L'année 1991 s'ouvre avec la menace d'une guerre terriblement meurtrière, impliquant massivement l'armée de la première puissance capitaliste, les Etats-Unis, avec une plongée dans la récession ouverte de l'économie mondiale, d'énormes attaques contre la classe ouvrière des pays développés, une misère de plus en plus épouvantable, non seulement dans le "tiers-monde", mais aussi dans les pays de l'ancien "bloc de l'Est", au premier rang desquels l'URSS, ravagée par la famine.
Le monde n'entre pas dans un "nouvel ordre international", mais se trouve de plain-pied dans la phase ultime de la décadence du mode de production capitaliste, la décomposition ([1] [1]), avec, au coeur du tourbillon de la barbarie, la guerre de tous contre tous, au premier rang de laquelle les Etats-Unis, déterminés à défendre par tous les moyens militaires dont ils disposent, leur prépondérance mondiale sur I' "ordre" existant.
La guerre du golfe, vers le massacre
Au moment où nous écrivons, Baker, deuxième personnage de l’Etat US, vient de terminer sa tournée de rencontre des chefs d'Etat en Arabie, en Syrie, en URSS, en France, au cours de laquelle il a rappelé la détermination des Etats-Unis dans la "crise du Golfe" face à l’Irak. Bush revient de Tchécoslovaquie où il a relancé l’appel à suivre et soutenir les Etats-Unis dans leur croisade militaire. L'armée américaine effectue des grandes manoeuvres. Le nombre de soldats doit être porté après de 400 000. Des centaines de milliers d'irakiens férocement embrigadés sont sur le front. L'armée israélienne est sur le pied de guerre et toutes les armées, polices, milices de la région sont en effervescence. Le Moyen-Orient est à la veille d'une nouvelle tuerie, d'une violence sans précédent.
Contrairement à la propagande sur la fin de la "guerre froide" qui devait marquer l'ouverture d'un "nouvel ordre mondial" de paix, c'est le "réchauffement" de la guerre à tous les niveaux, c'est le chaos de la situation internationale et la décomposition du système capitaliste qui s'accélèrent.
Le "désarmement" ? Une course à des armes encore plus efficaces et plus adaptées à la guerre "moderne", avec mise au rebut du matériel inutilisable, et un engagement armé direct accru dans des conflits de la part des principaux pays protagonistes des 'conférences" et autres "accords^ sur ce soi-disant "désarmement", au premier rang desquels, le plus puissant, les Etats-Unis.
La "paix" ? C'est la multiplication des conflits, l'entrée dans la guerre directement et massivement de l'armée américaine, l'envoi de troupes et de matériel de plusieurs pays, y compris des pays développés, en quantité jamais vue depuis plusieurs décennies sur les champs de bataille, avec, en toile de fond, une récession sans précédent de toute l'économie mondiale. ([2] [2])
La "communauté internationale" ? Les résistances et les oppositions s'aiguisent entre les anciens "alliés" des Etats-Unis d'un "bloc de l'Ouest" désormais rangé au placard de l'histoire.
Les résistances des pays développes
La dislocation de la coalition anti-irakienne, vers le chacun pour soi
Alors que les Etats-Unis parvenaient à afficher l'unanimité de façade de la "communauté internationale" en août 1990, en déclenchant la "crise du Golfe" face au "fou Saddam", à peine deux mois plus tard, c'est ouvertement le chacun pour soi dans la dite "communauté".
La libération de tous les otages français fin octobre 1990, à l'initiative de Saddam Hussein, sans négociation apparente, a montré ce que valait la détermination des "alliés" des USA et le "solennel engagement" pris quelques jours plus tôt... de "ne pas négocier séparément avec l'Irak". C'est apparemment Cheysson, ancien ministre français des affaires étrangères, qui a eu des "contacts" avec son homologue irakien. A sa suite, Bagdad a accueilli une procession de personnalités politiques de premier plan, venant négocier ouvertement la libération d'otages, et certainement bien d'autres choses plus discrètement : Willy Brandt, ex-chancelier de RFA, président de l’"Internationale socialiste", prix Nobel de la Paix, Nakasone, ex-premier ministre du Japon, Primakov, conseiller particulier de Gorbatchev, le ministre Chinois des affaires étrangères, d'ex-premiers ministres de pays plus secondaires, Danemark et Nouvelle-Zélande, des délégations de parlementaires italiens et irlandais, et d'autres.
Ce défilé n'était pas le résultat d'initiatives individuelles. C'est avec la bénédiction de Kohl que Brandt fait le voyage, c'est évidemment un voyage officiel que fait le ministre chinois, Cheysson n'a pas été démenti lorsqu'il a vendu la mèche sur sa véritable mission. Nous sommes loin de la réprobation générale qui avait marqué le voyage, durant l'été 1990, d'un Kurt Waldheim, lorsqu'il alla chercher des ressortissants autrichiens. Il ne s'agit pas non plus d'un partage des tâches pour piéger l'Irak, entre les Etats-Unis jouant les intransigeants et les autres jouant les conciliants. Les réactions américaine et anglaise sont là pour le montrer. Là réaffirmation brutale du refus de négocier avec l'Irak, les critiques fermes et intransigeantes de Bush, Thatcher et Baker prouvent que les désaccords sont bien réels au sein de la coalition "onusienne".
Les "traitements de faveur" consentis par l'Irak à l'égard d'un certain nombre de pays, notamment à l'égard de la France, ne sont pas des fleurs gratuites. Ils visent à enfoncer un coin entre les différents "alliés" de la coalition anti-Irak. Si Saddam Hussein a mené une telle politique de marchandage de son stock d'otages contre la venue de tel ou tel homme politique de renom, c'est bien parce qu'il était conscient des clivages existant entre ces divers pays. Et cette politique a rencontré un succès certain.
Alors que les USA demandent au Conseil de sécurité de PONU de voter une résolution autorisant "le recours aux armes", les résistances de la France, de l'URSS et de la Chine, membres permanents de ce Conseil, font que celui-ci accouche finalement d'une résolution appelant au... "renforcement de l'embargo" ! Alors que les USA fidèlement secondés par la Grande-Bretagne, renforcent constamment leur potentiel militaire dans le Golfe, que leur discours se fait de plus en plus menaçant, la France traîne les pieds, fait reculer ses troupes du front, relance l'option diplomatique, avec le discours de Mitterrand à PONU, la réunion Gorbatchev-Mitterrand, et la première déclaration, depuis le début de la crise, de Rocard, le premier ministre en voyage à Singapour, sur les nécessités... d'"explorer toutes les voies de la négociation". Le Japon et l'Allemagne restent silencieux.
L'unité du "monde libre" a vécu. Les événements d'octobre 1990 auront été les premières manifestations dans les faits de la tendance de fond inscrite dans les nouvelles conditions créées par la disparition du bloc impérialiste russe en 1989 : la disparition du "bloc de l'Ouest", l'accélération de la décomposition, le chacun pour soi de tous les Etats capitalistes, la lutte de tous contre tous, et, au premier rang de celle-ci, l'empoignade entre les principaux pays industrialisés.
La loi du plus fort
Les Etats-Unis sont prêts à passer outre leurs "alliés", PONU et tout le monde. Si la bourgeoisie américaine est prête à la guerre contre l'Irak, au sacrifice de milliers de "boys and girls", ce n'est pas pour le Koweït, pour la défense du "droit international", mais pour montrer sa force et signifier sa détermination aux autres pays les plus développés. La bourgeoisie française, par exemple, s'est ainsi faite expulser de ses zones d'influence traditionnelles au Moyen-Orient, de l'Irak d'abord, et aussi de Beyrouth, les Etats-Unis donnant le feu vert à la Syrie pour une annexion du Liban, aussi musclée et meurtrière que celle de Hussein au Koweït.
Dans tous les domaines se multiplient les accrocs dans les relations :
- dissolution du réseau secret d'influence et de contrôle mis en place par les USA au lendemain de la 2e guerre mondiale (le "scandale" du "Gladio" en Italie, mais aussi en Belgique, en France, en Hollande, en Allemagne) ;
- diktat des USA dans les négociations du GATT, sur les subventions des pays d'Europe en soutien à leur secteur agricole ;
- multiplication des "affaires" d'"espionnage industriel", vis-à-vis du Japon notamment, mais aussi de la France ; etc.
Et tout ceci n'est encore que de l'anecdote à côté des formidables divergences d'intérêts qui vont grandir, de plus en plus ouvertement, entre les plus grands pays industrialisés, avec une guerre économique et commerciale redoublée, du fait de l'accélération brutale de la crise.
L'opposition entre les USA, secondés par la Grande-Bretagne, et les autres
C'est tout l'ancien rapport des forces politico-militaire et géo-stratégique de la planète qui a été bouleversé de fond en comble avec l'écroulement du bloc impérialiste russe. Et cette situation a non seulement ouvert une période de chaos total dans les pays et régions de cet ancien bloc, mais elle a aussi accéléré partout les tendances au chaos, menaçant P"ordre" capitaliste mondial dont les Etats-Unis sont les principaux bénéficiaires. Ces derniers ont été les premiers à réagir. Ils ont suscité la "crise du Golfe" en août 1990, non seulement pour prendre pied de façon définitive dans la région, mais surtout, et c'est ce qui a été décisif dans leur détermination, pour en faire un exemple destiné à servir d'avertissement à quiconque voudrait s'opposer à leur place prépondérante de super-puissance dans l’arène capitaliste mondiale.
Pour les USA, la situation est claire. Leur intérêt national, comme première puissance mondiale (et de loin), s'identifie parfaitement à l’"ordre" existant, à l'intérêt global du capital face à la décomposition qui entraîne l'éclatement de tout le système de relations internationales. Parmi les grandes puissance la Grande-Bretagne est le seul pays qui ait manifesté un soutien indéfectible envers les Etats-Unis, du fait de l'orientation traditionnelle de sa politique étrangère, de ses intérêts au Koweït, et surtout du fait de son expérience particulière du "leadership" mondial, qui lui permet de mieux comprendre les enjeux de la situation présente.
Par contre, pour les autres puissances, la situation est beaucoup plus contradictoire. Si tous ont intérêt à freiner la tendance à la décomposition, ce qui motive la condamnation unanime de l'invasion du Koweït, leur intérêt propre n'est pas pour autant que les USA renforcent encore leur prépondérance, ce qu'ils ne peuvent faire qu'au détriment de leurs principaux concurrents.
L'opération militaire engagée par les USA qui devait amener la paix au Moyen-Orient, par une guerre justifiée aux yeux de tous parce qu'elle devait maintenir l'ordre des grandes "démocraties" et des "libertés", n'a pas vu la soudure des grandes puissances "démocratiques", mais le début de la débandade.
En fait, ces différents pays sont pris dans un piège. En jouant son rôle de gendarme contre un pays arriéré et de deuxième ordre, dès le début, les Etats-Unis ne visent pas seulement à contenir le chaos qui se développe dans le "tiers-monde", mais aussi celui qui menace de s'établir entre les pays avancés. Ce ne sont pas seulement les ambitions des Etats périphériques qu'ils se proposent de contenir, mais aussi et surtout celles des Etats centraux. Par contre, ces derniers sont évidemment intéressés au premier objectif des Etats-Unis, le maintien de l'ordre dans les zones périphériques, mais nullement au second.
En faisant étalage de leur surpuissance militaire, les USA montrent la faiblesse relative des autres. Les américains ont envoyé leurs troupes dès le début sans attendre l'accord des "alliés", qui ont du se rallier sous la pression plus que par conviction. Tant que l'action contre l'Irak prenait la forme d'un blocus ou d'un isolement diplomatique, ils pouvaient prétendre jouer un petit rôle, et ainsi faire valoir leurs intérêts particuliers. En revanche l'offensive militaire ne peut que faire ressortir l'énorme supériorité des Etats-Unis et l'impuissance de leurs "alliés".
Ces pays ne sont pas aujourd'hui, et pour longtemps encore, aptes à rivaliser avec les Etats-Unis sur le plan politico-militaire. Le Japon et l'Allemagne accusent un retard important dans le domaine militaire. La mobilisation et l'armement français n'existent qu'intégrés dans le système militaire américain, comme le montre la lamentable prestation française en Arabie Saoudite, totalement dépendante de la couverture des Etats-Unis. Il en est de même de l'engagement de la Grande-Bretagne. Les principaux rivaux économiques ne sont pas armés, et ceux qui le sont, dotés d'un armement cent fois moins puissant et efficace, ne peuvent rivaliser avec les Etats-Unis. Le moment est donc propice pour les USA. L'Irak lui en a fourni l'occasion, et comme il est de notoriété publique aujourd'hui, les Etats-Unis connaissaient les préparatifs de l'Irak pour l'invasion du Koweït, ils 'ont laissé faire, sinon plus.
Les USA, gendarme du Moyen-Orient, gendarme du monde
Le contexte général dans lequel se débat la première puissance capitaliste mondiale ne peut que la pousser a la guerre, à défendre son hégémonie face à l'effondrement de pans entiers du capitalisme qui entraîne les bourgeoisies locales, les impérialismes régionaux, étranglés, dans des aventures militaires dangereuses pour la bonne marche de la "pax americana", remise en cause par la nouvelle situation. Les Etats-Unis ont été déterminés, dès la fin de la guerre Iran-Irak, à empêcher que la puissance militaire de l'Irak rompe 1'"équilibre" des forces de la région. C'est par cet "équilibre" entre les différents pays sur le plan militaire, qu'ils peuvent renforcer leur contrôle sous couvert du rôle de 1' "arbitre".
A l'heure où l'économie s'effondre, les USA savent que, pour garder leur contrôle de l'économie mondiale, ils devront utiliser leur force militaire. Si c'est surtout de l'arme économique que les USA ont joué dans les décennies précédentes depuis la fin de la guerre du Vietnam, face au rival impérialiste russe, avec l'effondrement économique actuel, c'est de plus en plus de leur suprématie militaire qu'ils doivent user pour garder leur "leadership" du système capitaliste.
Une seule solution : la lutte de classe
La guerre USA-URSS n'aura pas lieu, mais la "logique de guerre" engagée aujourd'hui montre que le déchaînement de l'impérialisme ne cesse pas pour autant. Il menace dès aujourd'hui de mettre à feu et à sang le Moyen-Orient. Et ce n'est que le début d'une série de conflits armés et d'opérations militaires, de guerres "ethniques" ou "nationales" meurtrières.
Dans les pays les plus développés, la classe ouvrière ne se trouve pas confrontée à une mobilisation générale, comme ce fut le cas lors des Ire et 2e guerre mondiale. Elle n'est pas embrigadée militairement comme c'est le cas pour le prolétariat d'Irak et des pays en guerre aujourd'hui. Mais pour autant, la guerre au Moyen-Orient, le déséquilibre total de toute cette région, les énormes destruction que va entraîner la spirale guerrière, le bain de sang ourdi par le capitalisme mondial pour le maintien (fun résidu d' "ordre" international, ne sont pas "lointains", étrangers à la classe ouvrière des métropoles industrialisées. Ce n'est pas encore ce prolétariat qui paie de son sang dans des tranchées ou sous des bombardements, mais ce prolétariat est déjà au premier rang pour payer la facture du "maintien de l'ordre" capitaliste, avec 1’attaque redoublée de ses conditions d'existence. Une exploitation renforcée, l'inflation et le chômage, les baisses des salaires, des retraites et de toutes les allocations, la "flexibilité" des heures de travail, la dégradation continue de la santé, des transports, du logement, de l'éducation, de la sécurité, sont des attaques économiques sans précédent depuis la 2e guerre mondiale.
La mobilisation générale sous les drapeaux pour combattre dans l'armée nationale n'est pas à l'ordre du jour dans les pays développés, parce que le prolétariat n'a pas subi de défaite massive et décisive dans ses luttes économiques contre l'austérité, dans les tentatives d'extension et de prise en mains de celles-ci tout au long des années 1980. Mais le lourd tribut déjà payé aujourd'hui du sang des prolétaires enrôlés directement dans des massacres impérialistes, annonce celui qui menace le prolétariat des grandes concentrations industrielles.
La classe ouvrière a pu repousser au cours des vingt dernières années la destruction totale de la planète par l'holocauste inter-impérialiste, en particulier lors des périodes de luttes ouvrières importantes, internationalement, dans les années 1968-75, 1978-81, puis 1983-89. Aujourd'hui, le capitalisme pourrit sur pied, se décompose, et la menace de destruction totale est plus que jamais présente. Dans le fait qu'il n'existe plus l’"équilibre de la terreur", il n'y a certainement plus l’"équilibre" que constituait la présence de deux super-puissances, mais la "terreur" subsiste et va s'accentuer encore, à tous les niveaux.
L'alternative socialisme ou barbarie est plus que jamais à l'ordre du jour. Le capitalisme ne mourra pas de lui-même. Il n'a pas pu entraîner l'humanité à sa fin dans la terreur nucléaire instantanée, mais, par sa dynamique propre, sa survie ne peut mener qu à une horreur sans fond pour l'humanité, qui ne pourra aboutir qu'au même résultat.
Ce cours catastrophique, vers lequel conduit la persistance des rapports de production capitaliste dans le monde, ne peut être enrayé que par le développement de la lutte de classe du prolétariat, une lutte consciente de sa propre force comme classe sociale, antagoniste à tous les intérêts particuliers des autres classes et couches de la société et qui, en défendant ses propres intérêts, est la seule force capable de prendre en charge la destruction du pouvoir politique du capitalisme à l'échelle mondiale, garant de l’"ordre" de ce monde à l'agonie.
Seules les luttes du prolétariat, les luttes ouvrières, internationalement, et en premier lieu dans les grands pays industrialisés, peuvent enrayer le bras armé du capitalisme mondial. La dynamique propre du système capitaliste ne peut mener qu'à la barbarie guerrière. Il ne peut y avoir de "paix dans le capitalisme, aujourd'hui moins encore qu'au cours des vingt dernières années.
JM, 18 novembre 1990.
L'effondrement économique des pays d'Europe de l'Est, qui a déterminé, il y a un an, la disparition de fait du bloc impérialiste dominé par l'URSS, a été l'occasion pour les "démocraties" industrialisées d'impulser une campagne idéologique intense, sur le thème de la supériorité du capitalisme. Cette campagne qui est venue faire l'apologie du capitalisme face au "communisme" de l'Est reposait sur un double mensonge :
- celui de la nature "communiste" du système de production des pays de l'ex-bloc russe, qui n'était en fait que du bon vieux capitalisme, marqué par le poids du sous-développement, d'une bureaucratie absurde et omniprésente, et par les spécificités historiques du stalinisme, issu de l'écrasement de la révolution russe, notamment la mainmise de l'Etat sur l'ensemble des moyens de production ;
- celui de la santé économique de l'Occident qui, malgré les rodomontades d'un Reagan sur la prospérité retrouvée de l'économie capitaliste, n'a cessé tout au long des années 1980 de s'enfoncer dans une récession larvée.
Les fameux remèdes miracles du "libéralisme", n'ont finalement consisté qu'en une remise à jour et une utilisation plus massive que jamais des vieilles recettes du capitalisme d'Etat : fuite en avant dans le crédit, développement de l'économie de guerre, manipulation des marchés et tricheries grandissantes avec la loi de la valeur. Tout cela n'a pas empêché l'économie des pays industrialisés de sombrer, peu à peu, dans le marasme, même si la chute a été freinée. Le bilan soi-disant positif n'a pu être tiré que par contraste avec la catastrophe qui se développait à la périphérie, et grâce à une manipulation éhontée des indices économiques.
Fin 1989, la bourgeoisie occidentale sombrait dans une douce euphorie : aveuglée par ses propres statistiques trompeuses, la classe dominante rêvait à l'inflation contenue, à la croissance du chômage arrêtée, à la croissance économique solide avec la perspective de l'ouverture de nouveaux débouchés en Europe de l'Est. Rien ne semblait entamer ce bel enthousiasme, ni la misère insondable dans laquelle sombrait irrémédiablement et toujours plus profondément la majorité de la population mondiale habitant la partie sous-développée de la planète, ni l'avertissement renouvelé que constituait, après l'effondrement économique du tiers-monde au début des années 1980, celui des pays de l'Est à la fin de la décennie. Les cris d'alarme des économistes encore lucides étaient ignorés.
Un an plus tard, le climat a bien changé, l'euphorie s'est transformée en une panique grandissante qu'est venu illustrer l'affolement des spéculateurs face à la chute dramatique du cours des actions et l'effondrement des places boursières du monde entier durant l'été 1990.
Les mirifiques marchés de l'Est se sont envolés devant l'évidence de leur manque de solvabilité, et surtout, la principale économie du monde, celle des USA, est en train de plonger de manière accélérée dans les gouffres de la récession entraînant l'ensemble de l'économie mondiale, et notamment ses pôles les plus développés d'Asie et d'Europe, à sa suite.
La prospérité des années 80 : le mensonge d'une campagne idéologique de la bourgeoisie
La nécessité pour la classe bourgeoise, afin d'assurer sa domination sur les autres classes de la société, et avant tout sur la classe ouvrière, d'affirmer la force, la santé de son système économique, de rendre crédible ses perspectives de développement futur, est un impératif idéologique fondamental. Cette vérité s est exprimée avec de plus en plus de force tout au long des années 1980. Ce n'est évidemment pas par hasard si l'économie est devenue un thème de plus en plus central et constant des campagnes d intoxication idéologiques au fur et à mesure que la situation de l'économie mondiale se détériorait. Masquer la réalité de la dégradation économique a été un des thèmes dominants de la présidence Reagan.
Le recours massif au crédit a permis de créer des débouchés artificiels pour maintenir la production. La discipline imposée par les USA, au groupe des sept plus grands pays industrialisés, a permis de faire accepter une baisse du dollar pour soutenir la compétitivité de l'économie américaine. Mais toutes ces mesures n'ont pas été suffisantes pour sortir l'économie du marasme et, tout au plus, celles-ci ont surnagé dans la catastrophe générale.
Pour faire croire que cette récession larvée était en fait la preuve de la prospérité retrouvée, pour jouer cette comédie, il fallait bien un acteur hollywoodien ! Mais la bourgeoisie mondiale ne s'est pas contentée des rodomontades gratuites du matamore Reagan proclamant avoir vaincu la crise, terrassé l'inflation, bridé le chômage et créé les conditions d'une croissance que rien ne pourrait entraver. Pour donner du sérieux à ses affirmations, elle a avancé une montagne de chiffres, d'indices, de statistiques, tous plus "sérieux" et "officiels" les uns que les autres, et pour les besoins de la cause, dans un zèle à la mesure de ses propres illusions, elle a affiné ses méthodes statistiques, modifié ses modes de calcul, réformé sa comptabilité. Bref elle s'est livrée à une gigantesque manipulation pour gommer cette réalité qu'il lui faut à tout prix cacher, celle de l'enfoncement de plus en plus profond du capitalisme dans la crise. Les données économiques de la bourgeoisie, même si elles reflètent dans une certaine mesure la réalité, car cela est nécessaire à la gestion de son système, n'en constituent pas moins une gigantesque tricherie. La croissance est gonflée par les chiffres, tandis que, par exemple, les indices d'inflation ou le nombre de chômeurs sont profondément minimisés. C'est ainsi que le mythe de la prospérité des années 1980 a été entretenu.
Ces campagnes de mystification ont eu un effet sur le prolétariat et ont entravé sa capacité de lutter. Même si, fondamentalement, les années 1980 ont été marquées par une reprise de la lutte du prolétariat face à la dégradation évidente de ses conditions de vie, cette lutte de classe a été freinée, notamment dans les centres principaux du capitalisme développé. Le réel développement de la pauvreté pouvait, relativement à la misère indescriptible qui grandissait dans les pays du "tiers-monde", y paraître comme un moindre mal, et, dans une certaine mesure, rendre plus crédible l'idée qu'en acceptant de se serrer la ceinture, peut-être que demain, cela pourrait aller mieux, ou que le pire pourrait pour le moins être évité. La faillite économique du bloc de l'Est, l'identification de celle-ci avec la faillite du communisme, l'apparente victoire du capitalisme à la sauce démocratico-libérale, dans la continuité des campagnes médiatiques intenses sur la santé prétendument retrouvée de l'économie bourgeoise, a été un facteur de déboussolement profond du prolétariat mondial, qui s'est traduit par un recul provisoire de sa capacité de confronter la classe adverse.
Comme une caricature de cette situation, le prolétariat des pays d'Europe de l'Est qui, pendant des décennies, a été confronté au mensonge stalinien, à l'incurie bureaucratique la plus crasse, au pouvoir féroce des petits chefs du Parti, à la pénurie et au rationnement, tout cela au nom du "communisme", a cru qu'enfin son rêve d'abondance et de prospérité, identifié avec le capitalisme à l'occidentale, allait se réaliser, avec la fin de la tutelle russe, et la mise en place de mesures d'économie libérale, qui étaient soi-disant la condition du succès. Que d’illusions qui, seulement un an après l'ouverture du mur de Berlin, sont en train de s effondrer comme le niveau de vie dans les pays de l'Est.
La fin des illusions: la plongée dans la récession
Quelques mois après que les médias du monde entier aient claironné sur tous les tons, dans un vacarme assourdissant, la victoire du capitalisme, la promesse d'une nouvelle ère de prospérité et de paix, patatrac, le rêve trompeur est brutalement brisé durant l'été 1990. L'invasion du Koweït par les troupes irakiennes, la flambée des cours de l'or noir qui en a résulté, ont été le facteur déclenchant le plus grand effondrement boursier depuis 1929. Cette situation va être mise à profit par la classe dominante pour tenter de faire croire que Saddam Hussein est le principal responsable de la crise économique mondiale ! Mais avec les semaines, le tableau va se préciser : en fait, depuis des mois, l'économie américaine a accéléré sa plongée dans la récession, et ce titan, qui représente 20 % de la production mondiale, entraîne l'économie planétaire dans son saut dans le vide, bien avant les événements du golfe.
Graphique 1 : Indicateur avancé de la production industrielle - États-Unis
Avec le ralentissement de l'économie américaine, ce sont les exportations de tous les pays de la planète vers le principal marché du monde qui chutent, et par réaction en chaîne, chacun essayant de rééquilibrer sa balance commerciale, ce sont toutes les exportations qui chutent, et partout la production diminue. Le Japon et l'Allemagne ont vu leurs exportations baisser de 22,8 % et de 8 % au premier semestre 1990. En septembre, la France a vu son déficit commercial battre un record avec -10 milliards de francs, et significativement les 4/5 sont dus à la baisse des exportations, alors qu'1/5 "seulement" est dû au surenchérissement de la facture pétrolière. Partout, les signes de la récession se précisent. La RFA, premier exportateur mondial, vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance, l'estimant pour l'année qui vient à un petit 1,5% (à comparer au 4,2% de 1989). Au Canada, proche voisin des USA dont il est dépendant économiquement, depuis un an les chiffres officiels indiquent la récession, -1 % pour 1990. A l'autre bout du continent, le Brésil annonce une baisse de 5 % de sa production, chiffre probablement profondément sous-estimé. Qui se souvient encore qu'à la fin des années 1970 ce pays était considéré comme le modèle d'une économie en voie de développement ? Les petits dragons d'Asie, le nouveau mythe, sont en train de prendre le même chemin. Taiwan et la Corée du Sud divisent par deux leurs espoirs de croissance.
En Europe de l'Est, l'Eldorado annoncé se révèle être un champ de ruines. Dotés d'un appareil productif complètement obsolète, les pays de 1’ex-bloc de l'Est sont incapables, après avoir perdu leurs marchés privilégiés du COMECON en voie de disparition, de faire face à l'ouverture vers le marché mondial. La production s'effondre. Dans l'ex-RDA, qui était pourtant le pays le plus compétitif d'Europe de l'Est, a réunification met en évidence que 4/5 des usines devront être soit fermées, soit reconstruites, car elle sont absolument inadéquates aux critères de compétitivité occidentaux, c'est-à-dire, ceux du marché mondial. Résultat, la production s'effondre brutalement : -10 % au premier semestre. Et dans les autres pays: Bulgarie, -10%; Hongrie, -10%; Pologne, -28 % ; Roumanie, -18 % ; Tchécoslovaquie, -3 %.
L’édifice capitaliste se lézarde : faillites et chômage
C'est à un véritable effondrement de la production mondiale auquel nous assistons. En conséquence, tout l'édifice capitaliste, qui repose sur les fondations de son appareil productif, se lézarde : les bénéfices des entreprises tondent comme neige au soleil et cèdent la place à des pertes de plus en plus colossales ; les faillites se multiplient ; la spéculation s'effondre et les marchés boursiers, immobiliers, financiers, etc., sont gagnés par la panique. Après la crise boursière s'annoncent les crises financières et monétaires. Les bourses ont perdu la moitié de leur valeur, et sont aujourd'hui dans le coma, maintenues artificiellement en survie par les artifices étatiques. Aux USA, l'immobilier a plongé de 30%, en GB, l'immobilier de bureau en fait autant, tandis qu'en France et au Japon, la spéculation immobilière est en train de s'arrêter, annonçant la future baisse des prix.
L'évidence de la plongée des pôles les plus développés de l'économie mondiale dans la crise ne peut plus être masquée par les manipulations statistiques. Ainsi, alors que, face à l'inquiétude grandissante, Washington annonce le chiffre prévisionnel de croissance de 1,8 % pour le quatrième trimestre 1990, personne n'y croit, et, selon un sondage, 77 % des américains sont persuadés aujourd'hui de la réalité de la récession, lus que tous les indices obscurs balancés par les médias, plus que les chiffres colossaux qui perdent tout sens commun, plus que les gesticulations surréalistes dans les bourses du monde entier, c'est dans la réalité de la dégradation de ses conditions de vie que le prolétariat constate durement la faillite du capitalisme. Avec la baisse d'activité, les programmes dits d'"assainissement", de "restructuration", de "rigueur", appliqués par les gestionnaires capitalistes, signifient : licenciements, chômage, salaires réels en baisse, pouvoir d'achat rongé par l'inflation, augmentation des impôts, bref une misère grandissante. Ces derniers mois, les attaques de la classe dominante contre les conditions de vie de la classe ouvrière se sont intensifiées, et le pire est encore à venir, tout le monde le sait.
Pas un jour ne passe sans que l'annonce d'une mauvaise nouvelle ne vienne assombrir toujours plus le tableau calamiteux de l'économie mondiale. Ces dernières semaines, la liste des ténors de la production mondiale en difficulté s'est démesurément allongée, dans tous les secteurs et dans tous les pays. Ainsi dans l'automobile, secteur clé de l'économie mondiale, General Motors est confronté à une perte record de 2 milliards de dollars au troisième trimestre, et 20 000 employés seront affectés par les fermetures d'usines prévues ; Ford annonce pour cette même période une chute de 78 % de ses bénéfices ; Chrysler, pour ce troisième trimestre catastrophique perd 214 millions de dollars. Les firmes européennes ne sont pas mieux loties. Avec un marché européen qui s'est contracté de 3 % en 1990, Renault est confronté à une baisse de 60 % de ses bénéfices, Peugeot a réduit ses effectifs de 5 %, et pour faire face à la baisse des commandes, Fiat met 70 000 ouvriers au chômage technique. Dans l'industrie connexe du pneumatique, le numéro un mondial, Michelin, doit faire face à une perte de 2,3 milliards de francs et annonce plusieurs milliers de licenciements ; son second, Goodyear, évalue ses pertes à 61,4 millions de dollars, et prévoit 3 000 licenciements. Dans les transports aériens, pourtant en plein boom ces dernières années, pour l'ensemble de la profession les pertes à assumer cette année sont évaluées à 3 milliards de dollars. Air France affiche, pour le premier trimestre 1990, une perte de 263 millions de francs ; Lufthansa, 500 millions de francs ; et, au même moment, KLM voit ses bénéfices fondre de 78 % et annonce dans la foulée 500 suppressions d'emplois. Air Canada licencie 2 900 employés, tandis qu'US Air et Pan Am réduisent leurs effectifs respectivement de 7 et 9 %. Les secteurs de pointe ne sont pas épargnés : dans l'électronique, Philips annonce 45 000 licenciements, et Thomson annonce des résultats nets en baisse de 80 % sur les six premiers mois de l'année 1990. Dans l'industrie informatique, Unisys souffre de 356 millions de dollars de pertes au troisième trimestre 1990, et, après avoir déjà réduit ses effectifs de 20 000 employés, décide 5 000 nouveaux licenciements. En Europe, Bull doit supporter 2 milliards de francs de pertes pour le premier trimestre. En aval, dans l'industrie des composants, Texas Instruments doit faire face à 7 millions de dollars de perte, et National Semi Conductor a réduit de 6 % ses effectifs.
Cette liste, pourtant déjà longue, est tout sauf exhaustive. Elle pourrait se poursuivre sur des pages et des pages.
Les faillites se multiplient. En conséquence, le chômage connaît une nouvelle flambée. Les taux du début des années 1980 ne sont pas encore officiellement atteints, mais cela ne saurait tarder au rythme actuel des suppressions d'emplois. Depuis le début de l'année 1990, 600 000 emplois ont été perdus par l'industrie américaine, 100 000 pour le seul mois d'octobre. Depuis 3 mois consécutifs, le chômage progresse, ce qui ne s'était pas vu depuis 1982. De juillet à septembre, il est passé de 5,4 a 5,7 % selon l'indice officiel, tel qu'il est comptabilisé par les statistiques truquées. Pour l'ensemble de la CEE, le chômage, qui est resté à un niveau élevé depuis le début de la décennie 1980, recommence, après un an de baisse, à augmenter, +0,1 %, pour atteindre 8,4 % de la population active. Tout indique que le chômage va battre de nouveaux records au coeur du monde industrialisé.
En Europe de l'Est, les prolétaires qui n'avaient jamais réellement été confrontés au chômage, découvrent brutalement les "délices" du capitalisme de marché. Ainsi, pour la fin de l'année, sont attendus : 100 000 licenciements en Hongrie et Tchécoslovaquie ; 1 500 000 chômeurs en Pologne, 2 000 000 en RDA et 3 000 000 en URSS.
Parallèlement au développement du chômage, avec la même logique d'austérité les entreprises s’attaquent aux salaires. Le pouvoir d'achat diminue et le marché se rétrécit d'autant, accélérant la spirale descendante de la récession, les ventes de biens de consommation baissent, la production diminue, et en conséquence, les entreprises réduisent leurs achats en biens de production, accélérant encore plus la récession.
Avec la baisse de l'activité, les rentrées en impôts de l'Etat se réduisent, les déficits budgétaires se creusent, et les gouvernements, avec la logique des gestionnaires capitalistes qu'ils sont, dégraissent à leur tour leurs effectifs, pour équilibrer leur comptes, attaquent les salaires des fonctionnaires, lèvent de nouveaux impôts, taillent dans les programmes sociaux : santé, éducation, allocations chômage, etc. L'activité économique se contracte encore plus et les conditions de vie de la classe ouvrière plongent dans la misère.
Des dettes qui ne seront jamais remboursées : vers la crise financière
Cette dynamique de la récession, à laquelle se confronte le capital, incapable de trouver de nouveaux débouchés solvables à la mesure de ses capacités productives, est à l'oeuvre depuis la fin des années 1960. Mais cette tendance, inhérente aux contradictions de l'économie capitaliste, a pu être en partie contrecarrée par la création de marchés artificiels résultant d'un recours massif à la planche à billet et au crédit. Durant vingt ans, les capitalistes ont vendu leur trop-plein de marchandises a crédit, mais cette politique rencontre maintenant ses limites, et les échéances arrivent à terme.
La fuite en avant dans le crédit, durant les années 1980, traduit, de manière caricaturale, l'absurdité du fonctionnement du capitalisme en crise. Afin d'écouler leurs marchandises, les grands pays industrialisés ont prêté massivement de l'argent. Aujourd'hui, il apparaît clairement que toutes ces dettes ne seront jamais remboursées. C’est-à-dire que pour entretenir l'illusion d'une activité économique prospère, les pays centraux payent de fait, ce qu’ils vendent, avec des crédits qui ne seront jamais remboursés, donc de la monnaie de singe !
Le développement du crédit ne traduit donc pas la prospérité, mais au contraire les contradictions insolubles et explosives dans lesquelles s’enfonce l'économie mondiale.
Cette politique d'endettement n'a pas permis d'empêcher 1’affaissement croissant de l'économie mondiale. Seuls ses pôles les plus développés, les pays les plus industrialisés, ont été préservés de l'effondrement économique dramatique qui a submergé la majeure partie de la planète. Pour autant, eux aussi ont subi les effets de la crise, et le marasme, dans lequel ils s'enfoncent, n'a pu passer pour un semblant de prospérité que par rapport à la catastrophe qui s'étendait à la périphérie sous-développée.
Avec les années 1980, les Etats-Unis sont devenus le pays le plus endetté du monde : la dette interne se monte à 10 000 milliards de dollars, et la dette externe à plus de 700 milliards, pulvérisant tous les records. En 1989, la dette extérieure a crû de 25 %, et pourtant cette manne n'a pas suffi à alimenter les carnets de commande de l'industrie et empêcher l'appareil productif de s'enfoncer dans la récession. La fuite en avant dans le crédit est non seulement de plus en plus difficile par rapport aux disponibilités du marché mondial, mais aussi, étant donné le niveau actuel d'endettement, elle ne peut se faire sans provoquer, à terme, une crise financière et monétaire majeure.
La recette appliquée sous la présidence Reagan a perdu son "efficacité", et la récession entamée en 1981, dont le plus gros des effets négatifs a été répercuté, dans un premier temps, sur les pays de la périphérie, revient en force ébranler l'édifice économique et social des grandes puissances développées.
La montagne de dette est une montagne d'impayés. Avec la baisse de l'activité, les entreprises à la trésorerie déficiente ne peuvent plus faire face aux traites ; les particuliers, le niveau de vie rongé par l'austérité, ont de plus en plus de mal à rembourser les crédits, et les banques voient grimper le solde des créances douteuses dans les grandes métropoles capitalistes. Après les déboires dans le "tiers-monde", c'est à des défauts de paiement au coeur de leur système que les banques sont confrontées. De plus, à ce bilan inquiétant, viennent s'ajouter les pertes dues à l'effondrement de la spéculation. Résultat : les banques elles aussi voient leurs comptes entrer dans le rouge et les faillites se multiplier.
Aux USA, les plus grandes banques sont dans la tourmente : Citycorp annonce, pour le troisième trimestre 1990, des pertes de 38,3 millions de dollars, et prévoit 2 000 licenciements ; Chase Manhattan, pour a même période, se paie le luxe d'un déficit de 623 millions de dollars, et, du coup, dégraisse ses effectifs de 5 000 personnes. Dans le secteur boursier, où les faillites se sont multipliées, Drexel Burnham par exemple, les survivants sont mal en point, et la firme de courtage Merryll Lynch envisage une réduction de 10 % de ses effectifs, soit environ 4 000 personnes. Les faillites en cascade des caisses d'épargne ("Saving and loans") laisse une ardoise officiellement estimée à 500 milliards de dollars à l'Etat fédéral qui garantit les dépôts à concurrence de 100 000 dollars. Le General Accounting Office, un organisme officiel, prévoit que 35 des 400 premières banques américaines devront être assistées ou mises en faillite.
En Europe ou au Japon, la situation n'est guère meilleure : en France par exemple, les bénéfices semestriels des banques ont baisse de 15 à 20 %, au Japon, Nomura, la plus grande maison de titres mondiale, a annoncé une baisse de 48,5 % de ses bénéfices. La crise boursière de l'été est en train de laisser la place à une crise financière majeure.
La chute de la production n'en finit pas d'ébranler tout l'édifice capitaliste. Les rentrées en impôts dans les caisses de l'Etat se réduisent avec l'activité économique, les déficits se creusent. Malgré toutes les promesses de la loi Graham-Rudman, qui prévoyait de ramener le déficit budgétaire à 60 milliards de dollars en 1990, ce déficit rejoint cette année le record historique de 1986, culminant à 220 milliards de dollars. Comment financer de tels déficits ? Le problème se pose de plus en plus. Les deux principaux bailleurs de fond des USA durant les années 1980, ont d'autres chats à fouetter :
- le géant allemand se retrouve avec un véritable boulet aux pieds pour financer la reconstruction de l'ex-RDA, la réunification. Le déficit de l'Etat germanique a brusquement gonflé de 50 %, 150 milliards de deutschemarks prévu pour 1991. De second prêteur sur le marché mondial, l'Allemagne est en train de devenir un du principal emprunteur ;
- haut lieu de la spéculation mondiale dans les années 1980, principal bailleur de fonds du monde, le Japon est, comme un lutteur de sumo fatigué, menacé d'apoplexie. Pour faire face aux conséquences de l'effondrement de la spéculation qui fait plonger son économie dans la crise financière, il doit rapatrier en masse ses capitaux et assèche d'autant le marché international.
Dans ces conditions, les dirigeants US n'ont d'autre choix que de lever de nouveaux impôts, et pratiquer des coupes sombres dans les dépenses de 1’Etat. La comédie médiatique aux USA autour des palabres entre le gouvernement et le Congrès n'avait pas d'autre but que de faire passer la pilule amère. Cependant, une telle politique de rigueur budgétaire ne peut qu'accélérer la plongée dans la récession et ses conséquences néfastes.
On comprend que dans ces conditions un certain sentiment de panique se développe au sein de la classe dominante : les remèdes traditionnels ont perdu de leur efficacité, et la plongée accélérée de l'économie mondiale dans la récession ouvre une porte vers l'inconnu. Ces dernières années, les économistes optimistes envisageaient pour l'économie américaine un atterrissage en douceur ("soft landing"), le terme à la mode aujourd'hui est celui de "crash landing", pas besoin de traduction.
La fuite en avant dans l'inflation : vers la crise monétaire
Cependant, l'économie américaine est la première du monde, et les Etats-Unis sont de loin la première puissance impérialiste. Nul doute que les dirigeants américains ne vont pas rester les bras croisés, ils vont tenter d'utiliser toutes les cartes dont ils disposent pour essayer de maintenir leur économie la tête hors de l'eau. La mobilisation dans le Golfe arabo-persique montre bien comment les USA peuvent jouer de leur puissance militaire, pour imposer aux pays plus faibles un soutien économique à leur économie défaillante. De même, les négociations du GATT illustrent parfaitement comment les USA jouent de leur puissance, pour affirmer leur autorité et imposer un partage en leur faveur des marchés.
Une arme essentielle de la puissance économique américaine reste le dollar, monnaie mondiale par régulière du dollar ces dernières années a été organisée, afin de permettre à la production américaine de retrouver, par cette mesure artificielle, sa compétitivité. Cependant, son efficacité a été toute relative. Même si les déficits commerciaux se sont réduits, ils n'en atteignent pas moins une somme toujours gigantesque
Graphique 2 : États-Unis, balance commerciale et taux de change du dollar
La récente baisse des taux de la Banque Fédérale sur le dollar indique que, loin des belles phrases sur la rigueur, les dirigeants de Washington préfèrent la fuite en avant dans la dévaluation de fait, pour freiner la débandade de leur économie. Devenu premier emprunteur en dollars, les USA ont tout intérêt à laisser se dévaluer leur monnaie, afin de baisser la valeur de leur dette. En conséquence, le dollar atteint maintenant son seuil historique le plus bas, par rapport aux principales autres monnaies concurrentes. La compétitivité des produits américains se retrouve artificiellement dopée par rapport à celle des autres pays.
Cependant, une telle politique, si elle peut freiner la récession aux USA, ce que rien ne garantit, comme le montre le fait que Wall Street ait salué par un recul la dernière baisse du taux d'escompte, ne peut que renforcer encore plus la concurrence internationale, sur des marchés sursaturés, et elle aura surtout pour conséquence de reporter plus fortement les effets de la récession sur les concurrents européens et japonais. La concurrence internationale se trouye aiguisée comme jamais, et, à un moment où l'effondrement du bloc de l'Est signifie aussi le relâchement corollaire de la discipline interne dans ce qui fut le "bloc occidental", le "chacun pour soi" est en train de se conjuguer avec le "sauve-qui-peut".
Mais surtout, la principale conséquence négative d'une telle politique est d'abord une relance de l'inflation. Partout, celle-ci est à la hausse, dynamisée par la flambée des cours du pétrole. Sur les douze derniers mois, elle a crû de 6 % aux USA, 10,4 % en Grande-Bretagne, 6,1 % pour l'ensemble de la CEE. Les niveaux des années 1970 ne sont pas loin. A la périphérie, elle continue ses ravages : 1 800 % au Brésil en 1989, par exemple. Les pays de l'Est, après avoir dissimulé les chiffres de leur inflation durant des années, annoncent pour 1990 des prévisions catastrophiques : Bulgarie 70%, Hongrie 40%, Pologne 50%, Tchécoslovaquie 20%. En URSS, elle a été de 34% sur le marché « libre », durant le seul mois de septembre 1990.
La politique de dévaluation actuelle du dollar ne peut que conduire à une nouvelle explosion de l'inflation, et, à terme, soumettre le marche monétaire à de telles tensions, que, là aussi, une crise majeure menace, centrée autour du roi-dollar, qui se retrouve de plus en plus nu, dont la valeur réelle est de plus en plus hypothétique, alors que des milliers de milliards de dollars de crédits ne pourront jamais être remboursés.
L'euphorie de la fin de l'année 1989 est bien terminée. L'inquiétude de l'année 1990 est confirmée. La faillite mondiale de l'économie est de plus en plus évidente. Les faillites se multiplient, les files de chômeurs s'allongent démesurément, le niveau de vie est rongé par les attaques contre les salaires, l'inflation croissante et l'augmentation des impôts. La vérité de l'impasse totale où le capitalisme mène l'ensemble de l'humanité s'impose de plus en plus clairement à l'ensemble du prolétariat mondial. La base de la domination idéologique de la bourgeoisie se trouve sapée. La crise est le principal allié du prolétariat sur le chemin difficile de sa prise de conscience.
JJ, 17 novembre 1990
«Dans chaque crise, la société étouffe sous le faix de ses propres forces productives et de ses propres produits inutilisables pour elle, et elle se heurte impuissante à cette contradiction absurde : les producteurs n'ont rien à consommer, parce qu'on manque de consommateurs. La force d'expansion des moyens de production fait sauter les chaînes dont le mode de production capitaliste l'avait chargée. Sa libération de ces Chaînes est la seule condition requise pour un développement des forces productives ininterrompu, progressant à un rythme toujours plus rapide, et par suite, pour un accroissement pratiquement sans bornes de la production elle-même. L'appropriation sociale des moyens de production élimine non seulement l'inhibition artificielle de la production qui existe maintenant, mais aussi le gaspillage et la destruction effectifs des forces productives et des produits, qui sont actuellement les corollaires inéluctables de la production et atteignent leur paroxysme dans les crises.»
Engels, Anti-Dûhring, III, II.
1) Contrairement au courant bordiguiste, le CCI n'a jamais considéré le marxisme comme une "doctrine invariante", mais bien comme une pensée vivante pour laquelle chaque événement historique important est l'occasion d'un enrichissement. En effet, de tels événements permettent, soit de confirmer le cadre et les analyses développés antérieurement, venant ainsi les conforter, soit de mettre en évidence la caducité de certains d'entre eux, imposant un effort de réflexion afin d'élargir le champ d'application des schémas valables auparavant mais désormais dépassés, ou bien, carrément, d'en élaborer de nouveaux, aptes à rendre compte de la nouvelle réalité. Il revient aux organisations et aux militants révolutionnaires la responsabilité spécifique et fondamentale d'accomplir cet effort de réflexion en ayant bien soin, à l'image de nos aînés comme Lénine, Rosa Luxemburg, la Fraction Italienne de la Gauche Communiste Internationale (Bilan), la Gauche Communiste de France, etc., d'avancer à la fois avec prudence et audace :
En particulier, face à de tels événements historiques, il importe que les révolutionnaires soient capables de bien distinguer les analyses qui sont devenues caduques de celles qui restent valables, afin d'éviter un double écueil : soit s'enfermer dans la sclérose, soit "jeter le bébé avec l'eau du bain". Plus précisément, il est nécessaire de bien mettre en évidence ce qui, dans ces analyses, est essentiel, fondamental, et conserve toute sa validité dans les circonstances historiques différentes, par rapport à ce qui est secondaire et circonstanciel ; en bref : de savoir faire la différence entre l'essence d'une réalité et ses différentes manifestations particulières.
2) Depuis un an, la situation mondiale a connu des bouleversements considérables qui ont modifiés de façon très sensible la physionomie du monde telle qu’il était sorti de la seconde guerre impérialiste. Le CCI s’est appliqué à suivre de très prés ces bouleversements :
C'est ainsi que ces événements historiques (agonie du stalinisme, disparition du bloc de l'Est, désagrégation du bloc de l'Ouest), s'ils n'avaient pu être prévus dans leur spécificité, s'intégraient parfaitement dans le cadre d'analyse et de compréhension de la période historique présente élaboré antérieurement par le CCI : la phase de décomposition.
Il en est ainsi, également, de la présente guerre du golfe Persique. Mais l'importance même de cet événement, comme la confusion qu'il met en évidence parmi les révolutionnaires, donnent à notre organisation la responsabilité de comprendre clairement l'impact et la répercussion des caractéristiques de la phase de décomposition sur la question au militarisme et de la guerre, d'examiner comment se pose cette question dans cette nouvelle période historique.
3) Le militarisme et la guerre constituent une donnée fondamentale de la vie du capitalisme depuis l'entrée de ce système dans sa période de décadence. Dès lors que le marché mondial a été complètement constitué, au début de ce siècle, que le monde a été partagé en chasses gardées coloniales et commerciales pour les différentes nations capitalistes avancées, l'intensification et le déchaînement de la concurrence commerciale qui en découlaient entre ces nations n'ont pu déboucher que sur l'aggravation des tensions militaires, sur la constitution d'arsenaux de plus en plus imposants et sur la soumission croissante de l'ensemble de la vie économique et sociale aux impératifs de la sphère militaire. En fait, le militarisme et la guerre impérialiste constituent la manifestation centrale de l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence (et c'est bien le déclenchement de la première guerre mondiale qui signe le début de cette période), à tel point que, pour les révolutionnaires d'alors, l'impérialisme et le capitalisme décadent deviennent synonymes. L'impérialisme n'étant pas une manifestation particulière du capitalisme mais son mode de vie pour toute la nouvelle période historique, ce ne sont pas tels ou tels Etats qui sont impérialistes, mais tous les Etats, comme le relève Rosa Luxemburg. En réalité, si l'impérialisme, le militarisme et la guerre s'identifient à ce point à la période de décadence, c'est que cette dernière correspond bien au fait que les rapports de production capitalistes sont devenus une entrave au développement des forces productives : le caractère parfaitement irrationnel, sur le plan économique global, des dépenses militaires et de la guerre ne fait que traduire l'aberration que constitue le maintien de ces rapports de production. En particulier, l'autodestruction permanente et croissante du capital qui résulte de ce mode de vie constitue un symbole de l'agonie de ce système, révèle clairement qu'il est condamné par l'histoire.
4) Confronté à une situation où la guerre est omniprésente dans la vie de la société, le capitalisme, dans sa décadence, a développé deux phénomènes qui constituent des caractéristiques majeures de cette période : le capitalisme d'Etat et les blocs impérialistes. Le capitalisme d'Etat, dont la première manifestation significative date de la première guerre mondiale, répond à la nécessité pour chaque pays, en vue de la confrontation avec les autres nations, d'obtenir le maximum de discipline en son sein de la part des différents secteurs de la société, de réduire au maximum les affrontements entre classes mais aussi entre fractions rivales de la classe dominante, afin, notamment, de mobiliser et contrôler l'ensemble de son potentiel économique. De même, la constitution de blocs impérialistes correspond au besoin d'imposer une discipline similaire entre différentes bourgeoisies nationales afin de limiter leurs antagonismes réciproques et de les rassembler pour l'affrontement suprême entre les deux camps militaires. Et à mesure que le capitalisme s'est enfoncé dans sa décadence et sa crise historique, ces deux caractéristiques n'ont fait que se renforcer. En particulier, le capitalisme d'Etat à l'échelle de tout un bloc impérialiste, tel qu'il s'est développé au lendemain de la seconde guerre mondiale, ne faisait que traduire l'aggravation de ces deux phénomènes. Ce faisant, tant le capitalisme d'Etat que les blocs impérialistes, de même que la conjugaison des deux, ne traduisent une quelconque "pacification" des rapports entre différents secteurs du capital, encore moins un "renforcement" de celui-ci. Au contraire, ils ne sont que des moyens que secrète la société capitaliste pour tenter de résister à une tendance croissante à sa dislocation ([3] [10]).
5) La décomposition générale de la société constitue la phase ultime de la période de décadence du capitalisme. En ce sens, dans cette phase ne sont pas remises en cause les caractéristiques propres à la période de décadence : la crise historique de l'économie capitaliste, le capitalisme d'Etat et, également, les phénomènes fondamentaux que sont le militarisme et l'impérialisme. Plus encore, dans la mesure où la décomposition se présente comme la culmination des contradictions dans lesquelles se débat de façon croissante le capitalisme depuis le début de sa décadence, les caractéristiques propres à cette période se trouvent, dans sa phase ultime, encore exacerbées :
Il en est de même pour le militarisme et l'impérialisme, comme on a pu déjà le constater tout au long des années 1980, durant lesquelles le phénomène de décomposition est apparu et s'est développé. Et ce n'est pas la disparition du partage du monde en deux constellations impérialistes résultant de l'effondrement du bloc de l'Est qui pouvait remettre en cause une telle réalité. En effet, ce n'est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l'origine du militarisme et de l'impérialisme. C'est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n'est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n'est pas nécessairement la seule) de l'enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. D'une certaine façon, il en est de la formation des blocs vis-à-vis de l'impérialisme comme du stalinisme vis-à-vis du capitalisme d'Etat. De même que la fin du stalinisme ne remet pas en cause la tendance historique au capitalisme d'Etat, dont il constituait pourtant une manifestation, la disparition actuelle des blocs impérialistes ne saurait impliquer la moindre remise en cause de l'emprise de l'impérialisme sur la vie de la société. La différence fondamentale réside dans le fait que, si la fin du stalinisme correspond à l'élimination d'une forme particulièrement aberrante du capitalisme d'Etat, la fin des blocs ne fait qu'ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l'impérialisme.
6) Cette analyse, le CCI l'avait déjà élaborée dès la mise en évidence de l'effondrement du bloc de l'Est :
Cette analyse est aujourd'hui amplement confirmée par la guerre du golfe Persique.
7) Cette guerre constitue la première manifestation majeure de la situation dans laquelle se trouve le monde après l'effondrement du bloc de l'Est (en ce sens, elle revêt à présent une importance bien plus considérable) :
En ce sens, la guerre du Golfe n'est pas, comme l'affirme la plus grande partie du milieu politique prolétarien, une "guerre pour le prix du pétrole". Elle ne saurait se réduire non plus à une "guerre pour le contrôle du Moyen-Orient", aussi importante que puisse être cette région. De même, ce n est pas seulement le chaos qui se développe dans le "tiers-monde" que vise à prévenir l'opération militaire qui se déploie dans le Golfe. Tous ces éléments peuvent jouer un rôle, évidemment. C'est vrai que la majorité des pays occidentaux est intéressée à un pétrole à bas prix (contrairement à l'URSS qui, pourtant, participe pleinement -à la mesure de ses moyens réduits- à l'action contre l'Irak), ce n'est cependant pas avec les moyens oui ont été employés (et qui ont fait bondir le prix du brut bien au-delà des exigences de l'Irak) qu'on obtiendra une telle baisse des prix. C'est vrai aussi que le contrôle des champs pétroliers par les Etats-Unis présente pour ce pays un intérêt incontestable et renforce sa position vis-à-vis de ses rivaux commerciaux (Europe de l'Ouest, Japon) : mais alors, pourquoi ces mêmes rivaux les soutiennent-ils dans cette entreprise ? De même, il est clair que l'URSS est intéressée au premier chef par la stabilisation de la région du Moyen-Orient proche de ses provinces d'Asie centrale et du Caucase déjà particulièrement agitées. Mais le chaos qui se développe en URSS ne concerne pas que ce pays ; les pays d'Europe centrale, et partant d'Europe occidentale, sont particulièrement concernés par ce qui se passe dans la zone de l'ancien bloc de l'Est. Plus généralement, si les pays avancés se préoccupent du chaos qui se développe dans certaines régions du "tiers-monde", c'est qu'eux-mêmes se retrouvent fragilisés face à ce chaos, du fait de la nouvelle situation dans laquelle se trouve le monde aujourd'hui.
8) En réalité, c'est fondamentalement le chaos régnant déjà dans une bonne partie du monde et qui menace maintenant les grands pays développés et leurs rapports réciproques que tentent de contenir l'opération "Bouclier au désert" et ses annexes. En effet, avec la disparition du partage du monde en deux grands blocs impérialistes a disparu un des facteurs essentiels qui maintenaient une certaine cohésion entre ces Etats. La tendance propre à la nouvelle période est bien au "chacun pour soi" et, éventuellement, pour les Etats les plus puissants, à poser leur candidature au "leadership" d'un nouveau bloc. Mais en même temps, la bourgeoisie de ces pays, en mesurant les dangers que comporte une telle situation, essaie de réagir face à une telle tendance. Avec le nouveau degré dans le chaos général que traduisait l'aventure irakienne (favorisée en sous-main par l'attitude "conciliante" affichée par les Etats-Unis avant le 2 août à l'égard de l'Irak dans le but de "faire un exemple" par la suite), la "communauté internationale", comme l'appellent les médias, et qui est loin de recouvrir l'ancien bloc de l'Ouest puisque, aujourd'hui, l'URSS en fait partie, n'avait d'autre ressource que de se placer derrière l'autorité de la première puissance mondiale, et particulièrement de sa force militaire, la seule capable d'aller faire la police en n'importe quel point du monde.
Ce que montre donc la guerre du Golfe, c'est que, face à la tendance au chaos généralisé propre a la phase de décomposition, et à laquelle l'effondrement du bloc de l'Est a donné un coup d'accélérateur considérable, il n'y a pas d'autre issue pour le capitalisme, dans sa tentative de maintenir en place les différentes parties d'un corps qui tend à se disloquer, que l'imposition du corset de fer que constitue la force des armes ([5] [14]). En ce sens, les moyens mêmes qu'il utilise pour tenter de contenir un chaos de plus en plus sanglant sont un facteur d'aggravation considérable de la barbarie guerrière dans laquelle est plongé le capitalisme.
9) Alors que la formation des blocs se présente historiquement comme la conséquence du développement du militarisme et de l'impérialisme, l'exacerbation de ces deux derniers dans la phase actuelle de vie du capitalisme constitue, de façon paradoxale, une entrave majeure à la reformation d’un nouveau système de blocs prenant la suite de celui qui vient de disparaître. L'histoire (notamment celle du deuxième après-guerre) a mis en évidence le fait que la disparition d'un bloc impérialiste (par exemple l'"Axe") met à l'ordre du jour la dislocation de l'autre (les "Alliés") mais aussi la reconstitution d'un nouveau "couple" de blocs antagoniques (Est et Ouest). C'est pour cela que la situation présente porte effectivement avec elle, sous l'impulsion de la crise et de l'aiguisement des tensions militaires, une tendance vers la reformation de deux nouveaux blocs impérialistes. Cependant, le fait même que la force des armes soit devenue -comme le confirme la guerre du Golfe- un facteur prépondérant dans la tentative de la part des pays avancés pour limiter le chaos mondial, constitue une entrave considérable à cette tendance. En effet, cette même guerre est venue souligner la supériorité écrasante (pour ne pas dire plus) de la puissance militaire des Etats-Unis vis-à-vis de celle des autres pays développés (une telle démonstration constituait en fait un des objectifs majeurs de ce pays) : en réalité, cette puissance militaire, à elle seule, est aujourd'hui au moins équivalente à celle de tous les autres pays du globe réunis. Et un tel déséquilibre n'est pas près d'être compensé, il n'existe aucun pays en mesure, dans un avenir proche, d'opposer à celui des Etats-Unis un potentiel militaire lui permettant de prétendre au poste de chef d'un bloc pouvant rivaliser avec celui qui serait dirigé par cette puissance. Et pour une échéance plus éloignée, la liste des candidats à un tel poste est extrêmement limitée.
10) En effet, il est hors de question, par exemple, que la tête du bloc qui vient de s'effondrer, l'URSS, puisse un jour reconquérir une telle place. En réalité, le fait que ce pays ait joué un tel rôle dans le passé constitue, en soi, une sorte d'aberration, un accident de l'histoire. L'URSS, du fait de son arriération considérable sur tous les plans (économique, mais aussi politique et culturel), ne disposait pas des attributs lui permettant de constituer "naturellement" autour d'elle un bloc impérialiste ([6] [15]). Si elle a pu accéder à un tel rang, c'est par la "grâce" de Hitler, qui l'a fait entrer dans la guerre en 1941, et des "allies" qui, à Yalta, l'ont "récompensée" pour avoir constitué un second front face à l'Allemagne et lui ont remboursé le tribut de 20 millions de morts payé par sa population sous forme de la pleine disposition des pays d'Europe centrale que ses troupes avaient occupés lors de la débâcle allemande ([7] [16]). C'est d'ailleurs bien parce que l'URSS ne pouvait pas tenir ce rôle de tête de bloc qu'elle a été contrainte, pour conserver son empire, d'imposer à son appareil productif une économie de guerre qui a complètement ruiné celui-ci. L'effondrement spectaculaire du bloc de l'Est, outre qu'il sanctionnait la faillite d'une forme de capitalisme d'Etat particulièrement aberrante (du fait que, lui non plus, ne découlait pas d'un développement "organique" du capital, mais résultait de l'élimination par la révolution de 1917 de la bourgeoisie classique), ne pouvait que traduire la revanche de l'histoire vis-à-vis de cette aberration d'origine. C'est pour cette raison que jamais plus l'URSS ne pourra jouer, malgré ses arsenaux considérables, de rôle majeur sur la scène internationale. Et cela d'autant plus que la dynamique de dislocation de son empire extérieur ne peut que se poursuivre à l'intérieur, dépouillant en fin de compte la Russie des territoires qu'elle avait colonisés au cours des siècles passés. Pour avoir tenté de jouer un rôle de puissance mondiale qui était au-dessus de ses forces, la Russie est condamnée à retrouver la place de troisième ordre qui était la sienne avant Pierre le Grand.
Les deux seuls candidats potentiels au titre de tête de bloc, le Japon et l'Allemagne, ne sont pas en mesure non plus, a une échéance prévisible, d'assumer un tel rôle. Pour sa part, le Japon, malgré sa puissance industrielle et son dynamisme économique, ne pourra jamais prétendre à un tel rang du fait de sa localisation géographique excentrée par rapport à la région qui concentre la plus forte densité industrielle : l’Europe occidentale. Quant à l'Allemagne, le seul pays qui pourrait éventuellement un jour tenir un rôle qui a déjà été le sien par le passé, sa puissance militaire actuelle (elle ne dispose même pas de l'arme atomique, rien que cela !) ne lui permet pas d'envisager rivaliser avec les Etats-Unis sur ce terrain avant longtemps. Et cela d'autant plus qu'à mesure que le capitalisme s'enfonce dans sa décadence, il est toujours plus indispensable à une tête de bloc de disposer d'une supériorité militaire écrasante sur ses vassaux pour être en mesure de tenir son rang.
11) C'est ainsi qu'au début de la période de décadence, et jusqu'aux premières années de la seconde guerre mondiale, il pouvait exister une certaine "parité" entre différents partenaires d'une coalition impérialiste, bien que le besoin d'un chef de file se soit toujours fait sentir. Par exemple, dans la première guerre mondiale, il n'existait pas, en terme de puissance militaire opérationnelle, de disparité fondamentale entre les trois "vainqueurs" : Grande-Bretagne, France et Etats-Unis. Cette situation avait déjà évolué de façon très importante au cours de la seconde guerre, où les "vainqueurs" étaient placés sous la dépendance étroite des Etats-Unis qui affichaient une supériorité considérable sur leurs "alliés". Elle allait encore s'accentuer durant toute la période de "guerre froide" (qui vient de se terminer), où chaque tête de bloc, Etats-Unis et URSS, notamment par le contrôle des armements nucléaires les plus destructeurs, disposaient d'une supériorité absolument écrasante sur les autres pays de leur bloc. Une telle tendance s'explique par le fait que, avec l'enfoncement du capitalisme dans sa décadence :
Il en est de ce dernier facteur comme du capitalisme d'Etat : plus les différentes fractions d'une bourgeoisie nationale tendent à s'entre-déchirer avec l'aggravation de la crise qui attise leur concurrence, et plus l'Etat doit se renforcer afin de pouvoir exercer son autorité sur elles. De même, plus la crise historique, et sa forme ouverte, exercent des ravages, plus une tête de bloc doit être forte pour contenir et contrôler les tendances à sa dislocation entre les différentes fractions nationales qui le composent. Et il est clair que dans la phase ultime de la décadence, celle de la décomposition, un tel phénomène ne peut que s'aggraver encore à une échelle considérable.
C'est pour cet ensemble de raisons, et notamment pour la dernière, que la reconstitution d'un nouveau couple de blocs impérialistes, non seulement n'est pas possible avant de longues années, mais peut très bien ne plus jamais avoir heu : la révolution ou la destruction de l'humanité intervenant avant une telle échéance. Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les événements du Golfe viennent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne, où jouera à fond la tendance au "chacun pour soi", où les alliances entre Etats n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme américain tentera de faire régner un minimum d'ordre par l'emploi de plus en plus massif et brutal de sa puissance militaire.
12) Le fait que, dans la période qui vient, le monde ne soit plus divisé en blocs impérialistes, qu'il revienne à une seule puissance -les Etats-Unis- d'exercer le "leadership" mondial, ne signifie nullement que soit aujourd'hui correcte la thèse du "super-impérialisme" (ou "ultra-impérialisme") telle qu'elle fut développée par Kautsky au cours de la première guerre mondiale. Cette thèse avait été élaborée dès avant la guerre par le courant opportuniste qui se développait dans la Social-Démocratie. Elle trouvait sa racine dans la vision gradualiste et réformiste qui considérait que les contradictions (entre classes et entre nations) au sein de la société capitaliste étaient destinées à s'atténuer jusqu'à disparaître. La thèse de Kautsky supposait que les différents secteurs du capital financier international seraient en mesure de s'unifier pour établir une domination stable et pacifique sur l'ensemble du monde. Cette thèse, qui se présentait comme "marxiste", était évidemment combattue par tous les révolutionnaires, et en particulier par Lénine (notamment dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme), qui mettaient en évidence qu'un capitalisme dont on retranche l'exploitation et la concurrence entre capitaux n'est plus le capitalisme. Il est bien clair que cette position révolutionnaire reste tout à fait valable aujourd'hui.
De même, notre analyse ne saurait être confondue avec celle développée par Chaulieu (Castoriadis), et qui avait au moins l'avantage, pour sa part, de rejeter explicitement le "marxisme". Dans cette analyse, le monde s'acheminait vers un "troisième système" non pas dans l'harmonie chère aux réformistes, mais à travers des convulsions brutales. Chaque guerre mondiale conduisait à l'élimination d'une grande puissance (la seconde guerre ayant éliminé l’Allemagne). La troisième guerre mondiale était appelée à ne laisser en place qu'un seul bloc faisant régner son ordre sur un monde où les crises économiques auraient disparu et dans lequel l'exploitation capitaliste de la force de travail serait remplacée par une sorte d'esclavage, un règne des "dominants" sur les "dominés".
Le monde d'aujourd'hui, tel qu'il sort de l'effondrement du bloc de l'Est et tel qu'il se présente face à la décomposition générale, n'en reste pas moins totalement capitaliste. Crise économique insoluble et de plus en plus profonde, exploitation de plus en plus féroce de la force de travail, dictature de a loi de la valeur, exacerbation de la concurrence entre capitaux et des antagonismes impérialistes entre nations, règne sans frein du militarisme, destructions massives et massacres à la chaîne : voilà la seule réalité qui puisse être la sienne. Et avec comme seule perspective ultime la destruction de l'humanité.
13) Plus que jamais, donc, la question de la guerre reste centrale dans la vie du capitalisme. Plus que jamais, par conséquent, elle est fondamentale pour la classe ouvrière. L'importance de cette question n'est évidemment pas nouvelle. Elle était déjà centrale dès avant la première guerre mondiale (comme le mettent en évidence les congrès internationaux de Stuttgart en 1907 et de Bâle en 1912). Elle devient encore plus décisive, évidemment, au cours de la première boucherie impérialiste (comme le mettent en évidence le combat de Lénine, de Rosa Luxemburg, de Liebknecht, de même que la révolution en Russie et en Allemagne). Elle garde toute son acuité entre les deux guerres mondiales, en particulier lors de la guerre d'Espagne, sans parler, évidemment, de l'importance qu'elle revêt au cours du plus grand holocauste de ce siècle, entre 1939 et 1945. Elle a conservé enfin toute son importance au cours des différentes guerres de "libération nationale" après 1945, moments de l'affrontement entre les deux blocs impérialistes. En fait, depuis le début du siècle, la guerre a été la question la plus décisive qu'aient eu à affronter le prolétariat et ses minorités révolutionnaires, très loin devant les questions syndicale ou parlementaire, par exemple. Et il ne pouvait en être qu'ainsi dans la mesure où la guerre constitue la forme la plus concentrée de la barbarie du capitalisme décadent, celle qui exprime son agonie et la menace qu'il fait peser sur la survie de l'humanité.
Dans la période présente où, plus encore que dans les décennies passées, la barbarie guerrière (n'en déplaise à MM. Bush et Mitterrand avec leurs prophéties d'un "nouvel ordre de paix") sera une donnée permanente et omniprésente de la situation mondiale, impliquant de façon croissante les pays développés (dans les seules limites que pourra lui fixer le prolétariat de ces pays), la question de la guerre est encore plus essentielle pour la classe ouvrière. Le CCI a depuis longtemps mis en évidence que, contrairement au passé, le développement d'une prochaine vague révolutionnaire ne proviendrait pas de la guerre mais de l'aggravation de la crise économique. Cette analyse reste tout à fait valable : les mobilisations ouvrières, le point de départ des grands combats de classe proviendront des attaques économiques. De même, sur le plan de la prise de conscience, l'aggravation de la crise sera un facteur fondamental en révélant l'impasse historique du mode de production capitaliste. Mais, sur ce même plan de la prise de conscience, la question de la guerre est appelée, une nouvelle fois, à jouer un rôle de premier ordre :
14) Il est vrai que la guerre peut être utilisée contre la classe ouvrière beaucoup puis facilement que la crise elle-même et les attaques économiques :
C'est bien d'ailleurs ce qui est arrivé jusqu'à présent avec la guerre du Golfe. Mais ce type d'impact ne pourra être que limité dans le temps. A terme :
la tendance ne pourra que se renverser. Et il appartient évidemment aux révolutionnaires d'être au premier rang de cette prise de conscience : leur responsabilité sera de plus en plus décisive.
15) Dans la situation historique présente, l'intervention des communistes au sein de la classe est déterminée, outre, évidemment, par l'aggravation considérable de la crise économique et des attaques qui en résultent contre l'ensemble du prolétariat, par :
Il importe donc que cette question figure en permanence au premier plan dans la propagande des révolutionnaires. Et dans les périodes, comme celle d'aujourd'hui, où cette question se trouve aux avant plans immédiats de l'actualité internationale, il importe qu'ils mettent à profit la sensibilisation particulière des ouvriers à son sujet en y apportant une priorité et une insistance toute particulière.
En particulier, les organisations révolutionnaires auront pour devoir de veiller à :
CCI, 4 octobre 1990.
[1] [17] Voir "Guerre, militarisme et blocs impérialistes" dans la Revue Internationale n° 52 et n° 53.
[2] [18] Pour l'analyse du CCI sur la question de la décomposition, Revue Internationale n° 57 et n° 62.
[3] [19] Il convient toutefois de souligner une différence majeure entre capitalisme d'Etat et blocs impérialistes. Le premier ne peut être remis en cause par les conflits entre différentes fractions de la classe capitaliste (ou alors, c'est la guerre civile, qui peut caractériser certaines zones arriérées du capitalisme, mais non pas ses secteurs les plus avancés) : en règle générale, c'est l'Etat, représentant du capital national comme un tout, qui réussit à imposer son autorité aux différentes composantes de ce dernier. En revanche, les blocs impérialistes ne présentent pas le même caractère de pérennité. En premier lieu, ils ne se constituent qu'en vue de la guerre mondiale : dans une période où celle-ci n'est pas momentanément à l'ordre du jour (comme au cours des années 1920), ils peuvent très bien disparaître. En second lieu, il n'existe pas pour les Etats de "prédestination" définitive en faveur de tel ou tel bloc : c'est de façon circonstancielle que les blocs se constituent, en fonction de critères économiques, géographiques, militaires, politiques, etc. En ce sens, l'histoire comporte de nombreux exemples d'Etats ayant changé de bloc suite a la modification d'un de ces facteurs. Cette différence de stabilité entre l'Etat capitaliste et les blocs n'est nullement mystérieuse. Elle correspond au fait que le niveau le plus élevé d'unité auquel la bourgeoisie puisse parvenir est celui de la nation, dans la mesure où l'Etat national est, par excellence, l'instrument de défense de ses intérêts (maintien de 1' "ordre", commandes massives, politique monétaire, protection douanière, etc). C'est pour cela qu'une alliance au sein d'un bloc impérialiste n'est pas autre chose que le conglomérat d'intérêts nationaux fondamentalement antagoniques, conglomérat destiné à préserver ces intérêts dans la jungle internationale. En décidant de s'aligner dans un bloc plutôt que dans un autre, une bourgeoisie n'a pas d'autre préoccupation que la garantie de ses intérêts nationaux. En fin de compte, si l'on peut considérer le capitalisme comme une entité globale, il faut toujours garder en vue que, concrètement, c'est sous forme de capitaux concurrents et rivaux qu'il existe.
[4] [20] En réalité, c'est bien le mode de production capitaliste comme un tout qui, dans sa décadence et plus encore dans sa phase de décomposition, constitue une aberration du point de vue des intérêts de l'humanité. Mais dans cette agonie barbare du capitalisme, certaines formes de celui-ci, comme le stalinisme, découlant de circonstances historiques spécifiques (comme nous le verrons plus loin) comportent des caractéristiques qui les rendent encore plus vulnérables et les condamnent a disparaître avant même que l'ensemble du système soit détruit par la révolution prolétarienne ou à travers la destruction de l'humanité.
[5] [21] En ce sens, la façon dont sera garanti l'"ordre" du monde dans la nouvelle période tendra à ressembler de plus en plus à la façon dont l'URSS maintenait l'ordre dans son ancien bloc : par la terreur et la force des armes. Dans la période de décomposition, et avec l'aggravation des convulsions économiques du capital à l'agonie, ce sont les formes les plus brutales et barbares des rapports entre Etats utilisées auparavant qui tendront à devenir la règle pour tous les pays du monde.
[6] [22] En fait, les raisons pour lesquelles la Russie ne pouvait représenter une locomotive pour la révolution mondiale (c est pour cette raison que les révolutionnaires comme Lénine et Trotsky attendaient la révolution en Allemagne pour qu'elle prenne en remorque la révolution russe) étaient les mêmes qui en faisaient un candidat tout à fait inapproprié au rôle de tête de bloc.
[7] [23] Une autre raison pour laquelle les alliés occidentaux ont donné à l'URSS une pleine disposition des pays d'Europe centrale réside dans le fait qu'il comptaient sur cette puissance pour "faire la police" contre le prolétariat de cette région. L'histoire a montré (à Varsovie, notamment) combien cette confiance était méritée.
La guerre impérialiste constitue une épreuve de vérité pour les organisations qui se réclament de la classe ouvrière. En réalité, c'est une des questions qui permet le plus sûrement de déterminer la nature de classe d'une formation politique. Le conflit du Golfe vient d'en constituer une nouvelle illustration. Les partis bourgeois classiques, y compris les partis "socialistes" et "communistes", ont évidemment agi conformément à leur nature en s'alignant ouvertement sur la politique de guerre, ou en appelant à l’"arbitrage international" qui constitue la feuille de vigne de cette politique. Pour leur part, les organisations qui se présentent comme "révolutionnaires", telles les organisations trotskistes, ont également montré clairement dans quel camp elles se trouvaient en appelant ouvertement ou hypocritement, selon les cas et les circonstances ([1] [26]), au soutien de l'Irak. Cette épreuve de vérité a donc permis que se distinguent clairement les groupes qui se situent sur le terrain de classe prolétarien, elle leur a donné l'occasion de faire entendre la voix de l'internationalisme, à l'image des courants révolutionnaires aux cours des deux guerres mondiales. Mais si, dans l'ensemble, Tes groupes du milieu prolétarien ont affirmé une position de classe principielle face à la guerre, la plupart d'entre eux l'ont fait avec des arguments et des analyses qui, loin d'apporter une clarté au prolétariat, sont plutôt un facteur de confusion.
Dès le début de la crise du Golfe, la plupart de ces organisations n'ont pas failli à leur responsabilité internationaliste élémentaire : que ce soit dans la presse ou sous forme de tracts, l'ensemble du milieu politique prolétarien a pris position clairement pour dénoncer la guerre impérialiste, rejeter toute participation dans l'un ou l'autre camp et appeler les ouvriers à engager le combat contre le capitalisme sous toutes ses formes et dans tous les pays ([2] [27]). En somme, les organisations prolétariennes existantes ont montré qu'elles étaient... dans le camp du prolétariat.
Cependant, pour être en mesure d'affirmer leur internationalisme, il a fallu à certaines d'entre elles recouvrir d'un mouchoir pudique des élucubrations qui constituent habituellement leur fond de commerce. Il en est ainsi, par exemple, à propos du soutien que le prolétariat devrait apporter aux "luttes d'indépendance nationale" dans certains pays sous-développés.
Internationalisme et luttes d'«indépendance nationale»
Le mouvement ouvrier du début du siècle avait été traversé par un débat très animé sur la question des luttes de libération nationale (voir en particulier notre série d'articles dans la Revue Internationale n°34 et 37). Dans ce débat, Lénine était le chef de file d'une position qui estimait possible, alors que le phénomène de l'impérialisme avait déjà envahi toute la société, le soutien par le prolétariat de certaines luttes d'indépendance nationale. Cela ne l'avait pas empêché, cependant, de prendre, au cours de la première guerre mondiale, une position parfaitement internationaliste, plus claire, par certains côtés, que celle de Rosa Luxemburg, qui défendait, sur la question nationale, la position opposée. Lors du deuxième congrès de l'Internationale Communiste (IC), c'est la position de Lénine qui était devenue celle de l'Internationale. Cependant, la réalité (en particulier lors de la révolution chinoise de 1927) allait rapidement démontrer la non-validité de cette position de Lénine et de PIC, au point que la Fraction de Gauche du Parti communiste d'Italie, pourtant de "tradition léniniste", allait, au cours des années 1930, l'abandonner. Mais aujourd'hui encore, la plupart des croupes qui se réclament de la Gauche italienne continuent à défendre la position de PIC, comme si rien ne s'était passé, ce qui les conduit à des contorsions invraisemblables.
Ainsi, nous ne pouvons que saluer le souci internationaliste du Parti Communiste International lorsqu'il nous dit que :
"Les travailleurs n'ont rien à gagner et tout à perdre à soutenir les conflits impérialistes... (...) Que la rente pétrolière enrichisse des bourgeois irakiens, koweïtiens ou français ne changera pas le sort des prolétaires d'Irak, de Koweït ou de France : seule ta lutte de classe contre l'exploitation capitaliste peut le faire. Et cette lutte de classe n'est possible qu'en rompant l’ 'union nationale' entre les classes qui impose toujours des sacrifices aux prolétaires, qui les divise par le patriotisme et le racisme avant de les faire se massacrer sur les champs de bataille. " (Tract du 24 août 1990, publié par Le Prolétaire). Mais cette organisation ferait bien de se demander en quoi les prolétaires arabes défendent leurs intérêts de classe lorsqu'ils sont enrôlés, comme elle les y appelle, dans la guerre pour la constitution d'un Etat national palestinien. Un tel Etat palestinien, s'il arrivait à voir le jour, ne serait pas moins impérialiste (même si moins puissant) que ne l'est aujourd'hui l'Irak, et les ouvriers n'y seraient pas moins férocement exploités. Ce n'est pas pour rien que Yasser Arafat compte parmi les meilleurs amis de Saddam Hussein. Pour le courant "bordiguiste" (auquel appartient Le Prolétaire), il serait temps de se rendre compte que l'histoire a démontré depuis 70 ans, et en de nombreuses reprises, l'inconsistance de ces positions. Sinon, ses exercices de corde raide entre internationalisme et nationalisme ne pourront que le conduire à la chute, soit dans le néant, soit dans le camp bourgeois (comme c'est arrivé, au début des années 1980, pour une bonne partie de ses composantes, telles Combat en Italie et El Oumami en France).
Cette contradiction entre l'internationalisme, qui constitue une condition essentielle d'appartenance au camp du prolétariat, et le soutien aux luttes nationales, une autre organisation du courant bordiguiste l'a résolue à sa façon, mais qui n'est malheureusement pas celle de la clarté. Ainsi on peut lire dans 77 Programma comunista d'octobre 1990 : "On peut comprendre que, dans leur désespoir, les masses palestiniennes, s'agrippent aujourd'hui au mythe de Saddam, comme hier et en d'autres circonstances à celui de Assad : le développement des événements ne tardera pas à démontrer que le 'héros' d'aujourd'hui, au même titre que celui d'hier, n'est que volonté étatique de puissance, et que le chemin de leur émancipation passe uniquement à travers la révolution socialiste contre tous les potentats, arabes comme non arabes, du Moyen-Orient."
On constate ici toute l'ambiguïté de la position de Programma.
En premier lieu, le concept de "masses" est confusionniste par excellence. Dans les "masses", on peut tout mettre, y compris des couches sociales comme la paysannerie qui, l’histoire l'a montré, sont loin d'être des alliés de la révolution prolétarienne. Ce qui constitue la question centrale pour les communistes, celle pour laquelle ils existent, c'est la prise de conscience du prolétariat. Or il existe un prolétariat palestinien, relativement nombreux et concentré, mais qui est particulièrement intoxiqué par le nationalisme (au même titre, d'ailleurs, que le prolétariat israélien qu'il côtoie). En second lieu, on ne voit pas pourquoi on tient à "comprendre" particulièrement la soumission de la population palestinienne à l'idéologie nationaliste. Que les couches petites-bourgeoises qui constituent cette population soient infectées par le nationalisme, c'est un phénomène courant dans l'histoire, qui correspond à leur nature et à leur place dans la société. Que le prolétariat lui-même soit victime de cette infection constitue, comme toujours et dans toutes les circonstances, une tragédie témoignant de sa faiblesse face à la bourgeoisie. On peut toujours "comprendre" les causes historiques, sociales et politiques d'une telle faiblesse (comme on pouvait, par exemple, "comprendre" en 1914 les causes de 1’embrigadement du prolétariat européen derrière les drapeaux nationaux), mais cela ne signifie pas qu'il faille faire la moindre concession politique à cette faiblesse. Ceux qui, au cours de la première guerre mondiale, passaient leur temps à comprendre" le nationalisme des ouvriers français, allemands ou russes, c'étaient bien les "social-chauvins" à la Plekhanov et les "centristes" à la Kautsky, et sûrement pas les révolutionnaires comme Lénine, Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht qui, eux, consacraient tous leurs efforts à combattre ce nationalisme.
A quoi bon, en fin de compte, s'intéresser particulièrement "aux masses" palestiniennes si c'est pour les appeler (en fait, seul le prolétariat est réellement capable d'entendre un tel appel) à faire la révolution socialiste ? Cet appel, c'est aux ouvriers de tous les pays qu'il doit s'adresser. Ce n'est pas seulement au Moyen-Orient que le combat révolutionnaire doit se mener, mais dans le monde entier. Et les ennemis à abattre, ce ne sont pas seulement tous les "potentats", mais tous les régimes bourgeois, et particulièrement les régimes "démocratiques" qui dominent les pays les plus avancés. On voit là toute l'absurdité de la position "bordiguiste". Par une fidélité stupide à la position "classique" de Lénine et de l'Internationale Communiste, les bordiguistes continuent à réciter, comme une litanie, des phrases sur les "masses" des pays coloniaux ou semi-coloniaux. Après ce qu'il est advenu du Vietnam, du Cambodge et autres nations "libérées", la Palestine constituait un des derniers lieux où la "libération nationale" pouvait faire illusion (auprès de ceux, évidemment, qui avaient envie de s'illusionner). Aujourd'hui, cependant, avec l'évidence de l'impasse que représente la lutte pour un Etat palestinien "indépendant et démocratique", on en vient à abandonner cette position classique (puisque celle-ci appelait les ouvriers à un soutien de certaines luttes nationales), mais sans le dire, et de façon honteuse, comme c'est de façon honteuse qu'on se tortille pour "comprendre" les mystifications bourgeoises.
Cependant, ce ne sont pas ces contorsions ridicules qui, en soi, constituent le problème fondamental posé par la "fidélité" aux positions erronées de l'IC. La véritable gravité du maintien, contre vents et marée, de cette position (et même si on en abandonne, par la force des réalités, la substance) réside dans le fait qu'elle constitue la feuille de vigne favorite derrière laquelle se réfugie toute l'ignominie des différentes variétés de gauchistes dans leur soutien à la guerre impérialiste. C'est au nom des luttes de "libération nationale" contre 1' "impérialisme" que ces gauchistes, comme les staliniens "pur jus", ont participé à l'enrôlement de multitudes de prolétaires des pays arriérés dans les massacres inter impérialistes (souvenons-nous du Vietnam !). Aujourd'hui, c'est au nom de cette même lutte "anti-impérialiste" que les
gauchistes, et particulièrement les trotskistes, appellent les prolétaires irakiens à aller se faire massacrer. En ce sens, toute confusion, tout manque de clarté sur la question nationale, ne peut que favoriser, même si on s'en défend, le sale travail des secteurs "radicaux" de la bourgeoisie.
«défaitisme révolutionnaire» et internationalisme
Il n'est pas que la position de soutien aux luttes de "libération nationale" qui conduise à des concessions aux campagnes gauchistes. Il en est de même du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" qui, au nom également de la "tradition", a été utilisé par certains groupes lors de la guerre du Golfe. Ce mot d'ordre a été mis en avant par Lénine au cours de la première guerre mondiale. Il répondait à la volonté de dénoncer les tergiversations des éléments "centristes" qui, bien que d'accord "en principe" pour rejeter toute participation à la guerre impérialiste, préconisaient cependant d'attendre que les ouvriers des pays "ennemis" soient prêts a engager le combat contre celle-ci avant d'appeler ceux de "leur" propre pays à en faire autant. A l'appui de cette position, ils avançaient l'argument que, si les prolétaires d'un pays devançaient ceux des pays ennemis, ils favoriseraient la victoire de ces derniers dans la guerre impérialiste. Face à cet "internationalisme" conditionnel, Lénine répondait très justement que la classe ouvrière d'un pays n'avait aucun intérêt en commun avec "sa" bourgeoisie, précisant, en particulier, que la défaite de celle-ci ne pouvait que favoriser son combat, comme on l'avait déjà vu lors de la Commune de Paris (résultant de la défaite face à la Prusse) et avec la révolution de 1905 en Russie (battue dans la guerre contre le Japon). De cette constatation, il concluait que chaque prolétariat devait "souhaiter" la défaite de "sa" propre bourgeoisie. Cette dernière position était déjà erronée à l’époque, puisqu'elle conduisait les révolutionnaires de chaque pays à revendiquer pour "leur" prolétariat les conditions les plus favorables à la révolution prolétarienne, alors que c'est au niveau mondial et, dans un premier temps, dans les grands pays avancés (qui étaient tous impliqués dans a guerre) que la révolution devait avoir lieu. Cependant, chez Lénine, la faiblesse de cette position n'a jamais conduit à une remise en cause de l'internationalisme le plus intransigeant (c'est même cette intransigeance qui l'avait conduit à un tel "dérapage"). En particulier, il ne serait jamais venu à Lénine 1’idée d'apporter un soutien à la bourgeoisie du pays "ennemi", même si, en toute logique, une telle attitude pouvait découler de ses "souhaits". En revanche, cette position incohérente a été par la suite utilisée en de multiples reprises par des partis bourgeois à coloration "communiste" pour justifier leur participation à la guerre impérialiste. C'est ainsi, par exemple, que les staliniens français ont brusquement "redécouvert", après la signature du pacte germano-russe de 1939, les vertus de 1'"internationalisme prolétarien" et du "défaitisme révolutionnaire", vertus qu'ils avaient oubliées depuis longtemps et qu'ils ont répudiées avec la même rapidité dès que l'Allemagne est entrée en guerre contre l'URSS en 1941. C'est le même "défaitisme révolutionnaire" que les staliniens italiens ont pu utiliser pour justifier, après 1941, leur politique à la tête de la1'résistance" contre Mussolini. Aujourd'hui, c'est au nom du même "défaitisme révolutionnaire" que les trotskistes des pays (et ils sont nombreux) impliqués dans le combat contre Saddam Hussein justifient le soutien de ce dernier.
C'est pour cela que, dans la guerre du Golfe, il est nécessaire que les révolutionnaires soient particulièrement clairs sur le mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" s'ils ne veulent pas, même involontairement, favoriser les campagnes gauchistes.
Cette faiblesse dans le point de vue internationaliste, tel qu'il est exprimé au travers du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire", nous la trouvons sous une forme tout à fait caricaturale dans 77 Partito Comunista n° 186 : "Nous ne sommes pas cependant indifférents à l'issue de la guerre : nous sommes, en premier lieu, comme communistes révolutionnaires, défaitistes, nous sommes de ce fait favorables à la défaite de notre pays et plus généralement des pays occidentaux ; nous souhaitons la défaite la plus retentissante pour l'impérialisme états unien qui, étant le plus puissant du monde, représente le pire ennemi pour le mouvement prolétarien international, le chien de garde du capitalisme au niveau planétaire. " 77 Partito "souhaite" la défaite de l'impérialisme américain... comme les gauchistes, pour qui les croisades "anti impérialistes" ne sont rien d'autre que des prétextes pour appeler à participer à la guerre impérialiste, évidemment, Il Partito rejette une telle participation. Mais à quoi sert alors de "souhaiter", si c'est pour s'interdire tout moyen d'agir pour que le "souhait" devienne réalité. Pour les communistes, la réflexion théorique n'a pas pour objectif la spéculation gratuite, c'est un guide pour l'action. Les gauchistes, eux, sont conséquents. Et c'est justement le grand danger présenté par la position d'Il Partito. Avec ses "souhaits", cette organisation encourage, au lieu de les combattre fermement, les mystifications "anti impérialistes" qui pèsent sur une partie de la classe ouvrière. Et, à partir de là, ses protestations internationalistes en porte-à-faux ne pèsent pas lourd face à la logique des gauchistes. Qu’il le veuille ou non, Il Partito se fait ainsi le rabatteur pour le compte de ces derniers. Il est heureux, cependant, que la position de ce groupe ait peu de chances d'être entendue. C'est vrai que la défaite du principal gendarme mondial affaiblirait plus l'ensemble de la bourgeoisie que sa victoire. L'ennui, c'est que ce genre de chose n'existe que "dans l'abstrait" où l'on peut échafauder tous les plans sur la comète que l'on veut. Dans la réalité, et en l'absence d'intervention divine, la victoire va à l'impérialisme le plus fort : aujourd'hui, même Saddam Hussein, malgré sa mégalomanie, ne croit pas qu'il puisse vaincre les Etats-Unis ([3] [28]). Ainsi, en révélant ouvertement sa nature de spéculation futile et puérile, en affichant son ridicule et son absurdité, '"analyse" de Il Partito a au moins la qualité de réduire le danger constitué par une position fausse, celle du "défaitisme révolutionnaire".
Cependant, les erreurs des groupes prolétariens n'ont pas toujours le mérite d'être rendues inoffensives par leur absurdité. En particulier, il faut se garder de slogans tels que "Pour nous ouvriers de tous les pays, notre plus grand ennemi est 'notre' propre Etat", slogan qui figure dans la prise de position du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) intitulée : "Contre Bush et l'impérialisme occidental, Contre Saddam et l'expansionnisme irakien, Non à la guerre au Moyen-Orient" (Déclaration reproduite dans Battaglia Comunista de septembre 1990 et Workerç Voice n° 53). Ce n'est pas un hasard si ce slogan est le même que "L'ennemi principal est notre propre bourgeoisie" qui est le titre d'un tract diffusé en France par un groupe appelé "Internationale ouvrière pour reconstruire la 4e Internationale", c'est-à-dire un groupe trotskiste. Ce slogan (qui s'apparente à celui de "défaitisme révolutionnaire") aussi avait été mis en avant au cours de la première guerre mondiale, notamment par les spartakistes en Allemagne. On peut constater aujourd'hui à quel point il peut facilement être récupéré par la bourgeoisie. En fait, tout mot d'ordre qui s'adresse à tel ou tel secteur du prolétariat en particulier, en lui assignant des tâches distinctes, sinon différentes de celles des autres secteurs, est ambigu et peut être retourné plus facilement contre la classe ouvrière par les gauchistes. Même si le prolétariat mondial est, à l'origine, séparé en secteurs nationaux, du fait de la division de la société bourgeoise elle-même, le sens de sa lutte historique est de tendre vers une unité mondiale. Il appartient justement aux révolutionnaires de contribuer activement à la constitution de cette unité mondiale. C'est pour cela qu'il ne peut exister aujourd'hui qu'un seul programme pour une organisation communiste (et non un programme par pays) comme c'est le cas pour le CCI. Comme l'écrivait Marx : "Le prolétariat ne peut exister qu'à l'échelle de l'histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l'action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu'en tant qu'existence historique universelle." Dans le même sens, les perspectives que doivent mettre en avant les révolutionnaire sont les mêmes pour tous les pays et tous les secteurs du prolétariat mondial, contrairement à ce que fait le BIPR dans son document pour expliciter le slogan signalé plus haut. En effet, ce document, présenté comme l'émanation d'un même organe, existe en deux versions, et il faut constater que celle destinée aux ouvriers de langue anglaise a une allure bien plus gauchiste que celle en langue italienne (nous attendons la version française et allemande de ce texte). Dans cette version anglaise (et non dans l'autre) on peut lire, en effet :
"Nous devons combattre ses plans et préparatifs de guerre [de notre "propre" Etat, NDLR]. Cela signifie en premier lieu que nous exigeons le retrait immédiat de toutes les forces occidentales envoyées dans le Golfe. Toutes les tentatives d'envoyer de nouvelles forces doivent être combattue par des grèves aux ports et aux aéroports par exemple. Si les combats éclatent nous devons appeler à la fraternisation entre les soldats irakiens et les soldats occidentaux et à ce qu'ils retournent leurs fusils contre leurs officiers. En second lieu, cela signifie combattre les tentatives d'imposer plus d'austérité et de réduction des prestations sociales au nom de l’'intérêt national' (...) La crise du pétrole, comme en 1974, va fournir [à la bourgeoisie] un alibi parfait pour expliquer l'effondrement du système. Notre réponse doit être de repousser les mensonges, repousser l'hystérie nationaliste, et combattre pour un niveau de vie plus élevé. En particulier, nous appelons les ouvriers britanniques du pétrole de la mer du Nord à développer leur lutte et à empêcher les patrons d'augmenter la production. Cette grève doit être étendue afin d'inclure tous les ouvriers du pétrole et tous les autres ouvriers. Pas de sacrifice pour les guerres impérialistes."
Il faut malheureusement constater que la branche britannique du BIPR place au premier plan de son intervention le mot d'ordre classique de tous les gauchistes au sein du prétendu mouvement "anti-guerre" : "Retrait des troupes occidentales du Golfe". Il apporte ainsi sa petite contribution aux campagnes des secteurs d'extrême gauche de la bourgeoisie visant, non seulement à permettre que le Golfe soit contrôlé par le "peuple arabe" (c'est-à-dire par les impérialismes locaux), mais surtout à répandre les illusions dans la possibilité de bloquer la politique de guerre de la bourgeoisie au moyen d'une campagne légaliste de "manifestations pour la paix", de "mobilisation de l'opinion publique", etc. Et on sait que ces illusions constituent le meilleur moyen pour détourner les ouvriers de la seule arme avec laquelle ils puissent combattre le développement de la guerre : la lutte sur leur propre terrain de classe rejetant l'inter-classisme des campagnes pacifistes. Une telle politique erronée n'est pas nouvelle de la part de la Communist Workers Organisation (CWO), puisque c'est le même slogan gauchiste, "Impérialisme hors du Golfe", qu'elle avait mis en avant lors de l'intervention de 1 armada occidentale dans la guerre Irak-Iran en 1987 ([4] [29]).
Concernant l'appel à la grève dans les ports et les aéroports lancé par la CWO, on pourra signaler, pour sa gouverne et celle de ses supporters, qu il a rencontré un écho en France où les marins du port de Marseille ont arrêté le travail pour retarder (d'une journée) le départ de troupes vers le Golfe. Précisons toutefois que c'était à l'appel du syndicat CGT contrôlé par les staliniens. Et cela n'a rien de surprenant : si ces crapules se sont permises de lancer une telle "action d'éclat", c'est qu'elles savaient pertinemment qu'à l'heure actuelle une telle méthode de "lutte" ne présente aucun danger pour la bourgeoisie. En réalité, ce n'est pas à travers des luttes particulières de tel ou tel secteur de la classe ouvrière que celle-ci peut combattre la politique de guerre de la bourgeoisie (et c'est également valable pour les ouvriers du pétrole dont la solidarité avec leurs frères de classe irakiens ne passe en aucune façon par une lutte spécifique dans cette branche, même si, pris d'un scrupule, la CWO l'appelle ensuite à s'élargir). Cette politique est la seule "réponse" que cette classe, dans son ensemble, puisse apporter à la crise sans issue de son système et à la décomposition généralisée que cette crise engendre aujourd'hui. Seule la lutte de l'ensemble du prolétariat, comme classe, sur le terrain de classe, et non en tant que telle où telle catégorie spécifique peut s'opposer réellement à la guerre impérialiste. Elle seule, en particulier, ouvre le chemin vers l'unique réponse historique que la classe ouvrière puisse apporter à la guerre impérialiste : le renversement du capitalisme lui-même.
C'est pour cela, également, que l'appel "à la fraternisation entre les soldats irakiens et tes soldats occidentaux et à ce qu'ils retournent leurs fusils contre leurs officiers" est erroné dans la situation présente en tant que perspective immédiate. Ce mot d ordre est tout à fait juste en général. Il constitue une application de la vision internationaliste qui consiste à appeler le prolétariat à "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" ; et c'est comme tel qu'il s'est concrétisé à la fin de la première guerre mondiale, notamment entre les soldats russes et les soldats allemands. Mais cette concrétisation suppose un degré de maturité important dans la conscience du prolétariat, lequel n'existait pas au début de la guerre mais s'est justement développé au cours de celle-ci. Un degré de conscience qui allait permettre aux ouvriers de Russie, puis à ceux d'Allemagne, de se lancer dans le combat révolutionnaire. Cette conscience, en revanche, n'existait pas à la fin de la seconde guerre mondiale. Par exemple, les soldats allemands, qui étaient prêts à déserter, y renonçaient dans la mesure où, dans les pays occupés, le chauvinisme était tel parmi les ouvriers, qu'ils risquaient de se faire lyncher par ces derniers. Aujourd'hui, nous ne sommes évidemment pas dans la contre-révolution telle qu'elle existait en 1945, mais la situation présente est également loin de celle de la fin de la première guerre mondiale, sur le plan de la conscience dans la classe ouvrière. C'est pour cela que la guerre du Golfe ne permet pas de réponse immédiate, sur le terrain, de la part du prolétariat. Encore une fois, la réponse de classe de celui-ci se joue essentiellement à l'arrière des combats actuels, dans les grandes métropoles du capitalisme, et se situe fondamentalement à l'échelle historique. Le rôle des révolutionnaires n'est pas, avec un "radicalisme" uniquement verbal, de mettre en avant des "recettes" qui pourraient "tout de suite" arrêter la guerre du Golfe. Il consiste à défendre au sein de l'ensemble du prolétariat mondial une vision claire des enjeux véritables qui sont posés par la guerre du Golfe et des responsabilités qui en découlent pour lui et pour ses luttes.
Et, justement, l'incapacité politique des différents groupes du milieu prolétarien à mettre en avant des mots d'ordre appropriés à la situation présente se retrouve lorsqu'il s'agit de comprendre les véritables enjeux de celle-ci, ces deux faiblesses étant liées, évidemment.
Les incompréhensions des enjeux de la guerre
Comme beaucoup de commentateurs sérieux de la presse bourgeoise, la plupart des groupes ont réussi à mettre en évidence les origines immédiates de l'aventure irakienne : non pas la "folie mégalomane" d'un Saddam Hussein, mais le fait que l'Irak, après 8 ans de guerre terriblement meurtrière et ruineuse contre l'Iran, était pris à la gorge par une situation économique catastrophique et un endettement extérieur de près de 80 milliards de dollars. Comme l'écrit Battaglia Comunista dans son numéro de septembre 1990 : "L'attaque contre le Koweït est donc le geste classique de celui qui, sur le point de se noyer, tente le tout pour le tout". En revanche, les raisons fondamentales du formidable déploiement militaire des Etats-Unis et de ses acolytes passent complètement par dessus la tête de ces mêmes groupes.
Pour Le Prolétaire, en effet : "Les Etats-Unis ont défini sans fard l’'intérêt national américain' qui les faisait agir : garantir un approvisionnement stable et à un prix raisonnable du pétrole produit dans le Golfe : le même intérêt qui les faisait soutenir l'Irak contre l'Iran les fait soutenir maintenant l'Arabie Saoudite et les pétro-monarchies contre l'Irak." (tract déjà cité). C'est la même idée qu'énonce la CWO, elle aussi, dans un tract : "En fait, la crise du Golfe est réellement une crise pour le pétrole et pour qui le contrôle. Sans pétrole bon marché, les profits vont chuter. Les profits du capitalisme occidental sont menacés et c'est pour cette raison et aucune autre que les Etats-Unis préparent un bain de sang au Moyen-Orient...". Quant à Battaglia Comunista, c'est, avec un langage plus prétentieux qu'elle défend la même idée : « Le pétrole, présent directement ou indirectement dans presque tous les cycles productifs, a un poids déterminant dans le procès de formation de la rente monopoliste et, en conséquence, le contrôle de son prix est d'une importance vitale (...) Avec une économie qui donne clairement des signes de récession, une dette publique d'une dimension affolante, un appareil productif en fort déficit de productivité par rapport aux concurrents européens et japonais, les Etats-Unis ne peuvent le moins du monde se permettre en ce moment de perdre le contrôle d'une des variables fondamentales de toute l'économie mondiale : le prix au pétrole. »
A cet argument, qui est également celui de beaucoup de groupes gauchistes qui n'ont qu'une idée en tête : vilipender la rapacité de l'impérialisme américain afin de justifier leur soutien a Saddam Hussein, 77 Programma Comunista apporte un début de réponse : « Dans tout cela, le pétrole (...) n'entre que comme dernier facteur. Dans les grands pays industriels, les réservoirs sont pleins et, dans tous les cas, la majorité de l'OPEP (...) est prête à augmenter la production et ainsi stabiliser les prix du brut ». En fait, 1’argument du pétrole pour expliquer la situation actuelle ne va pas très loin. Même si les Etats-Unis, de même que l'Europe et le Japon, sont évidemment intéressés à pouvoir importer un pétrole à bon marché, cela ne saurait expliquer l'incroyable concentration de moyens militaires opérée par la première puissance mondiale dans la région du Golfe. Une telle opération ne fait que grever encore plus les déficits déjà considérables des Etats-Unis et coûtera bien plus à l'économie de ce pays que l'augmentation du prix du pétrole demandée initialement par l'Irak. D'ailleurs, dès à présent, avec la perspective d'affrontements majeurs, ce prix a grimpe bien au delà du niveau qui aurait pu être établi par des négociations avec ce pays si les États-Unis avaient voulu de telles négociations (ce n'est certainement pas pour faire "respecter" les intérêts du cheikh Jaber et de son peuple que les Etats-Unis font preuve d'une intransigeance totale vis-à-vis de l'occupation du Koweït). Et les destructions qui résulteront de l'affrontement militaire risquent fort d'aggraver encore les choses. Si vraiment c'était le prix du pétrole qui préoccupait fondamentalement les Etats-Unis, on peut dire qu'ils ne s'y prennent pas de la meilleure façon : leur démarche évoquerait plutôt celle d'un éléphant voulant mettre de l'ordre dans un magasin de porcelaine.
En réalité, l'ampleur même du déploiement militaire fait la preuve que l'enjeu, pour les Etats-Unis, comme pour tous les autres pays, va bien au delà d'une question de prix du pétrole. C'est ce que touche du doigt Battaglia Comunista en essayant d'élargir son cadre d'analyse : "La rupture des équilibres issus de la seconde guerre mondiale a, en réalité, ouvert une phase historique dans laquelle nécessairement d'autres devront se constituer accentuant de ce fait la concurrence entre les différents appétits impérialistes (...) une chose est sûre, [quelle que soit l'issue de ce conflit] aucune des questions que la crise du golfe a mises en évidence ne pourra trouver de solution de cette façon". Mais c'était trop lui demander : immédiatement, cette organisation se noie de nouveau dans... le pétrole : "Une fois l'Irak éliminé, pour l'exemple, il ne se passera pas longtemps avant que quelqu'un d'autre ne pose la même question : modifier la répartition de la rente [pétrolière] à l'échelle mondiale : parce que c'est cette répartition qui détermine la hiérarchie internationale que la crise de l'URSS a remise en cause. " C'est là un point de vue original : qui contrôle le pétrole (ou la "rente pétrolière, pour faire plus "marxiste") contrôle la planète : pauvre URSS qui ne le savait pas et dont l'économie, en même temps que la puissance impérialiste, s'est effondrée alors qu'elle était le premier producteur mondial... de pétrole. Quant à Programma, s'il comprend bien qu'il y a autre chose de plus important que le pétrole, il n'arrive pas à dépasser les généralités : "l’enchevêtrement d'un conflit né d'intérêts de puissance colossaux, qui en se résolvant ne pourra qu'en susciter de nouveaux, défaisant et recomposant les alliances...". Comprenne qui pourra. Voila qui n'apporte pas beaucoup de clarté à la classe ouvrière, en tout cas. Il est clair, par contre, que Programma ne comprend pas grand chose, lui non plus.
La sous estimation de la gravite de la situation actuelle
En fin de compte, s'il y a un point commun entre les différentes analyses de la signification de la guerre du Golfe, c'est bien la sous-estimation dramatique de la gravité de la situation dans laquelle se trouve le monde capitaliste aujourd'hui. Tels des montres arrêtées, les groupes prolétariens, même lorsqu'ils parviennent a reconnaître le bouleversement que vient de subir l'arène impérialiste mondiale avec la disparition du bloc russe, sont incapables d'en mesurer la dimension et les implications réelles. Ils ne font que plaquer des schémas du passé à cette nouvelle situation, de la même façon qu'ils se contentent de répéter des mots d'ordre qui, des leur origine, étaient erronés. Nous ne développerons pas ici notre analyse suivant laquelle le capitalisme est entré aujourd'hui dans la phase ultime de sa décadence : celle de la décomposition générale de la société (voir Revue Internationale n°57 et 61). De même, nous ne reviendrons pas en détail sur notre propre prise de position sur la guerre du Golfe (voir éditorial de la Revue internationale n° 63 et 64), ni sur la question du militarisme dans la période actuelle (voir l'article "Militarisme et décomposition" dans ce numéro). Mais c'est notre devoir de dire que le refus des groupes communistes de regarder en race la réalité actuelle dans toute sa gravité (lorsqu'ils ne nient pas, purement et simplement, que le capitalisme est un système décadent, comme le font les bordiguistes) ne saurait leur permettre d'assumer pleinement leur responsabilité face à la classe ouvrière.
La guerre du Moyen-Orient, en effet, n'est pas simplement une guerre comme les autres, face à laquelle il suffit de réaffirmer les positions classiques de l'internationalisme, surtout sous la forme erronée du "défaitisme révolutionnaire". Le formidable déploiement militaire des Etats-Unis ne vise pas uniquement l'Irak, loin de là. La mise au pas de ce pays n'est qu'un prétexte pour "faire un exemple" afin de dissuader toute velléité future, d'où qu'elle vienne, de jouer un jeu qui pourrait déstabiliser 1'"ordre mondial". Cet "ordre" était en parti assuré lorsque le monde était partagé entre deux grands "gendarmes". Si l'antagonisme entre ces derniers alimentait et attisait toute une série de guerres, il contraignait celles-ci, en même temps, à ne pas échapper au contrôle des "superpuissances", et en particulier, à ne pas prendre une extension qui aurait risqué de conduire à une guerre généralisée pour laquelle les pays avancés n'étaient pas prêts du fait du non-embrigadement du prolétariat. Mais l'effondrement complet du bloc de 'Est n'a pu qu'ouvrir la boîte de Pandore de tous les antagonismes impérialistes existant entre les différentes composantes du bloc occidental lui-même, et qui avaient été bridés tant qu'existait la menace du bloc adverse. L'acte de décès du bloc de l'Est constituait donc la condamnation à mort du bloc de l'Ouest. C'est bien ce qu'exprimait le rapt du Koweït par l'Irak, lequel, jusqu'alors, s'était comporté en bon défenseur des intérêts occidentaux contre l'Iran. Cependant, le principal antagonisme impérialiste entre anciens "alliés" du bloc américain ne concerne pas les pays de la périphérie mais bien les pays centraux, c'est-à-dire les puissances économiques que sont les Etats d'Europe occidentale, le Japon et les Etats-Unis eux-mêmes. Si les ex-alliés de cette puissance au sein de feu le bloc occidental, sont bien intéressés à mettre au pas les seconds couteaux du "tiers-monde" lorsqu'ils tentent de sortir de leur rôle, ils sont beaucoup moins intéressés dans une opération de police dont l'objectif principal est d'assurer leur allégeance à cette même puissance. L'intervention militaire des Etats-Unis, même si elle contraint cette fois-ci leurs ex-vassaux à rabattre leurs prétentions, ne pourra mettre un terme définitif aux déchirements impérialistes, puisque ces déchirements font partie de la vie même du capitalisme, et qu'ils ne pourront qu'être encore exacerbés par l'aggravation irréversible de la crise de ce système, son enfoncement irrémédiable dans les convulsions de sa décadence et de sa décomposition. Sans être une guerre mondiale, la guerre du Golfe est donc la première manifestation majeure d'un chaos et d'une barbarie comme jamais la société humaine n'en a connus.
Voilà ce que les organisations révolutionnaires doivent affirmer clairement à leur classe afin que celle-ci puisse prendre pleinement conscience des enjeux de son combat contre le capitalisme. Sinon, elles seront totalement incapables d'assumer la tâche pour laquelle le prolétariat les a faites surgir et elles seront impitoyablement balayées par l'histoire.
FM, 1/11/90.
[1] [30] Pour certaines organisations trotskistes, le langage diffère en fonction du support de leur prise de position : dans leur presse à grande diffusion, leur soutien à l'impérialisme irakien est masqué derrière toutes sortes de contorsions (il ne faut pas choquer le public !), mais dans leur publication "théorique" et leurs réunions publiques, qui s'adressent à un public plus "initié", c'est de façon ouverte qu'ils appellent au soutien de l'Irak. Là encore, les moyens et le but sont bien en accord : comme n'importe quel secteur de la bourgeoisie impliqué dans la guerre, le trotskisme utilise, pour parvenir à ses fins, les "techniques" classiques de dissimulation, de désinformation et de mensonge.
[2] [31] Le silence
dans lequel s'est maintenu jusqu'à présent le Ferment Ouvrier Révolutionnaire
n'en est que plus inacceptable. Apparemment, le FOR est beaucoup plus en verve
lorsqu'il s'agit de faire des procès stupides aux autres organisations
révolutionnaires, en leur faisant dire n'importe quoi (voir son article
"Encore un plat piquant du CCI" dans L'arme de la critique n°
6) qu'au moment où il faut faire entendre la voix internationaliste contre la
barbarie guerrière du capitalisme. Mais peut-être ce silence indique-t-il tout
simplement que le FOR a cessé d'exister comme organisation. Une telle
éventualité ne serait nullement surprenante : lorsqu'une organisation
révolutionnaire continue à affirmer, contre toute évidence, que le capitalisme
n'est pas aujourd'hui en crise, comme l'a toujours fait le FOR, elle perd
toute capacité à contribuer à la prise de conscience du prolétariat et devient
sans objet.
[3] [32] Il faut rendre à César ce qui est à César et à Bordiga la paternité de cette position. En effet, c'est lui qui, au début de la "guerre froide", avait mis en avant que la défaite du bloc impérialiste américain face au bloc russe plus faible, créerait les conditions les plus favorables au développement de la lutte prolétarienne. Cette position était dangereuse et pouvait parfaitement faire le jeu des trotskistes et des staliniens. D'autant plus qu'elle n'avait pas la même stupidité que celle de ses épigones d'aujourd'hui puisqu'elle concernait des adversaires impérialistes d'une force comparable. Parmi ces épigones, on peut signaler également le "Mouvement communiste pour la formation du parti communiste mondial" qui a publié un tract intitulé "Pour arrêter la guerre, il faut arrêter économie". En soi, ce nouveau groupuscule ne représente pas grand-chose, mais son document est significatif des aberrations qui constituent le "patrimoine" du bordiguisme. En effet, outre les "souhaits" classiques en faveur d'une défaite des Etats-Unis, ce texte, en bonne fidélité bordiguiste, reprend à son compte des slogans mis en avant par Lénine au début du siècle tels que "Contre toute oppression des nationalités" et "Contre toute annexion". Aujourd'hui, ces deux slogans peuvent parfaitement convenir à la bourgeoisie et favoriser ses campagnes mystificatrices. Ainsi, c'est au nom de la lutte contre "l'oppression des nationalités" que les prolétaires des différentes républiques de l'URSS sont à l'heure actuelle appelés, et malheureusement avec succès, à abandonner leur terrain de classe pour le terrain pourri du nationalisme sur lequel ils vont s'entre-massacrer. De même, la "lutte contre les annexions" est, en ce moment même, le cheval de bataille de l'ONU, et particulièrement des Etats-Unis, dans leur croisade contre l'Irak.
[4] [33] Dans le document signé en commun par Workers'Voice et Battaglia Communista, l'Irak est considéré, fort justement, comme un pays impérialiste. Il faut constater, cependant, que c'est une première pour la CWO qui, jusqu'à présent, considérait que seules les superpuissances étaient impérialistes. Il est dommage que cette organisation n'ait pas fait part aux lecteurs de sa presse de son changement d'analyse. A moins que la CWO ne conserve encore, malgré tout, sa vieille (et stupide) position. Cela expliquerait la raison du titre ambigu du document signé en commun avec Battaglia, où on fait une différence entre "l'impérialisme occidental et "l'expansionnisme irakien". Décidément, le BIPR et la clarté politique sont toujours aussi fâchés l'un avec l'autre ! Pour sa part, l'opportunisme du BIPR continue à bien se porter. Merci pour lui !
Les convulsions qui secouent actuellement le monde, manifestations de l'entrée du capitalisme dans une phase de décomposition, imposent aux organisations du milieu politique prolétarien une décantation politique plus rigoureuse. La confrontation de leurs prises de position devrait contribuer a cette décantation, permettant une intervention qui soit un facteur de clarification et non de plus grande confusion pour l'ensemble de la classe ouvrière. Malheureusement, il n'en est rien.
L'accélération de l'histoire met en relief la paralysie et le retard des analyses des organisations politiques prolétariennes. Au lieu d'une confrontation de positions sérieuse, nous voyons des accords superficiels, d'occasion, pour quelque «publication commune», dont la seule raison d'être semble un accord tacite pour intensifier les attaques non fondées contre le CCI, parce qu'il est la seule organisation qui essaie d'aller au fond des choses dans les analyses de la situation actuelle, et parce qu'il en appelle à la responsabilité du milieu révolutionnaire. La persistance d'une telle attitude est porteuse du risque que ces organisations restent fixées à des formes d'existence parasitaires. Et si cela constitue un risque pour les organisations qui puisent leurs racines dans des fractions de la gauche communiste, et donc sont capables de se maintenir sur un terrain de classe, le risque est encore plus grand pour les regroupements politiques prolétariens relativement jeunes qui n'ont pas pu - ou pas voulu - s'accrocher au fil des positions historiques de la classe. C'est ce qui arrive au groupe Emancipacion Obrera (Argentine).
Défendre le milieu politique prolétarien, même des attaques des amis
Il y a quelques mois, Emancipacion Obrera (EO) a publié une brochure sous le titre «Nous voulons tout» dans laquelle ce groupe, outre qu'il disperse ses idées sur la lutte de résistance du prolétariat et autres thèmes, donne pesamment dans la calomnie à la mode dans le milieu politique prolétarien, contre le CCI, avec des envolées du style :
«Les mots d'ordre du CCI se réduisent plus ou moins à « pain, paix et travail », mot d'ordre connu de tout le réformisme mondial, du stalinisme, du trotskisme et de tous les "ismes" qui composent la gauche du capital, y compris des secteurs bourgeois qui ne sont pas de gauche».
Ce «plus ou moins» avec lequel commence la citation, est représentatif de l’esprit qui anime toute la brochure : l'esprit de l'ambiguïté dans les prises de position de EO, l'esprit de «jeter la pierre et cacher la main». Ainsi dès l’introduction nous lisons que :
«A côté dépositions qui gardent des ressemblances avec les nôtres, nous avons d'importants désaccords avec des points qu'ils (le CCI) ont en commun avec la gauche du capital (...).». Et : «ce n'est pas parce que le CCI n'est pas exactement identique à nous, mais parce qu'il n'a pas achevé la rupture avec la gauche du capital...».
Ainsi, selon ces camarades, le CCI aurait les mêmes positions que la gauche du capital... sans être exactement des leurs. C'est confus. Cependant la confusion ne vient pas de l'organisation analysée, mais de l'analyste. Il ne peut pas exister en effet une organisation qui soit en même temps bourgeoise et prolétarienne (EO ne parle pas de faiblesses ou de déviations, mais de mots d'ordre et de positions). Donc, ou bien le CCI est une organisation bourgeoise et EO devrait expliquer pourquoi il a maintenu des relations politiques pendant des années avec cette organisation. Ou bien EO a la position opportuniste selon laquelle une organisation prolétarienne pourrait maintenir des liens avec une organisation bourgeoise. Ou le CCI est une organisation prolétarienne et alors EO substitue la calomnie à la critique et au débat.
Mais le CCI n'est pas la seule victime de la confusion. En parlant de Rosa Luxemburg et en particulier de son oeuvre Réforme ou révolution, EO la situe avec le plus grand mépris comme l'exemple le plus pur du réformisme, dont le CCI serait imbibé. EO n'est pas capable de comprendre que précisément l'oeuvre citée constitue un outil fondamental avec lequel l'aile révolutionnaire - dont Rosa était une des principales représentantes - du parti prolétarien de l'époque (la social-démocratie de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle) combattait le réformisme.
Ensuite, citant l'oeuvre de Lénine, Explication du projet de Programme, EO suppose qu il traite de «l'exposition la plus traditionnelle du problème (de la conscience), conception sur laquelle se retrouve d'accord la majorité des groupes politiques qui se disent révolutionnaires à l'intérieur et à l'extérieur de la gauche du capital», et, plus loin : «... A côté de choses correctes, on voit ses limites, son point faible. Il ne sort pas de la problématique de la résistance au capitalisme et l'alternative politique en reste à obtenir de l'influence dans le pouvoir d'Etat».
Récemment, EO considérait que des organisations prolétariennes et capitalistes pourraient «s'accorder» sur quelque chose, c'est-à-dire, avoir des positions politiques communes. En plus, la pensée révolutionnaire de Lénine est complètement détournée, la citation critiquée est de fait un commentaire inspiré du premier chapitre du Manifeste Communiste sur «comment s'accroît la force de la classe ouvrière à partir de sa lutte de résistance pour se convertir en lutte pour le pouvoir politique». EO rabaisse Lénine au niveau d'un vulgaire chercheur de poste. Son raisonnement est le même que celui dont il gratifie le CCI.
A propos du CCI : «A côté de positions semblables aux nôtres... des points communs avec la gauche du capital».
A propos de Lénine : «A côté de choses correctes, on voit ses limites.»
Mais la «limite» n'est pas ici le fait de Lénine, mais bien de EO qui se trompe sur l'histoire du mouvement révolutionnaire du prolétariat, la rend confuse, et la dévalorise. Dans une autre partie de la brochure, on peut lire :
«Le mot d'ordre traditionnel (repris par Engels, la social-démocratie, Lénine, Staline, Trotsky, Mao, Fidel, Tito, etc.) selon lequel après la révolution il doit en être "de chacun selon ses possibilités, à chacun selon son travail" s'est révélé être un moyen de perpétuer le capitalisme». Ici EO va jusqu'à établir une ligne de continuité entre les dirigeants du prolétariat comme Engels, Lénine ou Trotsky, et les bourreaux du prolétariat, les chiens sanglants du capital comme Staline, Mao, Fidel ou Tito. C'est tout juste si Marx et Engels sont épargnés par les traits ignorants de ces camarades : «Le même mot d'ordre qui a rendu fameux le Manifeste de Marx et Engels "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous" a démontré sa grave (sic) insuffisance».
Ainsi donc, la brochure «Nous voulons tout» est en premier lieu une manifestation du fait qu'EO perd la boussole et n'est pas capable de distinguer clairement les frontières de classe qui séparent une organisation prolétarienne d'une organisation du capital. Et ce, parce qu'elle n'est pas non plus capable de comprendre que les positions révolutionnaires de la classe ouvrière, de même que la forme dans laquelle elles sont exprimées dans l'oeuvre de tel ou tel révolutionnaire, ont une évolution, en même temps qu'une continuité, tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier. Continuité des positions de classe auxquelles tout regroupement politique prolétarien doit s'accrocher, s'il ne veut pas se voir ballotté d'un côté à l'autre par l'idéologie bourgeoise, fréquemment présentée sous les dehors d'idées «nouvelles» et «originales». Et attention. La question n'est pas qu'il faut s'incliner devant les révolutionnaires du passé comme s'ils étaient sacrés ou s'ils ne pouvaient pas avoir des insuffisances et commettre des erreurs, ou s'interdire toute critique envers eux ainsi qu'envers les organisations révolutionnaires. La question est que, pour pouvoir entreprendre une critique qui exprime mieux les positions de classe, ou qui leur permette d'avancer, il faut d'abord les comprendre, tout au moins il faut pouvoir les différencier des positions ennemies.
De fait, et sûrement sans s'en rendre compte, EO a apporté sa pierre dans la campagne idéologique que la bourgeoisie mondiale a lancée contre le prolétariat avec le motif de l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, campagne qui identifie la révolution d'octobre avec le capitalisme d'Etat qui s'est instauré après sa défaite, et qui prétend établir une ligne de continuité entre Marx, Lénine et Staline, pour «prouver» que le marxisme conduit au stalinisme.
D'autre part, le silence complice et opportuniste d'autres groupes du milieu envers cette brochure de EO est préoccupant. Enchantés des attaques que EO lance contre le CCI, ils ne se sont pas préoccupés du fait que EO remet en question les frontières de classe qui définissent le milieu politique prolétarien, le marxisme en général. Dans ces conditions, le moins que puisse faire le CCI est de défendre les positions de base de la classe et du milieu politique révolutionnaire, même si, à cette occasion, l'attaque ne provient pas de l'ennemi que nous avons en face de nous, mais des amis.
Luttes de résistance et révolution
Mais quelle est cette «grave insuffisance» qui selon EO provient de Marx et Engels, passe par Rosa Luxemburg et Lénine et arrive jusqu'au CCI ? Quel est ce point sur lequel tous «s'accordent» avec la gauche du capital, «y compris avec des secteurs bourgeois qui ne sont pas de gauche» ? Il s'agit de la position la plus fondamentale, essentielle, du marxisme, avec laquelle les camarades s'embrouillent pendant les 60 pages de leur brochure sans en venir à bout : la position selon laquelle, la lutte de résistance des ouvriers contre les effets de l'exploitation capitaliste conduit dans son développement (dans son extension, unification, approfondissement, sa radicalisation) à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière contre le capitalisme, comme un tout, pour le détruire et construire la société communiste. Et comme cette position se maintient tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier et est répétée constamment de multiples façons dans la littérature marxiste - il n'y a qu'à relire le premier chapitre du Manifeste Communiste -, il est naturel que EO finisse par vouloir jeter le marxisme dans le camp bourgeois. Voyons un des paragraphes qui résume sa position. Il se réfère aux luttes pour des augmentations de salaires et dit :
«... c'est une illusion criminelle de croire que l'unification des luttes actuelles (nous sommes dans ces luttes, nous y participons, et c'est pour cela que nous savons ce qu'elles sont) puissent créer la force qui nous permette de détruire le capitalisme et de créer le communisme. Principalement pour quatre raisons :
1) Les luttes actuelles se font en majorité sur un terrain limité, essayer de conserver la force de travail... Bien sûr, il faut les faire, mais il ne faut pas nier leurs limites et pire encore quand elles sont encadrées par des mots d'ordre tels que pain, paix et travail... D'autres sortes de luttes sont aussi nécessaires, d'autres sortes d'orientations, d'objectifs (souligné par EO).
2) Ces luttes en elles-mêmes ne créent pas la force, pas plus que leur unité ne permet de détruire le capitalisme : cela se fait avec un autre type de lutte, et un autre type de méthode (l'insurrection en est un exemple) et, certainement, avec d'autres objectifs.
3) Si l'avant-garde prolétarienne n'est pas organisée en parti... il n'y a pas de possibilité pour que mûrisse une alternative prolétarienne réellement capable de vaincre le capital.
4) Ce parti ne surgit pas spontanément de ces luttes... pas plus qu'il ne peut surgir de façon isolée de la lutte de classe réelle...».
Tout cela se réduit à une contradiction qu'établit EO entre les «luttes actuelles» et les «luttes d'un autre type qui sont nécessaires». EO nie que les luttes de résistance font partie du processus de l'unification de la classe en vue de la révolution, pour ce groupe elles ne font pas partie de la lutte de classe «réelle». Deux questions s'imposent :
Pourquoi EO pense que ces luttes doivent être, «bien sûr», soutenues. Réponse : «nous devons lutter pour ces simples raccommodages parce que nous n'avons pas encore la force pour faire la révolution». Ici est exprimé clairement que pour EO il n'existe pas de relation entre la lutte de résistance et la révolution, et que si on lutte pour ces «raccommodages» c'est parce qu'on ne peut pas faire autre chose. Non parce que cette lutte contribue en quoi que ce soit à la révolution, puisque ce sont deux choses opposées. Ceci est d'une inconséquence totale, puisque si EO considère que les luttes actuelles ne servent qu'à «obtenir des raccommodages» mais à chaque moment affirme qu'on doit «les faire» et qu'ils participent à ces luttes, c'est que ce groupe rabaisse le rôle de l'organisation révolutionnaire à celui d'une oeuvre de charité. En réalité, les révolutionnaires interviennent dans les luttes de résistance parce qu'ils ont la conviction qu'en principe elles constituent un point de départ pour le développement de la lutte révolutionnaire. C'est une autre question que de savoir comment, à partir de ces luttes, avec l'intervention du parti, de la conscience, se développe la lutte révolutionnaire.
Seconde question : quel serait cet autre «type de luttes», cette «lutte de classe réelle» qui créerait la force et l'unité de la classe. Là, la confusion de EO est encore plus grande.
D'un côté ils mentionnent l'insurrection, mais ce n'est pas de cela qu'on parle. Il ne suffit pas de définir le point culminant pour attaquer le pouvoir bourgeois, encore faut-il définir le chemin que le prolétariat doit prendre pour atteindre ce point culminant. L'histoire de la classe ouvrière ne connaît d'autre chemin que celui qui passe par le développement de ses luttes de résistance, de son mouvement de grèves. C'est dans ces luttes qu'il peut forger son unité, sa conscience, ses organisations, qui lui permettent d'aller à l'assaut révolutionnaire.
D'un autre côté, bien qu'on n'ait pas une idée claire, explicite de ce que EO veut dire par la «lutte de classe réelle», qui devrait se substituer aux «luttes actuelles», la brochure y fait allusion. Par exemple, elle se réfère à des émeutes de la faim pour dire : «il est certain que ce sont des réactions sans perspectives (...) mais il y a une composante des luttes que nie le CCI». Ailleurs, par rapport aux réactions de colère des ouvriers (comme bastonner un délégué syndical ou se battre avec la police) contre les abus dont ils sont l'objet de la part des forces du capital dans le travail et la vie quotidienne, ils disent : «Ces petites luttes, font aussi partie de la lutte et en de nombreux cas comportent des caractéristiques très importantes pour la lutte révolutionnaire...»; ou bien, à propos des actions comme dresser des barricades, brûler des voitures qu'on voit dans certaines grèves, ils approuvent : «il est certain que beaucoup d’actions, y compris désespérées, n'ont pas de perspectives et ne se produiraient pas si la classe ouvrière répondait comme une seule personne (...) mais aujourd'hui ce n'est pas la situation et si nous voulons intervenir dans la lutte réelle, nous devons partir des réalités (...)».
Il s'agit là de trois situations différentes :
- de révoltes de masses affamées et désespérées (voir "Les révolutionnaires face aux émeutes de la faim", Revue Internationale n° 63) ;
- de réactions isolées d'ouvriers ;
- de grèves de résistance (qui sont rejetées à certains moments, et ici saluées, pourquoi ?).
Qu'est ce qu'elles ont en commun ? Quelle est cette «composante de lutte très importante», cette «lutte réelle» ? Simplement, la violence désespérée. Selon EO, «Dans la mesure où la nécessité de détruire l'Etat n'apparaît pas intégrée à la façon dont le CCI pose les problèmes, (nous nous référons plus loin à cette question) (...) il est logique qu'ils sous-estiment ou méprisent les moments d affrontements avec les forces de l'ordre capitaliste (...)».
EO s'avance sur une pente glissante. De fait, la violence de classe (qu'on lise bien) est une «composante» de la lutte du prolétariat, et, évidemment non seulement dans l'insurrection pour abattre définitivement le pouvoir bourgeois, mais aussi dans toute la période qui la précède. Déjà les luttes de résistance, pour s’étendre sous le contrôle des ouvriers eux-mêmes, impliquent un affrontement avec l'appareil étatique, avec les syndicats, la police, la justice. Ce à quoi nous nous opposons sans cesse, ce que nous dénonçons dans tous les cas, c'est que les ouvriers s'enferment, ou mieux, soient enfermés par les radicaux petit-bourgeois, les syndicats ou la police, dans des actes de violence désespérés, isoles, minoritaires, qui empêchent ou entravent les tendances à l'unité de la classe, qui impliquent l'affrontement direct avec des organismes de répression pouvant mobiliser et concentrer une force très supérieure à celle d'un quelconque groupe d'ouvriers ou d'une grève isolée. Nous appelons à ne pas tomber dans cette violence désespérée «sans perspectives», qui conduit à des impasses, a des défaites et à la démoralisation de secteurs entiers de la classe ouvrière.
Rien n'est plus stupide et dangereux que de poser la question comme le fait EO : «il est criminel aujourd'hui d'appeler à s'armer de mitraillettes pour défendre un piquet de grève de la police, mais il est aussi criminel de ne pas chercher des moyens d'autodéfense en fonction des forces réelles d'aujourd'hui». Nous avons là, dans son essence, le piège du radicalisme petit bourgeois provocateur : inciter un groupe d'ouvriers à l'affrontement avec la police, mais en leur disant de ne pas utiliser d'armes à feu, sachant que la police peut en faire usage quand elle le veut. L’alternative relative au type de défense que devraient employer les ouvriers dans un piquet de grève est fausse. Les ouvriers se défendent toujours le mieux qu'ils peuvent, il n'y a qu'à se souvenir de la grève des aciéries au Brésil il y a deux ans, où les ouvriers avaient posé des pièges dans les installations de l'usine et inventé avec talent des artifices avec les outils pour affronter l'armée... et pourtant, malgré leur vaillante riposte, ils furent écrasés. La véritable alternative est : ou les ouvriers s'enferment dans leur usine jusqu'à ce qu'ils soient réprimés par une force policière plusieurs fois supérieure, qui aura inévitablement le dessus, ou ils sortent pour chercher la solidarité de classe, l'extension de la lutte, la force de la masse. Bien que ce chemin soit plus difficile et plus long, c'est le seul qui puisse conduire non seulement à l'obtention de revendications et à faire échec à la répression, mais encore est le seul moyen de contribuer à forger l'unité de la classe nécessaire pour renverser le capitalisme. Est-ce que les camarades de EO comprennent maintenant notre position ?
Le dernier point sur les luttes ouvrières. Mêlé à la critique faite au CCI d'appuyer les luttes de résistance, EO utilise l'argument que le CCI met en avant «une unité sans aucune perspective anti-capitaliste et intégrée au capitalisme... qui obligatoirement amène à de nouvelles défaites», «le principal problème du CCI... n'est pas son appui à ces luttes (de résistance) mais sa tentative de les enfermer dans un schéma politique économiciste».
C'est-à-dire, il ne s'agit pas là du «caractère limité des luttes», mais du fait que le CCI essaie de les limiter. Ceci est une accusation réellement grave parce qu'elle identifie le CCI à un instrument de la bourgeoisie, comme les syndicats, dont la fonction est précisément de tenter d'encadrer les luttes et de les mener à la défaite. EO devrait au moins avoir quelque solide argument pour la lancer. Et pourtant, il n en a pas. Cette accusation est soutenue par des phrases des plus floues, faisant référence à ce que le CCI ne parle pas toujours de l'objectif final ou de la lutte armée, du style de «ce thème n'est pas traité avec l'importance qu'il doit avoir»; «quelques textes isolés semblent reconnaître... mais c'est insuffisant» ; «soit dit en passant (oui, camarades, ce que vous dites est toujours dit "en passant"), il semble que le CCI ne défende pas non plus la dictature du prolétariat dans ses tracts».
Que signifie tout cela ? Qu'une fois que EO a perdu de vue la délimitation des frontières de classes, des positions qui séparent une organisation du capital d'une organisation révolutionnaire du prolétariat, elle est amenée à penser qu'une organisation révolutionnaire se juge... a la quantité de fois qu'elle écrit «prendre le pouvoir !», «guerre révolutionnaire !», «nous voulons tout !». C'est regrettable, mais cela nous fait penser au «travail politique dans les masses» que prône le gauchisme petit bourgeois le plus radical : balancer des tracts et couvrir les murs de mots d'ordre aussi ultraradicaux et ultra-révolutionnaires... que vides de contenu. Où va donc le groupe EO?
Emancipacion Obrera à la dérive
Il y a maintenant plus de quatre ans que nous avons établi des relations politiques avec EO, avec la publication dans les pages de cette revue de sa «Proposition internationale» et d'un début de correspondance (Revue Internationale n°46 et 49, 1986-87). A cette époque, nous avons salué la préoccupation et l'effort des camarades de contribuer à l'unification des forces révolutionnaires dans le monde. Pourtant, nous ne nous sommes pas privés de signaler ce qui, de notre point de vue, constituait les faiblesses de ce regroupement. En particulier, nous l'avons prévenu contre l'idée que le critère pour «reconnaître» les groupes révolutionnaires pourrait être «la pratique» sans plus. Nous disions que :
«Une "pratique" séparée de tout fondement politique, de toute orientation, de tout cadre de principes, n'est qu'une pratique suspendue en l'air, un immédiatisme borné, mais ne saurait jamais être une activité vraiment révolutionnaire. Toute séparation entre théorie et pratique optant soit pour la théorie sans pratique, soit pour la pratique sans théorie, détruit l'unité des luttes immédiates et du but historique». (Revue Internationale n° 49)
Ainsi nous signalions l'urgente nécessité, encore plus grande pour les groupes «jeunes», face à la rupture organique de plus de cinquante ans, produit de la défaite de la vague révolutionnaire du début de ce siècle, de s'efforcer de «tenter de rétablir la continuité historique et politique du mouvement», (id.) Nous l'avons alerté à l'époque du danger de tomber dans l'attitude de certains groupes à qui «il paraît plus avantageux de rester dans l'ignorance et même d'effacer purement et simplement le passé et de considérer que l'histoire de la lutte des classes commence avec eux... dans leur volonté d'effacer le passé, se considérant être sortis du néant, ils se condamnent à n'être que du néant», (id.) Ce qui à cette époque apparaissait comme des «faiblesses» passagères d un corps jeune, tend aujourd’hui à se convertir en maladie chronique : le mépris pour la théorie, la négation de la continuité historique du mouvement ouvrier. Et que nous offre EO en échange ? Peu, réellement peu.
Ainsi, le problème de la conscience de classe, apparaît à EO comme un «noeud gordien» qu'ils ne tentent pas de dénouer, mais qu'ils préfèrent «trancher d'un coup de hache» (p. 50 de «Nous voulons tout»). Pour EO, le débat de deux siècles dans le mouvement ouvrier est «résolu» sans grande difficulté. Pour eux, nul besoin de marxisme, ils ont simplement besoin... d'un dictionnaire :
«Si nous y prêtons réellement attention (EO nous fait la leçon), en réalité le spontané non seulement n'est pas l'inconscient mais suppose que ce qu'on fait spontanément, on le fasse volontairement... du dictionnaire, "spontané" : volontaire et de son propre mouvement"
(...)». Et de ce jeu sur les mots infantile, EO tire la conclusion : «au spontané ne s'oppose pas le conscient, mais l'organisé... et notre tâche fondamentale n'est pas que les ouvriers prennent conscience, mais de prendre part à leurs prises de position, à ce qu'il prennent parti», et plus loin : «la tâche du parti (...) n'est pas de "développer la conscience" ou qu'il y ait prise de conscience, mais qu'il y ait prise de parti (...)", "la tâche du parti est de défendre une position, un parti (sic)» : «la situation du prolétariat ne trouvera pas de solution quand les ouvriers "prendront conscience" qu'ils sont exploités, ou que la bourgeoisie est l'ennemi, que le capitalisme est une merde ! Combiens d'ouvriers et d'ouvrières le savent déjà sans l'aide des "révolutionnaires" ? Est-ce que cela change la réalité de cette situation? (...) la question est en premier lieu la position, le parti qu 'ils prennent (...)»
Nous posons la question : pourquoi personne n'a eu avant l'idée de regarder un dictionnaire, où il est clairement dit que le spontané et le volontaire sont identiques, ce qui supprime le problème de la spontanéité ? Est-ce parce que jusqu'à présent personne ne s'est rendu compte du «nombre d’ouvriers qui ont déjà pris conscience sans que cela change la réalité», fait qui anéantit le problème de la conscience ? Pourquoi, avoir construit tant de partis sans que jusqu'à maintenant personne ne se soit rendu compte que la tâche du Parti était - comme son nom l'indique - de «faire que la classe prenne parti» ? Peut-on prendre au sérieux les balivernes que nous sert aujourd'hui EO, après nous avoir fait découvrir les «graves insuffisances» du marxisme ?
Si nous prenons au sérieux EO, nous pourrions essayer d'expliquer que le problème de la conscience n'est pas un problème de définition du dictionnaire, mais la question fondamentale de la lutte du prolétariat ; la lutte pour la conscience de classe, qui est aussi la lutte pour briser et dépasser l'idéologie bourgeoise, n'est que l'expression de la lutte de classe du prolétariat pour faire prévaloir ses objectifs historiques en mettant à bas la société dominante. Nous pourrions aussi essayer d'expliquer que la conscience de classe n'est pas ce que chaque ouvrier «sait» ou croit savoir, mais ce que la classe ouvrière est appelé historiquement à réaliser. Que la conscience de classe ne peut être séparée de la pratique, c'est-à-dire que la conscience du prolétariat s'exprime en tant que lutte révolutionnaire. Nous pourrions aussi tenter de définir le cadre du débat dans le camp révolutionnaire sur la question de la conscience de classe : est-ce que ce sont les masses qui atteignent cette conscience ou seulement l'avant-garde, et en fonction de la position adoptée, les différentes organisations ont un certain type d'intervention et d'orientation au sein de la classe... Mais est que cela servirait à quelque chose pour EO ?
Certainement, dans la position de EO on peut reconnaître une certaine influence du courant bordiguiste, qui considère que la conscience à laquelle parviennent les masses est limitée à la reconnaissance du parti révolutionnaire, à leur capacité de «parti pris» dont parle EO, et que le parti est dépositaire de la conscience de classe globale. Pourtant, cette ressemblance s'arrête là. EO suit une toute autre route. Ses considérations sur les «insuffisances» des positions marxistes sont un rejet des luttes de résistance à cause de leurs «limites» ; sa préoccupation de rencontrer une lutte de classes réelle» ; ses difficultés à distinguer les frontières de classe ; son insistance sur une phraséologie «radicale» ; son idée que la classe a déjà pris conscience et qu'il lui reste seulement à se donner un parti, etc. ; tout cela n'est pas l'expression d'une position politique ferme, cohérente mais d'un désespoir. Désespoir parce qu'il n'existe pas de parti, parce que la révolution n'est pas encore immédiatement réalisable. Le titre même de la brochure, «Nous voulons tout» en est l'expression. Comme s'il suffisait de publier des millions de petits papiers, avec la même consigne «nous voulons tout, prenons tout», pour que l'insurrection ait lieu.
Le désespoir n'est pas l'essence de l'organisation révolutionnaire, qui est d'être capable de saisir, au moins dans ses grandes lignes, le cours historique de la lutte de classe, ce qui lui donne de l'assurance et de la patience. Le désespoir est propre au radicalisme petit bourgeois et EO dérive malheureusement dans ce sens. Nous considérons comme étant de notre devoir d'alerter les camarades d'EO de ce risque, de les appeler à réagir contre des tendances radicaloïdes, plus évidentes à chaque nouvelle publication. Quant aux groupes du milieu politique prolétarien, et particulièrement ceux qui aujourd'hui maintiennent des relations étroites avec EO, nous les appelons à assumer leurs responsabilités et de débattre avec EO de ses faiblesses... l'attitude de «laisser passer» sous le prétexte d'un accord occasionnel est de d'opportunisme : la gangrène des organisations révolutionnaires.
Ldo, octobre 1990
Troisième partie : de Marx à Lénine, 1848-1917 I. De Marx à la 2e Internationale
L'accélération actuelle de l'histoire, pleinement rentrée dans la phase de décomposition du capitalisme, pose de façon aiguë la nécessité de la révolution prolétarienne, comme seule issue à la barbarie du capitalisme en crise. L'histoire nous a enseigné qu'une telle révolution ne peut triompher que si la classe réussit à s'organiser de manière autonome par rapport aux autres classes (conseils ouvriers) et à sécréter l'avant-garde qui la guide vers la victoire : le parti de classe. Cependant, aujourd'hui, ce parti n'existe pas, et Beaucoup baissent les bras parce que face aux tâches gigantesques qui nous attendent, l'activité des petits groupes révolutionnaires existants paraît dénuée de sens. Au sein même du camp révolutionnaire, la majorité des groupes réagit à l'absence de parti en répétant à l'infini son très Saint Nom, invoqué comme le deus ex machina capable, grâce à sa seule évocation, de résoudre tous les problèmes de la classe. La désimplication individuelle et l'engagement déclamatoire sont deux manières classiques de fuir la lutte pour le parti, lutte qui se mène ici, aujourd'hui, en continuité avec l'activité des fractions de gauche qui se sont séparées dans les années 1920 de l'Internationale Communiste dégénérescente.
Dans les deux premières parties de ce travail, nous avons analysé l'activité de la Gauche Communiste Italienne, organisée en fraction dans les années 1930-40, et la fondation prématurée d'un Parti Communiste Internationaliste, complètement artificiel, par des camarades de Battaglia Comunista en 1942 ([1] [38]). Dans cette troisième partie, nous montrerons que la méthode de travail de fraction, dans les périodes défavorables, où il n'était pas possible qu'existe un parti de classe, a été la seule méthode employée par Marx lui môme. Nous montrerons en plus qu'une telle méthode marxiste de travail pour le parti a trouvé sa définition essentielle grâce à la lutte tenace de la Fraction Bolchevique des socio-démocrates russes. Contre tous ceux qui se gargarisent des éloges du parti de fer de Lénine et d'ironie envers «les petits groupuscules des fractions de gauche», nous répétons que «l'histoire des fractions est l’histoire de Lénine» ([2] [39]) et que ce n'est que sur la base du travail qu'elles ont accompli qu'il sera possible de reconstruire le Parti Communiste Mondial de demain.
Dans l'article, que nous avons déjà largement cité dans les parties précédentes de ce travail, les camarades de Battaglia Comunista, après avoir critiqué l'oeuvre de la Fraction de Gauche du PCI dans les années qui vont de 1935 à 1945, concluent leur présentation avec une condamnation sans appel du concept de fraction en général :
«Quel sens cela a-t-il de ne lier exclusivement la notion de parti qu'au concept de pouvoir ou de possibilité de guider de grandes masses, en déniant à l'organe politique de la lutte de classe toute possibilité d'existence si ce n'est dans les phases révolutionnaires, en déléguant à des organismes jamais bien définis ou à des succédanés la tâche de défendre les intérêts de classe dans les phases contre-révolutionnaires. (...)
Soutenir que le parti ne peut que surgir de façon correspondante aux situations révolutionnaires dans lesquelles la question du pouvoir est à l’ordre du jour, alors que dans les phases contre-révolutionnaires le parti "doit" disparaître ou laisser la place aux fractions, signifie non seulement priver la classe, dans les moments les plus dangereux et les plus difficiles, d'un minimum de référence politique, ce qui finit par favoriser le jeu conservateur de la bourgeoisie, mais aussi créer de propos délibéré .des vides qui peuvent difficilement être colmatés dans l'espace de 24heures. (...)
Il ne faut pas soutenir de telles thèses mettant sens dessus dessous l'expérience historique en attribuant au parti bolchevique lui même le rôle de "fraction" de la social-démocratie russe jusqu'en 17 (thèses soutenues par le CCI dans la Revue Internationale N° 3). (...)
La Russie a été l'unique pays européen, impliqué dans la crise guerrière de 1914-18 dans lequel, malgré des conditions plus défavorables qu'ailleurs, s'est manifestée une révolution prolétarienne, justement parce qu'il y avait un parti qui oeuvrait en tant que tel, au moins à partir de 1912. Le bolchevisme, dès ses origines ne s'est pas limité à combattre sur le plan politique l'opportunisme des mencheviques, à élaborer théoriquement les principes de la révolution, à former des cadres et à faire du prosélytisme, mais il a tissé ces premiers liens entre le parti et la classe, destinés à devenir plus tard, dans le feu d'une situation montante, de véritables canaux collecteurs entre la spontanéité de la classe et le programme tactique et stratégique du parti. (...)
En 1902 déjà, Lénine avait jeté les bases tactiques et organisationnelles sur lesquelles avait dû se construire l'alternative à l'opportunisme de la social-démocratie russe, alternative de parti, à moins qu'on ne veuille faire passer le "Que Faire ?" pour les dix commandements du bon fractionniste». ([3] [40])
Pour résumer, selon les camarades de BC :
1) on ne sait pas d'où sort la théorie selon laquelle, dans les périodes contre-révolutionnaires, les fractions devraient se substituer aux partis ;
2) ces fractions sont des «organismes jamais bien définis», et donc incapables de donner une orientation
Ç |
olitique au prolétariat ; ) si la révolution russe s'est faite, c'est parce que Lénine, dès 1902, avait jeté les bases du parti bolchevique, et non de la fraction bolchevique comme le soutient au contraire le CCI.
Trois affirmations, trois fissures dans la cohérence théorico-politique de Battaglia, et un beau trois en histoire du mouvement ouvrier. Voyons pourquoi.
Marx, la ligue des communistes, l'A.I.T., et les leçons de la contre-révolution
«Je te ferai d'abord observer qu'après que, sur ma demande, la Ligue a été dissoute en novembre 1852, je n'ai appartenu ni n'appartiens, à aucune organisation, secrète ou publique ; autrement dit, le parti, dans le sens tout à fait éphémère du terme a cessé d'exister pour moi depuis huit ans. (...) A la suite de quoi, j'ai été attaqué à plusieurs reprises, sinon ouvertement, du moins de façon compréhensible, à cause de mon "inactivité". (...) En conséquence, du parti tel que tu m'en parles, dans ta lettre, Je ne sais plus rien depuis 1852. (...) La Ligue, aussi bien que la Société des Saisons de Paris et cent autres organisations n'ont été qu'un épisode dans l'histoire du parti qui naît spontanément du sol de la société moderne. (...) En outre, j'ai essayé d'écarter ce malentendu qui ferait comprendre par "parti" une Ligue morte depuis huit ans ou une rédaction de journal dissoute depuis douze ans. Quand Je parle cependant de parti, j'entends le terme Parti dans son sens historique le plus large.» (Marx à Freiligrath, 1860).
Comme on le voit, la même théorie selon laquelle les partis prolétariens "disparaissent" dans les phases contre-révolutionnaires n'est pas un apport des camarades de Bilan dans les années 1930 de ce siècle, mais une ferme conviction de Marx depuis la moitié du siècle dernier déjà. En répondant à l’ex-militant de la Ligue des Communistes, Ferdinand Freiligrath, qui l'invitait à reprendre la direction du "parti", Marx précise que ce parti s'est dissout huit ans avant, à la fin de la vague révolutionnaire qui avait débuté en 1848, comme s'était dissoute auparavant la Société des Saisons des ouvriers parisiens et d'autres organisations, une fois fini le cycle de luttes dont elles étaient l'expression. Il est clair que cette attitude profondément matérialiste, Marx l'a toujours eue contre les préjugés activistes de ceux qui ne voulaient pas accepter de reconnaître la profondeur de la défaite et qui voulaient immédiatement «recommencer comme avant». Lorsqu'en 1850, Marx déclara que la reprise économique mondiale éloignait toute perspective révolutionnaire en Europe, la majorité des militants de la Ligue (fraction de Willich-Schapper) s'opposa à lui en dénonçant sa tentative de «renvoyer dormir tout le monde». Il n'y eut qu'une minorité pour lui rester fidèle, et -même après la dissolution formelle de la Ligue en 1852 pour se dédier à la tâche difficile de «tirer les leçons de la défaite», en en comprenant les causes et en forgeant les instruments théoriques qui serviraient au prolétariat dans les prochaines vagues de lutte. Il est important de souligner que les camarades qui voulaient à tout prix maintenir la Ligue en vie ont d'abord été contraints de revenir sur les positions politiques, en se laissant aller aux intrigues, aux alliances artificielles avec les démocrates, pour se dissoudre ensuite eux aussi, mais sans rien laisser derrière eux, sinon les feux d'artifice de l'activisme pour le maintien du parti. Au contraire, le patient travail de clarification et de formation des révolutionnaires mené par la fraction liée à Marx devait donner «ses fruits avec la reprise du mouvement» ouvrier : les quelques révolutionnaires marxistes se trouveront tout naturellement à la tête des différentes sections de l'Association Internationale des Travailleurs, quand celle-ci se formera en 1864 (en se développant «spontanément du sol de la société moderne»), en même temps que s'effectue la reprise internationale du mouvement ouvrier. La position de Marx ne change pas, quand en 1871, la défaite de la Commune de Paris ouvre la voie à une nouvelle période de reflux du mouvement ouvrier. Dans ces conditions, Marx et Engels comprirent aussitôt que les jours de l'AIT étaient comptés et, au congrès de La Haye en 1872, ils feront voter le transfert du Conseil Général à New York, ce qui revenait à dissoudre l'organisation : «étant donné les conditions actuelles de l'Europe, il est absolument utile, à mon avis, de faire passer à l'arrière-plan pour le moment l'organisation formelle de l'Internationale. (...) Les événements de l'inévitable involution et évolution des choses pourvoiront d'eux-mêmes à une résurrection de l'Internationale sous une forme plus parfaite. En attendant, il suffit de ne pas laisser glisser entièrement de nos mains les meilleurs éléments dans les divers pays (...)». (Marx à Sorge, 1873). Encore une fois, pour Marx et Engels, maintenir en vie artificiellement une façade de parti en période contre-révolutionnaire est absolument inutile, alors qu'il est fondamental que se poursuive l'activité collective de cette fraction de militants capables de résister à la démoralisation et de préparer la reprise future «sous une forme plus parfaite».
Pour consoler les camarades de BC, terrorisés par la possibilité que quelqu'un puisse "décider" que le parti, à un certain moment, "doit" disparaître, il faut souligner que Marx et Engels n'ont jamais pensé prendre de telles "décisions". "Décider" de dissoudre le parti est un acte volontariste, exactement comme décider de le maintenir artificiellement. Marx n'a pas dissout autoritairement la Ligue en 1850, pas plus que PAIT en 1872. Il a simplement expliqué que les révolutionnaires doivent se préparer à affronter la prochaine désagrégation de ces partis, en s'organisant pour maintenir même en leur absence le fil rouge de l'activité communiste. Si la dissolution de ces organes s'est effectivement vérifiée ensuite, dans tous les cas, selon les prévisions de Marx, c'était dû à la force même des choses, et pas à la force des ordres de Marx.
La dialectique fraction-parti se précise au cours du développement historique du mouvement ouvrier
Maintenant que nous avons clarifié que "l'étrange" théorie sur la disparition des partis prolétariens en périodes contre-révolutionnaires a été développée par Marx lui-même, occupons-nous donc de ces organes qui, dans ces périodes, assurent la continuité de 1’activité révolutionnaire, c'est-à-dire les fractions. Selon Battaglia, il s'agit d'«organismes jamais bien définis». Il est certainement tout à fait vrai que Marx n'a jamais écrit un bel ouvrage propagandiste (du style "Travail salarié et capital") sur la fonction du réseau de camarades, qui étaient restés autour de lui, après la dissolution de la Ligue et de l’AIT. Mais cela ne veut pas dire que, pour Marx, ce travail de bilan était peu important. Cela est dû au fait que la notion de fraction du parti de classe est, de par sa nature, liée à la notion même de parti. La définition de ses contours va donc de pair avec le processus historique, qui va de la Ligue clés Communistes, qui «marchera avec une fraction de la bourgeoisie», à l'Internationale Communiste qui «se donne pour tâche historique celle de réaliser la révolution dans le monde entier» ([4] [41]).
C'est au fur et à mesure, dans l'expérience historique de la classe, que se précisent les contours de son parti d'avant-garde, que s'accumulent parallèlement les matériaux nécessaires à la définition du travail de la fraction marxiste, qui apparaît en réaction aux déviations opportunistes du parti. Ce n'est que lorsque le capitalisme rentre dans sa phase finale, que la nécessite et la possibilité de la révolution communiste est enfin à l'ordre du jour, que le parti de classe peut se développer sous sa forme achevée, devenant par la même capable de sécréter des vraies fractions, en réaction a un cours à l'opportunisme et à la dégénérescence. La Gauche Italienne avait tiré cette leçon des années 1930 :
«Le problème de la fraction - ainsi que nous le concevons - c'est-à-dire comme un moment de la reconstruction du parti de classe ne fut ni ne pouvait être conçu au sein de la Première et de la Deuxième Internationales. Celles qui s'appelèrent alors "fraction" ou plus communément "aile droite" ou "aile gauche", ou "courant intransigeant", ou courant "transigeant", ou, enfin, "révolutionnaire" et "réformiste" ne furent - dans la plus grande partie des cas, à l'exception des bolcheviks- que des ententes fortuites à la veille ou au cours des congrès, dans le but de faire prévaloir certains ordres du jour sans aucune continuité organisationnelle, en une phase où le problème de la prise du pouvoir n'étant pas posé, il ne pouvait exister un parti de classe ([5] [42]). L'écroulement de la Deuxième Internationale, lors de l'éclatement du conflit mondial, ne peut être considéré comme une trahison brusque, mais comme la conclusion de toute une courbe qui ta conduisait au terme de son évolution. La notion exacte de la tâche d'une fraction ne peut être que le corollaire de la notion exacte du parti de classe. » ([6] [43]).
Le processus de maturation et de définition du concept de fraction trouve donc son origine (mais pas sa conclusion) dans ce premier réseau de camarades lui avaient survécu à la dissolution de la Ligue des Communistes. Puisque comprendre d'où nous sommes partis est toujours indispensable pour comprendre où nous allons, nous allons chercher à analyser en profondeur l'activité de cette première " fraction.
Certaines phrases de la lettre à Freiligrath, ou d'autres citations isolées de la correspondance privée de Marx et Engels, ont souvent été utilisées pour démontrer que ces camarades se seraient retirés dans leurs vies privées, s'adonnant à leurs études théoriques, que, par la suite, ils auraient mis à la disposition des masses désireuses d'apprendre. La réalité est complètement différente.
Engels le clarifie aussitôt : «Pour l'heure, l'essentiel c'est que nous ayons la possibilité de nous faire imprimer, soit dans une revue trimestrielle dans laquelle nous attaquerons directement et où nous assurerons nos positions face aux personnes, soit dans de gros ouvrages où nous pourrons faire la même chose sans même avoir à mentionner l'un quelconque de ces cafards. L'une comme l'autre de ces solutions me convient ; encore qu'il me semble que si la réaction tend à se renforcer, la première éventualité s'avérera moins sûre à ta longue, et la seconde constituera de plus en plus la seule ressource sur laquelle nous devrons nous rabattre.» (Engels à Marx, 1851). Marx le réaffirme : «Je lui ai dit que nous ne pouvions collaborer directement à aucun petit journal, pas même à un journal de parti ([7] [44]), à moins qu'il ne soit rédigé par nous-mêmes. Mais qu'en ce moment, il manquait toutes les conditions nécessaires pour atteindre un tel but.» (Marx à Engels, 1959).
Ce n'est pas du tout se retirer dans la vie privée, c'est autre chose que de «s'adonner aux études» en attendant de revenir à une action militante. «L'essentiel» pour Marx et Engels, le but auquel ils consacrent tous leurs moyens, c'était la publication la plus régulière possible d'une presse révolutionnaire pour défendre et approfondir publiquement la perspective du communisme et la critique de la société capitaliste. Ce qu'ils ont réfuté, ce n'est pas cette activité organisée et formalisée, mais le recours fallacieux pour la rendre possible, à une collaboration avec des éléments confus et activistes, qui auraient rendu leur travail complètement inutile. S'ils n'ont pu maintenir un cadre d'activité aussi formellement organisé, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas essayé, mais parce qu’il « manquait toutes les conditions nécessaires pour atteindre un tel but». Et ces conditions manquaient parce que le développement du mouvement ouvrier était encore tellement faible que, dans les phases de reflux, il ne permettait pas même l'existence d'un petit groupe révolutionnaire organisé. Encore une fois, personne ne décide que le parti "doit" disparaître, que la fraction "doit" se limiter à un réseau informel de camarades. Ce sont les conditions objectives des affrontements de classe qui le déterminent, les camarades ne peuvent que décider s'ils reconnaissent cette réalité et s organisent en conséquence, ou au contraire, s'ils ferment les yeux et s'abusent eux-mêmes et les autres avec, les miroirs aux alouettes qui font que, de l'organe de classe, il ne reste que le nom et l'apparence. En réalité, il n'y a que ceux qui ne s'amusent pas dans des Comités Centraux qui flottent dans le vide, qui jouent un rôle de "parti" dans les phases contre-révolutionnaires : le petit groupe informel de camarades regroupés autour de Marx travaillait de manière tellement continue et collective qu'on se référait communément à lui dans le milieu révolutionnaire comme au «parti Marx», à tel point que ce dernier fut obligé de préciser dans sa lettre à Freiligrath que ce parti n'existait pas. Marx précise que, quand il parle d'activité de parti, il l'entend «dans te sens historique le plus large» du terme, comme activité «de parti», qui tend à assurer la continuité politique entre les différents partis. Les croupes de camarades qui ont assuré cette continuité, après la dissolution de la Ligue et de l’AIT -par delà leur nature informelle -, peuvent être considérés comme des fractions sous tous les aspects, parce qu'il ne s'agit pas de nouveaux regroupements, mais de véritables fractions des vieux partis. Le «parti Marx» des années 1853-1863 n'est rien d'autre que la «fraction Marx» des années 1850-1852 au sein de la Ligue. Les «camarades les plus capables des différents pays» dans la période qui va de la dissolution de l'AIT à la naissance de la 2e Internationale, ne sont rien d'autre que la vieille fraction marxiste «autoritaire» au sein de l'AIT. Les fractions, quelle que soit la façon dont elles se définissent et s'organisent en fonction de la maturité des temps, représentent donc la continuité historique entre les différents épisodes de l'histoire du parti.
Le problème de la fraction dans la 2e internationale
La simple affirmation du fait que Lénine - chef de la fraction bolchevique du Parti Ouvrier Social-démocrate Russe - a quelque chose à voir avec les fractions, provoque le mépris de Battaglia, pour qui Lénine est l'homme du parti, un point c'est tout. Selon BC, c'est parce qu'il existait un parti bolchevique -et pas une quelconque fraction «mal définie» - que la révolution a pu vaincre en Russie.
Avant de démontrer l'énième falsification historique de BC, il convient de rappeler le cadre historique dans lequel s'est développée l'action des bolcheviks et de la gauche socialiste en général, à l'intérieur de la 2e Internationale. Celle-ci a été fondée dans une période historique difficile pour les révolutionnaires : d'un côté, dans toute l'Europe se termine la phase dans laquelle le prolétariat pouvait s'inscrire de façon autonome dans les révolutions démocratiques bourgeoises (qui étaient désormais menées à bien «par le haut», voir Bismark en Allemagne) ; de l'autre, les conditions pour mettre la révolution prolétarienne à l'ordre du jour n'existaient pas encore, étant donné que le capitalisme se trouvait en plein dans sa dernière et plus impétueuse phase de développement économique. Dans ces conditions, Marx (et Engels après la mort de ce dernier) considérait l'existence d une puissante aile opportuniste dans les partis social-démocrates comme un «fait inévitable». Il recommandait donc aux composantes marxistes d'éviter des scissions prématurées, pour se concentrer sur la défense politique intransigeante des positions de classe au sein du parti, en attendant que se rapproche une crise révolutionnaire qui conduirait «automatiquement» à la scission et au surgissement de véritables partis marxistes ([8] [45]).
Les révolutionnaires doivent être les défenseurs les plus résolus de l'unité du parti, renonçant momentanément à former des courants bien définis organisationnellement, ce qui les aurait exposés au risque d'expulsion et en conséquence, de transformation en secte détachée du mouvement réel. Dans cette situation, il s'agissait de la seule ligne d'action adéquate, et, dans les faits, elle a réussi à recueillir plus d'un succès (approbation du programme marxiste d'Erfurt en 1881). Cependant, la prolongation pendant des décennies de la phase de développement économique et de paix sociale posait de plus en plus comme un «fait inévitable» non seulement l'existence de l'aile opportuniste, mais aussi qu'elle s'infiltre dans la majorité du parti, ce qui rendait problématique sa capacité à s’auto-épurer face à une situation prérévolutionnaire. Au début de ce siècle commençait à se poser pour les marxistes la question de réagir à cette involution, en passant de la défense du marxisme «en ordre dispersé» à une action plus coordonnée au sein du parti. Il s'agissait cependant d'un passage extrêmement difficile, parce que le mythe de l'unité avant tout était profondément enraciné dans les fondements mêmes du parti, et que les directions du parti avaient beau jeu de présenter les radicaux comme les diviseurs du parti unitaire.
En 1909, la tentative de militants de gauche hollandais de s'organiser en tendance autour d'un organe, Die Tribune, fut brisée dans l'oeuf, par une expulsion en bloc, ce qui les obligea à se constituer momentanément en mini-parti, qui ne tarda pas à reproduire en petit les vices du parti d'origine ([9] [46]).
L'unique exception, comme le rappelaient les citations déjà faites de Bilan n° 24, ce furent les bolcheviks russes qui s'organisèrent en fraction autonome du POSDR à partir de 1904. On pourrait s'étonner que les premiers à bouger aient été ces attardés de russes, mais l'explication de leur rôle d'avant-garde vient justement des conditions particulières de l'empire russe (qui s'étendait alors de la Sibérie à la Pologne). Dans cette zone immense et dans les premières années de ce siècle, cette révolution démocratique bourgeoise, qui était déjà largement achevée en Europe, était encore à l'ordre du jour. De plus, le développement tardif de la bourgeoisie russe 1’avait empêchée de jouer un rôle d'avant-garde dans la révolution démocratique, en même temps que le caractère super-arriéré du tsarisme russe l'empêchait de réaliser la révolution «par le haut» comme Bismarck l'avait fait en Allemagne. Le prolétariat russe n'était donc pas destiné à saisir la dernière chance historique de s inscrire de manière autonome dans une révolution bourgeoise.
Mais, comme nous l'avons vu, Engels avait déjà prévu que le rapprochement d'une crise révolutionnaire mettrait à l'ordre du jour la séparation organisationnelle entre les marxistes et les opportunistes. Le mûrissement d'une situation révolutionnaire dans les territoires tsaristes a pleinement confirmé les prévisions d'Engels, en rendant toujours plus difficile la cohabitation entre les marxistes révolutionnaires et les opportunistes, qui, dans la logique même des choses, étaient enclins à faire des compromis non seulement avec les démocrates, mais avec la réaction même. En Pologne, les révolutionnaires conduits par Rosa Luxemburg avaient déjà résolu le problème en 1894, en créant un nouveau petit parti, le SDCP, en opposition au vieux parti socialiste, le PPS, profondément infecté par le nationalisme. De cette façon, Rosa Luxembourg eut aussitôt les mains libres, mais elle n'eut jamais la possibilité de faire l'expérience d'une lutte de fraction pour défendre un parti menacé de dégénérescence. C'est pour cela qu'elle n'a jamais réussi à développer et comprendre vraiment le concept de fraction. C'est une faiblesse qui sera chèrement payée pendant la lutte héroïque des spartakistes contre la dégénérescence du SPD allemand, et 3ui sera en grande partie responsable du retard fatal dans la constitution du nouveau parti communiste allemand en 1918.
Au contraire, toute la bataille que mènera Lénine pendant plus de dix ans, se déroulera à l'intérieur du parti, lui permettant de développer et d'élaborer la notion politique de fraction de gauche, posant ainsi les bases de la 3e Internationale.
Beyle
[1] [47] Les deux premières parties ont été publiées dans les Revue Internationale n° 59 et 61. Pour une analyse approfondie de l'activité de la Gauche Communiste Italienne, il est recommandé de lire nos deux volumes : "La Gauche Communiste d'Italie, 1927-1952" et "La GCI et l'Opposition Internationale de Gauche".
[2] [48] Intervention de Bordiga au 6e Comité exécutif élargi de l'Internationale Communiste, en 1926.
[3] [49] "Fraction et parti dans l'expérience de la Gauche italienne", in Prometeo n° 2, mars 1979.
[4] [50] "Vers l'Internationale 2 et 3/4 ?", in Bilan n° 1, novembre 1933.
[5] [51] On doit évidemment comprendre qu'il ne pouvait exister un parti de classe pleinement développé. La Ligue et l'AIT ont toutes deux été des partis de classe, complètement adéquats à ce niveau de développement du mouvement de la classe ouvrière. (Note du CCI).
[6] [52] ' Le problème des fractions dans la 2e Internationale", in Bilan n°24, 1935.
[7] [53] Marx entend car là un journal authentiquement socialiste. L'usage indifférencié du mot 'parti" montre clairement qu'on en était encore aux premiers pas de la définition historique delà structure et de la fonction du parti de classe.
[8] [54] Pour la tactique de Marx et Engels dans cette période, voir en particulier leur correspondance avec les dirigeants du parti allemand, reproduite dans "Marx, Engels et la Social-démocratie allemande-, Ed. 10-18.
[9] [55] Pendant la première guerre mondiale, la direction du SPD hollandais vacille dans une politique de soutien ambigu à l'impérialisme anglo-américain, censurant les écrits internationalistes des militants de gauche comme Gorter. Voir "La Gauche Communiste hollandaise" en cours de parution.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftn1
[2] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftn2
[3] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftnref1
[4] https://fr.internationalism.org/rinte64/edito.htm#_ftnref2
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[8] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn1
[9] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn2
[10] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn3
[11] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn4
[12] https://fr.internationalism.org/rinte61/est.htm
[13] https://fr.internationalism.org/rinte63/reso.htm
[14] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn5
[15] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn6
[16] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftn7
[17] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref1
[18] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref2
[19] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref3
[20] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref4
[21] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref5
[22] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref6
[23] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm#_ftnref7
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decomposition
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/guerre
[26] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftn1
[27] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftn2
[28] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftn3
[29] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftn4
[30] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftnref1
[31] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftnref2
[32] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftnref3
[33] https://fr.internationalism.org/rinte64/polemique.htm#_ftnref4
[34] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[35] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/dehors-gauche-communiste
[36] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[37] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire
[38] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn1
[39] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn2
[40] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn3
[41] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn4
[42] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn5
[43] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn6
[44] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn7
[45] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn8
[46] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftn9
[47] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref1
[48] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref2
[49] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref3
[50] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref4
[51] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref5
[52] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref6
[53] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref7
[54] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref8
[55] https://fr.internationalism.org/rinte64/bc.htm#_ftnref9
[56] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/battaglia-comunista
[57] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction