le domaine de la critique marxiste qui démontre l’oppression de classe se cachant en réalité sous le masque démocratique et libéral et qui a fait si justement dire à Marx que le synonyme de "Liberté, Egalité, Fraternité" était représenté par "Infanterie, Cavalerie, Artillerie". Par contre actuellement on ne s’attache plus à prouver l’inconsistance de la base prétendument égalitaire de la démocratie, mais on prend la défense de cette dernière et on s’attache à démontrer qu’elle permettrait l’épanouissement des organismes ouvriers. Or, ainsi que nous l’avons expliqué, la condition de vie du régime démocratique consiste justement dans l’interdiction du pouvoir des groupements particuliers, au nom de l’intérêt des individualités aussi bien que de la société. La fondation d’une organisation de la classe ouvrière porte directement atteinte à la théorie de la démocratie et, à ce sujet, il est caractéristique de constater, que dans la période actuelle de dégénérescence de la pensée marxiste, le croisement des deux internationales (celle des traîtres et celle des futurs traîtres) se fait précisément sur la base de la défense de la démocratie d’où découlerait la possibilité d’existence et même de développement des organismes prolétariens.
Au point de vue historique l’opposition entre "démocratie" et organismes ouvriers se manifeste d’une façon sanglante.
Le capitalisme anglais se fonde au XVIIe siècle, mais c’est seulement beaucoup plus tard que le mouvement chartiste arrache de haute lutte le droit d’organisation de la classe ouvrière. Dans tous les pays les ouvriers obtiendront cette conquête uniquement au travers de puissants mouvements qui furent toujours l’objet de la répression sanglante des Etats démocratiques. Il est parfaitement exact qu’avant la guerre et, plus précisément, jusqu’aux premières années de notre siècle, les mouvements de masses destinés à fonder les organismes indépendants de la classe ouvrière, étaient dirigés par les partis socialistes, vers la conquête de droits permettant aux ouvriers d’accéder aux fonctions gouvernementales ou étatiques. Cette question fut, certes, la plus débattue au sein du mouvement ouvrier ; son expression la plus achevée se trouve surtout dans la théorie réformiste qui, sous le drapeau de la pénétration graduelle du prolétariat au sein de la forteresse de l’ennemi, a permis en réalité à ce dernier —et 1914 représente la clôture de ce bilan de révision marxiste et de trahison— de corrompre et de soumettre à ses propres intérêts, l’ensemble de la classe ouvrière.
Dans la lutte contre ce que l’on appelle communément le "bordiguisme" on formule souvent, pour les besoins de la polémique (qui sont généralement les besoins de la brouille et de la confusion), que tel ou tel mouvement a eu pour objectif la conquête du suffrage universel, ou bien encore telle ou telle revendication démocratique. Cette façon d’interpréter l’histoire ressemble fort à celle qui consiste à expliquer les événements non pas en déterminant leur cause en fonction des classes antagonistes et des intérêts spécifiques qui les opposent réellement, mais en se basant simplement sur les inscriptions fixées sur les drapeaux flottants au-dessus des masses en mouvement. Cette interprétation qui n’a d’ailleurs qu’une valeur purement acrobatique où peuvent se complaire les fanfarons peuplant le mouvement ouvrier s’évanouit immédiatement si l’on place le problème sur ses vrais fondements. On ne peut, en effet, comprendre les mouvements ouvriers que sur la ligne de leur ascension vers la délivrance du prolétariat. Si, au contraire, on les place sur la voie opposée qui conduirait les ouvriers à conquérir le droit d’accéder à des fonctions gouvernementales ou étatiques, on se place directement sur le chemin qui a déjà conduit à la trahison de la classe ouvrière.
De toute façon les mouvements qui avaient pour objectif la conquête du droit de vote, pouvaient réaliser cette revendication et d’une façon durable, parce qu’en définitive, loin d’ébranler le système démocratique, ils ne faisaient qu’introduire dans ses rouages le mouvement ouvrier lui-même. Les misérables exploits des ouvriers parvenus aux postes gouvernementaux sont connus de tous : les Ebert, les Scheideman, les Handerson, etc., ont lumineusement prouvé ce qu’est le mécanisme démocratique et les capacités qu’il détient en vue de déchaîner les plus impitoyables répressions contre-révolutionnaires. Il en est tout autrement pour ce qui concerne les positions de classe conquises par les ouvriers. Ici aucune compatibilité n’est possible avec l’Etat démocratique ; au contraire, l’opposition inconciliable qu’exprime l’antagonisme des classes s’accentue, s’aiguise et s’amplifie, et la victoire ouvrière sera conjurée grâce à la politique des dirigeants contre-révolutionnaires.
Ces derniers dénaturent l’effort fait par des ouvriers pour se créer des organismes de classe, lesquels ne peuvent être que le fruit d’une lutte sans merci contre l’Etat démocratique. Le succès prolétarien n’étant possible que dans cette direction, les masses ouvrières lorsqu’elles sont gagnées par la politique des dirigeants opportunistes seront enfin charriées dans le marais démocratique. Ici elles se déplaceront comme un simple pion dans le mécanisme qui deviendra d’autant plus démocratique qu’il parviendra à émousser toutes les formations de classe représentant un obstacle à son fonctionnement.
L’Etat démocratique qui actionne ce mécanisme n’arrivera à le faire fonctionner d’une façon "égalitaire" qu’à la seule condition d’avoir devant lui, non pas des catégories économiques antagonistes, groupées dans des organismes distincts, mais des "citoyens" égaux (!) entre eux et qui se reconnaissent une position sociale similaire pour franchir ensemble les multiples chemins accédant à l’exercice du pouvoir démocratique.
Il n’entre pas dans le cadre de cet article de faire la critique du principe démocratique afin de prouver que l’égalité électorale n’est qu’une fiction qui voile les abîmes séparant les classes dans la société bourgeoise. Ce qui nous intéresse ici c’est de pouvoir mettre en évidence qu’entre le système démocratique et les positions ouvrières il existe une opposition irréductible. Chaque fois que les ouvriers sont parvenus à imposer —au prix de luttes héroïques et du sacrifice de leurs vies— une revendication de classe au capitalisme, ils ont par contre coup frappé dangereusement la démocratie, dont le capitalisme seul peut se revendiquer. Le prolétariat trouve au contraire la raison de sa mission historique dans la proclamation du mensonge du principe démocratique, dans sa nature même et dans la nécessité de supprimer les différences de classe et les classes elles-mêmes. Au bout du chemin que parcourt le prolétariat au travers de la lutte de classe, ne se trouve pas le régime de la démocratie pure, car le principe sur lequel se basera la société communiste est celui de l’inexistence d’un pouvoir étatique dirigeant la société, alors que la démocratie s’en inspire absolument et que, dans son expression la plus libérale, elle s’efforce toujours de lancer l’ostracisme contre les exploités qui osent défendre leurs intérêts à l’aide de leurs organisations au lieu de rester soumis aux institutions démocratiques créées à la seule fin de maintenir l’exploitation de classe.
Après avoir situé le problème de la démocratie dans son cadre normal — et nous ne voyons vraiment pas comment il serait possible pour des marxistes de le situer autrement — il devient possible de comprendre les événements d’Italie, d’Allemagne, de même que les situations connues actuellement par le prolétariat dans les différents pays et plus particulièrement en France. A première vue, le dilemme sur lequel se placent ces événements consiste dans l’opposition "fascisme-démocratie", ou, pour employer une formule courante, "fascisme-antifascisme".
Les stratèges "marxistes" diront, par surcroît, que l’antithèse reste toujours celle des deux classes fondamentalement opposées, mais que le prolétariat a tout avantage à saisir la chance qui lui est offerte et à se présenter comme le pivot de la défense de la démocratie et de la lutte antifasciste. Nous avons déjà mis en évidence la confusion entre démocratie et positions ouvrières qui est à la base de cette politique. Il nous reste maintenant à expliquer pourquoi le front de défense de la démocratie, en Italie — tout comme en Allemagne — n’a représenté, en fin de compte, qu’une condition nécessaire à la victoire du fascisme. Car ce qu’on appelle improprement "coup d’Etat fasciste" n’est, en définitive, qu’un passage de pouvoir plus ou moins pacifique du gouvernement démocratique, au nouveau gouvernement fasciste. En Italie, c’est un gouvernement où se trouvent les représentants de l’antifascisme démocratique qui cède le pas à un ministère dirigé par les fascistes lequel aura une majorité assurée dans ce parlement antifasciste et démocratique, où cependant les fascistes n’avaient qu’un groupe parlementaire d’une quarantaine de représentants sur 500 députés. En Allemagne, c’est l’antifasciste Von Schleicher qui cède le pas à Hitler appelé d’ailleurs par l’autre antifasciste Hindenburg, l’élu des forces démocratiques et social-démocratique. En Italie et en Allemagne, à l’époque de la conversion de la société capitaliste vers le fascisme, la démocratie ne se retire pas immédiatement de la scène politique, mais elle garde une position politique de premier ordre ; elle reste, en effet, au gouvernement afin d’y représenter non pas un centre de ralliement pour briser le cours des situations qui déboucheront dans la victoire fasciste, mais pour permettre le succès de Mussolini et de Hitler. En Italie, au surplus, après la marche sur Rome, et durant plusieurs mois, encore, un gouvernement de coalition se formera où les fascistes siégeront en collaboration avec les démocrates-chrétiens et Mussolini ne renoncera même pas à l’idée d’avoir des représentants de la social-démocratie dirigeant les organisations syndicales.
Les événement actuels en France, où il n’est pas certain que la perspective fasciste représente la seule issue capitaliste aux situations, et où le "Pacte d’action" entre socialistes et centristes a fait, de la classe ouvrière, le pivot de la défense de la démocratie, finiront par éclaircir la controverse théorique qui oppose notre fraction aux autres organisations se réclamant de la classe ouvrière. Car la condition nécessaire à la défaite du fascisme et qui consisterait dans le rassemblement des partis agissant au sein de la classe ouvrière en un front unique arborant le drapeau de la défense de la démocratie, cette condition qui n’existait pas, ni en Italie, ni en Allemagne, se trouve être pleinement remplie en France. Or, à notre avis, le fait que le prolétariat français ait été conduit en dehors de son chemin de classe et aiguillonné, comme il l’est, par centristes et socialistes, dans la voie qui l’immobilise aujourd’hui et le livrera demain au capitalisme, laisse prévoir la victoire certaine de l’ennemi dans la double perspective d’être obligé de recourir au fascisme ou bien à une transformation de l’Etat actuel en un Etat où le gouvernement absorbera graduellement les fonctions législatives essentielles et où les organisations ouvrières devront céder leur indépendance et admettre le contrôle étatique en échange de leur "élévation" au rang d’institutions consultatives collatérales au gouvernement.
Lorsque l’on dit que la situation actuelle ne permet plus au capitalisme de maintenir une forme d’organisation sociale analogue ou identique à celle existant dans la période historique ascendante de la bourgeoisie, on ne fait que constater une vérité évidente et indiscutable. Mais il s’agit aussi d’une constatation de fait qui n’est pas particulière à la question de la démocratie, mais qui est générale et qui s’applique tout aussi bien à la situation économique qu’à toutes les autres manifestations sociales, politiques, culturelles, etc. Cela revient à dire qu’aujourd’hui n’est pas hier, qu’il y a actuellement des phénomènes sociaux qui ne se présentaient nullement dans le passé. Mais cette affirmation banale ne devrait même pas être relevée si elle ne comptait pas ces conclusions politiques au moins bizarres : on ne reconnaît plus la classe d’après le mode de production qu’elle institue, mais d’après la forme de l’organisation sociale et politique dont elle use. Le capitalisme est une classe démocratique s’opposant donc nécessairement au fascisme qui serait la résurrection des oligarchies féodales. Ou bien le capitalisme n’est plus le capitalisme du moment qu’il n’est plus démocratique et le problème consiste à tuer le démon fasciste avec l’aide du capitalisme lui-même. Ou bien encore, puisque le capitalisme a intérêt, dans la situation actuelle, à abandonner la démocratie, il n’y a qu’à le mettre au pied du mur, en reprenant les textes de la Constitution et des lois, et l’on parviendrait ainsi à briser la conversion du capitalisme vers le fascisme, et à ouvrir la voie qui mène à la victoire prolétarienne.
Enfin, l’attaque fasciste nous obligerait provisoirement à mettre en quarantaine notre programme révolutionnaire, pour passer à la défense des institutions démocratiques menacées, quitte à reprendre par après la lutte intégrale contre cette même démocratie qui nous aurait permis, grâce à cette interruption, d’attraper le capitalisme au piège. Une fois le danger écarté, la démocratie pourrait être crucifiée à nouveau.
La simple énonciation des conclusions politiques découlant de la constatation de la différence entre deux époques capitalistes — l’ascendante et la déclinante— permet de voir l’état de décomposition et de corruption des partis et des groupements se réclamant du prolétariat, dans la période actuelle.
Les deux périodes historiques considérées séparément peuvent différer et diffèrent réellement, mais, pour arriver à la conclusion qu’une incompatibilité existe entre le capitalisme et la démocratie ou entre le capitalisme et le fascisme, il faudrait considérer démocratie et fascisme non plus comme des formes de l’organisation de la société, mais comme des classes, ou bien il faudrait admettre que désormais, la théorie de la lutte des classes a cessé d’être valable, et que nous assistons à une bataille que livrerait la démocratie contre le capitalisme, ou le fascisme contre le prolétariat. Mais les événements d’Italie et d’Allemagne sont là pour nous prouver que le fascisme n’est que l’instrument de répression sanglante contre le prolétariat et au service du capitalisme qui voit Mussolini proclamer la sainteté de la propriété privée sur les décombres des institutions de classe que les ouvriers avaient fondé pour mener leur lutte contre l’appropriation bourgeoise des produits du travail.
Mais la théorie de la lutte des classes se vérifie une nouvelle fois dans les cruelles expériences d’Italie et d’Allemagne. L’apparition du mouvement fasciste ne modifie nullement l’antithèse capitalisme-prolétariat en la remplaçant soit par : capitalisme-démocratie, soit par fascisme-prolétariat. Il arrive un moment dans l’évolution du capitalisme déclinant où ce dernier est forcé d’emprunter un autre chemin que celui qu’il avait parcouru dans sa phase ascensionnelle. Avant, il pouvait combattre son ennemi mortel, le prolétariat, en lui faisant miroiter la perspective d’une amélioration progressive de son sort jusqu’à atteindre sa libération et, à cette fin, il ouvrait les portes des institutions démocratiques en acceptant ceux qui gardaient le nom de représentants ouvriers, mais qui devenaient des agents bourgeois dans la mesure même où ils parvenaient à enchaîner les organismes ouvriers dans les rouages de l’Etat démocratique. Aujourd’hui —après la guerre de 1914 et la révolution russe— le problème, pour le capitalisme, est de disperser par la violence et la répression tout foyer prolétarien pouvant se relier avec le mouvement des classes. Au fond, l’explication de la différence entre l’attitude du prolétariat italien et allemand en face de l’attaque fasciste, de la résistance héroïque du premier pour défendre la dernière brique des institutions ouvrières et de l’effondrement du second au lendemain de la formation du gouvernement Hitler-Papen-Hugenberg, dépend uniquement du fait qu’en Italie le prolétariat fondait — par le canal de notre courant — l’organisme pouvant le conduire à la victoire, alors qu’en Allemagne le parti communiste, après avoir été faussé dans ses bases à Halle, par la fusion avec les indépendants de gauche, traversa la défaite de 1923 et, au cours des différentes convulsions de la gauche et l’extrême-gauche qu’il a vécu, une série d’étapes marquant chaque fois un pas en avant dans la corruption et la décomposition du parti du prolétariat allemand qui avait écrit des pages de gloire et d’héroïsme en 1919 et 1920 !
Même si le capitalisme passe à l’offensive contre les positions démocratiques et les organisations qui s’en réclament, même s’il assassine les personnalités politiques appartenant à des partis démocratiques, de l’armée ou du parti nazi lui-même (comme le 30 juin en Allemagne), cela ne signifie pas qu’il doit y avoir autant d’antithèses qu’il y aura d’oppositions fascisme-armée, fascisme-christianisme, fascisme-démocratie. Ces faits prouveront seulement la complication extrême de la situation actuelle, son caractère spasmodique et n’entament nullement la théorie de la lutte de classe. La doctrine marxiste ne présente pas le duel prolétariat-bourgeoisie, dans la société capitaliste, comme un contraste mécanique, à tel point que toute manifestation sociale pourrait et devrait être rattachée à l’un ou l’autre terme du dilemme. Au contraire, l’essence même de la doctrine marxiste consiste dans l’établissement, à la suite de l’analyse scientifique, de deux ordres de contradictions, de contrastes et d’antagonismes, au point de vue économique, aussi bien que politique et social. En dehors de l’antithèse bourgeoisie-prolétariat seul centre moteur de l’histoire actuelle, Marx a mis en évidence la base et le cours contradictoire du capitalisme lui-même, à tel point que l’harmonie de la société capitaliste ne s’établit nullement, même après que le prolétariat a cessé d’exister (comme c’est le cas dans la situation actuelle à la suite de l’action du centrisme et des trahisons social-démocrates) en tant que classe agissant pour l’ébranlement de l’ordre capitaliste et la fondation de la nouvelle société. Actuellement, le capitalisme peut bien avoir amputé provisoirement la société de sa seule force progressive, le prolétariat, mais tant sur le terrain économique que politique, les bases contradictoires de son régime ne cessent pas de déterminer l’opposition inconciliable des monopoles, des Etats, des forces politiques agissant dans l’intérêt de la conservation de sa société, en particulier le contraste entre fascisme et démocratie.
Au fond, l’alternative guerre-révolution signifie qu’une fois écartée, l’issue des situations actuelles vers la fondation de la nouvelle société, il n’apparaîtra point une ère de tranquillité sociale, mais la société capitaliste toute entière (y compris les ouvriers) roulera vers la catastrophe jaillissant des contradictions inhérentes à cette société.
Le problème à résoudre n’est pas d’attribuer autant d’attitudes politiques au prolétariat qu’il y aura d’oppositions, dans les situations, en le reliant à tel monopole, à tel Etat, à telle force politique contre ceux qui s’y opposent, mais de garder l’indépendance organique du prolétariat en lutte contre toutes les expressions économiques et politiques du monde de l’ennemi de classe.
La conversion de la société capitaliste vers le fascisme, l’opposition et le contraste même entre les facteurs des deux régimes, ne doivent donc nullement altérer la physionomie spécifique du prolétariat. Ainsi que nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, les fondements programmatiques prolétariens doivent devenir aujourd’hui les mêmes que Lénine mit en lumière, par son travail de fraction, avant la guerre et contre les opportunistes des différentes teintes. En face de l’Etat démocratique, la classe ouvrière doit garder une position de lutte pour sa destruction et non y pénétrer afin de conquérir des positions permettant de construire graduellement la société socialiste : les révisionnistes qui défendirent cette position ont fait du prolétariat la victime des contradictions du monde capitaliste, de la chair à canon en 1914. Aujourd’hui que les situations obligent le capitalisme à procéder à une transformation organique de son pouvoir, de l’Etat, le problème reste le même, c’est-à-dire celui de la destruction et de l’introduction du prolétariat au sein de l’Etat ennemi pour en sauvegarder les institutions démocratiques, ce qui met la classe ouvrière à la merci du capitalisme et, là où ce dernier ne doit pas recourir au fascisme, en fait à nouveau la proie des contrastes inter-impérialistes et de la nouvelle guerre.
Le dilemme marxiste, capitalisme-prolétariat ne signifie pas qu’à chaque situation, les communistes doivent poser le problème de la révolution mais signifie que, dans toutes les circonstances le prolétariat doit se regrouper autour de ses positions de classe. Il pourra poser le problème de l’insurrection quand les conditions historiques existeront pour la bataille révolutionnaire, et dans les autres situations il sera obligé de soulever un programme de revendications plus limité, mais toujours de classe. La question du pouvoir se pose uniquement sous sa forme intégrale et à défaut de prémices historiques nécessaires pour le déclenchement de l’insurrection, cette question ne se pose pas. Les mots d’ordre à soulever alors se rapporteront aux revendications élémentaires concernant les conditions de vie des ouvriers, au point de vue de la défense des salaires, des institutions prolétariennes et des positions conquises (droit d’organisation, de presse, de réunion, de manifestation, etc..).
L’attaque fasciste trouve sa raison d’être en une situation économique qui balaye toute possible équivoque, et où le capitalisme doit passer à l’anéantissement de toute organisation ouvrière. A ce moment la défense des revendications de la classe ouvrière, menace directement le régime capitaliste et le déclenchement des grèves défensives ne peut se situer que sur le cours de la révolution communiste. Dans cette situation —ainsi que nous l’avons déjà dit— les partis et les formations démocratiques et social-démocratiques, gardent une fonction de tout premier ordre, mais à l’avantage du capitalisme et contre le prolétariat, dans la ligne qui débouche dans la victoire fasciste et non dans la ligne menant à la défense ou au triomphe du prolétariat. Ce dernier sera mobilisé pour la défense de la démocratie afin qu’il ne lutte pas pour ses revendications partielles. Les social-démocrates allemands appellent les ouvriers à abandonner la défense de leurs intérêts de classe pour ne pas menacer le gouvernement du moindre mal de Brüning ; Bauer en fera de même pour Dollfuss entre mars 1933 et février 1934 ; le "Pacte d’action" entre socialistes et centristes en France se réalise parce qu’il contient (clause préjudicielle Zyromski) la lutte pour les libertés démocratiques à l’exclusion des grèves revendicatives...
Trotsky écrira dans ses documents sur l’Allemagne tout un chapitre pour démontrer que la grève générale n’est plus l’arme permettant la défense de la classe ouvrière.
La lutte pour la démocratie représente donc un puissant diversif pour arracher les ouvriers de leur terrain de classe et les entraîner dans les voltiges contradictoires où l’Etat opère sa métamorphose de démocratie en Etat fasciste. Le dilemme fascisme-antifascisme agit donc dans l’intérêt exclusif de l’ennemi ; et l’antifascisme, la démocratie chloroformisent les ouvriers pour les laisser ensuite poignarder par les fascistes, étourdissent les prolétaires afin qu’ils ne voient plus le champ et la voie de leur classe. Ce sont ces positions centrales qu’ont marqué de leur sang les prolétaires d’Italie et d’Allemagne. C’est parce que les ouvriers des autres pays ne s’inspirent pas de ces vérités politiques que le capitalisme mondial peut préparer la guerre mondiale. C’est, inspirée de ces données programmatiques que notre fraction continue sa lutte pour la révolution italienne, pour la révolution internationale.A la veille de la seconde guerre mondiale, le courant trotskiste, dans sa très grande majorité, connaît une accélération de la dérive opportuniste qui le marque déjà depuis plusieurs années. Cela va le mener jusqu’à l’abandon du camp prolétarien quand il lui faudra prendre position face à la guerre impérialiste. Si on excepte les quelques réactions saines qui se sont exprimées en son sein comme celle des RKD (Révolutionare Komunistiche Deutschland) en Allemagne, ce courant a ainsi trahi l’internationalisme prolétarien.
Il n’est pas inutile de savoir que certaines de ses parties se sont, dans un premier temps, orientées vers une politique de soutien au camp fasciste. Ces faits sont généralement peu connus et encore moins claironnés dans la mesure où, par la suite, l’ensemble du mouvement trotskiste s’est engagé dans le soutien au camp des "alliés", ce qui va lui donner l’image de l’antifascisme radical qu’il a depuis et qu’il utilise encore aujourd’hui.
Ce sont ces premiers alignements du trotskisme derrière un camp de la bourgeoisie qu’a dénoncé, dans son numéro 4, le journal Rassemblement Communiste Révolutionnaire (publié par le groupe du même nom, lié aux RKD) dans un texte intitulé "La fin du trotskisme français".
LA FIN DU POI (Parti Ouvrier Internationaliste ; fraction officielle de la IVe Internationale). (...)
"Après la débâcle de l’impérialisme français (1940) une partie du POI, sous la direction du secrétaire politique du SI et du BP du POI, Monsieur ROUS ("avocat de Trotski", homme de confiance de Trotski en Europe dans sa lutte contre Molinier, Vereecken, et surtout contre les "ultra-gauches") rompt avec le marxisme et forme un "Mouvement révolutionnaire de libération nationale" tendance fasciste, germanophile et payé par Vichy.
Rous-le-traître devait toucher pour ce groupement 1 million par Vichy (ministre Beaudoin). (…) Rous n'a jamais été exclu du POI; il l'a quitté en 1940, ensemble avec Rousset, Fred Zeller et d’autres. (…) Actuellement Rous –suivant l'évolution internationale- est plutôt gaullisant. Le POI et le PCI ont renoncé à dénoncer publiquement Rous. Ce qu'ils attendent, qu'ils veulent faire oublier les trahisons et regagner Rous, Zeller et Cie à une époque ultérieure.(…)
Quand la police américaine arrête les responsables du SWP, ce n'est pas comme défaitistes révolutionnaires mais comme patriotes "oppositionnels", quand la police française arrête ou ménage des responsables du POI, c'est en les considérant comme des agents d'une autre puissance capitaliste. Ainsi les procureurs généraux de Lyon et de Marseille accusent les trotskistes français d'être des complices du gaullisme et d'être à la solde de l'Angleterre."
LA FIN DU PCI (Parti Communiste International ; tendance trotskiste Molinièriste) – CCI (Comité Communiste Internationaliste).
(...) "La trahison pro-fasciste. [publication des révélations d'un militant du PCI encore dans ses rangs]. Je connais un article, celui de Privas (…) [qui] parlait du fascisme allemand et de la révélation qu'avait été la force allemande en juin 1940 pour les Français jusqu’alors obscurcis par la propagande surtout d’origine juive tendant à présenter le fascisme sous un angle faux ou exagéré.
Il disait que le fascisme était un autre stade du capitalisme, moyen de survie du capitalisme dont il supprimait une des contradictions grâce à son contrôle, grâce à sa direction économique. Il voyait donc une nouvelle période progressive du capitalisme fasciste, période pendant laquelle la révolution devenait une perspective plutôt lointaine. Il nous fallait, puisque la révolution était, immédiatement et pour plusieurs années, impossible, ne pas être coupés de la classe, surtout de la jeunesse, et pour cela entrer dans toutes les organisations pour trouver, former des jeunes, les orienter vers le communisme pour plus tard. Mais pour toutes ces organisations, il fallait faire une différence entre celles purement fascistes qui elles, par rapport aux autres, étaient progressives. Dans ces organisations fascistes, il fallait bien sûr trouver des jeunes, mais aussi faire un travail pour développer pour renforcer les organisations en question; il fallait pousser les fascistes vers la réalisation de leur programme social; il fallait ; je cite : «être l’aile gauche du fascisme dans les groupes fascistes" ; “être les meilleurs agents du fascisme avec le Manifeste Communiste dans la poche" ; "apprendre à saluer à la romaine, ou sans cela., les BL disparaîtront". (…)
Avec cette position, l'organisation à Paris essayait de convaincre Marseille sans y parvenir. (…) Une fois, dans ces groupes, les responsables descendirent. Privas vint dans un groupe pour dire aux jeunes de rentrer immédiatement et dés le lendemain au RNP."Links
[1] https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne
[3] https://fr.internationalism.org/rinte3/fascisme2.htm
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-germano-hollandaise
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/bordiguisme
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/trotskysme