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Revolution Internationale N°12 - novembre-décembre

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Convulsion du capital mondiale et lutte de classe

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Le triomphe du marxisme

Marx constate quelque part que ce n'est que dans les périodes de crise que la bourgeoisie devient intelligente, qu'elle commence à prendre conscience des contradictions insolubles de son économie. Le reste du temps, dans les périodes dites de "prospérité", où les lois du système semblent assurer à celui-ci un développement harmonieux, les différents apologistes du mode de production capitaliste s'empressent de crier sur tous les toits que, grâce à leur "science", ce mode de production a enfin réussi à résoudre tous ses problèmes, que désormais les crises font partie d'une imagerie d'Épinal désuète et qu'un avenir d'infinie sérénité se présente qui mettra enfin un terme à toutes les plaies de la société.

Un tel optimisme était déjà coutumier des économistes bourgeois de la période ascendante du capitalisme quand les crises de surproduction n'étaient pas comme au XX” siècle des crises mortelles, mais de simples crises de croissance, les battements de cœur du système et non des râles de l'agonie. C'est ainsi qu'un grand nombre d'auteurs de cette époque, des plus insipides comme Jean-Baptiste Say aux géants de la pensée comme Ricardo, considéraient que, la production créant son propre marché, les crises générales étaient impossibles, ce qui n'empêchait pas évidemment celles-ci d'arriver tous les 7 ou 11 ans !

Mais l'optimisme dans lequel se plongent avec extase les économistes du XX° siècle à la moindre occasion n'est plus celui d'une classe historiquement progressive, partant à l'assaut de l'avenir, mais bien celui que manifeste le moribond à la plus petite rémission de son mal fatal. Ainsi, par une force d'inertie bien compréhensible, puisqu'elle lui permet de reculer le moment où elle sera confrontée au néant de son avenir, la bourgeoisie par la voix de ses idéologues appointés, se refuse à voir la crise quand elle est devant son nez ou quand elle est déjà plongée dedans.

Ainsi, le 16 Octobre 1929, une semaine avant le "Jeudi noir", le professeur Irving Fischer, une des sommités de l'époque, n'avait pas peur de déclarer :
"Les cours de la Bourse ont atteint un niveau élevé qui semble devoir être permanent". Rappelons que ceux-ci sont tombés de 86 % dans les mois qui ont suivi !

C'est ainsi également, que quand les premiers symptômes de la crise actuelle ont commencé à se manifester de façon évidente vers 1967-68, on a d'abord fait tout un battage autour de "la crise monétaire" qui aurait eu pour cause le vieillissement du S.M.I. mis en place en 1944 à Bretton Woods. Ensuite, toute1'attention de la bourgeoisie et de ses économistes s'est reportée sur ce nouveau serpent de mer que constituait "l'inflation galopante". À ceux qui commençaient à évoquer 1929, le chœur des économistes répondait :
"Mais cela n'a rien à voir ! En 1929, la Bourse s'est effondrée : aujourd'hui, elle tient. En 1929, la production a fait le grand plongeon : aujourd'hui, elle ne cesse d'augmenter. En 1929, les prix ont baissé : aujourd'hui, ils augmentent...et de quelle façon !"

La "crise du pétrole" a servi d'ultime alibi à la bourgeoisie de droite comme de gauche pour essayer de justifier la non existence d'une crise réelle. Mais que dire d'une économie qui serait à la merci, pour les uns, des caprices de quelques "rois du pétrole", pour les autres, de la cupidité d'une poignée de "firmes multinationales" ? Qu'une telle économie est décidément bien vulnérable malgré tous les efforts des États et des organismes internationaux, toutes les ressources de 1'"économétrie", de l'"informatique", etc. qui en avaient fait quelque chose de "moderne", de "rationnel", de "scientifique".

Que les représentants appointés du capital soient restés aussi longtemps plongés dans leur cécité s'explique, comme nous l'avons vu plus haut. Mais ce qui est plus surprenant, c'est que des prétendus défenseurs de la Révolution Prolétarienne aient élevé en système les mêmes illusions que les premiers. Et ceci, quelquefois au nom même du marxisme.

C'est ainsi que "Socialisme ou Barbarie" a mis au point toute une théorie "montrant" que le capitalisme avait réussi à surmonter ses contradictions économiques et que la contradiction fondamentale de la société devenait la division entre dirigeants-dirigés.

C'est ainsi que tous les courants issus plus ou moins directement de ce groupe, qu'il s'agisse d'ICO[1], du GLAT[2], de l'IS[3], de PO-Gauche Marxiste[4] ou des groupes anglo-saxons "Solidarity-London" et "Solidarity-Philadelphia" ont opposé les plus grandes résistances à reconnaître l'arrivée de la crise ou continuent à raconter Ainsi, l'internationale Situationniste, dans son numéro 12, faisait des gorges chaudes sur les "débris du vieil ultra-gauchisme, (à qui) il fallait au moins une crise économique majeure..., (qui) subordonnaient tout mouvement révolutionnaire à Bon retour et ne voyaient rien venir".

De même, le courant "PO-Gauche Marxiste" déversait en 1971-72, une lourde ironie sur les "révolutionnaires qui n'avaient que trop souvent fondé leurs espoirs sur la perspective, présentée comme pierre de touche du marxisme, d'une catastrophe inévitable (et qui) ne semblaient plus que des esprits chimériques enfermés dans des rêves anachroniques"[5].

Quant à "Solidarity" de Londres,- son numéro de Janvier 1974 montre à quel stupide aveuglement ces conceptions peuvent mener :
"L'exemple de l'Angleterre est peu significatif du capitalisme moderne. Il y a le problème chronique de la balance des paiements. Il y a le problème de la sous-capitalisation (sic) et d'une gestion rétrograde. A ces problèmes est venu s'ajouter celui de la hausse des prix du pétrole.(...) Mais ces difficultés spécifiques du capitalisme britannique ne doivent pas être extrapolées, comme elles le sont par tant de révolutionnaires pour signifier une crise économique incontrôlable, du type de celles prévues par Marx, affectant le système dans son ensemble".

Le GLAT de son côté continue à affirmer que la contradiction insurmontable du système réside en l'opposition entre "les rapports sociaux communistes" noués par les prolétaires au sein du capitalisme et "les rapports sociaux capitalistes" issus des rapports de production du même nom. Et de même ce groupe a emboîté le pas aux bourgeois et politiciens les plus réactionnaires pour proclamer que "l'inflation et la crise actuelle tirent leurs origines des augmentations de salaires consécutives à la montée des luttes de la classe ouvrière" (qui elle, sans doute, est un effet du Saint-Esprit !).

"Socialisme ou Barbarie" et ses épigones "ICO", "PO-Gauche Marxiste" et "Internationale Situationniste" sont maintenant morts. Ils n’ont pas pu résister à l'approfondissement de la crise et au développement de la lutte de classe. Quant à "Solidarity" et au "GLAT", leur incapacité à comprendre la réalité actuelle, ou -à simplement en rendre compte,- leur confère un caractère de plus en plus marqué de secte qui ne leur annonce pas un sort meilleur.

Une autre école "révolutionnaire" s'est taillée un certain succès en affirmant que le capitalisme avait surmonté ses crises économiques. C'est celle du professeur Marcuse qui considérait que le prolétariat était intégré et qu'il ne pouvait plus jouer le rôle de classe révolutionnaire, rôle qui devait échoir aux couches marginales (étudiants, noirs, habitants affamés du Tiers-Monde, etc.). Quand on les relit aujourd'hui, ces théories ne peuvent provoquer qu'un grand éclat de rire et fort peu d'intérêt sinon sur le plan des curiosités historiques.

L'heure n'est plus à ces sornettes. Les "rénovateurs" du marxisme se taisent de plus en plus devant la gravité actuelle de la crise dont 1974 a marqué un brutal approfondissement.

Sur le plan de l’inflation, tous les records ont été battus dans la première moitié de l'année 1974 : USA, 11,5%; Canada, 11,5%; Japon, 29,75%; France, 15% ; Allemagne Fédérale, 7,75% ; Italie, 19,5% ; Grande-Bretagne, 16,5%. Pour l'ensemble des pays de l'OCDE, l'augmentation annuelle des prix à la consommation a été multipliée par 3,4 par rapport à la période 1961-71 et ce rapport s'élève à 4,2 pour le Japon, 4,8 pour le Portugal, et... 14,8 pour la Grèce[6].

Mais ce qui est relativement nouveau, c'est qu'un certain nombre de pays, et non des moindres, ont -rangé au musée leur belle croissance du PNB de 1973 pour se plonger dans une - non moins belle récession : USA, -2,75% au lieu de +5,9%; Grande-Bretagne, -6% au lieu de +5,4%; Japon, -6,5% au lieu de +10,3%[7]. De plus, les Bourses qui, jusqu'à présent, n'étaient pas trop secouées et permettaient à nos chers économistes de déverser des sommes d'idioties sur le thème "ce n'est pas 29" se sont mises à plonger à leur tour. Le mouvement, amorcé en 1973, s'est renforcé en 1974, ce qui fait que d'Août 73 à Août 74, la valeur des actions a évolué comme suit : USA, -22,5% ; Canada, -21,2% ; Japon, -19,8% ; France, -30,5% ; Allemagne, -20,1% ; Italie, -16,0% ; Grande-Bretagne, -47,8%[8]. D'ores et déjà, la Bourse de Londres a baissé plus rapidement qu'en 1929-30. Par ailleurs, ces chiffres ne tiennent pas compte de la hausse générale des prix qui ampute d'autant la valeur réelle des actions. En fait, si on raisonne en valeur constante, le prix moyen des actions traitées au Stock Exchange de New-York est tombé de 79% depuis 1968, ce qui n'est pas loin des 86% (toujours en valeur constante puisqu'alors les prix baissaient) de 1929-32[9].

A l'heure actuelle, même les plus crétins des économistes, y compris les lauréats du Prix Nobel, ont compris que la situation était mauvaise. C'est ainsi que Paul Samuelson a pu déclarer avec finesse : "Je vois venir des difficultés, mais elles ne ressembleront pas à celles de 1930-33". Décidément traumatisée à l'idée que la crise actuelle pourrait ressembler à celle de 1929, la revue américaine Newsweek du 30 Septembre 1974 ne consacre-t-elle pas tout un article à essayer de démontrer "Pourquoi ce n'est pas de nouveau 29"[10],(Why It Isn't "29 Again), la bourgeoisie se rend compte de plus en plus que c'est tout de même d'une CRISE dont il s'agit et non de quelconques petits problèmes monétaires ou autres, ce qui fait écrire à ce même numéro de Newsweek :
"...la vérité est que l'économie des USA en particulier, et celle de la plupart des pays du monde occidental en général sont sérieusement malades -et probablement le plus pénible de l'affaire, c'est que personne n'a la moindre idée vraiment nouvelle ou éprouvée sur comment les guérir".

C’est là le cri du cœur de la bourgeoisie ! Avec sa modération d'usage pour ne pas amplifier la panique qui l'envahit, elle montre avoir enfin compris que la situation est catastrophique et surtout QU'IL N'Y A RIEN A FAIRE.

Le président Giscard d'Estaing lui-même, réputé parmi ses collègues des autres pays par ses "compétences" en matière d'économie, n'a-t-il pas récemment déclaré à son tour[11] :
"Le monde est malheureux. Il est malheureux parce qu'il ne sait pas où il va et parce qu'il devine que, s'il le savait, ce serait pour découvrir qu'il va à la catastrophe".

Au fur et à mesure qu'avec les PNB, les Bourses, l'emploi, s'effondrent les illusions de la bourgeoisie et toutes les théories fumeuses qu'elles-mêmes ou ses compagnons de route se proposant de "recommencer la révolution[12]" en dépassant le marxisme, avaient mises sur pied, s'affirme jour après jour avec plus d'éclat, LE TRIOMPHE DU MARXISME qui dès 1848 proclamait le caractère insoluble des contradictions économiques capitalistes, l'inévitabilité de crises de plus en plus profondes et l'enfoncement de la société dans une barbarie croissante.

La crise qui se développe et qui laisse un peu plus chaque jour la bourgeoisie terrifiée face à son avenir, ouvre de plus en plus, par la résistance croissante de , la classe ouvrière qu'elle provoque, la perspective de la solution aux contradictions actuelles de la société : la révolution prolétarienne, là encore, contre toutes les aberrations qui se sont développées sur l'intégration définitive du prolétariat, sur la disparition de son caractère de classe révolutionnaire, au bénéfice d' autres catégories sociales, le marxisme remporte UN NOUVEAU TRIOMPHE : LE PROLETARIAT EST BIEN LA CLASSE REVOLUTIONNAIRE DANS LA SOCIETE CAPITALISTE ET LA SEULE.

C'est parce qu'ils n'avaient pas, à l'image de tant de groupes "révolutionnaires" en mal de "nouveauté", jeté le marxisme aux orties mais en avaient fait leur instrument de compréhension de la réalité que nos camarades du groupe "Internacionalismo[13]" du Venezuela pouvaient écrire dès Janvier 1968, sous le titre : "68, une nouvelle convulsion du capitalisme commence" :
"L'année 67 nous a laissé la chute de la Livre Sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson, la lutte inter-capitaliste s'aiguise rendant chaque jour plus réelle la menace de guerre mondiale, voici que se dévoile la décomposition du système capitaliste, qui durant quelques années était restée cachée derrière l'ivresse du "progrès" qui avait succédé à la Seconde Guerre Mondiale... Au milieu de cette situation, lentement et par à-coups, la classe ouvrière se fraie un chemin dans un mouvement souterrain qui par moments paraît inexistant, explose ici, jette une lumière aveuglante pour s'éteindre subitement et se rallumer plus loin : c'est le réveil de la classe ouvrière, du combat ouvert...
Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les évènements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients, concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n'est pas possible de l'arrêter avec des réformes, des dévaluations ni aucun autre type de mesures économiques capitalistes et qu'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse, de développement de la combativité de la classe qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'État bourgeois
".

Voilà ce qu'écrivaient les marxistes il y a presque sept ans, avant Mai 1968, "le mai rampant" italien, l'insurrection des ouvriers polonais en 1970, etc. et toutes les difficultés économiques qu'on connaît aujourd'hui alors que le devant de la scène était tenu par les jacassements de pie sur "la société de consommation", "la disparition des crises" et "l'intégration du prolétariat".

C'est donc avec le marxisme, que l'histoire impose de plus en plus comme SEULE ARME THEORIQUE DU PROLETARIAT, que nous devons analyser la situation présente de la société et tenter d'en dégager les perspectives.

La situation actuelle pose quatre types de problèmes :

  • A quel moment de la crise se trouve l'économie capitaliste ?
  • Comment se répercute la crise dans les rapports entre les nattons ?
  • Comment se répercute la crise dans la politique interne de chaque nation ?
  • Comment réagit le prolétariat ?

L'étape actuelle de la crise

L'année 1974 marque une étape importante dans l'approfondissement de la crise du capital qui la rend évidente même aux plus optimistes adorateurs du système. Mais les premiers symptômes de celle-ci remontent en fait au milieu des années 60. C'est vers 1964-65 qu'on assiste à un renversement des balances commerciales de la CEE et du Japon qui de négatives deviennent positives. Ce fait signifie que ces pays deviennent capables d'exporter ou, en d'autres termes, que la reconstruction d'après-guerre est terminée. C'est là un évènement d'une importance capitale. En effet, à partir du début du XX° siècle, au moment où les différents blocs impérialistes ont fini de se partager le marché mondial, le système capitaliste est entré dans une phase nouvelle de son développement historique : celle de sa DECADENCE.

Alors que l'époque antérieure était marquée par une formidable explosion des forces productives explosion liée à la conquête de vastes marchés coloniaux et extra-capitalistes (le rôle moteur du marché colonial dans la prospérité de la grande puissance de l'époque, l'Angleterre, n'est plus à démontrer), celle qui s'ouvre avec la première Guerre Mondiale est marquée par le cycle infernal CRISE-GUERRE-RECONSTRUCTION. Si les crises du siècle dernier trouvaient une solution dans les conquêtes de nouveaux marchés liés à une plus grande pénétration coloniale (c'était donc, en quelque sorte, des crises de croissance) celles de ce siècle ne peuvent plus se résoudre de cette façon. Les crises du XX° siècle ne peuvent déboucher que sur un REPARTAGE DES MARCHES EXISTANTS, c'est-à-dire SUR LA GUERRE IMPERIALISTE (ce sont des crises mortelles) et seule la reconstruction des forces productives détruites par ces guerres peut momentanément permettre à la machine économique de se remettre en marche. C'est là la signification des périodes de prétendue "prospérité" qui ont suivi les deux guerres mondiales. Le mécanisme de la reconstruction du deuxième après-guerre étant essentiellement fondé sur un flux presque unilatéral de marchandises et de capitaux des Etats-Unis vers l'Europe et le Japon, flux indispensable à la reconstitution du potentiel productif de ces derniers pays, il est donc logique de conclure que la reconstitution de ce potentiel et sa capacité nouvelle à exporter signifient la fin de la reconstruction et donc de la "prospérité" factice de cet après-guerre.

Cette situation nouvelle provoque immédiatement un ralentissement de la machine économique américaine dont les produits sont de plus en plus concurrencés sur le marché mondial par les produits européens et japonais. Ce n'est que la guerre du Viêt-Nam à partir de 1965 qui permet à ce ralentissement de ne pas se transformer en récession brutale. C'est pour cela que les premières manifestations importantes de la crise n'apparaissent qu'en 1967. Elles frappent un des pays qui a le moins profité de la période de reconstruction pour moderniser son appareil productif : la Grande-Bretagne. Celle-ci, face à un marché mondial de plus en plus encombré et incapable d'affronter la concurrence commerciale des autres pays est obligée de dévaluer la Livre Sterling.

Peu après, ce sont les Etats-Unis qui connaissent leur première crise financière : face à l'hémorragie de capitaux que représente la guerre du Viêt-Nam et que compense de moins en moins un excédent commercial en diminution, le président Johnson est obligé, en Janvier 1968, de prendre toute une série de mesures pour tenter de rétablir la balance des paiements et protéger le Dollar. C'est le début de la CRISE MONETAIRE qui s'accompagne aussi, au niveau international, par une forte poussée de l'inflation et par du chômage sans que ces deux derniers éléments deviennent la préoccupation dominante.

Ce qui est au centre de toutes les préoccupations, de tous les débats des "spécialistes" de l'économie, c'est ce qu'on appelle LA CRISE DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL, mis en place à la conférence de Bretton Woods en 194-A' sur la base de l'adoption du Dollar comme étalon équivalent de l’or (1 once d'or = 35 $). Tous les "spécialistes" jacassent sur la nécessité d'un "nouveau Bretton Woods" qui permettrait d'adapter le système "aux nouvelles réalités".

Dans la petite tête de tous ces experts, l’idée qu’il ne puisse s'agir d'autre chose que d'un problème uniquement monétaire ne trouve pas de place. D'ailleurs n'assiste-t-on pas sur le plan économique à des réussites remarquables ? Après le fléchissement de 1967, 68 et 69 sont en effet des années fastes sur le plan de la croissance et de l'expansion du commerce mondial.

  • S'ils avaient daigné se pencher sur l'œuvre économique de Marx au lieu d'affirmer avec l'assurance de l'ignorance qu'elle est dépassée, ils auraient pu y lire :
    que les questions monétaires dépendent étroitement du processus central de l'économie capitaliste : la valorisation du capital, production et réalisation de plus- value.
  • que les crises économiques connaissent en général deux phases, la première se situant sur un plan monétaire (instabilité et dévaluation des monnaies, hausse des prix, crise du crédit, etc.), la seconde constituant la crise ouverte sur le plan directement économique (engorgement des marchés, effondrement de la production, déferlement du chômage), l'ordre des deux faisant croire à tort aux "experts" que la seconde est conséquence de la première.

C'est effectivement ce schéma qui s'est déroulé dans la présente crise et les années 70 et surtout 71 marquent "le commencement de la fin" des illusions bourgeoises sur la croissance illimitée. Les taux de croissance y connaissent par rapport à la période antérieure, une chute importante : aux USA, -0,18 7» pour la production industrielle en 1971 au lieu de 4,82 7o dans la période 1963-70; en Allemagne, 1,76 7» au lieu de 6,28 7«; en Grande-Bretagne, 1,04 % au lieu de 3,25 %; en Italie, ..1,75 % au lieu de 5,85 7.. Parmi les grands pays occidentaux, seule la France avec 5,67 % et le Japon avec un taux supérieur à 10 7«, semblent échapper à la récession. C'est vers cette époque qu'un certain nombre de "spécialistes" 'parmi les plus lucides commencent à se poser la question "Allons-nous vers un nouveau 29 ?". Mais la situation en 1972 et 1973 fait, taire ces audacieux. Celle-ci se caractérise par une reprise importante de la production (avec 6,09 % en 1972, les USA par exemple connaissent leur taux le plus élevé depuis la guerre). Il est vrai que simultanément les taux d'inflation atteignent des sommets jusqu’alors considérés comme inaccessibles et que cette manifestation de la crise passe au premier plan des préoccupations des économistes, devant même la crise du S.M.I.

L'inflation est un phénomène caractéristique du capitalisme décadent. Elle a pour origine l'immense gaspillage de forces productives que celui-ci a besoin de faire pour se maintenir en vie et réaliser sa ' plus-value : markéting, commercialisation, bureaucratie d'État croissante, armement, etc. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, elle était chronique sous sa forme "rampante", mais le phénomène nouveau de la fin des années 60 et surtout du début des années 70 est constitué par "l'inflation galopante". Celle-ci exprime, outre une augmentation massive des dépenses improductives liées à la montée des tensions inter-impérialistes (Vietnam, Moyen-Orient, Pakistan, etc.), une véritable fuite en avant du système qui tente de suppléer à l'encombrement croissant du marché par une explosion du crédit. L'État, pour payer ses dépenses improductives est le premier à s'endetter, mais l'ensemble de la société s'endette: ainsi, entre 1965 et 1974, la part des dettes dans l'ensemble de la valeur du capital des entreprises américaines passe de 25% à 507.

Ainsi la dette de l'économie américaine s'élève à 2500 milliards de dollars.

C'est ainsi également qu'un ministre brésilien a été amené à avouer[14]:
"Nous ne faisons rien d'autre que d'imprimer de la fausse monnaie pour financer notre expansion. Mais nous sommes bien décidés à continuer tant qu'il y aura des gens pour accepter notre signature.[15]"

Une telle situation de fuite en avant ne peut que conduire au désastre. Ainsi, pour l'ensemble des entreprises américaines, 1e rapport entre les profits bruts et le montant des remboursements de l'intérêt des dettes est passé de 12,5 en 1966 à 9 en 1968, 5 en 1970 et se situe actuellement entre 2 et 3 ; en d'autres termes, les profits du capital suffisent de moins en moins à payer ses dettes. Cet endettement croissant et de moins en moins solvable est à la base de l'approfondissement brutal de la crise à partir de 1974. Bien qu'elles aient servi de catalyseur du mouvement, les hausses de pétrole sont reconnues de plus comme en étant qu'un alibi à la crise actuelle. En fait, la signification des chiffres de l'année 74 est claire : NOUS SOMMES MAINTENANT DE PLEIN PIED ET DE FAÇON OUVERTE DANS LA CRISE DE SURPRODUCTION.

Une question reste cependant posée : allons-nous assister maintenant à un effondrement brutal du type de celui de 29 ? Ce qu'il faut remarquer, c'est que toutes les mesures ont déjà été tentées pour retarder l'échéance; et qu'on ne voit pas bien maintenant quel miracle pourrait tirer l'économie mondiale de cette impasse. Cependant, depuis 1967, le système a montré qu'il n'avait pas perdu les leçons de 1929 et que s'il est parfaitement incapable de trouver une solution à la crise, il peut cependant en ralentir l'évolution. De 1967 à 1974, c'est progressivement que le monde s'est enfoncé dans la crise même si ce rythme est parfois troublé par de brusques secousses comme en 1974. Il est probable qu'avec d'autres secousses éventuelles, ce rythme se maintiendra dans 1'avenir, grâce à une intervention de plus en plus massive des États dans l'économie. Mais cela n'empêchera pas la situation de s'aggraver inexorablement, imposant avec de plus en plus de force la seule alternative possible : GUERRE MONDIALE OU REVOLUTION PROLETARIENNE. 

Le cours vers la guerre mondiale

Les guerres localisées, essentiellement déguisées en guerres de "libération nationale" n'ont pas cessé un seul instant depuis la fin du deuxième conflit impérialiste. Mais c'est au milieu des années 60, en liaison étroite- avec l'aggravation de la situation économique, que ces guerres deviennent de plus en plus fréquentes et violentes : Viêt-Nam, Laos, Cambodge, Biafra, Inde et Pakistan, Moyen Orient et tout dernièrement Chypre... On se demande quel sera le prochain pays à ajouter sur cette liste déjà longue.

Comme dans le passé, l'approfondissement de la crise conduit à une exaspération des tensions inter-impérialistes. Samuel Pisar, un des grands spécialistes des négociations internationales et particulièrement entre l'Est et l'Ouest résume la situation à une formule lapidaire : "Global needs, national means" ("Besoins globaux, moyens nationaux")[16] (1).

C'est là un des problèmes fondamentaux que ne peut résoudre l'économie capitaliste : la crise est mondiale alors que chacun des États doit tenter de la résoudre dans son propre pays et de la faire payer par d'autres. Après la ■ guerre commerciale, la guerre véritable est la conséquence logique de la situation.

Concernant cette aggravation des tensions internationales, il faut remarquer trois points :

1 - Les anciens foyers de guerre n'ont pas disparu alors que de nouveaux ne cessent d'apparaître.

C'est ainsi que périodiquement les journaux, viennent nous rappeler que la guerre n'a jamais cessé en Indochine, qu'elle est toujours prête à se rallumer au Moyen-Orient... C'est ainsi, par exemple, après plusieurs années d'accalmie que la question Kurde fait de nouveau parler d'elle. A l'heure actuelle, elle risque de revêtir une importance fondamentale. En effet, elle touche une région qui, entre la Méditerranée et le Golfe Persique s'étend le long de la frontière de l'Iran et de l'Irak qui sont deux très importants producteurs de pétrole et qui sont soutenus chacun par un des grands blocs : l’Irak par l’URSS, l'Iran par les Etats-Unis. La formidable accumulation actuelle d'armements par l'Iran et qui fait dire à un des proches du Shah que celui-ci se prend tantôt "pour un envoyé de Dieu sur la terre" tantôt "pour la Reine Victoria" en voulant "reconstituer l'empire britannique"[17], cette accumulation d'armements donc, est lourde de menaces pour l'avenir de cette région.

2 - Les blocs se renforcent de plus en plus et laissent de moins en moins de latitude aux nations secondaires qui les constituent. Ce phénomène avait déjà été illustré dès 1968 par 1'intervention russe en Tchécoslovaquie, pays qui tentait timidement de s'affranchir de la tutelle politique et économique de son "grand- frère". Il a été illustré plus récemment par une allégeance croissante de l'Europe Occidentale à l'égard des USA et tout dernièrement par l'affaire de Chypre. Dans ce dernier cas, l'évolution pro-russe de la politique de Makarios a été, sur ordre de Washington, brutalement interrompue par le coup d'État qui l'a renversé. Et la mainmise américaine a été renforcée par l'intervention de l'armée turque. Ces évènements ont montré à quel point les antagonismes nationaux qui depuis toujours opposent les différents États capitalistes, et qui en l'occurrence opposaient la Turquie et la Grèce, ne sont en fait que des cartes du jeu des grandes puissances, et qui, même s'ils sont exacerbés par l'intensification de la crise, doivent toujours céder le pas aux intérêts de celles-ci. Aujourd'hui les différentes tendances centrifuges que la crise fait surgir un peu partout n'ont aucune chance d'entamer la discipline croissante que chaque grande puissance exige de ses alliés dans la préparation des futurs affrontements inter-impérialistes.

3 - De la périphérie, les affrontements inter-impérialistes se rapprochent du centre.

D'abord localisé en Extrême-Orient, se rapprochant ensuite avec les conflits Indo-Pakistanais et du Moyen-Orient, l'affrontement Est-Ouest par petits peuples interposés a fait, avec la guerre de Chypre, un pas de plus vers le cœur du système. Cette fois c'est le contrôle de la Méditerranée qui était en cause, c'est-à-dire de la mer qui baigne à la fois l'Europe Occidentale et les champs pétrolifères du Moyen-Orient, qui est, du point de vue militaire, une des positions stratégiques les plus importantes du moment.

De la même façon que la crise a commencée d'abord par frapper les pays de la périphérie du système (Amérique Latine, Tiers-Monde) et qu'elle s'étend actuellement aux métropoles du capital, les champs d'affrontement des grands blocs impérialistes se rapprochent de plus en plus des centres nerveux de ces blocs.

Cela signifie-t-il que la guerre est maintenant inévitable entre les grands blocs eux-mêmes ?

La guerre est la seule réponse que le système puisse par lui-même apporter à la crise. Mais pour qu'il puisse la mettre en œuvre, Il doit disposer d'un prolétariat suffisamment brisé et mystifié pour que celui-ci accepte de marcher dans les sacrifices de la "défense nationale". Aujourd'hui, les premières atteintes de la crise ont jeté sur la scène historique un prolétariat d'une combativité inégalée depuis plus d'un demi-siècle. Les vieilles mystifications nationalistes et antifascistes ayant fait leur temps parmi les prolétaires des pays les plus avancés, la bourgeoisie est actuellement incapable de la mobiliser contre ses frères de classe des différents pays. Ceci signifie qu'avant que le capital puisse apporter "sa solution" à la crise, il doit d'abord briser le prolétariat. C'est pour cela que la perspective actuelle n'est pas GUERRE IMPERIALISTE GENERALISEE mais GUERRE CIVILE GENERALISEE. Et c'est à cette guerre-ci que la bourgeoisie devra se préparer de plus en plus.

Les préparatifs capitalistes à la guerre civile

N'étant pas marxiste, la bourgeoisie ne peut pas prévoir que la seule alternative à la crise actuelle est GUERRE ou REVOLUTION. Mais de la même façon qu'elle s'est rendu compte de la nécessité de se préparer de mieux en mieux à la guerre impérialiste, elle a pris conscience que la crise l'amènerait à affronter de plus en plus directement le prolétariat. A l'heure actuelle, pour chaque capital national, il n'y a pas 36 solutions pour tenter de tirer son épingle du jeu : il doit réduire le prix de ses marchandises pour prendre le marché de ses concurrents. Et pour ce faire, la bourgeoisie ne peut ni réduire dans ce prix la part revenant au capital constant utilisé, ni rogner sur ses profits qui lui sont indispensables pour rendre son capital plus productif et concurrentiel. La seule chose qu'elle puisse faire, c'est peser sur la composante "capital variable" du prix de ses marchandises : en d'autres termes, attaquer le salaire des ouvriers. Pour elle l'énoncé du problème est donc simple : comment faire accepter à la classe ouvrière une réduction de son niveau de vie ?

Pour que les ouvriers soient prêts à accepter le sacrifice que la situation requiert, il faut donc qu'ils aient l'impression que leur intérêt et celui du capital national sont identiques ; que l'État est d'une certaine façon leur État.

Ainsi, dans les pays du bloc oriental, la propagande officielle ne cesse de répéter aux ouvriers que leur patrie-est celle du socialisme, de la classe ouvrière et donc que la défense de celle-ci passe par la-défense de cette patrie. Et quand les ouvriers font preuve d'une trop grande combativité, comme en 1970 en Pologne, on les gratifie d'un nouveau dirigeant ancien ouvrier comme Gierek qui vient leur montrer ses mains encore calleuses et leur demander au creux de l'oreille d'ouvrier à ouvrier, de reprendre le travail.

Dans les pays occidentaux, c'est la gauche qui sera appelée de plus en plus à demander à la classe ouvrière ces sacrifices.

D'abord son programme de nationalisations, de contrôle étatique plus grand sur l'ensemble de l'économie, plus qu'une fonction économique (qui peut être à certains moments assumée par la droite : au Chili, Pinochet n'a pas remis en cause les nationalisations d'Allende) assume la fonction .politique de faire croire aux travailleurs qu'on s'attaque aux intérêts privés et qu'on est donc beaucoup mieux placé pour lier la classe ouvrière à son capital national que les partis de droite, défenseurs traditionnels des "intérêts privés", et partant.de lut faire accepter bien plus de sacrifices.

Ensuite, les références "ouvrières" de la gauche, ses liens plus ou moins étroits avec les syndicats, en font "la représentante des intérêts ouvriers" au sein même de l'État. Un gouvernement de gauche, par le caractère de sa propagande, par l'origine sociale même de son personnel est une arme importante du capital pour tenter de dissuader les ouvriers de la nécessité de s'attaquer à l'État. Il peut même tolérer un certain nombre d'atteintes aux intérêts capitalistes (expropriations et autogestion en Espagne durant la guerre civile par exemple) du moment que la classe ne se pose pas le problème central de sa lutte : destruction de l'État capitaliste et prise du pouvoir politique à travers ses organes autonomes.

Enfin, la gauche, les partis "ouvriers" sont les mieux placés pour assumer la tâche spécifique de bourreau du prolétariat. Dans une période de montée des luttes révolutionnaires, le capital ne peut pas attaquer immédiatement la classe ouvrière : avant de l'écraser, il doit d'abord détourner sa combativité dans une voie de garage, endormir sa vigilance et la diviser. Dans Les expériences révolutionnaires passées, c'est exactement cette politique que la bourgeoisie a déployée face à la classe. Et si elle a finalement échoué en Russie en étant incapable d'éviter Octobre 1917, elle a pleinement réussi entre 1918 et 1923 en Allemagne où la révolution a été écrasée dans le sang des ouvriers et des meilleurs révolutionnaires (Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, etc.) par le parti social- démocrate lui-même.

Aujourd'hui donc, chaque échelon gravi par la crise et chaque pas en avant de la lutte de classe met plus à l'ordre du jour la mise en place de "solutions de gauche" à la tête des États capitalistes. C'est ainsi qu'on a pu voir en Grande-Bretagne la fonction exercée par le Parti Travailliste dans la liquidation de la grève des mineurs au début de 1974. On a pu voir de quelle façon les syndicats ont été associés à la politique capitaliste contre la classe ouvrière à travers le "contrat social". Cependant la combativité déjà importante des ouvriers anglais, qui risque de s'approfondir en même temps que la crise, oblige les syndicats à "gauchir" leur vocabulaire afin de continuer d'exercer une emprise minimale sur eux. C'est en ce sens qu'il faut interpréter l'entrée d'un militant du parti communiste anglais (Ken -Gill) et de deux militants "gauchistes" (Clive Jenkins- et Jim Slater) à la direction du TUC lors du récent congrès de Brighton.

Dans un grand nombre d'autres pays, le capital prépare la relève de gauche et particulièrement en France, en Italie et en Espagne.

En France le reclassement de toute une partie de l'ancienne majorité derrière l'union de la gauche et particulièrement du Parti Socialiste (Jacques Delors, ancien conseiller de Chaban-Delmas vient de prendre sa carte du PS) s'accompagne de toute une campagne de séduction de la majorité gouvernementale actuelle en direction de François Mitterrand. Dans les milieux politiques, on parle de plus en plus ouvertement d'une équipe Giscard à l'Élysée et Mitterrand à Matignon. Le PCF de son côté, craignant de se faire doubler, a consacré son congrès- extraordinaire à "l'union du peuple de France" et a bien insisté sur le fait qu'il n'existe "aucune limite à l'union populaire".

En Italie, face à une situation économique et sociale inextricable la bourgeoisie se trouve confrontée à des problèmes politiques insurmontables. C'est dans ce contexte qu'on parle de plus en plus du "compromis historique" qui permettrait au puissant parti communiste italien de venir prêter main- forte au gouvernement, à la démocratie chrétienne. Ce parti "communiste" décidément très "réaliste" ne s'est pas gêné pour apporter son appui à Agnelli, directeur de Fiat, quand celui-ci a mis en chômage partiel plus de 60.000 ouvriers de son entreprise.

Ce parti a même réussi à rassurer une bonne partie de la bourgeoisie quant à sa politique extérieure qui se veut aussi européen et même atlantiste que celle de ses acolytes. C'est ainsi qu'Aurelio Peccei, président du "Club de Rome" a déclaré de lui:
"D'un point de vue strictement européen, nos communistes sont sans doute meilleurs que nos chrétiens-démocrates...Je pense qu'en Italie un homme comme Berlinguer peut beaucoup plus facilement que n'importe quel leader non socialiste fixer à l'Europe des objectifs suffisamment vastes, modernes et à long terme"[18].

La grande réconciliation de la démocratie chrétienne et du FCI pourrait se faire autour du thème de l'antifascisme qui aujourd'hui est agité de façon obsédante par toutes les fractions du capital, depuis celle qui est au pouvoir actuellement jusqu'aux gauchistes. Il n'y a pas de semaine sans que se produise un attentat "fasciste" immédiatement monté en épingle, sans qu'on découvre un nouveau "complot" d'extrême-droite, une nouvelle "piste noire".

En Espagne, après-franquisme est déjà en marche et même si le PCE semble pour le moment écarté des plans de la bourgeoisie, un nombre croissant d'anciens dignitaires du régime se tourne vers les partis démocratiques particulièrement vers le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier) dont le récent Congrès de Suresnes (France) a reçu une publicité importante de la part de la presse. Quant au PCE, les ponts ne sont pas coupés entre lui et les milieux qui préparent la relève : ils sont maintenus à travers "la junte démocratique" qui regroupe également Calvo Serrer, ancien directeur du journal "Madrid" et proche collaborateur du Comte de Barcelone, le père de l'actuel successeur désigné de Franco.

Le capital de ces différents pays a les yeux fixés sur le Portugal où justement la relève de gauche vient de s’opérer. Les évènements du Portugal sont particulièrement significatifs de la tendance actuelle à faire de la gauche le "gérant de la crise". C'est d'une part le pays du monde où la droite était la plus forte. D'autre part, c'est une fraction habituellement rétrograde du capital qui - a amené la gauche au pouvoir. Enfin, les évènements qui se sont déroulés depuis le 25 Avril 1974 ont indiqué clairement dans la pratique que la gauche, et particulièrement les PC, est la fraction du capital la mieux armée pour garder en mains une situation de plus en plus insaisissable. C'est la gauche qui au Portugal seule a pu venir à bout des guerres coloniales. C'est le PCP qui s'est révélé le meilleur auxiliaire de l’État et de l'armée pour venir à bout des grèves ouvrières qui se sont prolongées après le 25 Avril et particulièrement pour briser- la grève des postiers et celle des travailleurs de la compagnie aérienne TAP. C'est également le PCP qui s'est montré le plus efficace pour mettre en échec la dernière tentative de reprise en nain par la droite de Spinola fin Septembre, et en même temps pour -mobiliser les ouvriers pour une journée de travail gratuite le dimanche 6 Octobre.

L'autorité manifestée au service de l'ordre capitaliste par le Parti Communiste et le Mouvement des Forces Armées, principaux piliers du gouvernement provisoire a même été saluée par La Confédération de l'industrie Portugaise par un message de soutien à ce gouvernement le 3 Octobre.

La situation au Portugal préfigure ce qui va arriver bientôt dans beaucoup d'autres pays. Elle indique également, partout où ce sera possible, que le capital utilisera le thème de l’antifascisme pour détourner la combativité du prolétariat de ses objectifs de classe. Elle indique enfin que dans cette tâche, les gauchistes seront, comme ils l’ont été au Portugal,- des- auxiliaires de choix pour la gauche officielle.

Face aux grandes manœuvres que le capital développe un peu partout pour pouvoir affronter la classe ouvrière, il faut maintenant tenter de dégager quels problèmes celle-ci sera amenée à affronter dans sa lutte vers la révolution communiste.

Les préparatifs de la classe ouvrière

La grève générale de Mai 1968 en France -la plus grande grève de l'histoire du mouvement ouvrier-, "le mai rampant" italien de 1969 sont les premières grandes réponses que la classe ouvrière a apporté aux premières atteintes de la crise. La puissance de ces mouvements alors que celle-ci était encore relativement faible (ce qui a amené certains à conclure que les grèves n'avaient pas de causes économiques mais correspondaient à une révolte contre "l'ennui de la vie quotidienne") a d'emblée signifié que la perspective immédiate ouverte par la crise n'était pas celle de la guerre mondiale mais celle de la guerre civile.

Ces circonstances placent le prolétariat devant une situation entièrement nouvelle pour lui. • En effet, alors que toutes les révolutions bourgeoises ont fait suite à des crises économiques (1789, 1848, etc.), les tentatives révolutionnaires du prolétariat ont, dans le passé, toujours fait suite à une guerre : Commune de Paris après-guerre de 1870; révolution de 1905 après-guerre russo-japonaise; 1917 en Russie et 1918 en Allemagne, pendant et après la Première Guerre Mondiale. La montée révolutionnaire actuelle de la classe ouvrière est donc la première qui ne viendra pas à l'issue d'une guerre mais directement à l'issue d'une crise économique (telle que Marx l'avait envisagée pourrait-on dire).

Au centre des problèmes posés par la révolution prolétarienne se trouve celui du pouvoir. L'étape fondamentale par laquelle doit passer le prolétariat avant la transformation de la société est celle de la destruction de l'État bourgeois et de la prise du pouvoir politique : les différentes expériences révolutionnaires de la classe n'ont fait que confirmer l'importance de ce problème déjà souligné dans le "Manifeste communiste".

Mais, comme on l'a vu, celles-ci se sont déroulées à la suite de guerres qui ont obligé d'emblée le prolétariat à se confronter à des problèmes politiques et rapidement à se poser la question du pouvoir puisque c'était la seule qui pouvait décider du problème de la guerre.

Par contre, dans la période actuelle, le prolétariat sera confronté d'abord à des problèmes économiques. Sa lutte prendra nécessairement un caractère de plus en plus politique dans la mesure où elle sera obligée de s'affronter de plus en plus à l'État, mais le contenu même de ses revendications restera sur une longue période, économique. En fait les deux problèmes qui seront au centre de la lutte seront celui des salaires et celui du chômage.

Pour pouvoir concurrencer les marchandises étrangères, chaque capital national s'attaquera de plus en plus directement aux salaires, ce qui obligera les ouvriers à développer leurs luttes pour le maintien de leur pouvoir d'achat (contrairement à ce qu'ont pu dire les théoriciens de la "société de consommation").

De même, l'effondrement des marchés et donc de la production jettera un nombre croissant d'ouvriers dans le chômage, chômage dont on peut voir dès aujourd'hui la montée en flèche. Ce chômage risque, à certains moments, d'être un facteur de démoralisation et de recul de la combativité. Parce qu'il prive les ouvriers qui en sont touchés de l'arme de la grève et qu'il permet au capital d'exercer un certain chantage sur ceux qui ont encore du travail, le chômage est certainement une calamité qui désoriente beaucoup d'ouvriers. Mais en même temps, ce phénomène signe la faillite économique du système qui ne peut même plus garantir à la classe travailleuse le plus élémentaire : du travail pour vivre. En ce sens, c'est un puissant facteur dans la prise de conscience prolétarienne de la nécessité de renverser un système qui a fait la preuve évidente de sa caducité.

Si dans une période de recul de la classe, comme celle que celle-ci connaissait en 1929 au moment de la crise, le chômage provoque essentiellement le premier type d'effets sur la combativité ouvrière, c'est essentiellement le deuxième type de conséquences qu'il provoque dans une période de montée des luttes comme c'est le cas actuellement. C'est là une loi qui s'applique plus généralement à l'ensemble des expériences de la classe qui veut que celles-ci se transforment en facteurs de passivité, dé démoralisation et de recul du niveau de conscience ou bien encore en facteurs de plus grande combativité, d'enthousiasme et d'élévation de la conscience suivant le cours général du mouvement ouvrier dans lequel prennent place ces expériences. L'exemple le plus frappant en est celui des défaites. Depuis que le capitalisme est entré dans sa phase de décadence, celles-ci sont le lot quotidien de la classe. Si au siècle dernier, la marge de manœuvre dont disposait le système lui permettait d'accorder aux ouvriers de réelles améliorations quand ceux-ci luttaient, dans l'époque actuelle et surtout maintenant en période de crise ouverte le système est incapable d'accorder quoi que ce soit. C'est pour cela que les luttes ouvrières du XX° siècle aboutissent généralement à des défaites qui deviendront d'autant plus sévères que l'économie s'enfoncera dans le marasme. Mais si, dans les périodes de recul général de la classe, chacune de ces défaites est un degré de plus en plus -descendu dan* la pente qui conduit au gouffre de la guerre impérialiste, dans une période ascendante- chaque- défaite est, pour le prolétariat, un marchepied pour se propulser vers un niveau supérieur de radicalisation et de conscience.

Dans la période actuelle, les luttes économiques que sera conduit à mener le prolétariat seront essentiellement des défaites, défaites qui seront inévitables. Mais ce sont ces échecs qui lui feront comprendre la faillite totale du système, son incapacité à accorder autre chose qu'une misère croissante, donc la nécessité de le détruire. Ils lui feront prendre conscience, face aux tentatives des syndicats et de la gauche d'isoler ses luttes et de les détourner de ses objectifs de classe, de la nécessité de généraliser ses luttes, de se donner, .une forme d'organisation autonome et d'affronter cette gauche et ces syndicats.

Certains prétendent que les luttes économiques sont et seront défaites parce "qu'elles sont des luttes du capital" et qu'il faudrait donc dissuader les ouvriers de se battre sur ce terrain afin de leur éviter ces défaites.

D'autres voudraient également épargner aux ouvriers ces défaites en les faisant se battre pour des "programmes transitoires", des "échelles mobiles", le "contrôle ouvrier" (sur sa propre exploitation ?) etc.

Quel que soit le radicalisme qu'elles puissent afficher, ces deux conceptions tendent, en fin de compte, à démobiliser la classe dans son combat : la première parce qu'elle conduit à dire aux ouvriers : "abandonnez vos luttes actuelles" ; la seconde parce qu'elle tente d'enfermer ces luttes dans un carcan au lieu d'en élargir toujours plus le cadre et le contenu.

Pour notre part, nous affirmons que ces luttes économiques et ces défaites sont une étape indispensable du combat de- la classe vers son émancipation et qu'il n'existe pas de recette magique, de "saut dialectique" ou de revendication miraculeuse pour les éviter. En cela, nous ne faisons que prendre la suite des autres communistes qui dans le passé ont souvent répliqué aux philanthropes qui voulaient faire faire aux ouvriers l'économie de leur lutte contre l'exploitation ou de la défaite. Parmi ces communistes, nous ne citerons que Marx qui déclarait qu'une classe qui ne lutte pas contre l'exploitation de chaque jour ne sera jamais capable de faire la révolution, ainsi que Rosa Luxembourg qui écrivait la veille d'être assassinée par le gouvernement socialiste Ebert-Noske-Scheidemann :
"La révolution est la seule forme de "guerre" -et c'est là aussi une loi de vie qui lui est propre- où la victoire finale ne peut être préparée que par une série de "défaites".

Une des autres grandes caractéristiques de la situation actuelle est, comme nous l'avons déjà signalé, que, contrairement à 1929, le rythme d'approfondissement de la crise est relativement lent. Ce fait a une grande importance sur les conditions dans lesquelles la classe est amenée à réagir à la crise.

Nous avons déjà constaté l'ampleur de ces premières réactions prolétariennes. Elles sont l'indice de formidables réserves de combativité dans les nouvelles générations ouvrières. Mais en même temps, compte tenu de la lenteur même de ce rythme ces réactions tendent à être relativement espacées dans le temps. Un des exemples les plus frappants en est sans doute la lutte de classe en France : il a fallu plus de six ans pour que les travailleurs reprennent, avec la grève des PTT, le chemin des luttes massives qu'ils avaient abandonné en Juin 1968. Entretemps, même si certaines luttes comme celle des OS de Renault, des vendeuses des Nouvelles Galeries, des Ouvriers de Lip, etc. avaient indiqué une radicalisation incontestable de certaines fractions de la classe ouvrière, le niveau moyen de la combativité n'était pas supérieur à celui d'avant 1968. La même situation se rencontre un peu partout : ce qui frappe, dans les luttes actuelles, c'est leur cours en dent de scie, les explosions brusques de combativité suivies d'une longue période d'apathie.

Ces conditions de la lutte font que le prolétariat éprouve les plus grandes difficultés à tirer les leçons de celle-ci. Entre chacune de leurs expériences dans un secteur donné, il s'écoule trop de temps pour que les travailleurs puissent encore réutiliser valablement les enseignements des premières dans les suivantes. Ainsi, les syndicats français qui en 1968 avaient été démasqués et débordés par un certain nombre de travailleurs ont réussi assez facilement par la suite à reprendre les choses en main et à se faire passer dans la grève des PTT comme les véritables défenseurs des travailleurs.

L'exemple est encore plus frappant en Italie : en 1969, la dénonciation des syndicats était devenue un des thèmes majeurs de beaucoup de grèves, aujourd'hui ceux-ci ont "regagné la confiance" de beaucoup d'ouvriers et maintiennent un contrôle important sur la classe.

La difficulté qu'éprouve la classe à tirer les leçons de ses expériences, ne provient pas seulement de l'irrégularité de ses luttes, elle est liée également aux circonstances historiques dans lesquelles se situe la montée actuelle du mouvement. Celle-ci intervient après la plus grande défaite de l'histoire du prolétariat, après une période d'un demi-siècle de contre-révolution -qui a privé celui-ci de la presque totalité de ses traditions quand elle n'a pas converti ces traditions en fétiches contre-révolutionnaires qui l'a privé des moyens mêmes de tirer parti de son expérience et au premier chef de ses partis et fractions communistes.

Et cette carence dans les moyens du prolétariat pour comprendre sa propre lutte est un facteur qui vient amplifier le cours en dent de scie de celle-ci. Pour la grande majorité des travailleurs la défaite qui suit chaque lutte importante est ressentie essentiellement sous cet aspect de défaite sans qu'elle puisse encore en comprendre l'aspect positif d'étape indispensable à ses combats futurs. C'est pour cela que ces luttes sont souvent suivies d'une période assez longue de démoralisation et d'apathie.

Mais il ne s'agit pas là d'un cercle vicieux, d'une situation sans issue. La crise générale du capitalisme ne pourra aller qu'en s'approfondissant contraignant les ouvriers à laisser de moins en moins de répit au capital. Un des exemples les plus frappants en est sans doute la Grande-Bretagne où la situation économique catastrophique - a conduit les ouvriers anglais à un combat continu contre la dégradation de ses conditions d'existence, combat que seule la mystification du gouvernement travailliste a pu momentanément tempérer.

Cette accélération du rythme de la lutte de classe, outre qu'elle permettra une accumulation d'expériences permettra ainsi de tirer un profit grandissant de celles-ci, d'intégrer de plus en plus les acquis de chacune dans la conduite des suivantes et donc d'approfondir le niveau de conscience et d'organisation de la classe.

Dès aujourd'hui, c'est dans un des pays où la lutte contre une des exploitations les plus dures d'Europe se donne le moins de répit, l'Espagne, que le prolétariat s'est également donné les formes les plus combatives et conscientes de cette lutte. Par certains de ces aspects le débordement des syndicats, la solidarité de classe, la pratique courante des assemblées générales, la tendance systématique à la généralisation des grèves d'une usine à l'autre, au niveau d'une ville ou d'une région (Vigo, El Ferrol, Pampelune, Bajo Llobregat, etc.), les affrontements avec les forces de répression -la lutte actuelle des ouvriers espagnols préfigure celle que devront de plus en plus mener les ouvriers du monde entier.

Aujourd'hui, le prolétariat est engagé dans une des plus grandes batailles de son histoire, probablement la plus grande. En face de lui, la bourgeoisie a compris que, plus que tout autre problème, celui que lui posera cette bataille sera difficile à résoudre. C'est pour cela qu'elle est en train de mettre en place les équipes politiques qui au lendemain de la première guerre mondiale lui ont permis de briser la première offensive généralisée de la classe ouvrière.

Depuis 1968, les ouvriers des quatre coins du monde ont répliqué massivement à la crise capitaliste. Mais le faible approfondissement de celle-ci et aussi leur manque d'expérience et de traditions ont permis encore au capital de contenir ces luttes, de les isoler ou de les détourner. Mais de plus en plus les ouvriers du monde entier seront confrontés à des situations comme celles qu'affrontent aujourd'hui les ouvriers israéliens qui ont vu, début novembre leur pouvoir- d'achat agressé sauvagement. Ils seront -alors obligés de reprendre le drapeau de la lutte qu'ils avaient pu ranger momentanément, et ils devront mener au capital un combat de plus en plus constant, profond et conscient.

Avec la misère croissante qui ne manquera pas d'accabler les masses travailleuses, leur vieux cri de guerre redeviendra de plus en plus à l'ordre du jour :

  • "Que les classes régnantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste. Les prolétaires n'y ont à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner".

C.G.


[1] "Informations et Correspondance Ouvrières" venant d'"informations et Liaisons Ouvrières" qui fut une scission de "Socialisme ou Barbarie –(S ou B)" en 1958-59.

[2] "Groupe de Liaison pour l’Action des Travailleurs", issu d'une scission de S ou B en 1958-59.

[3]" Internationale Situationniste", dont un des théoriciens, Guy Debord a fait partie de S ou B avant de cracher dessus de toute la force de ses poumons.

[4] "Pouvoir Ouvrier" : tendance apparue dans S ou B au début des années 60 sur la base de "la défense du marxisme" rejeté par Cardan, pseudo de Castoriadis.

[5] Brochure "Organiser le courant marxiste - révolutionnaire".

[6] D'après "Perspectives économiques de l'OCDE", Juillet 1974.

[7] Idem.

[8] OCDE : Main économie indicators, Octobre 1973 et Octobre 1974.

[9] D'après "TIME" du 9 Septembre 1974.

[10] Article dans lequel on fait intervenir, entre autres différences, que les agriculteurs américains de l'époque étaient ruinés alors qu'aujourd'hui ils sont prospères...

[11] Réunion de presse du 24 Octobre.

[12] Titre d'une série d’articles de Cardan dans "Socialisme Ou barbarie".

[13] Seul groupe de notre courant international existant à l'époque.

[14] Cité par l’"Express" du 21-27 Octobre 1974.

[15] Cette déclaration à elle seule est significative parce qu'elle met à mal toutes les envolées sur la "magnifique expansion" du Brésil qui devint prouver pour certain la possibilité de développer les pays du Tiers-Monde dans la période actuelle.

[16] Cité par l'"Express" du 21-27 Octobre 1974.

[17] Cité par l'"Express" du 21-27 Octobre 1974.

[18] "Le Monde" du 1° Août 1974.

Questions théoriques: 

  • L'économie [1]

Rubrique: 

Crise économique

Le capital français à la dérive

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En France, berceau du rationalisme, le petit bourgeois se plaît à expliquer le monde par de grandiloquents concepts métaphysiques de Droit, de Justice, d'Egalite ou de Liberté. Pour lui, l'échange international sur la base de l'entente loyale réciproque est le plus sûr garant de la marche en avant du progrès. C'est aux nations privilégiées de rivaliser pacifiquement entre elles suit le terrain économique pour faire bénéficier l'humanité entière des bienfaits de leur industrie et hisser toutes les autres à leur niveau par la sainte émulation de la libre-circulation des personnes et des biens.

Se pouvait-il alors qu'un pays qui a légué au monde moderne l'impérissable testament de la bourgeoisie triomphante, la "Déclaration de l'Homme", essaimé sa brillante civilisation sur les Cinq Continents, la France qui a montré aux autres nations l'image de leur propre avenir, puisse connaître les affres de la crise comme le dernier pays colonial ou semi-colonial ? "Que diable ! s'écrie notre buveur de camomille, la Touraine n'est pas le Sahel. Le peuple français qui a émerveillé le monde par les constructions de son génie doit être payé en retour; la voix de la France continuera à tonner dans les instances internationales pour faire respecter l'esprit des accords mondiaux ou alors gare à notre armée."

Il était si convaincu de l'universelle confiance placée par les peuples civilisés dans l'idéal français, il avait tellement nourri ses pensées de cette creuse philosophie que la réalité lui apparaît comme un maléfice jeté dans le dos de la démocratie française par quelque puissance occulte, en occurrence l'arabe qui surenchérit le prix du brut. Il ne peut plus dès lors se mettre au lit sans entrevoir aussitôt des places noires de monde, des ouvriers qui disputent la rue aux forces de police, bref le spectre de la sociale. Et de s'assurer que le verrou de son huis le protège vraiment des "partageux".

Si notre petit bourgeois, qui n'habite pas forcément les beaux quartiers, se trouve être membre "d'un parti pas comme les autres", il verra dans les malheurs de sa patrie la main des multinationales, ces forces étrangères à la nation, et, auxquelles se trouvent honteusement subordonné le gouvernement. "Que la France commerce avec les pays socialistes ! Qu'elle resserre les liens d'amitié qui lient notre peuple aux nations progressistes ! Et nous pourrons repartir de l'avant d'un nouveau pas" sera son cri du cœur, sa charte économique du bon sens et de la bonne volonté.

Mais aucun de ces deux citoyens respectueux de l'ordre capitaliste ne veut savoir que la contradiction .entre le développement de la production et le rétrécissement des marchés, forment une chaîne indestructible qui ne trouvera pas son Pinel parce que cette fois elle n'attache plus quelques malheureuses victimes de l'ordre asilaire, mais des pays dépendants tous des conditions mondiales dominantes.

De "droite" ou de "gauche", c'est le dénominateur commun de la bourgeoisie de voir, impuissante, son organisation sociale partir à la dérive, et ce en dépit de toute sa formation technique et intellectuelle acquise au cours de plusieurs siècles de pouvoir politique imposé soit par le knout, soit par des lois démocratiques "d'avant-garde". Cette faillite idéologique s'exprime avec force dans la science économique par un retour stérile à l'école keynésienne ou à opposer à celle-ci la rivale monétariste, l'une et l'autre incapables de saisir, dans toute leur ampleur, les tenants et les aboutissants d'une crise qualifiée "de civilisation". Toute intelligence de ce qu'est vraiment l'économie politique abandonnée pour un empirisme vulgaire, la vénérable Académie Royale de Suède couronnera la recherche économique de deux parfaits imbéciles au lieu de leur remettre le bonnet d'âne mille fois mérité, le suédois Myrdal et l'autrichien Von Hayek.

La première de ces deux lumières a écrit une bibliothèque pour expliquer la chose suivante : "L'un des dangers de l'inflation vient de l'irritation qu'elle provoque entre le mari et la femme, le travailleur et l'employeur, les citoyens et le gouvernement". Le second expose, avec tout le sérieux requis par sa fonction sociale, les thèses qui lui ont valu de partager le prix Nobel d'économie avec la première cité. Elles ne sont pas moins grotesques : "À chaque époque, il existe une proportion idéale entre la valeur des biens de production investie et celle des biens de consommation. Cette proportion idéale dépendrait, dans un système d'épargne volontaire, de la seule abstinence des individus" pour conclure à l'impossibilité du socialisme car pour ce plumitif, les tendances socialisantes portent la responsabilité des fascismes que les politiciens auraient dû empêcher en organisant le système libéral".

Tels sont les brevets de maîtrise intellectuelle décernés par les Harvard, Cambridge et les London School of Economies.

LA CRISE MONDIALE EN FRANCE

Chez certains "marxistes" à la vue basse, on en est encore à parler de crise de l'automobile, de crise de l'aéronautique, de crise du textile, de crise du bâtiment, de crise céréalière et, ainsi de suite jusqu'à l'infini. En outre, ce qu'ils ne peuvent comprendre, c'est l'impossibilité pour chaque fraction du capital de ' se détacher les unes des autres pour vivre une paisible robinsonnade autarcique.

Ainsi, le tassement intervenu dans la zone d'échanges commerciaux de la CEE au premier semestre de l'année 1974 était consécutif à la baisse prononcée de la production américaine et japonaise. Il faudrait que s'y produise le renversement d'un tel cours pour que la croissance française se ressaisisse. Et même si c'était le cas, le rythme de reprise s'élèverait tout au plus à 3,6% comme le prévoit le B.I.P.E.(Bureau d'information et de Prévisions Économiques). Mais en raison d'un chômage qui a crevé le plafond des 7% de la population active américaine, des 4 millions de chômeurs dans les pays de la CEE, cette perspective appartient au domaine des illusions.

Comment progresse la crise en France, pays membre de la CEE, nous le voyons au moyen de la bourse même si c'est au travers d'un prisme déformant. Depuis les huit premiers mois de l'année, l'hémorragie des valeurs continue sans qu'aucun garrot d'urgence n'ait pu arrêter le flot, et les observateurs boursiers notent un recul de l’indice général de 35%, au plus bas depuis une dizaine d'années. En raison des incertitudes générales planant sur les chances de reprise de la croissance "Industrielle, du progrès de l'inflation, des valeurs qui hier encore intéressaient d'éventuels investisseurs se raréfient. De cela ressort que le chancre inflationniste a entamé, en profondeur, des gains de productivité obtenus par une augmentation d'appropriation du surtravail. C'est pourquoi l'écroulement de la plupart des titres notamment ceux des sociétés Michelin, Moulinex, Poclain, auparavant vedettes du hit-parade boursier conduisent cambistes et actionnaires à multiplier les allusions à la crise de 1929. Lorsque l'ensemble des opérateurs en vient à parler de créer une "Croix Rouge" internationale des banques, c'est que le seuil de dislocation du marché mondial n'est pas loin.

Au Printemps "des barricades", à la grève généralisée du Mai 1968 avait succédé une vigoureuse reprise industrielle : les entreprises françaises se classaient parmi les quarante firmes européennes les plus rentables en 1972; sur les 105 entreprises mondiales réalisant un chiffre d’affaires au moins égal à deux milliards de Dollars, 9 étaient nationales, c'est-à-dire autant que le Japon et le Royaume-Uni. Durant une courte période au début de 1973, la France était parvenue à occuper le troisième rang mondial des pays exportateurs, derrière les Etats-Unis et l'Allemagne Fédérale, devant le Japon. Le taux de couverture des échanges passait de 100% en 1967 à- 104% en 1973. D'importantes restructurations opérées dans l'appareil de production, peu après la décolonisation, expliquerait en partie cette progression. (Péchiney-Ugine-Kulhman, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson).

A présent, s'agit-il de crise de "reconversion", de "crise passagère", ainsi que quelques manitous de l'idéologie dominante s'efforcent de l'accréditer ? Aucune véritable comparaison ne peut être établie avec la récession passagère des années 1957-60, corollaire de l'inévitable décolonisation, récession qui devait provoquer la fermeture de mines, d'usines textiles, le marasme local ou même régional. Il s'agissait à cette époque d'une refonte de l’appareil reproductif décidée par les représentants de pointe du patronat et de la haute administration français. Sous le capitalisme dirigiste, où l'État se donne les- moyens d'exercer la planification, de la prévision, la restructuration ne constitue pas une raison de crise réelle. La bourgeoisie continue d'avoir bien en mains les secousses qui s'en dégagent.

Qu'il fasse de la "mono" ou de la polyculture, qu'il produise des biens de consommation ou des biens de production, le paysan et l'entrepreneur industriel sont également touchés par une crise qui tient en ceci : la fin de la période de reconstruction d'après-guerre. Face à elle, aucune couche sociale ne se trouve être immunisée, aucun secteur d'activité ne peut s'y soustraire. La crise est générale à tous les pays, et, de son caractère véritablement international dépend l'avenir de la société humaine : ou guerre ou révolution prolétarienne.

Les faciles rodomontades du genre : "La France n'a pas de problème d'emploi global et notre taux de chômage est l'un des plus faibles au monde" faites par Fourcade lors de la présentation du budget de l'État le 19 Septembre, ou encore celles de Poniatowski déclarant au journal "Newsweek" : "En 1969, nous sommes parvenus, et sur la base de prévisions, à rattraper l'Angleterre" ont la clarté du borgne en voyage au royaume des aveugles. La difficulté grandissante de la bourgeoisie à travestir les faits introduits dans la "vie économico-sociale pour la bouleverser, l'amène à parler un langage social différent. Ceux-là mêmes qui élevaient du plus profond de leur poitrine d'idéologues des alléluias pour célébrer le "miracle français", son cortège d'augmentations constantes de la production, des profits du capital, se mobilisent sur l'heure pour se faire les apôtres d'une nouvelle règle de vie à la Spartiate. Leur fonction d'endormeurs de la classe ouvrière demeure au-delà de leur spécialisation idéologique du moment. .

Une énième fois, la vision marxiste triomphe sur le cadavre de ses détracteurs et, pour les petits maîtres poussés sous la serre universitaire, la pilule est amère.

Autre tarte à la crème pour régaler les gogos : la hausse du prix du pétrole a entraîné une formidable poussée inflationniste. Or, l'incidence de cette hausse, qui somme toute ne représente qu'un épiphénomène du marché mondial est comprise entre 2 et 2,5% sur une augmentation générale des prix à la consommation de 16%. Il s'agit donc, à un moment où le taux de couverture est descendu à 90%., de rééquilibrer la balance commerciale. Certes, une économie de 10% de la consommation pétrolière épargnerait 5 milliards de Francs à l'économie française, mais désorganiserait la production industrielle et agricole à tel point que le capitalisme devrait retourner en arrière. Le fardeau de la politique énergétique malthusienne sera donc rejeté sur les épaules de la classe ouvrière.

Le gouvernement prépare l'opinion à un rationnement de la consommation énergétique par la généralisation d'un plan de répartition appliqué dans l'hiver 1973 un première fois à 73 départements métropolitains. Dans son discours devant l'association de presse anglo-américaine du 19 Septembre, M. Chirac a apporté d'utiles précisions quant aux intentions gouvernementales: "...Mobiliser l'opinion publique contre le gaspillage d'énergie de façon libérale ce qui est notre vocation, de façon autoritaire ce qui est notre devoir". La solidarité nationale, ce mot que la bourgeoisie ressort chaque fois qu'elle s'avère incapable de se maintenir solidement dans son rôle de classe dominante de la société et d'imposer les règles de l'accumulation, voudrait que la classe ouvrière s'adapte à des mesures dites "consignes de lutte contre le gaspillage" acceptant du coup de voir son standard de vie directement attaqué. Sinon, ce sera la matraque du flic qui s'abattra très démocratiquement sur elle.

Si en 1973, le solde de la balance commerciale faisait apparaître un gain de 1500 millions de Dollars (36000 et 34500), fin 1974 il y aura un déficit de l'ordre de 4050 millions de Dollars (44950 et 49000). C'est pourquoi les programmes de redressement économique portent en priorité sur l'effort à l'exportation. La bourgeoisie l'a annoncé par la voix de son actuel ministre des finances, M. Fourcade. Traduit en langage marxiste, cette invite plusieurs fois réitérée, est synonyme de "retroussez vos manches !" et du "serrez-vous la ceinture !", car, le rétablissement de l'équilibre implique l'exportation de toute augmentation de la production et non sa consommation pour satisfaire les besoins intérieurs. Comparativement avec' la stratégie de relance, espérée quelques semaines plus tôt dans une allocution présidentielle pour retourner la conjoncture le contraste est énorme. C'est le moins qu'on puisse dire.

Des idéologues de la bourgeoisie en viennent à parler un langage typiquement maoïste : "Dans la période de transition qui s'imposerait, compter sur ses propres forces serait absolument essentiel" dixit C. Goux, ci-devant professeur à l'université de Paris-I et à qui le très sérieux "Monde Diplomatique" offrait l'hospitalité de ses colonnes dans son dernier numéro de Novembre 1974.

Comment l'intervention d'un Giscard d'Estaing pourrait-elle arrêter l'incendie dès lors que les conditions de fonctionnement antagoniques de la société renforcent leur caractère. La bourgeoisie française soumise à une rude loi économique dont elle reste l'objet, prend les dispositions rendues nécessaires par l'accentuation de la crise. Mais cette fuite en avant la conduit à une impasse : voulant chasser une inflation consécutive au lancement de travaux improductifs par la porte, elle fera rentrer le chômage par la fenêtre. ' Si besoin était, les compressions drastiques des dépenses courantes de l'Etat (1,6 milliards de Francs de crédit inscrits au Fonds d'Action Conjoncturelle et, 1 autre milliard de Francs sans étiquetée précise ne seront pas débloqués cette année), l'irréversible tendance à la stagnation démontre l'incapacité de la bourgeoisie à résoudre les contradictions immanentes au capitalisme et, dans lesquelles elle se débat en pure perte.

Il suffira que moins d'équipements soient réalisés par les grandes entreprises nationalisées, telles que la SNCF, les PTT, l'EDF..., que ce qui devait être renouvelé en temps utile serve jusqu'à la corde, pour que certains "marginaux" se croient autorisés à parler de succès des thèmes écologiques, de préservation des ressources de la nature, de sauvegarde de la qualité de la vie et autres bobards, de concert avec la bourgeoisie favorable à donner un tour de vis supplémentaire.

"De toute manière, la crise n'est pas de conjoncture. Elle constitue un avertissement: les ressources de la planète sont limitées. Il faut donc, de gré ou de force, réduire nos importations, c'est-à-dire renoncer au gaspillage. Cette nécessité économique rejoint les exigences de l'environnement puisque toute la dégradation du milieu de vie est finalement du gaspillage" (souligné par nous. N.d.R.) expliquera en substance M. Gruson, sous-fifre du Ministère de la Qualité de la Vie.

L'ACCROISSEMENT DU CHOMAGE EST UNE FATALITE DU CAPITALISME DECADENT

Dans la période ouverte avec l'irruption de la crise des débouchés, la bourgeoisie est contrainte de refuser de s'encombrer d'entreprises en difficulté. Que l'État modifie sa politique de subvention financière, qu'il brandisse ses foudres de guerre économique, à savoir la restriction du crédit et la fixation d'une taxe conjoncturelle, et c'est le surgissement en nombre des faillites. Pour en savoir plus long sur cette dernière décision qui a provoqué la levée de boucliers des PME, il faut écouter quelqu'un qui ne mâche pas ses mots, M. A. Roux, vice-président du CNPF : "On peut se demander si l'on ' n'a pas fait preuve d'une pudeur excessive à tourner autour du pot alors qu'on aurait pu envisager simplement une taxe sur les augmentations de salaires abusives."

Leur président, M. Gingembre a beau rappeler la tradition libérale de l'économie française, protester auprès des pouvoirs publics comme un diable trempé dans un bénitier, descendre dans la rue entourée de ses troupes, n'empêche, à brève échéance, les PME finiront dans l'étouffement d'un crédit toujours plus rarissime et plus cher. Le temps où celles-ci pouvaient faire appel au capital financier, au crédit-bail dont la formule connaissait le succès que l'on sait, est révolu. Quand bien même les dirigeants des PME menaceraient de fermer leurs entreprises le 25 Novembre, le gouvernement n'entend nullement relâcher son étreinte. Bloch-Lainé, PDG du "Crédit Lyonnais" ne vient-il pas d'être sanctionné pour s'être cru au-dessus de la solidarité gouvernementale ?

Il reste que seules les grandes entreprises placées en situation de force sur un marché mondial pris de convulsions continueront à recevoir des crédits en augmentation de façon à consolider leur capacité concurrentielle. Tout naturellement, les dépenses de l'État-patron iront vers les entreprises nationalisées et publiques. Une partie de leur financement sera assuré par la hausse de leurs propres tarifs et, par des emprunts sur le marché .financier international. D'ores et déjà, tout ce que le pays compte de politiciens en place ou y aspirant a entrepris de flatter l'instinct à l'épargne du petit bourgeois français à qui est promis un taux d'intérêt indexé sur l'inflation.

En conséquence, on est largement en droit de s'attendre à une rapide crue de l'armée des sans travail, forte aujourd'hui de 630.000 unités :

  • de Juillet 1973 à Juillet 1974, le chômage s'est accru de 15%, les offres d'emploi ont diminué de 25% pour le seul mois de Septembre, 100.000 travailleurs ont été rejetés de la production parce que sans utilité pour l'appétit d'accumulation de la bourgeoisie.
  • dans les PME, dont les carnets de commandes se situent au plancher, le dépôt semestriel de bilans aura été de 8000, soit 23% de plus que durant une même période l'an passé.

Qu'est devenue l'industrie de construction automobile longtemps considérée comme l'épine dorsale et l'ambassadeur de la croissance industrielle française avec ses deux millions de salariés et des centaines d'entreprises sous-traitantes si ce n'est le malade qui donne des signes de faiblesse les plus inquiétants. Citroën ne pourra survivre que dans une association de type holding avec Peugeot. A ce jour, 1'exportation d'automobiles françaises qui avait atteint son maximum au cours du premier semestre 1974 a commencé sa chute et, sur le marché national par rapport à L'an passé, les préfectures ont enregistré une baisse d'immatriculations de 25%.

L'agriculture, le secteur des biens de consommation, la petite mécanique sont les branches touchées de plein fouet par la crise. Non parce qu'il y aurait une faillite de gestion mais parce que les partenaires de la France doivent, pour faire solder la crise aux travailleurs qu'ils tiennent sous leur coupe, cesser d'importer ces marchandises dont la France est grande exportatrice. Dans la longue liste des entreprises en difficulté on trouvera encore l'aéronautique qui n'a pas ' su se tirer de sa mauvaise- passe malgré les faramineuses commandes passées par l'industrie d'armement. Là, le directoire de la SNIAS a eu recours à un véritable tour de prestidigitation : le transfert des activités traditionnelles dévolues aux usines de Tarbes et de Bourges à celles de Toulouse afin d'y maintenir le niveau de l'emploi.

Avec une rapidité ignorée depuis bien des lustres, le chômage partiel ou total, est en train d'étendre ses ravages sur l'économie française, inéluctabilité engendrée par le capitalisme à sa période de décadence. Ce qui est fondamental, c'est qu'en fonction du caractère non cyclique mais permanent de la crise, ces centaines de milliers de chômeurs ne forment pas une armée de réserve dont les éléments pourraient retrouver leur place à l'usine à la -suite d'un nouvel essor du capitalisme. L'incertitude et, l'instabilité auxquelles l'exploitation capitaliste soumet le travail vivant n'a pas cessé de se renforcer. Ce qui est véritablement à l'ordre du jour est bien : "le combat ou la mort; la lutte sanguinaire ou le néant. C'est ainsi que la question est véritablement posée;" (Marx) car le capitalisme a cessé d'être un mode de production progressif.

A-t-il raison, le patronat d'espérer venir à bout de la classe ouvrière en agitant sous ses yeux l'épouvantail de "la crise ? Si lors de la dépression mondiale des années - 30, il était possible à la bourgeoisie de diviser le prolétariat en profitant au maximum de sa faim, de désamorcer la bombe sociale en jouant sur le réflexe d'autoconservation individuelle, cette perspective est sans objet. Aujourd'hui, la période est à la reprise mondiale de la classe, le prolétariat européen a conservé intact son potentiel de lutte qui, à tout moment peut embraser l'ordre capitaliste.

Contre l'attente de l'État, loin d'avoir levé un vent de panique chez les travailleurs, les menaces de licenciement, les réductions d'horaires sans compensation de salaire ont, au rebours, déclenché le regroupement combatif de leurs forces. Les risques de réaction brutale de la classe ouvrière demeurent trop réels pour que l'État se heurte de front à ses conditions d'existence. Jusqu'ici, la tactique de la bourgeoisie a été de procéder par petits paquets, et promettre des allocations de secours aux ouvriers chassés des usines.

Une chose est certaine : le refus de l'État à entretenir une force de travail désormais superflue puisqu'il n'y trouve plus le profit es- compté. Ce qui était possible de faire avec deux cents ou trois cents mille chômeurs ne l'est plus une fois franchi le cap des deux millions. Alors que, le triomphe facile, les syndicats claironnaient "victoire" (!) sur l'accord du 14 Octobre, le gouvernement n'a pas tardé à préciser qu'il laisserait presque entièrement à la charge des employeurs et des salariés le financement de la garantie des ressources aux chômeurs. L'allocation ne serait pas relevée de 10 à 16 Francs pour qu'elle soit au même niveau que l'allocation minimale de 1'UNEDIC.

Avant même d'avoir, pu chloroformer les travailleurs, le sens réel des accords patronat- syndicats relatifs à l'assistance apportée aux chômeurs s'est dissipé en fumée, ne pouvant plus cacher l'abandon de centaines de milliers de travailleurs, de femmes sans emploi, de jeunes à la recherche pour la première fois d'un travail. Qu'ils se fassent une raison eux pour qui les causes de leur souffrance sont d'ordre "démographique", "sociologique", comme l'a souligné Monsieur Durafour, Ministre du Travail, devant la sénile Assemblée Nationale.

Le capitalisme qui, sans lésiner, accorde droit d'asile, droit à la contraception, droit de vote à dix-huit ans a fait de toutes ces catégories de prolétaires de véritables parias. Ils ne recevront d'aide matérielle de personne si ce n'est de leurs familles, ceci parce que pour le prolétariat, seule classe non exploiteuse de la société, la fraternité n'est pas un mot creux et sournois mais sa véritable forme d'existence sociale.

LA POLITIQUE CAPITALISTE DU "PROGRAMME COMMUN"

On - aurait tort de croire qu'en décidant les grèves pour la défense de l'emploi -ou en les prenant en marche- les syndicats cégétistes et cédétistes luttent pour le maintien du niveau de vie de la classe laborieuse. Sous le leitmotiv d'empêcher "le démantèlement des établissements nationalisés", de fait ils veillent en cerbères à la défense de la Nation, de son économie, de son capital. Le sentiment que la défense des intérêts des travailleurs passe par celle de l'économie nationale est un poison que les staliniens distillent dans la classe ouvrière pour la river plus solidement à la galère capitaliste battue en brèche.

Toute la gauche mène campagne contre la "braderie" de l'économie nationale, contre la dépendance française à l'égard de la puissance américaine qui, après la disparition de De Gaulle, a pu augmenter ses apports de capitaux, ses prises de participation dans l'industrie hexagonale : 4 milliards de Francs de 1969 à 1971. N'est-il pas dans l'ordre des choses que l'autre grande famille de patriotes français, le gaullisme, lui emboite le pas ? Que Marchais se découvre devant la mémoire du général dont le nom reste attaché "à la fierté nationale recouvrée" ?

Qui analyse la politique du parti soi-disant communiste y verra une volonté forcenée de maintenir la classe des esclaves salariés sous la domination du capital, quel qu'en soit le prix payé par le prolétariat : "Après beaucoup de misères, souffrances et cadavres abandonnés sur le champ de bataille de 1'industrie"(Marx). Pour ces modernes marchands de chair humaine, il faut prouver, chiffres en main, la rentabilité des entreprises depuis les usines Coder jusque et y compris aux plus infâmes boyaux de mines lorrains. Des mains sclérosées d'une autre fraction de la bourgeoisie, ils ont recueilli le credo de la religion du capital : stimuler l'appétit d'accumulation en flétrissant toute consommation individuelle ne venant pas renforcer l'appareil de guerre économique. Et devant les travailleurs, ils exalteront l'idéal de la canaille : selon lequel plus le maître est gras, mieux se porte l'esclave. Si l'ouvrier ne trouve plus dans la classe ennemie l'acheteur de sa force de travail, son existence toute entière subordonnée au rapport salarial se trouve compromise. Le capitalisme, comme puissance sociale déterminée et non comme force personnelle, disparaît de la scène s'il ne fonctionne plus en tant que processus d'accumulation.

Quand, relayé par son réseau complexe d'organisations syndicales, culturelles, municipales, sportives, le PCF explique que "le petit et moyen capital non monopolistique est à son tour pillé par le grand capital", quand devant son XXI° Congrès Extraordinaire de Vitry il conclut à une solidarité entre travailleurs et petits patrons qui battent de l'aile, quand l'"Humanité",, son organe central, ironise dans ses colonnes que "si la gauche était arrivée au pouvoir, les PME seraient aujourd'hui en bien meilleure posture car le Programme Commun n'est pas un programme de collectivisme", c'est cette communauté d'intérêts qui est proclama entre le maître et l'esclave. Hier, les Pères de 1'Eglise glorifiaient le servage médiéval, aujourd'hui les sycophantes staliniens de l'économie politique se prosternent devant le Veau d'Or.

Qu'attend donc le gouvernement pour exploiter "des centaines de millions de tonnes de charbon (qui) dorment sous, le sol de la France, condamnés"? De faire fabriquer pour son compte : "l'industrie française est obligée d'acheter pour un milliard à l'étranger les machines dont elle a besoin et, qui pourraient être fabriquées ici". ' ("L'Humanité. 9/11/74). L'autre aile marchante de la contre-révolution, la CFDT, ne tient pas un langage différent; elle-même s'est livrée à une étude sur les prix à la production. Cela donne; par exemple : "la compétitivité du charbon national est donc indiscutable. Si l'on valorisait le prix du charbon national, compte tenu du coût de la thermie fuel, les charbonnages de France pourraient être une entreprise bénéficiaire" ("Le Monde" 14/11/74).

En dénonçant le mauvais coup de mise en chômage technique à Rhône-Poulenc ou à Citroën, le stalinisme tire très habilement profit de la situation de crise pour renouveler sa candidature au pouvoir, afin de gérer les intérêts capitalistes. Il a donc besoin du soutien indéfectible de la classe ouvrière, cette "grande force tranquille" qui- "luttant pour ses salaires a la conviction qu'elle défend l'intérêt national et l'avenir de notre pays, que la politique gouvernementale compromet gravement" ("L'Humanité" 9/11/74).

Réellement, il s'agira pour l'ennemi recouvert d'un masque "ouvrier" de prêcher la pratique du baise-main au patron, d'encenser la soumission aux intérêts suprêmes de la nation. Avec l'aide consciente des gauchistes qui après leur petit score au premier tour des législatives partielles d'Octobre se sont désistés par "discipline prolétarienne" au profit du candidat unique de la gauche, on tentera d'annihiler la combativité de la classe sur le terrain des mystifications électorales, syndicales et autogestionnaires. Dans un autre moment, si les travailleurs ne se sont pas laissés épuiser par des balades, on essaiera d'écraser sous une pierre tombale la saine réaction de classe, devenue pour les chiens de garde un crime pour la France républicaine.

Le prolétariat n'est pas un peu contre le régime de la libre concurrence et beaucoup contre les monopoles. Pas plus qu'il n'est contre les différentes formes revêtues par son exploitation, il n'est contre tel ou tel gouvernement qui y correspond et l'assume. Son opposition à la société qui fait de son travail, un article de commerce est irrépressible. Pour cette même raison, et parce qu'il "refuse de se laisser traiter en canaille" (Marx), le prolétariat est le seul sujet révolutionnaire conscient de la nécessaire transformation du monde, l'agent qui assurera "le passage du règne de la nécessité au règne de la liberté". Liberté qui ne commencera que là où le travail salarié aura cessé de s'imposer aux hommes.

R. C.

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [2]

Rubrique: 

L'économie

Les syndicats contre la classe ouvrière (*)

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(*) Cet article est une reprise de l'article paru dans le numéro 3 de R.I. n° 3, ancienne série (décembre 69),"GREVES SAUVAGES ET SYNDICATS". Plusieurs modifications et ajouts y ont été apportés.

Il y a un siècle, la constitution d'organisations syndicales était pour la classe ouvrière un sujet de lutte contre les gouvernements. Aujourd'hui, ce sont les gouvernements et le patronat qui luttent pour la syndicalisation des ouvriers.

  • "Une certaine re-syndicalisation de la masse ouvrière française est nécessaire, car elle donnerait aux employeurs un interlocuteur valable et limiterait la gravité et la fréquence des conflits sociaux." (Schuman, lorsqu'il était ministre d'État chargé des Affaires Sociales, à France-Inter le 4 décembre 1968.)
    "En contre-partie de la liberté des chefs d'entreprise, il est souhaitable que, comme élément d'équilibre, le syndicalisme ouvrier puisse s'affirmer. Personnellement, plus je suis partisan de la liberté, plus je souhaite un syndicalisme ouvrier fort. Et cela, c'est vraiment la conception d'une société cohérente." (F. Ceyrac, président du C.N.P.F., organe le plus représentatif du patronat français.)

Dans tous les pays, les gouvernements subventionnent plus ou moins grassement les centrales syndicales, et le patronat "éclairé" souhaite le "renforcement des syndicats ouvriers".

Quant aux ouvriers, ils se battent en dehors des syndicats, et contre eux. Les grèves anti-syndicales, les grèves sauvages, sont devenues le cauchemar du capital international. Qu'il s'agisse de grands éclats de la lutte ouvrière (comme Mai 68 en France, 69 en Italie ou 70 en Pologne, par exemple), ou des grèves parcellaires qui marquent chaque jour la vie du capitalisme mondial, une même règle se vérifie à chaque occasion : LE PROLETARIAT NE PARVIENT A SE BATTRE POUR SES INTERETS QU'EN SE HEURTANT AUX SYNDICATS. Le caractère "sauvage" d'une grève est devenu la première condition d'une véritable grève ouvrière.

Ainsi, les ouvriers se dressent aujourd'hui contre les organisations que leurs camarades avaient constituées, il y a cent ans, au prix de luttes acharnées.

Les ouvriers du siècle dernier avaient-ils donc tort de former des organisations syndicales ? Marx se trompait-il lourdement quand il y voyait un pas fondamental dans la lutte historique du prolétariat ? Toutes ces luttes ont-elles été inutiles, voire même néfastes pour l'avenir de la classe ouvrière ? Ou alors, est-ce que ce sont les ouvriers de notre é- poque qui ont perdu le "fil de l'histoire" ? Les grèves sauvages sont-elles seulement l'expression de leur incapacité à reprendre les tâches de leurs prédécesseurs et à former de "bonnes organisations syndicales"?

Il s'agit en fait de deux formes de luttes correspondant à deux époques historiques différentes.

Depuis le XIXe siècle, beaucoup de choses ont changé dans le capitalisme, et, fondamentalement le fait que d'un système en plein essor, il est devenu un système historiquement décadent.

La période ascendante du capitalisme

Détruisant les rapports de production féodaux et construisant un monde à son image, le capitalisme a connu au XIXe et au début du XXe siècle, une expansion extraordinaire et sans heurts importants.

L'organisation capitaliste de la production correspondait à des besoins historiques objectifs, réels. Après l'étouffoir qu'étaient devenus les rapports de production féodaux, elle permettait aux forces productives de reprendre un essor extraordinaire, sans précédents dans l'histoire de l'humanité. La bourgeoisie avait le monde entier à industrialiser, ses profits croissaient sans limites, les débouchés pour l'industrie semblaient intarissables, les frais improductifs de maintien du système étaient insignifiants. (L'État, principale source de dépenses improductives du capital, était essentiellement circonscrit à sa tâche de "gendarme" et constituait un appareil relativement restreint.)

Dans ce contexte, le capitalisme pouvait accepter, si la lutte de la classe ouvrière le lui imposait, une modification de la répartition du produit social. Il lui était possible de supporter une augmentation réelle des salaires, ou une diminution effective du temps de travail, sans pour cela courir à la faillite ou se lancer dans une spirale inflationniste. La prospérité du système était telle qu'elle créait au sein de l'antagonisme entre ouvrier et capital un terrain "d'entente", où des améliorations réelles de la condition ouvrière ne s'opposaient pas irrémédiablement à des avantages pour l'expansion du capital.

Lorsque le prolétariat arrachait la satisfaction d’une revendication, c'était de façon durable, réelle ; toutes les formes de lutte en étaient déterminées : partis politiques de masses, parlementarisme, syndicalisme. Le réformisme, non comme idéologie, mais comme forme de lutte, avait un sens pour la classe ouvrière parce qu'il était possible.

Un tel état de choses est difficile à concevoir aujourd'hui, après un demi-siècle au cours duquel toute augmentation générale des salaires a été immédiatement annulée par une hausse équivalente des prix et où toute promesse de réduction du temps de travail est pour l'essentiel restée lettre morte[1].

Afin de mieux comprendre les conditions historiques qui faisaient du syndicalisme un véritable instrument du prolétariat au XIXe siècle, voici comment Marx commentait dans "SALAIRE,PRIX et PROFIT" la conquête de la Loi des Dix Heures par les ouvriers anglais :

  • "Vous connaissez tous le Bill des Dix Heures, ou plutôt des dix heures et demi, introduit depuis 1848. Ce fut là un des plus grands changements économiques dont nous n’ayons jamais été témoins. Hausse des salaires subite et forcée, et cela non pas dans quelques branches et localités, mais dans les branches principales de l'industrie qui donnent à l'Angleterre la suprématie sur les marchés mondiaux. Hausse des salaires effectuée dans des circonstances singulièrement défavorables.) Cette douzième heure qu'on voulait ôter aux capitalistes, c'était à les en croire (les économistes "officiels") la seule et unique heure de travail d'où ils tiraient leur profit. Ils nous annoncèrent de grands maux : l'accumulation diminuée, les prix en hausse, les marchés perdus, la production ralentie, avec réaction inévitable sur les salaires, enfin la ruine. (...) Le résultat ? Une hausse des salaires en argent pour les ouvriers des fabriques, en dépit du raccourcissement de la journée de travail, une augmentation importante des bras employés, une chute continue du prix des produits, un développement merveilleux des forces productives de leur travail, une expansion inouïe des marchés pour leurs marchandises."

Effectivement, un tel évènement serait tout simplement impensable à notre époque.

La phase de déclin du capitalisme

La guerre de 1914-1918 marque pour le capitalisme le début d'une nouvelle phase historique. C'est la période de l'inflation constante, de la saturation des marchés, de l'exacerbation des antagonismes impérialistes, du besoin de destructions massives par la guerre et l'économie d'armement. Les contradictions propres au système commencent à éclater violemment, provoquant des secousses de la taille de la crise de 1929 ou des guerres mondiales.

C'est la fin de l'âge d'or du capitalisme et LE DEBUT DE SA DECADENCE.C'EST AUSSI LE DEBUT DE L'ERE DE LA REVOLUTION PROLETARIENNE.

Notre but ici n'est pas d'expliquer les raisons économiques profondes qui ont provoqué ce changement. Pour les besoins de l'analyse des syndicats, nous nous contenterons de relever deux effets de cette décadence :

  • l'impossibilité pour la classe dominante de concéder des - réformes réelles au prolétariat;
  • l'accroissement et le renforcement du rôle de l'Etat dans la société.

1 - L'impossibilité des réformes.

Aujourd'hui, le capitalisme a étendu sa domination au monde entier. Depuis 1914 les débouchés manquent, les marchés sont saturés. Les forces productives ont subi un violent freinage. Chaque crise qui secoue l'économie l'ébranle plus profondément. Le capital oe peut plus assurer sa survie qu'en suivant le cycle absurde : CRISE - GUERRE - RECONSTRUCTION. ..CRISE...

La bourgeoisie est obligée d'extraire une quantité toujours plus grande de surtravail à la classe ouvrière,

a) pour affronter une concurrence internationale qui s'est exacerbée jusqu'à ses dernières limites ;

b) pour faire face à des dépenses improductives qui se sont accrues en proportion de l'approfondissement des contradictions du système :

  • maintien de l'appareil administratif et policier de l'État, devenu monstrueux ;
  • dépenses gigantesques de la production militaire, (jusqu'à 50% du budget de l'État dans des pays comme l'URSS ou les USA) ;
  • frais de subventions aux entreprises devenues déficitaires de façon chronique ;
  • frais absurdes tels ceux entraînés par les surplus agricoles, etc.
  • enfin toutes les dépenses d’une gestion devenue d'autant plus coûteuse qu'elle a affaire à une économie contradictoire et absurde : marketing, publicité, et plus généralement l'essentiel du secteur dit "tertiaire".

Tous ces nouveaux frais improductifs, caractéristiques du capitalisme en déclin, ne sont pas un luxe du système, mais la forme même de sa survie.

Dans ce contexte, la bourgeoisie ne peut plus se permettre, même sous la pression des luttes ouvrières, d'accorder satisfaction aux revendications du prolétariat. Malgré les promesses du capital, les signatures apposées au bas d'accords solennels, malgré les illusions humanitaires que pourrait entretenir telle ou telle fraction "réformiste" ou "progressiste" de la bourgeoisie, malgré la crainte de mouvements sociaux importants, la réalité du capitalisme décadent est implacable : le capital ne peut plus accorder de réformes véritables au prolétariat.

Il est devenu banal de constater que depuis cinquante ans, toutes les luttes pour des revendications salariales n'aboutissent à rien. Les augmentations de salaires se traduisent immédiatement par une hausse correspondante -sinon supérieure- du niveau des prix. L'élévation des salaires arrachée en France en juin 1936 (accords de Matignon : 12% en moyenne) était annulée en six mois : rien que de septembre 1936 à janvier 37, les prix montèrent en moyenne de 11%. On sait aussi, par exemple, ce qui resta un an plus tard des augmentations obtenues en juin 68 avec les accords de Grenelle.

Sur le plan des conditions de travail, le phénomène est le même. Alors que dans la période ascendante du capitalisme, le temps de travail diminuait effectivement sous la pression des luttes ouvrières, -de 1850 à 1900 la durée hebdomadaire de travail dans l'industrie est passée de 72 à 64,5 heures en France et de 63 à 55,3 heures aux USA-, dans le capitalisme décadent, celui-ci va connaître une stagnation, sinon un accroissement (sans parler du temps de transport qui augmente de jour en jour). Eo mai- juin 68, la classe ouvrière devait reprendre la revendication qui soi-disant avait été obtenue en 36 : les quarante heures de 36 étaient devenues 44,3 en 1949, 45,7 en 1962!

La période de reconstruction qui s'ouvre en 45 après les misères de la crise et de la guerre, a pu faire croire cependant qu'un aménagement des conditions de travail et de vie était encore possible : la relative prospérité que connaissait le capital était parvenue à résorber en partie le chômage, offrant une certaine sécurité de l'emploi. Partout, les défenseurs du réformisme faisaient miroiter la "spectaculaire augmentation du niveau de vie" dans les pays industriels. Quelle réalité recouvre donc cette "amélioration" qui a même amené certains à dire que le prolétariat avait disparu, dilué par une prétendue "société de consommation"?

  • une exploitation accrue:
    Ce qui détermine les conditions de vie des travailleurs, c'est en priorité le temps de travail (plus-value absolue) et son degré d'intensification (plus-value relative).

Dans le domaine du temps de travail, aucune concession significative n'a été accordée (et cela suffit amplement pour dénoncer les défenseurs du réformisme comme les plus abjects adulateurs du capital). Si l'on ajoute à la journée de travail -qui n'a pas été diminuée- les heures supplémentaires et celles que l'ouvrier passe eu transport, quel temps lui reste-t-il pour profiter des fameuses jouissances de la "société de consommation"?

"Dans le domaine strictement économique, la situation de la classe ouvrière ne fut jamais pire. Dans de nombreux pays, le refus de faire des heures supplémentaires est cause immédiate de renvoi et partout l'introduction du ’ soi-disant salaire de base, délibérément mesquin, des primes et bonifications à la productivité, etc., forcent le travailleur à accepter de "son plein gré" des journées de 10 à 12 heures...
Dans l'aspect le plus profond de l'exploitation, celui de la productivité par tête et par heure, le prolétariat se voit acculé à une situation terrifiante. La production qu'on lui soutire chaque jour s'accroît prodigieusement. D'abord les innovations techniques, qui retirent à l'ouvrier toute intervention créatrice dans son travail, mesurent tous ses mouvements à la seconde et le transforment en un "mécanisme de servitude" vivant, assujetti à la même cadence que les mécanismes métalliques. Ensuite, le chronométrage, traquenard atroce et répugnant, force les hommes à travailler chaque fois d'avantage avec le même outillage et dans la même unité de temps. En troisième lieu, la discipline de chaque établissement rogne sur la plus petite suspension de travail, même pour allumer une cigarette ou pour déféquer. La production qu'on arrache par ces moyens à chaque homme est énorme, comme dans la même proportion son épuisement physique et psychique
." (MUNIS "Les syndicats contre la révolution")

Les cadences infernales, l'exploitation scientifique grâce aux chronométreurs et autres psychologues, voilà le tribut que paye le travailleur au capitalisme décadent.

Quelle formidable amélioration peut "compenser" cela?

  • l'augmentation du pouvoir d'achat.

Cette augmentation tant vantée par les réformistes consiste en gros dans l'acquisition de la télévision, de la voiture, du "confort" (appareils électroménagers). Mais il ne s'agit que du minimum que doit accorder le capital pour faire passer une exploitation intensifiée. Le meilleur exemple en est la télévision, qui en plus d'être le plus triste moyen de faire oublier au travailleur son épuisement pendant les trois ou quatre heures qui lui restent après sa journée de travail, constitue un instrument idéologique dont la réputation n'est plus à faire. Si les ouvriers refusaient de posséder la télévision du fait de son prix, le capital les rendrait gratuites.

Ce "minimum social" est la contrepartie indispensable pour que le prolétariat accepte ses conditions de vie, autant que sont nécessaires les congés payés pour récupérer une année de labeur inhumain. Tout ce que l'on veut peindre comme un super luxe dépassant de loin le minimum vital, n'est en fait que le strict minimum de l'époque moderne.

Pour faire accepter au travailleur une exploitation poussée jusqu'aux limites de l’épuisement, le capital disposait donc de deux armes, pendant toute la période où il a reconstruit sur ses ruines le mythe de la société de consommation et la sécurité de l'emploi.

Avec la crise qui se fait à nouveau cruellement sentir, ces deux remparts s'effondrent. Le spectre du chômage va de nouveau hanter les rues, et la voiture deviendra rapidement un luxe inabordable. Implacablement, le capital sera contraint d'intensifier encore son exploitation, sans que le prolétariat ait la moindre illusion de compensation. L'illusion syndicale apparaît dans toute sot\ abjection,

2 - L'accroissement et l'intensification du rôle de l'État dans la société.

Les crises et les guerres mondiales ont montré les difficultés croissantes auxquelles doit faire face le système pour survivre :

Développement des conflits entre capitalistes d'une même nation, des conflits entre différentes fractions du capital mondial, des conflits entre classes antagonistes, et de façon générale, exacerbation du conflit global entre le développement des forces productives et le cadre social devenu trop étroit. Le développement et le renforcement de l'État sont ceux de ces conflits.

De par ses propres mécanismes, la société capitaliste tend à se désagréger de toutes parts. La force totalitaire de son État intervenant à tous les niveaux, contrôlant tout, devient dès Lors un facteur essentiel pour le maintien du vieil édifice capitaliste.

Si, dans la prospérité du XIXème, le règne du "libre échange" et du non interventionnisme économique était possible, aujourd'hui le capital a besoin d'un État renforcé, coordinateur et contrôleur direct de toutes les forces productives. Il n’est pas de décision importante en ce qui concerne la production qui ne passe par l'État : les échanges internationaux et nationaux, les finances, les orientations générales des investissements, etc.… l'État doit tout centraliser, tout planifier, tout contrôler : il devient en fait partie intégrante et essentielle de la production.

Moins que tout autre aspect de la production, le rapport salarié, le rapport capital-travail, ne peut être laissé à l'initiative privée. Il est le cœur de la production, la base essentielle sur laquelle repose tout l'édifice. C'est aussi de ce cœur que surgit la mise en question du système, que se développent les forces de son futur fossoyeur. C'est pourquoi, il est essentiel à la survie du système, que l'État multiplie les organisations chargées de planifier scientifiquement la vente et l'utilisation de la force de travail, les organes d'encadrement de la classe ouvrière, les mesures destinées à donner des illusions de conciliation (salaire minimum, conventions collectives, etc.…) et renforce son appareil de répression.

L'impossibilité pour la classe dominante d'accorder des concessions au prolétariat s'est accompagnée en toute logique, du développement de son appareil d'oppression et d'encadrement de la classe exploitée.

Les syndicats dans la période de déclin du capitalisme

Impossibilité de véritables aménagements de l'exploitation et nécessité du développement du totalitarisme étatique, ces deux caractéristiques du capitalisme décadent ont ôté aux syndicats leur fonction initiale et donné à leur existence un sens nouveau, anti-ouvrier.

Ce qui constituait le rôle des syndicats au XIXème siècle, assurer constamment la défense des travailleurs au sein du système, négocier en permanence avec le capital les améliorations pour la classe ouvrière, est devenu dans le capitalisme en déclin une tâche impossible.

Or, un organe dont la fonction originale disparaît est condamné soit à disparaître lui- même, soit à acquérir une fonction nouvelle.

Avec l'impossibilité de négociation véritable pour le prolétariat, disparaît la possibilité d'existence d'une organisation ouvrière de négociation permanente. La seule solution qui reste à la classe ouvrière, c'est l'affrontement violent. Aujourd'hui, une organisation qui ne se propose pas l'alternative révolutionnaire ne peut être authentiquement ouvrière.

Incapables de dépasser le cadre du capitalisme, les syndicats sont inévitablement séparés de la lutte prolétarienne. Forcés par la nature même de leur fonction au "réalisme", c'est-à-dire à la réalité du capitalisme décadent, -impossibilité d'aménagements significatifs- ils ne peuvent "négocier" que les miettes destinées à cacher l'intensification de l'exploitation. Ils deviennent ainsi la courroie de transmission indispensable à l'État pour assurer sa domination sur le monde ouvrier.

Les syndicats sont devenus l'État présent à l'usine. C'est ainsi qu'ils ont aidé la classe dominante à entraîner les travailleurs dans toutes les boucheries de la guerre impérialiste. Ils ont freiné -sinon réprimé- tous les mouvements prolétariens importants des dernières années; chaque jour ils dévoilent un peu plus leur nature d'instruments de l'État capitaliste.

Les syndicats ont-ils une double fonction ?

On a souvent dit —en particulier en Mai 1968, lorsqu'on voyait les syndicats "trahir" le mouvement — qu'ils avaient - une double fonction à l'époque actuelle : -en temps "calme", lorsqu'il n'y a pas de luttes importantes, les syndicats défendraient la classe ouvrière face au patronat; en temps d'effervescence sociale, ils défendraient le patronat contre la classe ouvrière. Les syndicats seraient "contre la révolution" mais non "contre la classe ouvrière". Ce raisonnement n'est qu'une façon biaisée de rejustifier les syndicats tout en ayant l'air de les rejeter. C'est un argument d'autant plus contre-révolutionnaire qu'il cherche à se draper de radicalisme révolutionnaire. C'était par exemple la position du groupe Pouvoir Ouvrier qui spécifiait dans sa plateforme politique : "A l'étape présente, dans la plupart des pays capitalistes, les syndicats exercent objectivement une double fonction :

  • défendre contre le patronat les intérêts immédiats des salariés,
  • défendre la société capitaliste, dont ils acceptent les bases, contre tout mouvement des travailleurs qui pourrait la mettre en difficulté". (P.0. N°90, Mai 1968).

Cette pensée ne dépasse pas la profondeur de celle selon laquelle le corps des CRS défend les intérêts du travailleur lorsqu'il le sauve de la noyade sur la plage et qu’il ne les défend plus lorsqu'il le matraque lors d'une grève, servant alors le patronat.

Premièrement, rien n'est plus absurde que de prétendre que dans une société divisée en classes antagonistes et dont les intérêts sont chaque jour plus opposés, une organisation qui est aussi imbriquée dans la lutte de classes que les syndicats, puisse passer du service d'une des classes à celui de l'autre, puis de nouveau servir la première, etc. selon les circonstances et de plus sans subir la moindre transformation ni dans ses structures, ni dans sa direction.

Deuxièmement, on ne détermine pas la nature de classe d'une organisation par son attitude aux moments de "calme social", lorsque le prolétariat passif reste soumis au pouvoir de la bourgeoisie autant sur le plan économique qu'idéologique. Si l'on veut déterminer la nature de classe d'une organisation, c'est au moment où les classes s'affrontent ouvertement qu'il faut le faire. Alors les masques commencent à tomber car les contradictions de classe apparaissent clairement.

Si l'on veut avoir une idée réelle du rôle social des CRS dans la lutte des classes, on ne fonde pas le jugement sur leur -fonction au bord des plages en été, ou sur les routes, mais bien sur celle qu'ils ont lorsque la lutte des classes éclate au grand jour.

La fonction des syndicats est CLAIRE lorsqu'on les voit, aux moments comme Mai-Juin 1968, empêcher les contacts entre ouvriers de différentes usines, falsifier les revendications des travailleurs, utiliser le mensonge et la calomnie pour faire reprendre le travail, en un mot, lorsqu'ils jouent le rôle de force de répression contre les luttes des travailleurs.

Cependant, on sait que les syndicats sont OFFICIELLEMENT les "organisations représentatives de la classe ouvrière", que c'est eux qui sont chargés de défendre les intérêts des travailleurs aux Comités d'Entreprises, ainsi que dans les organisations économiques gouvernementales. On sait aussi que, par temps calme, ils organisent d.es "journées d'action" et que lorsque la base bouge, ils organisent des grèves (même si elles ne sont que de vingt-quatre heures). De même, il est vrai que dans certains pays, ou dans certaines usines en France, il vaut mieux être syndiqué pour assurer son emploi ou obtenir certains avantages.

Mais faut-il en déduire alors que les syndicats sont au service de la classe ouvrière ?

Non. Cette "seconde fonction" des syndicats n'est en fait qu'un aspect de la première.

D'une part, si aux occasions comme Mai-Juin 1968, les syndicats peuvent agir comme ils l’ont fait sans provoquer immédiatement une révolte généralisée des ouvriers contre eux, c'est entre autre parce qu'ils ont, pendant "la période tranquille" entretenu soigneusement le mythe du syndicat, représentant unique et légitime des travailleurs; et ceci avec l'aide de tous les gouvernements. Les petites grèves, les revendications pour des vestiaires plus propres, ou pour des primes de bleu de travail, les "journées d'action" etc. sont le moyen pour donner "l'autorité" aux syndicats d'ordonner la reprise du travail le jour des véritables luttes.

De même que les CRS doivent sauver des noyés ou maintenir l'ordre sur les routes pour justifier leur existence et agir les jours de répression au nom de l'intérêt de "tous", de même les syndicats doivent remplir ces tâches de "petites revendications" pour pouvoir assurer les jours de lutte leur fonction d'encadrement et de répression "au nom de la classe ouvrière". En ce sens, déjà, ce ne sont donc pas là deux fonctions de nature différente, ce sont deux moments d'une même fonction.

D'autre part, ces tâches dont sont chargés les syndicats, correspondent à des besoins précis du capitalisme décadent. En effet, considérons le cas des pays où les syndicats sont partie intégrante de l'État, au même titre que le Ministère de l'Éducation ou les forces de police. C'est ce qui se produit dans les pays fascistes (Espagne par exemple) ou dans les pays de capitalisme d'État, prétendus "socialistes" (URSS, Chine, Pays de l'Est, etc.). St dans ces pays -où même la grève est interdite dans les faits- il existe des syndicats, c'est parce qu'ils correspondent à un besoin réel de l'État capitaliste. En effet, ils remplissent une fonction devenue vitale pour le capitalisme décadent : l'encadrement de la classe ouvrière.

Il faut à l'État un encadrement efficace de la classe ouvrière :
1) Pour pouvoir manier la principale force productive (la force de travail) selon les besoins du capital national (planification et participation);
2) Pour permettre le jeu des lois économiques capitalistes au niveau du marché de la force de travail et éviter même des abus de capitalistes privés ou de gérants locaux qui risqueraient de provoquer des baisses de productivité ou des épuisements néfastes pour l'économie nationale;
3) Enfin, pour encadrer et briser toute tentative de réelle lutte ouvrière.

  • "Le X° Congrès des syndicats soviétiques (1949) a défini les buts du syndicat dans l'ordre suivant :
    l- Organiser l'émulation socialiste pour assurer l'exécution et le dépassement des plans de production, l'accroissement de la productivité, LA REDUCTION DES PRIX DE REVIENT (!);
    (...) 5- Veiller au respect de la législation du travail et de la sécurité (...)".
    En Chine : "... le Comité Exécutif de la CGT réuni le 10 Juillet 1953 prescrit à "tous les échelons syndicaux de considérer le renforcement de la discipline du travail comme leur devoir primordial et permanent". Si les résultats de cette campagne sont insuffisants, il faudra "punir d'une manière appropriée les éléments récalcitrants qui commettent constamment des infractions graves contre la discipline du travail
    ". ("Le syndicalisme dans le monde" Georges Lefranc. Que-Sais-Je ? pg 102-107).

Personne ne s'aviserait de dire que les syndicats fascistes espagnols sont des organes de la classe ouvrière ou que les syndicats russes défendent les travailleurs contre leur patron, l'État; les syndicats n'étant qu'un outil de celui-ci.

Lorsque les syndicats des pays occidentaux participent aux organismes économiques gouvernementaux (en France, le Conseil du Plan, le Conseil Économique et Social, etc.), lorsqu'ils font partie des comités d'entreprises, lorsqu'ils concluent des conventions collectives, lorsqu'ils participent à la gestion d'entreprises nationalisées, quand ils constituent cet "interlocuteur valable" dont a besoin l'État, lorsque ces syndicats dénoncent quelques abus trop criants commis par un patron ou un gérant, ou bien lorsqu’ils brisent systématiquement tout mouvement de grève : ils ne font que remplir les mêmes tâches que les syndicats russes ou fascistes. Ce ne sont pas là des fonctions au service de la classe ouvrière. Ce sont au contraire des fonctions correspondant aux besoins du capitalisme décadent. C'est pourquoi, aussi bien dans les régimes totalitaires que dans les régimes libéraux, les gouvernements subventionnent ou créent des syndicats pour "représenter la classe ouvrière".

Ce qui différencie les syndicats des régimes "démocratiques" de ceux des autres pays, c'est le fait que leur intégration est faite au travers de partis politiques.

La fonction que la bourgeoisie reconnait à ses "partis de gauche", c'est le contrôle de la classe ouvrière. Le syndicat est l'outil indispensable dont ceux-ci ont besoin pour assurer leur implantation en milieu ouvrier. Face au danger de la montée des luttes prolétariennes, la bourgeoisie peut avoir recours à ces partis, en les appelant au gouvernement : l'intégration des syndicats à l'État est alors directe. Mais lorsque le parti ou le courant politique qui domine le syndicat est en opposition au gouvernement en place, il peut donner aux luttes ouvrières dont il se sert, un caractère plus "dur".

Un syndicat peut même provoquer des mouvements importants pour des raisons strictement politiques lui convenant : ce fut par exemple le cas des grèves lancées par la CGT en 1947 après l'exclusion du Parti Communiste du gouvernement et des manifestations organisées par la CGT et le PC en 1953 lors de la venue du Général Ridgeway à Paris. Fréquentes dans les années de contre-révolution triomphante, ces mobilisations artificielles, où les syndicats promènent les travailleurs en cortèges dociles et obéissants se font de plus en plus rares. Dans l'actuelle reprise de la lutte de classe, les syndicats réfléchissent à deux fois avant de se lancer dans n'importe quelle mobilisation, sachant qu'à chaque reprise ils seront de moins en moins capables de garder le contrôle de ce que la presse appelle "leurs troupes".

Par ailleurs, les courants dominants des syndicats sont généralement partisans des régimes du capitalisme d'État. Ils préconisent par conséquent les nationalisations.

Cela explique la crainte de certaines grandes entreprises privées à l'égard des syndicats. Mais dès que la lutte ouvrière secoue leur entreprise, ils se jettent dans les bras du syndicalisme. Voit par exemple Agnelli. Le rattachement à des partis préconisant le capitalisme d'État peut ainsi donner aux syndicats une apparence de combativité anti capitaliste mais en fait il suffit de connaître leur attitude lorsque LEUR parti est au pouvoir (PCF en France après la deuxième guerre, Labour Party en Angleterre actuellement), ou d'assister aux manipulations politiques auxquelles ils se livrent au sein des lieux de travail dans leur course aux adhérents, pour comprendre qu'il ne s'agit pas là de défendre des intérêts ouvriers mais ceux de leur organisation politique. Le délégué syndical -aussi dévoué soit-il- est vite entraîné à devenir consciemment ou inconsciemment, non plus le représentant des intérêts des travailleurs mais un instrument de sa centrale.

Au Congrès de 1946, la majorité communiste de la CGT fit voter un texte déclarant : "La CGT appelle les travailleurs à soutenir un effort de travail nécessaire pour atteindre une production maximum. Un salaire plus élevé doit être atteint comme fruit de ces efforts et de ce travail" ("Le Syndicalisme en France". G. Lefranc. Que-Sais-Je ? p.100).

Il n'y a donc pas "une double nature" des syndicats se traduisant par des fonctions ouvrières et des fonctions capitalistes alternativement. Il s'agit seulement de deux aspects d'une même et unique fonction capitaliste : encadrer la classe ouvrière au sein et au service du système.

La bureaucratisation des syndicats et les illusions sur leur "reconquête"

Lorsqu'on n'a pas compris la nature de classe des syndicats dans la décadence capitaliste, il est normal qu'on entretienne les plus absurdes illusions sur d'éventuelles "reconquêtes" et autres "débureaucratisations".

Au lieu de saisir la bureaucratie et les "mauvais" chefs syndicaux comme des produits inévitables de la nature capitaliste des syndicats, on voudrait les présenter comme des causes des "erreurs" et des "trahisons" syndicales.

La bureaucratisation d'une organisation n'est pas le renforcement du pouvoir de décision de ses organes centraux. Contrairement à ce que pensent les anarchistes, centralisation n'est pas synonyme de bureaucratisation. Au contraire. Dans une organisation traversée par l'activité consciente et passionnée de chacun de ses membres, la centralisation est le moyen le plus efficace pour stimuler la participation de chaque membre à la vie de l'organisation. Ce qui caractérise le phénomène de bureaucratisation, c'est le fait que la vie de l'organisation ne vient plus de l'ensemble de ses membres, mais qu'elle est artificiellement, formellement réduite à celle de ses "bureaux", de ses organes centraux.

Si un tel phénomène s'est généralisé à tous les syndicats dans la décadence capitaliste, ce n'est pas du fait de la "malveillance" des responsables syndicaux, ni d'un phénomène inexplicable de "bureaucratisation" sur lequel aucun homme n'aurait de prise.

Si la bureaucratie s'est emparée des syndicats, c'est parce que les travailleurs ne peuvent plus apporter ni vie, ni passion à un organe qui n'est plus le leur.

L'indifférence des ouvriers à l'égard de la vie syndicale n'est pas, comme le pensent les gauchistes, une preuve d'inconscience des travailleurs. Elle manifeste au contraire un sentiment plus ou moins clair dans le prolétariat de la nature capitaliste des syndicats.

Les rapports entre les travailleurs et leur syndicat ne sont pas des rapports d'une classe avec son instrument. Ils prennent la plupart du temps la forme des rapports entre des individus, avec des problèmes individuels, et une assistante sociale ("qui est bien avec le patron"). La propagande syndicale se résume d'ailleurs la plupart du temps à l'argument : nous, nous avons obtenu tel ou tel avantage du patron. Faites-nous confiance, etc.

Il y a bureaucratie parce qu'il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de vie ouvrière dans le syndicat. Celui-ci est un appareil extérieur à la classe qui ne rentre en contact réel avec elle comme classe, que pour l'encadrer et freiner ses luttes.

C'est parce que les syndicats ne sont plus des organisations ouvrières qu'ils ne peuvent avoir que des rapports bureaucratiques avec leurs membres ouvriers. Empêcher cette bureaucratisation est aussi impossible que d'empêcher la décadence du capitalisme.

Il en va de même pour les illusions sur les changements de chefs syndicaux. Le problème des syndicats n'est pas une affaire de bons ou de mauvais chefs. Ce n'est pas un hasard si, depuis plus de cinquante ans, les syndicats ont toujours eu de "mauvais dirigeants".

Ce n'est pas parce que les chefs sont mauvais que les syndicats ne se prêtent pas aux véritables luttes de la classe ouvrière. C'est au contraire parce que les syndicats comme organisations ne peuvent plus servir à la lutte prolétarienne que leurs chefs sont inévitablement "mauvais".

  • Comme le faisait remarquer Pannekoek :
    "Ce que Marx et Lénine ont dit et redit de l'État, à savoir que son mode de fonctionnement malgré l'existence d'une démocratie formelle, ne permet pas de l'utiliser comme instrument de la révolution prolétarienne, s’applique donc, aux syndicats. Leur puissance contre-révolutionnaire ne sera pas anéantie, pas même entamée, par un changement de dirigeants, le remplacement des chefs réactionnaires par Ses hommes de "gauche" ou des "révolutionnaires". C'est bel et bien la forme d'organisation elle-même qui réduit les masses à l'impuissance ou tout comme et qui leur interdit d'en faire les instruments de leur volonté".

L'idée chère aux "trotskistes" et "léninistes" de partir à la "reconquête" des syndicats est une utopie d'autant plus réactionnaire qu'elle est le prétexte pour la défense des syndicats.

Le syndicalisme révolutionnaire

En réaction à la dégénérescence des syndicats et des partis socialistes dès la fin du siècle dernier, a surgi l'idée de syndicats se donnant des buts révolutionnaires.

Mais un syndicat est une organisation 1) de masse, 2) permanente, 3) dont la tâche spécifique n'est pas la destruction de la société d'exploitation, mais l'aménagement de la place des travailleurs en son sein.

En se donnant un but qui n'est pas celui du syndicat tout en s'enfermant dans la logique syndicale, le syndicalisme révolutionnaire ne peut être qu'une source de confusion et de contradictions.

Comment donner un but révolutionnaire à une organisation de masse en dehors des périodes révolutionnaires ?

Pour construire une telle organisation, il faut des masses révolutionnaires. Or celles-ci n'existent -par définition- qu'en période d'insurrection. Dans une époque non révolutionnaire, le "syndicalisme révolutionnaire" ne peut donc qu'aboutir à deux réalités :

Ou bien le syndicat fait adhérer les travailleurs sans conviction révolutionnaire en considérant que la seule volonté des chefs suffit à faire de l'organisation un corps révolutionnaire, et alors il ne fait que se tromper et tromper ses adhérents.

Ou bien, il n'accepte en son sein que des travailleurs possédant de fermes convictions révolutionnaires et il se transforme alors en petit groupe politique n'ayant plus de syndicat que le nom.

Il ne reste donc à concevoir qu'un "syndicat révolutionnaire" ne pouvant qu'exister en période révolutionnaire. Mais, premièrement un syndicat qui n'existe pas de façon permanente n'est plus un syndicat, et deuxièmement, toutes les luttes révolutionnaires l'ont montré; la forme d'organisation que se donne la classe pour sa lutte révolutionnaire, celle qui s'adapte le mieux à ses besoins, ce n'est pas le syndicat, mais les conseils ouvriers.

À l'époque où le syndicalisme correspondait encore à une nécessité et à une possibilité pour le mouvement ouvrier, le syndicalisme révolutionnaire ne parvint jamais à remplir vraiment aucune des fonctions qu'il se donnait.

  • "Le syndicalisme révolutionnaire présuppose chez l'ouvrier une mentalité révolutionnaire qui ne peut être que le résultat final d'une longue pratique. Les syndicats demeurent de petits groupes d'ouvriers aux sentiments révolutionnaires dont l'ardeur ne saurait remédier à la faiblesse de l'organisation. (...)
    Voulant assurer une autre fonction que la sienne, le syndicat se trouve dans l'incapacité de remplir sa fonction propre, l'amélioration des conditions de travail. Ce qui lui incombe, organiser les masses, il ne le fait pas, et ce qu’il entreprend, l'éducation révolutionnaire, il le fait de travers." (Pannekoek, dans "Pannekoek et les Conseils Ouvriers", EDI, p.83).

À l'époque de la décadence du capitalisme, la logique syndicale dont il ne pouvait se débarrasser l'entraine tôt ou tard à perdre tout caractère prolétarien.

Ainsi, le syndicalisme révolutionnaire français , relativement fort avant la première Guerre Mondiale resta-t-il rapidement au niveau de simples vœux pieux : les centrales syndicales révolutionnaires (la CGT à l'époque) dégénérèrent comme les autres et comme elles participèrent à la guerre impérialiste à côté de leur bourgeoisie, les tendances qui s'opposèrent à la guerre étant demeurées quelques minorités insignifiantes vites oubliées.

Quant à la CNT espagnole, elle fut amenée à jouer pendant la guerre d'Espagne le rôle d’un parti politique de masse. Et, tout en se défendant de "faire de la politique'', elle dut cependant comme telle conclure le "Front Populaire" avec les staliniens et la bourgeoisie républicaine puis participer au gouvernement même de la république. Tenter de faire revivre la forme d'organisation syndicale alors qu'elle ne correspond plus aux besoins de la lutte mène à lui conférer obligatoirement des tâches anti-ouvrières[2].

L'apport principal du syndicalisme révolutionnaire au mouvement ouvrier, c'est d’avoir prouvé, avec toute sa "bonne volonté", le caractère néfaste de toute forme de syndicalisme, aussi radical se veuille-t-il, dans le capitalisme décadent.

Au cours de plus d’un demi-siècle de décadence capitaliste, le prolétariat a du cruellement constater :
1) L'impossibilité définitive d'obtenir des améliorations réelles des conditions de son exploitation.
2) L'impossibilité de se servir pour ses luttes de la forme d'organisation syndicale (organisations de masse, existant en permanence, c'est-à-dire survivant en dehors des périodes de lutte et se donnant pour but l'aménagement de l'exploitation.).
3) L'inévitable intégration de toute organisation de type syndical aux rouages de l'État capitaliste.

Les luttes ouvrières n'ont pas cessé pour autant. Au travers de grèves sauvages, d'insurrections sporadiques, son combat s'est poursuivi. Quel est donc le contenu de ces luttes ? Quelles en sont les formes d'organisation ?

Le contenu des luttes ouvrières dans le capitalisme décadent

Devant le constat du rôle ouvertement anti-ouvrier des syndicats, les grèves sauvages, anti-syndicales se sont multipliées dans tous les pays. Elles expriment dans la pratique l'antagonisme prolétariat-syndicats et traduisent une conscience de plus en plus claire de la nature capitaliste de ces organes. Mais quel est leur contenu ?

Le fait que le capitalisme ne soit plus en mesure d'accorder des aménagements véritables de l'exploitation du travail, a réduit les luttes prolétariennes à un combat de résistance contre l'attaque permanente du capital sur les conditions d'existence des travailleurs.

Nous avons montré, avec les exemples de 1936 et 1968 en France, comment le capital est contraint de reprendre immédiatement n'importe quelle amélioration que les luttes généralisées aient pu lut arracher. Mais 1936 et 1968, où l'on voit des augmentations de salaires être rattrapées postérieurement par des hausses de prix sont des exceptions correspondant à des luttes d'une particulièrement grande ampleur. La situation normale, celle qui caractérise le capitalisme actuel, ce n’est pas les hausses de prix courant derrière les hausses de salaires, mais l'inverse. Ce n'est pas le capital qui essaie de récupérer en permanence ce que les travailleurs lui arrachent, mais les travailleurs qui, par leurs luttes, tentent de résister à l'intensification de leur exploitation.

Mais ce qui caractérise le contenu des luttes ouvrières dans le capitalisme décadent, ce n'est pas le fait qu'elles soient des luttes de résistance en soi (ceci est commun à toutes les luttes prolétariennes depuis que les ouvriers affrontent leurs exploiteurs), mais :
- le fait qu'elles ne puissent plus être que des luttes de résistance (sans espoir de nouvelles conquêtes comme au XIX° Siècle).
- le fait qu'elles tendent à mettre immédiatement en question les conditions mêmes d'existence du système d'exploitation à devenir ouvertement révolutionnaires.

La résistance ouvrière dans le capitalisme décadent ne peut plus échapper à l'alternative suivante :
- soit accepter l'enfermement dans le terrain purement économique et elle doit alors se conformer aux impératifs de l'économie capitaliste en permanente difficulté : c'est le "réalisme" bien connu des syndicats qui transforment les luttes en tristes farces où les défilés carnavalesques, avec chansonnettes et chapeaux de papier, sur la tête, cachent mal qu'on a, en fait, accepté d'abandonner tout combat.
- soit elle s'affirme, conséquente, décidée, REELLE, et dès lors, elle mène inévitablement à l'affrontement avec la légalité bourgeoise et en premier lieu avec ses représentants au sein de l'usine : les syndicats.

Il n’y a plus de terrain de conciliation possible entre le capital et la force de travail. L'antagonisme originel est, dans la décadence capitaliste, constamment poussé à ses dernières limites. C'est pourquoi toute lutte ouvrière véritable se pose inévitablement et de façon immédiate en lutte politique et REVOLUTIONNAIRE.

Deux remarques à ce propos : Premièrement, le contenu révolutionnaire de ces combats n'est pas donné par le fait que las ouvriers se réclament de la "révolution communiste mondiale", ni par la conscience immédiate qu'ils peuvent avoir de la nature réelle de leur action. Ce contenu est un fait objectif imposé par les conditions historiques de la lutte générale. Comme disait Rosa . Luxembourg :

  • "L'inconscient précède le conscient et la logique objective du processus historique précède la logique subjective de ses protagonistes".

Deuxièmement, ce contenu révolutionnaire éclate avec plus ou moins d'ampleur, suivant que :
- la lutte répond à une situation de crise plus ou moins approfondie,
- les conditions politiques auxquelles les travailleurs s'affrontent contiennent plus ou moins "d'amortisseurs sociaux" (syndicats, partis "ouvriers", libéralisme politique, etc.).Dans les pays où ces "amortisseurs" font défaut ou sont trop rigides pour remplir ce rôle (pays de l'Est, États fascistes par exemple) les luttes ouvrières tout en étant moins fréquentes, prennent beaucoup plus rapidement une tournure ouvertement révolutionnaire.

Mais quelles que soient les circonstances précises, qu’elle soit l'intensité des combats, la résistance ouvrière à notre époque ne peut plus s'affirmer sans acquérir immédiatement une substance révolutionnaire.

C'est cette nouvelle caractéristique de la lutte ouvrière qui a amené les révolutionnaires dès la première Guerre Mondiale, à proclamer désuète la vieille distinction social-démocrate entre "programme minimum" défini par un ensemble de réformes à obtenir au sein du capitalisme et le "programme maximum" (la révolution communiste). Désormais, seul le "programme maximum" pouvait exprimer les intérêts de la classe ouvrière.

Lorsque le réformisme est devenu une pure utopie contre-révolutionnaire, seul ce qui est révolutionnaire est ouvrier SEUL CE QUI CONDUIT VERS LA REVOLUTION PEUT ETRE AUTHENTIQUEMENT PROLETARIEN. Tout le reste n'est qu'idéalisme réactionnaire et supercherie capitaliste.

Il est devenu à la mode, surtout au cours des derniers mouvements étudiants des années 1967-69 d'interpréter cette position apparue dans le mouvement ouvrier dès les premières années de ce siècle en affirmant que les luttes "revendicatives", "salariales", étaient devenues une négation de la lutte véritablement révolutionnaire (la revue "Invariance" s'est fait un des plus ardents défenseurs de cette pensée). Ce faisant, loin de "radicaliser" la théorie révolutionnaire, on ne fait que la vider de son support matériel réel, c'est-à-dire, on la relègue au monde des utopies idéalistes?]

Les formes d’organisation

Avec la perte des syndicats, il se pose à la classe ouvrière le problème de se doter d'une NOUVELLE forme d'organisation. Mais ce n'est pas chose simple dans le capitalisme décadent.

La grande force des syndicats vient de leur capacité à se faire reconnaître comme le seul cadre possible pour la lutte. Ainsi, patronat et gouvernement n'acceptent pas d'autre "interlocuteur" que les syndicats. Tous les jours, inlassablement, par voie de tracts, presse, radio et télévision, etc. le capital répète systématiquement au prolétaire : "votre organisation, ce sont les centrales syndicales". Tout est mis en œuvre pour renforcer cette capacité mystificatrice des appareils syndicaux.

L'opération n'a pas toujours le succès escompté : dans un pays où le matraquage sur la représentativité des syndicats est aussi violent qu'en France, il n'y a pas plus d'un ouvrier sur cinq qui ressente le besoin de se syndiquer. Il faut par contre de plus en plus souvent la collaboration des organisations "gauchistes" pour maintenir auprès des travailleurs les plus combatifs la crédibilité de ces appareils du capital. À cet égard le récent changement d'attitude des grandes centrales françaises vis-à-vis des gauchistes, n'est rien d'autre que la reconnaissance des bons et loyaux services que ces derniers leur rendent quotidiennement comme "rabatteurs de moutons égarés", avec leur "appui critique".

Soumis sans relâche à pareille opération mystificatrice, les travailleurs des pays à forte "liberté syndicale" ont le plus grand mal à envisager la possibilité d'organiser leurs luttes en dehors des appareils traditionnels. Il faut une situation particulièrement insupportable pour qu'ils trouvent la force de s'opposer, ouvertement, à l'immense machine de l'État avec ses partis et ses syndicats. Car c'est bien cela qui caractérise et rend si difficile .la lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent : en s'opposant aux syndicats, la classe ouvrière ne se heurte pas seulement à une poignée de bureaucrates syndicaux; c'est l’État capitaliste lui-même qu'elle affronte. Mais le fait même de cette difficulté rend plus significatif tout surgissement de la classe en dehors des syndicats. Il donne toute son importance à la question des formes d'organisation extra-syndicalistes.

Le problème des FORMES d'organisation de la lutte ouvrière n'est pas un problème indépendant ou séparé de celui du contenu de cette lutte. Il y a une interrelation étroite entre le contenu révolutionnaire que tendent à prendre immédiatement les luttes prolétariennes dans la décadence capitaliste, et les formes d'organisation que la classe se donne.

Au cours de ses plus grandes luttes révolutionnaires de ce siècle, le prolétariat abandonnant les syndicats s’est donné une nouvelle forme d'organisation adaptée à sa tâche historique : les Soviets ou Conseils Ouvriers. Il s'agit d'assemblées de délégués, mandatés par les assemblées générales de travailleurs dans les usines et dans les quartiers ouvriers. Ces organes permettent une véritable unification de la classe en créant le lieu où elle forge, au feu.de la lutte, les forces matérielles et théoriques de son attaque contre l'État, Mais par leur forme même, ils ont une particularité majeure. Du fait qu'ils sont des assemblées de délégués élus par des assemblées générales quasi permanentes, leur existence est entièrement dépendante de l'existence d'assemblées générales dans les usines et les quartiers ouvriers. Si la classe n'est pas en lutte dans l'ensemble des usines, s'il n'y a pas d'assemblées générales des travailleurs dans tous les lieux où ils combattent, les Conseils ne peuvent pas exister. Les Conseils sont un organe de lutte et ils ne peuvent vivre que pour et pendant cette lutte. Ils ne peuvent devenir des organes permanents que lorsque l'action révolutionnaire de la classe devient permanente, c'est-à- dire lorsque le prolétariat entre dans la phase insurrectionnelle de la lutte. Le combat insurrectionnel généralisé est toujours l'aboutissement d’une série de luttes plus ou moins parcellaires qui l’annoncent et le préparent. Son contenu révolutionnaire n'est pas distinct de celui des luttes antérieures. Il n'est que l’épanouissement logique du contenu de toutes les grèves qui l'ont précédé.

Ce lien qui existe dans le capitalisme décadent entre le contenu des grèves parcellaires et la lutte insurrectionnelle généralisée, se retrouve au niveau des formes d’organisation. L'expérience des grèves anti-syndicales de ce siècle montre que la forme d'organisation que se donne la classe dans ces luttes est une forme embryonnaire des Conseils ouvriers. En effet dans les grèves sauvages, les travailleurs opposent au comité de grève syndical, un comité de grève -ou comité d'usine- formé de délégués élus par l'assemblée générale des grévistes et responsable uniquement devant elle. L'assemblée générale des grévistes est ainsi le véritable cœur et cerveau de la lutte.

À première vue, la différence entre un comité de grève syndical et un comité de grève sauvage peut sembler formellement bien faible. Les grèves syndicales se donnent souvent des délégués élus par les assemblées générales. Et par ailleurs, un comité de grève élu, même en se déclarant anti-syndicaliste, peut se transformer en un simple organe syndical du moment qu’il accepte d'enfermer la lutte dans un cadre purement localiste et économique. Un comité de grève qui n'agit pas en vue de la généralisation de la lutte, qui entretient des illusions plus ou moins fortes sur la nature des syndicats, qui ne pose pas la question de l'affrontement avec l'État (et en premier lieu, avec les organes de l'État dans l'entreprise: les syndicats), un tel comité de grève ne serait pas sorti du cadre syndical.

De là à conclure que la forme d'organisation n’a aucune importance et que tout est une question de contenu, il n'y a qu'un pas; pas qui est allègrement franchi par les défenseurs "critiques" du syndicalisme.

Une forme d'organisation ne peut en aucun cas être, par elle-même, une garantie du contenu de la lutte. Conseils ouvriers ou assemblées générales et comités d'usine ne sont pas des CONDITIONS SUFFISANTES pour l'épanouissement de la lutte prolétarienne. Mais elles n'en sont pas moins des CONDITIONS NECESSAIRES. Un - comité de grève peut mener une grève à l'impasse économique et localiste, tout comme n'importe quel syndicat. Mais alors qu'un syndicat ne peut jamais mener une lutte vers la révolution, il n'est pas de marche vers la révolution qui ne passe par les assemblées générales, les comités d'usine et les Conseils.

C'est pourquoi il est impossible de parler du contenu de la lutte ouvrière sans parler de ses formes d'organisation. Seul celui qui ne comprend pas que les syndicats sont un organe de l'État peut négliger l'importance de ces formes d'organisation et de la capacité de la classe à se les donner. Il ne peut pas comprendre, en effet, que la capacité à s'organiser en dehors de l'appareil syndical est le début de la capacité à s’opposer à l'État.

En ce qui concerne la lutte elle-même, grève ou insurrection, les formes organisationnelles de la classe apparaissent donc bien définies. Mais un problème subsiste.

Dans le capitalisme ascendant, les syndicats constituaient de façon permanente, avec les partis de masse, des lieux de rencontre des travailleurs. Ils étaient ce qu'on appelait à l'époque des "écoles du communisme". Avec leur disparition comme organisations de la classe, il se crée un problème pour les travailleurs : comment s'organiser EN DEHORS DES LUTTES OUVERTES ?

Sur ce problème bien des révolutionnaires se sont cassé les dents. En effet, lorsque la lutte cesse, après une grève sauvage par exemple, les comités de grève disparaissent avec les assemblées générales. Les travailleurs tendent à redevenir une masse d'individus atomisés et vaincus, acceptant de plus ou moins bon gré la représentativité des syndicats. Ce retour à la passivité peut prendre plus ou moins de temps, mais s'il n'y a pas de nouvelle lutte ouverte, il est toujours inéluctable. Pour éviter un tel retour, il est fréquent qu'au lendemain d'une lutte, les travailleurs les plus combatifs tentent de rester organisés, de créer une organisation PERMANENTE qui permette de regrouper la classe en dehors de ses combats. L'échec a toujours été systématique pour ce genre de tentative. Cet échec prend généralement une des trois formes suivantes :
- Soit l'organisation d'usine créée se dissout après un certain temps sous l'effet de la démoralisation due à l'incapacité à regrouper l'ensemble des travailleurs; ce fut le cas - des AAU en Allemagne après les luttes de 1919-23 par exemple, ou de tous les comités d'action qui tentèrent de subsister dans les usines en France après Mai 1968.
- Soit elles se transforment en de nouveaux syndicats (ce fut le cas du comité de grève que les trotskystes essayèrent de faire subsister après la grève de Renault en 1947, ainsi que celui de la plupart des "comisiones obreras" en Espagne).
- Soit elles tentent de se transformer en une sorte de groupe politique mal défini.

Ce dernier type d'expérience est apparu depuis 68, aussi bien en France, qu' en Italie ou en Espagne. Son contenu est le suivant : à partir de cercles ouvriers subsistant dans les entreprises, généralement à la suite de luttes dures, on tente de bâtir une organisation qui refuse aussi bien d'être un syndicat qu'un parti politique. On nie le syndicalisme en refusant de se restreindre à la lutte purement économique. On nie l'organisation politique, le parti, en refusant de se donner une plateforme politique définie. Cette dernière issue, à l'égal des deux premières (dissolution par inefficacité et transformation en syndicat)a abouti tout aussi systématiquement à des échecs cuisants.

Pourquoi tous ces échecs?

Parce qu'on essaie de stabiliser, de figer un organe qui, par définition, est instable, provisoire.

Que ce soient les unions (AAU) en Allemagne entre 1919 et 23, ou les Comités d'Action en France en 1968-69, les CUB (Comités Unitaires de Base) et les "Assemblées Autonomes" en Italie, ou les Commissions Ouvrières en Espagne, il s'agit toujours à l'origine de cercles d'ouvriers formés par les travailleurs les plus combatifs.

Tous ces cercles expriment la tendance générale de la classe vers l'organisation. Mais, contrairement à ce que pensent les gauchistes étudiants qui se sont attachés à vouloir inventer de nouvelles formes d'organisation de la classe (des "Cahiers de Mai" en France aux "Assemblées Autonomes" en Italie actuellement) il n'y a pas quinze formes d'organisation possibles pour le prolétariat. Une forme d'organisation doit inévitablement être adaptée 'au but qu'elle poursuit. À chaque but il correspond une forme d'organisation la plus adaptée, la plus efficace. Or, la classe ne poursuit pas quinze buts. Elle en a un : lutter contre l'exploitation qu'elle subit; en combattre aussi bien les effets que la cause.

Le prolétariat ne dispose pour ce combat que de deux armes :
- sa conscience ;
- son unité.

Aussi, lorsqu'en dehors des luttes ouvertes, des travailleurs se regroupent afin de contribuer au combat général de leur classe, ils ne peuvent se donner que deux types de tâches principales :
- contribuer à l'approfondissement et à la généralisation de la conscience révolutionnaire de la classe ;
- contribuer à son unification.

Les formes d'organisation de la classe sont donc inévitablement marquées par la nécessité de remplir ces deux tâches. Mais c'est ici que surgissent les problèmes : ces deux tâches sont deux aspects d'une même tâche générale, deux contributions à un même combat. Mais elles n'en ont pas moins des caractéristiques contradictoires.

Pour pouvoir UNIFIER la classe, il faut une organisation à laquelle n'importe quel prolétaire puisse adhérer indépendamment de ses idées politiques, par le simple fait qu'il est ouvrier.

Pour ELEVER LE NIVEAU DE CONSCIENCE de l'ensemble des travailleurs, tl faut que ceux qui sont les plus avancés ne restent pas les bras croisés à attendre que ça se développe tout seul. C'est leur devoir de diffuser leurs convictions, de faire de la propagande, d'intervenir avec leurs positions politiques parmi le reste de leur classe. Tant que la classe ouvrière existera comme classe exploitée (et lorsqu'elle ne sera plus exploitée, elle ne sera plus une classe) il subsistera en son sein des différences immenses quant à la conscience et à la volonté révolutionnaire de ses membres. Au cours des luttes tous les prolétaires tendent, de par la situation même qu'ils occupent au sein de la production, vers la conscience révolutionnaire. Mais tous n'évoluent pas au même rythme. Il existe toujours des individus et des fractions de la classe plus décidés, plus conscients de la nécessité et des moyens de l'action révolutionnaire, et d'autres plus craintifs, plus hésitants, plus sensibles à l'idéologie de la classe dominante. C'est au cours du long processus des luttes de la classe que la conscience révolutionnaire se généralise. L'intervention des éléments les plus avancés est alors un facteur actif de ce processus. Mais ce travail exige un accord politique important entre ceux qui le font. Et, par ailleurs, il ne peut être fait que de façon organisée. Aussi, l'organisation qui se donne cette tâche ne peut être formée que par des individus d'accord sur une PLATEFORME POLITIQUE. Si une telle organisation acceptait en son sein toutes les convictions politiques existant dans la classe, c'est à dire, si elle refusait de se donner cette plateforme politique, elle deviendrait incapable d'accomplir sa tâche. Sans critères politiques strictes d'adhésion, elle est condamnée à devenir une source de confusion. .

S'unifier, d'une part, élever son niveau de conscience, d'autre part, ce sont là deux tâches dont la classe doit s'acquitter de façon organisée. Mais elle ne peut le faire avec un seul type organisation. C’est pourquoi elle s'est toujours donné deux formes fondamentales d'organisation :
- les organisations UNITAIRES, ayant pour tâche de regrouper tous les travailleurs sans égard à leurs idées politiques (c'étaient les syndicats dans le capitalisme ascendant, ce sont les conseils et les assemblées générales dans le capitalisme décadent);
- les organisations POLITIQUES, fondées sur une plateforme politique et sans critère social d'adhésion. (partis et groupes politiques).

Ces deux types d'organisation doivent être distincts, mais ne sont pas pour autant incompatibles. Ils sont au contraire complémentaires car ils correspondent à deux besoins d'une • même lutte, d'une même classe. C'est dans les organisations unitaires de la classe que l'organisation politique s'épanouit et remplit le plus efficacement la fonction pour laquelle la classe l'engendre.

Toute organisation de travailleurs qui se donne pour tâche de contribuer au combat prolétarien, TEND inévitablement vers l'une ou l'autre de ces deux formes d'organisation.

C'est à partir de la compréhension de cette double tendance organisationnelle de la classe que l'on peut saisir la nature de ces cercles ouvriers qu'on voit surgir dans le capitalisme décadent autour des luttes importantes de la classe (ils surgissent généralement peu avant les luttes et disparaissent peu après leur fin). Eo fait, ce ne sont ni des véritables organisations unitaires de la classe, ni des organisations politiques. Ils sont des DEBUTS D'ORGANISATION DE LA CLASSE, des TENTATIVES INACHEVEES D'ORGANISATION des travailleurs.

En tant que tels ils sont des organes totalement INSTABLES pouvant CONTRIBUER aussi bien à la constitution d'organisations unitaires de la classe (ce fut le cas en Russie en 1905), qu'à la formation du parti politique du prolétariat (c'est en leur sein que commencent à se regrouper les éléments les plus combatifs de la classe). Mais ils ne sont ni des conseils, ni des partis politiques. Ce sont des formes TRANSITOIRES, qui ne peuvent vivre qu'en EVOLUANT. Elles ont un creuset et une croisée de chemins pour l'organisation de la classe lorsque le mouvement de luttes est ascendant. C'est pourquoi la condition-même pour qu'ils soient un apport à la lutte prolétarienne est qu'ils soient fécondés par le développement des luttes. En dehors d'un tel développement, tenter de les maintenir en vie artificiellement conduit inévitablement à les transformer, en bloquant leur évolution, en des monstruosités aberrantes telles des syndicats comme ce fut le cas pour la plupart des "comisiones obreras" en Espagne) ou des groupes politiques inavoués, confusionnistes et donc réactionnaires (tels "les cahiers de mai" en France après 1968).

La reprise des luttes prolétariennes que provoque la crise actuelle du capitalisme mondial, fera renaître dans la classe des milliers de cercles de ce genre. À chaque reflux de la lutte, ils seront soumis aux mêmes dangers d'avortement et de dégénérescence. Mais en attendant les conseils et le parti révolutionnaire, ils constitueront un des lieux de renaissance du mouvement révolutionnaire prolétarien.

L'intervention des révolutionnaires

Les syndicats sont appelés à jouer dans les années à venir un rôle primordial sur la scène politique de la lutte des classes. Ils sont le principal rempart derrière lequel le capital peut se protéger contre l'assaut prolétarien. Pour le prolétariat, ils sont le premier ennemi à abattre, la première barrière à faire éclater. C'est pourquoi, leur dénonciation est une des premières tâches de l'intervention des révolutionnaires. Les communistes doivent expliquer uoe et mille fois aux travailleurs que ceux qui aujourd'hui sont en tête de leurs cortèges syndicaux et prennent tant de soin à les encadrer d'un service d'ordre à brassard rouge, sont les mêmes qui demain prendront les armes contre eux. Ils ont à dénoncer tout aussi inlassablement ceux qui, sous prétexte de "double nature des syndicats", "fronts uniques ouvriers" et autres "appuis critiques" s'escriment à présenter ces organes du capital comme des organisation ouvrières : les gauchistes, les autogestionnaires et autres rabatteurs de gibier du capitalisme décadent.

Les révolutionnaires renvoient dos à dos les syndicalistes qui s'attachent à enfermer les luttes dans un contenu purement économique, et les "anti-syndicalistes" qui ressentent "un dédain transcendantal" pour le caractère économique des luttes ouvrières parce que "intégré au capitalisme".

Les communistes ne défendent pas des revendications particulières. Ils font leurs toutes les revendications de la classe du moment qu'elles expriment la RESISTANCE du prolétariat à l'aggravation de son exploitation, car ils savent et proclament que dans cette lutte la classe forge les armes de son combat final contre l’État capitaliste. Leur tâche est de montrer que dans le capitalisme décadent il ne peut plus y avoir de lutte contre les effets de l’exploitation qui ne soit lutte contre les causes de l'exploitation ; qu'il n’y a d’autre victoire réelle dans les luttes revendicatives que celle d'acquérir les moyens de la lutte pour la destruction définitive du système lui-même.

La dénonciation des syndicats va inévitablement de pair avec la défense des formes d'organisation propres à la lutte prolétarienne dans le capitalisme décadent : conseils, comités d’usine, assemblées générales.

Les révolutionnaires insistent autant sur la nécessité de ces formes que sur la mystification qui consiste à les présenter comme des conditions suffisantes, des recettes miracle, afin d'escamoter le problème du contenu de la lutte.

Les révolutionnaires sont présents dans les cercles ouvriers pour y défendre leurs positions, tout en luttant contre toute tentative de les vider de leur vie en les figeant dans des formes bâtardes.

Face au problème syndical la tâche des communistes est d’exprimer à haute voix et de façon résolue- ce que les travailleurs ressentent plus ou moins confusément depuis cinquante ans, à savoir, que les syndicats devront être détruits, tout comme l'État capitaliste dont ils ne sont qu'un rouage.

R. Victor.


[1] Cette incompréhension de la période ascendante du capitalisme - qui va inévitablement de pair avec l'incompréhension de l'essence de la période actuelle - constitue par ailleurs la source principale d'aberrations au sujet du problème syndical : ainsi la "condamnation" de tout syndicalisme ou lutte pour des réforme6,(ceux du XIX siècle y compris), indépendamment de la période historique - attitude très en vogue depuis 68 en milieu étudiant contestataire n'est que le symétrique de la défense de ceux-ci dans la période actuelle.

[2] La CNT d’ESPAGNE, seul exemple d’organisation syndicale à avoir tenté plusieurs fois la réalisation de son programme maximum, la "révolution sociale" (en 33 et 34), ne le fit qu'après que les anarchistes de la FAI aient mené à l'intérieur de cette organisation une lutte sévère. Pendant toute la dictature de Primo de Ribera, la CNT, qui se caractérisait pourtant par son "apolitisme révolutionnaire" était en contact avec toute sorte de conspirateurs : Macia, l'Alliance Républicaine et les militants d'opposition dans le pays.
En juillet 1927 fut fondée la FAI. Ses membres, repoussant toute sorte de compromission d'ordre tactique, se proposaient la conquête de la CNT, afin de réaliser la révolution sociale. Elle fut le point de ralliement de tous ceux qui désapprouvaient l'orientation réformiste de l'anarcho-syndicalisme.
Lors du congrès national de 1930 les deux tendances s'affrontèrent. Les leaders de la CNT; qui mettaient surtout l'accent sur le syndicalisme de la CNT, et proposaient de s'allier avec d'autres groupes et fractions pour faciliter l'implantation de la république : et les "purs" de la FAI insistant sur l'anarchisme de la confédération, refusant toute compromission. Ceux-ci l'emportèrent, les vieux leaders furent-délogés ' de leurs postes, puis quittèrent avec leur fraction (les "trentistes'' organisèrent leur propre syndicat) la confédération. La CNT ne participa donc pas de justesse à cette ébauche de front populaire en 1930.
Sous l’impulsion de la FAI, elle aussi "apolitique", la CNT alla de grève générale en tentative d'insurrection jusqu’en 36. Fortement affaiblie par la répression, découragée par .-ses échecs successifs, la confédération avait ' suffisamment payé de sa personne l’impossibilité du syndicalisme révolutionnaire. Le congrès de 1935 vit revenir les "trentistes", qui entre temps avaient contracté toute sorte d'alliances avec la bourgeoisie. La tentative d'insurrection des droites le 18 juillet 36 et le soulèvement du prolétariat le 19 sonna le glas de l'organisation ; les forces "«ouvrières" montèrent au pouvoir CNT et FAI en tête. En Catalogne, la place forte, la CNT fit partie du Comité des Milices Antifascistes en marge du "Gubierno de la Generalidad" puis entre dans ce dernier, donnant ainsi l’appui ouvrier tant recherché. L’apolitisme Syndicaliste avait triomphé, les "purs" de la F.A.I. eux-mêmes n'allaient pas tarder à accepter d’être ministres de la république tant combattue.
Les "anti-autoritaires", partisans d’une "révolution sociale apolitique", agissant au nom de sacro-saints principes moraux, n’ont jamais compris la destruction de "l’appareil de l'État comme un moment de la lutte politique du prolétariat contre son ennemi de classe la bourgeoisie.
Défendant des positions révolutionnaires (anti-frontisme, antiparlementarisme au nom de la pureté d’une idéologie, les transgresser sous la pression des évènements ne revêtait pas grande importance à leur yeux, l'idéologie étant toujours "pure? Ainsi la CNT et la FAI s'allièrent aux partis bourgeois, participèrent au gouvernement de la république bourgeoise, laissèrent massacrer le prolétariat lors des journées de Barcelone en 37 "pour ne pas briser l’unité". En d’autres termes, ils révélèrent ce qui peut sembler une évidence, à savoir que l’apolitisme le refus des frontières de classe institutionnalisée en principe, est une arme pour la bourgeoisie.
Dès 1936, la politique d'unité anti-fasciste de la CNT lui fait tenir le rôle de tous les autres syndicats réformistes : l'encadrement de la classe ouvrière au service du capital. Malgré 1'honnéteté de ses militants, l'organisation "apolitique" a rejoint les rangs de la bourgeoisie.
D'avoir tant lutté et sacrifié tant de militants révolutionnaires pour en arriver à siéger dans des ministères de la république, voilà le triste destin du "sociétalisme révolutionnaire apolitique".
S'alliant avec ceux qui ne cessèrent jamais de tirer sur les ouvriers révolutionnaires (dont la plupart étaient ses propres militants) la CNT enterrait l'anarcho-syndicalisme dans les poubelles de l'histoire aux côtés des partis parlementaires, des syndicats réformistes, des trotskystes et des staliniens.

Questions théoriques: 

  • Syndicalisme [3]

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