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Le rôle indispensable du parti

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Une chose est certaine : la haine et le mépris de la bourgeoisie pour la révolution prolétarienne qui a commencé en Russie en 1917, ses efforts pour déformer et dénaturer sa mémoire portent surtout sur l'organisation politique qui a incarné l'esprit du vaste mouvement insurrectionnel, le parti bolchevik. Cela ne devrait pas nous surprendre : depuis l'époque de la Ligue des communistes et de la Première internationale, la bourgeoisie a toujours voulu «pardonner» à la majorité des pauvres ouvriers d'avoir été dupés par les complots et les machinations des minorités révolutionnaires et ces dernières sont invariablement vues comme l'incarnation du mal. Et pour le capital, aucune de ces organisations n'a été aussi néfaste que les bolcheviks ; ceux-ci ont réussi à «fourvoyer » les simples ouvriers plus longuement et plus loin que n'importe quel autre parti révolutionnaire dans l'histoire.

 

Un élément important dans cette entreprise anti-bolchevik est l'idée que le bolchevisme, avec tout son discours sur le marxisme et la révolution mondiale, était surtout l'expression de l'état arriéré de la Russie. La rengaine n'est pas nouvelle : c'était un des thèmes favoris du « renégat Kautsky » après l'insurrection d'Octobre. Mais il a ultérieurement pris une respectabilité académique considérable. Une des meilleures études sur les dirigeants de la révolution Russe - Three Who Made a Révolution (Trois qui ont fait une Révolution) de Bertram Wolfe - écrite dans les années 1950, développe cette idée avec une attention particulière pour Lénine.

Dans cette vision, la position de Lénine sur l'organisation politique prolétarienne comme un corps «restreint» composé de révolutionnaires convaincus, doit plus aux conceptions conspiratrices et secrètes des   « narodnikis» et de Bakounine qu'à Marx. De tels historiens mettent souvent cela en opposition avec les conceptions plus «sophistiquées», plus «européennes» et plus «démocratiques» des mencheviks. Et bien sûr, puisque la forme de l'organisation révolutionnaire est étroitement rattachée à la forme de la révolution elle-même, l'organisation démocratique menchevik nous aurait donné une Russie démocratique alors que la forme dictatoriale bolchevik nous a donné une Russie dictatoriale.

Ce ne sont pas seulement les porte-parole officiels de la bourgeoisie qui colportent de telles idées. Celles-ci sont aussi vendues, dans un emballage légèrement différent, par des anarchistes de toutes sortes qui sont des spécialistes de l'approche « on vous l’avez bien dit » sur la révolution russe. « On savait depuis le début que le bolchevisme était mauvais et qu'il se terminerait par des pleurs - tous ces discours sur le parti, l'Etat transitoire et la dictature du prolétariat ne pouvaient mener qu'à cela. » Nous n’allons pas répondre ici à toutes ces calomnies contre le bolchevisme mais nous limiter à deux épisodes essentiels de la révolution russe qui démontrent le rôle de l’avant-garde dans le combat révolutionnaire de la classe ouvrière : les Thèses d’avril défendues par Lénine lors de son retour en Russie en 1917, et les journées de Juillet.

« Les Thèses d'avril », phare de la révolution prolétarienne

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Les Thèses d'Avril, ce document court et précis, nous fournit un excellent point de départ pour réfuter tous les mensonges sur le Parti bolchevique et pour réaffirmer le plus essentiel sur celui-ci : ce parti n'était pas un produit de la barbarie russe, d'un anarcho-terrorisme déformé ou d'une soif absolue du pouvoir de ses diri­geants. Le bolchevisme était en tout premier lieu le produit du prolétariat mondial. Inséparablement lié à la tradition marxiste toute entière, il n'était pas le germe d'une nouvelle forme d'exploitation et d'oppression mais l'avant-garde d'un mouvement pour supprimer toute exploitation et toute op­pression.

De février à avril

Vers la fin de février 1917, les travailleurs de Pétrograd lancent des grèves massives contre les conditions de vie intolérables im­posées par la guerre impérialiste. Les mots d'ordre du mouvement deviennent rapide­ment politiques, les ouvriers appelant à la fin de la guerre et au renversement de l'auto­cratie. En quelques jours, la grève s'étend à d'autres villes, grandes et petites, et comme les ou­vriers ont pris les armes et fraternisé avec les soldats, la grève de masse prend un ca­ractère de soulèvement.

Répétant l'expérience de 1905, les ouvriers centralisent la lutte au moyen des soviets de députés ouvriers, élus par les assemblées d'usines et révocables à tout moment. Au contraire de 1905, les soldats et les paysans commencent à suivre cet exemple sur une large échelle.

La classe dominante, reconnaissant que les jours de l'autocratie sont comptés, se débar­rasse elle-même du Tsar, et appelle les par­tis libéraux et la « gauche », particulière­ment ces éléments autrefois prolétariens qui viennent de passer dans le camp bourgeois en appuyant la guerre, à former un gouver­nement provisoire avec le but avoué de con­duire la Russie vers un système de démo­cratie parlementaire. En réalité, une situa­tion de double pouvoir surgit puisque les ouvriers et les soldats ne font confiance réellement qu'aux seuls soviets et que le gouvernement provisoire bourgeois n'est pas encore dans une position suffisamment forte pour les ignorer, encore moins pour les éli­miner. Mais cette profonde ligne de partage entre classes est partiellement obscurcie par le brouillard de l'euphorie démocratique qui tombe sur le pays après la révolte de février. Avec le Tsar écarté et le peuple jouissant d'une liberté sans précédent, tout le monde semble en faveur de la « révolution » – y inclus les alliés démocratiques de la Russie qui espèrent que cela permettra à ce pays de participer plus efficacement à l'effort de guerre. Ainsi le gouvernement provisoire se présente comme le gardien de la révolu­tion ; les soviets sont politiquement dominés par les mencheviks et les socialistes-révolu­tionnaires qui font tout ce qu'ils peuvent pour les rendre impuissants face au régime bourgeois nouvellement installé. En bref, toute l'impulsion de la grève de masse et du soulèvement – qui est en réalité une mani­festation d'un mouvement révolutionnaire plus universel couvant dans tous les princi­paux pays capitalistes du fait de la guerre – est détournée vers des fins capitalistes.

Où sont les bolcheviks dans cette situation si pleine de dangers et de promesses ? Ils sont dans une confusion presque complète :

« Le premier mois de la révolution avait été, pour le bolchevisme, un temps de désarroi et de tergiversations. Dans le "Manifeste" du Comité central des bolcheviks, rédigé aussi­tôt après la victoire de l'insurrection, il était dit que "les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que les troupes soulevées, doi­vent immédiatement élire leurs représen­tants au gouvernement révolutionnaire pro­visoire." (...) Ils agissaient non pas en tant que représentants d'un parti prolétarien qui se prépare à ouvrir de son propre chef la lutte pour le pouvoir, mais comme l'aile gauche de la démocratie qui, en proclamant ses principes, se dispose, pour une durée in­déterminée, à jouer le rôle d'une opposition loyale. » ([1])

Quand Staline et Kaménev prennent la di­rection du parti en mars 1917, ils le posi­tionnent encore plus à droite. Staline déve­loppe une théorie sur les rôles complémen­taires du gouvernement provisoire et des soviets. Pire, l'organe officiel du parti, la Pravda, adopte ouvertement une position « défensiste » sur la guerre :

« Nous ne fai­sons pas nôtre l'inconsistant mot d'ordre "A bas la guerre !" Notre mot d'ordre est d'exercer une pression sur le gouvernement provisoire pour le contraindre (...) à faire une tentative dans le but de disposer tous les pays belligérants à ouvrir immédiatement des pourparlers... Mais, jusque-là, chacun reste à son poste de combat ! » ([2])

Trotsky raconte comment de nombreux élé­ments dans le parti se trouvent très profon­dément inquiets et même en colère face à la dérive opportuniste du parti. Mais ils ne sont pas armés programmatiquement pour s'opposer à la position de la direction d'au­tant qu'elle semble être basée sur la pers­pective qu'a développée Lénine lui-même et qui a été la position officielle du parti durant toute une décennie : la perspective de la « dictature démocratique des ouvriers et paysans ». L'essence de cette théorie est que, bien qu'économiquement parlant la na­ture de la révolution se développant en Russie est bourgeoise, la bourgeoisie russe est elle-même trop faible pour réaliser sa propre révolution. Et donc, la modernisation capitaliste de la Russie devra être assumée par le prolétariat et les secteurs les plus pauvres de la paysannerie. Cette position se tient à mi-chemin entre celle des menche­viks – qui prétendent être des marxistes « orthodoxes » et par conséquent défendent que la tâche du prolétariat est d'apporter un appui critique à la bourgeoisie contre l'abso­lutisme jusqu'à ce que la Russie soit mûre pour le socialisme – et celle de Trotsky dont la théorie de la « révolution permanente », développée après les événements de 1905, insiste sur le fait que la classe ouvrière sera propulsée au pouvoir dans la révolution à venir et qu'elle sera forcée d'aller au-delà de l'étape bourgeoise de la révolution, jusqu'à l'étape socialiste à la seule condition que la Révolution russe coïncide avec, ou provoque, une révolution socialiste dans les pays in­dustrialisés.

En vérité, la théorie de Lénine est au mieux le produit d'une période où il est de plus en plus évident que la bourgeoisie russe n'est pas une force révolutionnaire, mais aussi où il n'est pas encore clair que la période de la révolution socialiste internationale est arri­vée. Cependant, la supériorité de la thèse de Trotsky est précisément basée sur le fait qu'elle part d'un cadre international, plutôt que d'un cadre purement russe ; et Lénine lui-même, malgré ses désaccords nombreux et aigus avec Trotsky à cette époque, s'est rallié en différentes occasions après les évé­nements de 1905 à la notion de révolution permanente.

En pratique, l'idée de la « dictature démo­cratique des ouvriers et paysans » s'avère être sans substance ; les « léninistes ortho­doxes » qui se mettent à répéter la formule en 1917, l'utilisent comme couverture de leur glissement vers le menchevisme pur et simple. Kaménev affirme avec vigueur qu'il est nécessaire d'apporter un soutien critique au gouvernement provisoire puisque la phase démocratique bourgeoise n'est pas en­core accomplie : cela correspond à peine à la conception d'origine de Lénine qui insiste sur le fait que la bourgeoisie transigera in­évitablement avec l'autocratie. Il y a même de sérieuses tentatives de réunification entre les mencheviks et les bolcheviks.

Ainsi, le Parti bolchevique désarmé politique­ment, est tiré vers le compromis et la trahi­son. Le futur de la révolution est en jeu quand Lénine revient d'exil.

Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotsky nous donne une description détaillée de l'arrivée de Lénine à la gare de Finlande à Pétrograd le 3 avril 1917. Le soviet de Pétrograd, encore dominé par les menche­viks et les socialistes-révolutionnaires, or­ganise une énorme cérémonie de bienvenue et fête Lénine avec des fleurs. Au nom du Soviet, Tchkhéidzé accueille Lénine avec ces mots :

« Camarade Lénine (...), nous saluons votre arrivée en Russie (...) Mais nous estimons que la tâche principale de la démocratie ré­volutionnaire est pour l'instant de défendre notre révolution de tous les attentats qui pour­raient venir contre elle, tant de l'intérieur que de l'extérieur (...) Nous espérons qu'avec nous vous poursuivrez ces buts. » ([3])

La réponse de Lénine ne s'adresse pas aux dirigeants du comité de bienvenue mais aux centaines d'ouvriers et de soldats qui ont af­flué à la gare :

« Chers camarades, soldats, matelots et ou­vriers, je suis heureux de saluer en vous la Révolution russe victorieuse, de vous saluer comme l'avant-garde de l'armée proléta­rienne mondiale (...) L'heure n'est pas loin où, sur l'appel de notre camarade Karl Liebknecht, les peuples retourneront leurs armes contre les capitalistes exploiteurs (...) La Révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolu­tion socialiste mondiale ! » ([4])

C'est ainsi que Lénine le trouble-fête traite le carnaval démocratique dès le premier moment de son arrivée. Cette nuit-là, Lénine élabore sa position dans un discours de deux heures qui consterne davantage encore tous les démocrates et socialistes sentimentaux qui veulent que la révolution n'aille pas plus loin que ce qu'elle a fait en février, qui ont applaudi les grèves de masse des ouvriers quand elles ont chassé le Tsar et permis au gouvernement provisoire d'assumer le pou­voir, mais qui redoutent toute polarisation de classe supplémentaire. Le jour suivant, à une réunion commune des bolcheviks et des mencheviks, Lénine expose ce qui allait être connu sous le nom de Thèses d'Avril. Elles sont assez courtes pour être reproduites en­tièrement ici :

« 1. Aucune concession, si minime soit-elle, au "jusqu'au-boutisme révolutionnaire" ne saurait être tolérée dans notre attitude en­vers la guerre qui, du côté de la Russie, même sous le nouveau gouvernement de Lvov et Cie, est demeurée incontestablement une guerre impérialiste de brigandage en raison du caractère capitaliste de ce gou­vernement.

Le prolétariat conscient ne peut donner son consentement à une guerre révolution­naire, qui justifierait réellement le jusqu'au-­boutisme révolutionnaire, que si les condi­tions suivantes sont remplies :

a) passage du pouvoir au prolétariat et aux éléments pau­vres de la paysannerie, proches du proléta­riat ;
b) renonciation effective, et non ver­bale, à toute annexion ;
c) rupture totale en fait avec tous les intérêts du capital.

Etant donné l'indéniable bonne foi des larges couches de la masse des partisans du jusqu'au-boutisme révolutionnaire qui n'ad­mettent la guerre que par nécessité et non en vue de conquêtes, et étant donné qu'elles sont trompées par la bourgeoisie, il importe de les éclairer sur leur erreur avec une per­sévérance, une patience et un soin tout par­ticuliers, de leur expliquer qu'il existe un lien indissoluble entre le capital et la guerre impérialiste, de leur démontrer qu'il est impossible de terminer la guerre par une paix vraiment démocratique et non imposée par la violence, sans renverser le capital.

Organisation de la propagande la plus large de cette façon de voir dans l'armée combattante.
Fraternisation.

2. Ce qu'il y a d'original dans la situation actuelle en Russie, c'est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du de­gré insuffisant de conscience et d'organisa­tion du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie.
Cette transition est caractérisée, d'une part, par un maximum de possibilités léga­les (la Russie est aujourd'hui, de tous les pays belligérants, le plus libre du monde) ; de l'autre, par l'absence de contrainte exer­cée sur les masses, et enfin, par la confiance irraisonnée des masses à l'égard du gouver­nement des capitalistes, ces pires ennemis de la paix et du socialisme.
Cette situation originale exige que nous sachions nous adapter aux conditions spé­ciales du travail du Parti au sein de la masse prolétarienne innombrable qui vient de s'éveiller à la vie politique.

3. Aucun soutien au gouvernement provi­soire ; démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promesses, notam­ment de celles qui concernent la renoncia­tion aux annexions. Le démasquer au lieu d' "exiger" – ce qui est inadmissible, car c'est semer des illusions – que ce gouverne­ment, gouvernement de capitalistes, cesse d'être impérialiste.

4. Reconnaître que notre Parti est en mi­norité, et ne constitue pour le moment qu'une faible minorité, dans la plupart des Soviets de députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments opportunistes petits-bourgeois tombés sous l'influence de la bourgeoisie et qui étendent cette influence sur le prolétariat. Ces éléments vont des socialistes-populistes et des socialistes-ré­volutionnaires au Comité d'organisation (Tchkhéidzé, Tsérétéli, etc.), à Stéklov, etc.
Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possi­ble de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtre­ment aux masses les erreurs de leur tacti­que, en partant essentiellement de leurs be­soins pratiques.
Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la né­cessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience.

5. Non pas une république parlementaire, – y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière –, mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays tout entier, de la base au sommet.
Suppression de la police, de l'armée et du corps des fonctionnaires.
Le traitement des fonctionnaires, élus et révocables à tout moment, ne doit pas excé­der le salaire moyen d'un bon ouvrier.

6. Dans le programme agraire, reporter le centre de gravité sur les Soviets de députés des salariés agricoles.
Confiscation de toutes les terres des grands propriétaires fonciers.
Nationalisation de
toutes les terres dans le pays et leur mise à la disposition des Soviets locaux de députés des salariés agri­coles et des paysans. Formation de Soviets de députés des paysans pauvres. Transformation de tout grand domaine (de 100 à 300 hectares environ, en tenant compte des conditions locales et autres sur la décision des organismes locaux) en une exploitation modèle placée sous le contrôle des députés des salariés agricoles et fonc­tionnant pour le compte de la collectivité.

7. Fusion immédiate de toutes les banques du pays en une banque nationale unique placée sous le contrôle des Soviets des dépu­tés ouvriers.

8. Notre tâche immédiate est non pas d' "introduire" le socialisme, mais unique­ment de passer tout de suite au contrôle de la production sociale et de la répartition des produits par les Soviets des députés ou­vriers.

9. Tâches du Parti :

a) convoquer sans délai le congrès du Parti ;

b) modifier le programme du Parti, princi­palement ;

1. sur l'impérialisme et la guerre impé­rialiste,

2. sur l'attitude envers l'Etat et notre re­vendication d'un "Etat-Commune",

3. amender le programme minimum, qui a vieilli ;

c) changer la dénomination du Parti ;

10. Rénover l'Internationale.
Prendre l'initiative de la création d'une Internationale révolutionnaire, d'une Internationale contre les
social-chauvins et contre le "centre". »

 

La lutte pour réarmer le parti

Zalejski, membre du Comité Central bol­chevik à cette époque, résume ainsi la réac­tion, au sein du parti et partout dans le mou­vement, aux thèses de Lénine : « Les thèses de Lénine produisirent l'effet d'une bombe qui explose » ([5]). La réaction initiale est in­crédule et une pluie d'anathèmes tombe sur la tête de Lénine : Lénine a été trop long­temps en exil, il a perdu le contact avec la réalité russe. Ses perspectives sur la nature de la révolution sont tombées dans le « trotskisme ». Et pour son idée de prise de pouvoir par les soviets, il est retourné au blanquisme, à l'aventurisme, à l'anarchisme. Un ancien membre du Comité central bol­chevik, alors en dehors du parti, Goldenberg, s'exprime ainsi :

« Pendant de nombreuses années, la place de Bakounine dans la Révolution russe est restée inoccu­pée ; maintenant elle est prise par Lénine ».

Pour Kaménev, la vision de Lénine em­pêchera les bolcheviks d'agir comme un parti des masses, en réduisant leur rôle à celui d'un « groupe de propagandistes communis­tes ».

Ce n'est pas la première fois que les « vieux bolcheviks » s'accrochent à des formules usées au nom du léninisme. En 1905, la réaction initiale des bolcheviks face à l'ap­parition des soviets avait été basée sur une interprétation mécanique des critiques de Lénine au spontanéisme dans Que Faire ? ; la direction avait alors appelé le soviet de Pétrograd soit à se subordonner au parti, soit à se dissoudre. Lénine lui-même rejeta caté­goriquement cette attitude, étant un des premiers à saisir la signification révolution­naire du soviet comme un organe de pouvoir politique prolétarien et il défendit que la question n'était pas « soviet ou parti » mais les deux, les soviets et le parti, puisque leurs rôles étaient complémentaires. Là, une fois encore, Lénine avait à donner une leçon à ces « léninistes » sur la méthode marxiste, en démontrant que le marxisme est tout le contraire d'un dogme mort ; c'est une théorie scientifique vivante qui doit être constam­ment vérifiée dans le laboratoire des mou­vements sociaux. Les Thèses d'Avril sont un exemple de la capacité du marxisme à écar­ter, adapter, modifier ou enrichir des posi­tions antérieures à la lumière de l'expérience de la lutte de classe :

« Pour l'instant il faut bien se mettre en tête cette vérité incontestable que le marxiste doit tenir compte de la vie, des faits précis de la réalité, et non se cramponner à la théorie d'hier qui, comme toute théorie, est tout au plus capable d'indiquer l'essentiel, le général, de fournir une idée approchée de la complexité de la vie.

"Grise est la théorie, mon ami, mais vert l'arbre éternel de la vie." » ([6])

Et dans la même lettre, Lénine réprimande...

«... ces "vieux bolcheviks" qui, plus d'une fois déjà, ont joué un triste rôle dans l'histoire de notre Parti en répétant stupidement une formule apprise par coeur, au lieu d'étudier ce qu'il y avait d'original dans la réalité nouvelle, vi­vante. »

Pour Lénine, la « dictature démocratique » est déjà réalisée dans les soviets de députés d'ouvriers et de paysans et comme telle elle est alors devenue une formule vieillie. La tâche essentielle pour les bolcheviks est maintenant de favoriser la dynamique prolé­tarienne au sein de ce large mouvement social qui s'oriente vers la formation d'un Etat-Commune en Russie comme le premier avant-poste de la révolution socialiste mon­diale. On peut engager une controverse avec Lénine sur son effort pour sauver l'honneur de la vieille formule mais l'élément essentiel dans son approche est qu'il a été capable de voir le futur du mouvement et par consé­quent la nécessité de rompre avec le modèle issu de théories vieillies.

La méthode marxiste n'est pas seulement dialectique et dynamique ; elle est aussi glo­bale, c'est-à-dire qu'elle place chaque ques­tion particulière dans un cadre international et historique. Et c'est cela surtout qui permet à Lénine de saisir le sens réel des événe­ments. A partir de 1914, les bolcheviks, Lénine en tête, ont défendu la position in­ternationaliste la plus consistante contre la guerre impérialiste, y voyant la preuve de la décadence du capitalisme mondial et ainsi l'ouverture de l'époque de la révolution pro­létarienne mondiale. Ce fut la pierre angu­laire de la position « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » que Lénine défendit contre toutes les variétés de chau­vinisme et de pacifisme. Se tenant fer­me­ment à cette analyse, à aucun moment Lénine ne se laisse prendre à l'idée que l'ac­cession au pouvoir du gouvernement provi­soire change le caractère impérialiste de la guerre et il n'épargne pas de ses critiques les bolcheviks qui sont tombés dans l'erreur :

« La Pravda exige du gouvernement qu'il re­nonce aux annexions. Exiger d'un gouver­nement de capitalistes qu'il renonce aux an­nexions, c'est une ineptie, une criante déri­sion. » ([7])

La réaffirmation intransigeante de la posi­tion internationaliste sur la guerre est en premier lieu une nécessité si on veut arrêter le glissement opportuniste dans le parti. Mais c'est aussi le point de départ pour li­quider théoriquement la formule de « dictature démocratique » et toutes les jus­tifications mencheviques pour soutenir la bourgeoisie. A l'argument que la Russie ar­riérée n'est pas encore mûre pour le socia­lisme, Lénine argumente comme un vérita­ble internationaliste, reconnaissant dans la Thèse 8 : « Notre tâche immédiate est non pas d' "introduire" le socialisme (...). »

La Russie, en elle-même, n'est pas mûre pour le socialisme, mais la guerre impéria­liste a démontré que le capitalisme mondial comme un tout est vraiment plus que mûr. De là le salut de Lénine aux ouvriers à la gare de Finlande : en prenant le pouvoir, les ouvriers russes agissent comme l'avant-garde de l'armée prolétarienne internationale. De là aussi l'appel à une nouvelle Internationale à la fin des Thèses. Et pour Lénine, comme pour tous les authentiques internationalistes d'alors, la révolution mondiale n'est pas juste un voeu pieux mais une perspective concrète se développant à partir de la révolte prolé­tarienne internationale contre la guerre – les grèves en Grande-Bretagne et en Allemagne, les manifestations politiques, les mutineries et les fraternisations dans les forces armées de plusieurs pays et, bien sûr, la marée révo­lutionnaire montante en Russie même. Cette perspective, embryonnaire à ce moment, va être complètement confirmée après l'insur­rection d'Octobre par l'extension de la vague révolutionnaire à l'Italie, la Hongrie, l'Autriche et surtout l'Allemagne.

L' « anarchisme » de Lénine

Les défenseurs de l' « orthodoxie » marxiste accusent Lénine de blanquisme et de ba­kouninisme sur la question de la prise du pouvoir et sur la nature de l'Etat post-révo­lutionnaire. De blanquisme parce qu'il est supposé être en faveur d'un coup d'Etat par une minorité, par les bolcheviks agis­sant tout seuls, ou même par la classe ou­vrière industrielle comme un tout, agissant sans considération vis-à-vis de la majorité pay­sanne. De bakouninisme parce que le rejet par les Thèses de la république parle­men­taire est une concession aux préjugés anti-politiques des anarchistes et des anarcho-syndi­calis­tes.

Dans ses Lettres sur la tactique, Lénine dé­fend ses thèses contre la première accusation comme suit :

« Je me suis entièrement prémuni, dans mes thèses, contre toute tentative de sauter par-dessus le mouvement paysan, ou petit-bour­geois en général, qui n'a pas encore épuisé ses possibilités, contre toute tentative de jouer à la "prise du pouvoir" par un gou­vernement ouvrier, contre toute aventure blanquiste, car j'ai formellement invoqué l'expérience de la Commune de Paris. Or, on le sait, et Marx l'a démontré minutieuse­ment en 1871 et Engels en 1891, cette expé­rience a absolument exclu le blanquisme, elle a assuré la domination directe, immé­diate, inconditionnée de la majorité et l'ac­tivité des masses uniquement dans la mesure où cette majorité elle-même s'affirme de fa­çon consciente.

Dans mes thèses, j'ai tout ramené, d'une façon parfaitement explicite, à la lutte pour la prépondérance au sein des Soviets de dé­putés des ouvriers, des salariés agricoles, des paysans et des soldats. Afin de ne pas laisser l'ombre d'un doute sur ce point, j'ai par deux fois souligné dans mes thèses la nécessité d'un travail d' "explication" pa­tient et opiniâtre, "en partant des besoins pratiques des masses". »

Pour en revenir à la position anarchiste sur l'Etat, Lénine souligne en Avril, comme il le fera de manière plus approfondie dans L'Etat et la Révolution, que les marxistes « orthodoxes », avec des personnalités comme Kautsky et Plékhanov à leur tête, ont enterré les vrais enseignements de Marx et Engels sur l'Etat sous un tas de fumier par­lementariste. L'expérience de la Commune avait montré que la tâche du prolétariat dans la révolution n'était pas de s'emparer de l'ancien Etat mais de le détruire de fond en comble ; que le nouvel instrument du pou­voir prolétarien, l'Etat-Commune, ne serait pas basé sur le principe de la représentation parlementaire qui finalement n'est qu'une fa­çade cachant la dictature de la bourgeoisie mais sur la délégation directe et la révo­ca­bilité d'en bas, sur les masses armées et au­to-organisées. En constituant les soviets, l'expérience de 1905 et la révolution nouvel­lement surgie de 1917 n'ont pas seule­ment confirmé cette perspective mais lui ont fait franchir un pas supplémentaire. Alors que la Commune avait été une formation « populaire » dans laquelle toutes les clas­ses exploitées de la société étaient égale­ment représentées, les soviets sont une forme supérieure car ils permettent au prolé­tariat de s'organiser de manière autonome au sein du mouvement des masses en général. Les soviets, pris dans leur ensemble, consti­tuent par conséquent un nouvel Etat, quali­tativement différent de l'ancien Etat bour­geois mais un Etat tout de même; et là Lénine se distingue lui-même soigneuse­ment des anarchistes :

« (...) l'anarchisme nie la nécessité de l'Etat et d'un pouvoir d'Etat durant l'époque de transition qui va de la domination de la bourgeoisie à la domination du prolétariat. Je défends au contraire, avec une clarté excluant toute équivoque, la nécessité durant cette époque, de l'Etat, non pas d'un Etat parlementaire bourgeois ordinaire, mais, en accord avec Marx et avec l'expérience de la Commune de Paris, d'un Etat sans armée permanente, sans police opposée au peuple, sans fonc­tionnaires placés au-dessus du peuple.

Si M. Plékhanov, dans son Edinstvo, crie de toutes ses forces à l'anarchisme, il ne fait que donner ainsi une nouvelle preuve de sa rupture avec le marxisme. » ([8])

Le rôle du parti dans la révolution

L'accusation selon laquelle Lénine planifie un coup d'Etat blanquiste est inséparable de l'idée qu'il cherche le pouvoir pour son seul parti. Cela va devenir un thème central de toute la propagande bourgeoise qui fait suite à la ré­volution d'Octobre et qui affirme qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'un coup d'Etat exécuté par les bolcheviks. Nous ne pouvons pas traiter ici toutes les variétés et les nuan­ces de cette thèse. Trotsky fournit une des meilleures réponses, dans son Histoire de la Révolution russe, quand il montre que ce n'est pas le parti mais les soviets qui pren­nent le pouvoir en Octobre. Mais un des fils conducteurs de cette notion est l'argu­ment que la position de Lénine sur le parti comme une organisation unie et fortement centralisée mène inexorablement à ce putsch minoritaire de 1917 et, par extension, à la terreur rouge et finalement au stalinisme.

De nouveau, ceci est une histoire qui ren­voie à la scission initiale entre les bolche­viks et les mencheviks et ce n'est pas le lieu ici de revenir sur cet épisode-clé dans tous ses détails. Il suffit de dire que, depuis cette époque, la conception de Lénine sur l'orga­nisation révolutionnaire a été décrite comme jacobine, élitiste, militariste et même terro­riste. D'éminents marxistes, aussi respectés que Rosa Luxemburg et Trotsky, ont été ci­tés en appui de cette vision. Pour notre part, nous ne nions pas que les vues de Lénine sur la question de l'organisation, tant dans cette période que dans des suivantes, contiennent beaucoup d'erreurs (par exemple sa reprise en 1902 de la thèse de Kautsky sur la con­science de classe provenant de l'extérieur de la classe ouvrière, même s'il la rejeta par la suite ; certaines de ses conceptions sur le régime interne du parti, sur le rapport entre le parti et l'Etat, etc.). Mais, contrairement aux mencheviks de cette époque et à leurs nombreux successeurs anarchistes, social-démocrates, et conseillistes, nous ne prenons pas ces erreurs comme le point de départ, pas plus que nous ne commençons l'analyse de la Commune de Paris ou de la Révolution russe en insistant sur les erreurs – même les plus fatales – qui ont été commises. Le vrai point de départ est que la lutte de Lénine tout au long de sa vie pour construire l'or­ganisation révolutionnaire est un acquis his­torique du mouvement ouvrier et qu'il a lais­sé aux révolutionnaires d'aujourd'hui une base indispensable pour comprendre à la fois comment une organisation révolution­naire doit fonctionner au niveau interne et quel doit être son rôle au sein de la classe dans son ensemble.

Par rapport au dernier point et contre beau­coup d'analyses superficielles, la conception « étroite » des bolcheviks sur l'organisation, que Lénine oppose à la conception menche­vik « large », n'était pas simplement le reflet des conditions imposées par la répression tsariste. Tout comme les grèves de masse et les soulèvements révolutionnaires de 1905 n'étaient pas les derniers échos des révolu­tions bourgeoises du 19e siècle mais mon­traient le futur proche de la lutte de classe internationale dans l'époque naissante de la décadence capitaliste, la conception bolche­vik d'un parti formé de révolutionnaires dé­terminés, ayant un programme clair et fonc­tionnant d'une manière centralisée, était une anticipation du rôle et de la structure requise pour le parti dans les conditions de la déca­dence capitaliste, époque de la révolution prolétarienne. Comme beaucoup d'anti-bol­cheviks l'ont prétendu, il se peut que les mencheviks aient regardé vers l'ouest pour leur modèle d'organisation mais ils regar­daient aussi en arrière, vers le vieux modèle social-démocrate du parti de masse qui ré­unit la classe et la représente, essentielle­ment à travers le processus électoral. Et con­tre toutes les affirmations selon lesquelles c'était les bolcheviks qui restaient enlisés dans les conditions archaïques russes en re­venant au modèle de l'association conspira­trice, en réalité ils étaient ceux qui voyaient en avant, en avant vers une période de tur­bulence révolutionnaire massive qui ne pourrait être ni organisée, ni planifiée, ni encadrée par le parti. Mais cependant cela rendait le rôle du parti encore plus essentiel que jamais.

« En effet, laissons de côté la théorie pédante d'une grève de démonstra­tion mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats exécutée par une mi­norité organisée, et considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation politique, (...) alors la tâ­che de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation de la direction technique de la grève mais dans la direction politique de l'ensemble du mouvement. » ([9])

Ainsi écrivait Rosa Luxemburg dans son analyse magistrale de la grève de masse et des nouvelles conditions de la lutte de classe internationale. Et ainsi Luxemburg, qui avait été une des plus virulentes critiques de Lénine à l'époque de la scission de 1903, convergeait avec les éléments les plus fon­damentaux de la conception bolchevik du parti révolutionnaire.

Ces éléments sont exposés avec la plus grande clarté dans les Thèses d'Avril qui, comme nous l'avons déjà vu, rejettent toute notion d' « imposition » de la révolution par en haut :

« Tant que nous sommes en minori­té, nous nous appliquons à critiquer et ex­pliquer les erreurs commises, tout en affir­mant la nécessité du passage de tout le pou­voir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs er­reurs par l'expérience ».

Ce travail « d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement » est précisément ce que si­gnifie être une direction politique dans une période révolutionnaire. Il ne peut être question de passer à la phase de l'insurrec­tion tant que les positions révolutionnaires des bolcheviks n'ont pas gagné les soviets. En effet, avant que cela puisse arriver, les positions révolutionnaires de Lénine doivent gagner le Parti bolchevique et cela demande une lutte dure et sans compromis dès l'arri­vée de Lénine en Russie.

« Nous ne sommes pas des charlatans, nous devons nous baser seulement sur la con­science des masses. » ([10])

Dans la phase ini­tiale de la révolution, la classe ouvrière a remis le pouvoir à la bourgeoisie, c'est un fait qui ne devrait surprendre aucun mar­xiste,

«... car nous avons toujours su et main­tes fois indiqué que la bourgeoisie se main­tient non seulement par la violence, mais aussi grâce à l'inconscience, à la routine, à l'abrutissement, au manque d'organisation des masses. » ([11])

Ainsi la principale tâche des bolcheviks est de développer la con­science de classe et l'organisation des mas­ses ouvrières.

Ce rôle ne satisfait pas les « vieux bolche­viks » qui ont des plans plus « pratiques ». Ils veulent prendre part à la « révolution bourgeoise » existante et ils veulent que le Parti bolchevique ait une influence massive dans le mouvement tel qu'il est alors. Selon les mots de Kaménev, ils sont horrifiés à la pensée que le parti puisse se tenir sur les bas-côtés avec ses positions « pures », réduit au rôle de « groupe de propagandistes communistes ».

Lénine n'a pas de difficulté pour dénoncer l'argument – les chauvinistes n'avaient-ils pas lancé les mêmes arguments aux interna­tionalistes au début de la guerre, selon les­quels ils restaient en contact avec la con­science des masses alors que les bolcheviks et les spartakistes n'étaient rien de plus que des sectes marginales ? Il doit être particu­lièrement irritant d'entendre les mêmes ar­guments de la part d'un camarade bolchevik. Mais cela n'émousse pas le tranchant de la réponse de Lénine :

« Le camarade Kaménev oppose le "parti des masses" au "groupe de propagandistes". Or, aujourd'hui précisément, les "masses" sont intoxiquées par le jusqu'au-boutisme "révolutionnaire". Ne conviendrait-il pas mieux, surtout à des internationalistes, de savoir à pareil moment s'opposer à cette intoxication "massive" plutôt que de "vouloir rester" avec les masses, autrement dit de céder à la contagion générale ? N'avons-nous pas vu dans tous les pays bel­ligérants d'Europe les chauvins chercher à se justifier en invoquant leur désir de "rester avec les masses" ? Ne doit-on pas savoir rester un certain temps en minorité pour combattre une intoxication "massive" ? L'activité des propagandistes n'est-elle pas, surtout à l'heure actuelle, le facteur essen­tiel qui doit permettre à la ligne proléta­rienne de se dégager de l'intoxication jus­qu'au-boutiste et petite-bourgeoise où sont plongées les "masses" ? L'une des causes de l'épidémie jusqu'au-boutiste est précisément que les masses, prolétariennes et non prolé­tariennes, ont fait bloc sans égard aux diffé­rences de classes qui existent au sein de ces masses. Il me semble plutôt déplacé de par­ler avec mépris du "groupe de propagandis­tes" de la ligne prolétarienne. » ([12])

Cette approche, cette volonté pour aller con­tre le courant et d'être en minorité en défen­dant des principes de classe clairs et précis, n'a rien à voir avec du purisme ou du secta­risme. Au contraire, elles sont basées sur une compréhension du mouvement réel se déroulant dans la classe à chaque moment, sur la capacité de donner la parole et une di­rection aux éléments les plus radicaux au sein du prolétariat.

Trotsky montre comment, à la fois en ga­gnant le parti à ses positions et ensuite en défendant la « ligne prolétarienne » au sein de la classe comme un tout, Lénine cherche l'appui de ces éléments :

« Contre les vieux bolcheviks, Lénine trouva un appui dans une couche du parti, déjà trempée, mais plus fraîche et plus liée avec les masses. Dans l'insurrection de Février, les ouvriers bol­cheviks, comme nous le savons, jouèrent un rôle décisif. Ils estimèrent qu'il allait de soi que le pouvoir fût pris par la classe qui avait remporté la victoire. Ces mêmes ou­vriers protestaient véhémentement contre l'orientation Kaménev-Staline, et le rayon de Vyborg menaça même d'exclusion des "leaders" du parti. On observait la même chose en province. Il y avait presque partout des bolcheviks de gauche que l'on accusait de maximalisme, voire d'anarchisme. Ce qui manquait aux ouvriers révolutionnaires, c'était seulement des ressources théoriques pour défendre leurs positions. Mais ils étaient prêts à répondre au premier appel intelligible. » ([13])

Cela aussi est une expression de la maîtrise par Lénine de la méthode marxiste qui, en voyant au-delà des apparences, est capable de discerner la dynamique réelle d'un mou­vement social. A contrario, dans les années 1920, quand Lénine en revient lui-même à l'argument de « rester avec les masses » afin de justifier le « Front unique » et la fusion organisationnelle avec des partis centristes, c'est un signe que le parti est en train de perdre sa compréhension de la méthode marxiste et de glisser vers l'opportunisme. Mais cela à son tour est le résultat de l'iso­lement de la révolution et de la fusion des bolcheviks avec l'Etat soviétique. Au cours de la vague montante de la révolution en Russie, le Lénine des Thèses d'Avril n'est jamais un prophète isolé, ni un démiurge se tenant au-dessus des vulgaires masses mais la voix la plus claire de la tendance la plus révolutionnaire au sein du prolétariat, une voix qui, avec une précision sûre, indique le chemin qui mène à l'insurrection d'Octobre.

 

(D’après la Revue internationale n° 89)

 


[1]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».

[2]. Idem, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».

[3]. Idem, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».

[4]. Ibid.

[5]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».

[6]. Lénine, Lettres sur la tactique, 8-13 avril 1917. La citation est de Méphistophélès dans le Faust de Goethe.

[7]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».

[8]. Lénine, Lettres sur la tactique, 8-13 avril 1917.

[9]. Grève de masse, parti et syndicats, Rosa Luxemburg.

[10]. « Second discours de Lénine lors de son arrivée à Pétrograd », cité par Trotsky dans l'Histoire de la Révolution russe.

[11]. Lénine, Lettres sur la tactique.

[12]. Idem.

[13]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Le réarmement du parti ».

 

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [1]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [2]

Les journées de Juillet, le parti déjoue une provocation de la bourgeoisie

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 Les journées de juillet 1917 constituent un des moments les plus importants non seulement de la révolution russe mais de toute l'histoire du mouvement ouvrier. En l'espace de trois jours essentiellement, du 3 au 5 juillet, une des plus importantes confrontations entre la bourgeoisie et le prolétariat, bien qu'elle se soit terminée par une défaite de la classe ouvrière, va ouvrir la voie à la prise du pouvoir en octobre 1917. Le 3 juillet, les ouvriers et les soldats de Pétrograd se soulèvent massivement et spontanément et exigent que tout le pouvoir revienne aux conseils ouvriers, aux soviets. Le 4 juillet, une manifestation armée d'un demi million de participants fait le siège de la direction du soviet de Pétrograd, l'appelant à prendre le pouvoir, mais se disperse pacifiquement dans la soirée répondant en cela à l'appel des bolcheviks. Le 5 juillet, les troupes contre-révolutionnaires reprennent la capitale de la Russie, lancent une chasse aux bolcheviks et répriment les ouvriers les plus combatifs. Cependant, en évitant une lutte prématurée pour le pouvoir, l'ensemble du prolétariat va maintenir ses forces révolutionnaires intactes. C'est ce qui permettra à la classe ouvrière de tirer des leçons essentielles de ces événements, en particulier la compréhension du caractère contre-révolutionnaire de la démocratie bourgeoise et de la nouvelle gauche du capital : les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires qui ont trahi la cause des travailleurs et des paysans pauvres et sont passés dans le camp ennemi. A aucun autre moment de la révolution russe le danger d'une défaite décisive du prolétariat et de la liquidation du parti bolchevik n'a été aussi aigu que pendant ces 72 heures dramatiques. A aucun autre moment la confiance profonde des bataillons les plus avancés du prolétariat dans leur parti de classe, dans l'avant-garde communiste, n'a eu une aussi grande importance.

 

80 ans plus tard, face aux mensonges de la bourgeoisie sur la « mort du communisme », en particulier face à ses dénigrements de la révolution russe et du bolchevisme, une des principales responsabilités des organisations révolutionnaires est de tirer les véritables leçons des journées de juillet et de l'ensemble de la révolution prolétarienne. Selon les mensonges de la bourgeoisie, la révolution russe a été une lutte « populaire » pour une république parlementaire bourgeoise ; la Russie était « le pays le plus libre du monde » jusqu'à ce que les bolcheviks, « inventant » le mot d'ordre « démagogique » de « tout le pouvoir aux soviets », imposent par un « putsch » leur « dictature barbare sur la grande majorité de la population travailleuse ». Cependant, même un bref coup d'œil objectif aux événements de juillet 1917 montre clairement que les bolcheviks sont aux côtés de la classe ouvrière et que la démocratie bour­geoise est aux côtés de la barbarie, du putschisme et de la dictature d'une petite minorité sur la population laborieuse.

 

Une provocation cynique de la bourgeoisie et un piège tendu aux bolcheviks

 

Les journées de juillet 1917 sont avant tout une provocation de la bourgeoisie dans le but de décapiter le prolétariat en écrasant la révolution à Pétrograd et en éliminant le parti bolchevik, et cela avant que le processus révolutionnaire dans l'ensemble de la Russie ne soit mûr pour la prise du pouvoir par les travailleurs.

 

Le soulèvement révolutionnaire de février 1917, qui a entraîné le remplacement du Tsar par un gouvernement provisoire « démocratique bourgeois » et, face à ce dernier, l'établissement des conseils ouvriers (soviets), véritables centres du pouvoir pro­létarien, a été d'abord et avant tout le produit de la lutte des ouvriers contre la guerre im­périaliste mondiale commencée en 1914. Mais le gouvernement provisoire, ainsi que les partis majoritaires dans les soviets, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (SR), s'engagent à continuer la guerre contre la volonté du prolétariat, à poursuivre le programme impérialiste de brigandage du capital russe. Dans ce sens, pas seulement en Russie mais aussi dans tous les pays de l'Entente (la coalition contre l'Allemagne), une nouvelle légitimité pseudo révolutionnaire est conférée à la guerre, c'est-à-dire au plus grand crime de l'histoire de l'humanité. Entre février et juillet 1917, plusieurs millions de soldats, comprenant la fine fleur de la classe ouvrière internationale, ont été tués et mutilés dans le but de déterminer qui, des principaux gangsters impérialistes, devrait dominer le monde. Bien que beaucoup d'ouvriers russes aient cru, au départ, au mensonge des nouveaux dirigeants selon lequel il est nécessaire de continuer la guerre « pour obtenir une fois pour toutes une paix juste sans annexion », mensonge venant de la bouche même de ceux qui se prétendent « démocrates » et « socialistes », en juin 1917 le prolétariat relance sa lutte révolutionnaire contre la boucherie impérialiste avec une énergie redoublée. Pendant l'énorme manifestation du 18 juin à Pétrograd, les mots d'ordre internationalistes des bolcheviks sont pour la première fois majoritaires. Début juillet, la plus grande et la plus sanglante des offensives militaires russes depuis le « triomphe de la démocratie » se termine dans un fiasco, l'armée allemande brisant le front en plusieurs endroits. C'est le moment le plus critique pour le militarisme russe depuis le début de la « Grande Guerre ». Alors que les nouvelles de l'échec de l'offensive atteignent la capitale, attisant le feu révolutionnaire, elles ne sont pas encore parvenues dans le reste de ce pays gigantesque. Pour faire face à cette situation très tendue, apparaît l'idée de provoquer une révolte prématurée à Pétrograd, d'y écraser les ouvriers et les bolcheviks puis de faire endosser la responsabilité de l'échec de l'offensive militaire au prolétariat de la capitale qui aurait donné « un coup de poignard dans le dos » à ceux qui sont au front.

 

La situation objective n'est cependant pas encore favorable à un tel plan. Bien que les principaux secteurs ouvriers de Pétrograd soient en avance sur les orientations des bolcheviks, les mencheviks et les SR ont encore une position majoritaire dans les soviets et sont toujours dominants dans les provinces. Dans l'ensemble de la classe ouvrière, même à Pétrograd, il existe encore de fortes illusions sur la capacité des mencheviks et des SR à servir la cause de la révolution. Malgré la radicalisation des soldats, qui sont en majorité des paysans en uniforme, un grand nombre de régiments importants restent encore loyaux au gouvernement provisoire. Les forces de la contre-révolution, après une phase de désorientation et de désorganisation suite à la « révolution de février », sont maintenant complètement reconstituées. Et la bourgeoi­sie a une carte dans sa manche : des documents et des témoignages fabriqués tendant à prouver que Lénine et les bolcheviks sont des agents payés par le Kaiser.

 

Ce plan représente avant tout un piège, un dilemme pour le parti bolchevik. Si le parti se met à la tête d'une insurrection prématurée dans la capitale, il va se discréditer aux yeux du prolétariat russe, apparaissant comme le maître d'œuvre d'une aventure politique irresponsable et, aux yeux des secteurs arriérés, comme un suppôt de l'impérialisme allemand ; mais s'il se désolidarise du mouvement de masse, il s'isole dangereusement de la classe, abandonnant les ouvriers à leur sort. La bourgeoisie espère que, quoi que le parti fasse, sa décision le mènera à l'échec.

 

La clique des contre-révolutionnaires « Cent Noirs », antisémites, organisée par les « démocraties » occidentales

 

Les forces anti-bolcheviks sont-elles ces gentils démocrates et prétendus défenseurs de la « liberté du peuple » que la propagande bourgeoise présente ? Elle sont dirigées par les Cadets, le parti de la grande industrie et des grands propriétaires terriens, par le comité des officiers représentant environ 100 000 officiers qui préparent un putsch militaire, par le prétendu « soviet » des troupes contre-révolutionnaires cosaques, par la police secrète, par la mafia antisémite des « Cent-Noirs » etc., « voila le milieu où se crée l'atmosphère des pogroms, où naissent les tentatives de pogroms, d'où partent les coups de feu tirés contre les manifestants » comme l'écrit Lénine.([1] [3])

 

La provocation de juillet est un coup porté à la révolution mondiale montante non seulement par la bourgeoisie russe mais aussi par la bourgeoisie mondiale, à travers l'action des gouvernements alliés de la Russie. Dans cette tentative sournoise cherchant à noyer dans le sang une révolution pas encore mûre, on peut déceler la main des vieilles bourgeoisies démocratiques : la française avec sa longue tradition sanguinaire de telles provocations (1791, 1848, 1870) et la britannique avec son incomparable expérience et intelligence politique. En fait, face aux difficultés croissantes de la bourgeoisie russe pour combattre de façon efficace la révolution et pour maintenir l'effort de guerre, les alliés occidentaux de la Russie sont dès le départ la principale force, non seulement pour financer le front militaire russe mais aussi pour conseiller et renforcer les forces contre-révolutionnaires en Russie. Le Comité Provisoire de la Douma d'Etat (le parlement) « couvrait légalement l'activité contre-révolutionnaire que finançaient largement les banques et les ambassades de l'Entente », comme le rappelle Trotsky. ([2] [4])

« Pétrograd fourmillait d'organisations secrètes et à demi secrètes d'officiers qui jouissaient d'un haut patronage et de généreux appuis. Dans une information confidentielle que donnait le menchevik Liber presque un mois avant les Journées de Juillet, il était noté que les officiers conspirateurs avaient leurs entrées auprès de Buchanan. Et, en effet, les diplomates de l'Entente ne pouvaient-ils point se soucier de l’ instauration la plus rapide possible d'un pouvoir fort ? » ([3] [5])

 

Ce ne sont pas les bolcheviks, c'est la bourgeoisie qui s'est elle-même alliée aux gouvernements étrangers contre le prolétariat russe.

 

Les provocations politiques de la bourgeoisie assoiffée de sang

 

Au début de juillet, trois incidents concoctés par la bourgeoisie suffisent à déclencher une révolte dans la capitale :

 

- Quatre ministres du parti Cadet démissionnent du gouvernement

Dans la mesure où les mencheviks et les SR ont justifié jusque là leur refus du mot d'ordre « tout le pouvoir aux soviets » par la nécessité de collaborer avec les représentants de la « bourgeoisie démocratique » que sont les Cadets, le retrait de ces derniers de la coalition a manifestement pour but de provoquer, parmi les ouvriers et les soldats, une relance des revendications pour le pouvoir immédiat aux soviets.

« Supposer que les cadets pouvaient ne pas prévoir les répercussions de leur acte de sabotage déclaré à l'égard des soviets, ce serait résolument sous-estimer Milioukov. Le leader du libéralisme s'efforçait évidemment d'entraîner les conciliateurs dans une situa­tion critique qui n'aurait d'issue que par l'emploi des baïonnettes : en ces jours-là, il croyait fermement que, par une audacieuse saignée, l'on pouvait sauver la situation. » ([4] [6])

 

- La pression de l'Entente sur le gouvernement provisoire

Elle vise à obliger ce dernier soit à affronter la révolution par les armes soit à être lâché par ses alliés.

« En coulisse, les fils étaient ramassés entre les mains des ambassades et des gouvernements de l'Entente. A la conférence interal­liée qui s'ouvrit à Londres, les amis d'Occident "oublièrent" d'inviter l'ambassadeur de Russie; (...) Cette brimade infligée à l'ambassadeur du gouvernement provisoire et la démonstrative démission des cadets se produisirent le 2 juillet : les deux événements avaient un seul et même but : obliger les conciliateurs à baisser pavillon. » ([5] [7]). Les partis mencheviks et SR tendent à rejoindre le camp de la bourgeoisie. Leur manque d'expérience au gouvernement, leurs hésitations et oscillations petites-bourgeoises, mais aussi l'existence en leur sein de certaines oppositions internationalistes prolétariennes, font qu'ils ne sont pas impliqués directement dans le complot contre-révolutionnaire. Mais ils sont manipulés pour jouer le rôle qui leur a été assigné par leurs maîtres dirigeants bourgeois.

 

- La menace d'envoyer au front les régiments de la capitale

En fait, l'explosion de la lutte de classe en réponse à ces provocations est initiée non par les ouvriers mais par les soldats; et soutenue politiquement non pas les bolcheviks mais par les anarchistes. « Les soldats étaient en général plus impatients que les ouvriers; d'abord parce qu'ils étaient sous la menace directe d'un envoi au front, ensuite parce qu'ils avaient beaucoup plus de mal à s'assimiler les motifs de la stratégie politique. En outre, chacun d'eux avait le fusil à la main et, après Février, le soldat était enclin à surestimer le pouvoir spécifique de cette arme. » ([6] [8]). Les soldats entreprennent immédiatement de gagner les ouvriers à leur action. Aux ateliers Poutilov, la plus grande concentration d'ouvriers en Russie, ils obtiennent un succès décisif :

« Environ dix mille ouvriers s'assemblèrent devant les locaux de l'administration. Acclamés, les mitrailleurs racontèrent qu 'ils avaient reçu l'ordre de partir le 4 juillet pour le front, mais qu'ils avaient résolu "de marcher non du côté du front allemand, contre le prolétariat allemand, mais bien contre leurs propres ministres capitalistes". L'état des esprits monta. "En avant ! En avant /" crièrent les ouvriers. » ([7] [9])

En quelques heures, le prolétariat de toute la ville se soulève, s'arme et se rassemble autour du mot d'ordre « tout le pouvoir aux soviets », le mot d'ordre des masses elles-mêmes.

 

Les bolcheviks évitent le piège

 

L'après-midi du 3 juillet, les délégués des régiments de mitrailleurs parviennent à gagner le soutien de la conférence locale des bolcheviks et sont choqués d'apprendre que le parti s'est prononcé contre l'action. Les arguments donnés par le parti - selon lesquels la bourgeoisie veut provoquer le prolétariat de Pétrograd pour lui faire porter la responsabilité du fiasco sur le front, que la situation n'est pas mûre pour l'insurrection armée et que le meilleur moment pour une action d'envergure arrivera quand l'effondrement du front sera connu de tous - montre que les bolcheviks ont immédiatement saisi la signification et le danger des événements. En fait, dès la manifestation du 18 juin, les bolcheviks mettent publiquement en garde les ouvriers contre une action prématurée.

 

Les historiens bourgeois reconnaissent l'intelligence politique remarquable du parti à ce moment-là. En effet, le parti bolchevik est convaincu qu'il est impératif d'étudier la nature, la stratégie et la tactique de la classe ennemie pour être capable de répondre et d'intervenir correctement à chaque moment. Il est imprégné de la compréhension marxiste que la prise du pouvoir révolutionnaire est une sorte d'art ou de science, qu'une insurrection inopportune est aussi fatale que l'échec d'une prise de pouvoir assumée au bon moment.

 

Mais pour aussi correcte que puisse être l'analyse du parti, en rester là signifierait tomber dans le piège de la bourgeoisie. Le premier tournant décisif pendant les journées de juillet arrive la même nuit, quand le Comité central du parti et celui de Pétrograd décident d'appuyer le mouvement et de se mettre à sa tête, mais dans le but d'assurer son « caractère pacifique et organisé ». Contrairement aux événements spontanés et chaotiques du jour précédent, les manifesta­tions gigantesques du 4 juillet traduisent « la main organisatrice du parti ». Les bolcheviks savent que l'objectif que les masses se sont données, c'est-à-dire obliger la direction menchevik et SR du soviet à prendre le pouvoir au nom des conseils ouvriers, est une impossibilité. Les mencheviks et les SR, présentés aujourd'hui comme les véritables défenseurs de la démocratie soviétique, sont déjà en train de rejoindre la contre-révolution et attendent l'occasion d'en finir avec les conseils ouvriers. La difficulté de cette situation, représentée par une conscience encore insuffisante des masses prolétariennes, se concrétise à travers la fameuse anecdote de cet ouvrier en colère, agitant son poing sous le nez d'un des ministres « révolutionnaires » en lui criant : « Prend le pouvoir, fils de pute, puisque nous te le donnons. » En réalité, les ministres et les chefs inappropriés du soviet jouent la montre jusqu'à ce que les régiments loyaux au gouvernement arrivent.

Dans le même temps, les ouvriers réalisent les difficultés qu'il y a à transférer tout le pouvoir au soviet et cela tant que les traîtres et adeptes du compromis gardent leur influence en son sein. Parce que la classe n'a pas encore trouvé la méthode pour transformer le soviet de l'intérieur, elle essaye vainement de lui imposer sa volonté, par les armes, de l'extérieur.

 

Le second tournant décisif se produit quand Zinoviev, au nom des bolcheviks, s'adresse à des dizaines de milliers d'ouvriers, de Poutilov et d'ailleurs, au soir du 4 juillet, jour des manifestations massives ; qu'il entame son discours avec un ton de plaisanterie pour détendre l'atmosphère et finit en appelant les ouvriers à rentrer chez eux pa­cifiquement. Ce que font les ouvriers. L'heure de la révolution n'est pas encore là mais elle arrive. Jamais la vieille vérité de Lénine n'a été aussi spectaculairement prouvée : la patience et l'humour sont des qualités indispensables aux révolutionnaires. La capacité des bolcheviks à éviter au prolétariat de tomber dans le piège de la bourgeoisie n'est pas seulement due à leur intelligence politique. Ce qui est décisif d'abord c'est la profonde confiance du parti dans le prolétariat et dans le marxisme, lui permettant de se baser sur la force qui représente le futur de l'humanité et sur sa méthode, et ainsi de se prémunir de l'impatience petite-bourgeoise. Ce qui est décisif, c'est la profonde confiance que les ouvriers russes développent dans leur parti de classe, lui permettant d'intervenir en leur sein et même d'assumer son rôle de direction bien qu'il soit clair pour tout le monde qu'il ne partage ni leurs buts immédiats ni leurs illusions. Ainsi la bourgeoisie a échoué dans sa tentative d'enfoncer un coin entre le parti et la classe, un coin qui aurait signifié la défaite certaine de la révolution russe.

 

« II était du devoir absolu du parti prolétarien de rester avec les masses, et de tenter de donner aux actions justifiées de ces masses autant que possible un caractère pacifique et organisé, de ne pas se couper d'elles, en se lavant les mains comme Ponce Pilate pour la raison pédante que les masses n'étaient pas organisées jusqu'au dernier homme, et qu'il y avait des excès dans son mouvement. »( [8] [10])

 

Les pogroms et les calomnies de la contre-révolution

 

Dès le matin du 5 juillet, les troupes gouvernementales commencent à arriver dans la capitale. Elles entament la chasse aux bolcheviks, les privant de leurs maigres moyens de propagande, elles désarment et terrorisent les ouvriers, elles incitent aux pogroms contre les juifs. Les « sauveurs de la civilisation » contre la « barbarie bolchevik » ont recours à deux provocations principales pour mobiliser les troupes contre les ouvriers.

 

La campagne de mensonges selon laquelle les bolcheviks sont des agents allemands

 

« Les soldats restaient, moroses, enfermés dans leurs casernes, dans l'expectative. C'est seulement dans l'après-midi du 4 juillet que les autorités découvrirent, enfin, un puissant moyen d'action: on montra aux hommes du régiment Préobrajensky des documents qui prouvaient comme deux et deux font quatre que Lénine était un espion de l'Allemagne. Cela réussit. La nouvelle se répandit dans les régiments. (...) L'opinion des bataillons neutres fut brusquement modifiée. » ([9] [11]) En particulier, c'est un parasite politique nommé Alexinski -un bolchevik renégat qui, dans le passé, avait essayé sans succès de former une opposition « ultragauche » contre Lénine et qui depuis est devenu une ennemi déclaré des partis ouvriers - qui est utilisé dans cette campagne. Il en résulte que Lénine et d'autres dirigeants bolcheviks sont obligés de se cacher alors que Trotsky et d'autres sont arrêtés. « Ce qu'il faut au pouvoir, ce n'est pas un procès, c'est la persécution des internationalistes. Les coffrer et les garder sous clé, voila ce qu'il faut à Messieurs Kérenski   et consorts. »([10] [12])

 

La bourgeoisie n'a pas changé depuis. Aujourd'hui, 80 ans plus tard, elle mène une campagne similaire avec la même « logique » contre la Gauche communiste. En juillet 1917, elle essaie de faire croire que puisque les bolcheviks refusent de soutenir l'Entente c'est qu'ils doivent être du côté allemand ! Aujourd'hui elle tente d'accréditer l'idée que si la Gauche communiste refuse de soutenir le camp impérialiste « antifasciste » dans la 2e guerre mondiale c'est parce qu'elle et ses successeurs actuels sont du côté des nazis. Ces campagnes lancées par les Etats « démocratiques » n'ont pour but que de préparer de futurs pogroms.

 

Aujourd'hui, les révolutionnaires qui tendent à sous-estimer la signification de telles cam­pagnes contre eux, ont encore beaucoup à apprendre de l'expérience des bolcheviks après les journées de juillet, qui ont remué ciel et terre pour défendre leur réputation au sein de la classe ouvrière. Trotsky appelle juillet 1917 « le mois de la plus gigantesque calomnie de l'histoire humaine », mais celle-ci est bien faible comparée à celle d'aujourd'hui selon laquelle le communisme c'est le stalinisme.

 

Une autre manière d'attaquer la réputation des révolutionnaires, aussi vieille que la méthode de dénigrement public et utilisée souvent en parallèle avec celle-ci, est l'utilisation par l'Etat d'éléments non prolétariens et même anti-prolétariens qui cherchent à se présenter eux-mêmes comme des révolutionnaires.

 

« La provocation joua indubitablement un certain rôle dans les événements du front comme dans les rues de Pétrograd. Après l'insurrection de Février, le gouvernement avait jeté sur la ligne de feu un grand nombre d'anciens gendarmes et de sergents de ville. Pas un d'entre eux, bien entendu, ne voulait combattre. Ils avaient plus peur des soldats russes que des Allemands. Pour faire oublier leur passé, ils affectaient les opinions les plus extrémistes de l'armée, excitaient en tapinois les soldats contre les officiers, s'élevaient plus que personne contre la discipline et l'offensive et, fréquemment, se donnaient tout net pour des bolcheviks. Entretenant entre eux une liaison naturelle de complices, ils constituaient une originale confrérie de la poltronnerie et de la lâcheté. Par leur intermédiaire pénétraient dans les troupes et se répandaient rapidement les bruits les plus fantastiques, dans lesquels des termes ultra révolutionnaires se combinaient avec l'esprit réactionnaire des Cent-Noirs. Aux heures critiques, ces individus étaient les premiers à donner le signal de la panique. L'œuvre démoralisatrice des policiers et des gendarmes fut plus d'une fois mentionnée dans la presse. Non moins souvent l'on trouve des indications de cet ordre dans les documents secrets de l'armée elle-même. Mais le haut commandement gardait le silence, préférant assimiler les provocateurs Cent-Noirs aux bolcheviks. »([11] [13])

 

Des tireurs isolés font feu sur les troupes qui entrent en ville ; on l'attribue aux bolcheviks

 

« La folie calculée de cette fusillade bouleversait profondément les ouvriers. Il était clair que des provocateurs expérimentés accueillaient les soldats avec du plomb dans le but de les vacciner contre le bolchevisme. Les ouvriers faisaient tous leurs efforts pour expliquer cela aux soldats qui arrivaient, mais on ne les laissait pas approcher ; pour la première fois, depuis les journées de Février, entre l'ouvrier et le soldat se plaçait le junker ou l'officier. »( [12] [14])

 

Obligés de travailler dans une semi légalité après les journées de juillet, les bolcheviks doivent aussi combattre contre les illusions démocratiques de ceux qui, dans leurs rangs, veulent que leurs dirigeants passent en procès devant un tribunal bourgeois afin de répondre des accusations d'être des agents al­lemands. Reconnaissant là un autre piège pour le parti, Lénine écrit : « Ce qui agit c'est la dictature militaire. Il serait donc ridicule en l'occurrence de parler de "jugement". Il ne s'agit pas d'un "jugement", mais d'un épisode de guerre civile. »([13] [15])

 

Mais si le parti survit à la période de répression qui suit les journées de juillet, ce n'en est pas moins grâce à sa tradition de vigilance constante dans la défense de l'organisation contre toutes les tentatives de l'Etat de le détruire. On peut noter, par exemple, que l'agent de l'Okhrana, Malinovski - qui avant-guerre était parvenu à devenir un membre du comité central du parti directement responsable de la sécurité de l'organisation- aurait probablement été en charge de cacher Lénine, Zinoviev et les autres, après les journées de juillet, s'il n'avait pas été démasqué auparavant par la vigilance de l'organisation (malgré l'aveuglement de Lénine lui-même !). Sans une telle vigilance, le résultat aurait très probablement été la liquidation des dirigeants les plus expérimentés du parti. En janvier 1919, Luxemburg, Liebknecht, Jogisches et d'autres militants du tout récent KPD ont été assassinés par la bourgeoisie allemande, il semble que les autorités ont été renseignées par un agent de police de « haut rang » au sein du parti.

 

Bilan des « journées de juillet »

 

Les journées de juillet révèlent une fois encore l'énorme énergie révolutionnaire du prolétariat, sa lutte contre le mensonge de la démocratie bourgeoise et le fait qu'il est seul capable d'agir contre la guerre impérialiste dans la période de décadence du capitalisme. Le choix n'est pas « démocratie ou dictature » mais dictature du prolétariat ou dictature de la bourgeoisie, socialisme ou barbarie ; c'est l'alternative à laquelle est confrontée l'humanité et qui a été posée durant les journées de juillet. Mais ce que les journées de juillet illustrent surtout est le rôle indispensable du parti de classe du prolétariat. Il n'est pas étonnant que la bour­geoisie « célèbre » aujourd'hui le 80e anniversaire de la révolution russe par de nouvelles campagnes et calomnies contre le milieu révolutionnaire actuel. Juillet 1917 a aussi montré que surmonter les illusions vis à vis des partis anciennement ouvriers qui ont trahi et vis à vis de ceux de la gauche du capital est une chose indispensable si le prolétariat veut prendre le pouvoir. C'est l'illusion principale qu'a eue la classe ouvrière pendant les journées de juillet. Mais cette expérience a clarifié définitivement, pas seulement pour la classe ouvrière et les bolcheviks mais aussi pour les mencheviks et les SR, que ces dernières organisations étaient irrévocablement passées à la contre-révolution. Comme Lénine l'écrit début sep­tembre : « (...) à l'époque, Pétrograd n'avait pas pu prendre le pouvoir, même matériel­lement, et s'il l'avait pris matériellement, il n'aurait pas pu le garder politiquement, Tsérétélli et consorts n'étant pas encore arrivés, dans leur déchéance, au point de soutenir un gouvernement de bourreaux.

C'est pourquoi le mot d'ordre de la prise du pouvoir eut été faux à ce moment-là, les 3-5 juillet 1917 à Pétrograd. A ce moment, les bolcheviks eux-mêmes n'avaient pas et ne pouvaient pas avoir décidé sciemment de traiter Tsérétélli et consorts en contre-révolutionnaires. A ce moment, ni les soldats ni les ouvriers ne pouvaient avoir l'expérience fournie par le mois de juillet. »([14] [16])

 

Dès la mi-juillet Lénine tire clairement cette leçon : « Après le 4 juillet, la bourgeoisie contre-révolutionnaire, marchant avec les monarchistes et les Cent-Noirs, s'est adjoint, en partie par l'intimidation, les petits-bourgeois socialistes-révolutionnaires et mencheviks et a confié le pouvoir d'Etat effectif aux Cavaignac, à la clique militaire qui fusille les récalcitrants sur le front et massacre les bolcheviks à Pétrograd. » ([15] [17])

 

Mais la leçon-clé de juillet 1917 est celle de la direction politique de la classe par le parti. La bourgeoisie emploie souvent la tactique de provoquer des confrontations prématurées. Que ce soit en 1848 et en 1870 en France, en 1919 et 1921 en Allemagne, dans chaque cas le résultat est une répression sanglante du prolétariat. Si la révolution russe est le seul grand exemple où la classe ouvrière a été capable d'éviter un tel piège et une défaite sanglante, c'est pour une grande part parce que le parti bolchevik a été capable de remplir son rôle décisif d'avant-garde. En épargnant à la classe une telle défaite, les bolcheviks ont mis en relief, contre l'interprétation perverse des op­portunistes, les profondes leçons révolution­naires tirées par Engels dans sa célèbre introduction de 1895 aux Luttes de classe en France de Marx, et particulièrement cette mise en garde : « II n'y a qu'un moyen qui pourrait contenir momentanément le grossissement continuel des forces combattantes socialistes en Allemagne et même le faire régresser quelques temps, c'est une collision de grande envergure avec les troupes, une saignée comme en 1871 à Paris. » ([16] [18])

 

Trotsky résume le bilan de l'action du parti comme suit : « Si le parti bolchevik, s'entêtant à juger en doctrinaire le mouvement de Juillet "inopportun", avait tourné le dos aux masses, la demi insurrection serait inévitablement tombée sous la direction dispersée et non concertée des anarchistes, des aven­turiers, d'interprètes occasionnels de l'indignation des masses, et aurait épanché tout son sang dans de stériles convulsions. Mais aussi, par contre, si le parti, s'étant placé à la tète des mitrailleurs et des ouvriers de Poutilov, avait renoncé à son jugement sur la situation dans l'ensemble et avait glissé dans la voie des combats décisifs, l'insurrection aurait indubitablement pris une audacieuse ampleur, les ouvriers et les soldats, sous la direction des bolcheviks, se seraient emparés du pouvoir, toutefois et seulement pour préparer l'effondrement de la révolution. La question du pouvoir à l'échelle nationale n'eût pas été comme en Février résolue par une victoire à Pétrograd. La province n'eût pas suivi de près la capitale. Le front n'eut pas compris et n'aurait pas ac­cepté le changement de régime. Les chemins de fer et le télégraphe auraient servi les conciliateurs contre les bolcheviks. Kérenski et le Grand Quartier Général auraient créé un pouvoir pour le front et la province. Pétrograd eût été bloqué. Dans ses murs aurait commencé une désintégration. Le gouvernement aurait eu la possibilité de lancer sur Pétrograd des masses considérables de soldats. L'insurrection aurait abouti, dans ces conditions, à la tragédie d'une Commune de Pétrograd. En juillet, à la bifurcation des voies historiques, c'est seulement l'intervention du parti des bol­cheviks qui élimina les deux variantes d'un danger fatal : soit dans le genre des Journées de Juin 1848, soit dans le genre de la Commune de Paris de 1871. C'est en prenant hardiment la tête du mouvement que le parti obtint la possibilité d'arrêter les masses au moment où la manifestation commençait à se transformer en un engagement général de forces armées. Le coup porté en juillet aux masses et au parti fut très grave. Mais ce coup n'était pas décisif. On compta les victimes par dizaines, mais non point par dizaines de milliers. La classe ouvrière sortit de l'épreuve non décapitée et non exsangue. Elle conserva intégralement ses cadres de combat, et ces cadres avaient beaucoup appris. » ( [17] [19])

L'histoire donne raison à Lénine quand il écrit : « Une nouvelle phase commence. La victoire de la contre-révolution déclenche la déception au sein des masses vis-à-vis des partis socialiste-révolutionnaire et menchevik, et ouvre la voie au ralliement de celles-ci à la politique qui soutient le prolétariat révolutionnaire. » ([18] [20])

 

 

 

(D’après la Revue internationale n° 90)


[1] [21] « De quel côté est le pouvoir, de quel côté la contre-révolution ? », Lénine, Oeuvres choisies. Editions de Moscou, Tome II.

[2] [22] « Histoire de la révolution russe », Trotsky.

[3] [23] Ibid,    Trotsky.    Buchanan    était    un    diplomate britannique en poste à Pétrograd.

[4] [24] Ibid, Trotsky.

[5] [25] Ibid,    Trotsky..

[6] [26] Ibid,    Trotsky..

[7] [27] Ibid,    Trotsky..

[8] [28] 8. Lénine, « Sur les illusions constitutionnelles », Oeuvres complètes, traduit de l'anglais par nous.

[9] [29] Ibid,    Trotsky

[10] [30] « Les dirigeants bolcheviks doivent-ils compa­raître devant les tribunaux ? », Lénine, Oeuvres choisies, Editions de Moscou, Tome II

[11] [31] Ibid., Trotsky. Le rôle très similaire joué par les ex-gendarmes, les éléments criminels et autres lumpen dans les » soldats de Spartakus » et les « invalides révolutionnaires » pendant la révolution allemande, en particulier pendant la tragique « Semaine de Spartakus » à Berlin en janvier 1919, a été encore plus catastrophique

[12] [32] . Ibid., Trotsky

[13] [33] « Les dirigeants bolcheviks doivent-ils compa­raître devant les tribunaux ? », Lénine, Oeuvres choisies, Editions de Moscou, Tome II

[14] [34] . Lénine, « Rumeurs de complot », Oeuvres complètes. Tome 25

[15] [35] Lénine, « À propos des mots d'ordre». Oeuvres complètes, Tome 25

[16] [36] . Engels, «• Introduction » aux Luttes de classes en France de Marx, Editions sociales

[17] [37]    Ibid, Trotsky.

 

[18] [38] Lénine, « Sur les illusions constitutionnelles », Oeuvres complètes, traduit de l'anglais par nous

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [1]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [2]

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