Un mot revient sur toutes les bouches à propos de la situation mondiale : chaos. Un chaos qu'on constate comme une réalité criante ou comme une menace imminente. La guerre du Golfe n'a pas ouvert les portes d'un « nouvel ordre mondial ». Elle a permis au capital américain de rétablir son autorité, en particulier sur ses alliés-concurrents d'Europe et du Japon, et de s'affirmer comme le « gendarme du monde ». Mais le tourbillon de désordres dans lequel s'enfonce la société ne cesse de s'accélérer, poussé par les vents dévastateurs de l'entrée en récession ouverte des premières puissances économiques mondiales.
Quatre mois après la fin de la guerre, en Irak même, dans les zones Kurdes et Chiites le sang continue de couler et le feu de la guerre n'est pas éteint. Au Moyen-Orient, derrière les discours sur les conférences de paix, les antagonismes militaires s'exacerbent et Israël reprend les bombardements au Sud-Liban. Dans les républiques soviétiques, les affrontements armés, loin de s'atténuer s'intensifient concrétisant l'éclatement de l'ancien Empire. En Afrique du Sud la population noire, soi-disant libérée de l'Apartheid, vit ensanglantée par les plus meurtriers affrontements entre l'ANC et l'Inkatha. Dans les bidonvilles de Lima s'étend le choléra au milieu des incendies allumés par les staliniens du Sentier Lumineux. En Corée du Sud, des jeunes se suicident par le feu pour protester contre la répression gouvernementale. En Inde l'assassinat du dernier des Gandhi met a nu la dislocation de « la plus grande démocratie du monde », déchirée par les conflits de castes, de religions et de nationalités. En Ethiopie, une des zones de la planète les plus frappées par la famine, l'effondrement du gouvernement Mengistu, abandonné par son protecteur soviétique, laisse le pays aux mains de trois bandes armées nationalistes rivales qui veulent se partager le pays. La Yougoslavie est au bord de l'éclatement sous la pression des affrontements quotidiens entre les nationalités qui la composent. En Algérie de jeunes chômeurs embrigadés par les « islamistes » du FIS sont envoyés contre les chars du gouvernement FLN. Dans les ghettos des banlieues de Washington, Bruxelles ou Pans se multiplient pillages et affrontements stériles contre la police. Au coeur de l'Europe, dans l'ex-Allemagne de l'Est le capital s'apprête a mettre au chômage prés de la moitié des travailleurs...
La classe dominante ne peut pas comprendre pourquoi la société, « sa » société plonge irréversiblement dans un désordre croissant où la guerre le dispute à la misère, la dislocation au désespoir. Son idéologie, l'idéologie dominante, n'a pas d'explication. Elle n'existe que pour vanter les vertus de l’ordre existant. Pour continuer à maintenir son emprise, elle n'a d'autre moyen que le mensonge et la confusion sciemment organisés. Une confusion qui traduit tout autant le stupide aveuglement historique de la bourgeoisie décadente que le cynisme mensonger dont celle-ci est capable pour protéger et justifier son « ordre » en décrépitude.
La guerre, telle qu'elle est venue se rappeler à nous dans toute son horreur dans le Golfe, reste la manifestation la plus tragique de cette réalité où le mensonge organisé accompagne en permanence le chaos le plus barbare.
LE BILAN DE LA GUERRE DU GOLFE
Avec le plus abject des cynismes, la classe dominante des pays de la Coalition, gouvernement américain en tête, s'est attachée et s'attache à travestir le massacre du Golfe. Alors que face à l'effondrement des régimes de l'Est, elle a multiplié les hymnes aux «libertés démocratiques occidentales qui triomphent sur l'obscurantisme stalinien », elle a au même moment réalisé une des plus colossales opérations de mensonge et de désinformation de l'histoire.([1] [1]) Une opération marquée aussi bien par l'ampleur des moyens employés (le gouvernement US disposait, entre autres, d'une chaîne de télévision diffusant son poison d'informations-propagande vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur la totalité de la planète), comme par l’énormité des contrevérités distillées : Michael Deaver, ancien conseiller « à la communication » de Reagan, actuel secrétaire général adjoint à la Maison Blanche avait clairement défini l'objectif à atteindre : la guerre doit être présentée comme « une combinaison de Lawrence d'Arabie et de la Guerre des étoiles » ([2] [2]). Ce fut fait. Les écrans de télévision furent inondés par les armes les plus sophistiquées et tout fut entrepris pour donner l'impression d'un véritable Wargame, as une image des victimes du déluge de feu qui s'abattit sur les soldats et la population civile irakienne, ne vint troubler cet ignoble spectacle de «guerre propre».
Le bilan de la guerre en Irak est pourtant atroce. On ne saura vraisemblablement jamais le nombre exact des victimes côté irakien. ([3] [3]) Mais toutes les estimations comptent en centaines de milliers. Probablement près de 200 000 tués parmi les soldats : jeunes paysans, ouvriers, enrôlés de force, le fusil derrière le dos, postés en masse devant l'ennemi, coincés entre des champs de mines à l'avant et la Garde Républicaine à l'arrière, prête à fusiller sur le champ tout déserteur. ([4] [4]) Près des deux tiers des soldats tués l'ont été pendant les bombardements aériens, enterrés vivants dans leurs bunkers ; ceux qui sont morts pendant la guerre terrestre, ont en grande partie été lâchement massacrés alors qu'ils battaient en retraite. Dans la population civile - enfants, femmes, vieillards et hommes qui ont échappé à l'enrôlement forcé - on compte un nombre analogue de tués par les bombardements.
Le pays a été en grande partie rasé par la guerre. Toutes les infrastructures ont été touchées. « Pour les temps qui viennent, l'Irak a été relégué à un âge préindustriel», déclarait une commission d'enquête des Nations Unies envoyée en mars en Irak. L’état des installations hospitalières, le manque de médicaments condamnent à mort des milliers de blessés et de victimes des épidémies, du manque d'eau et d'aliments. Tel est le premier résultat de l'opération menée par les « héroïques armées » des puissances occidentales.
Il faudra ajouter à ce bilan, les destructions et les victimes du massacre des populations Kurdes et Chiites. Car au moment même où le gouvernement américain organisait le spectacle grotesque d'une orgie patriotarde à New York, faisant défiler les « vainqueurs » de la boucherie du Golfe entre les gratte-ciels de Broadway, en Irak, les populations Kurdes et Chiites subissaient encore la plus sanglante répression de la part du gouvernement de Saddam Hussein.
De quelle victoire s'agissait-il ? Ces soldats n'étaient-ils pas partis dans le Golfe pour empêcher l’« Hitler du Moyen Orient » de continuer à sévir ?
La réalité, clairement confirmée par les déclarations de dirigeants nationalistes Kurdes, est bien que c'est le gouvernement américain qui a froidement et cyniquement provoqué le massacre des populations Kurdes et Chiites. ([5] [5]) Et si l'équipe de Bush a gardé « le boucher de Bagdad » au pouvoir c'est, entre autres, parce que celui-ci lui était utile pour se charger de la besogne, avec le talent qu'on lui connaît dans ce domaine. Les destructions massives résultant de cette répression, montrées cette fois-ci en détail par les médias, ont été utilisées pour tenter de faire oublier celles provoquées par la Coalition. Les armées alliées, après avoir assisté immobiles à cette nouvelle boucherie, ont pu jouer sur tous les écrans du monde le rôle de sauveurs humanitaires auprès des réfugiés kurdes. (Voir dans ce numéro : « Les massacres et les crimes des grandes démocraties »).
La barbarie du militarisme et du chaos, travestie par la plus gigantesque machine de manipulation idéologique, c'était cela la guerre du Golfe. C'est cela 'avenir qu'elle annonce.
Pour les classes exploitées de la région, en uniforme ou non, le bilan de la guerre est celui d'un carnage auquel elles n'ont participé que comme chair à canon, comme cobaye pour tester l'efficacité des derniers modèles des armes les plus sophistiquées. Pour le prolétariat mondial c'est une défaite, un crime de plus du capital, qu'il n'aura pas pu empêcher. Mais c'est aussi une leçon, un rappel de ce qui l'attend s'il ne sait pas s'unifier pour mettre fin à cette société.
LA VERITABLE VICTOIRE DU CAPITAL AMERICAIN
Il en est tout autrement pour les criminels qui ont provoqué cette guerre. Pour le gouvernement américain, la mission des soldats envoyés dans le Golfe n'était évidemment pas de protéger les populations locales contre les exactions de Saddam Hussein. Contrairement à ce qu'ils croyaient eux-mêmes, contrairement à ce que racontait la propagande de leurs gouvernements, les soldats de la Coalition avaient pour seule et vraie mission de faire une violente démonstration de force et de détermination de la part du capital US. Un étalage sanglant de puissance, devenu indispensable face au chaos international déclenché par l'effondrement de l'URSS, et qui menaçait de remettre en question la position de la première puissance mondiale.([6] [6])
C'est le gouvernement de Washington qui a voulu et provoque cette guerre. C'est son ambassadrice April Glaspie qui, au cours d'entretiens avec Saddam Hussein, alors que celui-ci envisageait pratiquement l'invasion du Koweït, a déclaré que les USA étaient indifférents à la querelle Irak-Koweit, querelle qu'ils considéraient comme <r interne au monde arabe », ([7] [7]) laissant entendre que la Maison Blanche donnait son feu vert au « hold-up ».
Pour le capital américain, l'enjeu dans cette opération était autrement plus important que le seul contrôle de l'Irak-Koweit et du pétrole. L'enjeu c'était le monde, la place de première puissance dans ce monde en pleine déstabilisation. La menace militaire soviétique, ce chantage avec lequel le capital américain tenait les autres puissances de son bloc depuis quarante-cinq ans, ce carcan venait de se rompre. Et la poussière provoquée par l'effondrement du mur de Berlin n'était pas encore retombée, que déjà des responsables politiques allemands et français parlaient de création d'une force militaire européenne, « plus indépendante des Etats-Unis». Au Japon, la revendication d'une révision de la constitution imposée par le gouvernement américain à la fin de la seconde guerre mondiale qui interdit à ce pays la possession d'une véritable armée, refaisait surface.
Le principaux concurrents économiques et créanciers des Etats-Unis réclamaient une nouvelle place dans la nouvelle situation, une nouvelle place politique et militaire en accord avec leur puissance économique.
Pour les Etats-Unis, la guerre du Golfe devait être une brutale réaffirmation de leur autorité sur le monde, et en premier lieu sur l'Europe et le Japon. Et de ce point de vue, elle a constitué une véritable victoire du « parrain » américain, du moins pour l'immédiat. Les événements des mois qui ont suivi la guerre l'ont clairement illustré.
« Les Etats-Unis, tirant profit de leur récente victoire militaire, sont en train de transformer leur avantage en victoire politique dans chaque continent. » C'est ainsi que Boucheron ([8] [8]), président de la commission de la défense de l'Assemblée Nationale française, résumait récemment la situation internationale. Il sait de quoi il parle. En Europe, après les fanfaronnades franco-allemandes mettant en question le rôle de l'OTAN, toutes les puissances sont rentrées dans le rang sous la pression américaine. Les militaires américains ont même imposé la formation au sein de l'OTAN d'une « force d’intervention rapide » dont l'essentiel des forces terrestres reposera sur l'Allemagne, mais oui sera placée sous le commandement du plus fidèle allié de Washington, le capital- britannique, Pour ce dernier, comme pour certains pays de l'Est nouvellement acquis à l'influence occidentale (Pologne, Tchécoslovaquie), la crainte première est celle du capital allemand réunifié, et ils voient dans la présence américaine un antidote efficace à cette menace. Le gouvernement japonais a aussi baissé d'un ton ses récriminations, et, tout comme l'Allemagne, il a payé au grand rival américain sa « contribution à la guerre ».
Quant aux pays de la zone d'influence japonaise, ils considèrent généralement d'un bon oeil la pression .américaine dans la région car ils craignent le chaos que provoquerait une montée en puissance politique et militaire du Japon. Bob Hawke, le premier ministre d'Australie s'est ouvertement prononcé pour un maintien de la présence militaire américaine dans cette partie du monde afin de dissuader les puissances régionales « d'acquérir de nouvelles capacités militaires qui pourraient déstabiliser et déclencher une course aux armements dans la région ».
La crainte du chaos n'est pas le fait du seul gouvernement américain. En s'affirmant comme « gendarme » politique et militaire du monde, celui-ci intervient comme « dernier recours » face aux tendances centrifuges qui se manifestent sur toute la planète, et il impose son « ordre » avec une arrogance sans précédent.
-En Irak il a réglé comme on le sait le problème Kurde, se débarrassant ainsi du danger d'une déstabilisation plus grande encore de la région qu'aurait impliqué 1 autonomie politique de cette population qui vit sur cinq pays clés de la région (Irak, Syrie, Turquie, URSS et Iran).
- En URSS il a refusé tout véritable appui aux indépendantistes des républiques baltes pour ne pas déstabiliser davantage l'ancien « Empire du mal » ; sur le gouvernement de Moscou lui-même, il exerce un pouvoir direct, moyennant le chantage à l'aide économique (voir dans ce numéro « L’URSS en miettes »).
- En Ethiopie, en proie à l'éclatement après la victoire des « rebelles », c'est le même gendarme qui a autoritairement organisé la conférence de Londres permettant de constituer une gouvernement éthiopien autour des Tigréens du FDRPE, et c'est lui qui a fait pression sur les organisations séparatistes de l'Erythrée (FPLE) ou des Oromos pour qu'ils coopèrent avec le nouveau pouvoir.
- En Yougoslavie c'est encore le gouvernement US qui a menacé de suspendre l'aide économique si les cliques bourgeoises serbes ne changeaient pas leur attitude à l'égard des revendications croates, ce qui menaçait le pays de dislocation.
- Au Pakistan Washington a arrêté la fourniture d'armes conventionnelles et une partie de l'aide économique tant que le gouvernement d'Islamabad n'aura pas fourni la preuve qu'il ne construit pas un armement nucléaire.
- La bourgeoisie américaine s'est même permise d'interdire à la Chine de vendre au Pakistan certains matériaux pouvant être utilisés à cet effet.
Telle est la « victoire » que fête le capital américain : la consolidation immédiate de sa position de premier gangster de la planète. C'est une victoire sur ses concurrents directs et une action décidée pour limiter certains aspects de la décomposition qui menace son empire. Mais la tendance mondiale au chaos et à la barbarie n'est pas arrêtée pour autant.
L'INEVITABLE ENFONCEMENT DANS LE CHAOS
La puissance du capital américain peut s'exercer aux quatre coins de la planète et modérer momentanément tel ou tel aspect du chaos. Elle ne peut cependant renverser le cours du gigantesque torrent de boue et de sang qui envahit la planète. Le nouveau désordre mondial n'est pas une fortuite coïncidence entre différents phénomènes sans lien entre eux et qui pourraient être résolus les uns après les autres. Derrière le chaos actuel il y a une logique, celle de la décadence avancée d'une forme d'organisation sociale. Comme l'avait analysé et prévu le marxisme, et lui seul (celui-là même que la classe dominante croit, ou fait semblant de croire, qu'elle enterre aujourd'hui sous les décombres du stalinisme), c'est au coeur même des rapports de production capitalistes que se trouve l'impasse qui condamne la société à cette situation apocalyptique.
La crise économique capitaliste a progressivement rasé les moindres capacités économiques des pays du « tiers-monde ». En mai 1991, au lendemain du gigantesque gaspillage destructif de la guerre du Golfe, au moment ou les grandes puissances agricoles occidentales décident de stériliser de nouveaux millions d'hectares cultivables pour faire face à la « surproduction », le secrétaire général de ce repaire de gangsters que sont les Nations-Unies, lançait un appel « en faveur de l'Afrique », où 30 millions d'êtres humains sont menacés de famine cette année.
C'est cette même impasse économique qui a provoqué l'effondrement de 1’édifice vermoulu du capitalisme d'Etat des pays de l'Est.
C'est elle qui, dans les nations les plus industrialisés d'Occident, a provoqué la désertification industrielle de zones entières, généralisé la précarité de l'emploi et le chômage. C'est cette crise qui connaît aujourd'hui une nouvelle accélération en frappant de plein fouet le coeur du système. (Voir dans ce numéro « La relance... de la chute de l'économie mondiale »).
La machine économique ne parvient à exploiter qu'un nombre toujours moindre de prolétaires. Une partie croissante de la société se trouve rejetée des relations productives capitalistes elles-mêmes et se voit atomisée, marginalisée, contrainte de vivre de « petits travaux » ou d'expédients. C'est la généralisation de la misère. ([9] [9]) C'est la décomposition du tissu social capitaliste.
Au sein de la classe possédante, la crise économique est aussi synonyme de concurrence accrue. Que ce soit entre nations ou au sein même de chaque nation, la compétition s'intensifie sur le plan économique et militaire. La violence aveugle, le langage militaire remplace de plus en plus le langage économique. La guerre de tous contre tous, caractéristique du capitalisme depuis sa naissance, atteint son paroxysme dans cette phase finale du système. C'est le « chacun pour soi » dans un monde sans perspectives.
Les rapports de production capitalistes sont devenus une aberration historique dont la survie ne peut plus être que source de barbarie, tout comme en leur période de déclin historique le furent les rapports esclavagistes antiques ou ceux de la féodalité. Mais contrairement au passé où les nouveaux rapports sociaux (féodaux après l'esclavagisme antique, capitalistes après le féodalisme) pouvaient commencer à se développer au sein des anciennes institutions, l'instauration d'une nouvelle société fondée sur des rapports communistes, ne pourra se faire que sur les ruines politiques de l'ancienne. La logique capitaliste conduit à l'effondrement économique du système, mais non à son dépassement. Celui-ci ne peut être que l'oeuvre consciente et volontaire du prolétariat mondial. Si la classe ouvrière ne parvient pas à assumer la portée révolutionnaire de son combat contre le capital, si elle n'ouvre pas concrètement la perspective d'une nouvelle société, ce n'est pas le communisme qui se développe mais le pourrissement barbare de la vieille société capitaliste et la menace de disparition de l'espèce humaine, soit par la guerre mondiale, soit par la décomposition et le chaos généralisés. La résistance du prolétariat des pays centraux à l'embrigadement idéologique du capital a empêché l'issue de la guerre mondiale entre les deux blocs, mais elle n'a pu retenir le pourrissement qui en découle pour la société capitaliste. C'est cette décomposition sur pied de la société, privée de perspectives, que nous vivons et qui est à la base du chaos actuel.
C'est pourquoi l'action du capital américain, quelle que soit la puissance des moyens que celui-ci utilise, ne peut véritablement renverser le cours vers l'abîme. Que ce soit au niveau du rapport entre nations ou entre fractions capitalistes au sein de chaque nation, les tendances centrifuges, à l'exacerbation des rivalités, ne peuvent que continuer à s'intensifier.
Sur le plan des conflits inter-impérialistes, le Moyen-Orient reste une poudrière instable où, malgré les efforts déployés par la diplomatie musclée de Washington, l'explosion de nouveaux conflits armés est inévitable. Déjà Israël a repris les bombardements du Sud-Liban, et ne cesse de résister aux pressions qui le poussent à « échanger des territoires pour la paix », en répondant par des accusations contre la Syrie qui «dévore le Liban». ([10] [10]) La guerre du Golfe n'a pas apporté une paix définitive ; elle n'a fait qu'annoncer par quels moyens le capital américain entend défendre sa suprématie.
Quant à la concurrence économique entre nations rien ne permet d'envisager un quelconque apaisement. L aggravation de la crise économique ne pourra que continuer à l'exacerber. Ici encore l'action du capital américain n'est qu'un coup de force pour compenser sa faiblesse à l'égard de ses concurrents. ([11] [11]) « Je ne crois pas que le leadership des Etats-Unis devrait se limiter aux domaines de la sécurité et de la politique. Je pense que ce leadership doit s’étendre aussi au domaine économique. » Cette déclaration de J.Baker ([12] [12]) n'annonce pas une attitude conciliante du capital américain, mais encore une fois, la méthode avec laquelle celui-ci entend faire face à la guerre économique.
Que ce soit sur le plan politique et militaire ou sur le an économique, la perspective n'est pas à la paix et ordre mais à la guerre et au chaos entre nations.
Mais la tendance à la désagrégation s'exprime tout autant à l'intérieur de chaque nation. Qu'il s'agisse de la dislocation de l'URSS (Voir l'article « L'URSS en miettes» dans ce numéro), de celle de l'Inde, de l'Ethiopie, de la Yougoslavie ou de la plupart des pays africains, les ravages de la misère et de la guerre pour la survie de chaque clique de la classe dominante ne pourront que l'intensifier. Et ce ne sont pas les quelques miettes d'aide « humanitaire » des Etats-Unis, ou autre puissance, qui permettront de renverser les tendances de fond qui déchirent ces nations.
LA LUTTE DE CLASSE
Il ne peut y avoir de lutte contre le chaos et la dislocation de la société qu'en s'attaquant à ce qui en est à la source : les rapports sociaux capitalistes. Or seule la lutte du prolétariat est véritablement un combat irréconciliable contre le capital. Seul l'antagonisme capital-travail possède cette dimension internationale et historique indispensable pour répondre à l'ampleur des enjeux.
Le sort de l'humanité dépend de l'issue du combat qui oppose les prolétaires de tous les pays au capital mondial. Mais avant cela, il dépend de la capacité des prolétaires de reconnaître le vrai combat à mener. Si le prolétariat ne parvient pas à échapper au tourbillon chaotique qui le pousse à se diviser pour des questions d'origines nationales, de religions, de races, d'ethnies ou autres, s'ils ne parvient pas à s'unifier en imposant le terrain de classe comme seul terrain de combat, la porte restera grand ouverte à l'accélération du chaos et de la décomposition.
Dans les pays sous-développés, là où la classe ouvrière est le plus minoritaire et possède le moins de traditions de combat, les prolétaires ont les plus grandes difficultés pour échapper à l'emprise de divisions archaïques, étrangères a leur lutte de classe. Dans les pays de l'Est, malgré une forte combativité au cours des derniers mois (en particulier chez les mineurs et les travailleurs de Biélorussie en URSS), la classe ouvrière subit tout le poids des mystifications nationalistes, « démocratiques » et, évidemment, de « l'anti-communisme » ambiant.
C'est dans les pays centraux du capitalisme occidental que l'antagonisme prolétariat-capital existe sous sa forme la plus complète et directe. La classe prolétarienne y représente la large majorité de la population et son expérience historique y est la plus riche, aussi bien au niveau des mystifications bourgeoises que de celui du combat de masse. Elle constitue les bataillons décisifs de l'armée prolétarienne mondiale. De sa capacité à déjouer les pièges que la décomposition capitaliste lui tend, (concurrence face à la menace du chômage, oppositions entre travailleurs d'origines nationales différentes, marginalisation des chômeurs), de sa capacité à affirmer clairement l'irréconciliable antagonisme qui l'oppose au capital, dépend l'ouverture de perspectives nouvelles pour les prolétaires du monde entier. Sur ses épaules repose le sort de l'ensemble de sa classe, et par là même de l'humanité entière.
La guerre du Golfe avait engendré une profonde inquiétude dans la population mondiale et en particulier parmi les prolétaires des pays industrialisés. La fin du conflit a provoqué un sentiment de soulagement, renforcé par les gigantesques campagnes idéologiques sur la nouvelle « paix », le « nouvel ordre mondial ». Mais ce sentiment ne peut être que relatif et de courte durée, tant les nuages noirs du chaos s'amoncellent sur la planète et ruinent les discours « optimistes» de la classe dominante. Rien ne serait plus dangereux pour la classe révolutionnaire que d'oublier ce que fut la guerre du Golfe et ce qu'elle annonce. Face à l'aggravation de la crise économique et aux attaques que la classe dominante porte et portera sur ses conditions d'existence, dans les luttes de résistance que ces attaques entraîneront, il est crucial qu'elle sache tirer profit de toute la réflexion que 1’inquiétude causée par la guerre a provoqué en son sein. Elever son niveau de conscience et comprendre la globalité de son combat, c'est seulement en regardant la réalité en face, en refusant de se laisser « consoler » par les discours lénifiants de la classe dominante, en retrouvant son programme révolutionnaire et l'arme de combat que constitue le marxisme, que la classe ouvrière pourra à travers ses luttes s acquitter de sa tâche historique.
RV, 16/6/91
[1] [13] Depuis la première guerre mondiale, la manipulation de l'opinion est considérée par la classe capitaliste comme une tâche gouvernementale à part entière. Au cours des années 1930, avec le fascisme en Italie et en Allemagne, avec le Stalinisme en URSS, mais aussi et surtout avec la subtile « démocratie » hollywoodienne aux Etats-Unis, cette mission est devenue une entreprise gigantesque, objet des premières préoccupations de tout pouvoir politique. Gœbbels, le maître d’oeuvre de la propagande hitlérienne, résumait cyniquement la méthode qui sera adoptée par tous les gouvernements de la planète : « Un mensonge répété mille fois devient une vérité ».
[2] [14] Le Monde diplomatique, mai 1991.
[3] [15] Les militaires restent systématiquement flous ou silencieux lorsqu'ils sont interrogés à ce sujet : « Nous ne sommes pas ici pour discuter de la pornographie de la guerre. » - répondit un colonel bri tannique pendant une conférence de presse sur le bilan de la guerre. {Libération, 26 mars 1991) Pour les armées alliées, les chiffres officiels des pertes sont par contre très précis : 236 hommes, dont 115 américains, plus 105 au cours d'accidents de transport en se rendant sur place.
[4] [16] On sait maintenant qu'il y a eu dans certains cas des désertions massives dans l'armée irakienne et que cela a entraîné une féroce répression de la part des corps d'élite de Saddam Hussein.
[5] [17] Il est prouvé que l'aviation américaine à jeté des tracts à la fin de la guerre sur les zones Kurdes appelant au soulèvement contre le régime de Hussein et que des officiers américains ont encouragé les chefs de mouvements bourgeois nationalistes kurdes à se lancer dans une telle aventure.
[6] [18]Lorsque nous affirmons que l'empire US a entrepris cette guerre pour lutter contre le chaos, ils nous est parfois reproché de présenter la guerre comme « une action désintéressée des dirigeants américains » (sic). Ce n'est pas parce que les intérêts les plus sordides et particuliers de USA s'opposent à un chaos qui remettrait en question leur position prépondérante dans le monde, qu'il faut conclure que les USA agissent de façon « altruiste » à l'égard des autres capitaux. Celui qui bénéficie d un ordre établi s'opposera toujours à la remise en question de celui-ci. Pour une analyse développée des causes de la guerre du Golfe, voir les numéros 63, 64, 65 de cette revue.
[7] [19] Cité par Claude Julien dans Le monde diplomatique d'octobre 1990.
[8] [20] Cité par J. Fitchctt dans Herald Tribune, 12/6/91.
[9] [21] L'analyse de Marx qui prévoyait une « paupérisation absolue » de la société, et qui fut pendant les années 1960 si décriée par les pré tendus fossoyeurs théoriques du marxisme, trouve aujourd’hui encore une éclatante et tragique confirmation.
[10] [22] Le capital américain ne se fait d'ailleurs aucune illusion à ce sujet. Ainsi, en même temps qu'il apparaît multipliant les pressions sur Israël pour que celui-ci adopte une position plus conciliante à l'égard des alliés arabes, l'Etat US décide de livrer à Tsahal d'importants nouveaux stocks d'armes : 46 chasseurs F-16, 25 F- 15, 700 millions de dollars d'armes, transmis directement des « surplus d'armement » américains ; constitution de nouveaux stocks d'armes en Israël pouvant être utilisés indifféremment par les armées des deux pays. Les USA financent en outre 80 % du programme israélien de missiles anti-missiles.
[11] [23] Toutes proportions gardées, les Etats-Unis sont comme l'URSS, en position de faiblesse économique à l'égard de leurs principaux vassaux. C'est en grande partie le résultat du poids des dépenses militaires que devait inévitablement supporter les chefs de blocs. (Voir « Où en est la crise ? » dans le n° 65 de cette revue).
[12] [24] Herald Tribune, 21 /2/91.
LES RAVAGES DE LA RECESSION INTERNATIONALE
Après les récessions de 1967, 1971, 1975 et 1982, le capitalisme entrait en 1986 dans une nouvelle phase de ralentissement. Mais, tel un animal à l'agonie, il connut un ultime répit ; la brutale chute des prix pétroliers conjuguée avec une utilisation massive du crédit (Tableau 1), a permis de freiner la chute de la croissance. Mais aujourd'hui, la réalité crue de la récession ouverte, pour un temps repoussée, est belle et bien là : une remontée de l'inflation et du chômage accompagne la chute du taux de croissance (Graphique 1).
Table 1: Debt
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1980
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1990
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Mil$
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%GNP
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Mil$
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%GNP
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Total public
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1250
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46%
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4050
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76%
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Business
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829
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30%
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(1)
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2100
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40%
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Consumer
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1300
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48%
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(2)
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3000
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57%
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Total internal
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3400
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124%
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9150
|
173%
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Debt external
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+181
|
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-800
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15%
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GNP
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2732
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5300
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(1) 4 times their cash flow (ie company savings, used to self-finance investments)
(2) In 1989, consumer debt represented 89% of their income.
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Public debt (% of GNP)
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1973
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1986
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USA
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39.9%
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56.2%
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Canada
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45.6%
|
68.8%
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France
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25.4%
|
36.9%
|
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Italy
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52.7%
|
88.9%
|
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|
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Japan
|
30.9%
|
90.9%
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Germany
|
18.6%
|
41.1%
|
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|
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Spain
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13.8%
|
49.0%
|
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|
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Fer de lance de la reprise artificielle des années 1980, les USA ont été les premiers à entrer en récession. Le PNB a commencé à régresser : + 1,4%, - 1,6% et -2,8 %, respectivement pour les 3e et 4e trimestres de 1990, et le 1er trimestre de 1991. Les autres grands pays industrialisés, soit les accompagnent, soit connaissent un ralentissement notable de leur taux de croissance. Mais la situation est encore bien plus catastrophique dans d'autres parties de la planète. D'une part, c'est à une véritable chute de la production que l'on assiste dans les pays de l'Est (Tableau 2), où l'ouverture du rideau de fer, loin de constituer un nouveau champ d'accumulation pour le capitalisme, a encore accéléré la crise (voir 1’article "L’URSS en miettes" dans ce numéro). D'autre part, la dette du "tiers-monde", malgré de nombreux rééchelonnements et réajustements, continue de croître (Tableau 3). L'Amérique du sud, sous-continent soi-disant promis à un bel avenir, s'enfonce dans une terrible récession : son PNB croissait à peine de +0,9% en 1989, il régresse de -0,8% en 990. Exprimé en PIB/habitant, il est revenu au même niveau qu'en 1978. Et ne parlons pas de l'Afrique, véritable continent à la dérive. Son PNB, pour une population de 500 millions d'habitants, est l'équivalent de celui de la Belgique peuplée de 10 millions d'habitants.
La récession larvée des années 1980 ([1] [27]) se confirme actuellement à travers la plongée de l'économie mondiale dans la récession ouverte. Les années 1980, années d'illusions dans les discours de la bourgeoisie, furent en réalité des années de vérité : vérité de l'absence totale d'issue à la crise, vérité de l’inéluctabilité de l'enfoncement dans la récession, vérité de l'épuisement des palliatifs. La récession actuelle est une nouvelle convulsion de la tendance de fond à l'enfoncement du capitalisme depuis la fin des années 1960 (Graphique 2).
LES MENSONGES SUR L'IMMINENCE D'UNE REPRISE
S'il arrive parfois à la bourgeoisie de reconnaître la réalité de la récession, c'est pour immédiatement la minimiser et annoncer la toute proche reprise. Le développement du crédit, la baisse des taux d'intérêt, la réunification allemande, l'ouverture des pays de l'Est, la reconstruction et le développement économique des pays du Moyen-Orient, l'économie d'armement ou la fin de la guerre sont tour à tour invoqués pour apaiser l'inquiétude de la classe ouvrière. Qu'en est-il exactement ?
La guerre peut-elle relancer l'économie US comme après la guerre de Corée ?
La guerre du Golfe et l'accroissement des dépenses militaires depuis les années 1970 ne peuvent qu'aggraver la crise car le contexte économique est très différent de celui d'après la seconde guerre mondiale :
Quant à la fin de la guerre elle ne peut qu'aggraver la crise malgré les dires de la bourgeoisie. Le poids du coût de la guerre sur les déficits budgétaires et les faibles retombés économiques l'attestent ([2] [28]).
La réunification allemande et l'ouverture des pays de l'Est peuvent-elles constituer la nouvelle locomotive de l'économie ?
L’Allemagne doit faire face au coût de la réunification, aux frais de la guerre du Golfe et de l'aide à l'Europe de l'Est pour freiner le chaos en son sein et à ses portes. Economiquement, la RDA est une ruine peu intéressante, dont presque toute l'industrie est à reconstruire. En fait, sa remise sur pied est un leurre, une illusion savamment entretenue par la bourgeoisie : la réunification est un « véritable désastre économique» pour reprendre les termes du gouverneur de la Bundesbank ([3] [29]).
L'autre illusion entretenue par la bourgeoisie, et dans laquelle nombre de groupes du milieu politique sont tombés, est l'idée de la possibilité d une nouvelle jeunesse pour le capitalisme suite à la chute du mur de Berlin. La comparaison a souvent été faite entre la situation d'après-guerre pour les pays de l'Ouest et celle que connaissent actuellement les pays de l'Est (fin d'une économie de guerre, plan Marshall pour la reconstruction, etc.), mais le contexte global est radicalement différent (voir ci-contre).
Les pays de l'Est sont déjà fortement endettés, les nouveaux crédits servent à couvrir les anciens prêts, plutôt qu'à investir. Hyperinflation, insolvabilité, succession de plans anti-crises, dévaluations et remplacement de la monnaie, développement de l'économie parallèle et maffieuse deviennent le lot de ces pays en voie de tiers-mondisation ([4] [30]). Même dans le pays le plus ouvert à l'Occident, la Hongrie, « il n'y a pas eu jusqu'à présent de véritable percée des capitaux étrangers» reconnaît M. Gyorgy Matolcsy, secrétaire d'Etat et véritable responsable économique du gouvernement. Si les capitalistes ne veulent déjà pas racheter les entreprises de RDA, pourtant les plus performantes à l'Est et bénéficiant du soutien de l'Ouest, ce n'est pas demain que les autres seront rachetées et modernisées par l'occident ! Il est d'ailleurs significatif que la BERD ([5] [31]), vu le manque d'investissements intéressants, a réorienté ses activités vers la prestation de services, surtout en conseils institutionnels pour modifier les législations de l'Est. Et compte tenu aussi du faible pouvoir d'achat, l'Est n'est en rien un marché solvable.
Le Moyen Orient peut-il constituer un marché permettant de relancer l'économie mondiale ?
La guerre a asséché les économies du Golfe, rendant impossible toute relance de l'économie mondiale par la manne des pétrodollars ou le développement de l’activité économique dans cette région :
- les caisses des Etats du Golfe sont vides ; or, dans ces pays d'économie de rentes, c'est l'Etat qui est le principal moteur de la vie économique ;
- le prix du pétrole est retombé à son niveau d'avant-guerre, et la reprise de la production du Koweït et de 'Irak menace de le faire chuter à nouveau ;
- les coûts de guerre pour l'Arabie Saoudite s'élèvent à la somme colossale de 64 milliards de dollars et, pour la première fois, le pays doit emprunter 3,5 milliards de dollars sur le marché international des capitaux ; le Koweït devra vivre sur ses réserves et l'Irak qui, avant la guerre, possédait un fond de 80 milliards de dollars, en doit aujourd'hui 100 ;
- la peur du conflit a fait fuir 60 milliards de dollars de capitaux du Golfe qui ont été placés ailleurs.
La politique qui a permis de soutenir la croissance mondiale au cours des années 1980 n'est plus possible aujourd'hui
Les USA se trouvent à la croisée des chemins : ils doivent significativement baisser les taux d'intérêt ([6] [32]) pour éviter la récession au risque de faire fuir les capitaux étrangers qui financent leur déficit ([7] [33]) et de relancer l'inflation. Outre la diminution du taux d'intérêt, la FED a également assoupli les contraintes de réserves des banques afin d'encourager le crédit. Bref, une nouvelle fuite en avant qui accroît encore plus les contradictions explosives et semble bien mince pour pouvoir infléchir l'évolution économique. La bourgeoisie tente à nouveau de relancer la machine mais ces remèdes, si puissants par le passé, se révèlent aujourd'hui inopérants : la machine, totalement déglinguée, répond de moins en moins aux sollicitations. Par exemple, les banques américaines, surendettées et minées par les faillites, retardent la répercussion de la baisse du coût du crédit sur les taux du marché et sélectionnent drastiquement les clients auxquels elles accordent encore des crédits ([8] [34]).
Le développement des crédits au "tiers-monde" n'est plus possible
La bourgeoisie crie victoire parce que l'endettement du "tiers-monde" ne menace plus l'ordre financier international. Les statistiques montrent un tassement de la croissance du volume de la dette et une diminution du service de la dette exprimé en proportion des exportations annuelles (28 % en 1988, 22% en 1989). Mais cette soi-disant amélioration cache une réalité bien pire. Ces chiffres ont été obtenus au prix d'une austérité et d'une récession drastiques. En l'espace de quelques années la bourgeoisie est passé du plan Baker (1985), qui stipulait que, pour que la dette puisse être remboursée,.il fallait prêter davantage, au plan Brady (1989), qui constatait que, puisque les pays sont incapables de payer, les banques devaient annuler une partie de leurs créances. Mais en privilégiant les réductions de créances sur les flux de capitaux nouveaux, les "chances" de "développement économique" sont reportées aux calendes grecques. Ceci ferme à tout jamais, s'il était encore besoin de s'en convaincre, la possibilité de relancer l'économie mondiale par l'octroi de crédits au "tiers-monde". D'ailleurs, depuis 1983, les transferts nets de capitaux se sont inverses : il y a plus d'argent qui sort des pays sous-développés vers les pays développés (170 milliards de dollars de 1983 a 1989) que d’argent qui entre. Les taux d'intérêt élevés, la diminution relative du prix des matières premières et la récession internationale ne pourront qu'aggraver encore plus la situation.
Le rapport de l’UNICEF de 1990 estime que chaque années 500 000 enfants meurent en raison de l'endettement et des programmes d'austérité que le FMI impose aux pays du "tiers-monde", il évalue à 40 000 par jour le nombre d'enfants qui y mourront de faim. Les rapports économiques inégaux, le poids de la dette, le maintien des prix des matières premières ridiculement bas, la fermeture des marchés occidentaux, engendrent un génocide équivalent à l'éclatement, tous les deux jours, d'une bombe atomique de la puissance de celle d'Hiroshima. En cette année 1991, 27 millions d'êtres humains mourront de faim en Afrique, un tiers de la population active des pays de l'Est sera réduit au chômage, tandis que, dans les pays centraux, la classe ouvrière subit une austérité sans précédent, et que des pans entiers de celle-ci tombent dans la misère absolue ([9] [35]) : un enfant sur huit souffre de la faim aux USA et un septième de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté dans la CEE. Des épidémies massives (comme le choléra en Amérique du sud, en Irak, au Bangladesh) déciment des masses considérables de force de travail. Un bilan aussi hallucinant condamne irrémédiablement ce système barbare et appelle à son renversement au profit d'une société sans classes.
GA, 1er juin 1991
[1] [36] Concernant la soi-disant prospérité des années 1980 nous mettions en avant (Revue Internationale, n° 59, 4e trimestre 1989) le danger de ne considérer que « l'accroissement des chiffres bruts de la production sans se préoccuper de quoi était faite cette production ni se demander qui allait la payer», et le texte de conclure : « En fin de compte, pendant des années, une bonne partie de la production mondiale n'a pas été vendue mais tout simplement donnée. Cette production, qui peut correspondre à des biens réellement fabriqués, n'est pas une production de valeur, c'est-à-dire la seule chose oui intéresse le capitalisme. Elle n'a pas permis une réelle accumulation de capital. Le capital s'est reproduit sur des bases de plus en plus étroites, pris comme un tout, le capitalisme ne s'est donc pas enrichi. Au contraire, il s'est appauvri ».
[2] [37] Le "marché du siècle" se dégonfle déjà comme une baudruche : le Koweït revoit à la baisse les estimations de coût pour sa reconstruction. De 40 à 50 milliards de dollars, voir 100 (!) estimés au départ, on passe aujourd'hui à 10 ou 30 milliards, tout au plus.
[3] [38] A ce jour, seules 455 firmes sur les 4500 à privatiser ont été rachetées, à peine un dixième du parc industriel.
[4] [39] On assiste déjà à l'apparition de véritables processus de tiers mondisation :
-la privatisation en RDA fonctionne à l'envers: 70,3% des investissements vont vers la mise sur pied de chaînes de distribution, le reste seulement vers la production ;
- en Pologne, pays qui s'est pourtant le plus transformé, ce sont les secteurs à faibles valeurs ajoutés qui résistent le mieux ; ce pays, comme les autres de l'Est, va être confiné à la production de matières premières ou de marchandises de secteurs banalisés requérant beaucoup de main d'oeuvre mal payée ;
- les conditions offertes en matière d'autonomie de gestion et de rapatriement des bénéfices empêchent toutes retombées ou effets d'entraînements économiques locaux importants.
[5] [40] Banque pour la reconstruction à l'Est.
[6] [41] Le taux d'escompte US est passé de 7 % à 5,5 % entre décembre 1990 et avril 1991. Cette succession de baisses montre le pessimisme croissant des autorités américaines pour une reprise rapide de l'économie.
[7] [42] Déjà, les capitaux ont tendance à quitter les USA pour s'investir en Allemagne et au Japon. En août 1990, une émission de 32 milliards de dollars US de l'Etat n'a pu trouver preneur chez les japonais que pour 10% de la somme, alors que d'habitude, ils assuraient au minimum du tiers à la moitié des souscriptions. De ce fait, les taux US ne pourront être maintenus très longtemps aussi bas.
[8] [43] A l'heure actuelle l'écart entre le taux d'escompte et le taux de base offert par les banques est très élevé : 3 %.
[9] [44] Selon une enquête menée par l'université de Bristol, 5,5 millions d'anglais vivaient dans la pauvreté en 1984 (critère retenu : absence à la fois d'un lit, d'une toilette et d'un frigo), ils sont 11 millions aujourd'hui, soit 18 % de la population, presque 1 personne sur 5. Dix millions de personnes vivent dans des maisons non chauffées et 5 millions n'ont qu'un repas par jour.
« Je réalise que nous nous trouvons sur la ligne au-delà de laquelle commence la dislocation de l'économie et de l'Etat», qui parle ainsi? Gorbatchev lui-même! Chaque jour qui passe l'URSS, le plus vaste pays du monde, s'enfonce encore plus dans le chaos. Le navire est à la dérive, et Gorbatchev, recevant le président français Mitterrand début mai, faisait le bilan calamiteux de la Perestroïka en déclarant que les soviétiques sont a dans le brouillard», que «les instruments ne fonctionnent pas », que « l'équipage n'est pas très homogène ». Sinistre constat que vient préciser le nouveau premier ministre Pavlov, digne représentant de la Nomenklatura du parti, insistant sur le fait que l'URSS est menacée par «une décomposition colossale »([1] [47]).
LE PARCOURS CATASTROPHIQUE DU CAPITALISME RUSSE
Le temps, pas si lointain, où la puissance impérialiste de l'URSS faisait trembler le monde appartient à un passé irrémédiablement révolu. L'URSS n'a définitivement plus les moyens de sauvegarder son rang de super-puissance impérialiste mondiale. Sur le plan économique, elle ne les a jamais eus. Ce n'est qu'en concentrant toute l'économie aux mains de l'Etat, et en la sacrifiant totalement aux besoins de sa puissance militaire que l'URSS a pu, un temps, malgré son sous-développement, prétendre au rôle de challenger, de son rival américain dont le PNB en 1990 représentait près de trois fois le sien.
Durant des décennies de 20 à 40 % du revenu national de l'URSS ont été consacrés à la production d'armement et à l'entretien de l'"armée rouge". Cette priorité a été imposée au prix d'un délabrement de tous les autres secteurs de l'économie. Le retard technologique s'est de plus en plus accentué dans les secteurs de pointe. Par ricochet, ce retard s'est concrétisé par une supériorité technologique grandissante des armements occidentaux, handicapant de plus en plus gravement la puissance militaire de l'URSS. Là où la technologie manquait, où les machines étaient absentes, la débrouillardise et la sueur, la tête et les muscles des prolétaires ont été exploités de manière brutale. Sous la poigne de fer du parti stalinien, l'URSS a été transformée en un gigantesque camp de travail forcé.
La guerre à laquelle elle s'était tant préparée, l'URSS n'a pas pu finalement la mener. Non seulement ses armements étaient surclassés, mais le rejet total du régime par la population rendait impossible la mobilisation totale nécessaire à une telle fuite en avant.
La crise économique chronique s'est précipitée, et avec les années 1980 c'est une véritable dynamique d'effondrement de l'économie qui s'est ouverte. Les ambitions impérialistes de l'URSS vont être refoulées dans le monde des rêves sans lendemains.
Des révisions déchirantes s'imposent à la Nomenklatura devant l'écroulement économique. Il devient urgent de moderniser l'appareil de production et pour cela de procéder à des réformes. Gorbatchev va être le porte-flambeau de la nouvelle politique économique, la Perestroïka. Cependant, la remise en cause des dogmes économiques qui sont le fondement du capitalisme d'Etat stalinien implique nécessairement une remise en cause des dogmes politiques qui sont à la base du stalinisme. Et notamment, celui du pouvoir dictatorial du parti unique. Loin de remettre l'économie en ordre, de redresser la barre, la Perestroïka précipite l'effondrement du système politico-économique mis en place par Staline. Ce n’est plus simplement aux aberrations de son économie que la bourgeoisie russe doit faire face, mais à la plongée accélérée de l'URSS dans la spirale infernale au chaos économique, politique et social.
La question qui se pose aujourd'hui, c'est celle de l'existence même de 1’URSS.
La prétention du stalinisme, la forme la plus brutale du capitalisme d'Etat, à représenter le communisme a été le plus grand mensonge du siècle. De l'Est à l'Ouest, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, toutes les fractions de la bourgeoisie l'ont entretenu. Dans la phraséologie stalinienne, le vocabulaire du marxisme a été mis au service des ambitions impérialistes de l'URSS, lui a servi de paravent idéologique, ainsi que d'alibi, pour les exactions de son régime. La décomposition présente de l'URSS met à nu, dans ses rouages les plus intimes, cette vérité que les révolutionnaires n'ont cessé d'affirmer durant des décennie: la nature capitaliste de l'URSS et la nature bourgeoise du PCUS.
L'EFFONDREMENT ECONOMIQUE S'ACCELERE
Pour le premier trimestre 1991 rapporté au même trimestre de l'année précédente, le Bureau des statistiques, organisme officiel de l'Etat, annonce un recul de 8 % du produit national brut, une chute de 13 % de la production agricole, un plongeon de 40 % des exportations, tandis que le déficit budgétaire fédéral s'est accru de près de 27 milliards de roubles. Les estimations occidentales sont encore plus pessimistes, estimant la chute de la production à 15 %.
Le secteur militaro-industriel, le seul qui jusque là fonctionnait avec un minimum d'efficacité est devenu quasiment inutile. L'URSS a du refouler ses rêves impérialistes, elle n'a pas besoin de plus d'armes, elle en a déjà trop alors qu'elle doit rapatrier des milliers de chars et de tonnes d'armements divers des bases qu'elle évacue en Europe de l'Est. Le coeur technologique de l'industrie tourne au ralenti, dans l'attente d'une reconversion hypothétique vers la production de biens d'équipement ou de consommation qui de toutes façon prendrait des années. En attendant, le capital russe ne sait que faire de ses principaux fleurons techno-industriels devenus inutiles.
Alors que les clients traditionnels de ses produits industriels, les pays d'Europe de l'Est, se tournent vers d'autres fournisseurs, l'industrie de l'URSS ne peut espérer trouver d'autres débouchés pour ses produits, car ceux-ci relèvent d'une technologie complètement périmée et dépassée, ils sont de mauvaise qualité et peu fiables. La encore, alors que la guerre commerciale fait race sur le marché mondial, il n'existe aucune possibilité d'amélioration dans la période qui vient.
Caractéristique de sa situation de pays sous-développé, l'URSS est avant tout exportatrice de matières premières et notamment de pétrole, et parallèlement importatrice de produits agricoles. Ainsi, en 1988, les produits du sous-sol représentaient les 3/4 des rentrées en devises fortes, tandis que la balance agricole était déficitaire de plus de 12 milliards de dollars.
L'industrie pétrolière doit cependant réduire sa production car, n'ayant pas été modernisée durant de nombreuses années, son matériel ne fonctionne plus, les machines tombent en panne, les pièces de rechange manquent cruellement. En conséquence, le volume des exportations pétrolières chute de 36 % au 1er trimestre par rapport à la même période de l'année précédente.
La situation de l'agriculture est dramatique. Le spectre de la famine, repoussé l'hiver dernier grâce à une récolte céréalière abondante, continue de rôder. La chute annoncée de la production de céréales de plus de 10 % pour la prochaine récolte vient le raviver, le manque d’équipement, silos, transports, machines fait que 30% des récoltes sont perdues. L'URSS va devoir se procurer sur le marché mondial ce qui lui manque, pour faire simplement face aux besoins immédiats pour nourrir sa population déjà sévèrement rationnée. Et pour cela s'endetter encore plus.
Naguère pays traditionnellement peu endetté et très solvable, l'URSS ploie aujourd'hui sous le fardeau d'une dette estimée à 60 milliards de dollars, et accumule depuis plusieurs mois les retards et les défauts de paiements, ce qui a conduit le Japon à refuser à 'URSS tout nouveau crédit. Gorbatchev en est maintenant à multiplier les appels au secours pour quémander des aides et de nouveaux prêts internationaux.
Mais ce tableau de l'effondrement économique ne serait pas complet s'il n'incluait les effets destructeurs sur l'économie de la dynamique de chaos dans laquelle l'URSS s'enfonce.
Dans plusieurs républiques la production est quasiment paralysée par les déchirements nationalistes. La situation dans le Caucase en est un exemple parlant. Le blocus ferroviaire et routier imposé à l'Arménie par l’Azerbaïdjan empêche non seulement l'approvisionnement des usines d'Arménie qui sont donc nombreuses à ne pas produire, mais de plus crée un gigantesque embouteillage qui entrave la circulation des marchandises dans tout le sud de l'URSS, obligeant ainsi des usines pourtant situées loin du Caucase à s'arrêter.
Le mécontentement des ouvriers qui voient leurs conditions de vie, pourtant déjà bien misérables, se dégrader constamment s'amplifie. Les arrêts de travail se multiplient, des grèves massives explosent. Ces derniers mois les mineurs ont ainsi bloqué la production de charbon pendant de longues semaines.
Face à cette situation cataclysmique la bourgeoisie est paralysée, affiche son impuissance. Une fraction importante de l’appareil du parti est profondément hostile aux réformes et les sabote sciemment, accélérant encore les dysfonctionnements de l'économie. Face à l'indécision et à l'impuissance dont fait montre le centre des hiérarques du Kremlin, la tendance naturelle à la passivité de l'appareil bureaucratique s'en trouve renforcée. Avec l'éclatement des centres de décisions, les responsables locaux préfèrent attendre prudemment, ne rien faire avant de savoir comment le vent va tourner.
Pendant ce temps l'économie se délabre toujours plus, dans l'attente des décisions qui ne viennent pas, la désorganisation la plus totale règne. Sur fond de misère grandissante, la corruption généralisée est la règle, le marché noir a imposé sa loi à l'ensemble de l'économie.
LA PARALYSIE DE LA CLASSE DOMINANTE
La forme même qu'a prise la contre-révolution a déterminé le mode d'organisation de la classe dominante en URSS. L'Etat issu de la révolution russe et le parti bolchevik qui s'y était identifié ont été dévorés de l'intérieur par la contre-révolution stalinienne. Alors que la vieille classe possédante avait été expropriée par la révolution prolétarienne, une nouvelle classe capitaliste s'est reconstituée dans le parti-Etat stalinien, contrôlant tous les moyens de production et l'ensemble de la vie sociale. La forme politique, le parti unique, correspond à la forme juridique, l'étatisation de la propriété des moyens de production.
Les membres de la Nomenklatura du Parti bénéficient de privilèges qui leur garantissent un niveau de vie sans comparaison avec celui du prolétariat qui croupit dans une misère généralisée. L'Etat assure un train de vie luxueux à ceux qui en contrôlent le fonctionnement : résidences dans des quartiers réservés, accès à des magasins abondamment pourvus en produits de consommation de toutes sortes, notamment occidentaux, voitures de fonction, au-delà du simple salaire les postes de responsabilités bureaucratiques sont une source de revenu occulte par la corruption et tous les trafics qu'ils permettent, etc. Plus encore que n'importe quelle analyse théorique, la réalité des faits prouve amplement qu'il existe bien une classe privilégiée en URSS, une bourgeoisie capitaliste qui au travers de l'Etat exploite le prolétariat de ce pays. Les formes sont différentes de celles des pays occidentaux, mais le résultat est le même.
Au cours des décennies écoulées, derrière la façade monolithique du Parti soi-disant communiste, des clans se sont érigés en féodalité, des maffias et des dynasties se sont créées. Les guerres de cliques ont laissé leur lot de cadavres au cours des purges successives. A tous les niveaux de l'Etat, l'incurie, l'incapacité règnent chez les responsables du Parti plus préoccupés des rivalités exacerbées pour le pouvoir dispensateur de richesses et de puissance, ainsi que de leur trafics en tout genre, que de la gestion de l'appareil de production.
A la mort de Brejnev, fin 1982, la guerre de succession fait rage, le parti unique est en crise, les tendances centrifuges se renforcent. Lorsque, après les courts intermèdes d'Andropov et de Tchernenko, l'accession de Gorbatchev à la tête du Bureau politique sanctionne la victoire de la tendance réformatrice, en 1985, l'effondrement économique de l'URSS est déjà patent, la décomposition du parti en cours, et la dynamique de chaos déjà bien entamée.
La Perestroïka se proposant de promouvoir des réformes économiques sans vouloir remettre en cause le parti unique, et son contrôle sur l'Etat, a accéléré le processus d'effondrement du régime stalinien. Gorbatchev, pour préserver l'unité du Parti doit pratiquer un subtil équilibre entre les tendances conservatrices et réformatrices qui le condamne aux demi-mesures, et donc à l'impuissance. De fait, depuis qu'il a accédé au pouvoir suprême en URSS, tout l'art de Gorbatchev a été de faire passer pour une politique, voulue et décidée, de réformes hardies ce qui n'était que la reconnaissance tardive de la réalité d'une situation qui tend à échapper de plus en plus au contrôle de l'Etat. Sans peur de se contredire Gorbatchev a avalisé ce qu'il refusait la veille. Alors que le but de la Perestroïka était par les réformes de sauver l'URSS et donc son bloc, il a du sanctionner, après avoir tenté de maintenir des fractions réformatrices inféodées à Moscou, l'abandon de tout contrôle de l'URSS sur les pays qui constituaient son glacis en Europe de l'Est. Après avoir annoncé son refus des mesures de répression, il a envoyé l'armée pour réprimer l'agitation nationaliste à Bakou et dans le Caucase, lancé ses séides contre le parlement Lituanien. Après s'être allié avec les réformateurs, il s'est appuyé sur les conservateurs, et vice-versa.
Les tentatives de crédibilisation démocratiques font un flop retentissant. Les élections mettent en évidence l'absolue impopularité des apparatchiks du parti. Les nationalistes et réformateurs radicaux monopolisent les votes. En l'absence de nourriture pour Remplir des frigos inexistants, aucune mascarade démocratique ne pourra jamais combler le divorce total entre l'Etat stalinien et les habitants de l'URSS. Les années d'horreurs durant lesquelles des millions de prolétaires et de paysans sont tombés sous la répression d'un Etat féroce et corrompu ne seront jamais oubliées. Dans ces conditions, malgré son adresse médiatique, Gorbatchev est bien incapable de contrôler un quelconque processus démocratique. Le dernier référendum sur 1’Union en est un bel exemple. Après des années de préparation, le résultat en est que, finalement, plus que les perspectives d'union, il consacre la désunion: les arméniens, géorgiens, baltes qui lui sont hostiles n'y ont pas participé ; plus que la popularité de Gorbatchev en chute libre, il consacre 1 influence grandissante de son rival réformateur Eltsine.
Le parti a implosé, ses contours sont devenus flous. Une myriade de nouvelles organisations politiques est apparue. Les nostalgiques du stalinisme, partisans de la manière forte pour rétablir l'ordre s acoquinent avec les anti-sémites ultra-nationalistes russes de Pamiat. Les réformateurs radicaux quittent le parti pour fonder des associations démocratiques. Dans les républiques périphériques des scissions ont marqué la naissance de nouveaux partis "communistes" sur une base nationaliste consacrant l'éclatement du PCUS. L'opportunisme fait rage, pour nombre d'anciens apparatchiks la démagogie populiste et la surenchère nationaliste sont la seule issue dans le climat général de sauve-qui-peut qui sévit dans le parti. Sous les drapeaux des diverses nationalités qui s'agitent en URSS se nouent de nouvelles alliances de circonstance entre de vieilles féodalités locales du PCUS, un milieu affairiste issu du marché noir florissant, des réformateurs qui mêlent des opportunistes de la pire espèce à des naïfs aux illusions démocratiques, des groupes nationalistes qui expriment le plus souvent le poids d'archaïsmes historiques.
Des régions de plus en plus larges de l'URSS échappent à l'autorité du pouvoir central. Dans les pays baltes, en Moldavie, en Arménie, les courants indépendantistes sont au pouvoir. Partout, les prérogatives du pouvoir central se sont restreintes, le nationalisme dominant encourage la désobéissance face aux ordres du Kremlin, l'appareil bureaucratique de l'Etat face à la paralysie du centre hésite entre l'immobilisme et le ralliement aux nouveaux pouvoirs locaux qui surgissent. Les centres de décision, de pouvoir se sont multipliés.
De haut en bas de l'appareil du parti et de l'Etat les lignes de fracture se sont élargies. Le récent accord entre Gorbatchev et Eltsine concernant la dévolution par le pouvoir central de la gestion de l'ensemble des mines par les républiques et la création d'un KGB sous le contrôle du gouvernement russe est l'expression de l'état d'impuissance du pouvoir central.
La longue grève des mineurs a démontré l'incapacité du Kremlin à imposer une remise en route de la production, à se faire écouter. N'ayant plus aucun contrôle sur des pans entiers de l'économie, l'Etat n'a d'autre solution que d'en laisser la gestion aux divers pouvoirs locaux. L'économie de l'URSS est en train de se disloquer entre différents pôles. Même le contrôle du commerce international est en train d'échapper au pouvoir central, d'ores et déjà les diverses républiques commercent directement avec les pays voisins et avec l'Occident, accélérant la dynamique centrifuge de l'économie soviétique.
Comme le parti, l'appareil policier qui lui est intimement lié se divise de plus en plus, se mettant au service des nouveaux centres de pouvoir nationalistes. De nouvelles forces de police, les milices nationalistes se substituent aux anciennes forces de l'ordre trop liées à Moscou.
Des frontières se sont érigées, au sein de l'URSS, défendues les armes à la main par les militants indépendantistes. La Lituanie a posté des gardes sur ses frontières et des affrontements sporadiques avec la police de Moscou ont occasionné plusieurs morts. Le conflit entre les milices arméniennes et azéris ne s'est pas calmé avec l'intervention de 1'"armée rouge" dans la région. Les pogroms, la guerre et la répression à Bakou et dans le Caucase ont fait des centaines de morts. L'"armée rouge" s'est enlisée sans parvenir à une solution du conflit. En Géorgie, les affrontements entre milices géorgiennes et ossètes ces derniers mois montrent l'émergence d'une nouvelle zone de tension. Partout en URSS, les conflits ethniques se multiplient.
Dans ce contexte d'éclatement, d'affaiblissement et de perte de contrôle du pouvoir central la seule structure qui ait un tant soit peu résisté à la décomposition générale et qui permet de maintenir encore une apparence de cohésion de l'URSS, c'est l'armée. Cependant, la même dynamique qui domine aujourd'hui l'URSS est à l'oeuvre là aussi. Les centaines de milliers de soldats rapatriés d'Europe de l'Est se retrouvent avec leur famille sans logement, sans occupation, dans des conditions de misère d'autant plus mal ressenties qu'ils viennent de quitter des pays au niveau de vie plus élevé que l'URSS, ce qui aggrave le malaise profond qui mine 1'"armée rouge" depuis le retrait d'Afghanistan. Des batailles rangées mettent aux prises des soldats de différentes nationalités dans les casernes. Les refus d'incorporation, les désertions, les refus d'obéissance se généralisent.
La bourgeoisie soviétique n'a plus aujourd'hui les moyens de la répression généralisée. Si son armée peut encore assumer le maintien de l'ordre dans certaines régions troublées, sa capacité d'action sur ce plan se trouve néanmoins grandement limitée. Les tergiversations de l'appareil répressif face aux tensions en Lituanie ou dans le Caucase, les déclarations contradictoires à ce propos traduisent bien la situation de désarroi et d'impuissance dans laquelle se trouve le gouvernement du Kremlin. Il n'y a guère que les plus imbéciles des nostalgiques de l'époque révolue du stalinisme pour croire encore que la répression à grande échelle serait possible sans précipiter l'URSS plus rapidement encore dans la guerre civile.
LE PROLETARIAT DANS LA TOURMENTE
Ni le mécontentement général, ni le discrédit total du régime, et encore moins la lutte de classe ne sont à l'origine de l'effondrement de l'Etat stalinien. Le mécontentement n'est pas nouveau, pas plus que le discrédit dont pâtit l'Etat. Quant à la lutte de classe, il suffît de constater, qu'avant la grève des mineurs de l'été 1989, il n'y avait pas eu de lutte significative en URSS.
C'est au nom de la défense du communisme, de l'internationalisme prolétarien, que des générations de prolétaires ont subi la bestialité du stalinisme, produit de l'écrasement de la Révolution russe. Le rejet du régime s'est accompagné, pour les ouvriers de l'URSS, d un rejet de la tradition révolutionnaire du prolétariat, de son expérience de classe, conduisant es descendants des prolétaires de la révolution à un déboussolement politique total, identifiant la pire des dictatures capitalistes au socialisme. En réaction au stalinisme les aspirations au changement des travailleurs soviétiques se sont orientées vers un folklore nationaliste issu d'un passé mythique ou vers les mirages merveilleux des "démocraties" affairistes occidentales.
Dans la mesure où il n'a pas provoqué l'effondrement du régime stalinien, le prolétariat subit d'autant plus fortement les conséquences dévastatrices de la dynamique d'éclatement et de décomposition. Plus qu’aux illusions démocratiques qui ne correspondent à aucune tradition historique en URSS, et sont plutôt réservées à la petite-bourgeoisie intellectuelle, le prolétariat est particulièrement réceptif à la démagogie nationaliste et populiste. Le poids du nationalisme sur le prolétariat est dû à la fois à l'arriération du capitalisme russe qui, étant donné sa faiblesse économique, n'a pu intégrer la population colonisée par l'empire tsariste, et au rejet viscéral du gouvernement central symbole des années de dictature et de terreur.
Avec la Perestroïka, au nom des réformes et du changement, les attaques contre les conditions de vie des ouvriers se sont intensifiées. Les augmentations de salaire ne suivent pas les hausses successives des produits de première nécessité. Pour l'année 91 on attend une inflation à trois chiffres. Début avril le pain a augmenté de 200 %, le sucre de 100 %. Et il en est ainsi de tous les produits de première nécessité. Sous prétexte de renouvellement des billets de banques, l'Etat pratique; un hold-up sur les économies des salariés et des retraités. Le rationnement s'est étendu à une gamme toujours plus large de produits. Dans ces conditions, le mécontentement s'est exacerbé. Depuis le début de l'année, de nombreuses grèves se sont déroulées en URSS, témoignant de la combativité des ouvriers. Selon le Bureau des statistiques, les grèves ont coûté 1,17 millions d'heures de travail durant le premier trimestre 1991. Cependant, ces grèves qui se développent, si elles montrent la combativité retrouvée des travailleurs, et leur volonté de résister aux attaques contre leurs conditions de vie, illustrent aussi leur faiblesse politique et leur déboussolement. Comme le montre la grève des mineurs du printemps dans toute l'URSS, ou la grève générale qui touche la Biélorussie à la même époque.
Alors que ces grèves démarrent sur le terrain économique, ce sont les représentants des tendances les plus nationalistes gui prennent le contrôle des comités de grève qui se forment. Alors que la grève des mineurs avait paralysé la production de centaines de puits et mobilisé des centaines de milliers de travailleurs dans toute l'URSS, alors que toutes les propositions du gouvernement central ont été rejetées durant des semaines, la négociation séparée des comités de grève locaux avec les représentants de chaque république, va conduire à la dislocation du mouvement. En Russie, la démagogie populiste et nationaliste d'un Eltsine qui promet aux mineurs qu'ils « auront le droit de choisir leur mode de gestion et leur régime de propriété, a plus d'effet que les propositions de doublement des salaires de Pavlov pour arrêter la grève. Sitôt effectuée la reprise du travail, Eltsine qui quelques semaines plus tôt appelait à la démission de Gorbatchev et se donnait ainsi un vernis radical à bon compte, noue une nouvelle alliance avec ce dernier, instaurant de concert un régime d'exception », c'est-à-dire l'interdiction des grèves dans les secteurs des transports, les secteurs industriels de base et les entreprises consacrées aux consommateurs soviétiques.
La faiblesse du prolétariat de l'URSS face aux mystifications démocratiques et nationalistes, fait que non seulement, il n'est pas capable de défendre une quelconque perspective face au chaos, mais ses luttes actuelles sont dévoyées de leur terrain de classe, vouées à la défaite. Eltsine a pu utiliser la grève des mineurs pour renforcer sa crédibilité politique et son pouvoir économique. Le récent abandon de souveraineté sur la production de charbon en annonce bien d'autres et exprime la dynamique d'éclatement du capital soviétique.
Le prolétariat, trop faible pour résister, est lui aussi marqué par la dynamique d'éclatement et de décomposition qui ravage l'URSS. Le poison nationaliste est une gangrène qui n'a pas pour effet simplement d'handicaper le prolétariat dans ses luttes, mais il est un facteur mortel de destruction de l'identité de classe, de division des travailleurs. La situation en Arménie, en Azerbaïdjan, en Géorgie, dans les pays baltes, où les ouvriers ne se manifestent pas sur leur terrain de classe, mais où ils sont atomisés, dilués dans le mécontentement général que cristallise le nationalisme, enrôlés dans les milices nationalistes, embrigadés dans de nouveaux conflits comme dans le Caucase. La situation de décomposition qui atteint le prolétariat dans les républiques périphériques est celle qui menace la classe ouvrière dans toute l'URSS.
LA PEUR DES GRANDES PUISSANCES FACE A L'ECLATEMENT DE L'URSS
Loin de se réjouir des déboires de leur ancien rival impérialiste qu'elles avaient craint durant, de longues décennies, les puissances occidentales sont gagnées par l'inquiétude devant les conséquences de l'effondrement du système stalinien.
La fin du bloc russe, a déterminé le délitement de son rival occidental qui perdait sa principale raison d'être, libérant mondialement la tendance naturelle du capitalisme au chacun pour soi. L'effondrement politique du stalinisme en URSS entraîne avec lui celui de ses alliés dans le monde. Dans tous les pays d'Europe de l'Est les divers partis communistes doivent abandonner le pouvoir, de nouveaux régimes instables et fragiles s'installent qui sanctionnent la perte de contrôle de l'URSS et leur nouvelle indépendance. A la périphérie les dictatures qui ne trouvaient leur légitimité que du soutien politique et militaire de 'URSS doivent céder de leur pouvoir. En Angola, les troupes de l’ex-bloc de l'Est se sont retirées, le MPLA doit passer sous les fourches caudines des diktats occidentaux. En Ethiopie, Mengistu privé des approvisionnements d'armes que lui livrait l'URSS n'a pu sauver sa peau que par une fuite précipitée à l'étranger. On se demande combien de temps Castro va pouvoir encore tenir à Cuba. L'exemple contagieux fragilise toutes les dictatures. L'effondrement politique de l'URSS est un facteur profondément déstabilisateur de la situation mondiale.
Le réveil des nationalités s'accompagne d'une exacerbation des tensions nationalistes, la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan préfigure l'état de désordre dans lequel se précipitent ces futurs Etats qui basent leur existence sur les aspects les plus archaïques et anachroniques des différentes cultures nationales.
Le gigantesque arsenal que s'est constitué l’"armée rouge" est menacé d'être dispersé suivant les multiples lignes de fracture de la dislocation de l'URSS. Demain, les armes nucléaires, les centrales atomiques, les milliers de chars, canons, fusils risquent de se trouver sous le contrôle des forces les plus anachroniques auxquelles peut donner naissance la putréfaction du régime stalinien, rendant à jamais caduque toute idée de contrôle de la dissémination des armes nucléaires par les grandes puissances et aggravant la menace d"'accidents" nucléaires majeure. Tchernobyl n'est pas un hasard, mais l'exacte concrétisation de la situation en URSS.
Face à une telle situation de déstabilisation, les autres grandes puissances du globe et en premier lieu les USA et les Etats européens n'ont aucun intérêt à ce que l'effondrement de l'URSS et sa désagrégation en de multiples Etats rivaux s'accélère. Tous leurs efforts vont se conjuguer pour soutenir les facteurs de cohésion politique de l'URSS, et promouvoir des réformes pour tenter de stabiliser la situation économique et sociale.
Dans ces conditions, l'Occident ne peut que soutenir Gorbatchev, dernier garant de l'unité de l'URSS et partisan proclamé des réformes. Depuis des années, c'est la politique qui est suivie strictement, mais ce faisant les bourgeoisies occidentales s'enferment dans la même contradiction que la Perestroïka. Les fractions les moins décomposées du Parti sur lesquelles s'appuie Gorbatchev regroupent les éléments les plus hostiles aux réformes ou timides vis-à-vis de celles-ci. Avec Pavlov comme premier ministre, c'est la vieille garde du parti qui est aux commandes. Les fractions es plus réformatrices ont rejoint les courants nationalistes, et leur victoire signifierait aujourd'hui une accélération de la dynamique d'éclatement. Au nom du maintien des frontières internationales et de la volonté de préserver l'existence de plus en plus théorique de 1’URSS, les "démocraties" occidentales soutiennent, en fermant opportunément les yeux, la répression qui vise à calmer la fièvre indépendantiste des Lituaniens, des Arméniens et des Géorgiens.
L'incapacité des divers gouvernements de la Perestroïka à réformer l'économie et à relancer la production se concrétise dans les appels désespérés à l'aide internationale, à de nouveaux crédits. Pavlov, le premier ministre qui il y a peu accusait l'Occident de distribuer des produits radioactifs lors des opérations d'aides alimentaires de l'hiver dernier, déclare aujourd'hui que «sans l'aide de l'Occident, nous n'y arriverons pas».
Cependant, les principaux pays occidentaux dont les économies sont secouées par le développement de la récession n'ont pas les moyens de venir en aide à l'économie soviétique défaillante. La pénurie générale de liquidités et d'autres priorités rendent impossible l'instauration d'un plan Marshall tant souhaité par les pays d'Europe de l'Est et l'URSS. On mesure simplement à la vue de la situation en Allemagne de l'Est, pourtant naguère le pays le plus développé de l'Est, comment dans le chaos de l'URSS, des centaines de milliards pourraient être injectés sans grand résultats productifs. Les prêts occidentaux servent surtout à parer au plus pressé et à soulager la tension sociale immédiate, sans autre résultat que de reporter les échéances à plus tard.
Mais si l'Occident est bien obligé de mesurer son aide économique à Gorbatchev, il ne va pas, en revanche, lésiner sur l'appui politique qu'il peut lui apporter. Reconnu comme seul interlocuteur valable, le chef de l'Etat soviétique va bénéficier d'une couverture médiatique mondiale de première classe. Lors de leurs voyages à l'étranger les représentants des diverses nationalités qui ressurgissent en URSS se voient sermonnés. On leur conseille la patience pour calmer leurs ardeurs indépendantistees, et on les renvoie au dialogue avec Moscou. Lors de son voyage européen, au printemps, alors qu'il vient de demander la démission de Gorbatchev, Eltsine essuie rebuffade sur rebuffade. Il n'est pas question pour les occidentaux de donner une plus grande crédibilité internationale au leader russe dont la victoire signifierait une accélération de l'éclatement de l'URSS. Apparemment, le message a été compris, puisque, des son retour, Eltsine fait un virage à 180° et s'allie à Gorbatchev. L'Occident utilise tous les moyens de pression dont il dispose sur les principaux acteurs du drame qui se joue en URSS pour tenter de calmer le jeu.
Cependant, avec leurs moyens les pays occidentaux n'ont pas plus la capacité d'empêcher un éclatement inéluctable, tout au plus peuvent-ils permettre de freiner, de retarder une telle perspective, gagner du temps afin d'essayer de contrôler les aspects les plus explosifs de la situation. L'impuissance de l'Occident rejoint en définitive celle de Gorbatchev, traduisant le fait que les mêmes contradictions fondamentales qui déterminent l'effondrement de l'URSS, sont aussi à l'oeuvre dans le reste du monde ([2] [48]). Le "tiers-monde" a précédé l'URSS dans cette plongée dans le chaos qu'elle connaît maintenant. La décomposition de 1 URSS n'est pas le simple produit des spécificités de l'URSS, elle est l'expression d'une dynamique mondiale dont la concrétisation a été rendue plus rapide et % Elus explosive par les spécificités historiques et la faiblesse du capital russe.
Dans l'incapacité de trouver un palliatif ou une issue à ses contradictions, le capital mondial depuis plus de 20 ans s'enfonce dans la crise économique. L'effondrement économique de l'URSS, après celui du tiers-monde, et son "africanisation" présente, montrent la progression de la gangrène de la décomposition qui aujourd'hui pèse de plus en plus fortement sur 1 ensemble de la planète ([3] [49]).
JJ
[1] [50] Voir Revue internationale, n° 60, 1er trimestre 1990 : "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l'Est" et "La faillite définitive du stalinisme , Revue internationale, n° 61, 2e trimestre 1990 : "Après l'effondrement du bloc de l'Est, déstabilisation et chaos".
[2] [51] Voir Revue Internationale, n°57, 2e trimestre 1989: "La décomposition du capitalisme", Revue Internationale, n°62, 3e trimestre 1990 : "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste".
[3] [52] Voir l’éditorial de ce numéro de la Revue Internationale.
La guerre du Golfe est venue rappeler avec force à la classe ouvrière que le capitalisme c'était aussi la guerre, ce summum de la barbarie, et cela ne peut que l'interpeller et la pousser à la réflexion. C'est pourquoi la bourgeoisie des "pays démocratiques", durant toute la guerre, a systématiquement caché l'ampleur des destructions et des massacres, et, qu'après la guerre, elle a monté une gigantesque campagne humanitaire et démocratique autour du massacre des Kurdes, dans le but de tenter de faire oublier aux ouvriers ses propres crimes et sa responsabilité dans ces massacres. La bourgeoisie des "grandes démocraties" a une longue expérience en ce domaine, tant en termes de tueries que de mensonges et de cynisme. Le prolétariat doit se rappeler les multiples crimes accomplis par la bourgeoisie "démocratique" ainsi que sa complicité directe ou indirecte dans les massacres et destructions commis tant par le stalinisme que par le fascisme.
Durant toute la durée de la guerre, pratiquement aucune image ne nous est parvenue des massacres et des destructions infligés à la population irakienne. Black-out total et médias aux ordres, telle a été la règle absolue. Encore aujourd'hui, aucun chiffre précis n'est fourni, mais il est certain que plus de 200.000 civils et près de 250 000 soldats irakiens ont été tués, sans parier des blessés et de tous ceux qui resteront infirmes à vie. Alors que l’on nous a vanté de façon obscène « la précision des bombardements chirurgicaux », un général américain, responsable de l’US Air Force a depuis admis que sur les 88 500 tonnes de bombes déversées sur l'Irak, moins de 7 % étaient à guidage laser, 70 % des bombes auraient raté leurs cibles et il avouait que les aviateurs avaient "arrosé" sans trop se soucier d'une précision millimétrique, selon la vieille et sinistre méthode du «tapis de bombes » ! On mesure l'ampleur des destructions des zones civiles opérées dans de telles conditions. Mais de tout ceci, rien ou presque n'a filtré. Par contre, on a étalé dans tous les médias, avec une complaisance morbide, le spectacle de milliers de Kurdes, femmes, enfants, vieillards crevant de faim et de froid, lapant comme des chiens l'eau croupie d'une flaque d'eau et se battant autour des camions pour un bout de pain ou une bouteille d'eau. Le cynisme et l'incroyable duplicité des bourgeoisies américaine, française et anglaise se sont révélés une fois de plus dans toute leur sinistre crapulerie. Car non seulement elles utilisent ces massacres pour tenter de faire oublier leurs propres crimes de guerre, mais elles sont directement responsables de cette tuerie aux allures de génocide qui fait que le total des victimes de la guerre approche désormais du million !
Elles ont en effet poussé sciemment à la révolte les Chiites et les Kurdes, encouragé la clique bourgeoise kurde à proclamer la rébellion, en lui laissant entendre qu'elles l'aideraient, tout en se gardant dans les faits d'apporter la moindre aide et en laissant soigneusement à Saddam Hussein les forces suffisantes pour assurer le succès de la répression. En dressant ce piège dans lequel sont mortes au moins 250 000 personnes, elles faisaient d'une pierre deux coups : tenter de faire oublier leurs propres massacres en braquant tous les projecteurs de leurs médias sur le nouveau crime de « Hitler du Moyen-Orient », et empêcher, par cette répression massive, la libanisation de l'Irak, voire de toute la région, en cas de succès de la rébellion kurde et chiite, sans avoir à se salir eux-mêmes les mains, puisque le « diabolique Saddam Hussein » se chargeait, une fois de plus, de jouer le rôle du boucher. C'est pourquoi, alors que la répression s'est déroulée sous les yeux de l'armée américaine, ce n'est qu'une fois celle-ci complètement achevée que les pleureuses de l'action humanitaire sont entrées en scène.
Le machiavélisme de la bourgeoisie, son art de la mise en scène, sa capacité à entraîner à la tuerie des centaines de milliers d'êtres humains, ne datent pas d'aujourd'hui. Les horreurs du Golfe ne sont de ce point de vue que la suite d'une longue série macabre, tout au long de la décadence du capitalisme, les "grandes démocraties" ont largement expérimenté ce type de scénarios et leur conclusion toujours sanglante, que ce soit à l'occasion de la situation toujours dangereuse qui prévaut dans le cas d'un pays vaincu à la fin d'une guerre, ou pour faire oublier ou tenter de justifier leurs propres crimes, en focalisant toute l'attention sur les crimes des "autres", en les "diabolisant".
La liste des crimes et boucheries perpétrés par ces parangons du droit et de la morale que sont les vieilles démocraties bourgeoises est si longue qu'un numéro entier de cette revue y suffirait à peine. Rappelons pour mémoire la première boucherie mondiale, où tous les protagonistes étaient des démocraties, y compris la Russie de 1917 du très "socialiste et démocratique" Kerenski, et le rôle qu'y a joué la social-démocratie comme grand pourvoyeur de chair à canon. Cette dernière, endossant résolument l'habit du boucher lors de la répression sanglante de la révolution en Allemagne en janvier 1919, où des milliers d'ouvriers périrent rien que dans la ville de Berlin. Souvenons-nous encore des corps expéditionnaires anglais, français et américains envoyés pour réduire à merci, par le sang, la révolution d'Octobre ; le génocide des Arméniens par l'État turc avec la complicité directe des gouvernements français et britannique ; le gazage des Kurdes par l'armée anglaise en 1925, etc. Au fur et à mesure que le système capitaliste s'enfonçait dans sa décadence, sa seule béquille, son seul moyen de survie fut de plus en plus la guerre et la terreur, et cela tant dans les États "démocratiques" que dans les États "totalitaires". Mais dans le cadre forcément limité d'un article, nous nous attacherons tout d'abord à dénoncer ce qui constitue sans nul doute, avec la monstrueuse identification entre communisme et stalinisme, le plus grand mensonge de ce siècle : la nature de la seconde guerre mondiale, soi-disant « guerre de la démocratie contre le fascisme, guerre du droit et de la morale contre la barbarie nazie », comme l'enseignent encore aujourd'hui tous les manuels scolaires. Guerre où la barbarie aurait été essentiellement d'un seul côté, celui des puissances de l'Axe et où, dans le camp de nos vertueuses démocraties, la guerre n'aurait été que défensive et essentiellement, pour reprendre les termes actuels de la propagande bourgeoise, « une guerre propre ». L'étude de la seconde guerre impérialiste mondiale permet non seulement de mesurer l’énormité de ce mensonge, mais encore de comprendre comment, pendant et après la guerre du Golfe, la bourgeoisie démocratique a largement puisé dans l'expérience qu'elle a acquise durant cette période historique cruciale.
Dès son arrivée au pouvoir en 1940, le chef d'État de la plus vieille démocratie du monde, l’Angleterre, en même temps que le véritable dirigeant politique de la guerre, côté Alliés, Sir Winston Churchill, met sur pied le "Bomber Command", noyau central des bombardiers lourds devant aller semer la terreur dans les villes allemandes. Pour justifier cette mise au point d'une véritable stratégie de la terreur, pour couvrir idéologiquement son lancement, Churchill utilisera les bombardements massifs allemands sur Londres et Coventry durant l'automne 1940 et celui sur Rotterdam, en exagérant délibérément la portée de ce dernier. Les médias anglo-américains parleront de 30 000 victimes alors qu'il n'y en eut en fait qu'un millier. La couverture idéologique ainsi assurée, Lindemann, conseiller de Churchill, peut en mars 1942 lui faire la suggestion suivante : « Une offensive de bombardements extensifs pourrait saper le moral de l’ennemi pourvu qu'elle soit dirigée contre les zones ouvrières des 58 villes allemandes, ayant chacune une population de 100.000 habitants... », et il concluait en disant « qu'entre mars 1942 et le milieu de 1943, il devait être possible de rendre sans abris un tiers de la population totale de l'Allemagne. » La bourgeoisie britannique adopte alors cette stratégie de terreur, mais dans toutes ses déclarations officielles, le gouvernement de sa gracieuse Majesté insistait sur le fait que le « Bomber Command ne bombardait qu'à des fins d'ordre militaire et ne visait que des objectifs militaires, toute allusion à des attaques contre des zones ouvrières ou civiles étant rejetée comme absurde et attentatoire à l'honneur des aviateurs qui sacrifiaient leur vie pour la patrie » !
Première et sinistre illustration de ce cynique mensonge, le bombardement de Hambourg en juillet 1943. L'utilisation massive des bombes incendiaires provoque la mort de 50.000 personnes, fait 40.000 blessés et ce, pour l'essentiel, dans des zones résidentielles et ouvrières. Le centre-ville fut entièrement détruit et, en deux nuits, le nombre total de victimes fut, à Hambourg, égal au nombre de tués sous les bombardements, côté anglais, durant toute la durée de la guerre ! À Kassel, en octobre 1943, près de 10.000 civils périrent dans une gigantesque tempête de feu. Face à certaines questions sur l'ampleur des dommages causés aux populations civiles, le gouvernement anglais répondait invariablement «qu’aucune instruction n'avait été donnée pour détruire des maisons d'habitation et que les cibles du Bomber Command étaient toujours des cibles militaires. » Début 1944, les raids de terreur sur Darmstadt, Königsberg, Heilbronn, firent plus de 24 000 victimes parmi les civils. À Braunschweig, perfectionnant leur technique au point qu'aucun mètre carré des zones d'habitations ne put échapper aux bombes incendiaires lâchées par les bombardiers, 23.000 personnes furent prises au piège du brasier gigantesque qu'était devenu le centre-ville et périrent carbonisées ou asphyxiées. Cependant le black-out était total, et un général américain (les forces US commençant à participer massivement à ces « bombardements extensifs ») déclare à cette époque : « A aucun prix nous ne devrions permettre aux historiens de cette guerre de nous accuser d'avoir dirigé des bombardements stratégiques sur l'homme de la rue. » Quinze jours avant cette déclaration, un raid US sur Berlin avait provoqué la mort de 25.000 civils, ce dont était parfaitement au courant ce général. Les mensonges et le cynisme qui ont prévalu pendant toute la guerre du Golfe sont une longue et solide tradition de nos "grandes démocraties".
Cette stratégie de la terreur inspirée et dirigée par Churchill visait trois objectifs : accélérer la chute et la défaite militaire de l'Allemagne en sapant le moral de la population, étouffer par le feu toute possibilité de révoltes, et plus encore, de surgissements prolétariens. Ce n'est pas un hasard si les bombardements de terreur se sont systématisés au moment même où des grèves ouvrières éclataient en Allemagne et où, depuis la fin 1943, les désertions au sein de l'armée allemande tendaient à s'amplifier. Churchill, qui avait fait ses premières armes de boucher contre la révolution russe, était particulièrement attentif à ce danger. Enfin, en 1945, avant notamment la conférence de Yalta de février, il s'agissait de se placer, grâce à ces bombardements, en position de force lace à une avancée de l'armée russe jugée trop rapide par Churchill.
Le déchaînement de barbarie et de mort entraîné par ces raids aériens, dont les principales victimes étaient des ouvriers et des réfugies, trouva son paroxysme à Dresde en février 1945. À Dresde, il n'y avait aucune industrie importante, ni installation militaire ou stratégique, et c'est cette absence qui fit de Dresde une ville refuge pour des centaines de milliers de réfugiés fuyant les bombardements et l'avancée de "l'armée rouge", aveuglés qu'ils étaient par la propagande "démocratique" des Alliés, persuadés que Dresde ne serait jamais bombardée. Les autorités allemandes se laissèrent elles aussi aveugler par cette propagande, puisqu'elles installèrent un grand nombre d’hôpitaux civils dans cette ville. Cette situation était parfaitement connue par le gouvernement britannique, à tel point que certains chefs militaires du Bomber Command, émirent de sérieuses réserves quant à la validité militaire d'un tel objectif. On leur répondit sèchement que Dresde était un objectif prioritaire pour le premier Ministre et tout fut dit.
En bombardant Dresde les 13 et 14 février 1945, la bourgeoisie anglaise et américaine savait parfaitement qu'il s'y trouvait alors près d'un million et demi de personnes, dont un grand nombre de femmes et d'enfants réfugiés, de blessés et aussi de prisonniers de guerre. 650.000 bombes incendiaires tombèrent sur la ville produisant la plus gigantesque tempête de feu de toute la seconde guerre mondiale. Dresde brûla pendant huit jours, on voyait l'incendie à plus de 250 kilomètres. Certains quartiers de la ville étaient si brûlants qu'il fallut attendre plusieurs semaines avant de pénétrer dans certaines caves. Sur 35.000 immeubles d'habitation, seuls 7000 restèrent debout, tout le centre-ville avait disparu et la plupart des hôpitaux furent détruits. Le 14 février, 400 forteresses volantes américaines, prenant le relais des bombardiers anglais, déversèrent encore 771 tonnes de bombes incendiaires. Le bilan de ce qui fut sans conteste l'un des plus grands crimes de guerre de la seconde boucherie mondiale fut de 250 000 morts, dont presque tous étaient des civils. À titre de comparaison, cet autre crime odieux que fut Hiroshima fit 75.000 victimes et les terribles bombardements américains sur Tokyo en mars 1945 provoquèrent 85.000 morts !
Ordonnant le bombardement de Chemnitz les jours suivants, le commandement ne s'embarrasse plus d'aucune précaution oratoire. Il déclare aux aviateurs : « Vos raisons d'aller là-bas cette nuit sont d'achever tous les réfugiés qui peuvent avoir échappé de Dresde. » Langage de bouchers s'il en fût, on peut mesurer à travers tout ceci qu'en termes de barbarie, la coalition anti-fasciste n’avait rien à envier aux nazis. Le 1er novembre 1945, en 18 mois de bombardements, 45 des 60 principales villes allemandes avaient été quasiment complètement détruites. Au moins 635.000 civils périrent au cours de ces raids de terreur.
De même, en termes de cynisme et de mensonge éhonté, elle n'a pas non plus grand chose à envier à un Goebbels ou à un Staline. Face aux questions suscitées par ces terrifiants massacres, la bourgeoisie anglo-américaine répondit, contre toute évidence, que Dresde était un centre industriel et plus encore militaire très important. Churchill, quant à lui, ajouta d'abord que c'était les Russes qui avaient demandé qu'on effectue un tel bombardement, ce que tous les historiens s'accordent aujourd'hui à considérer comme faux, puis il tenta de rejeter la responsabilité sur les militaires, d'en faire une sorte de bavure ! Les "travaillistes", ces chiens sanglants, ces tartuffes immondes de la démocratie bourgeoise, enfourchèrent le même cheval de bataille pour tenter de se laver les mains d'une telle horreur. Le travailliste C. Attlee qui avait succédé à Churchill, s'attira cette réponse du chef militaire du Bomber Command : « La stratégie de la force de bombardement critiquée par Lord Attlee fut décidée par le gouvernement de Sa Majesté dont lui (Lord Attlee) a été un des chefs pendant presque toute la guerre. La décision de bombarder les villes industrielles fut prise, et prise avec une grande netteté, avant que je ne devienne commandant en chef du Bomber Command ». La stratégie de la terreur fut une décision politique prise par l'ensemble de la bourgeoisie anglaise à laquelle s'est pleinement rallié cet autre "grand démocrate" qu'a été Roosevelt, qui, quant à lui, décida la fabrication de la bombe atomique. La barbarie démocratique a été pleinement à la hauteur de la barbarie fasciste et stalinienne. Les petits-fils de Churchill et Roosevelt que sont les Bush, Mitterrand et Major ont bien appliqué leurs leçons pendant la guerre du Golfe, que ce soit en termes de massacre, de lock-out, de mensonges ou de cynisme le plus total[1].
Autre exemple de cette longue tradition démocratique consistant à masquer et justifier ses propres crimes et abominations en braquant tous les projecteurs sur d'autres crimes, d'autres horreurs : l'utilisation qui a été faite des camps de concentration pour justifier la barbarie de la boucherie impérialiste côté Alliés. Loin de nous l'idée de nier la sordide et sinistre réalité de ces camps de la mort[2], mais la publicité obscène qui en a été faite depuis n'a rien à voir avec des considérations humanistes et encore moins avec l'horreur légitime provoquée par une telle barbarie. La bourgeoisie, tant anglaise qu'américaine, savait parfaitement ce qui se passait dans ces camps. Et pourtant, chose étrange en apparence, elle n'en parle pratiquement pas pendant toute la guerre et n'en fait pas un thème central de sa propagande. Ce n'est qu'après la guerre qu'elle en fit l’axiome principal de sa justification de la seconde boucherie impérialiste mondiale et plus largement de la défense de la sacro-sainte démocratie. En fait, les gouvernements de Churchill et Roosevelt craignaient comme la peste que les nazis n'expulsent massivement les Juifs et ne vident les camps. Dès la rencontre anglo-américaine des Bermudes en 1943, le ministre anglais des affaires étrangères A. Eden faisait part d'une telle inquiétude et la décision fut prise « qu’aucun navire des Nations Unies ne peut être habilité à effectuer le transfert des réfugiés d'Europe. » En termes clairs, ils peuvent crever en toute tranquillité dans les camps ou ailleurs ! Lorsque la Roumanie, alliée de l'Allemagne, veut libérer 60.000 Juifs, lorsque la Bulgarie veut faire de même, elles se heurtent à un refus catégorique de la part de ce « grand combattant de la liberté » qu'était Roosevelt, pour qui « transporter tant de monde désorganiserait l'effort de guerre ». La mésaventure survenue à Joël Brandt en avril 1944, dirigeant d'une organisation de Juifs hongrois, confirme de manière particulièrement éclatante que les "grandes démocraties" anglaise et américaine n'avaient strictement rien à faire des souffrances des Juifs entassés dans les camps en Allemagne. Lorsque la bourgeoisie invoque à tout bout de champ les Droits de l'Homme, ce n'est que pour les besoins de sa propagande et pour perpétuer tranquillement ses crimes derrière cette feuille de vigne. Eichmann, chef SS de la section juive, confie à J. Brandt, avec l'accord de Himmler lui-même, que le gouvernement nazi veut libérer un million de Juifs en échange de 10.000 camions, voire même de moins. Muni de cette proposition, Brandt va voir les anglo-américains persuadés que ceux-ci vont accepter. Comme le souligne la brochure du PCI (Programme Communiste) "Auschwitz ou le grand alibi" : «Non seulement les Juifs mais aussi les SS s'étaient laissés prendre à la propagande humanitaire des Alliés ! Les Alliés n'en voulaient pas de ce million de Juifs ! Pas pour 10.000 camions, pas pour 5000, même pour rien ! » Brandt se heurta à un refus complet et catégorique tant de la part du gouvernement de Churchill que de Roosevelt, et ce alors même que les nazis avaient proposé de libérer 100.000 Juifs sans contrepartie pour preuve de leur bonne foi, et ce million de juifs resta à crever dans les camps
S'il est vrai que la plupart des camps furent, avant de se transformer en camps de la mort, d'abord des camps de travail ; s'il est encore plus vrai que toute la publicité morbide faite autour des camps et des chambres à gaz, de 1945 à aujourd'hui, vise avant tout à blanchir et à faire oublier tous les crimes commis par le "camp démocratique", il ne s'agit en aucune façon d'une inexistence des génocides monstrueux, malheureusement bien réels, perpétrés ans ces camps, comme le prétendent ces nazillons de la pensée que sont les "révisionnistes" de l'histoire des camps de concentration. Cette tendance soi-disant radicale ne vise en fait qu'à participer à l'entreprise générale de la bourgeoisie de banalisation de l’horreur, de la barbarie du capitalisme en décadence, sous toutes ses formes, et dont les crimes et les massacres accomplis par les nazis furent l'un des sommets.
À la fin de la guerre, les USA gardent l'essentiel des prisonniers juifs dans les mêmes camps que les Allemands, dans des conditions effroyables. Le général américain Patton déclara même à cette époque : « Les Juifs sont inférieurs aux animaux. » Là encore, où est la différence entre la crapule nazie et la crapule galonnée démocratique ? La bourgeoisie du camp anti-fasciste s'est souciée comme d’une guigne pendant toute la guerre du sort des Juifs comme du sort de la population en général. Elle n'a ensuite utilisé le génocide juif que pour masquer et dissimuler ses propres crimes de guerre, pour masquer que c'est le capitalisme comme un tout qui est responsable de la boucherie de 1939-45 et de son cortège d'horreurs indicibles[3].
La répression massive des populations kurde et chiite en Irak et la complicité totale dans ces massacres des «patries des Droits de l'Homme », peut se comparer jusqu'à un certain point avec l'attitude des Alliés durant la seconde guerre mondiale. Il ne s'agit pas ici de comparer des mouvements foncièrement bourgeois, dans lesquels les ouvriers ne jouent aucun rôle, si ce n'est celui de chair à canon, tel le mouvement nationaliste kurde, avec ce qui s'est passé en Italie où, en 1943, les ouvriers tendaient, du moins au début, à se tenir sur un terrain de classe. Mais une fois cette distinction fondamentale opérée, il s'agit de voir ce qu'il y a de commun dans 1’attitude de la bourgeoisie démocratique entre hier et aujourd'hui.
En Italie fin 1942 et surtout en 1943, des grèves éclatent un peu partout dans les principaux centres industriels du Nord. Partout on revendique pour un meilleur ravitaillement, de meilleurs salaires, et certains ouvriers appellent même à la constitution de conseils d'usine et de soviets, et ceci contre les staliniens du PCI de Togliatti. Le mouvement est d'autant plus dangereux pour la bourgeoisie que les ouvriers italiens immigrés en Allemagne se mettent eux aussi en grève et rencontrent souvent l'appui de leurs frères de classe allemands. C'est notamment face aux grèves ouvrières que fut prise la décision de renverser Mussolini et de le faire remplacer par Badoglio. Les Alliés, qui avaient appelé le peuple italien à se révolter contre le fascisme, débarquent alors en Sicile et à l'automne 43 occupent totalement et solidement tout le Sud de l'Italie. Mais, inquiets de cette situation potentiellement révolutionnaire, ils stoppent vite, sur la demande de Churchill, leur avance et restent cantonnés dans le Sud. Churchill, fort de son expérience de la vague révolutionnaire qui mit fin à la première guerre mondiale, craint comme la peste le renouvellement d'un semblable scénario. Il convainc alors les USA de «laisser l'Italie mijoter dans son jus», et ralentit alors sciemment la progression de l'armée alliée vers le Nord. Son but : laisser à l'armée allemande le soin de mater et briser la classe ouvrière, en occupant militairement tout le Nord de l'Italie et toutes ses grandes concentrations ouvrières. Il laisse ainsi délibérément l'armée allemande fortifier ses positions et l'armée alliée mettra dix-huit mois à conquérir l'ensemble de la péninsule, dix-huit mois pendant lesquels les ouvriers seront brisés par la soldatesque allemande avec la complicité objective des staliniens qui appellent à l'Union Sacrée derrière Badoglio. La sale besogne accomplie par les Allemands, les armées alliées pourront alors se poser en« libérateurs de l'Italie » et imposer tranquillement leurs vues en imposant la "Démocratie-Chrétienne" au pouvoir.
En Grèce, pays laissé à l'Angleterre dans le grand partage entre requins impérialistes, Churchill va aussi exercer ses talents de « champion de la liberté et de la démocratie». Des grèves et manifestations ouvrières éclatèrent fin 1944, grèves rapidement encadrées et dévoyées par les staliniens qui dominaient, via l'ELAS, toute la résistance grecque. L'ELAS va entraîner la population athénienne à affronter pratiquement à mains nues les tanks britanniques occupant alors la ville. Les tanks démocratiques de Sa Très Gracieuse Majesté rétablirent l'ordre dans le sang, au point qu'Athènes qui, jusqu'alors, vu sa qualité de ville historique, n'avait jamais été bombardée, fut bientôt une ville à moitié en ruine. Churchill dira au général anglais commandant les troupes : « Vous êtes responsable du maintien de l'ordre à Athènes, et devez détruire ou neutraliser toutes les bandes ELAS qui approcheront de la ville... L'ELAS essaiera bien entendu de pousser des femmes et des enfants en avant partout où la fusillade pourra être ouverte. N'hésitez pas cependant à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se serait déclenchée une révolte locale. » (A. Stinas, Mémoires d'un révolutionnaire). Résultat : pris entre l'enclume stalinienne et le marteau démocratique, des milliers d'ouvriers périront.
Ce qui se passe à Varsovie peut encore plus directement être rapproché de la stratégie cynique employée par la bourgeoisie occidentale à la fin de la guerre du Golfe. L'"armée rouge" est aux portes de Varsovie, à 15 kilomètres de la ville le 30 juillet 44 ; éclate alors le soulèvement de la population de Varsovie contre l'occupation allemande. Depuis des mois, les Alliés et l'URSS n'avaient cessé d'exhorter cette population au soulèvement, promettant dans ce cas toute leur aide, et, à la veille du soulèvement, Radio Moscou appelait Varsovie à l'insurrection armée, en assurant du soutien de l’"armée rouge". Toute la population se révolte alors et, dans un premier temps, cette insurrection populaire, dans laquelle les ouvriers jouent un grand rôle, bien que le poids de l'encadrement nationaliste soit très fort, réussit à libérer une bonne partie de la ville de l'occupation militaire allemande. La population se lance d'autant plus massivement dans cette aventure qu'elle est convaincue de recevoir rapidement de l’aide : «L'aide alliée à notre soulèvement paraissait aller de soi. Nous combattions l'hitlérisme, par conséquent nous avions le droit de supposer que toutes les nations unies dans cette lutte nous fourniraient un secours efficace... Nous espérions que les secours viendraient immédiatement. » (Z. Zaremba, La Commune de Varsovie). Staline avait initialement prévu de rentrer dans Varsovie au tout début d'août : l'armée allemande était en déroute, et aucun obstacle militaire sérieux ne s'opposait plus à cette entrée. Mais devant l'insurrection et son ampleur, il chance de plan et retarde délibérément l'avancée de l’armée russe qui va rester cantonnée aux portes de Varsovie pendant deux mois. Elle ne reprendra son avancée qu'une fois l'insurrection écrasée dans le sang par l’armée allemande, au bout de soixante-trois jours. Il déclare froidement que « cette insurrection était réactionnaire et qu'il se dissociait d'une aventure imprudente et terrible dont les instigateurs étaient des criminels. » (Z. Zaremba). Pendant tout ce temps, dans la ville, les troupes allemandes regagnent position après position, il n'y a plus d'eau ni d'électricité, et les munitions, côté insurgés, se font de plus en plus rares. Les insurgés attendent toujours une aide de l'armée russe. Non seulement celle-ci ne vient pas, mais encore Staline les dénonce comme des «séditieux fascistes». La population attendait aussi de l'aide côté anglo-américain. Cette aide, au-delà de bonnes paroles affirmant «l'enthousiasme et la solidarité envers l'insurrection » des gouvernements britannique et américain, ne prendra que la forme dérisoire de quelques maigres parachutages d'armes, totalement insuffisants pour permettre de s'opposer à l'avancée des troupes allemandes et ne servant, de fait, qu'à accroître encore le nombre des tués et des blessés et à prolonger les souffrances vaines de la population de la capitale polonaise. En fait, Staline, devant l'ampleur de l'insurrection, décide, comme Churchill en Italie, « de laisser Varsovie mijoter dans son jus », dans le but évident d'avaler la Pologne sans rencontrer d'obstacle sérieux du côté de la population polonaise. En cas de succès de l'insurrection de Varsovie, le nationalisme se serait trouvé considérablement renforcé et aurait pu dès lors mettre de sérieux bâtons dans les roues des visées de l'impérialisme russe. Il inaugurait en même temps le rôle de gendarme anti-prolétarien, face à une menace ouvrière potentielle à Varsovie, qui lui fut dévolu et qu'il remplit avec zèle à la fin de la seconde guerre mondiale pour tout l'est de l'Europe, Allemagne comprise. En laissant l'armée allemande écraser l'insurrection, il ne trouverait devant lui, ce qui fut le cas, qu'une population décimée et exsangue, donc peu capable de résister efficacement à l'occupation russe et ce sans avoir, de plus, à se salir lui-même les mains puisque les « hordes barbares nazies » faisaient le sale boulot à sa place.
Du côté anglo-américain, où l'on savait parfaitement ce qui se passait, on laisse faire, car Roosevelt avait tacitement laissé la Pologne à l'impérialisme russe. La population de Varsovie fut ainsi froidement sacrifiée sur l'autel des grands marchandages entre requins impérialistes. Le bilan de ce piège mortel lancé aux habitants de Varsovie par Staline et ses complices démocrates fut particulièrement lourd : 50 000 tués, 350 000 déportés en Allemagne, un million de personnes condamnées à l'exode et une ville complètement en ruine[4].
Vis-à-vis des événements de Varsovie, le cynisme de la bourgeoisie apparaît encore plus monstrueux si l'on se souvient que ce fut l'invasion de la Pologne qui décida l'Angleterre et la France à entrer en guerre pour sauver « la liberté et la démocratie en Pologne » lorsqu'on compare la situation d'août 1944 à Varsovie avec la situation de l'après-guerre du Golfe cette année, et si on remplace les polonais par les kurdes, Hitler par S. Hussein et Staline par Bush, on retrouve le même cynisme impitoyable et les mêmes pièges sanglants où la bourgeoisie, pour ses sordides intérêts impérialistes, tout en ayant partout à la bouche les mots de liberté, démocratie et Droits de l'Homme, condamne froidement au massacre des dizaines, des centaines de milliers d'êtres humains.
La seconde boucherie mondiale constitua pour la bourgeoisie une formidable expérience, pour tuer et massacrer des millions de civils sans défense, mais aussi pour dissimuler, masquer, justifier ses propres crimes de guerre monstrueux, en "diabolisant" ceux de la coalition impérialiste antagoniste. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les "grandes démocraties", maigre tous leurs efforts pour se donner un air respectable, apparaissent plus que jamais maculées des pieds à la tête par le sang de leurs innombrables victimes.
« Le capitalisme est né dans le sang et dans la boue », comme le disait Marx, et les crimes et génocides qu'il a accomplis tout au long de la colonisation illustrent de façon saisissante ce monstrueux accouchement. « Transformation de l'Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires », « os des tisserands indiens blanchissant les plaines de l'Inde » (Marx), résultat de la colonisation britannique du continent indien, etc. La liste exhaustive de tous ces génocides serait, elle aussi, beaucoup trop longue pour le cadre de cet article. Par ailleurs, avec les terribles souffrances qu'il infligeait à l'humanité, le système capitaliste était pendant toute sa phase ascendante encore progressiste, car, en permettant le développement des forces productives, il développait en même temps, et la classe révolutionnaire, le prolétariat, et les conditions matérielles nécessaires à l'avènement du communisme. Plus rien de tel à « l'ère des guerres et des révolutions » marquant l'entrée en décadence d'un système devenu purement réactionnaire. Désormais, les massacres coloniaux n'étaient plus que le terrible prix du sang dû à la survie d'un moloch menaçant maintenant jusqu'à la survie de l'espèce humaine. Dans ce cadre, les multiples crimes et massacres coloniaux commis par les «patries des Droits de l'Homme » que sont les vieilles démocraties bourgeoises n'apparaissent plus que pour ce qu'ils sont : de purs actes de barbarie[5].
Au sortir de la seconde boucherie mondiale, les vainqueurs et notamment ces trois vieilles démocraties que sont les USA, la Grande-Bretagne et la France, promettaient au monde entier l'avènement partout de la liberté et de la démocratie, car «n'était-ce pas pour elles qu'elles avaient consenti tant de sacrifices?» Voyons, puisque l'on a beaucoup parlé auparavant du rôle joué par les Anglais et les Américains, comment s'est comportée le troisième larron de cet inestimable trio du florilège démocratique, « la patrie par excellence des Droits de l'Homme » : la France.
En 1945, le jour même de la capitulation de l'Allemagne, le gouvernement très démocratique de De Gaulle, comprenant alors des ministres "communistes", ordonne à l'aviation française, dont le ministre était le stalinien Tillon, de bombarder Sétif et Constantine, où des mouvements nationalistes osaient remettre en cause la domination coloniale de la gracieuse démocratie française. Les victimes et blessés se comptèrent par milliers et certains quartiers populaires furent réduits en cendres. En 1947, le ministre de la France d'Outre-Mer, le très "démocrate et socialiste" Marius Moutet, organise la terrible répression du mouvement indépendantiste malgache, en utilisant là encore l'aviation, relayée ensuite par les tanks et l'artillerie. De nombreux villages seront rasés, l'on expérimente là, pour la première fois, la sinistre tactique de jeter des prisonniers du haut des avions pour qu'ils s'écrasent sur des villages : il y aura au total 80.000 morts !
À peu près à la même époque, le même M. Moutet ordonne le bombardement de Haïphong en Indochine, sans déclaration de guerre préalable. Durant la guerre d'Indochine, l'armée française se fait les dents, en systématisant la torture : gégène, baignoire, tout l'arsenal y est. Elle établira une règle des plus démocratiques en ordonnant que pour un soldat français tué, huit villages soient brûlés ! Un témoin raconte qu'en Indochine a l'armée française se comportait comme les boches le faisaient chez nous », et il ajoute que «comme à Buchenwald où l'on trouva une tête humaine coupée dans le bureau du commandant du camp, l'on trouvait le même semblable objet, servant de presse-papier, dans nombre de bureaux d'officiers français. » Décidément, encore une fois, la soldatesque galonnée démocratique n'a rien à envier à la soldatesque galonnée nazie ou stalinienne ! Et les "Viets" et leurs atrocités, dont la presse de l'époque faisait sa "Une" (rappelons au passage qu'en 1945 Ho Chi Minh aide les « impérialistes étrangers » à écraser la commune ouvrière de Saigon, voir notre brochure Nation ou Classe), ou plus tard le FLN en Algérie, étaient à bonne école et appliquaient les leçons fournies par la très démocratique armée française.
Lors du début de l'insurrection et rébellion nationaliste algérienne, les "socialistes" étaient au pouvoir en France et le gouvernement comprenait alors Guy Mollet, Mendes-France et le jeune F. Mitterrand, alors ministre de l'intérieur. Le sang de tous ces "authentiques démocrates" ne fît qu'un tour et les pleins pouvoirs furent confiés à l'armée en 1957 pour rétablir "l'ordre républicain". Très vite les grands moyens furent employés, en représailles d'un attentat contre des colons ou l'armée, on rasa des villages et des douars entiers, l'aviation mitrailla systématiquement des caravanes. Deux millions d'Algériens, soit près du quart de la population totale, furent chassés de leur village et zones de résidence, pour être parqués à la totale merci de l'armée dans des "camps de regroupements" où, selon un rapport de M. Rocard, alors inspecteur des finances: «Les conditions sont déplorables et au moins un enfant meurt par jour. » Très vite le général Massu et son complice Bigeard, devenu ensuite ministre de Giscard, se découvrent des talents de tortionnaires. La torture devient partout systématique et à Alger un mot devient vite célèbre, celui de "disparu". Une bonne partie de ceux qui sont livrés à la soldatesque ne réapparaîtra plus jamais. Comme le souligne une note de l'inspecteur général Guilhaume adressée à Mitterrand courant 1957 : « Les coups, la baignoire, le tuyau d'eau, l'électricité sont partout employés. » «A Boulemane, comme dans beaucoup de petites villes des Aurès, la salle de torture fonctionnait jour et nuit... et il n'était pas rare qu'au mess des officiers on boive le Champagne dans des crânes de fellagas (combattants du FLN). » En 1957 le secrétaire général de la préfecture d'Alger, P. Teitgen, dit à propos des tortures à l'avocat P. Vergés :«(...) Tout cela Je le sais hélas et vous comprendrez bien que l'ancien déporté que je suis ne peut le supporter (et il va d'ailleurs démissionner). On se conduit parfois comme les Allemands se conduisaient», et il ajoute qu'il connaît toutes les villas d'Alger où l'on torture...
Cette déclaration d'un haut fonctionnaire est particulièrement intéressante car elle met en lumière, une fois de plus, l'incroyable duplicité de ceux qui nous gouvernent, et particulièrement des sociaux-démocrates. Ainsi G. Mollet déclare le 14 avril 1957 à la fédération socialiste de la Marne : « Sans doute des actes de violence extrêmement rares ont été à déplorer. Mais ils ont été, je l'affirme, consécutifs aux combats et atrocités des terroristes. Quant aux actes de torture prémédités et réfléchis, je dis que si cela était ce serait intolérable. On a comparé à ce sujet le comportement de l'armée française à celui de la Gestapo. Cette comparaison est scandaleuse. Hitler donnait des directives qui préconisaient ces méthodes, tandis que Lacoste et moi avons toujours donné des ordres dans un sens absolument contraire. » Ceux-ci prétendent tout ignorer, alors qu'ils sont parfaitement au courant de la situation, et que ce sont eux qui donnent les ordres. Comme dans toute bande de gangsters, il y a toujours ceux qui commanditent le crime, et ceux qui l'exécutent. On focalise toujours l'attention sur les "flingueurs", qui sont dans ce cas Massu et Bigeard, pour blanchir les véritables responsables, en 'occurrence la canaille social-démocrate qui est au pouvoir. La bourgeoisie française, "socialistes" en tête, a par la suite toujours présenté les massacres et atrocités commises en Algérie (par exemple, de 1957 à l'arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, 15.000 enfants algériens disparaissaient chaque mois) comme étant l'œuvre de militaires sanguinaires, outrepassant les ordres, mais celui qui a donné ces ordres est sans conteste le gouvernement "socialiste". Encore une fois, qui est le plus criminel : celui qui exécute le crime ou celui qui l’ordonne ?[6]
La bourgeoisie, dans sa version démocratique, s'est toujours acharnée à présenter ses crimes, dès que ceux-ci sont trop évidents pour qu'on ne puisse plus les cacher, comme une bavure, un accident, ou comme l'œuvre de militaires outrepassant la mission qui leur était dévolue. On l'a vu en r rance à propos de l’Algérie, on l'a vu aux USA à propos du Viêt-Nam. Tout ceci n'est que sinistre tartufferie dont le seul but est de préserver le grand mensonge démocratique.
Pour perpétuer sa domination sur la classe ouvrière, il est vital pour la bourgeoisie de maintenir en vie la mystification démocratique, et elle s'est servie et continue de se servir de la faillite définitive du stalinisme pour renforcer cette fiction. Contre ce mensonge d'une prétendue différence de nature entre "démocratie et totalitarisme", toute l'histoire de la décadence du capitalisme nous montre que la démocratie s'est tout autant largement vautrée dans le sang que le totalitarisme, et que ses victimes se comptent par millions. Le prolétariat doit aussi se rappeler que jamais la bourgeoisie "démocratique" n'a hésité, pour défendre ses intérêts de classe ou ses sordides intérêts impérialistes, à soutenir et encenser les plus féroces dictateurs. Souvenons-nous du temps où les Bleu, les Churchill, etc., appelaient Staline «Monsieur Staline » et où celui-ci était nommé « l'homme de la Libération » ! Plus près de nous, rappelons-nous du soutien apporté à S. Hussein ou encore à Ceausescu, félicité par De Gaulle et décoré par Giscard.
La classe ouvrière doit faire sien le fait que la démocratie, hier, aujourd'hui, et plus encore demain, n'a jamais été et ne sera jamais autre chose que le masque hypocrite avec lequel la bourgeoisie recouvre le visage hideux de sa dictature de classe, pour mieux l'enchaîner et la réduire à merci.
R.N.
[1] Les citations de cette partie sont tirées de La destruction de Dresde de David Irvine, Éditions Art et Histoire d'Europe et de La seconde guerre mondiale de Henri Michel, Éditions PUF.
[2] Depuis quelques années, il y a en France toute une campagne montée par des résidus de 1'"ultra-gauche" autour des "révélations" du Sieur Faurisson à propos de la soi-disant non-existence des camps de la mort nazis, campagne récupérée pour une large part par l'extrême-droite. Notre point de vue n'a rien à voir, ni de près, ni de loin avec cette mouvance pour le moins fort suspecte.
[3] Sur ces questions, voir également le livre "A bas la guerre", Pierre Hempel, 1990.
[4] La Commune de Varsovie trahie par Staline, massacrée par Hitler, Zygmunt Zaremba, Editions Spartacus.
[5] A propos de la différence entre la démocratie bourgeoise dans 1’ascendance et dans la décadence du capitalisme on consultera utilement la Plate-forme du CCI et la brochure La décadence du capitalisme
[6] Les crimes de l’armée française, Pierre Vidal-Naquet, Editions Maspéro. Alors que la bourgeoisie française essaye de présenter l'Algérie comme son dernier € péché colonialiste» (sous-entendu, depuis elle aurait "les mains propres"), d'autres massacres ont été perpétrés depuis la guerre d'Algérie, notamment au Cameroun où de sanglantes exactions furent commises par l'armée française.
I. La vague révolutionnaire mondiale de 1917-23 affaiblie par le soutien aux mouvements de « libération nationale »
La tragédie kurde est la énième manifestation de la barbarie sanglante déchaînée au nom de la soi-disant « libération nationale des peuples ». Des Etats-Unis à la Grande-Bretagne, de la Turquie à l'Iran, tous les divers impérialismes qui ont participé à la boucherie guerrière du Golfe ont, peu ou prou, poussé les Kurdes au soulèvement armé au nom de la « libération nationale », et nous pouvons aujourd'hui voir comment ils laissent Saddam Hussein les massacrer, les précipiter dans l'exil et perpétrer un nouveau génocide. Tous sont complices du massacre, tous ont utilisé le mythe de la « libération nationale », comme monnaie d'échange et comme feuille de vigne, dans leur brutale concurrence impérialiste. Dans cette meute, gardons-nous d'oublier les leaders kurdes eux-mêmes, qui sont parvenus à un accord avec le boucher de Bagdad pour réduire la revendication d' « indépendance nationale » à celle de « premiers pas vers l'autonomie », "premiers pas" déjà faits... en 1970, 1975, 1981, etc !
Le capitalisme est entré dans sa phase ultime : celle de sa décomposition. Celle-ci va faire proliférer à un rythme accéléré les guerres comme celle du Golfe, les massacres ethnico-nationalistes comme ceux de Yougoslavie, d'URSS ou entre arabes et kurdes en Irak. Leur drapeau commun est celui de la « libération nationale » qui, dans certains cas, peut être le masque cynique des ambitions impérialistes des Etats et principalement celui des grandes puissances, et dans d'autres être une ivresse irrationnelle qui entraîne et abrutit les masses désespérées. Dans tous les cas, elle est l'expression tant de la faillite mortelle du système capitaliste que de la menace que fait planer celle-ci sur la survie de l'humanité.
Seul le prolétariat est à même de s'opposer à cet avenir en proposant une perspective de réorganisation de la société qui instaure des rapports sociaux basés sur l'unification réelle de l'humanité, sur la production consacrée à la pleine satisfaction des besoins, la communauté mondiale des hommes libres et égaux qui travaillent par et pour eux-mêmes. Pour orienter ses luttes vers cette perspective, le prolétariat doit rejeter en bloc les mystifications du style « libération nationale » qui ne font que l'attacher au vieux monde ([1] [55]). Dans la première partie de cet article, nous allons analyser comment cette mystification fut un élément important dans l'échec de l'expérience révolutionnaire de 1917-23, et comment elle donna aux Etats capitalistes une planche de salut à laquelle ils s'agrippèrent, avec comme tragique conséquence la survie du système capitaliste et la longue série de guerres et de barbarie qu'il a charriée avec lui depuis 70 ans.
Le 2e Congrès de l'Internationale Communiste (mars 1920) adopte les « Thèses et additions sur les questions nationales et coloniales » dont l'idée de base est : « (...) tous les événements de la politique mondiale se concentrent inévitablement autour d’un centre de gravité : la lutte de la bourgeoisie internationale contre la République des Soviets, qui doit grouper autour d'elle d'une part les mouvements soviétistes des travailleurs avancés de tous les pays, de l’autre tous les mouvements émancipateurs nationaux des colonies et des nationalités opprimées qu'une expérience amère a convaincues qu'il n'est pas de salut, pour elles, eti dehors d'une alliance avec le pouvoir soviétiste victorieux de l'impérialisme mondial ». ([2] [56])
Cet espoir a rapidement été démenti pas les faits dès le début de la Révolution russe. L'appui aux luttes de « libération nationale » pratiqué par l’I.C. et le bastion prolétarien en Russie a au contraire constitué une barrière contre l'extension mondiale de la révolution prolétarienne, et a profondément affaibli la conscience et l'unité du prolétariat international, contribuant à l'échec de ses tentatives révolutionnaires.
Une corde au cou de la Révolution russe
La révolution d'Octobre était le premier pas dans le mouvement révolutionnaire du prolétariat à l'échelle mondiale : « ce qui montre la vision politique des bolcheviques, leur fermeté de principes et leur large perspective, c'est qu'ils aient basé toute leur politique sur la révolution prolétarienne mondiale » (Rosa Luxemburg, La Révolution Russe).
En accord avec cette vision qui privilégiait l'extension internationale de la révolution, l'appui aux mouvements de libération nationale dans les pays soumis par les grandes métropoles impérialistes a été conçu comme une tactique, destinée à gagner des soutiens additionnels à la révolution mondiale.
Dès octobre 1917, les bolcheviks impulsèrent l'indépendance des pays que l'empire tsariste avait maintenus sous domination : les pays baltes, la Finlande, la Pologne, l'Ukraine, l'Arménie, etc. Ils pensaient qu'une telle attitude gagnerait au prolétariat révolutionnaire des appuis indispensables pour se maintenir au pouvoir en Russie, dans l'attente de la maturation et de l'éclatement de la révolution prolétarienne dans les grands pays européens et spécialement en Allemagne. Ces espoirs ne se sont pas du tout réalisés.
* Le gouvernement soviétique reconnut l'indépendance de la Finlande le 18 décembre 1917. Le mouvement ouvrier était très fort dans ce pays, il était en pleine poussée révolutionnaire, maintenait de forts liens avec les ouvriers russes et avait participé de manière active à la Révolution de 1905 et à celle de 1917. En réalité, il ne s'agissait pas d'un pays dominé par le féodalisme mais d'un territoire capitaliste très développé où la bourgeoisie profita du cadeau soviétique pour écraser l'insurrection ouvrière quand elle éclata en janvier 1918. La lutte dura presque trois mois et malgré l'aide décidée que les Soviets prêtèrent aux ouvriers finlandais, le nouvel Etat réussit à détruire le mouvement révolutionnaire grâce aux troupes allemandes appelées à la rescousse.
* En Ukraine, le nationalisme local ne représentait pas un véritable mouvement bourgeois mais exprimait plutôt, de manière dévoyée, les vagues ressentiments des paysans contre les propriétaires fonciers d'origine russe et surtout polonais. Le prolétariat de la région provenait de tous les territoires de Russie et était très développé. Dans de telles circonstances, la bande d'aventuriers nationalistes qui constituèrent la « Rada » ukrainienne cherchèrent rapidement la protection de l'impérialisme allemand et autrichien, tout en consacrant leurs forces à attaquer les soviets ouvriers qui s'étaient formés à Kharkov et autres villes. Face à la défaite des impérialismes centraux, le général français Tabouis se substitua à l'influence allemande et utilisa les phalanges réactionnaires ukrainiennes dans la guerre que livraient les gardes blancs contre les soviets.
«Le nationalisme ukrainien n'était qu'une lubie, l'élucubration de quelques douzaines d'intellectuels petits bourgeois sans la moindre racine dans la vie économique, politique ou intellectuelle du pays, sans une trace de tradition historique, car l'Ukraine n'a jamais été ni un Etat ni une nation, n'a jamais possédé de culture nationale... (...) Lénine et ses amis (...) ont conféré de l'importance à ce qui n'était au début qu'une farce, jusqu'au jour où la farce a pris une gravité des plus sanglantes, où elle s'est transformé non pas en un mouvement national sérieux, qui n'avait de toutes façons pas de racines, mais en pavois, en drapeau de ralliement de la contre-révolution ! Cette bulle pleine d'air a enfanté à Brest les baïonnettes allemandes » (Rosa Luxemburg, La Révolution russe).
* Dans les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), les soviets ouvriers prirent le pouvoir au moment de la révolution d'Octobre. La « libération nationale » fut réalisée par la marine britannique ! «A la fin des hostilités contre l'Allemagne, des unités navales britanniques apparurent dans la Baltique. La république soviétique d'Estonie tomba en janvier 1919 ; la république soviétique lettonne tint bon à Riga pendant cinq bons mois, et succomba finalement devant la menace des canons de la marine britannique » (EH. Carr : La Révolution bolchevik, T. I, p. 318).
* En Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, en "Russie asiatique", « Un gouvernement bachkir, sous un certain Validov, qui avait proclamé un Etat bachkir autonome après la révolution d'Octobre, passa du côté des cosaques d'Orenbourg qui étaient en guerre ouverte contre le gouvernement soviétique et cela était caractéristique de l'attitude qui prévalait chez les "nationalistes"» (EH. Carr, ibid., p. 325). Le gouvernement « national-révolutionnaire » de Kokand, de son côté, avec tout un programme qui comprenait l'instauration de la loi islamique, la défense de la propriété privée et la réclusion obligatoire des femmes, combattit férocement le soviet ouvrier de Tachkent (principale ville industrielle du Turkestan russe).
* Dans le Caucase se forma une république transcaucasienne dont se disputèrent la tutelle la Turquie, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ce qui conduisit à son éclatement en trois Etats « indépendants » (la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan) qui à leur tour s'affrontèrent férocement entre eux pour des raisons ethniques, encouragés en cela par les impérialismes en lice. Tous se trouvèrent d'accord cependant pour harceler férocement le soviet ouvrier de Bakou qui eut à subir, entre 1917 et 1920, les bombardements et les massacres répétés des anglais.
* En Turquie : le gouvernement soviétique appuya dès le début Kemal Atatûrk, le « nationaliste-révolutionnaire » père de la « nouvelle Turquie ». Au nom de l’I.C., Radek exhorta le tout nouveau Parti communiste de Turquie à le soutenir : « Dès que vous vous serez constitué en parti indépendant, votre première tâche sera de soutenir le mouvement en faveur de la liberté nationale de la Turquie » (Procès-verbaux des quatre premiers Congrès de PIC). Le résultat fut catastrophique : Kemal écrasa sans états d'âme les grèves et mobilisations du jeune prolétariat turc. Une fois défaites les troupes grecques et après que l'impérialisme britannique ait offert l'abandon de Constantinople en échange de la loyauté turque, Kemal rompit son alliance avec les soviets et offrit aux anglais la tête des communistes turcs qui furent férocement persécutés.
* Le cas de la Pologne mérite d'être mentionné à part. L'émancipation nationale de la Pologne avait été presque un dogme dans la 2e Internationale. Quand, vers la fin du 19e siècle, Rosa Luxemburg démontra que ce mot d'ordre était erroné et dangereux, car le développement capitaliste avait associé étroitement la bourgeoisie polonaise à la bourgeoisie russe et à la caste impériale tsariste, cela souleva au sein de l'Internationale des polémiques orageuses. Le fait était cependant que les ouvriers de Varsovie, de Lodz, etc., s'étaient trouvés à l’avant-garde de la révolution de 1905, et que de leur sein avaient surgi d'éminents militants révolutionnaires comme Rosa Luxemburg elle-même. Lénine avait reconnu pratiquement que « l'expérience de la révolution de 1905 a démontré que même dans ces deux nations -il fait référence à la Pologne et à la Finlande- les classes dirigeantes, les propriétaires fonciers et la bourgeoisie renoncent à la lutte révolutionnaire en faveur de la liberté, et cherchent leur rapprochement avec les classes dirigeantes de la Russie et avec la monarchie tsariste par peur du prolétariat révolutionnaire de Finlande et de Pologne» (Procès-verbaux de la conférence du parti à Prague, en 1912, souligné dans le texte). Malheureusement, les bolcheviks, prisonniers du dogme sur l’ "autodétermination nationale des peuples", favorisèrent, à partir d'octobre 1917, l'indépendance de la Pologne. Le 29 août 1918, le Conseil des commissaires du peuple déclarait : « Tous les traités et actes signés par le gouvernement de l'ancien empire russe avec les gouvernements du royaume de Prusse ou l'empire a Autriche-Hongrie concernant la Pologne, sont annulés irrévocablement par le présent texte, vu leur incompatibilité avec le principe d'autodétermination des nations et avec le sens révolutionnaire du droit du peuple russe, qui reconnaît le droit du peuple polonais à réclamer son indépendance et son unité. »
S'il est juste que le bastion prolétarien dénonce et annule les traités secrets des gouvernements bourgeois, par contre, c'est une grave erreur que de le faire au nom de "principes" qui n'appartiennent pas au terrain prolétarien, mais au terrain bourgeois, tel que le "droit des peuples". Et cela s'est rapidement vérifié dans la pratique : la Pologne est tombée sous la dictature de fer de Pilsduski, vétéran social-patriote, qui écrasa les grèves ouvrières, qui fit alliance avec la France et la Grande-Bretagne, et appuya activement les armées blanches contre-révolutionnaires en envahissant l'Ukraine en 1920.
Quand, pour riposter à cette agression, les troupes de l’ "armée rouge" sont entrées en territoire polonais et ont marché sur Varsovie avec l'espoir que les ouvriers se soulèveraient contre le pouvoir bourgeois, une nouvelle catastrophe s'est produite pour la cause de la révolution mondiale : les ouvriers de Varsovie, les mêmes qu'en 1905, resserrèrent les rangs autour de la "nation polonaise" et participèrent à la défense de la ville contre les troupes soviétiques. C'était la tragique conséquence d'années de propagande de la 2e Internationale, et ensuite du bastion prolétarien en Russie, en faveur de l’"indépendance nationale" de la Pologne. ([3] [57])
Le bilan de cette politique est catastrophique : les prolétariats locaux furent défaits, les nouvelles nations ne « remercièrent » en rien le cadeau bolchevik et s'installèrent rapidement dans l'orbite de l'impérialisme britannique, collaborant au blocus qui réduisit à la famine le pays des soviets et soutenant par tous les moyens la contre-révolution blanche qui provoqua une guerre civile sanglante.
« Les bolcheviks ont dû apprendre à leurs dépens et à ceux de la révolution que sous l'hégémonie au capitalisme, il n'y a pas d'autodétermination de la nation, que dans une société de classes, chaque classe tend à s'"autodéterminer" différemment, et que pour les classes bourgeoises, les considérations sur ta liberté nationale viennent bien après celles qui touchent à la domination de classe. La bourgeoisie finlandaise et la petite-bourgeoisie ukrainienne sont tombées tout à fait d'accord pour préférer le régime autoritaire de l'Allemagne à la liberté nationale, si celle-ci devait être liée aux dangers du "bolchevisme" » (Rosa Luxemburg, La Révolution russe, p. 71).
La « libération nationale » ne guérit pas des oppressions nationales
Les bolcheviks pensaient que « pour affirmer l'unité internationale des ouvriers, il faut d'abord déraciner tous les vestiges de l'ancienne inégalité et discrimination entre nations ». Les ouvriers de ces pays n'avaient-ils pas été soumis au nationalisme réactionnaire de l'empire tsariste ? Ceux-ci ne représentaient-ils pas un obstacle à l'unité avec les ouvriers russes qui pouvaient passer pour des complices du chauvinisme grand-russien ? Et, plus généralement, les jeunes prolétariats des pays coloniaux et semi-coloniaux ne seraient-ils pas opposés au prolétariat des grandes métropoles tant que leurs pays n'auraient pas obtenu l'indépendance nationale ?
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Il est vrai que le capitalisme a créé le marché mondial de façon anarchique et violente, semant partout une quantité d'oppressions et de discriminations de toutes sortes, particulièrement d'ordre national, ethnique, linguistique, etc. ; celles-ci pèsent lourdement sur la conscience des ouvriers de tous ces pays, rendant plus difficile son processus d'unification et de prise de conscience. Il n'en est pas moins erroné et dangereux de prétendre soigner ces maux en aidant à la formation de nouvelles nations, qui non seulement ne sont économiquement pas viables du fait de la saturation du marché mondial, mais en outre ne font que reproduire ces maux à une échelle plus vaste. L'expérience de la "libération nationale" des peuples périphériques de l'empire tsariste fut à cet égard concluante. Les nationalistes polonais se servirent de l'« indépendance » pour persécuter les minorités juives, lituaniennes et allemandes ; dans le Caucase, les géorgiens persécutèrent les arméniens et les abkhazes, les arméniens persécutèrent turkmènes et azéris oui, à leur tour, persécutèrent les arméniens... La Rada d'Ukraine déclara officiellement sa haine contre les russes, les polonais et les juifs... En vérité, toutes ces persécutions ne furent que le pâle reflet annonciateur de l'horrible cauchemar qui s'est développé par la suite dans le capitalisme en décadence. Rappelons simplement l'orgie de massacres des hindous contre les musulmans en 1947, celle des croates contre les serbes durant l'occupation nazie et la vengeance des serbes à la « Libération » de Tito. Que dire des insupportables pogromes nationalistes qui font actuellement baigner dans le sang toute l'Europe de l'Est jusqu'à la Russie asiatique 7 Soyons clairs : la « libération nationale » ne guérit en rien les maux de l'oppression nationale, elle ne fait que les reproduire encore plus irrationnels. On n'éteint pas un incendie avec de l'essence.
Seul le prolétariat, dans son être et par sa lutte révolutionnaire, peut trouver les bases permettant de combattre et dépasser toutes les discriminations engendrées par la société de classe, qu'elles soient de type national, ethnique ou linguistique. «La grande industrie a créé une classe dont les intérêts sont les mêmes dans toutes les nations et pour laquelle la nationalité est déjà abolie, une classe qui s est réellement débarrassée du monde ancien et qui s'oppose à lui en même temps (Marx-Engels, L'Idéologie allemande, « Feuerbach, l'Histoire, IV », p. 90).
La « libération nationale » précipite les couches non-exploiteuses dans les bras du capital
Toujours dans le but de renforcer le développement de la révolution mondiale, les bolcheviks pensaient qu'ils pouvaient gagner à leur cause les couches non exploiteuses de ces nations (paysannerie, certaines couches intermédiaires, etc.) en appuyant la « libération nationale » et quelques autres mesures classiques du programme des révolutions bourgeoises (réforme agraire, libertés politiques, etc.).
Ces couches occupent une position instable et hétérogène dans la société bourgeoise, elles n'ont en tant que telles aucun avenir. Bien qu'opprimées par le capitalisme, elles souffrent cependant de n'avoir pas d'intérêts qui leur soient propres, clairs et définis ; et quand elles s'en trouvent un, il est directement et sans équivoque lié à la sauvegarde du capitalisme. Le prolétariat ne peut les gagner à sa cause en leur offrant une plate-forme basée sur la « libération nationale » ou autres revendications issues tout droit de l'idéologie de la bourgeoisie. Ce faisant, il ne peut que les précipiter dans les bras de la bourgeoisie qui, elle, peut les manipuler avec des promesses démagogiques pour ensuite les lancer contre le prolétariat.
Il faut dire que les points du programme bourgeois auxquels sont le plus sensibles les couches paysanne et petite-bourgeoise (réforme agraire, liberté sur le plan linguistique, national, etc.) n'ont jamais été totalement réalisés par la bourgeoisie. Pire encore, durant toute la décadence du capitalisme, les nations nouvelles ont été incapables d'accomplir le moindre de ces points programmatiques car ceux-ci ne sont, bien évidemment, qu'une utopie réactionnaire impossible à réaliser dans un système capitaliste qui ne tend plus à l'expansion mais bien à des convulsions toujours plus violentes.
Mais cela implique-t-il que le prolétariat doive reprendre toutes ces revendications jetées dans les poubelles de l'histoire par l'évolution historique afin de démontrer qu'il est, pour ainsi dire, plus « conséquent » que la bourgeoisie ? En aucun cas ! Cette façon de voir, qui pesa indiscutablement sur les bolcheviks et sur d'autres fractions révolutionnaires, n'est qu'un résidu mal éliminé des objectifs gradualistes et réformistes qui avaient conduit la social-démocratie à la trahison. C'est une vision spéculative et idéaliste du capitalisme que de penser que le « programme » de la bourgeoisie doit être accompli de fond en comble dans tous les pays pour que l'humanité soit prête pour le communisme. C'est là une utopie réactionnaire qui ne correspond en rien à la réalité d'un système d'exploitation dont la finalité n'est en aucun cas de mener à bien un projet social quelconque, mais simplement d'extirper de la plus-.value. Déjà, durant la période ascendante, la bourgeoisie qui parvenait au pouvoir abandonnait bien souvent son « programme » à peine ébauché pour pactiser avec les restes des vieilles classes féodales ; une fois formé le marché mondial et le système entré dans sa phase de déclin, historique, ce « programme » s'est converti en une grossière mystification.
Le prolétariat, s'il se propose de réaliser le « programme inachevé » de la bourgeoisie, ouvre une brèche dans son propre projet historique révolutionnaire, brèche dans laquelle s’engouffre la bourgeoisie. La meilleure façon de gagner à sa cause les couches non exploiteuses ou, du moins, de les neutraliser dans l'affrontement décisif avec l'Etat bourgeois, est d'affirmer pleinement et de façon conséquente son propre programme. C'est la perspective de l'abolition des privilèges de classe, l'espérance d'une nouvelle organisation de la société qui assure l'existence à l'ensemble de l'humanité, c'est l'affirmation claire et résolue du prolétariat en tant que classe autonome, en tant que force sociale qui se présente ouvertement comme candidate à la prise de pouvoir, c'est l'organisation massive de cette classe dans les Conseils ouvriers.
« Ne pouvant s'assigner comme but celui de constituer de nouveaux privilèges, le prolétariat, lorsqu'il aura détruit la société capitaliste, ne pourra fonder sa classe, ni l'accroître, sur un ensemble de principes qui puissent exprimer des positions économiques. Il ne pourra établir sa base de lutte que sur des notions politiques qui, tout en résultant de son programme particulier de classe - le prolétariat représentant parmi les différentes classes de la société capitaliste, la seule qui puisse construire la société de demain - peuvent entraîner, dans la lutte, les couches sociales moyennes qui n'ont pas un intérêt économique et réel au triomphe de la dictature du prolétariat. (...) Ces classes moyennes ne se rallieront au prolétariat que dans des circonstances historiques particulières où les contradictions du régime capitaliste venant à leur éclosion, et, la classe ouvrière passant à l'assaut révolutionnaire, elles éprouveront le besoin de mêler leurs luttes désespérées à la lutte consciente du prolétariat pour la victoire révolutionnaire. » (Bilan, n° 5, mars 1934, ", "Les principes : armes de la révolution", chap. "Automatisme économique ou conscience de classe").
La « libération nationale » facteur de désagrégation de la conscience prolétarienne
La révolution prolétarienne n'est pas une fatalité découlant des conditions objectives, qui rendrait valable n'importe quelle tactique pourvu qu'on arrive au but. Même si la révolution est une nécessité historique dont les bases objectives ont été fournies par la constitution du marché mondial et celle du prolétariat, elle n'en reste pas moins essentiellement un acte conscient.
En outre, à la différence des classes révolutionnaires du passé, le prolétariat ne possède aucune parcelle de pouvoir économique dans la vieille société ; il est une classe exploitée et une classe révolutionnaire. Ceci fait que les armes dont il dispose pour détruire la vieille société, son unité et sa conscience, sont décisives et uniques dans l'histoire et constituent aussi les bases de la nouvelle société.
Il est, par conséquent, vital pour l'avancée de sa lutte que : «A chaque occasion, le problème que le prolétariat doit se poser, ce n'est pas celui d'obtenir le plus grand avantage, le plus grand nombre d'alliés, mais bien celui de rester cohérent avec le système principiel qui régit sa classe (...)» (Bilan, n° 5, mars 1934, "Les principes : armes de la révolution", chap. "Genèse et développement de la conscience de classe : le parti").
De ce point de vue, le soutien aux « luttes de libération nationale » pendant la période révolutionnaire de 1917-23 a eu des conséquences désastreuses pour le prolétariat mondial tout entier, et pour son avant-garde, l'Internationale Communiste.
A cette époque historique de lutte décisive entre capital et travail, période ouverte par la Première Guerre mondiale, où la seule alternative qui reste est celle de la révolution internationale du prolétariat ou la soumission du prolétariat à l'intérêt national de chaque bourgeoisie, le soutien à la « libération nationale », même conçue en tant qu'élément « tactique », conduit à la désagrégation, la corruption et la décomposition de la conscience prolétarienne.
On a déjà vu que la « libération » des peuples périphériques du vieil empire tsariste n'apporta aucun avantage à la Révolution russe mais contribua, au contraire, à la création d'un cordon sanitaire autour d'elle : un groupe de nations, avec des prolétariats combatifs, avec une vieille tradition, s'est fermé à la pénétration des positions révolutionnaires, creusant un abîme infranchissable entre ouvriers russes et allemands.
Comment est-il possible que les ouvriers de Pologne, d'Ukraine, de Finlande, de Bakou, de Riga, qui avaient été à la tête des révolutions de 1905 et 1917, qui avaient fait surgir de militants communistes aussi clairvoyants et dévoués que Rosa Luxemburg, Piatakov, Jogiches..., aient pu aussi rapidement être écrasés et défaits en 1918-20 par leur propre bourgeoisie et se soient opposés, parfois avec rage, aux consignes bolcheviks ?
Il n'y a pas le moindre doute là-dessus : c'est le poison nationaliste qui a eu une influence décisive. « Le fait qu'en somme la question des revendications et tendances séparatistes nationales ait été jetée au milieu des luttes révolutionnaires, que même la paix de Brest-Litovsk Va amenée au premier plan et estampillée en shibboleth de la politique socialiste et révolutionnaire, a porté le plus grand trouble dans les rangs du socialisme et a ébranlé la position du prolétariat justement dans les pays limitrophes » (Rosa Luxemburg, idem).
La « libération nationale » poussa les ouvriers de ces pays vers le mirage de l’« indépendance et le développement du pays, libéré du joug russe » avec la même force qu'elle les éloigna de plus en plus du prolétariat russe, avec lequel ils avaient partagé tant et tant de luttes, de ce prolétariat qui venait de faire le premier pas dans le combat décisif.
L'Internationale, le Parti communiste mondial, est le facteur clé dans la conscience de classe du prolétariat, sa clarté et cohérence politique sont vitales. Le soutien à la libération nationale joua un rôle décisif dans la dégénérescence opportuniste de l’I.C..
L'I.C. s'est constituée sur un principe central : le capitalisme est entré dans sa décadence historique, la tâche du prolétariat ne peut plus être de le réformer ou de l'améliorer, mais de le détruire : « Une nouvelle époque vient de surgir. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son enfoncement interne. Epoque de la révolution communiste du prolétariat». Cependant, l'appui à la "libération nationale" a ouvert une brèche très dangereuse dans cette clarté de base, il a ouvert la porte à 1’opportunisme car il a introduit une tâche qui appartenait à l'ancien ordre social dans le programme de destruction de cet ancien ordre. La tactique de combiner la lutte révolutionnaire dans les métropoles et la "lutte de libération nationale" dans les colonies et les semi-colonies, portait à conclure que l'heure de la destruction du capitalisme n'avait pas encore sonné, soit en affirmant que le monde était divisé en deux zones (l'une « mûre » pour la révolution prolétarienne, l'autre étant une zone où le capitalisme n'était pas encore développé), soit en reconnaissant sans détours qu'il existe encore des possibilités d'expansion du capitalisme (c'est la seule raison qui permet à des marxistes de parler de possibilité de « libération nationale»).
Ce germe de confusion, cette porte ouverte à l'opportunisme, se développa de plus en plus avec le reflux des luttes révolutionnaires du prolétariat en Europe.
Le parti n'est pas un produit passif du mouvement de la classe, mais un facteur actif de son développement. Si sa clarté et détermination sont cruciales pour le succès de la révolution prolétarienne, ses confusions, ambiguïtés et incohérences contribuent fortement à la confusion et à la défaite de la classe. L'évolution de PIC dans sa position sur la question nationale en est un témoignage.
Le Premier Congrès, qui eut lieu en pleine montée des luttes, se propose comme tâche la disparition des frontières nationales : « Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos, - et ce chaos ne peut être vaincu que par la classe productrice la plus nombreuse, la classe ouvrière. C'est elle qui doit instituer l'ordre véritable, l'ordre communiste. Elle doit briser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, effacer les frontières entre les Etats, transformer le monde en une vaste communauté travaillant pour elle-même, réaliser la solidarité fraternelle et la libération des peuples. » (Plate-forme de PIC)
De même, ce Congrès mit en évidence que les petits Etats sont incapables de rompre le joug de l'impérialisme et ne peuvent que se soumettre a leur jeu : « dans les Etats vassaux et dans les républiques que l'Entente vient de créer (la Tchécoslovaquie, les pays slaves méridionaux, auxquels il faut ajouter la Pologne, la Finlande, etc.), la politique de l'Entente, appuyée sur les classes dominantes et les sociaux-nationalistes, vise à créer des centres d'un mouvement national contre-révolutionnaire. Ce mouvement doit être dirigé contre les peuples vaincus, doit maintenir en équilibre les forces des nouveaux Etats et les soumettre à l'Entente, il doit freiner les mouvements révolutionnaires qui surgissent dans les nouvelles républiques "nationales" et finalement fournir des gardes blancs pour la lutte contre la révolution internationale et surtout contre la révolution russe. » (Thèses sur la situation internationale et la politique de l'Entente). Et, finalement, il démontre que « l'Etat national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l'expansion des forces productives. » (Manifeste de PIC aux prolétaires du monde entier).
On voit là comment le 1er Congrès de l’I.C. jette les bases pour corriger les erreurs initiales sur la question nationale, mais ces jalons de clarté ne vont pas se développer, ils seront peu à peu engloutis par l'opportunisme à cause des défaites prolétariennes et de la difficulté de la majorité de l’I.C. pour avancer dans la clarification. Le 4e Congrès (1922), avec ses Thèses sur la question d'Orient, fera un pas important dans la régression, car : « On exigeait du prolétariat et des paysans qu'ils fassent passer leur programme social après les besoins immédiats d'une lutte nationale commune contre l'impérialisme étranger. On tenait pour acquis qu'une bourgeoisie nationaliste, et même une aristocratie féodale nationaliste, serait prête à mener une lutte de libération nationale contre l'impérialisme étranger, alliées à des prolétaires et des paysans potentiellement révolutionnaires qui n'attendaient que la victoire pour se retourner contre leurs anciens maîtres et alliés et les renverser» (EH. Carr, La révolution bolchevik, T. III, p. 490).
Dans les événements ultérieurs, à la suite de la proclamation du « socialisme dans un seul pays », avec le bastion prolétarien de Russie définitivement défait et intégré dans la chaîne impérialiste mondiale, la « libération nationale » deviendra tout simplement la feuille de vigne des intérêts de l'Etat russe. Mais, celui-ci ne sera pas le seul à utiliser une telle bannière ; tous les Etats concurrents l'adopteront aussi, avec de multiples variantes, mais avec un seul but : la guerre à mort pour le partage d'un marché mondial définitivement saturé. Les innombrables guerres impérialistes déguisées en « libérations nationales » seront traitées dans la deuxième partie de cet article.
Pour systématiser le processus de clarification mené par les fractions de la Gauche Communiste face à la dégénérescence de PIC, Internationalisme, organe de la Gauche communiste de France, adoptait en janvier 1945 une Résolution sur les mouvements nationalistes qui finissait ainsi : « Etant donné que, par sa nature de classe capitaliste, les mouvements nationalistes ne présentent pas la moindre continuité organique et idéologique avec les mouvements de classe du prolétariat, celui-ci, pour gagner ses positions de classe, doit rompre et abandonner tout lien avec les mouvements nationalistes».
Ad, 20 mai 1991
[1] [58] Voir la brochure Nation ou Classe et les articles de la Revue Internationale, n° 4, 19, 34, 37, 42 et 62.
[2] [59] "Thèses, manifestes et résolutions adoptés par les Ier, IIe, IIIe et IVe Congrès de l'Internationale Communiste (1919-1923)", Librairie du Travail, Juin 1934, Réimpression en fac-similé, Maspéro, 1971).
[3] [60] D'un autre côté, la révolution prolétarienne ne peut jamais s'étendre par des méthodes militaires comme l'avait dit très clairement le Comité exécutif des soviets lui-même : <r Nos ennemis et les vôtres vous trompent quand ils vous disent que le gouvernement soviétique russe souhaite implanter le communisme en territoire polonais avec les baïonnettes des soldats de V ** armée rouge*. L'ordre communiste n'est possible que quand l'immense majorité des travailleurs est convaincue de l'idée de te créer avec ses propres forces. » ("Appel au peuple polonais", 28 janvier 1920). Le parti bolchevik chaque fois plus rongé par l'opportunisme, dans un virage vers une fausse compréhension de l'internationalisme, encouragea -malgré une importante opposition en son sein, Trotsky, Kirov, etc.- l'aventure du printemps 1920 qui oubliait complètement ce principe.
La première partie de cet article, parue dans le numéro précédent de la Revue Internationale, en hommage à notre camarade Marc disparu en décembre 1990, évoquait la période de 1917 à la fin de la deuxième guerre mondiale.
«Marc appartenait à la toute petite minorité de militants communistes qui a survécu et résisté à la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière entre les années 1920 et les années 1960, tels Anton Pannekoek, Henk Canne-Meijer, Amadeo Bordiga, Onorato Damen, Paul Mattick, Jan Appel ou Munis. De plus, outre sa fidélité indéfectible à la cause du communisme, il a su à la fois conserver sa pleine confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat, faire bénéficier les nouvelles générations de militants de toute son expérience passée, et ne pas rester enfermé dans les analyses et positions dont le cours de l'histoire exigeait le dépassement. En ce sens, toute son activité de militant constitue un exemple concret de ce que le marxisme veut dire : la pensée vivante, en constante élaboration, de la classe révolutionnaire, porteuse de l'avenir de l'humanité. » (Revue Internationale, n°65)
Cette deuxième partie retrace l'activité de notre camarade au sein de la Gauche communiste de France puis lors de la dernière période de sa vie où sa contribution a été décisive dans la constitution et le développement du CCI.
« INTERNATIONALISME »
La Gauche Communiste de France (GCF) tient sa deuxième conférence en juillet 1945. Elle adopte un rapport sur la situation internationale rédigé par Marc (republié dans la Revue Internationale, n°59, 4e trimestre 1989) qui fait un bilan global des années de guerre. Tout en rappelant les positions classiques du marxisme sur la question de l'impérialisme et de la guerre, notamment face aux aberrations développées par Vercesi, ce document constitue un réel approfondissement dans la compréhension des principaux problèmes affrontés par la classe ouvrière dans la décadence du capitalisme. Ce rapport est à l'image de toute la contribution qui sera apportée par la GCF à la pensée révolutionnaire et dont les différents articles publiés dans sa revue théorique. Internationalisme, nous donnent une idée ([1] [65]). En effet, L'Etincelle cesse d'être publiée fin 1946. C'est la conséquence de la compréhension par la GCF que ses prévisions d'une sortie révolutionnaire de la guerre impérialiste (à l'image de ce qui s'était passé au cours de la première guerre mondiale) ne se sont pas réalisées. Grâce aux leçons qu'elle a tirées du passé, comme la Fraction le craignait dès 1943, la bourgeoisie des pays "vainqueurs" a réussi à empêcher un surgissement du prolétariat. La "Libération" ne constitue pas un marchepieds pour la révolution, mais au contraire, un des sommets de la contre-révolution. La GCF en tire les conséquences et estime que la constitution du parti n'est pas à l'ordre du jour de même que n'est pas a l'ordre du jour l'agitation dans la classe ouvrière dont L'Etincelle se voulait un des outils. C'est un travail comparable à celui de Bilan qui attend les révolutionnaires. C'est pour cela que la GCF se consacre désormais à un effort de clarification et de discussion théorique-politique à l'inverse du PCInt qui, durant des années, sera agité par un activisme fébrile qui aboutira à la scission de 1952 entre la tendance de Damen, plus activiste, et celle de Bordiga (avec qui se retrouve Vercesi). Cette dernière tendance se replie complètement dans le sectarisme et dans une prétendue invariance (en fait, une véritable fossilisation des positions de la Gauche communiste de 1926) qui seront la marque du Parti communiste international qui publie Programma Comunista. De son côté, le PCInt de Damen (qui, majoritaire, a conservé les publications Battaglia Comunista et Prometeo), auquel on ne peut pas reprocher un tel sectarisme à cette époque, se lance dans toute une série de tentatives de conférences et d'activités en commun avec des courants non prolétariens tels les trotskistes et les anarchistes.
Pour sa part, la GCF a maintenu l'esprit d'ouverture qui avait caractérisé la Gauche italienne avant et au cours de la guerre. Mais, contrairement au PCInt qui s'ouvre aux quatre vents et n'est pas très regardant sur la nature de ses fréquentations, les contacts établis par la GCF sont basés, à l'image de ceux de Bilan, sur des critères politiques précis permettant de se distinguer clairement des organisations non prolétariennes. C'est ainsi qu'en mai 1947, la GCF participe à une conférence internationale organisée a l'initiative du Communistenbond des Pays-Bas (de tendance "conseilliste") en compagnie, notamment, du groupe Le Prolétaire issu des RKu, de la Fraction belge et de la Fédération autonome de Turin qui avait scissionné du PCInt dû fait de ses désaccords au sujet de la participation aux élections. Dans la préparation de cette conférence, à laquelle le Bond a convié la Fédération anarchiste, la GCF insiste sur la nécessité de critères de sélection plus précis écartant les groupes, tels les anarchistes officiels, qui avaient participé au gouvernement de la République espagnole et à la Résistance ([2] [66]).
Cependant, l'apport essentiel de la GCF au combat du prolétariat, dans cette période dominée par la contre-révolution, se situe bien dans le domaine de l'élaboration programmatique et théorique. L'effort considérable de réflexion réalisé par la GCF dans ce domaine la conduit notamment à préciser la fonction du parti révolutionnaire, en dépassant les conceptions "léninistes" classiques, ou à reconnaître l'intégration définitive et irréversible des syndicats et du syndicalisme dans l'Etat capitaliste. Sur ces questions, la Gauche germano-hollandaise avait, dès les années 20, fait une critique sérieuse des positions erronées de Lénine et de l'Internationale communiste. La confrontation de la Fraction italienne, avant la guerre, et de la GCF, après celle-ci, avec les positions de ce courant, ont permis à la GCF de reprendre à son compte certaines de ses critiques à l'IC. Cependant, la GCF se montre capable de ne pas tomber dans l'excès de ce courant sur la question du parti (auquel il a fini par dénier toute fonction) de même que d'aller bien plus loin que lui sur la question syndicale (puisqu'à coté du rejet du syndicalisme classique, la Gauche germano-hollandaise préconisait une forme de syndicalisme "de base" s'appuyant, par exemple sur les "Unions"). Sur la question syndicale, notamment, se manifeste toute la différence de démarche gui distingue la Gauche allemande de la Gauche italienne. C’est très rapidement que la première a réussi à comprendre, au cours des années 20, les grands traits d'une question (par exemple sur la nature capitaliste de l'URSS ou sur la nature des syndicats) mais, en faisant l'économie de toute une réflexion systématique dans l'élaboration des nouvelles positions, elle a été conduite à remettre en cause certains des fondements du marxisme ou à s'interdire tout approfondissement ultérieur de ces questions. La Gauche italienne, pour sa part, est beaucoup plus prudente. Avant les dérapages de Vercesi a partir de 1938, elle a le souci permanent de soumettre à une critique systématique les pas qu'elle effectue dans la réflexion afin de vérifier qu'ils ne s'écartent pas du cadre du marxisme. Ce faisant, elle s'est rendue capable d'aller beaucoup plus loin dans la réflexion et d'élaborer, en fin de compte, une pensée bien plus audacieuse, en particulier, sur la question fondamentale de l'Etat. C'est une telle démarche, dont Marc s'était pleinement pénétré au sein de la Fraction italienne, qui lui permet d'impulser l'énorme travail de réflexion effectué par la GCF. Un travail qui conduit également cette organisation à poursuivre 1’élaboration de la position de Ta Fraction sur la question de l'Etat dans la période de transition du capitalisme au communisme de même qu'à donner à la question du capitalisme d'Etat une vision dépassant la seule analyse de l'URSS pour faire ressortir le caractère universel de cette manifestation essentielle de la décadence du mode de production capitaliste.
Cette analyse, on la trouve notamment dans l'article "L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective" publié dans internationalisme n°46 (republié dans la Revue internationale n° 21). Ce texte rédigé en mai 1952 par Marc, constitue, en quelque sorte, le testament politique de la GCF. En effet, Marc quitte la France pour le Venezuela en juin 1952. Ce départ correspond à une décision collective de la GCF qui, face à la guerre de Corée, estime qu'une troisième guerre mondiale entre le bloc américain et le bloc russe est devenu inévitable à brève échéance (comme il est dit dans le texte en question). Une telle guerre, qui ravagerait principalement l'Europe, risquerait de détruire complètement les quelques groupes communistes, et notamment la GCF qui ont survécu à la précédente. La "mise à l'abri" en dehors d'Europe d'un certain nombre de militants ne correspond donc pas au souci de leur sécurité personnelle (tout au long de la seconde guerre mondiale Marc et ses camarades ont fait la preuve qu'ils étaient prêts à prendre des risques énormes pour défendre les positions révolutionnaires dans les pires conditions qui soient) mais au souci de préserver la survie de l'organisation elle-même. Cependant, le départ sur un autre continent de son élément le plus expérimenté et formé va porter un coup fatal à la GCF dont les éléments qui sont restés en France, malgré la correspondance suivie que Marc entretient avec eux, ne parviennent pas, dans une période de profonde contre-révolution, à maintenir en vie l'organisation. Pour des raisons sur lesquelles on ne peut revenir ici, la troisième guerre mondiale n'a pas eu lieu. Il est clair que cette erreur d'analyse a coûté la vie de la GCF (et c'est probablement l’erreur, parmi celles commises par notre camarade tout au cours de sa vie militante, qui a eu les conséquences les plus graves). Cependant, la GCF avait laissé tout un bagage politique et théorique sur lequel allaient s'appuyer les groupes qui ont été à l'origine du CCI.
LE « COURANT COMMUNISTE INTERNATIONAL »
Pendant plus de dix ans, alors que la contre-révolution continue de peser sur la classe ouvrière, Marc connaît un isolement particulièrement pénible. Il suit les activités des organisations révolutionnaires qui se sont maintenues en Europe et reste en contact avec elles et certains de leurs membres. De même, il continue sa réflexion sur un certain nombre de questions que la GCF n'avait pu élucider suffisamment. Mais, pour la première fois de sa vie, il est privé de cette activité organisée qui constitue le cadre par excellence d'une telle réflexion. C'est une épreuve très douloureuse comme il l'exprime lui-même :
« Dans la période de réaction d'après-guerre, ce fut une longue marche dans le désert, en particulier suite à la disparition du groupe Internationalisme après dix ans d'existence. C était le désert de l’isolement pendant une quinzaine d'années. »
Cet isolement se poursuit jusqu'au moment où il réussit à rassembler autour de lui un petit groupe de lycéens qui vont constituer le noyau d'une nouvelle organisation :
«Et c'est en 1964 qu'au Venezuela se constituait un groupe d'éléments très jeunes. Et ce groupe continue aujourd'hui. Vivre quarante ans dans la contre-révolution, dans la réaction, et sentir tout d'un coup l'espoir, sentir que, de nouveau, la crise du capital est là, que les jeunes sont là et, à partir de là, sentir ce groupe pousser peu à peu, se développer à travers 1968, à travers la France et s'élargir dans dix pays, tout cela est vraiment une joie pour un militant. Ces années-là, ces derniers vingt-cinq ans, sont certainement mes années les plus heureuses. C'est dans ces années que j'ai pu réellement sentir la joie de ce développement et la conviction que ça recommençait, que nous étions sortis de la défaite et que le prolétariat se reconstituait, que les forces révolutionnaires reprenaient. Avoir la joie de participer soi-même, de donner tout ce qu'on peut, le meilleur de soi-même, à cette reconstruction, c'est une énorme joie. Et cette joie, je la dois au CCI... »
A la différence des autres organisations dans lesquelles Marc avait milité, nous n'évoquerons pas ici 1 histoire du CCI dont nous avons donné des éléments à l'occasion de son dixième anniversaire (Revue Internationale n°40). Nous nous bornerons à signaler quelques faits mettant en relief l'énorme contribution e notre camarade au processus qui a conduit à la formation de notre organisation. Ainsi, dès avant la constitution formelle du CCI, c'est à lui essentiellement que revient la capacité du petit groupe qui, au Venezuela, publie Internationalisme) (le même nom que la revue de la GCF) de s'orienter vers une grande clarté, notamment sur la question de la libération nationale particulièrement sensible dans ce pays et sur laquelle il subsiste énormément de confusions dans le milieu prolétarien. De même, la politique, que mène Internacionalismo, de recherche de contacts avec les autres groupes de ce milieu, sur le continent américain et en Europe, se trouve dans la droite ligne de celle de la GCF et de la Fraction. Et, en janvier 1968, alors qu'on ne parle (y compris certains révolutionnaires) que de la "prospérité" du capitalisme et de sa capacité à éliminer les crises, que fleurissent les théories de Marcuse sur l’« intégration de la classe ouvrière», que les révolutionnaires que Marc a rencontrés au cours d'un voyage en Europe durant l'été 1967 font, pour la plupart, preuve d'un total scepticisme sur les potentialités de lutte du prolétariat supposé se trouver encore en pleine contre-révolution, notre camarade ne craint pas d'écrire, dans Internacionalismo n° 8 :
« Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n'est pas possible de l'arrêter (...) et qu'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse de développement de la combativité de la classe, qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'Etat bourgeois. »
Quelques mois plus tard, la grève généralisée de mai 68 en France apporte une confirmation éclatante de ces prévisions. Ce n'est évidemment pas encore l'heure d'«une lutte directe pour la destruction de l'Etat bourgeois » mais bien celle d'une reprise historique du prolétariat mondial, attisée par les premières manifestations de la crise ouverte du capitalisme, après la plus profonde contre-révolution de l'histoire. Ces prévisions ne relèvent pas de la voyance mais tout simplement de la remarquable maîtrise du marxisme par notre camarade et de la confiance que, même aux pires moments de la contre-révolution, il a conservée envers les capacités révolutionnaires de la classe. Immédiatement, Marc se rend en France (il parcourt même la dernière partie de son voyage en auto-stop puisque lès transports de ce pays sont paralysés). Il reprend contact avec ses anciens camarades de la GCF et entre en discussion avec toute une série de groupes et d'éléments du milieu politique ([3] [67]). Cette action, comme celle d'un jeune membre d'Internacionalismo venu en France dès 1966, sera déterminante dans l'apparition et le développement du groupe Révolution internationale qui va jouer le rôle de pôle de regroupement à l'origine du CCI.
Nous ne pourrons pas rendre compte, non plus, de tous les apports politiques et théoriques de notre camarade au sein de notre organisation une fois qu'elle a été constituée. Il suffît de dire que, sur toutes les questions essentielles qui se sont posées au CCI, comme à l'ensemble de la classe, sur toutes les avancées que nous avons pu réaliser, la contribution de notre camarade a été décisive. En fait, c'était en général Marc qui, le premier, était amené à soulever les points nouveaux sur lesquels il importait de se pencher. Cette vigilance permanente, cette capacité à identifier rapidement, et en profondeur, les questions nouvelles auxquelles il était nécessaire d'apporter une réponse, de même d'ailleurs que les questions plus anciennes sur lesquelles il pouvait subsister des confusions dans le milieu politique, notre Revue Internationale en a rendu compte tout au long de ses soixante-quatre numéros précédents. Les articles publiés sur ces questions n'étaient pas toujours rédigés directement par Marc car, n'ayant jamais fait d'études et, surtout, contraint de s'exprimer dans des langues, tel le français, qu'il n'avait apprises qu'à l'âge adulte, écrire représentait pour lui un effort très pénible. Cependant, il a toujours été le principal inspirateur des textes permettant à notre organisation d'accomplir sa responsabilité d'actualisation permanente des positions communistes. Ainsi, pour ne citer qu'un des derniers exemples où notre organisation a dû réagir rapidement face à une nouvelle situation historique, l'effondrement irréversible du bloc de l'Est et du stalinisme, la grande vigilance de notre camarade, en même temps, évidemment, que sa profondeur de pensée, ont joué un rôle essentiel dans la capacité du CCI à apporter une réponse adéquate dont les faits n'ont cessé, depuis, de confirmer la validité.
Mais la contribution de Marc à la vie du CCI ne se limitait pas à l'élaboration et à l'approfondissement des positions politiques et des analyses théoriques. Jusqu'aux derniers instants de sa vie, tout en continuant à réfléchir sur l'évolution de la situation mondiale et à faire part, malgré l'effort surhumain que cela représentait pour lui, de ses réflexions aux camarades qui lui rendaient visite à l'hôpital, il a continué également à se préoccuper des moindres détails de la vie et du fonctionnement du CCI. Pour lui, il n'y a jamais eu de questions "subalternes" qu'on aurait pu réserver à des camarades moins formés théoriquement. De même qu'il a toujours eu comme préoccupation que l'ensemble des militants de l'organisation soit capable de la plus grande clarté politique possible, que les questions théoriques ne soient pas réservées à des "spécialistes", il n'a jamais hésité à "mettre la main à la pâte" de toutes les activités pratiques et quotidiennes. Ainsi, Marc a toujours donné aux jeunes militants du CCI l'exemple d'un militant complet, engagé avec toutes ses capacités dans la vie de cet organe indispensable du prolétariat, son organisation révolutionnaire. En fait, notre camarade a su en permanence transmettre aux nouvelles générations de militants toute l'expérience qu'il avait accumulée sur tous les plans au cours d'une vie militante d'une longueur et d'une intensité exceptionnelles. Et une telle expérience, ce n'est pas seulement dans la lecture des textes politiques que ces générations pouvaient l'acquérir, c'est dans la vie quotidienne de l'organisation et avec la présence de Marc qu'ils pouvaient y parvenir pleinement.
En ce sens, Marc a occupé une place tout à fait exceptionnelle dans la vie du prolétariat. Alors que la contre-révolution a éliminé, ou a plongé dans la sclérose, les organisations politiques que la classe ouvrière avait sécrétées dans le passé, il a constitué un pont, un maillon irremplaçable, entre les organisations qui avaient participé a la vague révolutionnaire du premier après-guerre et celles qui seront confrontées à la prochaine vague révolutionnaire. Dans son Histoire de la révolution russe, Trotsky est conduit à s'interroger sur la place particulière et exceptionnelle qu'y a prise Lénine. Tout en reprenant à son compte les thèses classiques du marxisme sur le rôle des individus dans l'histoire, il en conclut que, sans Lénine qui a réussi à impulser le redressement et 1’"armement" politique du parti bolchevik, la révolution n'aurait pu avoir lieu, ou qu'elle se serait soldée par un échec. Il est clair que, sans Marc, le CCI n'existerait pas, tout au moins sous sa forme actuelle d'organisation la plus importante du milieu révolutionnaire international (sans parler de la clarté de ses positions sur laquelle, évidemment, d'autres groupes révolutionnaires peuvent avoir un point de vue différent du nôtre). En particulier, sa présence et son activité ont permis que ne disparaisse pas dans l'oubli mais, au contraire, que fructifie le travail énorme et fondamental effectué par les fractions de gauche, et particulièrement la Fraction italienne, qui ont été exclues de l'Internationale communiste. En ce sens, si notre camarade n'a jamais eu dans la classe ouvrière une notoriété ne serait-ce que comparable à celles de Lénine, de Rosa Luxemburg, de Trotsky ou même de Bordiga ou Pannekoek, et il ne pouvait en être autrement alors que la plus grande partie de sa vie militante s'est passée dans la période de contre-révolution, et justement à cause de cela, il ne faut pas craindre d'affirmer que sa contribution à la lutte du prolétariat se situe au même niveau que celle de ces révolutionnaires.
Notre camarade s'est toujours montré réfractaire à ce type de comparaisons. Et c'est toujours avec la plus grande simplicité qu'il a accompli ses tâches militantes, qu’il n'a jamais revendiqué de "place d'honneur" au sein de l'organisation. Sa grande fierté, ce n'est pas dans sa contribution exceptionnelle qu'il l'a placée mais dans le fait que jusqu'au bout, il est reste fidèle, de tout son être, au combat du prolétariat. Et cela aussi était un enseignement précieux pour les nouvelles générations de militants qui n'ont pas eu l'occasion de connaître l'énorme dévouement à la cause révolutionnaire qui était celui des générations du passé. C'est en premier lieu sur ce plan que nous voulons être à la hauteur du combat que, désormais sans sa présence vigilante et lucide, chaleureuse et passionnée, nous sommes déterminés à poursuivre.
CCI
[1] [68] Les articles d'Internationalisme publiés dans la Revue
Internationale sont les suivants :
" L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective "
(n° 21,2e trim. 1980)
"La tâche de l'heure : formation du parti ou formation des cadres"
(n°32, ler trim. 1983)
"Contre la conception du chef génial", (n° 33, 2e trim. 1983)
"La discipline... Force principale... ", (n° 34, 3e trim. 1983)
"Le 2e congrès du Parti Communiste Internationaliste", juillet 1948 (n°36, ler trim. 1984)
" Rapport sur la situation internationale, GCF, juillet 1945 ", extraits sous le titre "Les vraies causes de la 2e guerre mondiale"
Ainsi que :
" le "Manifeste" de L'Etincelle, janvier 1945, (n° 59, 4e trim. 1989)
"L'expérience russe", (n° 61, 2e trim. 1990)
Ou la série d'articles :
"Critique de « Lénine philosophe » de Pannekoek, Politique et philosophie de Lénine à Harper", (n° 25, 27, 28, 30).
[2] [69] Cette même préoccupation d'établir des critères précis dans la convocation de conférences de croupes communistes a été manifestée par le CCI, contre le flou dans lequel se complaisait le PCInt lors de la Ire conférence tenue en mai 1977. Voir à ce sujet la Revue Internationale n° 10, 13, 17, 22, 40, 41, 53, 54, 55 et 56.
[3] [70] Il a alors l'occasion de manifester un des traits de son caractère qui n'a rien à voir avec celui d'un "théoricien en chambre" : présent sur tous les lieux où vit le mouvement, dans les discussions mais aussi dans les manifestations, il passe une nuit entière derrière une barricade bien décidé, avec un groupe déjeunes éléments, à "tenir jusqu'au matin" face à la police... comme l'avait fait la petite chèvre de Monsieur Seguin race au loup dans le conte d'Alphonse Daudet.
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[26] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/guerre
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[35] https://fr.internationalism.org/rinte66/crise_eco.htm#_ftn9
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[45] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
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[52] https://fr.internationalism.org/rinte66/urss.htm#_ftnref3
[53] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/60/russie-caucase-asie-centrale
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[60] https://fr.internationalism.org/rinte66/nation.htm#_ftnref3
[61] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[62] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/question-nationale
[63] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/imperialisme
[64] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale
[65] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm#_ftn1
[66] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm#_ftn2
[67] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm#_ftn3
[68] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm#_ftnref1
[69] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm#_ftnref2
[70] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm#_ftnref3
[71] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[72] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/marc-chirik