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Internationalisme n° 374 - 1e & 2e trimestre 2021

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Gestion de La crise du covid-19 en Belgique: Derrière la mascarade de "l’équipe des 11 millions", des contradictions et des divisions persistantes

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Fin 2020, nous décrivions comme suit l’approche défaillante de la crise Covid-19 par la bourgeoisie belge: « Les intrigues politiques, qui durent depuis le début de 2019, ont été alimentées et intensifiées au début de cette année par l’éclatement de la crise du coronavirus. La combinaison de cette dernière avec la crise politique a produit un mélange explosif et a mené à une fuite de responsabilité de la part des "dirigeants" politiques et, en conséquence, à un chaos considérable dans la gestion du pays. Les forces politiques établies ont laissé faire le sale boulot de gestion de la crise sanitaire par un gouvernement d’affaires courantes qui se heurtait régulièrement aux initiatives "sauvages" des dirigeants régionaux  et  locaux.  Le manque  de  confiance  entre  les  différents niveaux de pouvoir et la pagaille dans la communication publique ont dominé de sorte que  la Belgique compte aujourd’hui  le plus grand nombre de décès covid pour 100.000 habitants dans le monde entier ».[1]

Pour  tenter  de  dissiper  cette  image d'irresponsabilité  et  de  chaos  omniprésents, une équipe gouvernementale fédérale « nouvelle et fraîche » a été nommée début octobre 2020, le gouvernement De Croo. Elle se donnait pour but de mettre fin à l'ancienne « culture de la chamaillerie », d’opter « résolument pour l'unité », à travers une gestion cohérente et un programme innovant : « une équipe de 11 millions de Belges! ». Après 9 mois de  gouvernement,  qu’en  est-il  de  ces belles promesses ?

1. L'approche de la pandémie reste chaotique

À l'instar de ses rivales européennes, la bourgeoisie belge n'a tiré que peu ou pas d'enseignements de la première vague de la pandémie : les possibles mesures d'accompagnement  visant  à  surveiller et  à  contenir  la  pandémie,  telles  que le  suivi  et  le  repérage  avec  mise  en quarantaine obligatoire des personnes infectées  lors de  voyages  à  l'étranger, se sont révélées être un échec total. De toute façon, le gouvernement De Croo, avec le ministre « socialiste » de la Santé F. Vandenbroucke à sa tête, s'était fixé pour  objectif  de  ne  pas  se  résigner  à l'inévitabilité d'un nouveau confinement général lors de la deuxième vague, qui aurait imposé une mise à l’arrêt de toutes les partes non essentielles de l'économie. Par conséquent, depuis novembre, le  cœur  inébranlable  de  la  politique gouvernementale  a  été  de  maintenir ouvert à tout prix les secteurs productifs

de  l'économie  et, en  appui  à  cela, de garantir  l’ouverture des  crèches et  les écoles primaires, même si les mesures de protection telles que  l'aération des locaux ou l’utilisation d’(auto)tests dans les entreprises et  les écoles n'ont pas permis  de maîtriser  les  infectons  ou les  nouvelles  variantes,  de  sorte  que les mesures d'assouplissement ont dû être régulièrement revues ou reportées.

Ensuite,  la campagne de vaccination a démarré  lentement,  avec  de  grandes différences entre les régions (la région de Bruxelles-Capitale  est  loin derrière les autres régions, les villes d'Anvers et de Gand sont aussi en retard par rapport au reste de la Flandre, par exemple). Ici aussi, des scandales ont éclaté au niveau d‘autorités municipales qui ont permis la vaccination prioritaire de leurs propres employés et de leur famille en bafouant l’ordre  de  vaccination  convenu.  Bref, malgré une meilleure centralisation des actons par  le gouvernement De Croo, l'impuissance  à  gérer  efficacement  la pandémie est restée flagrante et a entraîné début 2021 des milliers de décès supplémentaires, tristement superflus.

2. Les chamailleries entre les différents partis politiques se poursuivent

L'une  des  raisons  pour  lesquelles  la gestion de la pandémie continue d'être inefficace et incohérente est le fait que les différents partis tout comme les différents gouvernements régionaux font constamment  des  déclarations  et  des propositions qui remettent en question ou même sapent les plans et les mesures du  gouvernement  fédéral.  Lorsque  le gouvernement  a  imposé  des mesures strictes, celles-ci ont été ouvertement remises en question par des présidents de partis gouvernementaux eux-mêmes (de celui du MR  libéral à celui d'Ecolo, qui  a  ouvertement  déclaré  qu'il  ne suivrait  pas  ces mesures).  Lorsque  le gouvernement fédéral a proposé un plan

d’assouplissement prudent, les gouvernements régionaux (la Flandre en particulier) et les partis (du parti socialiste francophone  aux  libéraux-démocrates flamands) se sont immédiatement lancés  dans  une  surenchère  de mesures d'assouplissement  tandis que  certains bourgmestres  et  municipalités  ont ouvertement déclaré qu'ils ne contrôleraient  plus  le  respect  des  mesures (comme à Liège ou Middelkerke). Enfin, même  le premier ministre  libéral s’est heurté à son ministre « socialiste » de  la santé, qui estimait que De Croo ne tenait pas suffisamment compte de la situation préoccupante des hôpitaux.

Certains se demandent peut-être pourquoi la bourgeoisie aborde les problèmes de manière aussi incontrôlée ? Cela n'a rien à voir avec de la mauvaise volonté et encore moins avec un plan machiavélique. La crise historique du système de production capitaliste exacerbe déjà en soi les contradictions internes, et la décomposition pullulante, dont la crise de Covid-19 elle-même est une expression et un accélérateur, attise le « chacun pour soi » à tel point que la bourgeoisie a de plus en plus de mal à contrôler son propre appareil politique. C'est  là que réside  l'explication  fondamentale  des tensions croissantes au sein de l'appareil politique de la bourgeoisie belge.

3. Les tensions montent au sein de la société

Des  tensions et des protestations  se sont exprimées dans  toutes  sortes de groupes de  la société : des patrons de cafés et des restaurateurs aux traiteurs, du secteur culturel aux centres sportifs amateurs et aux fitness. De plus, des milliers de jeunes se sont rassemblés dans des parcs ou des squares et ont ignoré les mesures corona (comme « La Boum » 1 et 2 dans le bois de la Cambre bruxellois), tandis que les maires étaient de plus en plus  réticents à assurer  l'ordre public.

À  cela  s'ajoute  l'errance  désespérée d'un  soldat  paumé  du  corps  d'élite, adepte  des  théories  d'extrême-droite et  conspiratonnistes.  Il  a  dévalisé  un arsenal d'armes  (jusqu'à des  lance-roquettes contre des véhicules blindés) de la caserne où il était stationné et menace de tuer un certain nombre de décideurs politiques et de virologues parce qu’ils imposeraient une dictature covid. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de personnes le saluent comme le « Robin des Bois moderne », tandis que la police et les forces militaires tentent de l'arrêter depuis des semaines.

La pandémie n’aboutit donc de toute évidence  pas  à  l'imposition  par  l'État bourgeois d'une discipline de  fer  à  sa population.  Cependant,  le  danger  est ailleurs : que les travailleurs rejoignent les campagnes de groupes spécifiques (tels  les  commerçants  ou  le  secteur culturel)  ou  celles  pour  la  défense des « libertés individuelles qui seraient en danger »; que de jeunes ouvriers soient entraînés  dans  des  campagnes  pour récupérer leur liberté:  « Je veux retrouver ma liberté; Je veux faire ce que je veux ». De tels mouvements n'ont rien de positif et menacent d'entraîner les travailleurs dans des protestations égoïstes de certains groupes contre d'autres groupes de la société, dans lesquelles toute forme de solidarité sur une base prolétarienne (la seule qui offre une issue à la misère) est totalement absente. Au début de la crise du covid,  il y avait encore des expressions de solidarité envers le personnel infirmier. Aujourd'hui,  ces  groupes  de protestataires considèrent le personnel infirmier comme des gens mesquins qui vous empêchent de  faire  ce que vous voulez. Ils sont l'expression de la montée sans précédent de l'égoïsme, du « chacun pour soi »et du manque de perspective qui caractérisent cette phase de décomposition du système capitaliste.

4. Attiser la division entre les travailleurs afin de leur faire payer la crise

Grâce à sa politique cynique consistant à  tout  faire  pour  que  les  entreprises restent ouvertes,  le gouvernement De Croo a réussi à limiter les dégâts sur le plan économique : en 2020, l'économie a connu un recul de 6,3 %, ce qui est la plus forte baisse depuis  la Seconde Guerre mondiale, mais celle-ci est comparable à celle de l'Allemagne: 6 %, et est nettement  inférieure à  celle de  la France ou de l'Italie, qui ont connu une baisse de plus de 10 %. Grâce à une politique de subventions massives et inconditionnelles aux entreprises et aux travailleurs, la Belgique est également l'un des pays les plus performants d'Europe en termes de faible croissance du taux de chômage (de 3,6 % à 3,7 % ;  l'Allemagne de 2,4 % à 2,9 %).

Toutefois,  ces  mesures  de  soutien ont un prix  élevé:  « En 2020,  le déficit budgétaire  du  pays  devrait  atteindre un peu plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB). C'est plus que dans les pays voisins. Et le rééquilibrage budgétaire est  également plus  lent. D'ici 2023,  le déficit en Allemagne aura été réduit à environ 1% et aux Pays-Bas à environ 2%, tandis qu’en Belgique, il restera à 6% »(Agence Belga, 23.03.21). Le déficit des finances publiques a fortement augmenté (dette de 115 % du PNB en 2020, 120 % en 2023; les Pays-Bas ont vu leur taux d'endettement passer de 60 à 72 %. L'Allemagne est passée de 60 % à 70 %) et de nombreuses entreprises qui étaient censées faire faillite en raison de la crise ont été maintenues artificiellement en vie  pour  le moment.  De  nombreuses sociétés  fictives  auraient  même  été créées  pendant  le  confinement  pour profiter  des  généreuses  mesures  de soutien.

En  fin  de  compte,  c'est  la  classe ouvrière qui paiera dans  les années à venir la facture de la crise Covid-19 sur le plan des salaires et des conditions de vie. Tout d'abord, son pouvoir d'achat sera affecté dans les mois et les années à venir par la hausse de l'inflation : plus de 2% en avril et environ 4% d'ici la fin de  l'année  (De Morgen,  19.05.2021). Ensuite, l'accord salarial central, promu par  le  gouvernement,  impose  une modération  salariale  claire : au  cours des deux prochaines années, seule une augmentation salariale maximale de 0,4 %, hors adaptation à l'indice du coût de la vie, est autorisée.

En même temps, la bourgeoisie a commencé à activer une politique du « diviser pour mieux régner » afin d'étouffer toute velléité de résistance solidaire et unifiée contre  sa  politique.  Déjà  fin  2020,  le gouvernement  De  Croo  a  conclu  un accord  avec  le  personnel  hospitalier, qui  impliquait  des  augmentations  de salaire et une amélioration des conditions  de  travail,  sans  inclure  dans  cet accord  le personnel d'entretien ou  les autres  travailleurs  de  la  santé.  Dans l'accord  salarial  central  qui  a  été mis en œuvre en mai 21, la possibilité a été donnée de négocier une prime supplémentaire pouvant  aller  jusqu'à 500 €, mais uniquement pour les « entreprises performantes ». Les syndicats s'opposent à cette prime au nom de la liberté de négocier une augmentation salariale plus forte  en  fonction  de  la « performance » des  entreprises. Autrement  dit,  après avoir  collaboré avec  le gouvernement et les patrons pour maintenir le niveau la  production  nationale  pendant  le confinement,  les  syndicats  revendiquent  désormais  le  droit  de  diviser les  travailleurs  selon  la  logique  de  la production  capitaliste  et  du « chacun pour soi ». De cette manière, ils veulent saper encore plus la solidarité mutuelle entre les travailleurs mieux payés dans les  entreprises « performantes »  et  les travailleurs moins bien payés dans  les entreprises  ou  les  secteurs « non-performants ».

Bref, l'impuissance de la bourgeoisie à mener une politique cohérente contre le Covid-19 et ses difficultés croissantes à contrôler sa structure politique n'offrent aucun  avantage  aux  travailleurs.  Une politique d'austérité est en train d'être mise  en place,  avec  la pleine  collaboration  des  syndicats,  qui  les  mettra sous pression dans  les années à venir. D’autre part, il existe le danger que ces mêmes  travailleurs  soient  entraînés dans toutes sortes de tensions sociales et de contradictions entre les différents groupes de la société, qui menacent de saper encore plus  leur  identité et  leur autonomie de classe/

Jos / 06.06.2021

 

[1] Le nouveau gouvernement belge De Croo: Une «équipe dynamique» pour restaurer la confiance dans la politique?; [2] Internationalisme 372, 3e-4e trimestre 2020

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [3]

Personnages: 

  • Alexander De Croo [4]

Evènements historiques: 

  • 2020-21: Pandémie Covid-19 [5]

Rubrique: 

Vie politique de la bourgeoisie

Les Pays-Bas après les élections: La fin de la stabilité politique?

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Des  élections  législatives  ont  eu  lieu  aux Pays-Bas  au  printemps  dernier.  Elles  ont été suivies avec intérêt dans toute l’Europe, chacun se demandant si Rutte parviendrait à remporter un quatrième mandat de Premier ministre et serait ainsi en mesure de poursuivre sa politique des dix dernières années, une politique caractérisée par  l’austérité et la stabilité politique. Par ailleurs, le résultat de ces élections pouvait également apporter des indications quant à l’issue des importantes élections en Allemagne cet automne et en France au printemps prochain.

Les Pays-Bas : un modèle de stabilité politique

Dans différents pays du monde, le virus du populisme a déjà révélé ses effets dévastateurs ces  dernières  années.  Le  référendum  britannique  sur  la  sorte  de  l'UE  a  déclenché le développement d’un processus politique chaotique, dont  les effets  résonnent encore aujourd'hui.  La  présidence  de  Trump  aux États-Unis a alimenté le chaos dans le pays, qui  a  eu  pour  apothéose  la  prise  d'assaut apocalyptique  du  Capitole  par  une  horde d'extrémistes de droite. En Hongrie, Orban ne réussit à contrer le chaos imminent qu'en resserrant le contrôle à la « manière stalinienne ». En  Italie,  le gouvernement de coalition des deux parts populistes, a été marqué par 14 mois de  confit et a  laissé  l'Italie dans une discorde encore plus grande qu'auparavant.

Jusqu'à  présent,  les  Pays-Bas  étaient  un modèle  de  stabilité  politique.  Hormis  le fiasco de  la participation gouvernementale de la « Liste Pim Fortuyn (LPF) » en 2002-2003 et  l'échec de  l’appui du PVV de Wilders au gouvernement en 2010-2012, la bourgeoisie des Pays-Bas a réussi à maîtriser assez bien les conséquences de l'avancée populiste. En 2017, le PVV populiste avait certes amélioré son score pour devenir le deuxième parti le plus important, devançant légèrement le CDA chrétien-démocrate et les libéraux de gauche de D66, mais il se situait toujours loin derrière le la droite libérale, le VVD de Rutte.

Rutte  lui-même  symbolisait  cette  stabilité,  il  est  le  symbole  d’une  bourgeoisie qui  comprend  l'art  du  jeu  politique  et  qui a  réussi  jusqu'à  présent  à  neutraliser  les « excès » populistes, expressions de  la phase de décomposition.

Le début des difficultés politiques

Le gouvernement Rutte II, qui a débuté en 2012, avait été  formé assez  rapidement, en particulier  parce  qu'il  ne  comprenait  que deux  partis.  En  revanche,  la  formation  de Rutte III a constitué la plus longue formation gouvernementale de l'histoire parlementaire néerlandaise. Cela était en parte dû au  fait qu'il avait fallu quatre partis pour former un gouvernement majoritaire,  disposant  d’une majorité  au  Parlement.  C’était  également lié à une méfiance mutuelle accrue entre les différents parts. Malgré son titre, « Confiance dans l'avenir », le minutieux accord de coalition, dans  lequel  tout  était  fixé  jusque dans les détails, exprimait bien plus la méfiance que la confiance.

Les résultats des élections de 2019 pour les États provinciaux et le Sénat fournissaient  déjà  une  première indication des difficultés croissantes de  la  bourgeoisie  néerlandaise  à conserver le contrôle de ses institutions politiques. Lors de ces élections, le  « Forum pour  la démocratie », un autre  parti  populiste,  surgissait  du néant pour obtenir du premier coup 16 % des voix, devenant ainsi le plus grand parti politique des Pays-Bas et, avec  le VVD,  le plus grand parti au Sénat. Ce gigantesque renforcement de  l’escadre populiste dans  la politique néerlandaise était un premier avertissement.

Cette  tendance a été absolument confirmée  par  les  résultats  des élections  parlementaires  du  17 mars  2021.  Jamais  auparavant  les populistes n'avaient obtenu  autant de  sièges que  lors de ces élections;  ensemble,  ils  obtiennent  28  des 150  sièges.  C'est  encore  plus  que les 26  sièges que  la  LPF  a obtenus en 2002. Mais le plus important est le fait que  le Parlement n'a  jamais été aussi fragmenté, morcelé en 17 (et maintenant même 18) fractions politiques. Ce nombre est encore plus élevé qu'en Belgique où, du fait de la division communautaire des partis, deux versions  (une  francophone et une néerlandophone) de  la plupart des partis existent. La seule  famille politique  classique  qui  résiste  est la libérale, la droite libérale du VVD de Rutte et le centre-libéral du D66.

Les  chrétiens-démocrates  (CDA), qui  faisaient  également  parte  du gouvernement Rutte III, ont subi une perte  importante.  Les  partis  verts et  de  gauche  se  sont  réduits  pour devenir des « mini partis » avec moins de 10 sièges chacun. Les populistes, eux  aussi,  sont  divisés  en  quatre « communautés » qui s'excommunient entre elles. Des partis tels que le « Parti pour les animaux » ou le « Mouvement des paysans » entrent au Parlement.

Dans  l'actuelle Chambre des représentants, seuls 4 partis représentent plus de 10% des voix, tandis que 13 partis  obtiennent  moins  de  10% des voix.

Le « chacun pour soi » de la décomposition exacerbe aussi  toutes sortes d'effets, tels que des parlementaires qui essaient de « se profiler » dans les médias et qui ne se tiennent plus à la loyauté envers  leur propre part ou envers la coalition gouvernementale.  En  janvier 2021, cette  situation est devenue  funeste  pour  le  gouvernement Rutte, qui ne disposait que d’une  majorité  d'un  seul  siège  au parlement.  En  raison  de  son  incapacité totale à gérer  la question de l'allocation pour  la  garde d'enfants [1], le parlement avait annoncé qu'il introduirait une motion de censure contre  le  gouvernement.  Lorsque ce dernier  s'est  rendu  compte que même certains membres des partis  de  la  coalition  soutiendraient  la motion, il a été contraint de présenter sa démission.

Une résistance croissante contre le « Roi Soleil » Rutte

Le  processus  de  formation  d'un nouveau  gouvernement  de  coalition  a  débuté  à  la  fin  du mois  de mars. Mais juste au moment où les discussions allaient commencer, un nouvel affrontement a éclaté entre les parlementaires et Rutte.

Après avoir appris que, pour l'un des députés (le député CDA Pieter Omtzigt), qui  s'était profilé de manière un peu trop explicite dans les débats contre  Rutte  III,  les  négociations visaient à « trouver une fonction ail-

Leurs », la Chambre des représentants a  voulu  savoir  ce qu'il  en  était. Au cours du débat qui a suivi, il s'est avéré que ce sujet avait été abordé lors des discussions entre Rutte et  les deux explorateurs  (les  précurseurs  des informateurs), ce que Rutte a d'abord nié  avec  véhémence.  Ce  n'est  que quand il a reconnu humblement les faits, qu'il s'est repent et qu'il a promis des améliorations (« une nouvelle culture administrative ») que Rutte a pu éviter une motion de censure qui le visait personnellement.

Le  fait  que  ce  type  de  députés était  également  un  sujet  de  discussion  régulier  au  sein  du  conseil des  ministres  n'était  pas  connu  à époque, mais est apparu plus tard. Le parlement a exigé  la publication

des procès-verbaux du Conseil des ministres du second semestre 2019 et il est apparu qu' « ils ne voulaient pas de questions critiques et  ils ont tout essayé, par le biais d'autres personnes, afin de les intimider et de les museler »  (Azarkan du parti DENK). Hors du débat qui a suivi la publication des procès-verbaux, Mark Rutte a une nouvelle fois promis de faire mieux et  de  tenir  désormais  davantage compte  du  parlement  en  tant  que « contre-pouvoir ».

Les  affrontements  d'avril  2021 entre  le  gouvernement  et  les  parlementaires ont rendu  la formation d'un nouveau gouvernement beaucoup plus difficile. Toutes  les belles promesses  faites  par Rutte,  suite aux prétendues  « machinations » du gouvernement  envers  les  députés, semblent avoir eu peu d'effet. Le rapport final publié début mai par Tjeenk Willink,  le  troisième  « informateur » depuis le 17 mars, montre que sur les 18 partis au Parlement, six en tout cas ne considèrent plus Rutte [2] comme suffisamment crédible pour  former un nouveau gouvernement avec lui.

L'un des fondements sur lesquels la bourgeoisie s'appuie pour défendre son  système  politique  contre  la pression  toujours  plus  forte  de  la décomposition est la mise en avant (ou  la  création,  comme en  France) de personnalités populaires capables d'unir  une  parte  importante  de  la population et des  forces politiques autour d'elles. Nous l'avons vu avec Merkel  en  Allemagne,  Macron  en France  et  récemment  avec  Draghi en  Italie.  C'était  également  le  cas de Rutte aux Pays-Bas au cours des dix dernières années. La campagne actuelle contre Rutte est une manifestation supplémentaire du fait que la  bourgeoisie  néerlandaise  tend  à perdre la régie de son jeu politique et  que  le  contrôle  lui  échappe  de plus en plus.

Le « chacun pour soi » compromet toute prise en charge de la crise

Plusieurs mois ont passé et  la formation  du  gouvernement  n'a  pas progressé d'un pouce. Le « groupe de réflexion sur la crise du  coronavirus » du  Conseil  Economique  et  Social  (SER),  le  principal organe consultatif du gouvernement, a formulé des axes pour la relance de l'économie et des activités sociales. Ces  axes  donnent  la  priorité  à  la relance de l'économie et à l'anticipation de la prospérité future, tout en veillant à ce que les acquis sociaux tels que les soins de santé restent intacts. Au cœur des plans de la bourgeoisie pour la période à venir se trouve donc la transition de la crise vers la reprise, agrémentée par quelques zestes de durabilité et de numérisation.

La  bourgeoisie  néerlandaise  ne semble  donc  pas  opter  pour  un gouvernement qui mette  immédiatement en œuvre une austérité drastique et qui présente immédiatement la note pour les mesures de soutien financier  d'environ  40  milliards d'euros de l'ère Corona. La question demeure toutefois: quels sont les cinq ou six partis qui se retrouveront sur un programme de gouvernement qui ne les mènera pas encore plus avant sur le chemin de l’implosion? Et sous la  direction  de  qui  ce  programme sera-t-il mis en œuvre?

Malgré  les  beaux  plans  élaborés actuellement  par  la  bourgeoisie pour  la  formation  d'un  nouveau gouvernement, nous ne devons pas nous faire d'illusions. La bourgeoisie sait qu'elle ne peut pas continuer à dépenser de l'argent et à augmenter la dette nationale en toute impunité. Ce  qu'elle  fait  depuis  le  début  de la  pandémie,  c'est  essentiellement danser sur la corde raide. Et ce, dans le  contexte  d'une  économie  nettement plus  faible et plus  fragile que lors de la crise bancaire de 2008. Les économistes prévoient qu'une telle politique conduira inévitablement à une intensification des chocs financiers  et  à  une  déstabilisation  de  la monnaie.

L'absence de contrôle du « jeu » politique ne peut qu'aggraver la situation, car les effets de la décomposition ne se limitent plus à des phénomènes de superstructure comme le populisme, les  flux  de  réfugiés,  l'écologie,  la

décomposition  de  l'idéologie  mais touchent de plus en plus directement la  base  économique  du  système capitaliste [3], comme nous  l'avons vu avec la pandémie: la propagation illimitée du virus a plongé le monde dans une crise profonde, comparable au krach de 1929.

Les  difficultés  actuelles  de  la bourgeoisie  néerlandaise  à  former un  nouveau  gouvernement  stable, capable de conduire le pays à travers les  tempêtes  actuelles  et  à  venir, expriment de manière  frappante  la tendance au "chacun pour soi", qui pénètre  progressivement  tous  les recoins de la société bourgeoise [4]. Avec  la politique à court  terme qui tend à prédominer de plus en plus dans la phase de décomposition, les conditions  économiques  ne  feront qu'empirer; les conséquences de ceci se répercuteront sans nul doute sur les couches exploitées de la population et en premier lieu sur la classe ouvrière.

Dennis / 2021.06.07

 

[1] Dans l'affaire dite des allocations familiales, des dizaines de milliers de  familles néerlandaises ont été accusées à tort par le fisc, ces dernières années, de fraude à l'allocation pour la garde d'enfants. En conséquence, ces familles ont rencontré de graves problèmes, non seulement financiers (on les a obligés de restituer des dizaines de milliers d’euros), mais aussi des problèmes liés au logement, aux soins et à l'éducation des enfants. C'est devenu un véritable scandale  en  raison  du  fait  que  le  gouvernement n'a pas voulu révéler la gravité et l'étendue de ces dérives au parlement.

[2] Après dix ans de gouvernement ininterrompu, de 2010 à 2020, Rutte a commencé à montrer certains traits autocratiques: il dicte ce qu'il faut faire ; Rutte et « gouverner » sont devenus presque synonymes, comme l'a souligné Ploumen du PvdA (social-démocratie): « Rutte se comporte comme un Roi-Soleil. »

[3] Voir: Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste [6]

[4] Les émeutes du week-end du 23 et 24 janvier 2021 étaient  sans  précédent  selon  les  normes néerlandaises. Ce n'est pas en soi le grand nombre de gens dans la rue qui est significatif, mais le fait que les émeutes se soient déroulées simultanément dans 25 endroits, qu'ici et là des rues test Covid aient été détruites et qu'à Twente même un hôpital ait été attaqué. Cela prouve clairement que les effets de la décomposition sont de plus en plus répandus.

Personnages: 

  • Mark Rutte [7]

Evènements historiques: 

  • 2020-21: Pandémie Covid-19 [5]

Récent et en cours: 

  • COVID-19 [8]
  • Coronavirus [9]
  • Corona [10]
  • élections 2021 Pays-Bas [11]

Rubrique: 

Vie politique de la bourgeoisie

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Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/f_isme374_klweb.pdf [2] https://fr.internationalism.org/content/10280/nouveau-gouvernement-belge-croo-equipe-dynamique-restaurer-confiance-politique [3] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-belgique [4] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/alexander-croo [5] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/2020-21-pandemie-covid-19 [6] https://fr.internationalism.org/content/10255/rapport-pandemie-covid-19-et-periode-decomposition-capitaliste-juillet-2020 [7] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/mark-rutte [8] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/covid-19 [9] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/coronavirus [10] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/corona [11] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/elections-2021-pays-bas