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Voilà que notre bourgeoisie se prétend "profondément émue, choquée, bouleversée et soulevée d’indignation” après la sinistre et atroce profanation des tombes juives à Carpentras ! La voilà qui s’agite et se mobilise tout à coup "contre la montée de l’antisémitisme et du racisme", voire le danger du fascisme !
On tombe d’accord : Le Pen et le Front national sont responsables de Carpentras, "au moins moralement" ; hop, en quarantaine... pour quelque temps. Et puis on se retrouve ensemble, "entre démocrates", pour discuter "démocratiquement" du "grave problème de l’immigration" (censé ici être directement lié au racisme) au Parlement, ensuite autour "d’une table ronde". On va même jusqu’à descendre, toujours ensemble, sur le pavé parisien pour marteler : "Carpentras, plus jamais ça !". "Le sursaut”, titrait "Libération" le 15 mai ; le terrain ”d’un vaste consensus national" a été trouvé pour la première fois depuis plus de quarante ans, s’extasient tous les médias. Extraordinaire, non ?
Gigantesque entreprise de mystification, oui !
C’est avec le plus total cynisme, avec l’hypocrisie la plus consommée, que toutes ces crapules ont déversé leurs larmes de crocodile sur les tombes de Carpentras et qu’ils se lamentent sur le climat d’antisémitisme et de racisme.
L’antisémitisme ? La bourgeoisie s’en moque bien et s’en est toujours éperdument moqué comme d’une guigne. Elle a eu l’occasion d’en fournir la preuve irréfutable au milieu même de la dernière guerre inter-impérialiste mondiale face à 1’"Allemagne nazie" quand, en avril 1944, c’est un ministre d’Etat britannique délégué par le haut commandement des Forces alliées qui a rejeté catégoriquement la proposition du responsable SS des questions juives, Eichmann : négocier l’échange d’un million de juifs contre 10 000 camions, comme étant "sans aucun intérêt". Il a même froidement décliné l’offre de sauver ne serait-ce que 100 000 juifs ou même moins en répliquant à l’intermédiaire (juif !) : "Où les mettrait-on ? Personne ne voudra les recevoir...”.
L’Etat allemand a certes été le bourreau de six millions de Juifs, mais tous les Etats bourgeois portent la coresponsabilité de leur mort, alors qu’ils viennent aujourd’hui encore feindre de clamer leur horreur insondable devant l’holocauste des nazis.
D’ailleurs, cette complicité dans les massacres perpétrés dans les conditions les plus atroces va de pair avec la barbarie que nos "grands démocrates" humanistes ont toujours su eux-mêmes employer quand ils arrosaient de bombes à phosphore Dresde et Hambourg, faisant à la fin de la guerre, en une seule nuit, des centaines de milliers de victimes, ou quand ils exterminaient, en quelques secondes à peine, d’autres centaines de milliers de vies humaines par l’explosion de leur bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. Des bombardements de Sétif aux nuages de napalm au Vietnam, en passant par toutes les armes classiques ou sophistiquées vendues par les grandes puissances impérialistes aux belligérants locaux depuis plus de quarante ans, il serait impossible de dresser un bilan exhaustif des massacres terrifiants commis par les démocraties bourgeoises sur de réputées "innocentes victimes", sur les seules populations civiles.
Le racisme ? La bourgeoisie n’en a pas davantage cure ! Quelle écœurante duplicité elle déploie. Tandis que le PS cherche à apparaître comme le fer de lance de la croisade antiraciste de la bourgeoisie, le gouvernement qui porte la même étiquette "socialiste" ne cesse de mener depuis 1982 au nom "du contrôle nécessaire des flux migratoires" une vulgaire politique anti-immigrés, qui n’est en fait qu’un aspect particulier de sa politique générale anti-ouvrière : traque et expulsions des "travailleurs clandestins" à tour de bras, licenciements prioritaires des "étrangers" dans l’industrie, etc...
Il faut rappeler qu’en 1982 et 1983, c’est le "socialiste" Mauroy, alors Premier ministre, qui, lors des grèves à Talbot- Poissy et à Citroën-Aulnay, accusait les grévistes d’être manipulés par une poignée d’intégristes religieux.
Plus récemment, le gouvernement PS montait en épingle et exploitait l’"affaire des foulards islamiques", qui tendait à faire apparaître, dans une partie non négligeable de l'opinion publique", derrière chaque immigré un fanatique potentiel, en évoquant les "problèmes d’intégration", à amalgamer abjectement immigration et délinquance en désignant les cités ouvrières.
Les ouvriers ne doivent pas oublier non plus que le PCF, ardent défenseur de la cause anti-apartheid en Afrique du Sud, ne dédaigne pas et même n’a jamais manqué de s’illustrer ici par le chauvinisme et le racisme les plus virulent que ce soit en envoyant en 1978 un bulldozer contre un foyer de travailleurs immigrés à Vitry, les jetant ainsi à la rue, ou, comme récemment, en tenant une campagne électorale sur un terrain ouvertement et strictement xénophobe à Clichy-sous-Bois (voir "RI" n° 189, avril 1990).
Pendant des années, la gauche et la droite ont cherché à utiliser Le Pen dans leurs calculs, leurs combines et leurs manœuvres politicardes tantôt comme repoussoir, tantôt dans des stratégies d’alliance. En fait, c’est l’ensemble de la bourgeoisie qui utilise indifféremment selon les circonstances le visage idéologique du racisme ou celui de l’antiracisme parce que ces idéologies, l’une comme l’autre, remplissent la même fonction : elles correspondent à une même entreprise de division de la classe ouvrière. L’une comme l’autre reviennent à isoler le travailleur immigré du français, les enfermant chacun tout autant derrière des problèmes "spécifiques", particuliers, en tant que membre d’une race différente et non d’une même classe. Le débat sur l’immigration, qui cherche à faire établir une distinction fondamentale entre travailleurs "clandestins" et "légaux", entre "mauvais" et "bons" immigrés, comme la fausse opposition entre racisme et antiracisme n’ont pas d’autre rôle que celui de servir d’alibi, de feuille de vigne aux manœuvres de division de la bourgeoisie. Et ce sont toutes les fractions de cette classe, sans exception, qui les exploitent.
Les racines de l’antisémitisme comme du racisme en général résident dans le fonctionnement concurrentiel exacerbé de l’économie capitaliste et des antagonismes sociaux qu’engendre cette concurrence.
Les ouvriers peuvent bien avoir des préjugés racistes, qui leur sont transmis par la classe dominante, ils sont la seule classe de la société capitaliste dont les membres n’ont pas des intérêts matériels différents et concurrentiels, mais au contraire communs, c’est pourquoi eux seuls peuvent et doivent s’unir dans une même lutte.
Les hauts cris que pousse la bourgeoisie aujourd’hui sont voués à alimenter une gigantesque campagne d’intoxication idéologique principalement dirigée contre la classe ouvrière.
Cette campagne sert d’abord à créer et dresser un écran de fumée destiné à occulter aux yeux du prolétariat ses véritables problèmes : la profondeur de la crise économique du capitalisme, les conditions de misère dans lesquelles les ouvriers sont de plus en plus réduits. Ainsi apparaît la braillarde campagne "antiraciste" du PS, épaulé par ses suppôts les plus dévoués sur ce terrain comme SOS-Racisme, le MRAP, la LICRA ou la Ligue des droits de l’homme, campagne qui s’appuie non seulement sur l’"effet Carpentras" mais encore sur les affiches racoleuses : "Le racisme sera-t-il le Mur des Français ?".
Cela lui sert précisément de paravent au moment où le gouvernement social-démocrate assène de nouveaux coups à l’ensemble de la classe ouvrière sur le terrain économique.
Accessoirement, cette campagne tente de redresser le discrédit général de la classe politique -et du gouvernement lui-même au premier chef- en faisant passer sous la table, la fameuse (et impopulaire) mesure d’amnistie générale réservée aux seuls politiciens compromis dans de nombreux et divers tripatouillages financiers, magouilles immobilières ou détournements de fonds publics...
En fait, bien au-delà, ce ramdam permet à cette campagne particulière de s’inscrire dans le même cadre et de rejoindre une campagne idéologique de dimension internationale, assurément la plus importante et la plus sérieuse qu’ait pu susciter la bourgeoisie ces dernières années : la défense de la démocratie, cette idéologie renaissante dans les années 70 avec le thème de la "défense des droits de l’homme", vient de connaître un énorme regain de crédit depuis six mois avec l’effondrement spectaculaire du bloc de l’Est et l’éclatement des régimes staliniens. Ces événements ont conforté largement jusque dans les rangs de la classe ouvrière à l’ouest comme à l’est, l’idée de victoire de la démocratie sur le communisme. Aujourd’hui, alors que les vapeurs de l’ivresse démocratique commencent à s’estomper à l’est, le nouveau thème de la "démocratie contre le danger fasciste" vient relancer et accentuer le battage pour la défense des valeurs démocratiques contre toutes les idéologies totalitaires.
Cette campagne permet également à la bourgeoisie de distiller plus fortement son poison nationaliste en posant d’emblée les problèmes toutes classes confondues, sur le plan de la nationalité ou de la race, poussant notamment les ouvriers à réagir non plus sur le terrain de classe mais en tant que Français, Arabes ou Juifs, par exemple.
La bourgeoisie a fait d’ores et déjà valoir sa capacité à réaliser une "union sacrée" après Carpentras, de Chirac à la LCR, et tous les médias n’ont pas manqué de mettre en avant ces forts remugles d’"union nationale" avec des manchettes enthousiastes : "L’union nationale dans la rue" ("Libération"), "La France unie !", ("L’Humanité"), "Anti-sémitisme : le non de la France" ("Le Nouvel Observateur") ou encore ; "Contre le racisme, l’anti-sémitisme, la haine de l’autre... la France F ("L’Evénement du jeudi").
Toute cette campagne est en réalité une gigantesque offensive idéologique dirigée contre la classe ouvrière. Ce que cherche la bourgeoisie, c’est d’abord à pousser encore plus loin dans son déboussolement une classe ouvrière, déjà profondément désorientée depuis six mois par tout le battage mensonger autour du triomphe du capitalisme sur le communisme, odieusement assimilé au stalinisme.
Elle tente de piéger ensuite les ouvriers pour les détourner de leur terrain de classe, de leurs préoccupations essentielles et surtout de leur unité de classe. Elle cherche ainsi à atomiser au maximum les ouvriers en les poussant à réagir et à s’exprimer en tant que simples citoyens et même en tant qu’individus coupés de toute collectivité et de la vie sociale, en les persuadant qu’ils sont réduits à l’impuissance et à la peur face au monde et aux autres.
Elle entreprend de tout faire enfin pour amener les ouvriers sur son terrain à elle : la défense de la démocratie et de la nation, n’ayant de cesse de les enchaîner, de les mobiliser derrière son Etat.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Il suffit de lire la diatribe frémissante d’un J.F. Kahn dans son éditorial de "L’Evénement du jeudi" du 17 mai pour voir où cela mènerait ! "Le 14 mai, un de Gaulle collectif répond à Pétain, la France à l’anti-France. Pour la première fois depuis dix ans, tous les fils de la sensibilité humaniste se nouent ensemble, dans un même écheveau de colère, de refus, les composantes démocratiques, libérales, chrétiennes, socialistes du pays réel... La France est là... parce que ses valeurs aussi sont là. Survies d’une épopée dont les trois affluents, le blanc d’Henri IV, le bleu de Danton, le rouge de Jaurès, se sont fondus en ce cri tricolore que surent toujours pousser, aux heures sombres de la revanche noire, les Clemenceau et les Jean Moulin, les Denfert-Rochereau et les Guy Môquet... Cette France-là est la vraie. ”
Ces discours cocardiers, tonitruants, que la bourgeoisie fait de nouveau retentir aux oreilles des ouvriers doivent leur rappeler ce qu’ils portent en eux historiquement. Les prolétaires doivent se souvenir qu’en d’autres circonstances bien plus tragiques et de sinistre mémoire, ces appels faits au nom de la défense de la démocratie et de la nation les ont conduits à s’entre-massacrer dans les deux boucheries impérialistes mondiales.
YD
Dans son éditorial des bulletins d’entreprises du 21 mai, reproduit dans le n° 1145 de son journal, le groupe trotskiste "Lutte Ouvrière" déplore avec amertume le renoncement du PS à son projet de donner le droit de vote aux immigrés et fustige Rocard "qui fait ainsi le jeu de la droite, voire de l’extrême-droite”.
Son argumentation est stupéfiante : écoutons-la quelques instants.
Première étape, LO pose la question : qui sont ces étrangers qui vivent et travaillent en France ? Et elle donne la réponse : "Ce sont trois millions de travailleurs qui travaillent comme les ouvriers français et ils sont à nos côtés dans les grèves". OK ! Voyons la suite : "Aucun d’entre nous ne peut penser qu’ils ne pourraient pas voter sur la grève ou dans les élections des délégués du personnel parce qu’Us sont étrangers F Voilà que LO fait l’amalgame entre la vie de la classe ouvrière et la vie de la bourgeoisie. Que veut-elle nous amener à penser ? Que la bourgeoisie devrait s’organiser comme la classe ouvrière ? Ou plutôt l’inverse ?
En fait, la réponse est simple : c’est bien sur le terrain de la bourgeoisie que veut nous entraîner LO. Les élections de la bourgeoisie sont un terrain devenu depuis longtemps totalement étranger à la classe ouvrière, pour les ouvriers immigrés comme pour l’ensemble de la classe ouvrière. Elle n’a nen à y faire, parce qu’elle ne peut y lutter, obtenir quelque chose de la bourgeoisie, qu’elle ne peut que s’y laisser mystifier par elle. Et nous mystifier, c’est bien ce qu’a entrepris de faire LO qui n’a de cesse de chercher à nous attirer en toute occasion vers les urnes (d’ailleurs, Arlette n’est-elle pas la candidate la plus fidèle des présidentielles ?) pas pour y arracher quoi que ce soit de la bourgeoisie, mais pour y obtenir, dit-elle, une simple "tribune révolutionnaire" pendant les campagnes électorales.
Là encore, LO nous fait glisser de terrain : les seules tribunes du prolétariat où il puisse exprimer sa vie de classe, ce sont les assemblées générales. Mais, passons !
Dans les faits, LO, qui ne dédaigne pas à l’occasion prétendre que "gauche et droite, c’est blanc bonnet et bonnet blanc" et, de temps à autre, demande à sa petite frange d’électeurs "de marquer sa défiance envers la gauche" en ne votant pas au second tour, ramène les ouvriers qui expriment justement cette défiance, dans le giron du "soutien critique" à la gauche.
La preuve? C’est la seconde étape de l’argumentation : "C’est donc trois millions de voix de gauche qui ne se retrouvent pas comptabilisées par la gauche, c’est un cadeau électoral fait à la droite et... Rocard favorise même la droite au détriment de son propre parti. "
Laissons tomber ces dernières élucubrations qui veulent faire croire aux ouvriers qu’ils ont à faire à une gauche complètement stupide et totalement inconsciente de ses faits et gestes, pour ne retenir que l’essentiel : LO souhaite ardemment que la situation "profite" à la gauche même si cette gauche au gouvernement aligne mesures anti-ouvrières sur mesures anti-ouvrières. L’amour inconditionnel de la gauche que LO réclame des ouvriers, LO lui donne un seul sens : "faire pression". Voilà pourquoi LO se lamente sur le fait que "trois millions de travailleurs soient exclus de toute possibilité d’influencer les politiciens". Ainsi, le PS serait un parti politicien (mais défendant quels intérêts ?), mais les ouvriers, par leur "pression" -c’est-à-dire en votant pour lui, si on suit LO, et non pas en luttant contre lui, pourraient infléchir sa "politique politicienne" ! Quelle curieuse conception de la "pression ouvrière" ! Non seulement LO nous dit que pour lutter, le seul moyen efficace, c’est d’aller aux urnes mais encore elle nous assure qu’il faut voter pour le PS ! Et LO de conclure péremptoirement : "Le gouvernement Rocard vient de reculer devant les intérêts des travailleurs." Ainsi, Rocard a bêtement refusé trois millions de voix qui lui étaient offertes. Mais ce n’est pas le plus fort du raisonnement : LO est bien en train de nous raconter que le PS au gouvernement défend les intérêts des travailleurs puisqu’il prétend qu’il a pu reculer en ce domaine (sur la question du vote des immigrés) et que "l’intérêt des travailleurs" c’est avant tout de voter pour ce même PS. A l’en croire, heureusement qu’il s’est trouvé des ouvriers français qui ont bien compris où étaient les véritables intérêts des travailleurs en allant réélire Mitterrand en 1988.
LO nous démontre ici que tout son discours radical sur la gauche, sur les élections et surtout dans les luttes, n’est que au bla-bla. De temps à autre, le vernis radical de LO s’écaille, laissant apparaître la nature bourgeoise la plus grossière de ce groupe et sa fonction réelle qui est de constamment aller chercher les ouvriers sur leur terrain de classe pour les ramener sur celui de la bourgeoisie.
YD