L'intensification de l'offensive des Etats-Unis en vue de maintenir leur leadership mondial les a conduis à déchaîner, sous prétexte de lutte antiterroriste, une nouvelle guerre en Afghanistan et à déployer leurs troupes dans ce pays. Comme nous le mettons en évidence dans l'article ci-après, loin de signifier une quelconque stabilisation du monde, cette escalade guerrière et sa conclusion actuelle, à savoir une écrasante victoire américaine, constituent au contraire le prélude à de nouvelles guerres et à de nouveaux massacres. Depuis la rédaction de cet article, la situation au Moyen-Orient s'est encore aggravée, méritant la courte prise de position suivante.
Dans le sillage de l'offensive victorieuse américaine, qui n'a pas suscité la moindre réaction significative d'hostilité parmi les pays arabes, et profitant de l'affaiblissement qu'elle a causé à Arafat accusé d'une bienveillante tolérance vis-à-vis du terrorisme palestinien, Israël accule brutalement le leader de l'OLP dans les cordes, en même temps qu'elle déchaîne une nouvelle flambée de violence dans les territoires occupés. Aux actes de terrorisme aveugle perpétrés contre la population israélienne, Tsahal réplique par une violence tout aussi aveugle dont c'est la population, bien souvent des enfants, qui est la principale victime. Depuis les accords d'Oslo, les Etats-Unis n'avaient eu de cesse de critiquer, voire de blâmer la politique du pire de la part des différents gouvernements israéliens consistant à saboter la mise en place du processus de paix. La raison en est qu'ils étaient parfaitement conscients de la nécessité de limiter à tout prix l'exacerbation des tensions entre Israéliens et Palestiniens, celles-ci étant susceptibles de cristalliser dans la région une réaction croissante d'hostilité de la part du monde arabe à l'encontre d'Israël. Une telle situation n'aurait pas manqué de rejaillir sur les Etats-Unis vu qu'ils ne peuvent abandonner Israël, leur bras armé dans la région. Mais surtout elle aurait constitué une opportunité pour certains pays européens de jouer leur propre carte à travers le soutien qu'ils n'auraient pas manqué d'apporter à telle ou telle fraction nationale de la bourgeoisie, à l'appui de telle ou telle solution diplomatique, peu importe laquelle pourvu qu'elle soit différente de celle des Etats-Unis. Aujourd'hui, la situation est autre du fait de l'énorme ascendant sur le reste du monde que viennent de prendre les Etats-Unis, avantage qu'ils entendent pousser le plus loin possible. En assumant pleinement la brutalité de l'offensive israélienne dans les territoires occupés, les Etats-Unis enfoncent le clou de l'incapacité actuelle de qui que ce soit, et notamment des pays européens, à constituer un point d'appui pour une alternative à la politique américaine au Moyen-Orient. Cela dit, pas plus que la «paix d'Oslo», la solution actuelle n'est synonyme de stabilisation mais tout au contraire accumule les conditions, notamment à travers le développement d'un profond sentiment de haine à l'encontre d'Israël et des Etats-Unis, pour un déchaînement futur des tensions.
Aujourd'hui les Etats-Unis ont réussi à complètement marginaliser sur l'arène mondiale les puissances européennes (Grande-Bretagne, Allemagne, France) qui sont leurs principales rivales en ne leur permettant de jouer aucun rôle dans le conflit en Afghanistan et en ne leur accordant que des strapontins pour la gestion de la situation héritée de la défaite des Talibans. En effet, le contingent de l'ONU au travers duquel ces puissances entendaient bien pouvoir se positionner sur place, comme cela avait été le cas au Kosovo, sera clairement placé sous le contrôle américain et n'intervient que comme un auxiliaire du nouveau pouvoir mis en place à Kaboul par les Etats-Unis.
Il est clair que toutes les puissances de second ou troisième ordre qui se trouvent lésées par ce succès de la première puissance mondiale ne vont pas rester les bras croisés mais au contraire vont faire leur possible, avec leurs moyens, pour mettre des bâtons dans les roues de la politique américaine, notamment en exploitant toutes les tensions locales attisées par la présence des Etats-Unis. Et c'est un fait que cette réaffirmation de l'ordre mondial américain ne règle rien aux tensions existant de par le monde comme en témoigne déjà la relance des hostilités entre ces deux puissances nucléaires que sont l'Inde et le Pakistan. Effectivement, depuis l'attentat terroriste par un groupe islamiste au parlement de Delhi, le 13 décembre 01, la tension n'a cessé de croître entre ces deux pays, à un niveau rarement atteint jusqu'à présent (comme en témoigne, entre autres, le fait que l'Inde vient d'évacuer les populations frontalières au Cachemire).
Par ailleurs, le vacarme et la fumée des bombes, si elles ont un moment éclipsé la perception de l'aggravation dramatique de la crise économique, n'en ont en rien atténué la réalité. Aujourd'hui, la récession est officielle au Japon, elle vient de s'installer en Allemagne, et aux Etats-Unis alors que la croissance se réduit de façon spectaculaire en Europe au moment même où l'on étrenne l'Euro. Particulièrement significatif de la situation mondiale est l'effondrement brutal de l'économie argentine qui, suite à quatre ans de récession, est littéralement en faillite avec ce que cela signifie pour le prolétariat : chômage, misère et, pour la première fois depuis la fin de la domination espagnole, l'apparition du spectre de la famine. Ce que l'on voit en Argentine - un pays qui s'enorgueillissait, il y a 40 ans, d'appartenir au club «fermé» des pays les «plus développés» - est révélateur de la perspective que nous offre le capitalisme.
Argentine et Afghanistan nous montrent clairement les menaces : effondrement économique avec ses conséquences en terme de chômage, misère et faim (voir article dans cette revue) et explosion de la boucherie guerrière avec son cortège de morts, de destruction et de barbarie.
8 janv.-02
Les Etats-Unis ont répliqué au terrible bain de sang des Tours jumelles par une croisade " antiterroriste " qui, à son tour, provoque et provoquera de nouveaux bains de sang encore plus terribles. Les premières victimes en sont les travailleurs, les paysans, la population d'Afghanistan qui, depuis le 7 octobre, vivent sous un déluge de bombes, alors que les armées locales livrent de féroces combats.
Des milliers de personnes meurent ou vont mourir ; les habitats, les industries, les cultures, les hôpitaux, les voies de communication sont détruits ; la famine, les épidémies, les pillages frappent la population ; des milliers et des milliers de réfugiés tentent de passer les frontières pour gagner les pays voisins, se trouvent livrés aux mauvais traitements des militaires, des garde-frontières, des bandits de grand chemin.
C'est une nouvelle hécatombe qui s'abat sur des milliers et des milliers d'êtres humains. Ce pays a subi la guerre sous toutes les formes du capitalisme : depuis 23 ans déjà, il a connu d'abord celle du capitalisme prétendument " socialiste " de l'ancienne URSS, ensuite celle du capitalisme " islamiste " dans ses différentes versions (moudjahidin, taliban) et enfin, aujourd'hui, celle du capitalisme le " plus capitaliste " d'entre tous, celui de la première puissance mondiale. Sous le masque trompeur derrière lequel il tente de se donner un visage digne, empreint de culture, de droits, de progrès, apparaît le véritable visage du système, un système à l'agonie dont la barbarie sans fin cause toujours plus de guerres, de destructions, de misère... " Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment " (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie, écrit en 1915 contre la Première Guerre mondiale).
Chaque nation pour soi et le chaos pour tous
Les Etats-Unis ont été très clairs sur le fait que la croisade " antiterroriste " ne se limiterait pas à l'Afghanistan. Son Secrétaire à la Défense annonce " dix années de guerre ", tandis que M. Bush, lors de son allocution radiophonique du samedi 24 novembre, affirme quant à lui que " l'effondrement du régime taliban n'est qu'un début. Nous devons à présent faire les pas les plus difficiles". Il révèle aussi qu'il pense envahir autant de pays qu'il sera nécessaire, sous le prétexte que "les Etats-Unis n'attendront pas que les terroristes tentent d'attaquer une nouvelle fois. Nous les attaquerons quel que soit l'endroit où ils se cachent et où ils conspirent", et précise que " l'armée des Etats-Unis devra agir dans différentes parties du monde ".
Pourquoi ces projets bellicistes ? Sont-ils réellement une défense contre le terrorisme ? Dans l'éditorial du numéro précédent de la Revue internationale, nous dénoncions l'hypocrisie de cet emballage " antiterroriste ". Le terrorisme - qui peut prendre diverses formes, toutes étrangères au prolétariat (1) - fait aujourd'hui partie intégrante des agissements courants de tous les Etats et tend à devenir une arme de guerre toujours plus importante.
Ces projets sont-ils simplement liés à une opération de conquête des gisements de pétrole d'Asie centrale, comme le prétendent divers groupes du milieu politique prolétarien ? Nous ne pouvons développer ici l'analyse contenue dans le " Rapport sur les conflits impérialistes " du 14e Congrès, publié dans la Revue internationale no 107, où nous affirmons que " si dans les débuts de l'impérialisme puis de la décadence, la guerre était conçue comme le moyen pour le repartage des marchés, elle est devenue, à ce stade, un moyen de s'imposer en tant que grande puissance, de se faire respecter, de défendre son rang face aux autres, de sauver la nation. Les guerres n'ont plus de rationalité économique; elles coûtent beaucoup plus cher qu'elles ne rapportent ".
Le véritable objectif de la chaîne de conflits dont la guerre déclenchée contre l'Afghanistan par les Etats-Unis ne constitue qu'un maillon, est en réalité de nature politico-stratégique 2. C'est une réponse aux défis lancés à son leadership mondial qui se sont multipliés depuis la guerre au Kosovo, notamment de la part des puissances européennes (l'Allemagne et la France) aussitôt imitées par toute une série de puissances régionales, locales ou même par des seigneurs de la guerre comme Ben Laden.
Nous avons déjà exposé les prémisses générales de notre analyse dans l'éditorial du numéro précédent de la Revue internationale : l'actuelle crise guerrière est une manifestation non seulement de la décadence du capitalisme qui dure depuis les débuts du 20e siècle, mais aussi de ce que nous avons qualifié comme sa phase terminale de décomposition qui s'est clairement révélée dès 1989 avec l'effondrement de l'ancien bloc soviétique. Le trait le plus caractéristique de cette phase ultime du capitalisme se manifeste par le gigantesque désordre régnant tant dans les rapports entre Etats que dans la forme que prennent leurs affrontements impérialistes. Chaque Etat national tire la couverture à lui sans accepter la moindre discipline. C'est ce que nous avons caractérisé comme " le chacun pour soi ", qui exprime et à son tour aggrave un état général de chaos impérialiste mondial, tel que nous l'avions prévu il y a plus de dix ans lors de l'effondrement de l'ancien bloc soviétique : "... le monde se présente comme une immense foire d'empoigne où jouera à fond la tendance au 'chacun pour soi', où les alliances entre Etats n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant..." (Revue internationale no 64, 1991, "Militarisme et décomposition").
Le capitalisme contient depuis ses origines une contradiction insurmontable entre la nature de la production qui tend à être sociale et mondiale, et son mode de propriété et d'organisation qui est nécessairement privé et national. L'antagonisme, l'affrontement et la destruction produits par cette contradiction sont inscrits dans les gènes du capitalisme. Cette tendance était bien sûr moins visible au cours de la période ascendante du capitalisme, quand dominait encore la dynamique vers la constitution du marché mondial qui, en soumettant les territoires les plus importants de la planète et les échanges dans le monde entier aux rapports capitalistes de production (3), a unifié objectivement le monde. Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, la guerre de tous les Etats entre eux, le combat de chaque impérialisme national, au détriment de ses rivaux, pour échapper aux contradictions croissantes du système atteint une virulence terrifiante. Il en a résulté deux guerres mondiales opposant deux blocs impérialistes rivaux canalisant au plus haut niveau l'antagonisme du " tous contre tous ". Au cours de la période postérieure dite de la " guerre froide " (1947-89), le " tous contre tous " fut contenu dans une rigoureuse discipline de blocs, basée sur la suprématie militaire, le chantage stratégique et politique, et au sein du bloc occidental la subordination économique. Mais la disparition des blocs depuis 1989 a déchaîné les intérêts impérialistes nationaux dans toute leur fureur chaotique et destructrice : " La fragmentation des structures et de la discipline des anciens blocs a libéré les rivalités entre nations à une échelle sans précédent, entraînant un combat de plus en plus chaotique, chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus petits seigneurs de la guerre locaux (?) La caractéristique des guerres dans la phase actuelle de décomposition du capitalisme est qu'elles ne sont pas moins impérialistes que les guerres dans les précédentes phases de sa décadence, mais elles sont devenues plus étendues, plus incontrôlables et plus difficiles à arrêter même temporairement. " (" Résolution sur la situation internationale du 14e Congrès du CCI ", Revue internationale nº 106, 2001) La phase de décomposition du capitalisme a clairement mis en évidence que " la réalité du capitalisme décadent, malgré les antagonismes impérialistes qui le font momentanément paraître comme deux unités monolithiques différentes, est la tendance à la dislocation et à la désintégration de ses composantes. La tendance du capitalisme décadent est celle du schisme et du chaos, de là l'essentielle nécessité du socialisme qui veut réaliser le monde comme une unité " (Internationalisme, Gauche communiste de France, " Rapport sur la situation internationale ", janvier 1945).
Les Etats-Unis sont les grands perdants de cette situation. Leurs intérêts nationaux s'identifient au maintien de l'ordre mondial établi à leur avantage. Confrontés aux desseins impérialistes de leurs grands rivaux (l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne...), confrontés à la contestation de la part de nombreux Etats ayant des ambitions régionales y compris parmi leurs plus fidèles alliés (comme Israël qui sabote toujours plus ouvertement la " Pax americana "), ils se voient obligés en tant que " shérif " mondial à une succession de coups de force, à de véritables coups de poing sur la table, comme nous l'avons déjà vu lors de la guerre du Golfe ou au Kosovo et à présent en Afghanistan. Cependant, l'actuelle " croisade antiterroriste " vise des objectifs beaucoup plus ambitieux. Dans le Golfe, les Etats-Unis se limitèrent à une époustouflante démonstration de force destinée à faire entendre raison à tous leurs anciens alliés. Ils ont continué à exhiber leur immense puissance militaire au Kosovo, bien que leurs " alliés " leur aient joué un bien mauvais tour avec les " plans de paix ", chacun d'eux s'emparant d'une zone d'influence et frustrant leurs plans. Ils visent à présent d'un côté à marginaliser totalement leurs alliés du théâtre de la guerre, leur infligeant une lourde humiliation, et de l'autre à installer des positions militaires stables dans la zone-clé d'Asie Centrale.
Sur le premier aspect, les Etats-Unis ont exigé une " collaboration " de leurs " alliés " leur assignant un strapontin pour applaudir les exploits des Rambos. La tentative française d'envoyer un contingent de soldats, déguisée en " aide humanitaire ", s'est retrouvée bloquée par les Etats-Unis à Termez, à la frontière de l'Ouzbékistan. L'offre allemande de 3900 soldats a été méprisée. La Grande-Bretagne qui semblait au tout début être un partenaire actif de l'opération, a subi un humiliant revers. La tentative de Blair de se présenter en tant que " Commandant en Chef " a été ridiculisée par l'immobilisation, pendant plus d'une semaine, de 6000 de ses soldats sur le point de partir pour le théâtre des opérations. Cette marginalisation a donné un rude coup à ces pays quant à leur prestige et leur rang sur la scène mondiale.
Le second objectif était plus important. Pour la première fois de leur histoire, les Etats-Unis s'installent en Asie Centrale avec l'intention d'y rester, non seulement en Afghanistan mais aussi dans deux ex-républiques soviétiques voisines (le Tadjikistan et l'Ouzbékistan). Ceci suppose une menace claire envers la Chine, la Russie, l'Inde et l'Iran. Mais la portée de l'événement est bien plus profonde : il est un pas dans la création d'un véritable encerclement des puissances européennes - un " remake " de la vieille politique «d'endiguement» déjà employée à l'encontre de l'URSS. Les hautes montagnes d'Asie Centrale permettent le contrôle stratégique du Moyen-Orient et de l'approvisionnement en pétrole, élément central de l'économie et de l'action militaire des nations européennes. Protégés par la " coalition antiterroriste " et ayant marginalisé les " alliés " européens, les Etats-Unis peuvent maintenant poursuivre leur méfaits belliqueux vers d'autres pays. L'Irak est un point de mire. Le Yémen et la Somalie sont aussi visés. Ces nouvelles actions sanglantes n'auront en aucune façon comme objectif de " persécuter des terroristes ", mais seront déterminées par l'objectif stratégique d'encercler les " alliés " européens.
Comme nous le disions dans l'éditorial de la précédente Revue internationale, nous ignorons si les auteurs du crime des Tours jumelles sont bien Ben Laden et ses comparses, mais nous savons que les grands bénéficiaires du crime sont les Etats-Unis, comme le reconnaît indirectement Bush lui-même dans son intervention radiophonique du 24 novembre : " Le mal que nous voulaient les terroristes s'est transformé en bien qu'ils n'auraient jamais imaginé, et en ces jours les Américains ont beaucoup de raisons de les en remercier. "
Les Etats-Unis : des pompiers pyromanes
En avril 1999, notre 13e congrès international, analysant la guerre du Kosovo, affirmait : " La guerre actuelle, avec la nouvelle déstabilisation qu'elle représente dans la situation européenne et mondiale, constitue une nouvelle illustration du dilemme dans lequel se trouvent aujourd'hui enfermés les Etats-Unis. La tendance au «chacun pour soi» et l'affirmation de plus en plus explicite des prétentions impérialistes de leurs anciens alliés les obligent de façon croissante à faire étalage et usage de leur énorme supériorité militaire. En même temps, cette politique ne peut aboutir qu'à une aggravation encore plus grande du chaos qui règne déjà dans la situation mondiale " (Revue internationale n °97, 1999, " Résolution sur la situation internationale ").
Loin de s'atténuer, la virulence de cette contradiction n'a cessé de s'aggraver ces dix dernières années. Dans un premier temps, les écrasantes exhibitions de sa puissance militaire permettent au Grand Parrain de faire plier l'échine à ses rivaux et de les faire rentrer dans le rang. Mais ces effets ne sont pas durables. Après la Guerre du Golfe, l'Allemagne s'est permis de faire éclater la Yougoslavie pour avoir une voie d'accès à la Méditerranée via la Mer Adriatique. De même, les intérêts américains furent lésés dès que s'achevèrent les bombardements au Kosovo. Les politiques de Washington ont tenté toutes les solutions possibles pour canaliser la situation mais ont échoué, non par incompétence mais parce que les conditions de l'évolution du capitalisme en décomposition jouent en leur défaveur. Le coup de poing sur la table peut, dans un premier temps, intimider les autres gangsters, mais ceux-ci reviennent rapidement à la charge. D'abord commencent les intrigues diplomatiques, puis viennent les man?uvres de déstabilisation dans tel ou tel pays, dans telle ou telle zone. Plus tard viennent les accords avec des seigneurs de la guerre locaux, et enfin les opérations d'ingérence " humanitaire ". Tout ceci est bien sûr reproduit à l'échelle régionale par les Etats de seconde ou de troisième zone, dessinant une configuration où s'entremêle un sanglant fatras d'influences. C'est une spirale absurde qui ne sème que la ruine, les famines et des montagnes de cadavres dans le monde. Les grandes puissances, pour pouvoir se présenter comme des pompiers, agissent en réalité en pyromanes qui, à la faveur de l'obscurité, arrosent de combustible les futures zones d'incendie.
La situation fait que les Etats-Unis sont les principaux pompiers pyromanes. Les pompiers, pour éteindre des incendies, sont contraints d'allumer des contre-feux. Par contre, les contre-feux allumés par les Etats-Unis s'avèrent doper les incendies d'origine. Mais les contradictions propres à leur position dans cette période historique de décomposition capitaliste, qui révèle la profonde gravité de la situation mondiale, font qu'ils n'ont d'autre choix que de les allumer. Principaux garants et bénéficiaires de " l'ordre mondial ", les Etats-Unis, en tentant de le défendre avec leurs opérations militaires dévastatrices, sont aussi ceux qui le détruisent le plus.
Avec les Première et Seconde Guerres mondiales, nous avions constaté que ce sont les puissances les plus mal loties dans le partage impérialiste et par conséquent les plus faibles (en particulier l'Allemagne) qui défiaient l'ordre existant et mettaient en danger la " paix mondiale ". Pendant la période de violente rivalité entre l'URSS et les Etats-Unis, depuis le début des années 50 et jusqu'au début des années 80, le rôle d'agent déstabilisateur revint toujours au bloc russe, le plus faible. Les Etats-Unis adoptèrent ensuite une politique plus offensive notamment sur le plan de la course aux armements, tout en continuant d'apparaître sur la défensive, et imposèrent de la sorte au bloc adverse des défis que sa faiblesse économique et politique ne lui permettait pas de relever, ce qui l'a conduit à son effondrement. Aujourd'hui, et c'est une des expressions de l'enfoncement du capitalisme dans la barbarie, on se trouve dans une situation où ce sont les Etats-Unis, principaux bénéficiaires de l'ordre mondial et puissance largement dominante au sein de celui-ci tant sur les plans militaire qu'économique, qui le remettent le plus en cause.
L'actuelle croisade antiterroriste va suivre inexorablement la même voie, si ce n'est que les doses de destruction et de chaos seront qualitativement et quantitativement plus importantes que celles qui résultaient des opérations antérieures.
Il n'y aura pas de " paix " en Afghanistan, pas plus que de reconstruction, mais il y aura les prémisses de nouvelles convulsions guerrières. L'Alliance du Nord n'est qu'un ramassis de seigneurs de la guerre et de factions tribales qui se sont momentanément soudées face à un ennemi commun. Mais le partage du pouvoir, les querelles intestines et les feux qu'allumeront les divers parrains étrangers (la Russie, l'Iran, l'Inde) provoqueront de violents affrontements comme nous pouvons déjà le voir avec la prise de Kunduz où se sont affrontées les troupes " alliées " de Dostom et de Daoud. La relégation au second plan des factions qui s'appuient sur l'ethnie pashtoune majoritaire, ou tout au moins les avantages pris par les autres au détriment de ces fractions, annonce la sauvagerie de l'affrontement. N'ayant aucun intérêt à occuper l'ensemble de l'Afghanistan (4), les Etats-Unis déploient leurs troupes à Kandahar pour parrainer les Pashtouns et constituer un contrepoids à l'Alliance.
Pour mener à bien leur intervention en Afghanistan, les Etats-Unis ont eu besoin de l'appui du Pakistan qui, en échange, a reçu l'assurance des Etats-Unis qu'ils soutiendraient les ethnies en mesure de faire contrepoids à l'Alliance du Nord, ennemi traditionnel du Pakistan et donc obstacle à son influence en Afghanistan. Une telle " zone d'influence " est en effet nécessaire au Pakistan pour se doter d'une " profondeur stratégique " dans l'affrontement féroce qui l'oppose à l'Inde et dont l'enjeu est le Cachemire. Le renforcement de l'influence politique de l'Alliance du Nord dans le cadre de la gestion de la situation de l'après-Talibans, constitue donc une brèche dans le dispositif du Pakistan face à l'Inde.
L'Inde, la Chine, la Russie et l'Iran sont furieux de l'implantation des Américains en Asie centrale. Ils n'ont eu d'autre choix que de se ranger derrière le Front " antiterroriste ", mais tous leurs efforts vont cependant tendre à saboter par tous les moyens les opérations du Grand Frère, dans la mesure où celui-ci menace leurs intérêts vitaux. Et ils ne peuvent que lui répliquer avec les pauvres moyens dont ils disposent, à savoir des intrigues, des opérations de déstabilisation dans des zones-clés et le soutien aux factions les plus rebelles.
Dans les pays arabes et islamiques, l'opération américaine ne peut que raviver en les exacerbant les haines de vastes secteurs de la population, accentuant ainsi à terme les risques de déstabilisation et poussant toutes les bourgeoisies de la zone à se distancier davantage des Etats-Unis, comme on peut déjà le voir avec l'Arabie Saoudite qui manifeste ouvertement son mécontentement.
Dans le même sens, par la grande perte de prestige qu'elle provoque pour la " cause arabe ", l'opération afghane est catastrophique pour Arafat qui s'en retrouve très affaibli, ce qui facilite les plans des israéliens qui poussent leur ennemi palestinien dans les cordes, avec comme conséquence une aggravation de la guerre ouverte qui dure depuis des années.
Le Japon a profité des événements pour envoyer une flotte navale, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Il ne s'agit pour le moment que d'un geste symbolique, mais qui met en évidence comment l'impérialisme nippon tente d'affirmer sa puissance en allumant un nouveau front de tensions qui ne fera qu'empirer la situation mondiale.
Enfin, les pays les plus lésés par la guerre actuelle, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, doivent nécessairement répliquer, puisque la man?uvre américaine contient une grave menace dans la mesure où elle est le début d'une stratégie de " cordon sanitaire continental " qui ne peut à terme que les asphyxier. Il leur faudra contre-attaquer, que ce soit en Afrique ou dans les Balkans, et pour cela augmenter impérativement les dépenses militaires et précipiter les projets de création de brigades d'intervention rapide et " d'armée européenne ".
En définitive, non seulement les Etats-Unis ne parviendront pas à stabiliser en leur faveur la situation mondiale, mais tout au contraire ils contribuent déjà à la déstabiliser encore plus gravement.
L'instabilité et les convulsions guerrières menacent les pays centraux
Depuis 1945, les pays centraux du capitalisme (les Etats-Unis, les pays d'Europe occidentale) ont profité d'une longue période de stabilité et de paix à l'intérieur de leurs frontières. Le capitalisme mondial, comme un tout, a eu beau s'enfoncer progressivement dans une dynamique de guerres, de destructions, de famines, ils se sont quand même maintenus comme un oasis de paix. Mais la situation commence à changer. Les guerres des Balkans des années 90 ont constitué un premier avertissement: c'était une guerre dévastatrice qui s'installait aux portes des grands concentrations industrielles. En ce sens, les événements de New York revêtent un sens bien plus grave et profond que leur portée immédiate. Un acte de guerre a frappé directement la première puissance mondiale, causant un massacre équivalent à une nuit de bombardements aériens.
Nous n'affirmons pas ici que la guerre s'est installée ou qu'elle va s'installer prochainement dans les grandes métropoles de la planète. Nous sommes encore loin de cette situation au moins pour une bonne raison : le prolétariat de ces pays, malgré les difficultés qu'il traverse, résiste et n'est pas prêt à sombrer dans la dégradation morale, à accepter la souffrance physique et le sacrifice exténuant qu'implique au quotidien l'état de guerre. Mais ceci ne doit pas nous cacher la gravité des événements. Quelques mois auparavant, analysant la dynamique de la situation historique et tirant les conclusions des tendances qui y sont contenues, notre 14e Congrès affirmait, dans sa "Résolution sur la Situation internationale": " La classe ouvrière doit donc faire face à la possibilité de se trouver entraînée dans une réaction en chaîne de guerres locales et régionales (...). Cette apocalypse n'est pas si éloignée de ce que nous expérimentons aujourd'hui ; le visage de la barbarie est en train de prendre une forme matérielle devant nos yeux. La seule question restante est de savoir si le socialisme, la révolution prolétarienne, reste toujours une alternative vivante. " (Revue internationale, no 106, 2001)
L'attaque des Tours jumelles nous fait entrer dans une période où l'instabilité, la griffe sanglante des actions terroristes posées directement comme actes de guerre, menace beaucoup plus directement les grands Etats industriels, qui seront de moins en moins ces " havres d'ordre et de stabilité " qu'ils semblaient être jusqu'à aujourd'hui (5). C'est un élément de la situation que le prolétariat doit prendre en compte puisque le terrorisme constitue un nouveau danger, non seulement physique (les ouvriers ayant été les principales victimes de l'attentat des Tours jumelles) mais surtout politique, puisque l'Etat des grandes métropoles démocratiques joue de l'insécurité et de la terreur que provoquent de telles actions pour appeler à resserrer les rangs derrière lui pour " défendre la sécurité nationale " et se pose en unique défenseur face au chaos et la barbarie.
En tant qu'arme utilisée dans la guerre entre Etats, le terrorisme n'est en rien une nouveauté. Ce qui est nouveau, c'est l'amplitude qu'a prise le phénomène ces dernières années. Les grands Etats, et dans leur sillage les plus petits, ont multiplié les rapports avec toutes sortes de groupes mafieux ou terroristes, ou les deux à la fois, tant pour contrôler les multiples trafics illégaux qui rapportent de juteux profits que pour les utiliser comme moyens de pression sur des Etats rivaux. L'utilisation de l'IRA par les Etats-Unis pour faire pression sur la Grande-Bretagne, celle de l'ETA par la France pour faire pression sur l'Espagne, sont deux exemples significatifs. Les Etats ont en outre multiplié les " départements spéciaux " au sein de leurs armées ou services secrets : ils ont préparé des commandos de troupes très spécialisées, entraînées pour les actions de guérilla, de sabotage et de terrorisme, etc.
Cette utilisation de l'arme terroriste va de pair avec la tendance croissante à la violation des règles minimales jusqu'ici respectées dans les guerres entre Etats. Comme nous l'écrivions dans les " Thèses sur la décomposition ", la situation mondiale se caractérise par " le développement du terrorisme, des prises d'otage, comme moyens de la guerre entre Etats, au détriment des " lois " que le capitalisme s'était données par le passé pour " réglementer " les conflits entre fractions de la classe dominante " (Revue internationale, nº 62, 1990, republié dans le nº 107).
La réaction des gouvernements occidentaux après les événements du 11 septembre, durcissant avec une rapidité inhabituelle l'arsenal répressif de l'Etat, démontre sans équivoque qu'ils ont compris le danger. Les Etats-Unis ont donné le ton : instauration des contrôles d'identité, suspension de l'habeas corpus, tribunaux militaires secrets, " débat " sur l'utilisation " modérée " de la torture afin " d'éviter le pire ", etc. Cette politique permet le développement d'armes qui seront finalement utilisées contre le prolétariat et les révolutionnaires, mais ce qu'elles révèlent surtout dès aujourd'hui, c'est en germe le danger d'instabilité, de chaos, de "coups bas" qui se développe dans les pays centraux.
Le cordon sanitaire contre le chaos, dressé comme un nouveau Mur de Berlin pour protéger les " grandes démocraties ", sera plus vulnérable. En caractérisant la " croisade antiterroriste " comme une " guerre longue, sur plusieurs endroits de la terre, qui aura des phases visibles et des phases secrètes, qui exigera beaucoup de moyens, dont certains pourront être connus et pas d'autres ", Bush a mis en évidence la période de convulsions et d'instabilité que vont connaître les pays centraux.
Pour avoir une idée du sens de ces menaces, il est bon de se référer à d'autres époques historiques. Quand l'Empire romain entre en décadence, au 1e siècle de l'ère chrétienne, la première étape se caractérise par de violentes convulsions en son propre centre, Rome. C'est l'époque des empereurs " fous ", Néron, Caligula, etc. Les " réformes " des empereurs au 2e siècle - époque de grands travaux qui ont laissé les monuments les plus importants - éloignent les convulsions du centre en les repoussant vers la périphérie qui s'enfonce dans un marasme total et devient victime des invasions barbares de plus en plus victorieuses. Le 3e siècle voit le retour, comme un boomerang, de ce chaos vers le centre, affectant de plus en plus Rome et Bysance. Le saccage de Rome sera l'aboutissement de ce processus où le centre, jusque-là forteresse imprenable, tombe comme un château de cartes entre les mains des hordes barbares.
Ce même processus s'annonce déjà comme une tendance du capitalisme actuel. Les guerres, les famines, les désastres qui ont martyrisé des millions d'êtres humains ces dernières années dans les pays sous-développés peuvent finir par s'installer avec toute leur force destructrice au c?ur même du capitalisme, si le prolétariat ne trouve pas la force de réagir à temps en menant son combat jusqu'à la révolution mondiale. Il y a 90 ans, Rosa Luxemburg affirmait déjà : " Le triomphe de l'impérialisme aboutit à l'anéantissement de la civilisation - sporadiquement pendant la durée d'une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entrave jusque dans ses dernières conséquences. C'est exactement ce que Friedrich Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix : ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien, victoire du socialisme, c'est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme et contre sa méthode d'action : la guerre. " (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie)
La réponse de la classe ouvrière
L'escalade guerrière ne cesse de progresser. L'époque des guerres fondamentalement localisées, éloignées des grandes métropoles, touche à sa fin. Nous ne passons pas pour autant à une situation de guerre généralisée, de guerre mondiale, mais à un nouveau stade défini par des guerres aux dimensions plus larges, aux implications majeures et, surtout, ayant des répercussions plus directes sur la vie des pays centraux.
Cette évolution de la situation historique doit faire réfléchir le prolétariat. Comme nous l'écrivions dans la Résolution de notre 14e Congrès, le visage de la barbarie devient plus précis, ses contours plus définis. La barbarie de l'attentat contre les Tours jumelles a été prolongée par la campagne guerrière que la bourgeoisie américaine a imposée à toute la société. Le discours belliqueux s'est généralisé parmi les hommes politiques américains, toutes tendances confondues. Mac Cain, ancien rival de Bush au sein du Parti républicain, vocifère : " Que Dieu prenne en pitié les terroristes, car nous n'aurons pas de pitié " ; le Secrétaire à la Défense se distingue par ses rodomontades belliqueuses et son mépris arrogant pour la vie humaine. A propos de Kunduz, il déclare : " Je veux voir les Talibans morts ou prisonniers " ; un militaire, excité par un des discours du généralissime Bush, déclare : " Après avoir entendu le Président, j'ai envie d'aller tuer des ennemis ".
" La guerre est un meurtre méthodique, organisé, gigantesque. En vue d'un meurtre systématique, chez des hommes normalement constitués, il faut cependant d'abord produire une ivresse appropriée. C'est depuis toujours la méthode habituelle des belligérants. La bestialité des pensées et des sentiments doit correspondre à la bestialité de la pratique, elle doit la préparer et l'accompagner " (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie). Cette pression sur le prolétariat et la population américaine pour réveiller les plus bas instincts et catalyser la pire des bestialités a été l'?uvre de l'Etat américain, par d'incessantes campagnes sur l'ardeur patriotique, par l'hystérie soigneusement entretenue avec la menace de l'anthrax, par d'invraisemblables rumeurs sur les attentats " des arabes ", etc. Et plus discrètement, mais de façon encore plus cynique et sophistiquée, elle est aussi l'oeuvre de ses compères européens.
Mais pour puissant que soit l'impact immédiat de ces campagnes - indispensable complément au fracas des bombes et des avions - nous sommes loin d'être dans la situation que combattait Rosa Luxemburg en 1914 ou dans la situation de 1939, au cours de laquelle le prolétariat fut massivement entraîné vers la guerre. La tendance aujourd'hui de la société mondiale est celle du développement de la lutte de classe et non de la guerre mondiale généralisée. Les conditions pour l'embrigadement patriotique, pour la haine bestiale envers les peuples désignés comme ennemis, pour l'asservissement total quotidien aux exigences de la botte militaire dans les usines, les bureaux, la rue, pour la disponibilité envers l'assassinat méthodique et systématique au nom d'une " juste cause " avancée par le pouvoir, toutes ces conditions ne sont réunies ni dans le prolétariat des Etats-Unis ni dans celui des autres pays principaux.
Ceci ne signifie en rien que nous pouvons être tranquilles et dormir sur nos deux oreilles. Dans le " Rapport sur le Cours historique " adopté par notre dernier Congrès (Revue internationale, nº 107, 2001) nous avons mis en évidence que l'époque actuelle, phase terminale du capitalisme, celle de sa décomposition, fait que le temps ne joue plus en faveur du prolétariat, que plus tarde à venir le moment où seront réunies la conscience, l'unité et la force collective nécessaires pour abattre le monstre capitaliste, plus grand sera le risque que soient détruites les bases même du communisme et aussi que les capacités d'unité, de solidarité et de confiance du prolétariat soient inexorablement affaiblies.
L'accumulation des événements qui se sont produits ces deux derniers mois, révèle une brusque accélération de la situation. Trois éléments extrêmement importants de la situation mondiale se sont associé :
- l'accélération de la guerre impérialiste ;
- le violent et spectaculaire approfondissement de la crise économique, entraînant une avalanche de licenciements dont on peut déjà dire qu'ils dépassent de loin ceux de la période 91-93 ;
- la multitude de mesures répressives de la part des Etats les plus démocratiques, au nom de " l'antiterrorisme ".
Il n'est pas évident d'assimiler tous ces événements, de mettre à nu les perspectives qu'ils contiennent. Nous confessons cependant que même s'ils ne nous ont pas surpris, leur virulence et leur rapidité ont été bien supérieures à ce que l'on pouvait attendre et nous sommes loin de voir avec clarté toutes les conséquences qu'ils entraînent. La perplexité, mêlée à certains sentiments de peur et de désorientation, dominent donc naturellement et pour un certain temps encore le prolétariat. Cela est déjà arrivé en d'autres occasions. Par exemple, le prolétariat n'est pas entré directement en lutte dans les moments d'accélération de la crise économique, comme étourdi et surpris dans un premier temps par les cortèges d'attaques qu'elle provoquait. Ce n'est que dans un second temps, quand il a commencé à digérer les événements, que ses combats ont commencé à se développer. On peut constater ce phénomène tant par rapport à la récession ouverte de 1974-75 qu'à celles de 1980-82 ou de 1991-93.
Cependant, la juxtaposition de ces trois éléments (crise, guerre et développement de l'appareil répressif) dans de telles proportions peut asseoir les prémices d'une prise de conscience plus profonde, globale, dans les rangs ouvriers, à condition bien sûr que se développent la combativité et les luttes en réponse à l'élément central qu'est l'approfondissement de la crise.
Telles qu'elles se présentent aujourd'hui, dans le fatras de fanatismes religieux et ethniques propre à la décomposition, dans la prolifération d'actes terroristes, les guerres ne facilitent pas la prise de conscience de leur nature. Celle-ci est comme cachée par ce fatras qui empêche de voir quel est le vrai responsable - le capitalisme - et quels sont les principaux coupables : les grandes puissances. Il faut aussi considérer que la bourgeoisie est très préparée. Ce n'est pas pour rien, comme nous l'avons dit lors de notre précédent Congrès, que " dans cette situation pleine de périls, la bourgeoisie a confié les rênes du gouvernement aux mains du courant politique le plus capable de prendre soin de ses intérêts : la social-démocratie, le principal courant responsable de l'écrasement de la révolution mondiale après 1917-18 ; courant qui a sauvé à cette époque le capitalisme et qui revient aux postes de commande pour assurer la défense des intérêts menacés de la classe capitaliste " (Revue internationale, no 97, 1999).
Cette gauche au pouvoir dans la majorité des pays européens pousse vers la guerre, tout en laissant une place au pacifisme et cherchant toutes sortes de justifications aux excès bellicistes, très consciente du fait que " depuis que l'opinion dite publique joue un rôle dans les calculs des gouvernements, y a-t-il jamais eu une guerre où chaque parti belligérant n'ait pas tiré l'épée du fourreau d'un c?ur lourd, uniquement pour la défense de la patrie et de sa propre cause juste, devant l'invasion indigne de son adversaire ? Cette légende appartient tout autant à l'art de la guerre que la poudre et le plomb " (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie).
Ces obstacles, cependant, le prolétariat a la capacité de les surmonter car il possède, sur le plan global et historique à défaut de n'être pas présente massivement dans l'immédiat, l'arme de la conscience. " Les révolutions bourgeoises, comme celles du 18e siècle, se précipitent rapidement de succès en succès ; leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l'enthousiasme extatique est l'état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s'empare de la société avant qu'elle ait appris à s'approprier d'une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du 19e siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leur propre but, jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta ! " (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte)
" Pour la victoire finale des principes établies dans le Manifeste, Marx s'en remettait purement et simplement au développement intellectuel de la classe ouvrière, tel qu'il devait nécessairement résulter de l'action unie et de la discussion. Les épisodes et les vicissitudes de la lutte contre le capital, les défaites plus encore que les succès, ne pouvaient manquer de faire apparaître aux combattants l'insuffisance des panacées qu'ils préconisaient jusque-là et de préparer leurs esprits à comprendre à fond les véritables conditions de l'émancipation ouvrière. " (F. Engels, Préface à l'édition allemande de 1890 du Manifeste communiste)
Rosa Luxemburg, quant à elle, écrit que pour le prolétariat moderne, "ses erreurs sont aussi gigantesques que ses tâches. Il n'y a pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer le chemin à parcourir. Il n'a d'autre maître que l'expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait s'instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l'autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu'au fond des choses, c'est l'air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre. Dans la guerre mondiale actuelle, le prolétariat est tombé plus bas que jamais. C'est là un malheur pour toute l'humanité. Mais c'en serait seulement fini du socialisme au cas où le prolétariat international se refuserait à mesurer la profondeur de sa chute et à en tirer les enseignements qu'elle comporte. " (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie)
Les révolutions bourgeoises furent des actes bien plus conscients que les processus sociaux qui mirent fin à l'esclavage et emportèrent les régimes féodaux. Elles furent cependant encore dominées par le poids écrasant des facteurs objectifs. La révolution prolétarienne est historiquement la première dont la conscience de classe constitue le facteur déterminant. Cette cruelle caractéristique de la révolution prolétarienne, qui a toujours été mise en avant par les marxistes comme nous venons de le montrer, prend encore plus de force et s'avère encore plus vital dans la situation historique présente de décomposition du capitalisme.
Adalen (28-11-2001)
Notes :
1 Lire nos prises de position sur la terreur, le terrorisme et la violence de classe dans la Revue internationale, nos 14 et 15.
2 Cf. notre article « Stratégie ou profits pétroliers » dans ce numéro.
3 C'est une des raisons pour lesquelles il est absurde aujourd'hui de parler de «mondialisation». Le marché mondial s'est formé depuis au moins un siècle et cette capacité objective d'unification des conditions d'existence de la grande majorité de l'humanité que portait en lui le capitalisme, s'est épuisée depuis longtemps. Pour mieux connaître notre position sur le sens réel de la prétendue " mondialisation ", lire la Revue internationale no 86, 1996, " Derrière la «mondialisation» de l'économie, l'aggravation de la crise du capitalisme ".
4 Ils ont tiré les leçons du piège dans lequel tombèrent les russes pendant la guerre de 1979-89.
5 Comme nous l'écrivions dans l'éditorial de la Revue internationale no 107, nous ignorons qui est le véritable responsable de l'attentat du 11 septembre. Le simple fait que puisse se produire une telle monstruosité est cependant révélateur de l'avancée du chaos, de l'instabilité et de ses conséquences directes dans les pays centraux.
Amplement utilisés pour répandre le poison nationaliste, les attentats du 11 septembre ont aussi été exploités par la bourgeoisie pour détourner l'attention de la classe ouvrière des préoccupations socioéconomiques et pour embrouiller sa conscience sur les véritables causes de la récession d'ampleur qui se déploie actuellement au niveau mondial. Contrairement à ce que nous raconte la classe dominante, la dégradation économique n'est pas le produit de l'effondrement des Twin Towers aux Etats-Unis, même si cela a pu constituer un facteur aggravant, en particulier pour certains secteurs économiques tels que le transport aérien ou le tourisme. Comme le soulignent les experts de l'OCDE : « le ralentissement économique qui à débuté aux Etats-Unis en 2000 et qui a gagné d’autres pays s’est transformé en recul mondial de l’activité économique auquel peu de pays ou de régions ont échappé » (Le Monde du 21 novembre 2001). La crise économique actuelle n'a donc rien de spécifiquement américain. Selon les calculs savants du chateau de la Muette, la croissance dans les 30 pays de l'OCDE ne devrait pas dépasser 1% en 2001, ni en 2002. Le système capitaliste est bel et bien rentré dans sa cinquième phase de récession depuis le resurgissement de la crise sur l'avant-scène de l'histoire a la fin des années 60.
Après la chute du bloc soviétique en 1989, la réalité est rapidement venue infirmer tous les discours sur le prétendu nouvel ordre mondial qui en résulterait. La multiplication des guerres et génocides divers a vite démenti les mensonges qui prétendaient qu' avec la fi n de la guerre froide le monde allait connaître une ère de paix. Les instituts statistiques de la bourgeoisie eux-mêmes reconnaissent - très confidentiellement - que le nombre de conflits et de victimes depuis lors est bien supéricur en intensité à la période de guerre froide. Aujourd'hui, Bush fils, en caractérisant la première guerre du nouveau millénaire comme un état de conflit permanent, enterre définitivement les mensonges proférés par son père sur l'avènement d'un nouvel ordre mondial. Par contre, force est de constater que toute la propagande idéologique sur la victoire de la démocratie et du capitalisme a rencontré un certain écho et pèse fortement sur la conscience de classe des exploités. Les bouleversements sur la scène politique mondiale et la guerre du Golfe ont pu en grande partie masquer la récession précédente au tournant des années 1980-90. De même, malgré quelques démentis partiels (krach économique dans le sud-est asiatique et banqueroute de la Russie et du Brésil en 1998, suivi de peu par celle de la Turquie), les prophéties mensongères sur une nouvelle ère de prospérité économique ont été renforcées par le rebond de la croissance qui se prolongea un petit peu plus longtemps qu'en moyenne et par un intense battage médiatique sur la `nouvelle économie'. Ce dernier consistait à nous faire gober la naissance d'une prétendue nouvelle révolution technologique basée sur l'informatique, les télécommunications et l'Internet. Dès lors, aujourd'hui que la récession exerce ses ravages par une dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière et menace de déchirer le voile des mystifications idéologiques de la bourgeoisie, il s'agit surtout pour cette dernière, de cacher le plus possible la profondeur de l'agonie de son système économique au prolétariat, d'empêcher que ce dernier prenne conscience de l'impasse tant politique qu'économique du capitalisme.
Une récession d'ampleur
Cc qui caractérise la récession actuelle, aux dires des commentateurs bourgeois eux-mêmes, c'est la rapidité et l'intensité de son développement. Les Etats-Unis, la première économie du monde, ont très rapidement plongé dans la récession. Le repli du PIB américain est plus rapide que lors de la récession précédente et l'aggravation du chômage atteint un record inégalé depuis la crise de 1974. Le Japon, la seconde économie du monde, ne se porte pas mieux. Le modèle tant vanté au cours des années 1970-80 est anémique depuis une bonne dizaine d'année et ce n'est qu'à coups de plans de relance massifs et successifs que le Japon a pu maintenir la tête légèrement hors de l'eau avec un taux de croissance frisant le zéro. Malgré cela, l'économie nippone vient de replonger dans la récession pour la troisième fois. C'est la plus forte crise depuis vingt ans et, selon le FMI, le Japon pourrait connaître deux années consécutives de contraction de l'activité économique pour la première fois depuis l'après-guerre. Avec ces multiples plans de relance successifs, le Japon rajoute à son endettement bancaire - qui reste astronomique - un endettement public qui est devenu le plus élevé de tous les pays industrialisés. Il représente aujourd'hui 130% du PIB et devrait atteindre 153% en 2003 mais certains prédisent 180% pour 2002 déjà. Cette montagne de dettes qui s'accumulent non seulement au Japon mais aussi dans les autres pays développés constitue un véritable baril de poudre potentiellement déstabilisateur à terme. Ainsi, une grossière estimation de l'endettement mondial pour l'ensemble des agents économiques (Etats, entreprises, ménages et banques) oscille entre 200 et 300% du produit mondial. Concrètement, cela signifie deux choses. D'une part, que le système a avancé l'équivalent monétaire de la valeur de deux à trois fois le produit mondial afin de pallier à sa crise de surproduction rampante qui a marqué son retour au début des années 70 et, d'autre part, qu'il faudrait travailler deux à trois années pour rien si cette dette devait être remboursée du jour au lendemain. Cet endettement phénoménal au niveau mondial est historiquement sans précédent et exprime à la fois le niveau d'impasse dans lequel le système capitaliste s'est enfoncé, et aussi sa capacité à manipuler la loi de la valeur afin d'assurer sa pérennité. Nous comprenons dès lors pourquoi, lorsque la bourgeoisie parle de `contraction de 1'activité économique', c'est un euphémisme qui signifie en réalité un nouvel enfoncement du système capitaliste dans une récession ouverte, expression de ce que les marxistes ont depuis longtemps signalé comme étant la manifestation d'une crise de surproduction, c'est-à-dire l'incapacité du système à écouler de nouvelles marchandises sur un marché mondial sursaturé. Si cet endettement massif peut encore être supporté par les économies développées, il est par contre en train d'étouffer un à un les pays dit 'émergents'. Pendant que l’e-économie se transformait en e-krach dans les pays développés au cours de l'aimée 2000-2001, les dits pays émergents se rimaient en pays plongeants. Là, la fragilité des économies fait qu'elles ne sont guère capables de supporter un endettement de quelques dizaines de pourcent du Produit Intérieur Brut. Ainsi, après la crise de la dette du Mexique au début des années 80, d'autres pays sont venus progressivement rallonger la liste : Brésil, Mexique encore en 1994, pays du Sud-est asiatique, Russie, Turquie, Argentine aujourd'hui, etc. Quant à la zone 'Euro ', la prétendu partie du capitalisme qui ne va pas trop mal comme on nous dit, on y annonce un taux de croissance nul pour l'année 2002 et un taux de chômage officiel progressant à nouveau de 8,5% à 8,9ù en 2001.
Comme nous pouvons le constater, la crise exerce ses ravages en étendue avec de plus en plus de profondeur au fil des récessions. Après les pays les plus pauvres du Tiers-monde qui connaissent des reculs nets de leur PIB par habitant depuis deux à trois décennies, ce fut la chute du `deuxième monde' avec l'effondrement économique des pays du bloc de l'Est. Ensuite ce fut au tour du Japon de tomber en panne et huit années plus tard, pratiquement l'ensemble de la zone du sud-est asiatique. Bref, ce qui fut longtemps considéré comme le nouveau pôle de développement, selon les idéologues du capitalisme, rentrait dans le rang. Et, pendant tout ce laps de temps, les économies dites `intmédiaires' ou 'émergentes' se sont, l'une après l'autre, toutes plus ou moins effondrées. Et aujourd'hui, la récession qui frappe au coeur même du capitalisme dans les pays les plus développés, ne concerne plus seulement des secteurs de vieilles technologies (charbonnages, sidérurgie, etc.) ou déjà arrivées à maturité (chantiers navals, automobile, etc.) mais carrément des secteurs de pointe, ceux-là même qui étaient appelés à être les fleurons de la nouvelle économie, le creuset de la nouvelle révolution industrielle : l'informatique, Internet, les télécommunications, l'aéronautique, etc. Dans ces branches, c'est par centaines que se comptent les faillites, les restructurations, les fusions-acquisitions et par centaines de milliers les licenciements, les baisses de salaires et les dégradations des conditions de travail.
Des mythes qui s'écroulent
Mais la crise, aussi terrible soit-elle pour les exploités, a comme corollaire de pouvoir enlever une partie du voile mystiticateur dressé par la classe dominante. Ainsi, la véritable euphorie économique qui a accompagné le passage au nouveau millénaire est bel et bien terminée. II est vrai que d'aucuns avaient eu l'imprudence d'annoncer la récession comme imminente après le krach des pays du sud-est asiatique en 1998, suivi peu après par la Russie. Or, non seulement rien de tel ne s'est produit, mais les Etats-Unis connurent une croissance légèrement plus soutenue entre 1991 et 2000 que lors de la décennie précédente et, de surcroît, d'une durée moyenne sans précédent depuis le l9ème siècle. De plus, l'on assista à une course folle aux records boursiers, en particulier dans le secteur des nouvelles technologies. Tout ceci alimentant abondamment les discours sur `la jouvence retrouvée du capitalisme', `sa capacité à digérer les crises, financières' et à faire émerger 'une nouvelle révolution technologique' dont le coeur serait les EtatsUnis. En fait, il n'y a rien de bien mystérieux à tout cela. La croissance américaine a été dopée par trois facteurs. Le premier, et le plus important, concerne la consommation des ménages qui ont dépensé au-delà de leurs revenus à tel point que l'épargne y est devenue négative ! En 1993, les ménages américains consommaient 91 % de leur revenus contre plus de 100 % en 2000. Cela s'explique par des gains boursiers particulièrement dopés (essentiellement pour les ménages les plus riches) ainsi que par une rapide progression de l'endettement individuel. Ce dernier est passé de 85 % à 100% du total des revenus au cours des années 90 ou, autrement dit, la dette des ménages américains représente, à l'heure actuelle, l'équivalent d'une année de leurs revenus ! Le second facteur s'appuie sur une reprise de l'investissement fondée, non sur l'épargne puisqu'elle est devenue négative, mais sur l'afflux de capitaux européens et japonais. Compte tenu des taux d'intérêt réels plus élevés aux Etats-Unis, alimentant ainsi un impressionnant et rapide déficit de la balance courante : 200 milliards de dollars en 1998, 400 milliards de dollars en 2000. Le troisième facteur qui explique largement la longueur exceptionnelle du cycle, est en réalité un effet paradoxal de la crise financière de 1998 : le retour des capitaux sur les places financières américaines et européennes. Le fameux-fumeux cycle high tech américain a en réalité été stimulé par un retour massif des capitaux spéculatifs placés dans les pays du sud-est asiatique pour venir s'investir dans des actions du secteur de la 'net-économie '. Il n'y a là rien d'extraordinaire ni de quoi spéculer sur le retour d'un prétendu nouveau cycle de Kondratiev qui serait basé sur une prétendue nouvelle révolution technologique. Ce cycle s'est d'ailleurs clôturé par un krach boursier qui fut particulièrement sévère dans le secteur qui était justement appelé à porter le nouveau capitalisme sur ses fonds baptismaux.
Un second mythe qui est en train de sérieusement s'éroder est le prétendu recul du capitalisme d'Etat avec le 'tournant néo-libéral' des années 80. Déjà, ce tournant fut réalisé a l'initiative de l'Etat et non contre ce dernier ! Mais de plus, lorsque l'on consulte les statistiques, force est de constater que, malgré vingt années de 'néo-libralisme', le poids écomomique global de l'Etat (plus précisément du secteur dit 'non-marchand') n'a guère reculé : il plafonne, pour les 30 pays de l'OCDE, aux alentours de 40 à 50% avec une fourchette basse de 30 à 35% pour les Etats-Unis et le Japon et une haute de 75 à 80% pour les pays nordiques. Quant au poids politique des Etats lui, il s'est bel et bien accru. Aujourd'hui, Comme tout au long du 20ème Siècle, le capitalisme d’Etat n'a pas de couleur politique précise. Aux Etats-Unis, ce sont les républicains (la `droite') qui Prennent l'initiative d'un soutien public à la relance et qui subventionnent les compagnies aériennes. La Banque centrale pour sa part, très étroitement liée au pouvoir, a baissé ses taux d'intérêt au fur et à mesure que la récession se précisait afin d'aider à la relance de la machine économique : de 6,5% au début 2001 à 2 en lfin d'année. Au Japon, les banques ont été renflouées a deux reprises par l'Etal et certaines ont même été nationalisées ! En Suisse, c'est l'Etat qui a organisé la gigantesque opération de renflouement de la compagnie aérienne nationale Swissair et tout en mettant la main à la poche, etc. Même en Argentine, et avec la bénédiction du FMI et de la Banque Mondiale, le gouverncment a recours à un vaste programme de travaux publics pour essayer de recréer des emplois, etc. Si au 19ème siècle les partis politiques instrumentalisaicnt l’Etat pour faire prioritairement passer leurs intérêts, dans le capitalisme décadent, ce sont les impératifs économiques et impérialistes globaux qui dictent la politique à suivre quelle que soit la couleur du gouvernement en place. Cette analyse fondamentale, dégagée par la Gauche cemtmuniste, a amplement été confirmée tout au long du 20ème siècle et est plus que jamais d'actualité aujourd'hui que les enjeux sont encore plus exacerbés.
Des
attaques sans précédent contre la classe ouvrière
Ce qui est absolument certain, c'est qu'avec le développement de la récession au niveau international, la bourgeoisie imposera une nouvelle et violente dégradation du niveau de vie de la classe ouvrière. Ainsi, sous prétexte d'état de guerre et au nom des intérêts supérieurs de la nation, la bourgeoisie américaine en profite pour faire passer ses mesures d'austérité déjà prévues depuis longtemps car rendues nécessaires par une récession qui se développait depuis un an : licenciements massifs, efforts productifs accrus, mesures d'exceptions au nom de l'antiterrorisme mais qui servent fondamentalement comme terrain d'essai au maintien de l'ordre social, etc. Partout dans le monde, les taux de chômage sont de nouveau fortement orientés à la hausse alors que la bourgeoisie avait réussi à camoufler une partie de son ampleur réelle par des politiques de traitement social - c'est-à-dire de gestion de la précarité - et par des manipulations grossières des statistiques. Partout en Europe, les budgets sont révisés à la baisse et de nouvelles mesures d'austérité sont programmées. Au nom de la prétendue stabilité budgétaire, dont le prolétariat n'a que faire, la bourgeoisie européenne est en train de réexaminer la question des retraites (abaissement des taux et allongement de la vie active sont à l'ordre du jour) et de nouvelles mesures sont envisagées pour faire sauter «les freins au développement de la croissance» comme disent pudiquement les experts de l'OCDE, à savoir «atténuer les rigidités» et « favoriser l’offre de travail» via une précarisation accrue du travail et une réduction de toutes les indemnisations sociales (chômage, soins de santé, allocations diverses, etc.). Au Japon, l'Etat à planifié une restructuration dans 40% des organismes publics : 17 vont fermer et 45 autres seront privatisés. Enfin, pendant que ces nouvelles attaques viennent frapper le prolétariat du coeur du capitalisme mondial, la pauvreté se développe de façon vertigineuse à sa périphérie. La situation des pays dits émergents est significative à ce titre. L'Argentine en est le dernier exemple en date. Longtemps cité en exemple comme modèle par la Banque mondiale, elle est en récession depuis plus de trois ans et plonge aujourd'hui dans la banqueroute. Des grèves importantes ont éclaté dans les principales villes ouvrières du pays pour protester contre les attaques de l' Etat qui a licencié des salariés de la fonction publique par milliers, réduit les salaires de 20%, suspendu le paiement des retraites et des pensions et privatisé la sécurité sociale. D'autres pays analogues, tels le Venezuela, sont secoués par de fortes tensions sociales, ou le Brésil, la Turquie et la Russie qui sont toujours sous perfusion et suivis à la loupe. Ainsi, la Turquie qui doit trouver chaque année 50 à 60 milliards de dollars pour se refinancer est étroitement surveillée par le FMI.
A cette situation d'impasse économique, de chaos social et de misère croissante pour la classe ouvrière, cette dernière n'a qu'une seule réponse à apporter : développer massivement ses luttes sur son propre terrain de classe dans tous les pays. Car aucune «alternance démocratique», aucun changement de gouvernement comme en Argentine, aucune autre politique ne peut apporter un quelconque remède à la maladie mortelle du capitalisme. La généralisation et l'unification des combats du prolétariat mondial, vers le renversement du capitalisme, est la seule alternative capable de sortir la société de cette impasse.
C. Mcl
Dès les premiers instants, la propagande bourgeoise américaine a assimilé l'attentat du 11 septembre contre le World Trade Center à l'attaque japonaise contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Cette comparaison est chargée d'un impact considérable, à la fois psychologiquement, historiquement et politiquement, car Pearl Harbor a marqué l'entrée directe de l'impérialisme américain dans la Seconde Guerre mondiale. Selon la campagne idéologique que nous présente actuellement la bourgeoisie américaine, en particulier à travers ses médias, le parallèle est simple, direct et évident :
1) Dans les deux cas, les Etats-Unis ont été pris en traître par une attaque surprise qui les a pris au dépourvu. Dans le premier cas il s'agissait de la traîtrise de l'impérialisme japonais qui, cyniquement, prétendait négocier avec Washington pour éviter la guerre mais qui a manigancé et déclenché une attaque sans prévenir. Dans le cas présent, les Etats-Unis ont été victimes de fondamentalistes musulmans fanatiques qui ont profité de l'ouverture et de la liberté que leur offrait la société américaine pour commettre une atrocité aux proportions sans précédent et dont le caractère malfaisant les situe en dehors du cadre de la civilisation.
2) Dans les deux cas, les pertes infligées par les attaques surprises ont fait naître un sentiment d'indignation au sein de la population atterrée. A Pearl Harbor, on a compté 2043 morts, essentiellement du personnel militaire américain ; pour les Twin Towers, c'est encore pire : environ 3000 civils innocents.
3) Dans les deux cas, les attaques se sont retournées contre ceux qui les avaient perpétrées. Au lieu de terroriser la nation américaine et de la plonger dans le défaitisme et la soumission silencieuse, elles ont fait naître au contraire une grande ferveur patriotique dans la population, même au sein du prolétariat, et ont de ce fait permis sa mobilisation derrière l'Etat pour une guerre impérialiste qui promet de durer.
4) Au bout du compte, c'est le Bien, représenté par l'"American way of life" démocratique, et sa puissance militaire, qui triomphe du Mal.
Comme tous les mythes idéologiques bourgeois, quels que soient les éléments de vérité qui leur confèrent une crédibilité superficielle, ce torrent de propagande est truffé de mensonges et de demi-vérités et de déformations intéressées. Mais cela n'est pas pour nous surprendre. En politique, la bourgeoisie, en tant que classe, a toujours utilisé les mensonges, les tromperies, la manipulation et les man?uvres. Et ceci est particulièrement vrai quand il s'agit de mobiliser la société pour la guerre totale des temps modernes. Les fondements de cette campagne idéologique de la bourgeoisie sont en complète contradiction avec la réalité historique des deux événements. Dans ces deux événements, il est quasiment évident que la bourgeoisie n'a pas été véritablement surprise par ces attaques, et qu'elle a cyniquement utilisé le battage médiatique sur le grand nombre de morts uniquement pour défendre ses intérêts nationaux, pour atteindre ses visées impérialistes et d'autres objectifs politiques à plus long terme.
Puisque Pearl Harbor et l'attentat du World Trade Center ont été utilisés par la bourgeoisie pour rallier la population américaine à la guerre, il est nécessaire d'examiner brièvement les tâches politiques auxquelles elle doit faire face pour préparer la guerre impérialiste pendant la période de décadence capitaliste. Dans la décadence, la guerre a des caractéristiques fondamentalement différentes de celles de la période où le capitalisme était un système progressif. Durant cette dernière, les guerres pouvaient avoir un rôle progressiste dans la mesure où elles permettaient un développement des forces productives. C'est en ce sens qu'on peut considérer comme historiquement progressistes la Guerre de Sécession aux Etats-Unis qui a servi à détruire le système anachronique de l'esclavage et à permettre l'industrialisation du pays à grande échelle. De même les différentes guerres nationales en Europe, dont il a résulté la création des Etats nationaux unifiés modernes, constituèrent une base plus favorable au développement du capital national dans chaque pays. D'une façon générale, ces guerres pouvaient en grande partie se limiter au personnel militaire impliqué dans le conflit et n'entraînaient pas de destructions massives des moyens de production ni des infrastructures ni des populations de chacun des belligérants.
Les guerres impérialistes de l'époque de la décadence du capitalisme ont des caractéristiques profondément différentes. Alors que les guerres nationales de l'époque ascendante pouvaient avoir pour fonction d'établir les bases pour des avancées qualitatives dans le développement des forces productives, dans la décadence, le système capitaliste lui-même a déjà atteint le point le plus haut de son développement historique et cet aspect progressiste n'est plus possible. Le capitalisme a achevé l'extension du marché mondial, et tous les marchés extra-capitalistes qui permettaient son expansion globale ont été intégrés dans le système. Maintenant, chaque capital national n'a plus qu'une seule possibilité d'expansion, qui se réalise nécessairement aux dépens d'un rival : s'emparer de territoires ou de marchés contrôlés par l'adversaire. L'accroissement des rivalités impérialistes conduit au développement d'alliances préparant le terrain à la guerre impérialiste généralisée. Loin de se limiter à des combats entre militaires professionnels, dans la décadence la guerre nécessite la mobilisation totale de la société, ce qui a pour conséquence l'émergence d'une nouvelle forme d'Etat : le capitalisme d'Etat. Sa fonction est d'exercer un contrôle total sur tous les aspects de la société dans le but de contenir les contradictions de classes qui menacent de la faire exploser et, en même temps, de coordonner la mobilisation en vue de la guerre totale moderne.
Quel que soit le succès avec lequel la population a été préparée à la guerre au niveau idéologique, la bourgeoisie en décadence masque ses guerres impérialistes derrière le mythe de l'autodéfense contre l'agression et la tyrannie dont elle serait la victime. La réalité de la guerre moderne, avec ses destructions massives et ses innombrables morts, avec tous les aspects de la barbarie qu'elle fait subir à l'humanité, est si affreuse, si horrible, que même un prolétariat idéologiquement battu et défait ne marche pas au massacre d'un c?ur léger. La bourgeoisie compte beaucoup sur la falsification de la réalité pour créer l'illusion que la population est la victime d'une agression et n'a pas d'autre choix que rendre les coups pour se défendre. La justification du conflit qu'on nous présente, c'est la nécessité de défendre la mère patrie contre les agressions extérieures ou contre la tyrannie, et non pas les vraies raisons impérialistes qui poussent le capitalisme à la guerre. Personne ne peut vraiment mobiliser une population autour du slogan : "Opprimons le monde sous notre domination impérialiste quel qu'en soit le coût". Dans le capitalisme décadent, le contrôle des médias par l'Etat facilite le lavage de cerveau des populations par toutes sortes de propagandes et de mensonges.
Au cours de son histoire, la bourgeoisie américaine a été particulièrement adepte de ce stratagème consistant à se faire passer pour une victime, et ce même avant le déclin du capitalisme au début du 20e siècle. Ainsi par exemple : "Remember the Alamo" fut le slogan de la guerre de 1845-1848 contre le Mexique. Ce cri de guerre a immortalisé le "massacre" de 136 rebelles américains à San Antonio au Texas, qui faisait à l'époque partie du Mexique, par les forces mexicaines conduites par le général Santa Ana. Bien sûr, le fait que ces Mexicains "assoiffés de sang" avaient à plusieurs reprises proposé la reddition et permis aux femmes et aux enfants d'évacuer Fort Alamo avant l'assaut final, n'a pas empêché la classe dirigeante américaine de magnifier les défenseurs du fort avec l'auréole du martyre. Cet incident a bien servi la bourgeoisie pour mobiliser tout le soutien nécessaire à une guerre dont le point culminant a été l'annexion par les Etats-Unis de la plupart des territoires qui en constituent aujourd'hui le Sud-Ouest.
De la même manière, l'explosion suspecte à bord du navire de guerre le "Maine" dans le port de La Havane en 1898, a servi de prétexte à la guerre hispano-américaine de 1898, et a donné naissance au slogan : "Remember the Maine".
Plus récemment, en 1964, une prétendue attaque contre deux canonnières américaines au large des côtes vietnamiennes a servi de base à la "Résolution sur le Golfe du Tonkin", adoptée par le Congrès américain au cours de l'été 1964 qui, tout en n'étant pas une déclaration de guerre formelle, a fourni la trame légale à l'intervention américaine au Viêt-nam. En réalité l'Administration Johnson avait appris quelques heures après que l'"attaque" contre le "Maddox" et le "Turner Joy" dont parlaient les rapports, n'avait jamais eu lieu, mais était le résultat d'une erreur de jeunes officiers de radar un peu nerveux. Qu'à cela ne tienne, la législation donnant l'autorisation de combattre a quand même été présentée au Congrès afin de fournir une couverture légale à une guerre qui devait traîner en longueur jusqu'à la chute de Saigon aux mains des forces staliniennes en 1975.
C'est vrai que la bourgeoisie a utilisé l'attaque de Pearl Harbor pour rallier une population hésitante à l'effort de guerre, comme elle utilise aujourd'hui le caractère atroce du 11 septembre pour la mobiliser en vue de soutenir encore une autre guerre. Mais la question reste posée de savoir si, dans chacun de ces cas, les Etats-Unis ont été pris par surprise, et jusqu'à quel degré le machiavélisme de la bourgeoisie a été mis en ?uvre, soit pour provoquer, soit pour permettre ces attaques, en vue d'utiliser à son avantage l'indignation populaire qui a suivi.
Chaque fois que le CCI dénonce le machiavélisme de la bourgeoisie, nos critiques nous accusent d'avoir une vision policière de l'histoire. Cependant, ce n'est pas simplement une incompréhension de nos analyses de leur part car, pire encore, ils tombent dans le piège idéologique de la bourgeoisie qui, en particulier à travers ses médias, s'emploie à dénigrer ceux qui tentent de mettre en lumière les combines et tous les procédés qu'elle met en ?uvre dans la vie politique, économique et sociale, et cherche à les faire passer pour des théoriciens irrationnels de la conspiration. Cependant, ce n'est plus une controverse que d'affirmer que " les mensonges, la terreur, la coercition, le double jeu, la corruption, les coups d'état et les assassinats politiques" ont toujours constitué le fonds de commerce de la classe exploiteuse au cours de l'histoire, que ce soit dans l'antiquité, sous la féodalité ou sous le capitalisme moderne. "La différence est que les patriciens et les aristocrates 'faisaient du machiavélisme sans le savoir' alors que la bourgeoisie est machiavélique et le sait. Elle fait du machiavélisme une 'vérité éternelle' parce qu'elle se vit comme éternelle, parce qu'elle suppose l'exploitation comme éternelle ".("Machiavélisme, conscience et unité de la bourgeoisie ", Revue internationale n° 31, 4e trimestre 1982). En ce sens, le mensonge et la manipulation, mécanisme employé par toutes les classes exploiteuses qui ont précédé, sont devenus une caractéristique centrale du mode de fonctionnement de la bourgeoisie moderne. Celle-ci, utilisant les formidables outils de contrôle social qui lui sont fournis sous les conditions du capitalisme d'Etat, a porté le machiavélisme à un niveau qualitativement supérieur.
L'émergence du capitalisme d'Etat à l'époque de la décadence capitaliste, une forme d'Etat qui concentre le pouvoir entre les mains de l'exécutif, particulièrement de la bureaucratie permanente, et qui donne à l'Etat un pouvoir de plus en plus totalitaire sur tous les aspects de la vie sociale et économique, a fourni à la bourgeoisie des mécanismes encore plus efficaces pour mettre en ?uvre ses plans machiavéliques. " Au niveau de sa propre organisation pour survivre, pour se défendre, la bourgeoisie a montré une capacité immense de développement des techniques de contrôle économique et social, bien au-delà des rêves de la classe dominante du 19e siècle. En ce sens, la bourgeoisie est devenue 'intelligente' face à la crise de son système socio-économique "("Notes sur la conscience de la bourgeoisie dans la décadence", Revue internationale n°31, 4e trimestre 1982)
Le développement d'un système de moyens d'information complètement intégrés sous le contrôle de l'Etat, que ce soit sous des formes juridiques ou par des méthodes plus flexibles, est un élément central dans le schéma machiavélique de la bourgeoisie. " La propagande - le mensonge - est une arme essentielle de la bourgeoisie. Pour alimenter cette propagande, la bourgeoisie n'hésite pas, au besoin, à provoquer l'événement" (ibid., "Machiavélisme..."). L'histoire des Etats-Unis est pleine d'une myriade d'exemples de manipulation de l'opinion publique sur de simples faits divers, ou de manipulations plus importantes au niveau historique. Un exemple de l'utilisation d'un fait divers est l'incident de 1955 quand le secrétaire du Président aux relations avec la presse, James Hagerty, a monté de toutes pièces un événement pour dissimuler l'état de santé du Président Eisenhower, hospitalisé à Denver, Colorado, après une attaque cardiaque. Hagerty a organisé pour toute l'équipe ministérielle un voyage de 2000 miles, de Washington à Denver, pour créer l'illusion qu'Eisenhower était assez en forme pour présider un conseil des ministres, conseil qui n'eut jamais lieu. Un exemple plus important sur le plan historique pourrait être la manière dont Saddam Hussein a été manipulé en 1990 par l'ambassadeur des Etats-Unis en Irak quand celui-ci lui a dit que son pays n'interviendrait pas dans le conflit frontalier entre l'Irak et le Koweït, lui laissant croire qu'il avait reçu le feu vert de la part de l'impérialisme américain pour envahir le Koweït. Au contraire, l'invasion a été utilisée par les Etats-Unis comme prétexte pour la Guerre du Golfe de 1991 qui a constitué un moyen de réaffirmer qu'ils étaient la seule superpuissance restante à la suite de l'effondrement du stalinisme et de la désintégration du bloc occidental qui a suivi.
Ceci ne veut pas dire que tous les événements de la société contemporaine sont nécessairement préétablis par quelque schéma secret préparé par un cercle restreint de dirigeants capitalistes. Il est clair qu'il y a des affrontements au sein des cercles dirigeants des Etats capitalistes et que les résultats n'en sont pas prévus d'avance. Pas plus que les issues des confrontations avec le prolétariat dans la lutte de classe ne sont toujours contrôlées par la bourgeoisie. Et même avec des manipulations bien planifiées, des accidents de l'histoire peuvent arriver. Cependant, ce qu'il faut bien comprendre c'est que même si la bourgeoisie, en tant que classe exploiteuse, est incapable d'avoir une conscience globale et unifiée, de comprendre clairement le fonctionnement de son système et l'impasse historique qu'elle offre à l'humanité, elle est consciente que son système s'enfonce dans une crise sociale et économique. " Au plus haut niveau de l'appareil d'Etat, il est possible, pour ceux qui commandent, d'avoir une sorte de tableau global de la situation et des options qu'il faut prendre de façon réaliste pour y faire face. " (ibid. "Notes sur la...") Mais même si elle ne le fait pas en complète conscience, la bourgeoisie est plus que capable de formuler des stratégies et des tactiques et d'utiliser les mécanismes de contrôle totalitaire que constitue le capitalisme d'Etat pour les mettre en ?uvre. Il est de la responsabilité des marxistes révolutionnaires de dévoiler ces man?uvres et ces mensonges machiavéliques. Se voiler la face pour ne pas voir cet aspect de l'offensive de la classe dominante pour contrôler la société est une attitude irresponsable et fait le jeu de notre ennemi de classe.
Pear Harbor offre un excellent exemple de fonctionnement du machiavélisme de la bourgeoisie. Nous bénéficions de plus d'un demi-siècle de recherches historiques, d'un certain nombre d'enquêtes militaires ainsi que de celles de partis d'opposition sur lesquelles nous appuyer. Selon le président Roosevelt, le 7 décembre 1941 restera un jour d'infamie, un exemple de la traîtrise japonaise. Cet événement fut utilisé pour mobiliser l'opinion publique en faveur de la guerre en 1941, et il est toujours présenté de la même façon par les médias capitalistes, les manuels scolaires et la culture populaire. Néanmoins, de nombreuses preuves historiques démontrent que l'attaque japonaise fut provoquée consciemment par la politique américaine ; l'attaque ne vint pas par surprise, et l'Administration du Président Roosevelt prit en conscience la décision de permettre qu'elle se produise et d'essuyer les nombreuses pertes en vies humaines et en matériel naval, comme prétexte pour assurer l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. De nombreux livres ont été publiés sur cette histoire et de nombreux documents sont accessibles sur Internet (Voir le site : www.geocities.com/Pentagon/6315/pearl/html [5] pour une chronologie documentée des événements et des liens vers d'autres sites). Ici nous allons seulement passer en revue les points les plus importants pour illustrer comment fonctionne le machiavélisme de la bourgeoisie.
En 1941, les evénements de Pearl Harbor se sont déroulés alors que les États-Unis étaient prêts à prendre la décision d'intervenir aux côtés des Alliés dans la Seconde Guerre mondiale. L'Administration du Président Roosevelt était impatiente d'entrer en guerre contre l'Allemagne et, bien que la classe ouvrière américaine fût complètement prisonnière de l'appareil syndical (au sein duquel le parti stalinien jouait un rôle significatif) imposé d'autorité par l'Etat pour contrôler la lutte de classe dans toutes les industries-clefs, et qu'elle fût imprégnée par l'idéologie de l'anti-fascisme, la bourgeoisie américaine devait faire face à une forte opposition à la guerre, pas seulement de la part de la classe ouvrière, mais au sein de la bourgeoisie elle-même. Avant Pearl Harbor, les sondages montraient que 60% de l'opinion publique était opposée à l'entrée en guerre, et les campagnes de groupes isolationnistes tels que " American first " trouvaient un soutien considérable au sein de la bourgeoisie. Bien qu'elle affichât la volonté politique et démagogique de rester en dehors de la guerre européenne, l'Administration américaine cherchait en douce une excuse pour se joindre aux combats. Les Etats-Unis violaient de plus en plus leur neutralité auto-proclamée, en offrant de l'aide aux Alliés, en transportant des quantités considérables de matériel de guerre selon le programme "Lend Lease". L'Administration espérait amener les Allemands à lancer une attaque contre les forces américaines dans l'Atlantique Nord qui servirait de prétexte pour leur entrée en guerre. Comme l'impérialisme allemand refusait de mordre à l'hameçon, l'attention se tourna vers le Japon. La décision d'imposer un embargo pétrolier au Japon et le transfert de la flotte du Pacifique de la côte Ouest des Etats-Unis vers une position plus exposée à Hawaii, ont servi à fournir un motif et une opportunité au Japon de "tirer les premiers" contre les Etats-Unis, et par là, à trouver le prétexte d'une intervention américaine dans la guerre impérialiste. En mars 1941, un rapport secret du Département de la Marine prévoyait que si le Japon devait attaquer les Etats-Unis, ce serait tôt le matin par un raid aérien sur Pearl Harbor lancé depuis des porte-avions. Comme l'a noté le conseiller présidentiel Harold Ickes, dans un mémorandum de juin 1941, alors que l'Allemagne venait d'attaquer la Russie, "à partir de l'embargo pétrolier sur le Japon, pourrait se développer une situation qui non seulement permettrait mais faciliterait notre entrée en guerre". En octobre, Ickes écrivait : " J'ai toujours pensé que notre entrée en guerre se ferait par le Japon. " Fin novembre, Stimson, Secrétaire d'Etat à la Guerre, a écrit dans son journal le compte-rendu de ses discussions avec le Président Roosevelt : " La question était de savoir comment les man?uvrer pour les amener (le Japon) à tirer les premiers sans trop de dangers pour nous-mêmes. Cependant, malgré les risques encourus à les laisser tirer les premiers, nous nous rendions compte que pour obtenir un soutien total du peuple américain, il valait mieux que ce fût les Japonais qui le fassent de sorte qu'il ne subsisterait aucun doute dans l'esprit de quiconque sur le fait que c'était eux les agresseurs."
Le rapport du Bureau de l'Armée à Pearl Harbor, daté du 20 octobre 1941, décrit cette décision machiavélique et prise en conscience de sacrifier des vies humaines et de l'équipement et conclut que "durant cette période décisive, du 27 novembre au 6 décembre 1941, de nombreuses informations nous sont parvenues, au plus haut niveau, au Département d'Etat, au Département de la Marine et de la Guerre, indiquant précisément les intentions des Japonais et incluant l'heure et la date exactes où devait probablement avoir lieu l'attaque" (Army Board Report , Pearl Harbor Attack , Part 29, pages 221-230).
Ces informations étaient les suivantes :
Ces informations des services secrets étaient données aux fonctionnaires de plus haut rang du Département d'Etat et de la Guerre et en même temps à la Maison Blanche, où Roosevelt en personne recevait deux fois par jour des comptes-rendus sur les messages japonais qui étaient interceptés. Alors que les officiers des services de renseignements poussaient à envoyer en urgence une "alerte à la guerre" au Commandement militaire à Hawaii, pour le préparer à l'attaque imminente, les gros bonnets civils et militaires décidèrent du contraire et au lieu de ça envoyèrent un message que le bureau qualifia d'"anodin".
La preuve que l'attaque japonaise était connue d'avance, fut confirmée par différentes sources dont des articles de journalistes et des mémoires écrits par les participants. Par exemple, on pouvait lire dans une dépêche de l'agence United Press publiée dans le New York Times du 8 décembre sous le titre " L'attaque était attendue " : " Il est maintenant possible de révéler que les forces armées des Etats-Unis étaient au courant depuis une semaine que l'attaque allait arriver, et qu'elle ne les a pas prises par surprise. " (New York Times, 8 décembre 1941, p. 13.)
Dans une interview accordée en 1944, Eleanor Roosevelt, femme du Président, a avoué que " le 7 décembre a été loin de représenter un choc brutal pour le pays comme on a bien voulu le dire. Cela faisait longtemps qu'on s'attendait à un tel événement " (New York Times Magazine, 8 octobre 1944, page 41). Le 20 juin 1944, le ministre britannique sir Olivier Littleton a déclaré devant la Chambre de commerce américaine : "Le Japon a été poussé à attaquer les Américains à Pearl Harbor. C'est travestir l'Histoire que de dire que l'Amérique a été forcée d'entrer en guerre. Tout le monde sait vers qui allaient les sympathies des Américains. Il est incorrect de parler d'une véritable neutralité de l'Amérique, même avant sa participation aux combats." (Prang, Pearl Harbor : Verdict of History, pages 39-40.)
Winston Churchill a confirmé la duplicité des dirigeants américains pour ce qui concerne l'attaque de Pearl Harbor, dans ce passage de son livre The Grand Alliance :
"En 1946 ont été publiés les résultats d'une enquête du Congrès américain dans lesquels étaient exposés chaque détail des événements qui menèrent à la guerre entre les Etats-Unis et le Japon, et aussi le fait que les départements militaires n'ont jamais envoyé de message d' 'alerte' aux escadres et aux garnisons qui étaient exposées. Chaque détail, y compris le texte décodé des télégrammes secrets japonais, a été exposé au monde en quarante volumes. La force des Etats-Unis a été suffisante pour leur permettre de supporter cette dure épreuve requise par l'esprit de la Constitution américaine. Je n'ai pas l'intention, dans ces pages, de prononcer un jugement sur cet épouvantable épisode de leur histoire. Nous savons que tous les grands Américains autour du Président, en qui ils avaient confiance, ressentaient, avec autant de perspicacité que moi, ce terrible danger que le Japon allait attaquer les possessions anglaises et hollandaises en Extrême Orient, en évitant de toucher aux Etats-Unis, et qu'en conséquence le Congrès américain n'autoriserait pas une déclaration de guerre. (...) Le Président et ses hommes de confiance se rendaient compte depuis longtemps des graves risques que faisait courir aux Etats-Unis leur neutralité dans la guerre contre Hitler et tout ce qu'il représentait. Ils avaient durement ressenti les contraintes que leur imposait le Congrès, quand quelques mois auparavant, la Chambre des Représentants n'avait renouvelé que d'une seule voix la loi sur le service militaire obligatoire, loi nécessaire sans laquelle leur armée aurait été presque démantelée au milieu des convulsions qui agitaient le monde. Roosevelt, Hull, Stimson, Knox, le général Marshall, l'amiral Stark et Harry Hopkins étaient tous du même avis. (?) Une attaque japonaise sur les Etats-Unis allait considérablement simplifier leurs problèmes et leur tâche. Peut-on alors être étonné qu'ils aient pu considérer la forme que prendrait cette attaque ou même son intensité comme bien moins importantes que le fait que l'ensemble de la nation américaine allait se retrouver unifiée dans une juste cause pour défendre sa sécurité, comme elle ne l'avait jamais été auparavant " (Winston Churchill, The Grand Alliance, page 603).
Il se peut que Roosevelt n'ait pas anticipé l'étendue des dégâts et des pertes que les Japonais allaient infliger à Pearl Harbor, mais il est clair qu'il était prêt à sacrifier des vies et des navires américains pour faire naître un sentiment de haine parmi la population et la pousser à la guerre.
Il est bien sûr plus difficile d'estimer le niveau de machiavélisme de la bourgeoisie américaine dans le cas de l'attentat du World Trade Center qui a eu lieu il y a un peu plus de trois mois seulement au moment où nous rédigeons cet article. Nous ne bénéficions pas des résultats des enquêtes menées depuis, et qui pourraient révéler des preuves secrètes que des éléments de la classe dominante avaient une quelconque complicité dans ces attentats ou en avaient connaissance et les ont laissés se produire. Mais, comme le montre l'histoire de la classe dominante, en particulier les événements de Pearl Harbor, une telle possibilité est tout à fait envisageable. Si nous examinons les récents événements en nous basant uniquement sur ce qu'en ont rapporté les médias - qui, comme par hasard, se trouvent être complètement embrigadés dans l'offensive politique et impérialiste actuelle du gouvernement, et à laquelle ils apportent leur soutien - nous pouvons certainement étayer une telle hypothèse.
Premièrement, posons-nous la question de savoir à qui profite le crime sur le plan politique : il ne fait aucun doute que c'est en premier lieu à la classe dominante américaine. Cette seule constatation suffit à faire naître des soupçons sur l'attentat du World Trade Center. Promptement et sans la moindre hésitation, la bourgeoisie américaine a utilisé à son avantage les événements du 11 septembre pour faire avancer ses projets tant au niveau national qu'international : mobilisation de la population derrière l'état de guerre, renforcement de l'appareil répressif de l'Etat, réaffirmation de la superpuissance de l'Amérique face à la tendance générale de chaque pays à jouer sa propre carte sur l'arène internationale.
Immédiatement après l'attentat, l'appareil politique américain et les médias ont été réquisitionnés pour mobiliser la population en vue de la guerre, dans un effort concerté pour surmonter ce qu'on appelle le "syndrome du Viêt-nam" qui, depuis trois décennies, a empêché l'impérialisme américain de faire la guerre. Ce soi-disant "désordre psychologique de masse" a été caractérisé par une résistance, en particulier de la part de la classe ouvrière, à se laisser mobiliser derrière l'Etat, dans une guerre impérialiste de longue durée et a été en grande partie responsable du fait que les Etats-Unis ont compté sur des guerres locales, par pays interposés, dans leur conflit avec l'impérialisme russe au cours des années 1970 et 1980, ou bien sur des interventions à court terme et de durée limitée, appuyées par des frappes aériennes et des missiles plutôt que par des attaques au sol, comme lors de la Guerre du Golfe et au Kosovo. Bien sûr, cette résistance n'est pas le résultat d'un quelconque désordre psychologique, mais reflète plutôt l'incapacité de la classe dirigeante à infliger une défaite idéologique et politique au prolétariat, à aligner la génération actuelle d'ouvriers derrière l'Etat pour la guerre impérialiste, comme cela avait été le cas pour la préparation de la Seconde Guerre mondiale. L'éditorial d'une édition spéciale du magazine Time, publiée immédiatement après l'attentat, montre bien comment la campagne actuelle de psychose guerrière a été orchestrée. Le titre développé par ce numéro : "Jour d'infamie", invoque, dès le début, la comparaison avec Pearl Harbor. Un article éditorial de Lance Morrow, intitulé " Fureur et châtiment ", a souligné les détails de la campagne idéologique qui a suivi. Bien qu'écrit dans une publication participant à l'effort de propagande, l'article de Morrow illustre comment les propagandistes de la classe dirigeante avaient compris tous les bénéfices qu'ils pouvaient tirer des attentats du World Trade Center, par rapport aux attentats précédents, pour manipuler la population en vue de la guerre, à cause du grand nombre de pertes et de la valeur dramatique des images : " Nous ne pouvons vivre un jour d'infamie sans que nous vienne un sentiment de fureur. Libérons notre fureur !
Nous avons besoin d'un sentiment de rage comparable à celui qui a suivi Pearl Harbor ! Une indignation sans pitié qui ne s'évanouira pas au bout d'une ou deux semaines. (?)
C'était du terrorisme proche de la perfection dramatique. Jamais le spectacle du Mal n'aura atteint une production de cette valeur. Normalement, le public n'en voit que les résultats encore fumants : l'ambassade détruite par une explosion, les casernes en ruines, le trou noirâtre à la coque du navire. Cette fois, le premier avion percutant la première tour a attiré notre attention. Il a alerté les médias, a convoqué les caméras pour pouvoir enregistrer la deuxième explosion éclatante de surréalisme?
Le Mal possède un instinct théâtral, et c'est pourquoi à une époque où les médias sont si doués pour le mauvais goût, il peut exagérer ses dégâts par le pouvoir des images horrifiantes. " (Time Magazine, numéro spécial, septembre 2001)
Au même moment, l'appareil politique bourgeois a déployé et mis en ?uvre ses plans pour renforcer l'appareil répressif de l'Etat. Une nouvelle législation "sécuritaire", restaurant la légalité de pratiques qui avaient été discréditées à la suite la guerre du Viêt-nam et de l'affaire du Watergate, ainsi que tout un nouvel arsenal de mesures répressives furent préparés, débattus, adoptés et signés par le Président en un temps record. Nous avons de bonnes raisons de soupçonner que cette législation avait été préparée de longue date et était prête à être introduite au bon moment. Plus de 1000 suspects, simplement parce qu'ils portaient des noms arabes et des vêtements musulmans, furent arrêtés et mis en détention sans charge précise pour une durée indéterminée. Les fonds d'organisations suspectées de sympathie pour Ben Laden ont été gelés sans procédure judiciaire. L'immigration a été restreinte, particulièrement en provenance des pays islamiques, ceci étant plus une réponse aux préoccupations constantes de la bourgeoisie concernant ces afflux d'immigrants illégaux cherchant à fuir les conditions horribles de la décomposition et de la barbarie frappant leurs nations sous-développées, plutôt que directement en lien avec les attentats terroristes.
Du jour au lendemain, la crise terroriste est devenue une excuse pour l'aggravation de la récession économique et une justification pour les coupes sombres dans le budget des programmes sociaux, les fonds disponibles ayant tous été dirigés vers la guerre et la sécurité nationale. La rapidité avec laquelle ces mesures ont été présentées montre bien qu'elles n'ont pas été rédigées dans l'urgence, mais qu'elles avaient été préparées, discutées et planifiées pour parer à toute éventualité.
Au niveau international, le but réel de la guerre contre le terrorisme n'est pas tant de le détruire, mais de réaffirmer avec force la domination impérialiste de l'Amérique, qui reste la seule superpuissance dans une arène internationale caractérisée par de plus en plus de défis à l'hégémonie américaine. L'effondrement du bloc de l'Est en 1989 a conduit à une rapide désagrégation du bloc occidental, puisque ce qui assurait la cohésion de ce dernier, l'affrontement avec le bloc impérialiste russe, avait disparu. Malgré son apparente victoire dans la guerre froide, l'impérialisme américain s'est trouvé confronté à une situation mondiale dans laquelle les grandes puissances qui étaient ses anciens alliés, et bon nombre d'autres pays de moindre importance, ont commencé à défier son leadership et à poursuivre leurs propres ambitions impérialistes. Pour forcer leurs alliés d'autrefois à rentrer dans le rang et à reconnaître leur domination, les Etats-Unis ont entrepris durant la dernière décennie trois opérations militaires de grande envergure : contre l'Irak, contre la Serbie et maintenant contre l'Afghanistan et le réseau Al Qaïda. Dans chaque cas, le déploiement militaire des Etats-Unis a forcé ses " alliés ", tels la France, la Grande Bretagne et l'Allemagne, à rejoindre les " alliances " qu'ils dirigeaient ou bien à perdre complètement la face et rester à l'écart du jeu impérialiste global.
Deuxièmement, alors que la version officielle autorisée de la réalité proclame que les Etats-Unis ne s'y attendaient absolument pas, il est au contraire déjà possible, en se basant uniquement sur les médias bourgeois, de rassembler des éléments de preuve d'une forte possibilité de machiavélisme de la bourgeoisie américaine afin de permettre ces attentats :
- Les forces qui semblent avoir perpétré l'attentat du World Trade Center n'étaient peut-être pas sous le contrôle de l'impérialisme américain, mais elles étaient certainement connues des services secrets américains, et en fait à l'origine c'étaient des agents de la CIA au cours de la guerre livrée par cliques afghanes interposées contre l'impérialisme russe en 1979-89. Pour contrer l'invasion de l'Afghanistan par l'impérialisme russe en 1979, la CIA a recruté, entraîné, armé et utilisé des milliers de fondamentalistes islamistes pour mener une guerre sainte, une djihad, contre les Russes. Le concept de djihad était en sommeil dans la théologie musulmane jusqu'à ce que l'impérialisme américain l'exhume, il y a deux décennies, afin de servir ses propres buts. Des militants islamistes ont été recrutés à travers tout le monde musulman, au Pakistan ainsi qu'en Arabie Saoudite. C'est là qu'Oussama Ben Laden a fait parler de lui pour la première fois comme agent de l'impérialisme américain. Après le retrait de l'Afghanistan par l'impérialisme russe en 1989 et l'effondrement du gouvernement de Kaboul en 1992, l'impérialisme américain s'est retiré de l'Afghanistan, se concentrant sur le Moyen Orient et les Balkans. Quand ils combattaient les Russes, ces fondamentalistes islamistes étaient acclamés comme des combattants de la Liberté par Ronald Reagan. Quand aujourd'hui ils utilisent la même brutalité contre l'impérialisme américain, le Président Bush dit que ce sont des barbares fanatiques qui doivent être exterminés. Tout comme Timothy Mac Veigh, le fanatique américain d'extrême droite responsable de l'attentat à la bombe d'Oklahoma City en 1995, qui avait été élevé dans l'idéologie de la Guerre froide et dans la haine des Russes et recruté par l'armée américaine, les jeunes gens recrutés par la CIA pour la djihad n'ont jamais connu, dans leur vie d'adulte, que la haine et la guerre. Les deux se sont sentis trahis par l'impérialisme américain une fois la guerre froide terminée et ont retourné leur violence contre leurs anciens maîtres.
Bien longtemps avant les attentats prétendument inattendus du 11 septembre, les Etats-Unis préparaient secrètement le terrain pour une guerre en Afghanistan depuis près de trois ans. A la suite des attentats terroristes contre les ambassades américaines de Dar-es-Salaam en Tanzanie et de Nairobi au Kenya en 1998, le président Clinton avait autorisé la CIA à se préparer pour des actions possibles contre Ben Laden qui échappait à tout contrôle. C'est pour cela que des contacts secrets et des négociations avaient commencé avec les républiques de l'ex-URSS, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan, pour installer des bases militaires, fournir un support logistique à des opérations et rassembler des renseignements. Tout ceci n'a pas seulement préparé une intervention militaire en Afghanistan, mais a aussi permis une pénétration américaine considérable dans la zone d'influence russe en Asie centrale. C'est pourquoi on peut dire que, bien qu'ils aient prétendu avoir été pris par surprise, les Etats-Unis étaient prêts à se jeter sans retard sur l'opportunité offerte par l'attentat contre les Twin Towers, afin de prendre un certain nombre de mesures stratégiques et tactiques qui étaient en préparation depuis longtemps.
Il est aussi plausible que les Etats-Unis aient délibérément poussé Ben Laden à lancer une attaque contre eux. Le journal The Guardian du 22 septembre nous amène à cette hypothèse : "Une enquête du journal a établi qu'Oussama Ben Laden et les Talibans avaient reçu des menaces concernant la possibilité d'une attaque militaire des Etats-Unis deux mois avant les attentats terroristes contre New York et Washington. Le Pakistan avait averti le régime en place en Afghanistan de la menace d'une guerre si les Talibans ne livarient pas Oussama Ben Laden?Les Talibans refusèrent de se soumettre, mais la gravité des avertissement qu'ils reçurent, soulève la possibilité que l'attentat d'il y a dix jours contre le World Trade Center à New York et contre le Pentagone par Ben Laden, loin de venir de nulle part, était en fait une attaque préventive, en réponse à ce que ce dernier considérait comme une menace des Etats-Unis. Cet avertissement à destination des Talibans a été lancé au cours d'une réunion de quatre jours, rassemblant des Américains, des Russes, des Iraniens et des Pakistanais dans un hôtel de Berlin, à la mi-juillet. Cette conférence, la troisième d'une série dénommée 'Brainstorming sur l'Afghanistan', appartient à un méthode diplomatique classique connue sous le nom de 'voie n°2'.". En d'autres termes, il est tout à fait possible que non seulement les Etats-Unis n'aient pas vraiment essayé d'empêcher l'attentat commis par Ben Laden, mais aussi que par cette "voie diplomatique" semi-officielle, ils l'aient délibérément provoqué, lui ainsi que les Talibans, à entreprendre une action pouvant alors justifier une réponse militaire américaine.
Les destructions dévastatrices et le nombre des morts ont constitué la pierre angulaire de cette campagne idéologique lancée immédiatement après le désastre des Twin Towers. Pendant des semaines, des membres du gouvernement américain et les médias nous ont martelé la tête avec les 6000 vies perdues au World Trade Center, soit deux fois plus qu'à Pearl Harbor. Le chef d'état-major a répété ces chiffres dans une interview à une chaîne nationale de télévision au début du mois de novembre (voir par exemple l'interview du général Richard Myers, président des Chefs d'Etat-Major, sur la chaîne NBC le 4 novembre 2001). Cependant, il y a des indications que ces statistiques, soutenant la propagande de tout leur poids émotionnel, sont grandement exagérées. Des comptages établis par des agences de presse indépendantes ont évalué le total à moins de 3000 morts, soit l'équivalent des pertes subies à Pearl Harbor. Par exemple, le New York Times fixe le total à 2943, l'agence Associated Press à 2626 et le journal USA Today à 2680. La Croix Rouge américaine qui distribue des aides financières aux familles des victimes, n'a traité que 2563 demandes. Le gouvernement a refusé une demande de la Croix Rouge de lui fournir une copie de la liste officielle, encore tenue secrète, des victimes du World Trade Center (" Numbers vary in tallies of the victims ", New York Times, 25 octobre 2001). Pendant ce temps, les politiciens et les médias utilisent toujours à des fins de propagande, le chiffre largement surestimé de 5000-6000 morts ou disparus, chiffre maintenant ancré dans les consciences populaires.
Le gouvernement américain n'a jamais révélé publiquement les preuves de la responsabilité de Ben Laden dans les attentats. Récemment, alors que les opérations militaires se poursuivaient, Bush a annoncé que s'il était capturé vivant, Ben Laden serait jugé à huis clos par un tribunal militaire, pour ne pas rendre publiques les origines des preuves contre lui. Rumsfeld, Secrétaire à la Défense, a clairement indiqué qu'il préférait que Ben Laden fût tué plutôt que capturé vivant, dans le but d'éviter un procès. Il est donc tout à fait naturel de se demander pourquoi les États-Unis tiennent tellement à ce que ces soi-disant preuves évidentes soient gardées secrètes.
Tout ceci ne constitue pas la preuve en positif que l'Administration américaine, ou peut-être la CIA, était à l'avance au courant des attentats contre les Twin Towers et a fait en sorte qu'ils aient lieu, mais il n'est pas nécessaire d'être quelqu'un qui "voit des conspirations partout" pour avoir de tels soupçons. Nous laissons aux historiens le soin d'enquêter plus en détail au cours des années à venir, mais nous ne serions ni surpris ni choqués d'apprendre que la bourgeoisie américaine a accepté d'être la victime des attentats du World Trade Center pour satisfaire, à sa convenance, ses intérêts politiques.
Contrairement à l'insistance des médias, la situation actuelle ne peut pas être comparée à Pearl Harbor sur le plan historique. Pearl Harbor a eu lieu après presque vingt ans de défaites politiques qui ont vaincu le prolétariat mondial politiquement, idéologiquement et même physiquement, et ouvert le cours historique vers la guerre impérialiste. Ces défaites ont pesé d'un poids historique capital sur le prolétariat : l'échec de la Révolution russe et de la vague révolutionnaire ; la dégénérescence du régime révolutionnaire en Russie et le triomphe du capitalisme d'Etat sous Staline ; la dégénérescence de l'Internationale Communiste devenant le bras armé de la politique étrangère de l'Etat russe, incluant un recul considérable par rapport aux positions révolutionnaires de classe promulguées au sommet de la vague révolutionnaire ; l'intégration des partis communistes dans leurs appareils d'Etat respectifs ; la défaite politique et physique de la classe ouvrière par le fascisme en Italie, en Allemagne et en Espagne ; et le triomphe de l'idéologie anti-fasciste dans les pays soi-disant démocratiques.
L'impact cumulé de ces défaites a profondément limité les possibilités historiques du mouvement ouvrier. La révolution, qui était à l'ordre du jour dans la période qui a suivi 1917, se trouva alors mise en suspens. L'équilibre des forces s'était définitivement déplacé en faveur de la classe capitaliste qui avait maintenant la haute main pour pouvoir imposer sa " solution " à la crise historique du capitalisme global : la guerre mondiale. Cependant, le fait que le rapport de force s'était déplacé en sa faveur, ne signifiait pas nécessairement que la bourgeoisie avait les mains libres pour imposer sa volonté politique. Mais même si le cours historique était vers la guerre, cela ne signifiait pas que la bourgeoisie américaine pouvait déclencher une guerre impérialiste à n'importe quel moment. La bourgeoisie devait encore faire face à une résistance à la guerre de la part du prolétariat américain en 1939-1941, reflétant en partie la position hésitante du parti stalinien qui bénéficiait d'une influence considérable, notamment dans les syndicats affiliés à la CIO, hésitation due à la ligne politique indécise de Moscou durant la période du pacte de non-agression avec l'Allemagne nazie. La fraction dominante de la bourgeoisie américaine devait aussi compter avec les éléments récalcitrants au sein même de sa propre classe, certains ayant des sympathies pour les puissances de l'Axe, d'autres prônant une politique isolationniste. Comme nous l'avons vu, une attaque "surprise" par le Japon a fourni le prétexte pour rallier les éléments hésitants derrière l'Etat et les efforts de guerre. Dans ce sens, on peut dire que Pearl Harbor a constitué le dernier clou dans le cercueil politique et idéologique.
Aujourd'hui la situation est très différente. Il est vrai que le désastre des Twin Towers arrive après plus d'une décennie de désorientation et de confusion politiques semées par l'effondrement des régimes staliniens en Europe et les campagnes idéologiques de la bourgeoisie sur la mort du communisme. Mais ces confusions n'ont pas le même poids politique que les défaites des années 1920 et 1930 sur la conscience politique du prolétariat au niveau historique. Elles n'ont pas non plus signifié un changement dans le cours historique vers des confrontations de classe. Malgré ces désorientations, la classe ouvrière a lutté pour reconquérir son terrain, les signes ne manquent pas d'une maturation souterraine de sa conscience ainsi que de l'émergence d'éléments en recherche venant grossir le milieu prolétarien autour des groupes révolutionnaires existants. Nous n'essayons pas ici de minimiser la désorientation politique qui règne au sein de la classe ouvrière depuis 1989, situation aggravée par la décomposition, où le glissement vers la barbarie ne requiert pas nécessairement de guerre mondiale pour s'accomplir. Même si la bourgeoisie américaine remporte un succès considérable avec son offensive idéologique, même si, pour le moment, les ouvriers sont piégés dans une psychose guerrière d'un degré alarmant, l'équilibre global des forces n'est pas déterminé par la situation dans un seul pays, même de l'importance des Etats-Unis. Au niveau international, le prolétariat n'a pas encore été défait et la perspective est toujours vers une confrontation de classe. Même aux Etats-Unis, la grève de deux semaines des 23.000 travailleurs du secteur public du Minnesota, en octobre, s'est fait l'écho de cette capacité de la classe ouvrière internationale à continuer son combat. Bien qu'ils aient été attaqués comme étant antipatriotiques ou parce qu'ils faisaient grève dans un moment de crise nationale, ces ouvriers n'en sont pas moins restés sur leur terrain de classe et ont lutté pour des améliorations de salaires et de primes. Alors que Pearl Harbor a marqué le point final dans l'accomplissement d'un processus conduisant à la guerre impérialiste en 1941, l'attentat du Wold Trade Center représente un pas en arrière pour le prolétariat, particulièrement pour le prolétariat américain, mais dans le contexte d'une situation historique générale qui est toujours en sa faveur.
JG.
Au milieu du fracas de la barbarie impérialiste en Afghanistan, de petits groupes d'internationalistes ont pris une position de classe : ils ont rejeté tous les impérialismes en présence, refusant tout soutien à un camp ou à un autre au nom de la paix. Ils ont dénoncé toute illusion sur la possibilité d'un capitalisme pacifique ; ils ont appelé au développement de la lutte de classe qui seule peut mener au renversement du système capitaliste à l'échelle mondiale - système qui par lui-même constitue la cause fondamentale de la guerre impérialiste. Ces groupes se réclament de l'héritage des Gauches italienne et allemande. Celles-ci sont le seul courant ayant survécu au déclin de la Troisième internationale qui ait passé avec succès le test de la Seconde Guerre mondiale en maintenant contre vents et marées la positions internationaliste du prolétariat. Ces groupes font partie de ce que le CCI appelle le milieu politique prolétarien.
Pour contribuer au renforcement de ce milieu et comme nous le faisons à chaque fois que ce type d'événements met à l'épreuve l'essence même des organisations révolutionnaires, nous examinons les forces et les faiblesses de la réponse que ces dernières apportent à la guerre actuelle.
Nous ne traiterons pas ici de la démarche commune des différents groupes : nous avons déjà mis en évidence, dans la presse territoriale du CCI, en quoi celle-ci constituait une réponse du camp prolétarien 2. Nous ne prétendons pas non plus être exhaustifs sur ce sujet dans l'espace limité dont nous disposons ici. En revanche, nous soulèverons certains éléments qui nous paraissent significatifs dans l'explication que donne l'un de ces groupes - le Bureau international pour le Parti révolutionnaire (BIPR) - de la barbarie impérialiste.
La recherche des causes matérielles de la guerre
Il ne suffit pas, pour des organisations révolutionnaires, de savoir que l'Etat américain et les autres grandes puissances impérialistes ne sont pas aussi hostiles au terrorisme qu'ils l'ont proclamé au cours de ces quatre derniers mois et qu'ils ne sont nullement intéressés par la civilisation et l'humanité quand ils déclenchent une guerre qui provoque la mort et la misère sur à grande échelle. Elles doivent aussi expliquer les véritables raisons de cette barbarie, quels intérêts les puissances impérialistes y trouvent, en particulier les États-Unis, et si ce cauchemar peut avoir une fin pour l'humanité.
Le BIPR propose l'explication suivante à la guerre en Afghanistan : les États-Unis veulent maintenir le Dollar comme monnaie mondiale et garder de la sorte leur contrôle sur l'industrie pétrolière : « ? les États-Unis ont besoin que le Dollar reste la monnaie du commerce international s'ils veulent maintenir leur position de superpuissance mondiale. Ainsi, par dessus tout, les États-Unis cherchent désespérément à assurer que la poursuite du commerce global du pétrole se fasse avant tout en dollars. Cela veut dire avoir une influence déterminante dans l'itinéraire des pipes-lines de pétrole et de gaz avant même l'implication commerciale américaine dans l'extraction à leur source. Il en est ainsi quand de simples décisions commerciales sont déterminées par l'intérêt dominant du capitalisme américain dans son ensemble, et que l'Etat américain s'implique politiquement et militairement dans l'intérêt d'objectifs plus vastes, objectifs qui souvent s'opposent aux intérêts d'autres Etats et de plus en plus à ceux de ses 'alliés' européens. En d'autres termes, tel est le coeur de la concurrence capitaliste au 21e siècle. (?)
Depuis un certain temps maintenant, des compagnies pétrolières européennes, parmi lesquelles l'ENI italienne, se sont engagées dans de nombreux projets pour recevoir directement le pétrole de la Caspienne et du Caucase dans les raffineries d'Europe, et il est évident qu'à partir du 1er janvier [quand l'Euro sera instauré] le projet d'un marché concurrent du pétrole pourrait commencer à prendre forme, mais les États-Unis, confrontés peut-être à la crise la plus profonde qu'ils ont connue depuis la Seconde Guerre mondiale, ne sont pas prêts à laisser tomberleur puissance économique et financière. » (« Imperialist, Oil and US National Interests », Revolutionary Perspectives n°23 - revue trimestrielle de la Communist Workers Organisation qui est le groupe du BIPR en Grande-Bretagne)
La guerre aurait donc lieu pour supprimer l'obstacle potentielconstitué par le régime des Talibans et ses supporters d'Al Qaida à la construction d'un oléoduc traversant l'Afghanistan pour transporter une partie de la production des champs de pétrole du Kazakhstan, et serait un moment d'une stratégie plus vaste des États-Unis pour contrôler la distribution de pétrole. Les États-Unis veulent l'acheminement sécurisé et diversifié des réserves mondiales de pétrole. Selon le BIPR, derrière cet impératif se trouve le destin du Dollar, et derrière le destin du Dollar le statut de superpuissance des États-Unis. D'un autre côté, les Européens sont également intéressés à améliorer le statut de leur monnaie naissante, l'Euro, sur le marché pétrolier et donc, pour cette raison, leurs propres intérêts impérialistes s'opposent de plus en plus à ceux des États-Unis.
L'objectif sous-jacent des États-Unis dans la guerre en Afghanistan, selon le BIPR, est de préserver leur position de «superpuissance» mondiale, c'est-à-dire leur supériorité écrasante dans les domaines militaire, économique et politique sur tous les autres pays de la planète. Leurs adversaires veulent limiter et en fin de compte usurper cette position. En d'autres termes, contrairement aux fables que nous racontent les médias bourgeois sur la lutte entre le bien et le mal, entre la démocratie et la terreur, le BIPR, en tant que groupe révolutionnaire, révèle les intérêts impérialistes des protagonistes. Derrière le conflit impérialiste résident les intérêts antagonistes des puissances capitalistes rivales, accentués par la crise économique.
De plus, le BIPR s'éloigne de l'explication de la guerre actuelle (et de l'accentuation croissante des conflits impérialistes) comme étant le résultat d'un désir de gain économique immédiat. Il y a dix ans, à propos de la guerre du Golfe imminente, le BIPR disait : « ? la crise du Golfe s'est produite vraiment à propos du pétrole et de qui le contrôle. Sans pétrole bon marché, les profits chuteront. Les profits du capitalisme occidental sont menacés et c'est pour cette raison et aucune autre que les États-Unis préparent un bain de sang au Moyen Orient. » (Tract de la CWO cité dans la Revue internationale n° 64)
La victoire américaine dans la guerre du Golfe n'a apporté aucune amélioration qualitative des profits pétroliers, ni provoqué de changement significatif du prix du pétrole. Le BIPR semble s'être rendu compte de cela et du fait que l'ex-Yougoslavie ne fournit pas de marché rentable aux puissances impérialistes qui s'y sont affrontées, contrairement à ce qu'il avait pensé au départ ; maintenant, il semble donner une explication plus large de la situation 3. On ne peut que saluer une telle démarche car la crédibilité de la Gauche marxiste dépend de sa capacité à comprendre l'impérialisme sur la base d'une analyse globale et historique dans laquelle les facteurs économiques immédiats ne sont pas la cause de la guerre.
Mais tout en faisant ce pas en avant, le BIPR considère néanmoins que les objectifs impérialistes dépendent du destin des monnaies, c'est-à-dire d'un facteur économique spécifique. Et il accorde à la question du pétrole et des oléoducs un poids décisif dans le rôle du Dollar et de son nouveau rival, l'Euro. Pour le BIPR, dans le pétrole réside tout à fait « le coeur de la concurrence impérialiste au 21e siècle ».
Mais la préservation du statut des États-Unis comme première puissance mondiale dépend-elle vraiment d'une façon aussi directe et aussi décisive du rôle du Dollar comme le dit le BIPR ? Et la position du Dollar comme monnaie mondiale dépend-elle si directement du contrôle américain sur le pétrole ? Examinons ces questions plus en détail, en commençant par la deuxième.
Le pétrole et le Dollar
Alors que leur importante influence sur le contrôle commercial de la production du pétrole - la plupart des principales compagnies mondiales de pétrole par exemple sont américaines - aide certainement les États-Unis à maintenir leur pouvoir politique et constitue donc un facteur de domination du Dollar, ce n'est néanmoins pas là que réside l'explication fondamentale des moyens grâce auxquels le Dollar a gagné et conserve son rôle de monnaie mondiale.
Le Dollar est devenu dominant avant que le pétrole ne soit la principale source d'énergie de la planète. En fait, aucune monnaie ne fonde particulièrement sa puissance sur le contrôle des matières premières.
Le Japon par exemple ne contrôle pratiquement aucune matière première, mais le Yen, malgré la récente stagnation de l'économie japonaise, reste une monnaie forte. A l'inverse, l'ex-URSS disposait d'énormes quantités de pétrole durant sa domination, mais cela n'a pas empêché ce pays de s'effondrer économiquement, sans parler de l'incapacité du Rouble à devenir une monnaie mondiale.4 Ce n'est pas le contrôle des fournitures de charbon ou de coton qui a fait de la Livre sterling la principale monnaie au 19e siècle. C'est plutôt la prépondérance de l'économie d'un pays en termes de production et de commerce mondiaux et son poids militaire et politique correspondant qui expliquent pourquoi des monnaies particulières deviennent des monnaies de référence pour le capitalisme mondial. La Livre sterling a réalisé son ascension parce que la Grande-Bretagne était le premier pays capitaliste moderne. La plus grande productivité de ses industries a permis à ses produits de supplanter ceux du reste du monde en termes de prix et de quantité parce qu'ailleurs la production capitaliste ne faisait que commencer à s'imposer. Le monde entier vendait ses matières premières à la Grande-Bretagne. Et la Grande-Bretagne - comme le dit la fameuse expression - était «l'atelier du monde». La force militaire britannique, navale en particulier, et l'accumulation de ses possessions coloniales ont renforcé la suprématie de la Livre et la position de Londres comme centre financier du monde.
Le développement du capitalisme dans d'autres pays a commencé à saper la suprématie du capitalisme britannique et ses concurrents ont commencé à le dépasser en termes de productivité. Les nouvelles conditions du capitalisme révélées par la Première Guerre mondiale ont sonné le glas du Sterling. La Seconde Guerre mondiale a scellé son destin. Dans un monde où les nations capitalistes rivales se sont déjà partagé le marché mondial et tentent de développer leur expansion par le repartage de celui-ci en leur faveur, la question de la concurrence militaire -l'impérialisme - tend à favoriser les pays ayant une échelle continentale comme les États-Unis plutôt que les pays européens dont la taille relativement petite était plus appropriée à la phase précoce de développement du capitalisme. L'épuisement de toutes les puissances européennes après la Première Guerre mondiale, y compris des vainqueurs tels que la Grande-Bretagne, a énormément favorisé l'accroissement du poids relatif de la production américaine et de sa part du commerce mondial, et a donc augmenté la demande internationale de dollars. Et après la dévastation de l'Europe dans la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, stimulés par la croissance phénoménale de la production d'armement, ont atteint une suprématie économique écrasante sur l'arène mondiale. En 1950 par exemple, ils produisaient la moitié de toute la production mondiale ! Le plan Marshall de 1947 approvisionnait les économies européennes en dollars dont elles avaient désespérément besoin pour la reconstruction en achetant des biens américains. La suprématie du Dollar était institutionnalisée à l'échelle mondiale par les accords de Bretton Woods (1944) et la création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sous l'égide des États-Unis.
A la fin de la période de reconstruction au milieu des années 1960, les économies japonaise et européenne avaient amélioré leur position économique par rapport aux États-Unis. Mais même l'affaiblissement relatif de l'économie américaine, bien qu'il ait donné lieu à une dévaluation effective du Dollar, ne s'est pas traduit dans la chute immédiate de sa position de suprématie. Loin de là. Les États-Unis avaient beaucoup de moyens d'utiliser les nouvelles conditions à leur avantage. La désindexation du Dollar par rapport à l'étalon or réalisée en 1971 par Washington allait permettre aux États-Unis de maintenir la puissance du Dollar et la position compétitive de la production américaine par des manipulations des taux de change qui ont aussi rendu possible l'abaissement de leur dette extérieure grandissante (une méthode que la Grande-Bretagne a utilisée dans les années 30 pour préserver le rôle de la Livre sterling après que son économie eut été éclipsée par celle des États-Unis). Au début des années 1980, l'augmentation des taux d'intérêt et la dérégulation des mouvements de capitaux avec la floraison qui s'en est suivie de la spéculation financière, ont permis de rejeter les effets de la crise sur les autres pays. Derrière ces mesures, la suprématie militaire des États-Unis qui sont devenus inattaquables après l'effondrement de l'Union soviétique, a assuré au roi Dollar la pérennité de son trône.
Le rôle du pétrole dans la position de suprématie du Dollar est donc relativement peu significatif. Même s'il est vrai que lors de «la première crise du pétrole» de 1971-72, les États-Unis grâce à leur influence sur les prix du pétrole de l'OPEP, ont réussi à faire passer dans leur poche d'énormes fonds provenant des poches des puissances européennes et japonaise, via l'Arabie saoudite, de telles manipulations ne constituent pas vraiment les principaux instruments de la suprématie du Dollar. Ce qui compte dans l'hégémonie du Dollar, c'est la domination économique, politique et militaire de l'Amérique sur le marché mondial sur lequel le pétrole et d'autres matières premières sont achetées et vendues, et ce sont principalement des facteurs de nature plus générale et historique qui déterminent cette domination, et non le contrôle du pétrole.
Cependant, le BIPR croit que l'accélération des aventures militaires des États-Unis en Asie centrale fait partie d'une mesure préventive à long terme pour occuper les centres de production et les routes du pétrole dans le but d'empêcher les puissances européennes de les contrôler afin de faire de l'Euro la monnaie dominante dans la production et le commerce mondiaux du pétrole. L'objectif supposé est d'empêcher l'Euro, la monnaie naissante de l'Union européenne, de voler sa couronne au Dollar et donc d'empêcher cette dernière de dépasser les États-Unis comme bloc impérialiste rival.
Mais si notre explication est correcte, les puissances européennes auraient bien plus à faire qu'accroître leur influence dans l'industrie pétrolière pour pouvoir remplacer le Dollar par l'Euro. Même si l'Union européenne était une véritable entité économique et politique unifiée, cela ne retirerait rien au fait que son PIB par habitant atteint environ les 2/3 de celui des États-Unis. Mais l'Union européenne, bien qu'elle dispose maintenant d'une monnaie commune, est toujours divisée en entités capitalistes nationales distinctes et concurrentes, ce qui sape sa puissance économique par rapport à celle des États-Unis. La Banque centrale européenne n'a pas la même unité de but en termes de politique monétaire et fiscale que la Réserve fédérale américaine, et c'est pourquoi, au moins jusqu'à présent, elle a tendu à suivre les politiques de cette dernière. L'économie allemande, pôle politique le plus puissant de la zone Euro, ne se trouve encore qu'au troisième rang derrière les États-Unis et le Japon et pour d'autres raisons que sa faiblesse dans le contrôle du pétrole et des oléoducs.
Au niveau politique et militaire, les divisions sont encore plus grandes puisque l'Union européenne recouvre des intérêts impérialistes contradictoires, non seulement en son sein mais également concernant l'attitude à avoir envers les États-Unis. La principale puissance économique européenne, l'Allemagne, est toujours un nain du point de vue militaire en comparaison de la Grande-Bretagne et de la France, ses principaux rivaux (et cela vaut la peine de souligner qu'une des principales puissances militaires et une des économies les plus importantes de l'Europe - la Grande-Bretagne - ne fait même pas partie de la zone Euro). L'Allemagne développe actuellement sa puissance militaire, ses troupes sont intervenues en dehors de ses frontières (au Kosovo) pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, sa capacité à projeter sa puissance militaire ne va pas plus loin que chez ses proches voisins d'Europe de l'Est. Et les experts financiers de la bourgeoisie admettent que cette faiblesse militaire et les intérêts contradictoires au sein de l'Union constituent une menace sérieuse pour l'Euro : « Glyn Davis, auteur de « A history of money from ancient times to the present day » [« Une histoire de la monnaie de l'antiquité à nos jours »] dit que la menace à long terme la plus grande pour l'union monétaire en Europe est constituée par les guerres ou par 'les disputes concernant l'attitude envers les pays qui sont en guerre'. 'C'est un aspect politique qui comptera' dit-il. 'Si on a une forte union politique, alors elle peut résister à beaucoup d'attaques. Mais s'il y a des divergences politiques, cela peut affaiblir considérablement l'union monétaire.' » (International Herald Tribune, 29/12/01)
Pour cette raison et d'autres, l'Euro aura beaucoup de difficultés à gagner la confiance de l'économie mondiale à l'encontre du Dollar.
De tous ces points de vue, on ne peut considérer la domination du Dollar sur l'économie mondiale comme une raison valable pour la vaste campagne militaire menée en Afghanistan. Comme nous l'avons dit à notre dernier Congrès international, «Les États-Unis veulent contrôler cette région à cause de son pétrole, non pas dans un but de gain économique mais pour que l'Europe ne puisse s'approvisionner en cette énergie nécessaire en cas de guerre. Nous pouvons nous rappeler que pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1942, l'Allemagne avait mené une offensive sur Bakou pour tenter de s'approprier cette énergie si nécessaire pour mener la guerre. Il en va différemment aujourd'hui pour l'Azerbaïdjan et la Turquie par exemple pour lesquels la question du pétrole représente un gain immédiat appréciable. Mais l'enjeu central de la situation n'est pas là.» («Rapport sur les tensions impérialistes», Revue internationale n°107) 5
L'hégémonie impérialiste américaine dépend-elle du Dollar ?
La seconde question que pose le BIPR est : le statut de superpuissance des États-Unis dépend-il du rôle prééminent du Dollar ? Nous dirions non du point de vue dont le BIPR le suggère, c'est-à-dire comme élément décisif. Comme nous l'avons développé, la supériorité militaire est autant la cause que l'effet du statut du Dollar. Évidemment la prééminence économique et monétaire des États-Unis sur l'économie mondiale est un facteur crucial de sa suprématie militaire. Mais la puissance militaire et stratégique ne découle pas de façon automatique, mécanique et immédiate ni non plus proportionnelle de la puissance économique. Il existe de nombreux exemples pour le prouver. Le Japon et l'Allemagne sont les plus grandes puissances économiques après les États-Unis, mais militairement ce sont toujours des nains par rapport à la Grande-Bretagne et à la France qui, tout en étant économiquement plus faibles, disposent de l'arme nucléaire. L'URSS était extrêmement faible économiquement mais a contesté la superpuissance américaine au niveau militaire pendant 45 ans. Et malgré l'affaiblissement relatif de l'économie américaine depuis 1969, sa force militaire et stratégique par rapport à ses rivaux les plus proches s'est énormément accrue.
Les États-Unis, comme tous les pays, ne peuvent compter sur la performance de leur monnaie pour garantir automatiquement leur position impérialiste. Au contraire, les États-Unis doivent continuer à dédier des ressources énormes et coûteuses à leurs intérêts militaires et stratégiques pour tenter de déjouer les man?uvres de leurs principaux rivaux impérialistes et réduire les prétentions de ces derniers à contester leur leadership. La campagne anti-terroriste depuis le 11 septembre a enregistré de remarquables succès dans cette lutte impérialiste. Elle a forcé les autres principales puissances à soutenir les objectifs stratégiques et militaires des États-Unis, sans permettre à aucune d'entre elles d'en tirer plus que quelques miettes de prestige du fait de leur soutien au succès militaire rapide des forces américaines en Afghanistan contre le régime taliban. En même temps, les États-Unis ont développé leur poids stratégique en Asie centrale. Le déploiement de leur supériorité militaire a été si dévastateur que leur retrait du «Traité antimissile balistique» (SALT) avec la Russie, n'a reçu que des critiques très légères de la part de leurs adversaires précédemment les plus bruyants dans les capitales européennes. Les États-Unis peuvent maintenant entreprendre plus facilement d'étendre leurs croisades anti-terroristes à d'autres pays.
Cependant, il est difficile de mesurer si l'offensive américaine des trois derniers mois a rendu plus sécurisées qu'avant les réserves de pétrole ou accru de façon significative la supériorité écrasante du Dollar par rapport à l'Euro. La véritable victoire américaine se situe au niveau stratégique/militaire, comme cela a été le cas après la guerre du Golfe. Les bénéfices économiques seront aussi insaisissables qu'à l'occasion de ce précédent conflit.
Le contrôle du pétrole pour un avantage économique ne constitue pas la raison décisive qui a fait dépenser aux États-Unis des milliards de dollars par mois dans la guerre en Afghanistan et risquer la stabilité du Pakistan, pays par lequel il est proposé que passe l'oléoduc après avoir quitté l'Afghanistan.
La CWO a déjà montré dans un article de 1997 « Behind the Taleban stands US imperialism » (« Derrière le régime Taliban se trouve l'impérialisme américain ») que rien d'intrinsèque au régime Taliban ne menaçait les intérêts pétroliers américains. Au contraire, les États-Unis ont considéré ce régime comme facteur de stabilité en comparaison de ses prédécesseurs. Même après avoir abrité Osama Ben Laden, ce régime n'a pas présenté d'obstacles insurmontables à s'accommoder des USA et de leurs intérêts 6.
Le rôle du pétrole dans la guerre impérialiste aujourd'hui
La période où les puissances capitalistes faisaient la guerre pour un gain économique direct ou immédiat, était une phase embryonnaire de l'évolution de l'impérialisme qui a duré à peine plus longtemps que le 19e siècle. Une fois que les puissances capitalistes majeures se sont partagé le monde entre elles en colonies ou sphères d'influence, la possibilité de bénéfice économique direct venant de la guerre est devenue de plus en plus incertaine. Quand la guerre s'est posée en termes de conflit militaire avec d'autres puissances impérialistes, des questions stratégiques plus vastes ont vu le jour, nécessitant une préparation industrielle et des dépenses à une échelle massive. La guerre est devenue moins une question de gain économique qu'une question de survie de chaque Etat aux dépens de ses rivaux. La ruine de la plupart des puissances capitalistes en présence dans les deux guerres mondiales du 20e siècle témoigne que l'impérialisme, au lieu d'être le «stade suprême» du capitalisme comme le pensait Lénine, est une expression de sa phase de décadence, quand le capitalisme est forcé, par ses propres limites, de «vaporiser» des hommes et des machines sur le champ de bataille plutôt que de les valoriser dans le processus de production7.
Au lieu que la guerre serve les besoins de l'économie, l'économie s'est mise au service de la guerre, et les matières premières n'ont pas échappé à cette règle générale. Si les puissances impérialistes veulent contrôler les matières premières, en particulier les plus cruciales telles que le pétrole, ce n'est pas parce que la bourgeoisie croit, comme le BIPR, que cela assurera la santé de ses profits ou de sa monnaie mais à cause de leur importance militaire.
« Le plus grand programme de construction militaire en temps de paix dans l'histoire de l'Amérique a été approuvé par le House Armed Services Committee. Un rapport au House Foreign Affairs Committee a traité l'importance stratégique de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient comme étant d'une importance quasiment égale à celle de la région du Traité de l'Atlantique-Nord elle-même. Des bases dans les Etats arabes et Israël sont nécessaires pour protéger les routes maritimes et aériennes. La protection de cette région est vitale, dit le rapport, parce que dans cette région se trouvent d'énormes ressources pétrolières dont a besoin aujourd'hui le monde libre pour développer largement son effort de réarmement ». (International Herald Tribune, 1951).
L'impérialisme américain était tout à fait franc : le contrôle du pétrole est important, d'abord et avant tout, pour des raisons militaires, de sorte à garantir qu'il aille à ses propres armées en temps de guerre et à couper l'approvisionnement des armées hostiles des pays rivaux.
Les véritables enjeux révélés par la guerre en Afghanistan
Bien que le BIPR reconnaisse que le capitalisme est dans sa période historique de déclin, il ne tient pas compte de ce cadre théorique dans sa compréhension de la guerre impérialiste aujourd'hui. Le besoin fondamental du capitalisme est toujours l'accumulation de capital mais les rapports de production qui, par le passé, ont assuré son fantastique développement, l'empêchent maintenant de trouver des champs suffisants pour son expansion. De plus en plus, la production s'oriente vers la destruction plutôt que vers la reproduction de richesses. Comprendre que la guerre, tout en devenant de plus en plus nécessaire à la bourgeoisie, a cessé d'être source de profit pour le système capitaliste dans son ensemble, ce n'est donc pas nier le matérialisme marxiste mais cela exprime la capacité de ce dernier à saisir les différentes phases que traverse un système économique, en particulier sa phase ascendante et sa phase de décadence. Dans cette dernière, l'impératif économique continue à pousser la bourgeoisie vers la guerre, d'autant plus dans les périodes de crise ouverte, non pour des gains immédiats ou financiers particuliers, mais au sein d'une lutte globale et en fin de compte suicidaire pour la suprématie militaire sur les nations rivales.
C'est uniquement en tirant les implications de la décadence capitaliste pour le conflit impérialiste actuel que nous pouvons montrer à la classe ouvrière les énormes dangers représentés par la guerre en Afghanistan et par celles qui inévitablement suivront. Le BIPR de son côté tend à donner au prolétariat une image fausse et rassurante d'un système qui serait, comme dans sa phase de jeunesse, toujours capable de subordonner ses objectifs militaires aux besoins de son expansion économique. De plus, avec son incompréhension de l'impérialisme européen qui serait uni autour de l'Euro, le BIPR donne l'impression d'une évolution relativement stable du capitalisme mondial vers deux nouveaux blocs impérialistes. Au contraire, les intérêts antagoniques et contradictoires des puissances européennes entre elles ainsi que vis-à-vis des États-Unis témoignent d'une période tout à fait différente du déclin du capitalisme. Ils indiquent sa phase terminale de décomposition dans laquelle, même si l'Allemagne tente de s'affirmer comme pôle alternatif à celui des Etats-Unis, le chaos impérialiste tient le haut du pavé, et où les conflits militaires ne peuvent que se multiplier de façon catastrophique. Il est tout à fait vrai que la guerre en Afghanistan a pour raison le maintien et le renforcement de la position des États-Unis comme seule superpuissance mondiale. Mais ce statut n'est pas déterminé par des facteurs économiques spécifiques, comme le contrôle du pétrole ainsi que le dit le BIPR. Il est dépendant de questions géostratégiques, de la capacité des États-Unis à concrétiser leur suprématie militaire dans des régions-clé du monde et à empêcher leurs rivaux de contester sérieusement leurs positions. Les régions du monde telles que l'Afghanistan qui ont prouvé leur valeur stratégique aux puissances impérialistes bien avant que le pétrole ne soit connu comme 'l'or noir'. Ce n'est pas pour le pétrole que l'Empire britannique du 19e siècle a envoyé par deux fois ses armées en Afghanistan et a fini par réussir à y mettre en place un dirigeant fantoche. L'importance de l'Afghanistan ne réside pas dans le fait qu'il serait le lieu de passage potentiel d'un oléoduc, mais parce qu'il est le centre géographique des principales puissances impérialistes du Moyen et de l'Extrême-Orient et de l'Asie du Sud, et dont le contrôle accroîtra grandement la puissance américaine non seulement dans cette région mais par rapport aux principaux impérialismes occidentaux.
Les États-Unis ont acquis leur position impérialiste dominante essentiellement en sortant victorieux des deux guerres mondiales. De même, ce n'est que par des moyens fondamentalement militaires qu'ils peuvent maintenir cette position .
Como
Notes
1 Cf. Les livres du CCI La Gauche communiste d'Iitalie et La Gauche hollandaise.
2 Lire par exemple l'article : "Revolutionaries denounce imperialist war" dans World revolution n°249, novembre 2001.
3 Dans la Revue communiste internationale n°10, le BIPR reconnaît même l'importance des questions militaires stratégiques par rapport aux aspects économiques : "Il reste alors au leadership politique et à l'armée à établir l'orientation politique de chaque Etat selon un impératif unique : l'estimation de la façon de réaliser une victoire militaire car celle-ci passe désormais devant la victoire économique". ("End of the cold war : new step towards a new imperialist line-up")
4 En fait, le rôle du Rouble comme monnaie dominante dans les pays de l'ex-COMECON du bloc de l'Est était totalement dépendant de l'occupation militaire de leur territoire par l'URSS.
5 Nous devons aussi souligner que le BIPR se trompe tout simplement au niveau des faits quand il dit que : «La région qui entoure la Mer caspienne est le plus grand site du monde connu pour ses réserves inexploitées de pétrole.» Les réserves connues de pétrole de toute l'URSS se montent à 63 milliards de barils, celles des cinq principaux producteurs du Moyen-Orient à plus que dix fois ce chiffre; tandis que l'Arabie Saoudite seule possède plus de 25 % des réserves mondiales connues. De plus, le pétrole saoudien est bien plus rentable (rien qu'en termes économiques dont le BIPR est friand) ne coûtant qu'un dollar par baril extrait et sans aucun des coûts gigantesques comme celui nécessité par la construction d'oléoducs à travers les montagnes d'Afghanistan et du Caucase (pour des statistiques détaillées, voir le site du gouvernement américain www.eia.doe.gov/emeu/iea/res.html [8]).
6 Un livre récent Ben Laden, la vérité interdite par Jean Michel Brisard et Guillaume Dasquié (Editions Denoël, 2001) traite de la diplomatie non officielle entre le gouvernement américain et le régime taliban jusqu'au 11 septembre, et tend à parvenir à une conclusion opposée à celle du BIPR sur les rapports entre les intérêts pétroliers des États-Unis et les hostilités militaires avec l'Afghanistan. Jusqu'au 17 juillet 2001, les États-Unis essayaient de résoudre diplomatiquement leurs problèmes en suspens avec le régime taliban comme l'extradition d'Ousama Ben Laden pour l'attaque contre l'USS Cole et les ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam. Et les Talibans n'étaient aucunement hostiles à des négociations sur ces questions. En fait après l'intronisation de Bush comme président des États-Unis, les Talibans avaient proposé une réconciliation pouvant mener à une reconnaissance diplomatique ultérieure. Mais après juillet 2001, les États-Unis ont effectivement rompu les relations et brusquement envoyé un message provocateur au régime taliban : menace d'action militaire pour s'emparer de Ben Laden, annonce de discussion en cours avec l'ex-roi Zaher Shah en vue de le remettre au pouvoir à Kaboul ! Cela laisse à penser que les États-Unis avaient déjà défini leurs objectifs guerriers avant le 11 septembre et que l'attaque terroriste n'en a constitué que le prétexte. Cela suggère aussi que ce ne sont pas les Talibans qui ont empêché le processus diplomatique qui pouvait mener à une stabilisation de l'Afghanistan pour les intérêts pétroliers américains, mais le gouvernement américain qui avait autre chose en vue. Au contraire de la formule du BIPR : une guerre en Afghanistan pour stabiliser le pays pour un pipeline pétrolier, les faits montrent une guerre qui a déstabilisé toute une région pour le but supérieur d'une supériorité militaire et géostratégique américaine.
7 Le capital s'accumule ou "se valorise" par l'extraction de la plus-value du surtravail de la classe ouvrière.
Au cours des périodes comme celle que nous vivons aujourd'hui, où la perspective de triompher de la société capitaliste et de sa barbarie semble, pour la grande majorité des ouvriers, hors d'atteinte, les révolutionnaires doivent, plus que jamais, insister sur le fait que leur travail s'inscrit dans le long terme, et ne pas se laisser enliser à considérer seulement la situation immédiate. L'activité des révolutionnaires est toujours orientée vers l'avenir et ne se réduit pas à un combat pour la défense des intérêts immédiats du prolétariat. Comme l'a montré l'histoire, une révolution ne peut réussir que si une organisation révolutionnaire, si le parti, est à la hauteur des tâches à accomplir.
Cependant, un parti qui soit capable d'accomplir ses tâches ne surgit ni par décret ni spontanément, mais il est le résultat de longues années de construction et de combats. C'est dans ce sens que nous pouvons dire que les révolutionnaires d'aujourd'hui sont déjà impliqués à préparer la formation du futur parti. Ils commettraient une erreur fatale s'ils sous-estimaient la signification historique de leur travail.
Même si les organisations révolutionnaires d'aujourd'hui ont surgi dans des conditions différentes de celles qu'avaient connues les organisations qui les ont précédées, comme les fractions de gauche, elles n'en contribuent pas moins à construire ce pont indispensable vers l'avenir. Encore faut-il qu'elles soient en mesure d'assumer cette responsabilité car l'histoire nous enseigne justement que ce ne sont pas toutes les organisations que la classe a fait surgir dans le passé qui ont été à la hauteur d'une telle responsabilité notamment face au test que constituent la guerre impérialiste et le surgissement d'une période de révolution.
Beaucoup d'organisations ont dégénéré ou ont éclaté sous la pression de la société bourgeoise et de son poison, l'opportunisme. Aujourd'hui aussi la pression de l'opportunisme est très forte et c'est pourquoi les organisations révolutionnaires doivent livrer un combat permanent contre cette pression.
Dans le passé, l'exemple le plus connu de dégénérescence est celui de la Social démocratie allemande, le SPD, qui, après avoir été l'organisation ouvrière la plus importante du 19° siècle, a vu sa direction trahir les intérêts de la classe ouvrière quand la bourgeoisie a déclenché la Première Guerre mondiale en août 1914. Un autre exemple connu est celui du parti bolchevique qui, après avoir été l'avant garde de la révolution prolétarienne en octobre 1917, s'est transformé en ennemi de la classe ouvrière, une fois intégré à l'État soviétique.
Cependant, chaque fois qu'une organisation révolutionnaire a dégénéré et trahi les intérêts de la classe ouvrière, celle-ci a été capable de donner naissance à une fraction, qui a combattu cette dégénérescence et cette trahison.
" La continuité historique entre l’ancien et le nouveau parti de la classe ne peut s'effèctuer qu'au travers du canal de la Fraction, dont la fonction historique consiste à faire le bilan politique de l'expérience, de passer au crible de la critique marxiste les erreurs et l'insuffisance du programme d'hier, de dégager de l'expérience les principes politiques qui complètent l'ancien programme et sont la condition d'une position progressive du nouveau programme, condition indispensable pour la formation du nouveau parti. En même temps que la Fraction est un lieu de fermentation idéologique, le laboratoire du programme de la révolution dans la période de recul, elle est aussi le camp où se forgent les cadres, où se forme le matériel humain, les militants du futur parti " (L'Etincelle, n° 10, janvier 1946.)([1] [11])
Dans la première partie de cet article nous voulons rappeler les leçons principales que nous pouvons tirer des dégénérescences antérieures et du combat des fractions. Dans la deuxième partie nous verrons plus précisément comment les fractions se sont organisées pour mener ce combat.
Le problème de la Fraction au sein de la 2eme Internationale
Quand, en août 1914, les représentants de la Social-démocratie au Parlement votèrent comme un seul homme les crédits de guerre et par cela apportèrent leur soutien enthousiaste à l'impérialisme allemand pour la mobilisation en vue de la guerre. c'était la première fois dans l'histoire du mouvement ouvrier qu'un parti de la classe ouvrière commettait une trahison. Pour une organisation politique bourgeoise, il ne peut y avoir de trahison de ses intérêts de classe au bénéfice du prolétariat. Cela reste vrai si, pour des raisons circonstancielles, elle refuse à un moment donné de participer à la guerre impérialiste. En revanche, le rejet de l'internationalisme constitue la pire violation des principes prolétariens qu'une organisation ouvrière peut commettre et signe son passage dans le camp bourgeois.
En réalité, cette trahison du camp prolétarien par la direction du SPD n'était que le point culminant d'un long processus de dégénérescence. Alors que Rosa Luxemburg ([2] [12]) fut l'une des premières à avoir bien saisi, dès la fin du 19° siècle, le processus de sa fossilisation opportuniste, toute l'étendue de ce processus a été ignorée jusqu'à la trahison de 1914. La plupart des révolutionnaires avaient si peu conscience de la profondeur de cette dégénérescence que Lénine fut totalement surpris quand il apprit le vote du SPD en faveur des crédits de guerre en août 1914, et crut que l'exemplaire du Vorwarts (journal du SPD) qu'il avait reçu en Suisse était un faux imprimé par le gouvernement allemand afin de tromper les ouvriers.
Comment le SPD a-t-il pu dégénérer ?
Pour qu'un processus de dégénérescence se mette en route, il faut que soient réunies les conditions matérielles pour que se déclenche une telle dynamique et que la classe ouvrière soit politiquement affaiblie. Au début du 20° siècle, la classe ouvrière commençait à être pénétrée par les illusions sur la possibilité d'une transition pacifique du capitalisme au socialisme. Des années de croissance ininterrompue (malgré quelques hauts et bas conjoncturels de l'économie) constituaient la base matérielle pour le développement de telles illusions. Bernstein([3] [13]) représentait ces illusions poussées à leur paroxysme quand il affirmait que le capitalisme pouvait être dépassé par une série de réformes et que " le but n'est rien, c'est le mouvement qui compte ".
Rosa Luxemburg se rendait compte de l'extrême confusion causée par la mise en marche de ce processus de développement de l'opportunisme au sein du SPD, comme on peut le lire dans une lettre adressée en mars 1899 à Leo Jogiches([4] [14]) : « Bebel ([5] [15]) à vieilli et lâche les rênes content quand les autres luttent, il n'a plus lui-même ni l'énergie ni la foi pour prendre l'initiative...Tout le parti se porte diablement mal, plus de tête comme disent les Ruthènes. Personne ne dirige, personne n'assume, la responsabilité » (3 mars 1899, Lettres à Léon Jogiches, Denoel Gonthier)
Peu de temps après, dans une autre lettre à Leo Jogiches, elle mentionne les intrigues, la crainte et le ressentiment envers elle au sein du parti, apparus dès qu'elle commença à combattre ce processus : "Je n'ai pas du tout l'intention de me limiter à la critique, au contraire, j'ai l'intention et l'envie de 'pousser' positivement non pas les personnes, mais le mouvement dans sa totalité, d'indiquer des voies nouvelles (si elles existent, ce dont je ln doute pas), de combattre la `routine', etc., bref, de donner sans cesse de l'impulsion au mouvement... Ensuite, d'une manière plus générale, l'agitation orale et écrite qui s'est figée dans ses anciennes formes et n'agit presque plus sur personne, à laquelle il faut donner une impulsion nouvelle, insuffler une nouvelle vie à la presse, aux réunions et aux brochures " ( 1° mai 1899, Ibid.).
Et quand Rosa Luxemburg écrit Réforme sociale ou Révolution en avril 1899, elle montre non seulement sa détermination à combattre ces glissements opportunistes, mais qu'elle a saisi que ce combat doit être compris dans toute sa dimension programmatique et théorique. Comme elle le souligne : " Aussi ceux qui ne recherchent que les succès 'pratiques' ont-ils tout naturellement tendance à réclamer la liberté de manoeuvre, c'est-à-dire à séparer la pratique de la 'théorie', à s'en rendre indépendants ...Bien évidemment, pour affirmer son existence contre nos principes, ce courant devait en toute logique finir par s'en prendre à la théorie elle-même, aux principes, et plutôt que de les ignorer, chercher à les ébranler et à construire sa propre théorie " (Réforme sociale ou Révolution, page 86, Editions La Découverte, 2001).
Ainsi la dégénérescence s'exprime toujours par une remise en question du programme politique, mais elle se heurte à la résistance d'une partie de l'organisation qui reste fidèle aux principes du parti.
C'est pourquoi, dès le début, le combat de l'aile gauche de la 2° Internationale est un combat politique pour la défense du marxisme contre ses détracteurs, mais il constitue aussi une tentative pour tirer les leçons des nouvelles conditions du capitalisme décadent. Ayant pris conscience de ces nouvelles conditions et afin de les intégrer dans un nouveau cadre politique, Rosa Luxemburg dans Grève de masse, parti et svndicats ainsi qu'Anton Pannekoek ([6] [16]) dans Différentes tactiques au sein du mouvement ouvrier, ont essayé de comprendre les racines historiques profondes de l'opportunisme et pourquoi ce dernier était incapable de saisir les nouvelles conditions de la lutte dans le capitalisme décadent.
Mais l'aile gauche de la Social-démocratie ne représentait qu'une minorité, car la majorité du parti avait de grandes difficultés à combattre ces idées révisionnistes, dans la mesure où le parlementarisme et l'intégration croissante des syndicats au sein de l'État permettaient à ces idées de se répandre et de créer dans le parti un appareil loyal à l'État et étranger ainsi qu'hostile à la classe ouvrière.
Un phénomène de dégénérescence prend toujours corps au sein d'une partie spécifique de l'organisation qui, par une capitulation progressive face à l'idéologie et aux intérêts de la classe dominante, se débarrasse peu à peu des principes du parti et finit par agir en loyal défenseur de l'État et du capital national. Cette partie en dégénérescence, au sein de l'organisation, ne peut tolérer aucun débat. Elle est, de par sa nature, monolithique et tend à réduire au silence toute voix critique. Ainsi, la Social-démocratie, qui à l'époque des lois anti-socialistes (1878-1890), avait été le centre de la vie prolétarienne et le terrain de nombreux débats contradictoires, était devenue une sorte de club où on se contentait de voter, tout débat au sein du parti étant étouffé. De nombreux articles rédigés par l'aile gauche étaient soumis à la censure de la direction du parti, les autres opposants étaient muselés, la direction essaya d'évincer la gauche du comité de rédaction des revues et lors des votes au Parlement, les députés devaient obéir à la discipline du parti.
Rosa Luxemburg se rendit compte de ces tendances et les condamna de la manière la plus explicite. Elle prit l'engagement de ne pas abandonner le parti mais de lutter pour son redressement - car les communistes n'ont pas pour principe de " sauver leur peau " mais de lutter pour la sauvegarde de l'organisation en tant qu'instrument de la classe ouvrière.
Dans une lettre à Clara Zetkin ([7] [17]) (16 décembre 1906), elle insistait : " ... j'ai tout â fait conscience des hésitations et de l'étroitesse d'esprit de notre parti et ça me fait très mal.
Mais je ne me laisse pas trop émouvoir par ces choses-là car j’ai déjà compris, avec une clarté qui m'éffraie, qu'on ne peut changer les choses ni les gens tant que les conditions elles-mêmes n'ont pas changé. Et même alors - j'y ai réfléchi à tête reposée et m'y suis préparée - nous aurons à affronter l'inévitable résistance de tous ces gens si nous voulons entraîner les masses en avant. Actuellement, August Bebel et tous les autres ont opté pour le parlementarisme et y sont pleinement engagés. S'il y a le moindre changement qui nous entraîne au-de là des limites du parlementarisme, ils ne pourront y faire face et tenteront même de ramener toute chose en arrière dans le cadre parlementaire, ils s’opposeront à tout, et quiconque voudra dépasser le parlementarisme sera un 'ennemi’ du peuple, ...
j'ai le sentiment que les masses, et même un grand nombre de nos camarades, ont rompu avec le parlementarisme.
Ils seraient ravis s'il soufflait un vent nouveau, si notre tactique prenait un nouveau cours ; mais ces vieux caciques qui s'accrochent représentent un fardeau, et plus encore tous ces pontes opportunistes : responsables de notre presse, députés et dirigeants syndicaux. Notre tâche est d'opposer nos vives protestalions contre ces autorités en pleine décomposition ...Si nous entamons l'offensive contre l'opportunisme, tous ceux-là seront contre nous ...il est des taches qui ne peuvent être accomplies qu'après des années ! " (Rosa Luxemburg, Correspondance ).
Et même quand l'aile gauche s'est dressée contre la résistance croissante à l'intérieur du parti, aucun de ses membres n'a songé à se rassembler en un groupe séparé, et encore moins à abandonner le parti aux opportunistes.
Le 19 avril 1912, Rosa Luxemburg a exprimé son point de vue dans une lettre adressée à Franz Mehring([8] [18]) : « Vous aurez sûrement le sentiment que s'approche le moment où les masses, au sein du Parti, vont avoir besoin d'une direction énergique, sans faille et généreuse, et que nos dirigeants vont se comporter de plus en plus comme des misérables, des lâches et des crétins parlementaires. En clair, en attendant ce moment heureux, nous devons faire front, occuper et tenir les positions qui nous permettent de contrarier le 'leadership' officiel en exerçant notre droit de critique...
C'est donc notre devoir de tenir jusqu'au bout et de ne pas faire aux chefs officiels du Parti la faveur de baisser les bras. Nous devons nous préparer pour des affrontements et des désaccords permanents, en particulier si nous nous attaquons au saint des saints : le crétinisme parlementaire... Mais malgré tout, notre juste mot d'ordre semble être : ne pas céder un police » Comme le soulignait Marchlewski([9] [19]) (16 décembre 1913) : " Notre opinion est que le Parti est en train de subir une crise interne, bien plus importante qu'au moment où le révisionnisme a fait sa première apparition. Ces mots peuvent sembler durs, mais j'ai lu conviction que le Parti menace de sombrer dans une complète stagnation si les choses continuent comme ça. Dans une situation pareille, il n'y a qu'un seul mot d'ordre pour un parti révolutionnaire : la plus vigoureuse et la plus impitoyable autocritique " (cité par Nettl, Rosa Luxemburg, page 467).
Ainsi donc, la dégénérescence du SPD a donné naissance à un courant de gauche au sein de la 2° Internationale, qui, toutefois, était confronté à des conditions différentes dans chaque pays. Le SPD, en Allemagne, fut un des partis les plus pénétrés par l'opportunisme, mais ce ne fut que lorsque sa direction eut trahi l'internationalisme prolétarien que le courant de gauche prit une forme organisée.
Aux Pays-Bas, l'aile gauche fut exclue du SDAP (Sociaal-democratische arbeiders partij, parti ouvrier social-démocrate) et forma le SDP (Sociaaldemocratische partij, parti social-démocrate - " Tribunistes ") en 1909. Cependant, cette scission advint trop tôt, comme nous l'avons souligné dans notre analyse de la Gauche hollandaise (voir notre livre : La Gauche hollandaise pages 31, 32 et 33)([10] [20]).
En Russie, le Parti ouvrier social-démocrate était profondément divisé entre bolcheviks et mencheviks depuis 1903. Les mencheviks n'avaient pas reconnu les décisions prises majoritairement lors du Congrès de 1903, et, par toute une série de manaeuvres, essayaient d'évincer les bolcheviks du parti. Les bolcheviks défendaient les principes du parti, constamment sabotés par les mencheviks, eux mêmes infectés par le virus de l'opportunisme. Dans la Social-Démocratie russe la pénétration de l'opportunisme s'était d'abord manifestée sur les questions d'organisation mais elle ne tarda pas à affecter également la tactique puisque, lors de la révolution de 1905 en Russie, les mencheviks ont pour la plupart adopté une position de soutien pur et simple à la bourgeoisie libérale alors que les bolcheviks préconisaient une politique indépendante de la part de la classe ouvrière. La plus grande partie de cette aile opportuniste du parti - regroupée sous la bannière des mencheviks -bascula dans le camp de la bourgeoisie en 1914 quand, en plus, ils trahirent l'internationalisme prolétarien. Mais les bolcheviks combattirent pendant environ 10 ans à l'intérieur du même parti que les mencheviks avant que soit effective la scission en 1912. Quand ils étaient organisés en fraction séparée au sein du POSDR, les bolcheviks, malgré leurs profondes divergences avec les mencheviks, n'eurent pas à affronter un phénomène de dégénérescence semblable à celui qui affecta le SPD. Cependant, en s'organisant en courant séparé, en luttant résolument contre l'opportunisme et en restant fidèles au programme marxiste du parti, ils préparèrent les bases pour la formation du futur Parti bolchevique et du Parti communiste en 1917/1918.
Ainsi, avant 1914, les bolcheviks, tout en ceuvrant dans des conditions différentes, apportèrent une contribution décisive à l'expérience de la Fraction.
Nous pouvons noter une caractéristique des courants de gauche avant 1914 : ils ne se sont pas regroupés au niveau international et - à l'exception des bolcheviks - ne se sont pas organisés formellement.
Comme le remarquait Bilan : "Le problème de la fraction - ainsi que nous le concevons : c'est-à-dire comme un moment de la reconstruction du Parti de classe - ne fut ni ne pouvait être conçu au sein dea 1° et de lu 2° Internationale. Celles qui s'appelèrent alors 'fraction' ou plus communément 'aile droite’ ou `aile gauche' ou encore 'courant intransigeant’ ou enfin `révolutionnaire' et 'réformiste' ne fûrent, dans la plupart des cas - à l'exception des bolcheviks - que des ententes à la veille ou au cours des Congrès, dans le but de faire prévaloir certains ordres du jour, sans aucune continuité organisationnelle... " (Bilan n° 24, octobre 1935). Bien qu'à certains moments elles aient uni leurs forces pour présenter en commun des motions ou des amendements lors de congrès (comme par exemple à Stuttgart en 1907 et à Bâle en 1912 sur le danger de guerre), il n'y avait pas d'approche commune de la part des ailes gauches.
Différents éléments nous permettent d'expliquer cette relative dispersion.
Les différences de conditions matérielles dans les pays où se trouvaient les partis de la 2° Internationale constituent un premier élément. Par exemple, du fait du retard du capitalisme en Russie, si on le compare à celui de l'Allemagne, les ouvriers russes n'avaient pas pu arracher les mêmes concessions au capital. De même l'impact des syndicats était plus faible en Russie, la représentation au parlement du POSDR était plus faible que celle du SPD et les illusions démocratiqucs ainsi que le crétinisme parlementaire incomparablement plus limités.
Un autre élément était la structure fédéraliste de la 2° Internationale qui rendait difficile pour les révolutionnaires la connaissance approfondie des situations respectives dans chacun des pays. A cause de cette structure fédéraliste, il n'y avait pas de réelle centralisation et donc le concept d'un combat commun et centralisé n'existait pas encore au sein de la Gauche.
« Ce travail fractionelle de Lénine s’effectua uniquement au sein du parti russe, sans qu’il essayât de le porter à l'échelle internationale. Il suffit, pour s'en convaincre de lire ses interventions aux différents Congrès et l'on peut confirmer que ce travail resta complètement inconnu en dehors des sphères russes » (idem).
En un certain sens, la 2° Internationale était encore une expression de la phase ascendante du capitalisme, où les différents partis membres pouvaient coexister au niveau fédéral, côte à côte au lieu d'être unis en un seul organisme.
Les révolutionnaires face au défi de la guerre impérialiste
Lorsqu'éclata la Première Guerre mondiale et suite à la trahison de la Social démocratie et à la mort de la 2° Internationale, les révolutionnaires se trouvèrent confrontés à une situation nouvelle.
Le capitalisme était devenu un système décadent à l'échelle mondiale : telle était la signification de la Première Guerre impérialiste. Cela signifiait que l'intervention des révolutionnaires ne pouvait plus se faire à un niveau `fédéral', mais à un niveau plus élevé, centralisé, avec un seul et même programme et la nécessité d'une unification internationale des forces révolutionnaires.
Suite à la trahison par la direction de la Social-démocratie, les révolutionnaires devaient-ils abandonner le parti et créer immédiatement leur propre organisation ?
Le courant de la Gauche allemande, autour de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht([11] [21]), saisit immédiatement la nouvelle situation et décida :
- de défendre l'internationalisme prolétarien et de s'opposer à la trêve signée par les syndicats avec la bourgeoisie, appelant les ouvriers à une lutte de classe sans merci ;
- de s'organiser séparément, sous le nom de Ligue Spartacus, avec pour objectif de reconquérir le parti, d'en chasser la direction chauvine et patriotique et de l'empêcher d'être étranglé par les forces de la bourgeoisie, et en même temps de créer les base pour un futur parti ;
- d'établir, à l'échelle internationale, des contacts avec les autres forces internationalistes.
Ce courant se mit à l'oeuvre sans hésitation, sans attendre les premières réactions ouvrières contre la guerre. Pendant les 52 mois que dura celle-ci, la plupart de ses dirigeants furent jetés en prison, d'où ils continuèrent leur travail de Fraction. Les spartakistes et les autres forces de la Gauche allaient se trouver face à des conditions extrêmement difficiles : ils durent affronter un appareil d'État de plus en plus répressif, tandis que la direction du parti dénonçait publiquement les voix internationalistes comme n'importe quel agent de l'État l'aurait fait. De nombreux membres du parti qui défendaient l'internationalisme au cours des réunions du parti, furent dénoncés et arrêtés peu de temps après par la police. C'est dans les conditions extrêmement dures de l'illégalité que les spartakistes continuèrent leur combat pour reconquérir leur parti des mains de la direction chauvine, et pour préparer, en même temps, la formation d'un nouveau parti. La défense du programme révolutionnaire signifiait qu'ils devaient mener un combat permanent contre les attitudes centristes au sein du SPD. Ce combat résolu des spartakistes pour empêcher le parti de tomber aux mains de la bourgeoisie a servi plus tard de référence aux camarades de la Gauche italienne qui s'opposèrent à la direction de l'Internationale communiste pendant plusieurs années.
Les bolcheviks constituèrent l'autre force d'importance, capable d'accomplir un réel travail de fraction après 1914. Avec beaucoup de leurs dirigeants en exil à l'étranger, ils se sont aussi engagés dans un combat sans merci pour la défense de l'internationalisme prolétarien. Lénine et les autres bolcheviks furent les premiers à déclarer que la 2° Internationale était morte et à prendre parti pour le regroupement des forces internationalistes. Ils ont participé activement à la Conférence de Zimmerwald en 1915 où, en compagnie notamment des militants de la Gauche hollandaise, ils ont constitué une aile gauche. En exil ou à l'intérieur de la Russie, ils furent la principale force poussant de l'avant la résistance de la classe ouvrière contre la guerre. En clair, ce fut leur capacité à maintenir bien haut la bannière de l'internationalisme, à mettre cri avant la perspective de la lutte internationale (transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe) qui permit à la classe ouvrière de Russie de se dresser efficacement contre la guerre et de commencer le processus révolutionnaire.
Ainsi, les spartakistes et les bolcheviks, fers de lance d'un mouvement internationaliste et révolutionnaire plus vaste qui s'était développé durant la guerre, furent les indispensables piliers de celui-ci pour- mettre fin à la guerre, pour l'extension internationale des luttes et le renversement du capitalisme.
Ils ont fait la claire démonstration qu'aucune fraction ne peut assumer ses responsabilités militantes si elle ne lutte pas sur deux fronts : intervention au sein de la classe ouvrière et en même temps défense et construction d'une organisation révolutionnaire. I1 aurait été impensable pour eux de se retirer de l'un de ces deux fronts.
Le problème de la Fraction au sein de l'Internationale communiste
Le cas de la Social-démocratie est celui d'un parti ayant dégénéré pour finalement trahir les intérêts de la classe dans une situation de guerre. Nous pouvons maintenant étudier le deuxième exemple principal de dégénérescence: celui du Parti bolchevique.
Après avoir constitué l'avant-garde de la classe ouvrière et 1a force décisive qui a permis la prise du pouvoir par les conseils ouvriers en octobre 1917, le Parti bolchevique a été progressivement absorbé par l'État russe, une fois stoppée l'extension internationale de la révolution. Ici encore, contrairement au point de vue anarchiste qui prétend que tout parti est condamné à trahir, nous pouvons analyser dans quelles circonstances matérielles objectives le Parti bolchevique a été absorbé par l'État russe.
Comme nous l'avons expliqué dans notre présentation de l'histoire des fractions de gauche ('la Gauche communiste et la continuité du marxisme', article publié dans Tribune Prolétarienne en Russie''([12] [22])) : " Le reflux de la vague révolutionnaire et l'isolement de la Révolution russe ont donné naissance à un processus de dégénérescence à la fois au sein de l'Internationale communiste et du potuvoir soviétique en Russie. De plus en plus le parti bolchevique avail fusionnè avec un appareil d'État bureaucratique qui allait grossissant, au fur et à que diminuait l'importance des organes de pouvoir et de participation propres du prolétariat : les soviets, les comités d'usines et les gardes rouges. Au sein de l'Internationale, les tentatives pour gagner le soutien des masses, dans une phase où l'activité de celles-ci était en déclin, ont mené à des `solutions' opportunistes - développement du travail au sein des parlements et des syndicats, appel aux 'peuples d'Orient', à se dresser contre l'impérialisme, et par-dessus tout, politique de front uni qui rejetait tout le travail de clarification sur la nature capitaliste des social-patriotes " .
Ce tournant opportuniste, favorisé par l'affaiblissement de la classe ouvrière et par l'isolement de la Révolution russe, s'est graduellement transformé en un processus de complète dégénérescence, qui après une demi-douzaine d'années atteint son sommet avec la proclamation du «Socialisme en un seul pays» (6° congrès de l'IC, août 1928). Comme lors de la dégénérescence du SPD avant la Première Guerre mondiale, ce processus fut marqué par l'élimination graduelle de toute vie dans le parti. Les forces du parti les plus intimement liées et intégrées à l'appareil d'État était celles qui, de plus en plus, tiraient les ficelles en coulisse.
Après quelques protestations, exprimées très tôt, contre l'étouffement de la vie dans le parti et contre sa bureaucratisation croissante (voir les articles publiés dans la Revue internationale n° 8 et 9 sur la «dégénérescence de la révolution russe» et le travail de la «Gauche communiste en Russie») une série de mesures furent prises dans le but de réduire au silence les forces d'opposition :
- au printemps 1921 les fractions furent interdites ;
- les sections locales du parti ne pouvaient exprimer que leur accord ou rejeter les décisions du parti, toutes les initiatives de leur part furent peu à peu supprimées ;
- les délégués aux conférences du parti étaient désignés par les échelons supérieurs, au lieu de recevoir un mandat et d'être responsables devant les sections locales ;
- la Commission de Contrôle fut installée, dont l'autonomie grandit peu â peu et qui dirigea le parti d'une main de fer quasi militaire ;
- de plus en plus de pouvoir se trouva concentré entre les mains du Bureau d'organisation et du Secrétaire général, Staline ;
- les journaux d'opposition furent interdits de publication ;
- les oppositionnels furent victimes des dénigrements les plus pernicieux.
Comme pour la 2° Internationale, le processus de dégénérescence n'était pas limité au seul parti bolchevique ; il s'est développé dans tous les partis membres de l'IC. Progressivement, ils ont suivi le cours tragique du parti russe, sans avoir nécessairement été intégrés à l'État dans chaque pays où ils existaient, et ils ont choisi de sacrifier les intérêts du prolétariat international, au nom des intérêts de l'État russe.
Une fois encore, le prolétariat a réagi en produisant des "anticorps", par la formation d'une Gauche communiste : "Il est aussi évident que la nécessité de la Fraction est aussi l'expression de la faiblesse du prolétariat, soit disloqué, soit gagné par l'opportunisme" ("Projet de résolution sur les problèmes de la Fraction de gauche", Bilan n° 17, avril 1935, page 571).
Mais de la même façon que le développement de l'opportunisme au sein de la 2° Internationale avait provoqué une réponse prolétarienne sous la forme de courants de gauche, le flux de l'opportunisme au sein de la 3° Internationale rencontra la résistance des courants de la Gauche communiste, dont la plupart des porte-parole, tels Pannekoek et Bordiga([13] [23]), avaient déjà prouvé qu'ils étaient les meilleurs défenseurs du marxisme dans la vieille Internationale.
La formation de la Gauche communiste
La Gauche communiste était essentiellement un courant international et elle avait des expressions dans beaucoup de pays, de la Bulgarie à la Grande-Bretagne et des États-Unis à l'Afrique du Sud. Mais ses représentants les plus importants se trouvaient précisément dans ces pays ou la tradition marxiste était la plus forte : l'Allemagne, l'Italie et la Russie.
En Allemagne, la profondeur de la tradition marxiste couplée avec l'impulsion énorme provenant du mouvement réel des masses prolétariennes avait déjà, au sommet de la vague révolutionnaire, engendré certaines des positions politiques les plus avancées, particulièrement sur les questions syndicale et parlementaire. Mais le communisme de gauche comme tel est apparu comme une réponse aux premiers signes d'opportunisme dans le Parti communiste allemand et l'Internationale et a été mené par le KAPD (Parti communiste ouvrier d'Allemagne) qui s'était formé en 1920 lorsque l'opposition de gauche dans le KPD a été expulsée par une manoeuvre sans principes. Quoique critiqué par la direction de l'IC comme «infantile» et «anarcho-syndicaliste», le rejet par le KAPD de la vieille tactique syndicale et parlementaire était basé sur une analyse marxiste profonde de la décadence du capitalisme, laquelle a rendu cette tactique obsolète et a exigé de nouvelles formes d'organisation de classe - les comités d'usine et les conseils ouvriers. On peut dire la même chose de son clair rejet de la vieille conception du " parti de masse " de la social-démocratie en faveur de la notion du parti comme un noyau clair du point de vue programmatique - une notion directement héritée du bolchevisme. La défense intransigeante par le KAPD de ces acquis contre un retour à la vieille tactique social-démocrate a fait de celui-ci le coeur d'un courant international qui avait des expressions dans plusieurs pays, particulièrement en Hollande, dont le mouvement révolutionnaire a été étroitement lié au mouvement en Allemagne par le travail de Pannekoek et Gorter. Cela ne veut pas dire que le communisme de gauche en Allemagne, au début des années 20, n'ait pas souffert de faiblesses importantes.
En Italie, d'autre part, la Gauche communiste - qui au début occupait une position majoritaire dans le parti communiste - était particulièrement claire sur la question d'organisation et cela lui a permis non seulement de mener une bataille courageuse contre l'opportunisme dans l'Internationale dégénérescente, mais aussi d'engendrer une fraction communiste qui a été capable de réchapper au naufrage du mouvement révolutionnaire et de développer la théorie marxiste pendant la nuit de la contre-révolution. Mais au début des années 1920, ses arguments en faveur de l'abstentionisme à l'égard des parlements bourgeois, contre la fusion de l'avant garde communiste avec de grands partis centristes destinée à donner l'illusion d'une «influence de masse», contre les mots d'ordre de «Front unique» et de " Gouvernement ouvrier ", étaient également basés sur une compréhension profonde de la méthode marxiste. Cela s'applique aussi à son analyse du nouveau phénomène du fascisme et à son rejet conséquent de tout front antifasciste avec les, partis de la bourgeoisie «démocratique». Le nom de Bordiga est irrévocablement associé à cette phase de l'histoire de la Gauche communiste italienne, mais malgré l'importance énorme de la contribution de ce militant, la Gauche italienne n'est pas plus réductible à Bordiga que le bolchevisme ne l'était à Lénine : tous les deux étaient des produits organiques du mouvement politique prolétarien.
L'isolement de la révolution en Russie a conduit, comme on l'a vu, à un divorce croissant entre la classe ouvrière et un appareil bureaucratique d'État de plus en plus développé-l'expression la plus tragique de ce divorce ayant été l'écrasement, en mars 1921, de la révolte des ouvriers et des marins de Kronstadt par le propre parti du prolétariat, le parti bolchevik, lequel avait été de plus en plus absorbé par l'État. Mais précisément parce que c'était un véritable parti prolétarien, le parti bolchevik a engendré de nombreuses réactions internes contre sa propre dégénérescence. Lénine lui-même - qui en 1917 avait été le porte-parole le plus en vue de l'aile gauche du parti - fait un certain nombre de critiques très pertinentes du glissement du parti dans le bureaucratisme, particulièrement vers la fin de sa vie. Dans la même période, Trotsky est devenu le représentant principal d'une opposition de gauche qui cherche à rétablir les normes de la démocratie prolétarienne dans le parti et qui engage le combat contre les expressions les plus notoires de la contre-révolution stalinienne, particulièrement la théorie du «socialisme dans un seul pays». Mais, en grande partie parce que le bolchevisme avait sapé son propre rôle en tant qu'avant garde prolétarienne en fusionnant avec l'État, les courants de gauche les plus importants dans le parti ont eu tendance àêtre conduits par des personnalités moins connues qui étaient capables de rester plus près de la classe que de la machine d'État. Déjà en 1919, le groupe du «Centralisme démocratique», conduit par Ossinski, Smirnov et Sapranov, avait commencé à mettre en garde contre le «déclin» des soviets et l'abandon croissant des principes de la Commune de Paris. Des critiques semblables ont été faites en 1921 par le groupe de «l'Opposition ouvrière» mené par Kollontaï et Chliapnikov, bien que ce dernier groupe se soit révélé moins rigoureux et durable que le groupe «Centralisme démocratique» qui devait continuer à jouer un rôle important pendant les années 20 et qui devait développer une approche semblable à celle de la Gauche italienne. En 1923, le «Groupe ouvrier» mené par Miasnikov a publié son Manifeste et a fait une intervention importante dans les grèves ouvrières de cette année. Ses positions et ses analyses étaient proches de celles du KAPD. Tous ces groupes sont non seulenient apparus dans le Parti bolchevique, mais ils ont continué à se battre au sein du parti pour un retour aux principes originels de la révolution. Mais comme les forces de la contre-révolution bourgeoise gagnaient du terrain dans le parti, le problème-clé est devenu celui de la capacité des diverses oppositions à appréhender la nature réelle de cette contre-révolution et à rompre avec toute fidélité sentimentale envers ses expressions organisées. C'est là que devait se manifester la divergence fondamentale entre Trotsky et la Gauche communiste russe : tandis que le premier devait rester toute sa vie attaché à la notion de la défense de l'Union soviétique et même à celle de la nature prolétarienne des partis staliniens, les communistes de gauche ont compris que le triomphe du stalinisme - incluant ses tournants de «gauche» qui ont mystifié beaucoup de disciples de Trotsky - signifiait le triomphe de l'ennemi de classe et impliquait la nécessité d'une nouvelle révolution. Cependant, beaucoup des meilleurs éléments de l'opposition trotskiste - ceux qu'on appelait les «irréconciliables» - sont passés, eux aussi, aux positions de la Gauche communiste à la fin des années 20 et au début des années 30. Mais la terreur stalinienne avait très probablernent éliminé ces groupes vers la fin de la décennie.
Par contraste avec cette trajectoire, la Fraction de Gauche italienne autour de la revue Bilan a correctement défini les tâches de l'heure : d'abord, ne pas trahir les principes élémentaires de l'internationalisme face à la marche vers la guerre ; deuxièmement, tirer un «bilan» de l'échec de la vague révolutionnaire, particulièrement de la révolution russe, et élaborer les leçons correctes pour qu'elles puissent servir comme fondement théorique pour les nouveaux partis que ferait surgir la reprise future de la lutte de classe.
La guerre d'Espagne a constitué un test particulièrement sévère pour les révolutionnaires de l'époque ; beaucoup d'entre eux ont capitulé face aux chants de sirène de l'an ti-fascisme et ne sont pas parvenus à saisir que la guerre était impérialiste des deux côtés, qu'elle était une répétition générale de la guerre mondiale qui s'annonçait. Bilan, cependant, a tenu ferme, appelant à la lutte de classe tant contre les factions fascistes que contre les factions républicaines de la bourgeoisie, de la même façon que Lénine avait dénoncé les deux camps dans la Première Guerre mondiale. En même temps, les contributions théoriques faites par ce courant - qui a plus tard englobé des fractions en Belgique, en France et au Mexique - ont été immenses et réellement irremplaçables. Dans son analyse de la dégénérescence de la révolution russe - qui ne l'a jamais conduit à mettre en doute le caractère prolétarien de 1917 ; dans ses réflexions sur les problèmes de la future période de transition ; dans son travail sur la crise économique et les fondements de la décadence du capitalisme ; dans son rejet de la position de l'Internationale communiste de soutien aux luttes de «libération nationale» ; dans son élaboration de la théorie du parti et de la fraction ; dans ses polémique incessantes mais fraternelles avec d'autre courants politiques prolétariens ; dans ces domaines et beaucoup d'autres, la Fraction de Gauche italienne a sans aucun doute rempli sa tâche d'établir les bases programmatiques des organisations prolétariennes de l'avenir.
La fragmentation des groupes de la Gauche communiste en Allemagne a été achevée par la terreur nazie, bien que quelques activités révolutionnaires clandestines aient continué encore sous le régime d'Hitler. Pendant les années 1930, la défense des positions révolutionnaires de la Gauche allemande a été en grande partie poursuivie en Hollande, particulièrement par le travail du Groupe des Communistes Internationaux (GIK), mais également en Amérique avec le groupe mené par Paul Mattick. Comme Bilan, la Gauche hollandaise est restée fidèle à l'internationalisme face à toutes les guerres impérialistes locales qui ont frayé le chemin à la boucherie mondiale, résistant aux tentations de la «défense de la démocratie». Elle a continué à approfondir sa compréhension de la question syndicale, des nouvelles formes d'oroanisation des ouvriers dans l'époque de décadence capitaliste, des racines matérielles de la crise capitaliste, de la tendance vers le capitalisme d'État. Elle a aussi maintenu une intervention importante dans la lutte de classe, particulièrement vers le mouveinent des chômeurs. Mais la Gauche hollandaise, traumatisée par la défaite de la révolution russe, a glissé de plus en plus vers la négation conseilliste de l'organisation politique - et de ce fait de toute clarté sur son propre rôle. En lien avec cela, il y avait un rejet total du bolchevisme et de la révolution russe, considérée comme une révolution bourgeoise depuis le début. Ces théorisations ont semé les graines de la future disparition de ce courant. Bien que le communisme de gauche en Hollande se soit maintenu même sous l'occupation naxie et qu'il ait engendré une organisation importante après la guerre - le Spartacusbund, qui au commencement était revenu vers les positions pro-parti du KAPD - les concessions de la Gauche hollandaise à l'anarchisme sur la question organisationnelle ont rendu de plus en plus difficile pour elle le maintien d'une quelconque continuité organisée dans les années postérieures.
La Gauche italienne, pour sa part, a maintenu un sorte de continuité orgtmisationnelle, bien qu'elle ait dû payer un prix à la contre-révolution. Juste avant la guerre, la Fraction italienne a été jetée dans le déboussolement avec la «théorie de l'économie de guerre» qui niait l'imminence de la guerre mondiale ; mais son travail s'est poursuivi, particulièrement par l'apparition d'une Fraction française au milieu du conflit impérialiste. Vers la fin de la guerre, le surgissement de luttes prolétariennes majeures en Italie a créé une nouvelle confusion dans les rangs de la Fraction. La majorité est retournée en Italie pour former, avec Bordiga qui avait été inactif politiyucment depuis la fin des années 20, le Parti communiste internationaliste d'Italie (PClnt). Bien qu'opposé à la guerre impérialiste, il s'est constitué sur des bases programmatiques peu claires et avec une analyse incorrecte de la période, considérée comme celle d'une montée du combat révolutionnaire.
Cette orientation politique a été combattue par la majorité de la Fraction française qui a plus rapidement compris que la période était toujours celle de la contre révolution triomphante et par conséquent que les tâches de la Fraction n'étaient pas achevées. La Gauche communiste de France a ainsi continué à travailler dans l'esprit de Bilan. Sans négliger sa responsabilité d'intervenir dans les luttes immédiates de la classe, elle a concentré ses énergies sur le travail de clarification Politique et théorique et elle a réalisé un certain nombre d'avancées importantes, particulièrement sur les questions du capitalisme d'État, la période de transition, les syndicats et le parti. En maintenant la méthode marxiste rigoureuse si typique de la Gauche italienne, elle a été également capable d'intégrer dans son arsenal programmatique certaines des meilleures contributions de la Gauche germano-hollandaisc.
Alors que les gauches allemande et hollandaise ont été fondamentalement incapables de réaliser un réel travail comme fraction au sein de l'Internationale, la Gauche italienne a non seulement réussi à éviter d'être exclue de l' IC dès le début mais, dans les conditions très difficiles du travail dans l'illégalité en Italie et contre la discipline de plus en plus militariste dans l'IC, elle est parvenue à mener une lutte héroïque contre l'opportunisme et la stalinisation.
Jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Bilan s'est distingué par sa clarté concernant l'évaluation du rapport de forces entre les classes, le cours historique vers la guerre - et le groupe a été capable de rejeter l'anti-fascisme même au prix d'un terrible isolement. Son rejet de tout soutien à la démocratie bourgeoise était la condition préalable pour rester fidèle à l'internationalisme prolétarien dans la guerre d'Espagne et pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela contrastait complètement avec le courant trotskiste qui, pendant les années 30, s'est engagé dans l'entrisme dans les partis social-démocrates comme moyen de combat contre le fascisme naissant et qui, à l'éclatement de la guerre d'Espagne, a cru que le moment d'une nouvelle vague de luttes révolutionnaires était arrivé. En opposition à l'attitude opportuniste et immédiatiste de Trotsky et de ses disciples, Bilan a offert une clarté politique historique, servant de point de référence aux internationalistes non seulement de son époque, mais aussi aux groupes politiques qui ont surgi à la fin de la contrerévolution, en 1968.
Les fractions - une arme indispensable pour la défense de la perspective prolétarienne
Ayant rappelé les deux principaux cas de dégénérescence de partis prolétariens et la réaction du prolétariat à son encontre par la création «d'anticorps», les fractions, nous voulons maintenant rappeler quelques éléments de la lutte de ces dernières.
La fonction et les conditions de formation d'une fraction sont définis par Bilan comme suit :
«La fraction comme le parti, trouve sa genèse dans un moment de la vie des classes et non dans la volonté des individualités. Elle apparaît comme une nécessite lorsque le parti reflète les idéologies bourgeoises sans encore les exprimer et que sa position dans le mécanisme des classes en fait déjà un ganglion du système de domination bourgeoise. Elle vit et se développe avec le développement de l’opportunisme pour devenir le seul endroit historique où le prolétariat s'organise en classe.
Par contre, la fraction surgit comme nécessité historique du maintien d'une perspective pour la classe P/ comme tendance orientée vers l'élaboration des données dont l'absence relevant d'une immaturité du prolétariat permit le triomphe de l’adversaire. Dans la Deuxième Internationale la genèse des fractions se retrouve dans laréaction il la tendance du reformisme d’incorporer graduellement le prolétariat dans l'appareil étatique du capitalisme...
La fraction croît, se délimite, se développe au sein de la 2° Internationale parallèlement au cours de l'opportunisme et à l'élaboration des données programmatiques nouvelles, alors que ce dernier essaie de les emprisonner dans les partis de masses corrompus, afin de briser leur travail historique. Dans la 3° Internationale, c'est autour de la Russie que se développera la manœuvre d’enveloppement capitaliste et le centrisme essaiera de faire converger les P.C. vers la préservation des intérêts économiques de l'État prolétarien en leur donnant une fonction de dévoiement des luttes de classe dans chaque pays... (Bilan n° 17, Avril 1935, p.575.)
La formation d'une fraction doit suivre une méthode. Ainsi il n'est pas suffisant de proclamer avec véhémence qu'une organisation est «dégénérescente» dès que se développe un débat avec des positions très antagoniques. Avancer le concept de dégénérescence ne peut jamais être une insulte mais c'est une évaluation politique qui doit être prouvée de façon matérialiste.
Comme Bilan l'a souligné la formation d'une fraction devient nécessaire quand tout doit être mis en oeuvre pour empêcher une organisation de tomber dans les mains de l'ennemi de classe. Le constat d'une dégénérescence implique donc le développement d'une lutte à long terme et tenace. II exige d'accepter de travailler pour l'avenir, rejetant toute approche précipitée. Il est donc totalement opposé à l'impatience et une telle évaluation ne peut jamais être basée sur un «sentiment conjoncturel» ou «un accès de mauvaise humeur». En bref, l'accusation qu'une organisation dégénère ne peut pas être avancée à la légère, sans rigueur, mais doit être basée sur une analyse matérialiste.
Par exemple la délégation du KAPD au Congrès de Moscou de l'IC en 1921 a qualifié le Parti bolchevique et l'IC comme un corps dégénérescent phagocyté par la bourgeoisie. A ce moment-là, ce diagnostic était prématuré. Comme nous l'avons montré dans notre série d'articles sur la révolution allemande (Revue Internationale n°81 à 99), le KAPD en établissant un tel diagnostic a fait une erreur capitale, avec la conséquence qu'il est devenu incapable de s'engager dans une lutte réelle comme fraction dans l'IC.
Une fraction ne peut être formée qu'après un long débat, une lutte intense dans l'organisation, où les divergences ne sont plus limitées à un ou deux points, mais impliquent une orientation totalement différente - où un côté se dirige vers l'abandon des positions de classe alors que l'autre côté s'y oppose. C'est seulement quand une aussi longue lutte a eu lieu, quand tous les pas précédents se sont révélés insuffisants pour empêcher l'organisation de s'acheminer vers la dégénérescence. qu'une fraction devient un besoin impérieux. Dans un tel cas, quand une organisation glisse vers des positions bourgeoises, il serait alors irresponsable de ne pas former une fraction.
Compréhension d'une nouvelle situation historique...
Ainsi Une fraction est toujours caractérisée par sa dél'ense du programme, sa fidélité aux positions de classe, qui sont remises en cause par une certaine partie de l'organisation. En opposition aux tentations opportunistes et immédiatistes dans l'organisation vers l'abandon du programme au nom de concessions à l'idéologie bourgeoise, la Fraction mène une lutte théoriquepolitique-programmatique, qui conduit à l'élaboration d'une série de contre-positions - lesquelles font partie d'un cadre théorique plus large.
Ainsi les courants de gauche qui se sont opposés aux tendances opportunistes avant la Première Guerre mondiale ne se sont jamais limités à une simple défense du programme existant, mais ils ont mis en évidence les racines historiques politiques plus profondes des questions en jeu et ont offert un cadre théoriqueprogrammatique pour comprendre la nouvelle situation. Dans ce sens, une fraction représente plus que la simple fidélité au vieux programme. Une fraction propose fondamentalement un nouveau cadre théorique pour comprendre de nouvelles conditions historiques, dans la mesure où le marxisme n'est nullement « invariant » mais fournit toujours une analyse capable d'intégrer les nouveaux éléments d'une situation.
"Cela doit servir il prouver que la fraction ne peut vivre, former des cadres, représenter réellement les intérêts finaux du prolétariat, qu'a la seule condition de se manifester comme une phase supérieure de l'analyse marxiste des situations, de la perception des forces sociales qui agissent au sein du capitalisme, des positions prolétariennes envers les problèmes de la révolution et non comme un organisme prenant comme fondements les quatre premiers Congrès de l'IC - qui ne pouvaient contenir une réponse à des problèmes non encore mûris... ". (Bilan, ibid. p. 577)
Sans la critique de l'opportunisme avant la Première Guerre mondiale, sans le travail d'analyse théorique des internationalistes pendant la Première Guerre mondiale, les révolutionnaires n'auraient jamais pu saisir la nouvelle situation. Par exemple la Brochure de Junius de Rosa Luxemburg, L'impérialisme stade suprême du capitalisme de Lénine, L'impérialisme et les tâches du prolétariat de Pannekoek, étaient des contributions théoriques essentielles faites pendant cette période. Et quand l'IC a commencé à se lancer dans un cours opportuniste après 1920, propageant de nouveau les vieilles méthodes de lutte, les fractions de gauche ont démontré que les nouvelles conditions du capitalisme ne permettaient pas de retour au passé. Elles étaient les seules à avoir commencé à saisir les implications de la nouvelle période (même si c'était seulement de façon fragmentaire, partielle et encore très confuse).
Le mécanisme de défense qu'une fraction reflète est donc toujours déterminé par le besoin de comprendre une nouvelle situation historique. Une fraction est forcée de présenter une nouvelle cohérence théorique, faisant avancer l'organisation vers un niveau plus élevé de compréhension.
«Elle s'affirme en tant qu’organisme progressif se fixant l'objectif central de pousser le mouvement communiste à un stade supérieur de son évolution doctrinale en apportant sa contribution propre à la solution internationale des problèmes nouveaux posés par les expériences de la révolution russe et de la période de déclin du capitalisme.» (Bilan n°41, mai 1937, p. 1360)
Selon cette conception du travail d'une fraction qui ne se limite pas à présenter une orientation alternative sur une simple question, mais s'inscrit dans un cadre beaucoup plus large, Bilan a critiqué Trotsky, qui voulait agir principalement comme un «courant d'opposition» à la montée du stalinisme, mettant en évidence qu'il n'avait jamais vraiment saisi le défi que les révolutionnaires devaient relever à ce moment là : « Il revient à Trotsky d'avoir étouffé les possibilités de constitution d'une fraction homogène en Russie, en détachant cette dernière de l'assiette mondiale où elle évoluait et d'avoir empêché le travail de formation de fractions dans les différents pays, en proclamant la nécessité d'oppositions appelées à « redresser » les P.C. Par-là il réduisait une lutte gigantesque des noyaux marxistes contre le bloc des forces capitalistes ayant incorporé l'Etat prolétarien, le centrisme, à la conservation de ses intérêts, en une simple lutte de pression pour empêcher une industrialisation disproportionnée et effectuée sous le drapeau du socialisme en un seul pays, et les « erreurs » des P.C. menant vers la défaite. " (Bilan, n'17, 1935, p. 576)
... L'engagement dans une longue bataille
Fournissant un enrichissement au marxisme, obligés d'approfondir les questions en jeu, ces efforts, il va de soi, ne peuvent pas être accomplis en une «brève bataille». De la même manière que la construction de l'organisation ne consiste en aucune façon dans une tentative hâtive d'édifier un château de sable, mais exige les efforts les plus persévérants, combattant les dangcrs de l'immédiatisme, l'impatience, l'individualisme, etc., une fraction doit rejeter toute précipitation.
Une dégénérescence est toujours un long processus. Une organisation lie s'effondre jamais tout d'un coup, mais elle passe par une phase d'agonie. Ce n'est pas comme un combat de boxe qui se termine après 15 rounds, mais c'est un combat à la vie à la mort, qui s'achève par le triomphe d'un camp sur l'autre, parce que les deux positions sont incompatibles. Un pôle, la partie opportuniste et dégénérescente, s'avance vers des positions bourgeoises et la trahison, tandis que l'autre pôle défend l'internationalisme. C'est un combat pendant lequel un rapport de forces se développe et qui, dans le cas de la dégénérescence et de la trahison, signifie que toute vie prolétarienne disparaît du parti.
Dans le cas du SPD et d'autres partis dégénérescents de la Deuxième Internationale ce processus a duré en gros une douzaine d'années.
Mais même quand la direction du SPD a trahi l'internationalisme prolétarien en août 1914, les internationalistes n'ont pas déserté mais se sont battus pour le parti pendant 3 ans, avant que toute vie prolétarienne n'ait disparu du parti et que celui-ci ait été définitivement perdu pour le prolétariat.
Dans le cas de l'Internationale communiste, la dégénérescence a duré une demi-douzaine d'années - avec une opposition féroce de l'intérieur. Ce processus s'est poursuivi pendant plusieurs années dans ses partis affiliés, selon la capacité des différents partis communistes à s'opposer à la domination du parti russe, selon le poids des courants communistes de gauche en leur sein.
Les communistes de gauche italiens, qui étaient les défenseurs les plus conséquents et déterminés de l'organisation ont réussi à combattre jusqu' à 1926, avant leur expulsion de l'Internationale communiste. Même Trotsky n'a été expulsé qu'en 1927 du Comité central du parti et n'a été physiquement déporté en Sibérie qu'en 1928.
S'opposant à l'impatience petite-bourgeoise et à la sous-estimation du besoin d'une organisation révolutionnaire, la Fraction s'engage toujours pour une lutte à long terme. Par rapport à cette question, les spartakistes pendant la Première Guerre mondiale ont fourni un point de référence irremplaçable pour le travail de la Fraction italienne pendant les années 1920.
L'histoire a montré que ceux qui abandonnent trop tôt la lutte pour la défense de l'organisation se dirigent vers un désastre.
Par exemple les internationalistes autour de Borchart et le journal Lichtstrahlen de Hambourg, et Otto Rühle de Dresde en Allemagne ont rapidement décidé d'abandonner le SPD - ils ont adopté des positions conseillistes rejetant en même temps les partis politiques à la fin de la guerre et au milieu de la vague de luttes révolutionnaires.
L'exemple du KPD et du KAPD démontre la même chose. S'étant divisée sur des questions clefs comme les élections parlementaires et le travail dans les syndicats, la direction désastreuse du KPD sous Paul Levi a jeté dehors la majorité de l'organisation la poussant à fonder le KAPD en avril 1920. En lieu et place d'un débat intense dans les rangs du KPD, permettant de clarifier ces questions de base, on a assisté à un étranglement du débat à cause d'une approche monolithique. Le KPD a éclaté après dix mois d'existence !
L'Internationale communiste a expulsé de ses rangs le KAPD après un ultimatum à l'été 1921, lui interdisant tout travail comme fraction au sein de l'IC.
Et ce fut une réelle tragédie historique que le courant du KAPD qui avait été expulsé du KPD et de l'IC, ait été immédiatement affecté par le virus de la scission, puisqu'aussitôt que des divergences profondes sont apparues dans ses rangs le parti s'est scindé en deux, les tendances d'Essen et de Berlin (1922), dans un contexte de recul de la lutte de classe.
La défense du programme ne peut donc pas être séparée d'une lutte longue et tenace pour la défense de l'organisation.
Fonder une nouvelle organisation avant que la lutte pour la défense de l'organisation n'ait abouti à la victoire ou à la défaite signifie la désertion ou la voie vers le fiasco. Abandonner la lutte comme fraction en précipitant la formation d'une nouvelle organisation contient le risque de fonder une organisation qui sera congénitalement encline à l'autodestruction, avec le risque d'être étranglée par l'opportunisme et l'immédiatisme. L'aventure dans laquelle c'est lancé le KAPD en 1921 consistant à fonder une Internationale communiste ouvrière a été un véritable fiasco. Et quand la Gauche italienne, qui avait été capable de défendre la tradition du travail de fraction contre les glissements opportunistes et immédiatistes de certains de ses membres par rapport à la guerre d'Espagne en 1937 et par rapport aux théories de Vercesi en 1943, s'est prononcée pour la formation précipitée et sans principe du PCInt, elle s'est lancée dans un chemin dangereux - avec les germes de l'opportunisme implantés dans son corps.
Enfin, comme nous l'avons vu, le processus de dégénérescence n'est jamais limité à un pays mais c'est un processus international. Comme l'histoire l'a montré, des voix différentes apparaissent, présentant un tableau très hétérogène - mais toutes s'opposant à la tendance opportuniste et à la dégénérescence. En même temps, la lutte d'une fraction doit aussi être internationale et ne peut pas se cantonner dans les limites d'un pays, comme le démontrent les exemples de la 2ème et de la 3ème Internationales.
Alors que les différents courants de gauche dans la 2ème Internationale, comme c'est dit plus haut, ne s'étaient pas regroupés comme fraction travaillant de façon centralisée, les fractions de gauches expulsées de l'IC furent malheureusement aussi incapables de travailler de façon centralisée à l'échelle internationale.
La constitution d'une fraction suppose clarté et rigueur. Cela est valable, comme on l'a vu, sur le plan programmatique, mais également dans les méthodes organisationnelles qu'elle emploie qui, tout autant que les positions programmatiques, expriment sa nature prolétarienne.
Alors que c'est une pratique commune dans les organisations bourgeoises de tenir des réunions secrètes, pour élaborer des intrigues et ourdir des complots, c'est un principe élémentaire de toute organisation prolétarienne de bannir les réunions secrètes. Les membres d'une minorité ou d'une fraction doivent se rencontrer ouvertement, permettant à tous les militants de l'organisation de suivre leurs réunions. L'opposition à toutes les organisations secrètes et parallèles fut un des combats majeurs dans la Première Internationale qui a démasqué l'Alliance secrète de Bakounine qui travaillait dans ses rangs. Ce n'est pas une coïncidence si Bordiga soulignait que :
« mais je dois dire tout à fait ouvertement que cette réaction saine, utile te nécessaire ne peut et ne doit se présenter sous l'aspect de la manoeuvre et de l'intrigue, sous de bruits que l'on répand dans les coulisses et dans les couloirs.» (Bordiga, 6ème plénum de l' IC, février-mars 1926).
Nous entrerons plus dans cette question dans la deuxième partie de cet article, quand nous examinerons le besoin pour une fraction de se protéger contre les attaques d'une direction dégénéréscente comme celle du SPD qui était prête à envoyer Liebknecht aux tranchées afin de l'exposer à la mort et à dénoncer toute voix internationaliste dans ses rangs ou comme celle du Parti bolchevique en cours de stalinisation, qui a commencé à faire taire des membres du parti par des moyens répressifs.
D. A.
[1] [24] « L'Étincelle» : journal publié par la Gauche communiste de France, l'ancêtre politique du CCI, à la fin de la seconde guerre mondiale. Voir à ce sujet nos brochures : La Gauche communiste d'Italie et La Gauche communiste de France.
[2] [25] Rosa Luxemburg(1870-1919) : Une des plus grandes figures du mouvement ouvrier intcrnational. D'origine polonaise, elle est venu vivre en Allemagne pour militer dans le parti social-démocrate (tout en continuant à militer dans la Social-démocratie polonaise) où elle s'est rapidement imposée comme une des principales théoriciennes du SPD avant de devenir le chef dc file de la gauche de celui-ci. Elle est emprisonnée pendant la plus grande partie de la guerre mondiale pour ses activités internationalistes et elle n'est libérée que par la révolution allemande en novembre 1918. Elle participe activement à la fondation du KPD (le Parti conununistc d'Allemagnc, dont elle rédige le programme) à la fin de cette année, avant d'être assassinée deux semaines plus tard par les corps francs à la solde du gouvernement dirigé par ses anciens «camarades» du SPD, lequel est devenu le meilleur rempart de l'ordre capitaliste.
[3] [26] Eduard Bcrnstcin ( 1850-1932) : proche collaborateur d'Engcls jusqu'à la mort de cc dernier en 1895, il commence à publier à partir de 1896 une série d'articlcsa ppelant à une révision du marxisme et qui en fait le principal " théoricien " du courant opportuniste dans le SPD.
[4] [27] Leo Jogiches (1867-1919): un des principaux dirigeants du Parti social-démocrate de Pologne et de Lituanie (SDKPiL),compagnon dc Rosa Luxemburg pendant 15 ans. II participe à la fondation du KPD et il est élu à sa direction. Emprisonné quelques jours après, il est assassiné dans sa cellule dc prison en mars 1919.
[5] [28] August Bebel : (1840-1913) : un des principaux fondateurs et dirigeants de la Social-démocratie allemande et de la 2° Internationale. Il demeure jusqu'à sa mort la figure de proue de ces deux organisations.
[6] [29] Anton Pannekoek( 1873-1960) : principal théoricien de la Gauche au sein de la Social-démocratie de Hollande, également militant du SPD avant la guerre, fondateur du Parti communiste de ce pays et chef de file de sa Gauche qui va former le courant «communiste dc conseils».
[7] [30] Clara Zetkin(1857-1933) : membre du SPD où elle se situe à l'aile gauche aux côtés de son amie Rosa Luxemburg. Spartakiste pendant la guerre, elle est un des fondateurs du Parti communiste d'Allemagne (KPD).
[8] [31] Franz Mchring (1846-1919): un des leaders et théoriciens de l'aile eauchc de la So ial-démocratie allemande. Spartakiste pcndant la guerre et fondateur, avec Rosa I.uxcmburg, Liebknecht et d'autres, du KPD.
[9] [32] Julian Marchlewski (1866-1925) : dirigeant de la SDKPiL aux côtés de Rosa Luxemburg ct Jogiehes. Egaleiment militant en Allemagne, il participe activement au combat contre la guerre dans ce pays ainsi qu'aux premiers pas de l'Internationale communiste.
[10] [33] «la lutte contre le sectarisme au sein du SPD se posa dès le départ. En mai 1909, Mannoury (un mathématicien connu, dirigeant du parti) déclara que le SPD était le seul et unique parti socialiste, le SDAP étant devenu un parti bourgeois. Gorter, d’abord minoritaire, se battit avec acharnement contre cette conception, lui qui avait mené la bataille contre Troelstra avec le plus d'acharnement : il montra que - bien que le révisionnisme menât au camp bourgeois - le SDAP était avant tout un parti opportuniste au sein du camp prolétarien. Cette position avait des implications directes au niveau des activités dans la classe. ll était en effet possible de se battre avec le SDAP chaque fois que celui-ci détendait encore un point de vue de classe, sans la moindre concession théorique. » (La Gauche hollandaise, p. 34)
[11] [34] Kart Liebknecht (1871-1919) : membre de la fraction parlementaire de la Social-démocratie allemande, et un des seuls députés à voter contre les crédits de guerre en 1914. Figure la plus en vue de la Ligue Spartacus et un des fondateurs du KPD. Assassiné en même temps que Rosa Luxcmburg par des corps-francs à la solde de la direction du SPD.
[12] [35] Publié en anglais sur notre site Internet.
[13] [36] Amadeo Bordiga (1889-1970) : adhéra au Parti socialistc italien en 1910, se situant à l'extrême gauche. Adversaire déterminé de la guerre et du réformisme, il devint anti-parlementariste et participa à la création d'une" fraction socialiste intransigeante "du PSI en 1917. Elu à la direction de la nouvelle section italienne de 1'Internationale communiste après la scission avec le PSI en 1921. Exclu du PCI en 1930, il resta à l'écart des organisations jusqu'en 1949 quand il rejoint le Parti Communiste Internationaliste. Après la scission de 1952, il participa à la formation du Parti Communiste International, dont il resta le principal théoricien jusqu'à sa mort.
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